C'est pourquoi, prenez toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister dans le mauvais jour, et tenir ferme après avoir tout surmonté.

Il y a trois jours...

Ce matin, je reviens à mes premières amours. Un couple vit dans cette maison devant laquel je passe souvent. J'enfile un chewing-gum dans ma bouche. Ils ont un chien – why god – que je trouve énorme... Lui est commercial pour des produits pharmaceutiques. Elle est chef dans un restaurant dans lequel j'ai eu l'occasion d'aller plusieurs fois. Il est même probable qu'elle me reconnaîtrait si on venait à se croiser. Depuis ma voiture, j'observe la maison. Il y a un étage habillés de grands rideaux rouges. Une silhouette s'approche de la maison à petits pas, je le reconnais. Je sors, traverse leur jardin tranquillement. Il fait beau aujourd'hui et je sens que plusieurs de mes projets sont en train de prendre forme doucement donc j'avoue que ça me satisfait. Cette silhouette qui hésite à se rendre chez les Mills, c'est leur fils cadet. Il va essayer de leur extorquer un peu d'argent parce qu'il plonge son nez dans la coke dès qu'il en a l'occasion, il écrit sur sa page facebook que son pouvoir est en stase quand il place. C'est ça oui, ou comment mettre les citoyens davantage en danger en n'étant plus maître de ses actes ? Et ensuite, comme tous les mois, il sortira vingt minutes plus tard en comptant ses billets. Je m'approche de sa voiture et j'ouvre la portière. Il n'y a rien à voler, c'est exact. C'est sans doute pour ça que je ne vole rien. Je me contente de récupérer le jeu de clefs sous le siège conducteur. Je sors mon chewing-gum de ma bouche et enfonce la clef de son domicile dedans, le temps d'avoir l'empreinte.

Ce matin...

Rien à bouffer, à croire que la règle numéro un pour être un bon mutant en perdition est de laisser le frigo vide. Je progresse doucement dans l'appartement, pour ne pas me piquer avec une seringue qui trainerait par terre. J'ai fouillé un peu partout avec des gants pour voir s'il y avait de l'argent ou des objets de valeur qui pourraient justifier un vol mais le train de vie de ce gamin suffira la police à conclure l'affaire, j'imagine. Ce sera quelque chose de vite fait, le principal étant de ne pas lui laisser le temps de m'attaquer avec son pouvoir. Je ne vais pas lui tirer dessus, quel petit délinquant attaquerait un junkie avec un silencieux et un petit calibre ? Je m'assieds sur une chaise de cuisine après avoir dégagé toute la merde qui envahissait l'espace.

Un sac à dos noir repose près de moi. Je joins les mains entre mes genoux, l'objet glissé contre mon poignet gauche. Je prends quelques minutes avant de finalement examiner la salle de bains dans laquelle je fais un brin de ménages. Je retire mon t-shirt que je pose sur le bord de l'évier. Je retire mes chaussures, mon pantalon. Je jette un œil à ma montre et la pose à son tour. C'est qu'un gamin. Je m'approche de la porte d'entrée, me mets derrière, l'entends galérer avec la serrure puis il entre. Il balance son sac à dos sur le côté et jette un œil vers les chaises de la cuisine. Alors que la porte claque, me voici dans son dos. Cible facile. Sans prologue ni explications, je me contente de prendre bien mon couteau en main. Je le saisis par les cheveux pour avoir un meilleur angle et lui plante la lame dans la gorge. Deux fois. Trois fois. En le maintenant bien pour éviter qu'il m'en foute partout. Évidemment, ça éclabousse ses conneries et je me retrouve à en avoir sur le bras et sur le tibia quand il croit bon de s'écrouler dans la flaque de son propre sang. Je m'accroupis à côté de lui, prends sa main dans la mienne le temps qu'il termine de se noyer. Quand son corps cesse le combat, je le lâche. « Je me permets, ça ne te gêne pas trop ? » Pas de réponse, je prendrais ça pour un oui.

Je prends donc une douche avant de me rhabiller. Je nettoie le couteau et le laisse sur place. Je vérifie de n'avoir pas laissé de traces de mon passage. Je ferme à clef derrière moi et file un coup de pied dedans pour la faire sauter. Je mets ma capuche sur ma tête, j'embarque mon sac à dos et je sors. Le point de rendez-vous n'est pas loin. J'ai l'impression que ce petit crochet m'a détendu quand même. Je secoue ma main pour en chasser des fourmis qui s'y logent. Nous nous retrouverons dans l'une des bibliothèques qu'offre la ville. J'entre, passe le portique de sécurité qui ne sonne pas – pas d'armes sur moi – salue l'employée à l'entrée qui me renvoie un « Oh bien le bonjour, Pasteur ! » Je monte à l'étage, et entre dans une salle d'études. Je prends place sur une table, près d'une étagère. Je prends un livre au hasard. Ah, il est l'heure !

Même pas foutu d'être à l'heure. Je jette un œil à ma montre puis commence à feuilleter le livre que j'ai récupéré sur l'une des étagères. Je prends une page au hasard, caresse le papier de l'index, tourne jusqu'à tomber sur le début d'un chapitre. J'aimais beaucoup lire avant, j'étais toujours avec trois bouquins sous le bras mais j'ai un peu de mal à prendre du temps pour les lectures profanes. Pourtant, j'aime toujours ça. J'ai appris le Français il y a environ trois ans, et maintenant je m’attelle à la langue des signes. Je devrais commencer par une langue plus utile mais j'aime faire tomber les barrières, étonnement. Et cette façon de communiquer m'a toujours impressionné, les mains... Les mains disent parfois ce que les lèvres ne disent pas. Je jette un œil à nouveau sur ma montre. Connard. S'il n'est pas là dans deux minutes, je m'en vais. Je ne voudrais pas perdre mon temps, et parfois j'ai peur que ce soit une ruse pour m'éloigner. À force de faire des plans sur la comette, je sens bien que je commence à devenir un peu parano. En même temps il suffirait d'un peu d'inconscience pour rater quelque chose... Je pourrais rater une réaction, un indice, quelque chose, n'importe quoi !

Je me relève, prends mon téléphone et envoie quelques messages. J'aurais dû demander cette petite prise de sang bien plus tôt, j'aurais pu enfermer Adamska... Ou j'aurais un moyen de pression sur Lewis en cas de dérapage. D'ailleurs, je me demande ce que je ferais si Sarah et Aaron suivent le même chemin. Je devrai m'accorder un moment avec mon petit frère quand j'aurai plus de temps. J'ai besoin de savoir ce qu'il me cache. Enfin, le gars arrive. J'imagine parce qu'il n'y a pas grand monde à cette heure et il semble se diriger vers moi d'un pas sûr. Je reste assis, avec une petite envie de lui foutre ma montre dans la gorge et la lui faire avaler. Comme ça il imprimera bien que l'heure c'est l'heure et que je ne suis pas à sa disposition. Je range mon téléphone dans ma poche. Ferme le livre que j'ai posé ouvert à côté de moi.

Je roule des yeux quand il me lance son « yo padre ». Pitié... Il tend la main dans ma direction. Je rêve ou il a pris le temps de fumer une cigarette pendant que le temps égrainait les secondes ? Ça se sent, et puis si j'avais su... je serais descendue. Je saute de la table sur laquelle je me trouvais et prends la main qu'il me tend. Et je suis censé répondre par... wesh wesh Hydra ? Bien ou bien les fachos ? Je fais une petite grimace dépourvue de tout commentaire désobligeant, pour l'instant... « Braiden Richardson ! Ravi d'enfin pouvoir te rencontrer ! » Et vas-y qu'on a élevé les cochons ensemble. En soit, le tutoiement ne me pose pas de problème mais son assurance me titille un peu. Ou non, elle m'agace. Finalement, s'il préfère, je m'en moque. Surtout qu'il semble plutôt enthousiaste, alors autant montrer que je suis intéressé aussi sans se la jouer effusion de joie. « Enchanté, je suis Jeremiah. » Mon nom, il le connaît déjà.

Je le vois jeter un coup d'oeil à la pièce. J'esquisse un sourire. Je n'ai même pas fait entrer d'armes avant notre rencontre, je suis parti du principe que nous étions tous les deux intelligents, avec un intérêt certain à cette rencontre. Il peut me tuer lui, bien sur. Mais aucun intérêt franchement. Les Watchers, ça fait un moment que ce ne sont plus des hommes mais des idées. Et on ne tue pas des idées. Je me rassieds sur la table et montre une fenêtre de l'index, lui lançant comme sur le ton de la plaisanterie : « Tu peux toujours te défenestrer si la porte ne te convient pas. » En même temps, je comprends bien sa crainte. Il ne me connaît pas non-plus, mais je n'envoie pas – jusqu'à maintenant – de mercenaire tuer des inconnus quand ils me proposent un échange de services...

« Je dois dire... C'est original comme lieu de rendez vous. Vraiment. Je m'attendais à ce que tu me proposes qu'on se voit dans un bar ou un centre commercial mais j'aime bien. C'est tranquille comme coin. » Oui les bars ce sont des lieux assez pratiques pour se rencontrer mais je préfère changer. Et ce lieu me semble au contraire parfait. Ce n'est pas comme si je rencontrais une recrue potentielle, je voulais qu'on puisse parler tranquillement sans faire attention aux oreilles indiscrètes. Et puis comme dit, je ne m'attends pas à ce qu'il me fasse la peau. Je ne sais pas si je dois y voir une menace à demi-voix. Bah les caméras de sécurité sont transmises en direct à la mairie et sont accessibles par la police. Il ne veut sans doute pas de publicité avec sa tête dessus si on me retrouve le corps en deux morceaux. Le principal c'est que ce soit toujours moi qui fixe les endroits, au dernier moment. C'est une règle de sécurité, une règle à laquelle je ne déroge pas... ou je ne viens pas. Je hoche de la tête, simplement puis le laisse continuer. ]« Je pense qu'on est fait pour s'entendre Jeremiah... Euh je peux t'appeler Jeremiah ? A moins que tu préfères Jer' ou padre ? C'est comme tu veux. Et tu peux m'appeler Braiden. »[/b] S'entendre, s'entendre... tout de suite les grands mots ! Je devrais lui dire que je ne cautionne pas du tout les motivations d'Hydra, ni les motifs de leur création. S'il me prend pour une sorte de taré comme eux, il doit savoir qu'il fait totalement fausse route. Franchement... à l'époque... comment Hydra a pu suivre un mec qui prônait la race aryenne ? Un gars avec des putain de cheveux bruns ! Mais nous ne sommes pas là pour un débat idéologique. Ou pas encore du moins. Je passe la main sur mon menton puis réponds sur le ton de la légereté : « Oui allons-y pour Jeremiah. Et ce sera Pasteur Reagan si on est amenés à se croiser en public. Tu peux nous épargner à tous les deux le padre. »

En fait... il a l'air dérangé. Je m'assieds à nouveau sur la table. Ok j'aurais sans doute dû prendre une arme quand même. Non mais c'est quoi cette imitation ? J'arque un sourcil, est-ce que c'est un petit jeu pour lui, juste ça ? À mon tour d'afficher un sourire en coin, et de lui répondre « Désolé princesse mais je ne suis pas venu là pour lier une amitié de best friend forever avec toi. Pour moi Hydra n'est qu'une bande de fascistes qui emploie certes des hommes sans doute qualifiés et dangereux mais également tout déviant ou inhumain qui puisse aider sa cause. Peux-tu en venir au fait ? »

J'arque un sourcil quand je vois qu'il se répète plusieurs fois comment il devra m'appeler si on se croise dans d'autres circonstances. Non mais ils m'ont envoyé Braiden ou son jumeau débile ? Ce n'est pas possible ça... Autant de désinvolture, ça me tue ! Après... son excentricité doit sans doute cacher un individu beaucoup plus intelligent qu'il ne le laisse... entrevoir. Je suis ses mouvements des yeux, j'ai envie de savoir à quel point cet aspect fou et excentrique de sa personnalité est forcé ou réel. J'espère simplement qu'il est familier mais... plus discret quand il doit l'être. Quand je le vois comme ça, j'ai limite envie de lui taper le froid avec la paume de ma main pour bien faire rentrer l'information, au cas où …

Pour l'instant, j'ai surtout besoin de savoir ce qu'il offre et ce dont il a besoin, pour savoir si tout cela est bien compatible avec les Watchers. Je ne voudrais pas que nous allions plus loin si nos intérêts ne concordent pas, même si les échanges que nous avions pu avoir via nos intermédiaires laissent penser le contraire. Il ne s'est pas déplacé pour rien, et moi non-plus. Il joue les gars un peu vexés, choqués, de mon empressement ou de ma comparaison un peu sarcastique. Je lève les yeux au ciel, je ne suis pas sûr de tenir bien longtemps. Surtout que je ne suis pas en train de le recruter, je ne joue aucun jeu avec lui. Je frotte mes mains l'une contre l'autre silencieusement, attendant de voir ce que donne la version à peu près sérieuse de Braiden. S'il en existe une... quand même... Il dit comprendre. Je reste muré dans le silence, je n'ai rien à ajouter pour l'instant.

« Désolé, c'est juste que j'ai tendance à me laisser emporter et j... Bref. Avant qu'on parle affaires, je voulais juste te prévenir que je ne cautionne pas du tout les actions d'HYDRA. Justement. » Voilà qui devient intéressant. Une foule de questions me vient forcément en tête, à savoir dans quelle mesure ses idéaux peuvent rejoindre ceux d'Hydra ? Parce qu'évidemment, s'ils sont pour la mort des homosexuels, des blacks, des gitans, des Juifs... on ne va pas s'en sortir tous ensemble. Même si l'Église ne bénit pas les homosexuels avec un grand sourire, nous ne sommes pas là de leur foutre un triangle rose sur le cœur et de les envoyer mourir à l'écart des regards publics... Cela vaut pour tous les hommes et femmes, bien sur.

Il se met à sourire. Ouaiiis... il ferait peur à mes enfants de choeur, de toute évidence. Pourvu qu'il ne vienne jamais à l'église sans y avoir été convié parce qu'une expression comme ça, ça ne s'oublie pas tout de suite. « Si je suis là, c'est parce que je pense que toi et moi... Les Watchers et mon organisation... On pourrait collaborer. Tu vois le tableau ? » Je hoche de la tête, songeur. Finalement, il va chercher une chaise qu'il retourne et prend place en face de moi. Je le considère sérieusement, sourcils froncés et mains jointes. Alors bande d'allumés, ce doit être le juste retour des choses après que j'ai dit que Hydra ne sont que des fachos, j'imagine. Je marque une moue de mécontentement mais ne cherche pas à rendre notre honneur à notre groupe tel un preu chevalier. Qu'il pense ce qu'il veut, je m'en lave les mains ! Je sais bien qui nous sommes et « allumés » est sans doute le terme généraliste le moins bien choisi. Au début, peut-être... nous ne devions pas être plus qu'une bande, et allumés, qui sait ? Mais maintenant que les craintes sont confirmés, qui oserait croire que nous sommes dans l'erreur ? Le danger est réel.

Et là, il dit les mots de trop. Les trucs que j'ai fait péter. Je me redresse subitement, de marbre face à son admiration... feinte ? Il feint pas vrai ? J'étais jusqu'alors penché vers l'avant, attentif à ses propos mais je passe immédiatement sur la défensive. Le sens du spectacle, il est sérieux ? Ce n'était pas une pièce de théâtre, ça n'en a jamais été une ! Tous ces gens qui sont morts ne sont pas factices, ils étaient faits de chair et de sang, ils sont morts, ils avaient de la famille, des amis, ils existaient réellement ! Aucun acteur n'a retiré son costume après le spectacle. Comment il peut considérer ça comme cela ? J'y crois pas ! Il n'a rien compris ! Il ne s'agit pas de faire un beau son et lumière pour impressionner les yeux des messieurs et des dames en tailleurs et costumes ! Il ne s'agit pas uniquement de faire parler ! C'étaient des vies humaines que nous avons pris la décision d'éteindre, de sacrifier !

Je me lève de la table sur laquelle j'étais assis. Je passe les mains contre mon crâne, essaie de retomber un peu. Je sens que la tension qui commence à monter. Je dois essayer de me calmer, de repousser cette envie d'écraser cette face de malade contre la table en lui gueulant que ce n'était pas génial, ce n'était rien de tout ça ! C'était du feu, du sang et des morts. Je n'y ai pris aucun putain de plaisir. Ça me bouffe, et la satisfaction que j'en ai tirée, la satisfaction, pas le plaisir, elle accentue le mal ! Je passe à côté de lui, il reprend le chemin de notre conversation initiale. « Donc ! Ce que je voulais te proposer c'était disons... Un... Echange de bons procédés entre nos organisations. Parce que autant j'ai vraiiiiiiment kiffé ce que t'as fait, autant j'ai bien vu que niveau entraînement c'était pas encore ça. » Ça y est. Pardon Seigneur, j'ai envie de le tuer gratuitement.

Je noie mon visage entre mes mains. Allez... Je prends une profonde inspiration, mon mauvais caractère me perdra un jour. Finalement, quand je l'entends rire avant d'annoncer la proposition. Je me dirige vers la porte d'un pas rapide. Je sens ma mâchoire contractée, serrée si fort que je ne peux pas lui répondre tout de suite. Je baisse les stores qui séparent les vitres du couloir de la salle d'études où nous nous trouvons et rejoins Braiden qui est pour l'instant encore assis. Je me place sur son côté et l'attrape par le col, je m'y cramponne solidement et colle presque mon visage au sien : « Écoute-moi bien, espèce de détraqué... » J'ai du mal à desserrer les dents pour lui parler. Autant Lewis qui glorifie nos victimes sur l'autel du génocide, ça m'énerve déjà, mais ce... cet abruti qui en rit, ça me met hors de moi « Toutes ces personnes sont mortes, elles étaient vivantes, elles avaient une conscience et la majorité s'est vue mourir. Alors ne prends pas ça pour un jeu. Il n'y a rien à applaudir, et si tu tires partie de la situation, sache que je regrette bien qu'on en soit arrivés là. »

Je le relâche... je me dirige vers la fenêtre : « J'entends pas là : je regrette que l'humanité en soit arrivée là. » Je ne veux pas me compromettre s'il porte un micro sur lui. Je me rassieds sur la table et lâche soudainement : « Maintenant, déshabille-toi. Le haut, le froc et tes chaussures. Je veux savoir si on peut poursuivre cette conversation. » Traduction, je suis intéressé.

Je croise les bras, j'attends sa réaction. Il ne manifestera aucune fausse pudeur, je ne lui demande pas de se foutre totalement à poil et s'il peut m'enregistrer avec un micro planqué dans le fion, il mérite franchement de pouvoir m'arrêter. Des armes. Des entraînements. C'est ce qu'il faut pour faire de civils de véritables soldats.

Je prends une longue inspiration, je me mets déjà à me demander s'il a les lieux requis pour ce genre d'exercices ou s'il faudra que j'en trouve. Aussi, il faudra que Braiden se montre de bonne foi pour que les Watchers aient confiance, il faudra qu'ils s'y rendent par petits groupes. À la réflexion, il faudra que nous soyons ceux qui imposent le lieu. Il ne faudra pas qu'ils aient des éléments de pression contre eux. Même si je suis sûr qu'on trouverait bien un moyen pour coincer un taré comme Braiden. Et s'il est fâché avec Hydra, il y aura une façon ou une autre d'exploiter ça peut-être. Quel gain de temps, et ils pourraient tous aller sur le terrain, contrer plus facilement les imprévus dus aux mutations dangereuses. Mes pensées se tournent vers Andrew, forcément. Un petit infirmier qui sait mettre à mort, ce serait forcément un atout. Même si je le vois plutôt opérer de façon plus subtile. À l'hôpital, j'imagine qu'on est au plus poche de l'action. Une bulle d'air dans une veine ou un médicament surdosé, sur quelqu'un entre vie et mort, c'est plutôt efficace et ça doit passer relativement inaperçu.

Tellement de possibilités, chacun dans son domaine, chacun avec ses armes, chacun avec sa boule de haine au creux de l'estomac. Ils devront faire preuve de sang-froid, ils ne devront pas douter. Le doute n'est pas permis. Le détraqué, il le sait, c'est certain qu'il en est bien conscient. Parce que dans sa folie perverse, il sait comment survivre. Il mène sa petite entreprise, il organise une rencontre entre nous. J'ai beau détester la façon... la légèreté avec laquelle il prend la situation, je sais bien qu'il n'est pas qu'un dingue.

« J'espérais que tu m'invites à boire un verre avant au moins. Je sais que je suis un mec facile mais quand même... » Alors qu'il... continue de jouer, j'en viens à me demander quand même comment il sait que les Watchers sont à l'origine de cela et surtout, s'il y a beaucoup d'autres personnes au courant. Je pose les coudes sur les genoux et l'observe silencieusement. « Oh... Ok je vois où tu veux en venir. Mais n'en profite pas pour te rincer l’œil hein. » Je hausse des sourcils et lui réponds sur un air légèrement blasé : « Navré princesse, mais tu n'es pas vraiment mon genre. Trop de barbe, trop de pénis, trop d'amour pour les attentats. »

J'esquisse un sourire. C'est bon, je reprends mon calme. Je me lève de ma table, me rapproche de la fenêtre et y jette un coup d'oeil avant de tourner à nouveau mon attention vers lui. Il ôte sa chemise, je m'appuie contre la vitre et croise mes bras sur mon torse, marquant mon impatience pendant son strip horriblement long. Je le regarde tourner sur lui-même et me rapproche de lui sans commenter. Si ce n'est que je me fais la réflexion qu'il vaudra mieux éviter un corps à corps avec lui, ce serait de toutes évidences une très mauvaise idée. De toutes façons, je déteste me battre, je ne m'entraîne que très rarement et je préfère attacher en lâche à distance si j'ai le choix. Cela ne me pose aucune sorte de problème moral quand il s'agit de mutants... et ça ne m'en poserait manifestement aucun s'il venait à s'agir de Braiden.

Je me rapproche de son pantalon et lui fais les poches en levant les yeux au ciel. Je sors le portefeuille et le pose sur la chaise. Je fais la même chose avec le portable. Je sors le briquet et le balance d'une main à l'autre. Je savais bien qu'il s'en était grillé une avant de monter ce petit enfoiré. Bon finalement, la colère passée, ça va mieux. Je le contourne à nouveau, le détaille sans gêne et lève les yeux sur son visage quand il s'adresse à nouveau à moi « Oui je le suis, merci. »

« Tu sais que je pourrais te demander la même chose ? » C'est vrai qu'il pourrait, et j'imagine que je le ferais sans problème non-plus parce que ce n'est pas un peu de pudeur mal placée qui m'empêcherait de mettre la main sur ses armes. Je penche légèrement la tête sur le côté, le regarde avec un sourire en coin. Oui et alors ? Est-ce qu'il croit vraiment que je vais m'offusquer, taper un scandale pour ça ? « Mais je ne demanderai pas ça à un homme d'église, j'ai des principes quand même. Pis nous retrouver tous les deux dans cette tenue, seuls dans une pièce, ça pourrait paraître bizarre. » Une fois encore, le destin prouve que j'ai terriblement bien choisi ma voie. Même lui, il se fie à mon statut de Pasteur.

Le Pasteur est celui qu'on ne soupçonne pas, justement parce que chacun a des principes, a des préjugés. Mon engagement envers Dieu ne m'aurait pourtant pas empêché de porter moi-même un micro pour garder un élément de pression contre ce taré. Mais la confiance étant à peu près établie, je veux que nous puissions parler de façon claire et précise. Je veux qu'on se dise les choses sans détour ou formules de politesse. Et pourtant... personne ne viendra nous déranger. Surtout que même Braiden est le seul en boxer, je pense que ça paraîtrait déjà assez bizarre. J'arrête de balancer le briquet d'une main à l'autre, fais naître une petite flamme au-dessus de laquelle je passe ma main libre, sans me brûler quand même. Je ne suis pas entièrement masochiste.

« Alors... Ça m'intéresse de savoir ce que tu sais à propos des attentats de février. Excuse mon manque de sang froid c'est que... » Je passe la main sur mon front et dans mes cheveux avant de rabattre mon regard sur lui : « Laisse tomber, nos motifs sont assez clairs et leur légitimité n'a pas besoin de ton approbation. Si tu aimes voir des gens brûler, j'imagine que c'est ton affaire. Alors je voudrais que tu me parles des attentats. Et dans un second temps, qu'est-ce que tu attends de nous, en contrepartie de ce que tu proposes ? »

Je suis assez contrarié, qu'il en sache autant. Ma foi, j'imagine qu'Hydra a des moyens que nous n'avons pas mais j'imagine que si, du jour au lendemain, ils décident qu'ils doivent se débarrasser des Watchers, nous ne tiendrons pas longtemps. Pas parce qu'ils viendraient nous chercher dans la nuit, ou nous éliminer. Parce que si tous nos agissements venaient à se savoir, ceux qui nous financent dans l'ombre ne prendraient forcément pas partie pour nous sauver juridiquement et notre crédibilité en serait certainement... touchée. Les humains qui tuent des humains, j'avoue que de prime abord, ça paraît immoral. Ça peut paraître monstrueux. Mais les jours passants, on peut se convaincre que c'était nécessaire. Je m'en suis moi-même convaincu, même si je ne vois pas ces attentats comme une preuve de force ou une victoire. Ce n'est qu'un mouvement, le mouvement d'un pion pour arriver au recensement, pour arriver au fichage, pour arriver un jour au puçage, pour arriver à bien plus loin. Ce ne sont que des étapes.

Je passe la main au-dessus de la flamme, cherche à savoir comment Braiden a eu ces informations, et s'il en sait plus, s'il ne fait plus partie du fanclub de Hydra. Je ne le quitte pas du regard. J'espère qu'il ne fera pas le con. Autrement que pourrais-je ? Peut-être essayer de l'immoler peut-être.  Ma langue passe mes dents pendant que je le fixe. Je penche une seconde vers la gauche, comme si j'avais un tic, mais c'est juste que j'essaie de réfléchir aux différentes éventualités. Ce gars a manifestement un problème, il doit aimer le chaos, la destruction. Il n'accorde aucune importance à la vie humaine. Je ne ferai que le minimum avec lui...

Quand je lui demande finalement ce qu'il attend de nous, je vois un large sourire illuminer son visage. Je me remets debout, faisant disparaître la flamme pendant qu'il se rhabille. Je jette un œil par la fenêtre. Je vois un groupe d'étudiants qui s'est installé sur l'herbe non-loin de l'entrée. Ils ont éparpillé différents papiers et sur quelques-uns, j'aperçois des dessins. Des dessins, n'importe quoi. Perte de temps. Je serre les lèvres, agacés puis me retourne pour faire à nouveau face à Braiden. Il semble se mettre à réfléchir. J'espère que ça ne lui demande pas un investissement trop lourd parce qu'après, il faudra parler affaires...

« Euh ben mis à part que j'ai vraiment a-do-ré ce que t'as fait, je vois pas trop quoi dire hein. Honnêtement, je me fous de tes cibles, du message que tu veux faire passer ou quoi. J'en ai rien à foutre que ce soit ton Dieu ou une organisation gouvernementale qui te l'ai ordonné. Je ne juge que tes méthodes et je les trouve géniales. Vraiment. » Mais... il est con ou quoi ? Ma question n'était-elle pas assez claire ou il fait simplement exprès d'esquiver ma véritable question. Qu'il se foute des cibles, ça m'arrange parce que je ne voudrais pas d'un défenseur de la vie mutante dans les pattes, ou qu'il se mette en tête que j'ai pété un plomb comme mon frère. Mais lui ne me connait pas. Il ne m'a jamais connu. Il ne voit que le résultat, tout ce qui s'est passé avant lui restera inconnu. Alors que peut-il vraiment penser à cet instant ? Ne serais-je qu'un fou, comme lui, qui s'amuse à déchirer la chair à coup de poudre ? Un fou qui s'éclate à voir le sang jaillir des plaies béantes des innocents ? Pense-t-il que ça me fait bander de compter les morts après des semaines, des mois de planification ? Personne ne m'a ordonné... Que les méthodes... J'avale ma salive, me remets à jouer avec son briquet.

Finalement, je comprends qu'il s'amuse simplement avec ma patience... enfin avec mon impatience. Je soupire quand je comprends qu'il veut laisser un temps... suspense ? Je fais un pas dans sa direction, je n'ai vraiment plus envie de m'asseoir, je veux qu'il aille droit au but au lieu de jouer avec mes nerfs. Et en ce moment, dans cette ville, avec les derniers événements et tous ceux qui arriveront... autant dire que j'ai toujours quelque chose qui tourne dans ma tête. Pas que ça m'empêche de dormir, mais ça ne me permet pas de prendre mon temps comme je le voudrais. À un moment donné, j'aurais peut-être donné le change avec Braiden. J'ai bien aimé, longtemps, taquiner verbalement mes interlocuteurs. Ça me servait parfois, à défaut d'être  à la hauteur physiquement. Le mot remplaçait la force. Et maintenant, la bombe remplace le mot. Tout simplement...

Finalement, quand il répond vraiment à la question, c'est mon tour d'esquisser un sourire. Je me penche vers lui et fais naître la flamme entre nos deux visages. Je la vois jouer en reflet dans les pupilles de mon interlocuteur : « Même sur moi, gentil Pasteur qui semble bien sous tout rapport. Et pourtant, tu n'as même pas vérifié si j'avais un micro ou une arme, c'est fascinant. » Je souffle sur la petite flamme et vais reposer le briquet sur la table. Je m'y assois et joins les mains devant moi.  Je cale mes majeurs contre mon menton. Je serais bien curieux de savoir ce qu'il a appris mais l'heure n'est pas à ces informations. Il sait déjà le plus important manifestement. Bien entendu qu'il connaît ma famille, il ne faut pas se leurrer là-dessus. Les Reagan sont des chasseurs de mutants connus, et mes frères et sœur n'habitent pas si loin. Et Prim ? Est-ce qu'il sait des choses à son sujet ? Quels Watchers connait-il ?

Il prend ses aises, préparant sa liste de suggestions. J'amène une chaise devant la table et il pose ms pieds, pour poser les coudes contre mes genoux. Je suis tout ouïe. Proposition A. Elle n'est pas à exclure mais je ne veux pas me mettre Hydra à dos. Si Braiden a su que je suis à l'origine des attentats de février, ce sera sans doute facile pour eux de remonter jusqu'à moi si je veux leur causer quelque tort... gardons une option dessus. Proposition B. Douter que je l'accepte ? Qu'est-ce qu'il compte me proposer ? Je souris quand il me parle d'une liste de mutants. Alors comment lui dire... cette liste n'est que provisoire. Les mutants de cette liste sont de toutes façons amenés à disparaître. Tic tac... tic tac... qu'une question de temps. Parce qu'ils ne serviraient à rien, ils ne devaient que nourrir le sol de leur cadavre. Pas plus. Proposition C. Voilà qui est forcément intéressant. Mes pensées vont immédiatement vers le Colonel. Mais il n'a pas pris contact récemment. Je ne peux décemment pas décider pour lui : il pourrait me reprocher de ne pas l'avoir tenu au courant de cette proposition. Mais je ne peux à l'inverse pas donner son nom. Organiser un rendez-vous entre eux serait sans doute le plus sage à faire...

Je prends une longue inspiration et copie le mouvement de ses doigts pour lui répondre : « Proposition A... Disons que... ça peut s'envisager mais si tu nous connais, tu sauras que nous ne sommes pas très puissants... En toute franchise, je ne vois pas encore bien dans quelle mesure nous serions capable de nous mesurer à tes amis fascistes. Bien entendu, si tu nous demandes pas de... nous mettre publiquement en danger et si tu as des moyens de garantir notre anonymat, cela pourrait éventuellement être acceptable. »

Je baisse le pouce, lève l'index. « Proposition C. Des liens avec le gouvernement... des liens avec le gouvernement... Je peux peut-être t'organiser une rencontre avec une personne qui, elle, en a. Mais elle n'a pas de lien direct avec les Watchers, alors il n'est pas à exclure qu'elle ne veuille pas faire partie de notre petit accord, tu vois ? » Je prends mes précautions. Et Stryker, en dépit de son opinion, est quelqu'un qui n'a pas de sang sale sur les mains. C'est quelqu'un d'important, d'intelligent mais qui ne se salit pas les mains à mon sens. Il est peut-être vrai que j'ai tendance à le mettre sur un piédestal mais il... peu importe !

Je baisse maintenant l'index, lève le majeur. Je souris à Braiden puis m'exclame, avec amusement : « Sérieusement mon pote ? » J'ai dit ces deux derniers mots avec une pointe d'ironie. Lui donner des mutants à former et perfectionner ? Et puis quoi encore ? « Je te conseille d'aller recruter ailleurs parce que cette liste... est souvent sujette à corrections si tu vois ce que je veux dire ? Je ne comprends pas comment ces créatures peuvent encore avoir le droit de marcher librement en ville alors penses-tu ! En faire des armes ! C'est hors de questions ! Non mais... tu as pu y croire une seconde ? Ils doivent tous mourir. »

Plus d'informations, il me faut plus d'informations à cet instant. Et il faudrait que je puisse avoir une preuve de la... bonne foi de notre nouvel ami. Parce qu'en cet instant, je n'ai aucune confiance en lui. Moi-même, je pourrais bien faire semblant de traiter avec un mutant si ça me permettait de le poignarder dans le dos. Ça ne me choque pas. Les combats singuliers, où dos à dos, les adversaires comptent jusqu'à dix avant de se retourner, c'est tombé en désuétude depuis des lustres. Mais il me faudrait quelque chose qui ne soit pas une menace. Les hommes n'aiment pas être menacés, comme je n'aime pas l'être. Parce qu'un pacte vaut bien plus qu'une haine latente. Je réponds point à point à ses propositions en essayant d'observer ses réactions mais à part son sourire dérangeant, il n'exprime pas grand chose à vrai dire...

Braiden semble assez satisfait quand j'ouvre la porte à une possibilité de rencontre. Finalement, je me dis qu'un homme aussi important que Stryker saura quoi faire de l'organisation de Braiden. Et s'il décide que les Watchers feraient mieux de rompre tout contact avec lui, j'y réfléchirai sans doute mais nous ne pouvons pas rester la team fragile. Il nous faut avancer, il nous faut devenir de véritables soldats, à l'image de Primrosae. Bientôt, nous aurons des armes adaptées aux monstres, nous saurons tout sur eux avant qu'ils ne s'aperçoivent qu'ils sont suivis, ils seront rendus à cet état qu'ils méprisent : homo sapiens. Ils seront à genoux, emmêlés dans les filets de leur humanité retrouvée. Ceux que nous pouvons sauver le seront. Les autres subiront la colère. Pas la colère divine, mais la mienne. J'ai envie... j'ai besoin qu'ils souffrent, qu'ils périssent. Parce que tout cela a un sens, parce que c'est écrit ainsi. Si aujourd'hui, nous ne ferons rien, qu'adviendra-t-il demain ?

Nos petits soldats ne doivent pas non-plus partir au suicide. Ce n'est pas comme si nous étions si nombreux. Et puis, les sacrifices inutiles... on s'en passera je pense. Les aspirations de Braiden n'étant pas les nôtres, il faudra minimiser les risques autant pour nos vies que pour nos identités. Surtout pour nos identités. Pasteur. Horloger. Barman. Étudiants. Femme d'affaire. Politicien. Militaire. Doctoresse. Nous sommes avant tout des anonymes. Nous sommes la foule. Nous sommes le poison qui s'infiltre, avant tout.

Puis je règle tout de suite la question des mutants. Quand il me demande si je suis « en mode tuez les tous... », j'esquisse un sourire. Je glisse ma main contre mon cou pour extraire mon chapelet que je caresse doucement du bout des doigts. Je chuchote quelque chose d'inaudible pour Braiden puis la tête pour le fixer droit dans les yeux  : « Tous, jusqu'au dernier. » Autant que ça soit clair, là-dessus rien n'est négociable sauf si ça sert nos intérêts à long terme. La seule raison qui garde Ellen vivante, c'est qu'elle peut nous servir pour l'instant... Après, elle devra simplement mourir. Parfois, je fais ce rêve étrange où je plonge ma main dans sa poitrine pour en extraire son cœur. Ça ne m’écœure pas, au contraire. Je vois ça comme la réussite d'une épreuve supplémentaire. Dire que j'ai... bref...

Il se remet à sourire, dit respecter mes convictions. Trop aimable. Mais même s'il n'était pas d'accord, je ne saurais m'en offusquer, tant qu'il ne s'en mêle pas. Ou que ces nazis ne s'en mêlent pas non-plus. Je frotte doucement mes mains l'une contre l'autre, après avoir laissé mon chapelet retomber contre mon t-shirt. Puis il lance : « Et je te rassure tout de suite, personne ne pourra remonter jusqu'à toi et tes potes. » Voilà qui nous fait avancer, enfin. Mon expression sérieuse s’accompagne d'un hochement de la tête. Nous verrons les détails le moment venu parce que si lui a su pour les attentats, comment empêchera-t-il les autres d'être au courant si nous les attaquons directement ? Avec eux... Lewis, Sarah et sans doute Aaron... ça commence à faire du monde au courant. Il me faudra préparer une issue, au cas où l'information serait dévoilée un jour. Mais comme l'a rappelé Braiden, je suis un Pasteur. Qui croirait un Pasteur capable de telles horreurs ?

Je fronce les sourcils quand il interrompt « l'accord » par ce qui semble le titiller, un petit détail dit-il. Je l'observe gesticuler, me redresse sur ma table sans pouvoir refouler un soupir las. Qu'est-ce qu'il va bien pouvoir me sortir ? Il semble songeur. Est-ce vraiment possible ? Je penche la tête sur le côté, l'encourage d'un simple : « Je t'écoute. » L'habitude sans doute de me retrouver face à des personnes qui ne trouvent pas leurs mots. Finalement, je reste en général une personne assez attentive... Nous y voilà, le sort du petit Andrew l'inquiète. « J'ai appris par mes contacts que tu t'étais... Rapproché de mon petit frère. Alors autant je me fous de ce que tu peux lui foutre dans le crâne, il est assez grand pour vivre sa vie hein. Autant je préfère te prévenir tout de suite. Si jamais il lui arrive quelque chose par ta faute. »

Je me mets à sourire. Mais ne t'inquiète pas, j'en prendrai grand soin de ton petit frère... Ce que je peux lui foutre dans le crâne... Je n’insuffle aucune haine qui n'existe pas déjà. Simplement certaines personnes ont besoin d'un petit coup de main pour laisser s'exprimer tout leur potentiel. Andrew est humain, profondément humain, et surtout il a des blessures toujours à nu, il me suffit d'appuyer sur ces plaies pour qu'il laisse sortir sa rage. Ça prendra peut-être du temps, mais j'ai bon espoir... Il ne lui arrivera rien. Pourquoi faudrait-il qu'il lui arrive quelque chose ? Ne sommes-nous pas tous en danger dès que nous franchissons la porte du foyer ? Qu'il se prenne un jet de flammes avec les Watchers ou à l'hôpital, quelle différence ? Je ne réagis pas quand il me pointe du doigt. Mon visage se ferme, le pire étant qu'il passe de la menace à l'éclat de rire comme on ferme une parenthèse sur un écrit. En une seconde. Il est dérangé, oui.

J'essaie de passer outre. Mais non je n'arrive pas : « Mais qu'est-ce que tu crois faire exactement ? Je ne suis pas sa maman, je crois savoir qu'elle a déjà pris cher quand votre frère a révélé sa vraie nature. Il est majeur, il prendra les risques qu'il prend, comme je prends les miens, comme les membres de ma famille prennent les leurs. Je ne crains pas la douleur, je ne crains pas la mort. Tu devrais savoir que plus l'agonie est longue, plus le chemin vers le paradis est aisé. »

Je souris, passe les mains sur mon visage puis contre ma nuque : « Tu penses que tu vas glisser ta menace comme ça et que je vais acquiescer sagement ? Tue-moi. Rase mon Église. Mais vas-y Braiden, vas-y ! Tu ne peux tuer un homme, tu peux faire brûler des lieux, tu ne pourras pas détruire les Watchers. Plus maintenant. Alors ne t'avise pas de me menacer. » Je laisse passer quelques instants : « Je veillerai sur Andrew quand ce sera nécessaire. Le reste ne dépend pas de ma volonté. Nous sommes humains. Nous sommes mortels, n'est-ce pas ? Alors si tu acceptes ça, deal. »

Dans la mesure du possible, bien sur que j'essaierai de protéger Andrew. Pour moi, les Watchers ne sont pas de la chair à canon que j'envoie se faire tuer quand l'envie m'en prend. Andrew est homosexuel, bon par principe – l'éducation, la religion, et mes mœurs actuelles – j'avoue que ça ne me plaît pas forcément. Mais il a quand même des qualités qui font qu'il peut rester vivant un peu plus longtemps... Déjà, il est plutôt mature. J'avoue que j'apprécie cette façon qu'il a eu de s'enfoncer dans son travail et un certain cynisme pour échapper à cette vérité qui lui brûlait les yeux. Du moins, c'est l'impression qu'il m'a donnée. On peut en faire quelque chose de satisfaisant, je peux en faire quelqu'un de satisfaisant...

Toujours est-il que le sort d'Andrew désormais n'est plus de son affaire. Il ne peut pas le laisser intégrer les Watchers et me menacer « au cas où » il arriverait quelque chose au petit infirmier. Son frère est grand, son frère est responsable de son destin, son frère est responsable de sa vie. Mais je saurais bien à qui faire porter le chapeau si je dois tuer Andrew. Un Braiden en colère doit être une arme redoutable sans doute... Menacer de me tuer ne m'atteint pas. Ça ne me touche pas. Je suis mortel, n'est-ce pas ? Je suis mortel, comme toi ! Je suis mortel, tu ne m'atteints pas, ta menace m'agace, mais mourir... nous sommes tous condamnés. C'est pour les autres que nous nous battons, les prochains. Pour qu'ils ne vivent pas parmi les monstres.

Qu'il me tue. Oui. Qu'il rase l'Église. Oui. Mais il en restera forcément. Tous les Watchers ne sont pas connus, beaucoup vivent dans l'anonymat. Certains sont puissants, influents et auront vite fait de se joindre au prochain Jeremiah Reagan. Alors bon... quelle importance ? Ce ne sera pas simplement ma punition pour mes péchés ? La récompense suprême pour mes services ? Pourquoi faut-il se lamenter sur son sort. Mourir n'est pas une fin. Braiden ferme les yeux, j'imagine bien que ce n'est pas la réponse à laquelle il s'attendait. Mais qu'il sache dès maintenant que je ne hoche pas sagement de la tête quand on s'attaque ouvertement à ce que j'ai construit.

Il se lève soudain de sa chaise, son visage ayant totalement changé d'expression. « Ne vois pas ça comme une menace... Jer'. » C'est ce que disent les gens qui s'apprêtent à en proférer une, en général. Je arque un sourcil, soutiens son regard mauvais. Il a le regard d'un chien qui va mordre. C'est donc celui-ci ton vrai visage ? Ou as-tu plusieurs facettes si différentes les unes des autres ? Voilà qu'il apporte une … précision. Si c'est juste ne pas envoyer Andrew se faire sauter ou tuer inutilement, ça ira alors. Ce sont les mutants qui doivent servir à ça et les innocents de février étaient une exception. C'était un coup, tout simplement. Mais ces stratégies meurtrières ne sont pas monnaie courante. Je pourrais le lui dire de vive voix, mais finalement... je suis sûr qu'il le sait déjà.

Enfin là il parle d'Andrew blessé. Il ne vaut mieux pas imaginer ce qu'il adviendra de ceux qui seront sur le chemin de Braiden si on vient lui annoncer que son petit frère est mort. Je penche la tête sur le côté, cherchant à comprendre où il veut en venir. Parce que Andrew = fragile, okay c'est bien rentré. Mais je n'en prendrai pas soin comme la prunelle de mes yeux pour autant. Il faut aussi qu'il apprenne... Il semble se calmer. Je balance la tête en arrière. Bon, on peut en revenir à...

Le voilà qui revient contre moi, sa main contre ma gorge. Je viens caler ma main contre la sienne, le visage serré. Putain, mais qu'est-ce qu'il a encore ? J'essaie de me dégager puis constatant qu'il ne va pas lâcher sa prise tout de suite, je pose simplement mes mains sur son poignet. Il ne serre pas assez pour me tuer, mais je sens bien la gêne que ça me cause... « Avise toi de mentionner encore une fois ma mère de la sorte ou avec ce ton et même ton Dieu ne sera pas capable de te reconnaître après ce que je t'aurai fait subir. Ça. C'est une menace Jeremiah. »

Il me lache enfin, je passe une main sur ma gorge en essayant de respirer normalement, légèrement courbé vers l'avant. Je tousse pour mieux respirer. Mais il est fou ce mec, sérieusement ? Il s'extasie sur des milliers de morts et on ne peut égratigner la mémoire de sa petite maman ? Malgré la menace clairement formulée, je m'autorise de lui gueuler dessus : « Putain, c'est quoi ton problème avec ta mère ? »

Je m'arrête là, passe près de lui. J'ai envie de lui foutre mon poing dans la gueule. Je me dirige vers la porte, l'entrouvre simplement pour vérifier que personne n'a été attiré par mon nouvel accès de colère. Une étudiante qui passait avec des livres à emprunter me fait un signe de tête et s'efface dans les marches. Je ferme la porte puis reviens près de Braiden qui accepte le marché. Choisissant de passer sur l'épisode de la petite maman, je me permets de lui signaler : « Franchement, je vois pas pourquoi tu es fâché avec tes amis d'Hydra. Tu es un garçon tellement adorable... Deal. »

Je lui serre la main. Ce mec est un malade mais maintenant, nous aurons un accès plus facile à des armes, dont j'imagine que personne ne saura retracer l'origine. Et nos membres seront mieux formés, mieux préparés. C'est ce dont nous avons besoin...