L'appartement tient encore debout uniquement parce que mon pouvoir l'a libéré de sa pesanteur. En vérité, tout le ciment, chaque brique s'est détachée. La moindre pression les disloquent. Mon visage est baigné de larme et avant qu'Alan ne se lève, je le piège entre mes bras. Je me fiche pas mal de l'urgence du moment où du sang sur son torse. Je le serre fort, secoué d'un sanglot ou deux. - Cette fois, c'est toi qui m'as attendu. - Toujours. - Il s'accroche à mon bras et je l'aide à se mettre debout, m'appliquant à le soutenir au mieux. Mon pouvoir focalisé sur l'appartement, je n'ai que mes bras pour m'occuper de lui. - Une bombe a explosé ? - Je renifle discrètement tout en jetant un œil autour de nous, avisant la dévastation que j'ai causé, avant de passer ma main dans son dos. Mes doigts glissent dans le sang encore liquide: pas de plaie. - J'ai cru qu'ils t'avaient tué...
Je le tiens, bien inconscient - parce que je m'en fiche pas mal - que notre presque nudité dans tout cette désolation est presque risible. Partout où je regarde il n'y a que débris et destruction. Le pantalon que je repère est coincé sous un bloc de ciment et le ciel commence à pleurer quelques gouttes de pluie froide qui viennent humidifier la poussière collée à nos peaux. - Merde... je sais pas... - Qui ai-je tué? Qui a été victime de ma rage? Le HPU je m'en fiche pas mal, ils ont fait leur choix. Et les voisins ont sûrement été évacués avant l'intervention. Mes tous les autres? Les passants? Les immeubles voisins? Ont-ils été épargnés? - Il faut... partir... - J'inspire en me reprenant. C'est pas le moment de penser à ça, je dois m'occuper de Alan. - Prim, on peut appeler Prim ! - Non, on peut pas juste débarquer chez quelqu'un. Ça pourrait les mettre en danger. Je sais pas qui est cette Prim mais je doute que tu veuilles risquer sa sécurité. - J'ai déjà risqué la sienne en venant ici, hors de question que quelqu'un d'autre ne subisse mon existence.
Je lève la tête vers le ciel, apercevant dans les nuages après les avoir entendu deux hélicoptères approcher. Je n'ai pas besoin d'attendre pour remarquer les armes intégrées aux appareils. Je ne peux pas tout faire en même temps. Je ne peux pas stabiliser l'appartement, soutenir Alan et bloquer une si grande force de feu. Et s'ils envoient des soldats... - On ne peux pas attendre plus longtemps. - Ma main libre attire à elle le briquet métallique d'Alan ainsi que le paquet de clopes tombé par terre, parce que je sais qu'il le voudra bien assez tôt. C'est peut-être bête de penser à ça dans un moment pareil, mais j'y pense. - Accroche-toi à moi. - Je le prend dans mes bras, sa tête collée à mon épaule alors que ses bras se serrent dans mon dos et lorsque je le tiens bien, j'abandonne mon influence sur l'appartement. Nos pieds quittent le sol car le sol se dérobent, s'enfonce vers le bas pour aller se fracasser contre les ruines déjà en bas. Tout ce qu'il contenait, toute la vie qu'Alan y avait rangé, disparue. Perdue.
J’accrois l'attraction de mon corps pour y verrouiller Alan et nous envole à toute vitesse, assez pour fuir vite, pas trop pour éviter qu'il en souffre. Nous traversons les deux hélicoptères comme un missile indestructible, le métal se courbant sur notre passage, et laissons derrière-nous deux appareils en chute libre qui vont s'écraser dans les rues en dessous, dans de grandes explosions. Je devrais nous ramener à la base, auprès de Steve est des autres. Je devrais nous mettre à l'abri hors de la ville pour qu'il puisse se remettre. Je devrais nous sortir du danger. Mais je fais un autre choix. Je nous emmène ailleurs. J'utilise mes pouvoirs et influence l'électro-magnétisme pour brouiller les pistes, nous rendre invisible aux radars et satellites. Tony ne pourrait pas nous détecter, pas plus que les sentinelles et leurs appareils. Je nous fais vibrer ainsi durant presque trente secondes. J'ai conscience que je ne peux pas faire ça indéfiniment, son corps pourrait en pâtir, mais je le fais assez longtemps pour qu'on soit tranquille avant de nous diriger vers l'endroit où ils ne viendraient jamais nous chercher.
Ce seul endroit où on ne penserait jamais à regarder.
Mes pieds trouvent le sol de ciment, puis ceux de Alan, et je me dépêche de nous entraîner dans l'escaliers dont j'ai ouvert la verrière, avant de la refermer pour qu'on ne nous voit pas. Le loft est immense et vide, l'électricité coupée et l'air frais. La lumière naturelle y est presque morne, tout comme l'ambiance dans laquelle il est plongé. Notre chez nous, à Warren et moi... Maintenant plus qu'un nid de poussière vide et triste. Je balaye la pièce de vie du haut du balcon d'un air presque détaché, tous les meubles recouverts de tissus blancs, et traverse le jardin d'hiver pour rejoindre ma chambre. Alan n'a pas à forcer pour marcher, ses pieds touchent tout juste le sol et lorsque je l'installe dans mon lit après en avoir débarrassé le drap blanc, je prend enfin le temps de souffler. La vitesse de vol, le brouillage.. Tout ça a forcément dû l'épuiser. Mon corps y est immunisé, mais pas le sien. Je ne pense pas. Mais après sa guérison miraculeuse... Je ne suis plus sûr de rien.
Hey, ça va? Ils ne viendront pas nous chercher ici, pas de suite en tout cas. Reposes-toi, ok? Je vais te chercher un peu d'eau, je reviens, c'est promis. - Et je l'abandonne peut-être deux minutes, le temps de sortir de la chambre et soupirer. Je suis en nage, la peau humide et sale. Je pose mon regard sur la porte fermée de la chambre de Warren et viens machinalement faire tourner sa gourmette autour de mon poignet. A-t-elle toujours un sens? Et le tatouage? Je me dépêche de descendre à la cuisine, y prend un grand verre que je remplis d'eau fraîche et remonte. - Alan? Tiens, bois un peu...
- J'ai cru qu'ils t'avaient tué... Au départ, je ne saisis pas la portée de cette réponse, la considérant seulement comme une pensée, lâchée comme ça, mais pas comme une justification au chaos autour de nous. Je crois qu'il me répond toute autre chose, et je ne peux pas lui en vouloir, je n'ai toujours pas compris ce qui s'est passé. Ni vis à vis de ma blessure, ni vis à vis de l'appartement, de l'immeuble, des environs. Je me tiens fermement à Kayden, prend le risque de regarder à nouveau mon corps, sans y voir d'hémorragie. Je mets ça sur le compte de Kayden, ce ne serait qu'une corde de plus à son arc après tout. - J'ai cru qu'ils t'avaient tué... Je ne suis peut-être pas aussi fragile que je le pensais, moi funambule sur une corde alors que les membres de ma famille voletaient autour de cette fameuse corde. Je n'étais pas jaloux ou envieux, je n'étais pas rassuré ou effrayé, pour moi leurs capacités ont toujours été une simple différence comme la couleur de nos yeux ou notre taille... Pourquoi un truc pareil arriverait maintenant, aussi ? - J'ai cru qu'ils t'avaient tué... Je hoche de la tête. Euh non non, je la secoue dans l'autre sens.
Je ne sais pas pourquoi Primrosae. Elle est cool, mais surtout je me suis dit qu'elle est importante, peut-être pas le genre de personnes de qui on peut défoncer impunément la porte. Ou la peau, tiens. Kay me ramène à la réalité, je hoche de la tête et m'apprête à ramasser mon téléphone. Ce n'est sans doute pas une très bonne idée. En même temps, je n'ai pas envie qu'on tombe sur certains de mes interlocuteurs ou qu'on sorte mes vieux messages de leurs oubliettes... Et qu'est-ce que je vais en faire, je le fais tenir sous ma b... Bref ! Fuck le téléphone, pour maintenant... Mon mouvement de tête imite celui de Kayden. Bordel, je dois mettre quelque chose s'il se passe ce qui doit se passer. Mais j'arrive pas à me défaire de cette sensation de poisse sur mon corps. Dire qu'on sortait de la douche, et là, il n'y en a plus... « On ne peut pas attendre plus longtemps.... Accroche-toi à moi. » Je m'exécute, souhaitant que mes bras ne se retrouvent pas en mode fromage blanc trop tôt. Je le garde contre moi, ou moi contre lui et je baisse le regard sur le sol qui s'éloigne. Au-dessus de nos têtes, le vent commence à se lever. Je ferme les yeux.
Je crois que je vais vomir... Je me serre davantage sur Kayden au moment où nous croisons les hélicoptères, m'imaginant déjà me faire couper en deux par une pale ou un morceau d'acier... J'ignore combien de temps se passe. Ça me semble une éternité. Quand nos pieds touchent le sol, je me mets à frissonner. L'effort, je ne doute pas qu'il s'agisse de Kayden, pour marcher est vraiment moindre, et heureusement parce que je me sens fatigué, de toutes les façons possibles. Et pourtant, je sais que je ne devrais pas. Parce qu'après ce qu'il a traversé, ce qu'il a vécu, je ne peux pas être fatigué maintenant. Je veux être un levier pour lui, pas un boulet. Je grogne sur moi-même mais quand mon corps rencontre le matelas, je ne peux pas nier que ça me fait un bien fou.
« Hey, ça va? Ils ne viendront pas nous chercher ici, pas de suite en tout cas. Reposes-toi, ok? Je vais te chercher un peu d'eau, je reviens, c'est promis. » J'esquisse un sourire et passant une main sale contre mon visage, je manque de lui répondre que c'est ce qu'on dit, mais je sais qu'il le pense vraiment. À peine a-t-il quitté la pièce que j'entreprends de comprendre un peu mieux ce qu'il s'est passé, même si je sais qu'il m'apportera des éléments de réponse. Je passe la main contre mon ventre, pourtant ce n'était pas un délire. J'ai déjà fait des bad trip, et ils n'ont jamais été aussi violents que ça. Dans mon dos, je sens encore la poisse du sang. J'entrouvre la fenêtre et passe la main pour récolter quelques gouttes de pluie supplémentaire.
Quand il m'interpelle, je sursaute et me dépêche de prendre le verre. Je bois la moitié avant de secouer la tête : « Tu m'avais caché ça, petit coquin. Mais je t'avoue que je ne vais pas m'en plaindre. » Je reprends le verre d'eau, j'ai la main qui tremble sensiblement. Je le termine et le repose avant de me laisser retomber sur le lit. Je ne vais pas dormir à cette heure quand même. Je pose les coudes sur les genoux et passe les mains dans mes cheveux sales. Je souffle un bon coup, histoire d'essayer de reprendre contenance : « Qu'est-ce qui s'est passé là-bas ? J'ai... enfin tu étais où ? »
Il se précipite sur le verre d'eau et je croise les bras. J'ai la peau rougie par les gouttes de pluie qui l'ont percuté quand on volait, le corps chaud de l'effort et de la différence de température. J'ai chaud et froid, les deux à la fois. - Tu m'avais caché ça, petit coquin. Mais je t'avoue que je ne vais pas m'en plaindre. - Je fronce les sourcils. De quoi parle-t-il? Il achève le verre et se laisse tomber sur le lit, les coudes sur les genoux, les mains dans les cheveux. Le sang, l'eau et la poussière collent à la peau, fige les cheveux. J'en souffre autant que lui et malgré l'absence d'eau chaude une douche supplémentaire s'imposera bien assez tôt. - Qu'est-ce qui s'est passé là-bas ? J'ai... enfin tu étais où ? - Je me surprend à fixer l'endroit où la balle est passé et mon regard retrouve le sien.
Ce qui s'est passé...
Je n'ose même pas me remémorer ce qui s'est passé, partiellement parce que c'est flou pour moi. Je m'en souviens, mais comme d'un événement lointain. Comme si je l'avais vu à travers un voile. Je m’assoie à côté de lui, hésite et prend finalement sa main dans la mienne. Je la serre un instant, pas sur de comment organiser mes mots. - Quand ils ont attaqué.. Tu as été touché. J'aurais dû être plus rapide, mais j'ai vu la balle te traverser... - Pour lui comme pour moi il n'y a même pas l'ombre d'un simple doute: une balle l'a traversé. Ça n'a jamais été une illusion d'optique, un mirage de nos esprits ou une apparition quelconque. C'est la réalité, on le sait. Le reste aussi. - J'ai cru que tu étais mort. J'ai... - Un sursaut de sanglot me prend, mon esprit ramenant au devant de mes pensées la dévastation des docks de Brooklyn. L'immeuble de Alan n'est rien à côté des docks, des centaines d'innocents... Je ne lui en ai jamais parlé. Je n'en ai jamais été capable. Mais maintenant qu'il a été témoin de cette fureur, comment peut-il supporter sa main dans la mienne...
Je baisse les yeux, honteux et usé. - J'ai cru que tu étais mort et j'ai craqué. Je peux pas... Je suis incapable de le supporter. - C'est récent. Trop récent. Trente minutes plus tôt anéantissements tout un immeuble et pas une once d'adrénaline ne court encore dans mon système. - Je peux pas te perdre. Je peux pas... J'aurais dû sentir le danger. J'aurais dû sentir que tu étais en danger bien avant qu'ils arrivent sur place. Mais il ne s'est rien passé et... - Mon regard accroche le sang sur son ventre et je pince ma lèvre entre mes dents. Et me reviennent ses mots, juste avant. Ce que je lui aurais caché? Je lève le regard pour accrocher ses yeux bleus, l'air entre surpris et désolé imprimé sur mon visage. - C'est pas moi, Alan. Je ne t'ai pas soigné. Je n'ai pas ce pouvoir. - Mon cœur accélère, je peux le sentir au fur et à mesure que je parle. - Je ne peux pas anticiper mes propres actions, et je n'ai jamais anticipé que tu allais être blessé. Je pense que tu n'as jamais été en danger. - J'aurais pu imaginer des centaines d'options, dans lesquelles ont avait réussi à entraver mes pouvoirs, à les brouiller ou à les déjouer mais je sais que c'est impossible. Mon instinct se porte sur une idée plus saugrenue et pourtant bien plus crédibles à mes yeux. - Alan, je crois que tu t'es soignés tout seul.
Ouais, j'ai aussi senti quand j'ai été touché... Je pince les lèvres, je pourrais presque hausser des épaules en mode « hé c'est la vie » si ça ne m'avait pas fait aussi peur. Je passe la main contre ma bouche, avec la sensation de sentir à nouveau le sang s'accumuler dans ma bouche, comme si je me noyais sans arrêt. Peut-être que le lac près de la maison n'était pas si effrayant finalement. Je semble aller bien maintenant alors ce n'est pas le temps des reproches, je ne veux même pas qu'il y ait un temps des reproches. La seule chose qui n'est pas claire – outre que je sois vivant – c'est comment les flics ont pu ouvrir le feu sans sommation, sans vérifier les occupants de l'appartement, sans respecter aucune des putain de lois de ce pays ? Je suis sans doute pas le mieux placé pour aller faire un procès aujourd'hui mais...
- J'ai cru que tu étais mort. Je hoche de la tête, j'ai aussi cru. Je serre fort sa main et de mon bras libre, je contourne son corps pour entourer ses épaules. - J'ai cru que tu étais mort et j'ai craqué. Je peux pas... Je suis incapable de le supporter. Je le laisse parler un moment. Mais si, il saurait le supporter. On est faits comme ça ; on est faits pour se courber, plier sans casser. Il pourrait me perdre, et il continuerait d'avancer. Je suis au mieux un compagnon sur sa route, au pire un obstacle sur son chemin, j'accepte ce que je peux lui apporter, j'accepte ce qu'il peut m'apporter. Et surtout, le jour où j'ai perdu une partie de ma famille, j'ai accepté que moi aussi je pouvais disparaître un jour. Mes doigts caressent les siens, pour lui signifier ma présence à ses côtés.
C'est terminé maintenant, le feu brûlant qui a tout dévasté sur son passage est éteint pour l'instant. Je serre plus fort sa main. Prends-je la bonne décision ? Mais je crois que je l'aime, et je ne veux pas le laisser, quelles que soient les facettes les plus inquiétantes de son être... Je pose la tête contre son épaule, soupire. Soupire, fort. Il s'écarte pour ruer son regard dans le mien. Je fronce les sourcils, sans comprendre ce qui cloche. Je pensais que ma présence répondait à ses questions muettes. - C'est pas moi, Alan. Je ne t'ai pas soigné. Je n'ai pas ce pouvoir. Je le regarde, gorgé d'incompréhension.
- Alan, je crois que tu t'es soignés tout seul. Je hausse des épaules, pose les yeux contre nos mains bloquées l'une contre l'autre. Non, je... Enfin je n'ai rien contre ceux qui sont différents, mais je ne suis pas comme ça. Parce que si c'était le cas, j'aurais pu faire plus. Je souris à Kayden et embrasse ses lèvres, son visage encore perdu entre différentes émotions : « C'est terminé, maintenant. » Petite tentative de fuite, je caresse son bras et lui fais un geste de la tête pour qu'il m'accompagne à la douche. Peu importe que ce soit une douche froide, je pense qu'on en a besoin. J'y entre le premier et mets la pression au plus fort. Je frissonne, serre les dents et secoue énergiquement mes cheveux, ne me déshabille que là. Je frotte le sang sur mon corps avec vigueur puis lève les yeux contre la paroi de la douche. À côté, le mur carrelé. Je détends mes épaules, masse mon poing avant de frapper le mur. D'abord, à moitié, par crainte d'avoir trop mal sans doute. La seconde fois, je frappe aussi fort que je peux. Est-ce que ça a un lien avec Kayden ? Est-ce que je dois le retenir dans son orchestre infernal ? Je frappe une fois encore, entend un craquement à l'intérieur de ma main et pousse un cri, suivi d'un juron. Je laisse ma main sous l'eau qui coule, essaie d'anesthésier la douleur avec l'eau froide. Est-ce que je suis là pour être son garde-fou ? Je serre mon poing puis essaie de détendre mes doigts. Je souffle puis lève les yeux sur le plafond. Je serai là pour Kayden la prochaine fois que je devrai me dresser entre lui et le monde : pour le défendre des autres. Et peut-être pour défendre les autres d'une facette de lui...
Je patiente et bientôt, je sors ma main du jet froid. Aucune douleur, simplement la sœur jumelle de ma main gauche, sans bosse, sans fracture, sans déplacement. J'ai l'impression qu'un pont s'est formé entre moi et le reste de ma fratrie. Je passe une serviette autour de ma taille, pousse la porte, à l'extérieur, il pleut à seaux. « Kay, il faut que tu me promettes... Quoiqu'il arrive à l'avenir, tu ne me vengeras pas. J'ai fait des bêtises, je vis ma vie comme un jeune con qui se tient sur un pont. Je peux mourir, je l'ai accepté il y a des années. J'ai fait beaucoup de conneries, et j'ai risqué ma vie bêtement. Tu n'es pas responsable de moi. Promets-moi que si, un jour, rien ne te retient ici, tu ne foutras pas ta vie en l'air. » Je regarde dans sa direction, inspire. « C'est parce que je t'aime que je te le demande. »
C'est terminé, maintenant. - Je sens le déni dans sa voix. Je sens qu'il a besoin de plus de temps pour accepter ce qui se passe. Je sens sa main sur mon bras qui tente de me distraire. Ça ne marche pas, mais je lui accord un peu de répit. Je ne m'attendais pas à ce genre de revirement de situation, c'est certain, mais le simple fait qu'il ne soit pas mort entre mes bras rend tout ça tellement plus appréciable et facile à accepter. Lorsqu'il se lève pour se diriger vers la salle de bain et me fait signe de le suivre, je lui souris. - Vas-y, je vais m'assurer que l'appartement est sûr. - J'ai conscience que notre séjour ici n'est que temporaire mais on doit rester le temps que les choses se tassent, peut-être un jour ou deux, alors autant être prudent même si être à cet endroit précis et déjà, en soit, un risque.
Alors qu'il disparaît dans la salle de bain, je me lève et sort de la chambre pour aller arpenter chaque recoin du loft. Il fait froid mais je fais avec, ça me tient alerte. Je ne trouve rien. Rien d'inquiétant ni de dangereux. Ont-ils été si imprudent? Si naïf? Ou paresseux? Est-ce qu'ils ont pensé que Warren reviendrait vivre ici? Je sais par expérience qu'ils auraient mis tout l'endroit sous surveillance précisément parce que Warren aurait été ici. Warren... Je n'ose pas entrer dans sa chambre. Et lorsque je le fais son odeur toujours présente m'emplit les narines et je sens ma gorge se serrer. L'espace d'une seconde j'oublie ses lames dans mon corps et la pression de ses mains qui me poussent du haut de l'immeuble. L'espace d'une seconde j'oublie le regard plein de colère qu'il m'a lancé pour revoir Warren. Mon Warren. Celui avec qui j'ai vécu. Celui qui me faisait une confiance aveugle. Mon frère pour qui j'aurais tout sacrifié... Et maintenant? Si la situation se présentait, qu'est-ce que je lui sacrifierais?
Dans le jardin d'hiver je lève la tête vers la verrière, observe et entend les trombes d'eau qui chutent sur les vitres. J'observe le ciel totalement fermé et soupire. Ai-je fais le bon choix en nous emmenant ici? Je retourne dans la chambre, pensif. Au moins, pour le moment, on est tranquille et lorsque je vois Alan sortir de la salle de bain, une serviette autour de la taille et le corps marqué par le froid de l'eau, je croise son regard. - Kay, il faut que tu me promettes... Quoiqu'il arrive à l'avenir, tu ne me vengeras pas. J'ai fait des bêtises, je vis ma vie comme un jeune con qui se tient sur un pont. Je peux mourir, je l'ai accepté il y a des années. J'ai fait beaucoup de conneries, et j'ai risqué ma vie bêtement. Tu n'es pas responsable de moi. Promets-moi que si, un jour, rien ne te retient ici, tu ne foutras pas ta vie en l'air. - Je croise les bras. Je n'aime pas ce qu'il dit et je refuse d'accepter la simple idée de le perdre. - C'est parce que je t'aime que je te le demande. - Et si je n'avais pas croisé les bras avant ça, ils m'en seraient surement tombé.
Une vague froide envahi mon corps. Puis une vague chaude. Une autre froide. Mes mains tremblent imperceptiblement parce qu'elles se vident de leur sang, comme une peur profonde revenant posséder mon corps tout entier. Mon visage ne trahit pas le moindre de ces mécanismes de défense sans queue ni tête et pourtant je les ressens. Il l'a dit. Il a dit ces mots que je n'ose pas prononcer. Ces mots qui n'ont pas quitté ma bouche depuis l'amputation de Warren. Que je n'avais littéralement jamais dit à personne avant lui. Lui qui m'a tué ensuite. Entendre Alan me dire ça me fait l'effet d'un coup de couteau mais la douleur n'y est pas. Il n'y a que cette sensation de froid, comme un rappel. Un souvenir sans image. Le danger des mots acérés comme une lame. J'expire par le nez, mon visage se teintant de rouge comme si une colère sourde me reprenait et je me dirige vers lui. A cet instant précis, je me fiche pas mal qu'il sorte de la douche et que je sois encore sale. Je me soucis seulement de le prendre dans mes bras pour éviter de briser quelque chose ou de m'évanouir. - C'est parce que je t'aime que je ne pourrais honnêtement jamais te promettre une telle chose.
Je me considère responsable. Sans moi dans sa vie, il n'aurait pas tout ces problèmes. Oh, il aurait les siens, mais pas les miens. Et j'ai beau m'efforcer de l'en éloigner, je ne peux pas me séparer de lui. Je frissonne. Ce n'est pas le froid. C'est le son de ces trois mots, Je t'aime, qui me donne l'effet d'un choc électrique. Pour d'autres ils ne seraient que légers, mignons... Dans ma bouche ils ont un tout autre poids. Une toute autre importance et sans me l'avouer, j'espère qu'il en a conscience. Je l'embrasse, je l'embrasse comme jamais, un sourire sur mes lèvres. - La seule chose que je peux promettre c'est de te protéger, de ne plus jamais t'abandonner. Je ne me bat pas pour moi-même. Et si je ne me bat pas pour les autres, je peux te promettre de toujours me battre pour toi.
Je retiens mon souffle, pourquoi est-ce que je retiens mon souffle ? J'avale ma salive, entendant encore l'écho de ma propre voix, comme si cette phrase, je n'aurais jamais dû la prononcer. Bien sûr que je le pense, je le pense et je le ressens mais ces mots ont un poids tellement important que c''est moi qui suis écrasé dessous à cet instant. Ils ne m'ont jamais apporté rien de bien, je les ai peu dits mais de toute évidence, c'était tout de même à mauvais essient. Kayden est perdu, il ne mérite pas un mec instable de tous points de vue. Dans quoi est-ce que je m'engage, et dans quoi je l'engage lui ?
Et plus encore, je ne veux pas devenir le motif d'une croisade inutile, s'il m'arrive quelque chose. On est tous mortels, moi le premier. D'autres sont morts avant moi, et j'ai continué. J'ai passé outre et j'ai continué à marcher. Et Kayden fera la même chose s'il m'arrive malheur un jour. Il le faut, il le mérite. Il s'approche de moi, je devrais dire quelque chose... je ne peux pas m'excuser, démentir, corriger... je n'ai fait que dire la vérité et... Ses bras autour de moi réduisent au silence mes doutes, mes questionnements. « C'est parce que je t'aime que je ne pourrais honnêtement jamais te promettre une telle chose. » Hé merde. Je pince les lèvres, j'aurais préféré que ce ne soit pas sa réponse et en même temps... je me sens encore plus à poil que lorsque je dors maintenant. Comme si nous venions de passer une sorte de pacte. Je n'étais pas un menteur, je n'avais rien à cacher avant. Et maintenant, j'ai peur de le perdre.
Je l'écoute et sens soudain que c'est trop tard. Nous l'avons dit, et j'ai l'impression de baigner dès à présent dans le mensonge. Je regarde vers l'extérieur, qu'est-ce qui empêche les sentinelles de venir nous trouver désormais, et moi de causer sa perte ? Je passe les mains sur son visage ; j'ai comme envie de vomir, comme si je venais de faire une connerie. Pas pour moi, mais pour lui. « Je n'en vaux pas la peine Kayden. Je te dis pas ça pour me faire plaindre ou te faire démentir. Regarde-moi dans les yeux Kayden. »
Je prends une profonde inspiration : « Je ne veux pas mourir, et je serai toujours prêt à me battre mais comme je t'ai dit, j'ai fait des conneries et mes combats m'ont amené à faire des choix que tu n'approuverais pas. Je mérite pas que tu foutes ton intégrité en l'air ou... enfin tu vois. » J'essaie de me souvenir avec exactitude de ce qui a eu lieu dans mon appartement et plus je retourne tout ça dans ma tête, moins j'envisage qu'il y ait eu une autre personne avec nous. Et ça me file mal au crâne, parce qu'aussi... je sais pas, des flics ce sont des flics quand même. Si c'était l'armée, ce serait des gars comme Johnny qui y seraient allés, suivant les ordres, pensant agir pour le bien commun. Pas comme ces cinglés qui me l'ont tué, me l'ont cassé. Je passe une fois encore la main contre mon visage. Je sais pas trop ce qui me fait chier davantage ni ce que je dois aborder en premier. « Kayden, qu'est-ce qui s'est passé exactement dans mon immeuble ? »
Je n'en vaux pas la peine Kayden. Je te dis pas ça pour me faire plaindre ou te faire démentir. Regarde-moi dans les yeux Kayden. - J'ai senti ses muscles se crisper, l'air sur son visage légèrement s'étirer. Je n'y vois pas de déception, j'y vois une contradiction. Une culpabilité dont je ne comprend pas l'origine. Alors je le regarde, droit dans les yeux, comme il me l'a demandé.
Je ne veux pas mourir, et je serai toujours prêt à me battre mais comme je t'ai dit, j'ai fait des conneries et mes combats m'ont amené à faire des choix que tu n'approuverais pas. Je mérite pas que tu foutes ton intégrité en l'air ou... enfin tu vois. - Je soupire, la gorge serrée, l'estomac nouée. Les choix qu'il a fait... Les combats qu'il a mené... Les conneries qu'il a faite... Je ne lui en veux pas. Je suis bien le dernier à en être capable, pas après tout ce que j'ai fais. La culpabilité qu'il ressent, le besoin de cacher ce qu'il a subit... Je ne veux pas de ça pour lui. - Kayden, qu'est-ce qui s'est passé exactement dans mon immeuble ?
Je baisse les yeux. Ne peut-on pas s'aimer sans parler de ça? De mon moment de faiblesse? De cette détresse qui m'a fait dérailler? Mes mains saisissent les siennes, mon attention focalisée sur elles comme si elles étaient la plus belle merveille du monde. Si elles ne pouvaient jamais me lâcher... - J'ai cru que tu étais mort... J'ai cru qu'ils t'avaient tué et ça m'a mis dans une telle rage... - Un jour je l'ai dis à Warren. Un jour je lui ai dis que si jamais quelque chose lui arrivait, je ne le supporterais pas. Un jour je me suis fais la même réflexion au sujet d'Alan. Et aujourd'hui, elle s'est confirmé.
Mes mains se resserrent autour des siennes et mon regard retrouve le chemin de ses yeux. - Je ne pourrais jamais moins t'aimer pour les choix que tu as pu faire pour survivre. Tu ne sais pas ce que j'ai vécu avant de te rencontrer. J'ai... - Je m'arrête en pleine phrase, mes mots réveillant d'anciens souvenirs. - Je ne supporterais pas que tu me regardes comme les autres l'ont fait quand ils ont su. C'est pour ça que j'ai toujours refusé de te parler de cette autre vie. Je ne veux pas que tu vois le monstre en moi. - Est-ce un mensonge s'il n'a jamais demandé? Est-ce un mensonge si je n'ai jamais rien fais de plus que ne pas en parler? Je lui avoue avec peur qu'il ignore bien plus sur moi que je ne l'ai jamais laissé entendre, mais je crois toujours qu'il vaut mieux qu'il ne sache pas. Qu'il vaut mieux qu'il accepte de ne pas savoir, plutôt que de voir la noirceur dans mon cœur.
Ma main droite glisse dans ses cheveux. - Pour chaque choix difficile que tu as du faire, crois bien que j'ai probablement fais pire et que je ne te jugerais jamais pour ce que tu as pu faire. Quelque soit le combat que tu dois mener, ou la façon dont tu l'as gagné, sache que tu me trouveras toujours à tes côtés. C'est une promesse. - Par pitié, qu'il ne demande pas...
Il baisse les yeux, comme honteux. Est-ce qu'il s'est bien passé ce que je crois avoir compris autour de nous ? Et en même temps, j'ai eu la frousse de ma vie ce soir, je ne veux pas aller trop vite, comme j'ai l'habitude de le faire. Et je ne veux pas lui tomber dessus avant d'avoir toutes les cartes en main. si je dois choisir entre lui dire ce que j'ai fait et chercher à savoir ce que lui a fait, je veux égoïstement repousser le moment où son regard sur moi changera et se fanera...
Il vient prendre mes mains, je me sens anxieux. Comme si tout ce qui avait eu lieu aujourd'hui venait former une boule au creux de mon estomac, comme si ce n'était pas vraiment terminé. Il a mes mains entre les siennes, je suis prisonnier de cette situation, d'une conversation que je ne veux pas avoir et je sais que si nous l'avons, l'un de nous va se barrer en claquant la porte dans son dos. Mes doigts enserrent les siens, je ne veux pas que ce soit lui. Parce que si je me barre, je reviendrai à un moment donné. Je ne sais pas si Kayden reviendra. Il est revenu cette fois, et je ne sais pas s'il reviendra la prochaine fois. J'ai ouvert une porte, et il est entré. Maintenant, je ne veux pas me demander si je supporterais qu'il disparaisse encore, encore, encore !
« J'ai cru que tu étais mort... J'ai cru qu'ils t'avaient tué et ça m'a mis dans une telle rage... » Je respire, je respire quand moi aussi j'ai cru que tout se terminait. Je ne comprends pas pourquoi ils nous ont tiré dessus, ni par quel processus j'ai pu me guérir, mais moi aussi j'ai cru partir. Je ferme les yeux, me voyant sur un pont. J'ai été de l'autre côté de la rambarde, j'aurais pu tomber. Jeune, rien ne me retenait autant à la vie. Personne ne me retenait autant au fait de vivre. Je cherche son regard, je ne veux pas le voir comme ça. Je voudrais pouvoir appuyer sur un bouton qui lui assurerait le bonheur qu'il mérite. Je pourrai affronter, tout affronter, mais je ne veux pas qu'il souffre encore. Ses épaules s'affaissent. Il a mal, ou il a peur... « Je ne pourrais jamais moins t'aimer pour les choix que tu as pu faire pour survivre. Tu ne sais pas ce que j'ai vécu avant de te rencontrer. J'ai... » Je pince les lèvres et demeure dans le silence, lui laissant l'espace dont il a besoin.
Je lâche ses mains pour caler les miennes dans sa nuque et l'amener contre moi. Mon front se pose contre le sien : « Rien à foutre du monstre en toi. Pour moi, tu restes ce crétin qui m'a ramené chez moi, quand j'avais même pas envie que tu rentres. Tu es cet étranger que j'ai croisé dans ce taxi. T'es ce mec que j'ai découvert tout entier dans cette ruelle... Je te vois comme ça. T'es même plus une sorte de super-héros à mes yeux, je n'aime pas les super-héros. T'es pas sur un piédestal, donc t'en tomberas pas. » Je pose mes lèvres contre les siennes, gardant mes mains contre lui. « Ça va te paraître stupide mais... » mes mains descendent contre ses flancs « je crois vraiment qu'on peut devenir meilleur. Se résigner, et rester ce qu'on est, c'est un aveu de lâcheté. Est-ce que tu veux être lâche ? » Mes bras le saisissent et amènent son corps contre le mien. Je dois reculer d'un pas, m'étant un peu laissé emporter par mon mouvement, encore affaibli par ce qui s'est passé, le vol et cette sorte de grosse lassitude. Je ne sais pas comment je tiens encore debout. « Pour chaque choix difficile que tu as du faire, crois bien que j'ai probablement fais pire et que je ne te jugerais jamais pour ce que tu as pu faire. Quelque soit le combat que tu dois mener, ou la façon dont tu l'as gagné, sache que tu me trouveras toujours à tes côtés. C'est une promesse. »
Mes mains glissent contre ses joues, mes doigts parcourent ses joues et veillent à ce qu'il ne baisse pas le visage à nouveau. « Alors bats-toi avec moi, pas pour moi. Et je te promets que je ne m'avouerai jamais vaincu. » J'esquisse un sourire et me nourris une fois encore du goût de ses lèvres. Ses propos me redonnent espoir, et surtout, ils me donnent confiance. « Disons que si tu veux savoir, tu me demanderas. Et si je veux savoir, je te demanderai. Et là, je n'ai pas envie de savoir. » Mes doigts glissent le long de son bras et caressent les siens quelques instants avant que je ne m'appuie finalement contre son avant-bras. « Je crois que je vais juste m'allonger une seconde. » Je tire sur son bras. De toutes évidences, on ne nous attaquera pas ici. « Viens avec moi. »
« Hey, ça va? Ils ne viendront pas nous chercher ici, pas de suite en tout cas. Reposes-toi, ok ? Je vais te chercher un peu d'eau, je reviens, c'est promis. »
Je suis retourné à Hydra, une fois encore. Quand je suis sorti, j'ai demandé à Rachel de ne pas se rendre dans le centre-ville aujourd'hui. Un groupement du HPU y était et j'ai cru voir qu'il y avait des coups de feu, des combats. Mais l'attention d'Hydra ne s'est pas concentrée là, mais sur Alan Underwood. Je connais Alan, je crois l'avoir vu lors d'une soirée, je crois que c'était lui à Noël... Des opérations ont lieu en ce moment.
« Hey, ça va? Ils ne viendront pas nous chercher ici, pas de suite en tout cas. Reposes-toi, ok ? Je vais te chercher un peu d'eau, je reviens, c'est promis. »
Je me pose sur le toit, profitant que l'attention du HPU soit concentré en ville. La fenêtre s'ouvre et je profite qu'il pleuve pour me balader sur le toit, observant en contre-bas. Je me mets à longer en retirant délicatement ma veste. Je l'abandonne sur place. Mes doigts viennent saisir les bords de mon t-shirt qui colle déjà à ma peau. Je le laisse aussi tomber à mes pieds. Mes ailes encore rétractées contre mon dos se déplient doucement, je fais un vol rapide et agrippe à la façade voisine. J'essaie de faire en sorte qu'aucune de mes ailes ne touche les murs parce que Kayden pourrait l'entendre. La pluie semble se calmer doucement et sur le reflet de la fenêtre, je ne vois qu'Alan qui passe un pantalon pour laisser la serviette qui masquait le bas de son corps sur une chaise. Je ne peux pas entrer comme ça. J'ai besoin d'avoir Kayden seul... Je me laisse tomber, un peu de patience...
« Hey, ça va? Ils ne viendront pas nous chercher ici, pas de suite en tout cas. Reposes-toi, ok ? Je vais te chercher un peu d'eau, je reviens, c'est promis. »
Le lendemain matin, Alan se lève. Je le regarde échanger quelques mots avec Kayden, quelques mots qui ne me parviennent pas. Les sentinelles ne circulent toujours pas, pour l'instant. Et ils ne resteront pas longtemps ici, je dois profiter de l'occasion pour atteindre Kayden une bonne fois pour toutes. Je reprends ma position et finalement, dépose quelque chose sur le bord de la fenêtre, quelque chose dont je sais que ça ne pourra qu'attirer l'attention d'un de ces deux crétins. C'est Alan qui se dirige vers le bord de la fenêtre, tendant le bras pour saisir la plume blanche. Il tourne le dos à l'extérieur, croyant profiter d'un vent matinal appréciable. « Kayden ? » demande-t-il en lui montrant l'objet entre ses mains. « Dis-moi qu'elle était sous le lit ? » La plume la plus longue de mes ailes de métal se détachent, venant de l'extrémité de l'une d'entre elle. Je dessine une ombre derrière Alan. Ce dernier, alors qu'il croise le regard de son amant : « Oh put... » Ni une ni deux, j'entre la lame dans l'intégralité de son corps, le traversant en une seule fois, forçant à peine. Sous l'épaule, je n'ai pas envie de lui crever le cœur. Je veux que Kayden puisse croiser son regard, puisse lire la supplication de ce moment de douleur.
« Hey, ça va? Ils ne viendront pas nous chercher ici, pas de suite en tout cas. Reposes-toi, ok ? Je vais te chercher un peu d'eau, je reviens, c'est promis. »
J'enjambe le rebord de la fenêtre. Un frisson parcourt tout mon corps, mes muscles sont contractées et ma mâchoire serrée au possible. Je regarde Kayden, expire doucement. Des veines bleutées grossissent contre mon cou et leur couleur copie celle de mes yeux. « Allez, vole maintenant. » Et je mets la force nécessaire pour attirer Alan en arrière. Ses mains cherchent, tendus, à saisir le bord de la fenêtre mais ses doigts déjà tâchés de son propre sang ne font que glisser sur la vitre. Je m'écarte, laissant une infime possibilité de rattraper Alan et je donne quelques coups d'ailes pour m'écarter de l'immeuble. Allons nous occuper de ces agents des HPU maintenant.
Se battre avec lui et non contre lui, je ne suis pas sûr d'en être capable. Je ne suis pas sur de pouvoir me contenir. Je peux me détacher d'une personne et ignorer sa souffrance, je peux mourir pour une personne si ça peut la sauver, mais il n'y a pas d'entre deux. Il ne semble pas y en avoir en tout cas. Ma vie a été détruite il y a déjà longtemps, corrompue et manipulée. Peut-être n'y tiens-je que pour la sacrifier? J'acquiesce en silence lorsqu'il me fait cette demande et il m'attire vers le lit et je m'y allonge avec lui quelques minutes, le temps de savourer cet instant, ce moment de communion juste à nous, avant d'aller savourer l'eau froide à mon tour. Cela fait des mois que je prend des douches froides à la base, celle-ci ne me surprend pas plus que les autres, j'y suis habitué depuis le complexe en Sokovie. Et lorsque je reviens dans la chambre, la peau fraîche, je rejoins Alan dans le lit et l'entoure de mes bras, mon front posé contre sa nuque. Dormir n'est pas une option. Je ne dors plus depuis que j'ai fuis la ville et le danger rode d'autant plus ce soir qu'un immeuble entier a été vaporisé par ma seule volonté.
Je ne ferme les yeux que pour les reposer, m'en remettant à mes sens et à mon esprit pour nous garder en sécurité et si je m'accorde quelques micro-sommeils passagers, je passe le reste de la nuit à compter les battements de cœur de l'homme contre moi, écouter sa respiration comme l'espoir d'une nouvelle journée à venir. J'ai failli le perdre, alors l'entendre respirer est un cadeau. Alors forcément, lorsque le soleil pointe son nez et que les premiers rayons commencent à éclairer la chambre, j'embrasse son cou et me lève, j'enfile quelques vêtements propres trouvés dans le placard, et je m'esquive pour rejoindre le jardin d'hiver où je m'installe en silence, activant la machine à café par la pensée.
Mon attention est vague, perturbée par le métal à mon poignet. Quoi que Warren ait fait avant, quoi qu'il ait pu me faire, cette gourmette est toujours là, verrouillée à mon bras, son métal soudée par mon pouvoir un soir chaud en Australie. Soudée comme nous l'étions. Et maintenant, j'observe la marque de cette soudure, presque invisible, et me demande... A-t-elle toujours sa place à mon poignet?
Pris d'une légère pression à mon estomac, je me lève et retourne dans la chambre, trouvant Alan debout devant la fenêtre. - Kayden ? Dis-moi qu'elle était sous le lit ? - Mon regard observe cette magnifique plume blanche, sans aucun doute le vestige d'un homme que j'admirais, et je retrouve le regard d'Alan. - Oh put... - Je n'ai pas le temps de réagir. Je ne vois pas plus l'ombre. Je ne vois que le métal s'extirpant de son corps, le sang qui s'en écoule, cette plaie juste au-dessus du cœur avant de voir le visage de Warren qui vire bleu. - Allez, vole maintenant. - NOOOOON! - Mon sang ne fait qu'un tour et ma main part en avant.
J'inverse nos places d'un simple réflexe. Je ne sais même pas si je manipule la gravité, le métal, l'espace ou la matière. Tout se passe dans une fluidité inconsciente et Alan glisse sous moi, son sang continuant de maculer le sol, alors que je me retrouve dans le vide et lui à l'intérieur, mon regard accrochant les reflets métalliques des ailes de l'Archange bleu. Je sais qu'il ira bien car je n'ai pas ressenti le danger, alors je fais confiance à mes sens, confiance à cette guérison miraculeuse qu'il a déjà démontré la veille, et je m'envole à mon tour. Je m'envole vite et haut, la pulsion du mur du son explosant dans le vide alors que j'atteins les nuages.
Le centre ville est un véritable champ de bataille. Mon absence prolongée me laisse inconscient de l'actualité mais la bannière étoilée ne laisse aucun doute: c'est important. Sinon ils ne seraient pas là à combattre. Pourtant je ne suis pas là pour eux, ni pour ce groupe de mutants qu'ils semblent protéger. Je ne suis là que pour lui, lui qui survole oisivement Time Square sans réellement se poser. Lui qui m'attend, je le sais. Lui derrière qui je me stabilise. A quelques mètres l'un de l'autre nous survolons la place la plus célèbre de la ville et je me fiche de qui peut nous voir. Je ne vois que lui par le filtre de ce qu'il vient d'oser faire. Lui qui a encore son sang sur les mains, littéralement. - Qu'est-ce qui t'as pris! Tues-moi encore si tu veux! Tues-moi autant de fois que possible si ça te chante, mais pas lui! PAS LUI!
Je me retrouve à l'intérieur de la pièce, cette espèce d'immense lame qui me traverse entièrement. Je souffle et gueule à Kayden de ne pas y aller. Pas pour moi. Enfin si, pour moi aussi quand même, mais parce que je ne veux pas qu'il se retrouve à nouveau dans une situation qui va le fissurer davantage. « N'y vas pas... » Je souffle un bon coup, essayant de ne pas trop regarder sur ma gauche. Hé merde, j'ai regardé. Connard, connard de piaf de merde ! Je m'assieds convenablement à même le sol. Je peux pas rester comme ça. Mon tél... hé merde, resté dans mon appartement et donc éparpillé en poussières dans la rue avec le dit immeuble. Je me redresse, serre les dents. C'est que ça fait mal cette merde. Je me mets debout, le poids de la plume de métal m'empêche d'avancer normalement et je regarde le téléphone fixe dans la cuisine, loin, si loin. C'est une blague. Je tombe à genoux. Je baisse la tête puis tends le bras vers le téléphone : « Viens à moi, viens à moi ! » … « Bon, ça valait la peine d'essayer. »
* * *
Je ne me retourne pas, je l'imagine juste s'être arrêté là-bas, avoir un peu de temps devant moi. Je ne m'arrête pas, je profite de planer sans me préoccuper de ce qui pourrait arriver. Je prends une longue inspiration et quand je m'arrête, je sais qu'il est là, juste derrière moi. Je fais volte-face, il flotte oisivement en face de moi. Je l'observe, essaie de décrypter ce qu'il peut se passer dans sa petite tête à travers son regard. Peut-être qu'à un moment donné, j'aurais su le faire. Peut-être que je ne sais simplement plus rien y lire.
« Qu'est-ce qui t'as pris! Tues-moi encore si tu veux! Tues-moi autant de fois que possible si ça te chante, mais pas lui! PAS LUI! » Je n'ai rien à lui répondre. Je donne deux coups d'ailes pour prendre un peu de hauteur et donne simplement un coup de biais devant moi, pour qu'une volée de plumes partent dans sa direction et il les arrête. Il semblerait qu'il ne veuille pas vraiment que je le tue autant de fois que ça me chante. Je baisse le regard en contre-bas. Observe les premiers combats.
Je ramène mon attention sur Kayden : « Tu n'es pas vraiment un homme de parole, on dirait. » Je tends les bras sur les côtés, comme en signe de réédition puis stoppe le battement de mes ailes pour me laisser tomber plus bas. J'empêche la chute à quelques mètres du sol puis rejoints ce dernier. J'évalue la situation, les agents du HPU qui ont commencé à attaquer, accompagnés de quelques sentinelles et les pitres de Kayden qui jouent avec eux, contre eux, quelle importance. C'est juste qu'ils ne s'attendraient sans doute pas à ce que le danger vienne de ceux qu'ils protègent. J'attends que Kayden me rejoigne, qu'il soit au moins à portée de voix : « Viens, viens Kayden ! Ou j'y retournerai et je finirai ce que j'ai commencé ! »
* * *
Victoire ! J'ai déjà descendu deux marches sans tourner de l'oeil. Je ne suis pas complètement con, si je m'extirpe de ce truc, je n'ai pas envie de faire une hémorragie... Et en même temps, ça reste quand même peu pratique pour se mouvoir. Je pose mes mains contre la partie qui semble s'exiber sous mes yeux, couverte de mon propre sang. Et j'essaie de la repousser en arrière. Les larmes me montent mais je concentre toute mon énergie à pousser l'objet. Je le sens glisser contre... en moi. Je pousse un énorme râle, j'ai mal... putain, tellement mal que je me bave dessus. Quand j'ai assez poussé cette saloperie, je me dégage en faisant un pas en avant, pour évident de me faire trancher le dos, aussi. Mon corps part vers l'avant et j'ai juste le temps de protéger mon visage de mes avant-bras que je bascule dans l'escalier. Cette chute me semble durer une éternité... Allongé avec une jambe qui semble dire merde à l'autre, j'essaie de reprendre mon souffle. Allez, debout. Debout !
Il ose. Il ose m'envoyer une salve de ses ailes de métal. Je les dévie sans le moindre mal, dans un réflexe qui semble être, à ses yeux, une forme d'affront. - Tu n'es pas vraiment un homme de parole, on dirait. - Je serre les dents, perdu au fond d'un puit sans fin d'émotions contraires et lorsqu'il se laisse chuter, je le suis du regard. - Viens, viens Kayden ! Ou j'y retournerai et je finirai ce que j'ai commencé ! - Alors mon sang ne fait qu'un tour.
En contre-bas, les groupes se mettent en place. Le gouvernement a envoyé ses soldats pour combattre les libérateurs sortis de leur trou. Au beau milieu, le groupe de mutants ressemble à un asticot gigotant dans les eaux. Warren a posé ses serres à la tête du HPU et les lignes de défenses se dessinent.
Je me laisse tomber à mon tour, sens l'air filer contre ma peau et souffler mes cheveux, et lorsque j'atteins le sol c'est dans un bruit de tambour. - « Kayden! » - La voix de Steve dans mon dos n'attire qu'une attention détachée, presque mauvaise. Mon regard ne fixe que Warren. Il n'observe que Warren... Il n'est pas Warren. Il ne l'est plus. Il n'est qu'un homme, un monstre, un meurtrier. Mérite-t-il ma pitié? Ma patience?
Mon regard croise le sien et une douleur lancinante vrille mes sens alors que ma conscience s'élève et s'éloigne. Alan. Il était blessé. La lame dans sa clavicule, juste au-dessus du cœur. La douleur et le sang. Je pose un genou à terre, submerger par sa détresse, et lorsque je sens la main de Steve se refermer sur mon épaule sensible, sa douleur transférée, mon regard retrouve ses yeux et je me relève. Mes mains tremblent, mes yeux percent, les douilles au sol flottent. La main de Steve resserre sa prise et je tourne la tête vers lui. - « Kayden qu'est-ce qui se passe? Qui est-ce? » - Une ombre... Fuyez.
La pression se détend et en une seule seconde, une violente vague de force se déploie, circulaire, forte, inévitable. Les soldats au sol, tout camps compris, sont frappés et projetés. Steve a le réflexe de retomber sur ses pieds mais il subit comme les autres l'impact de puissance et je pars en courant. Un à un, mes pas accélèrent ma vitesse. Dans mes mains apparaissent deux lames et mon attention se centre. Mon regard se focalise. Warren je l'ai aimé mais cet homme... Cet homme n'est qu'une menace qui doit être stoppée.
Les plumes semblent s'écarter, s'éloigner d'elles-mêmes. Ne devais-je pas pouvoir le tuer autant de fois que je le souhaitais et maintenant.... Je suis obligé de me plier à de petites menaces pour simplement obtenir quelque chose de lui. On appelle Kayden plus loin, je regarde vers la source d'agitation et lève finalement le nez vers le ciel pour y chercher les ombres des sentinelles qui nous rejoindraient mais heureusement rien pour l'instant. Mes ailes ne sont pas un don, c'est ce que j'ai dit à Rachel. Suis-je encore bien un mutant ?
* * *
Bon dieu, bon dieu... Maman dirait que les mecs sont une bien belle brochette d'incapables et elle aurait raison. Arrivé en bas des marches, j'avale ma salive et me rends jusqu'à l'évier. J'essaie de passer de l'eau claire sur la plaie mais aucun changement, rien... Belle brochette ! Dirait-elle en écartant les bras, comme si la scène lui donnait raison.
Je baisse la tête dans l'évier. Qu'est-ce qui ne marche pas ? Je savais bien que c'était toi Kayden. Bon, attends honey, je me sors de ce contre-temps, je récupère un truc – n'importe quoi – et je viens faire rempart de mon corps ! Je lance une oeillade en direction de la porte, elle me semble loin, terriblement loin. Mais mes jambes ne sont pas blessées, je n'ai qu'à marcher. Ma main presse la blessure et je me dirige vers la porte en gardant un semblant d'équilibre. Je descends péniblement, mes retours défoncés me semblent maintenant avoir été une promenade de santé. Quand j'atteins enfin une porte, je m'y appuie de tout mon corps. Je reprends mon souffle. Puis ma main frappe à plat. Je n'ai pas encore dit mon dernier mot. Ouvre, maintenant.
* * *
Les douilles s'élèvent et je les regarde faire comme des larmes de pluie assassines stoppées en pleine chute. Je le regarde de loin puis fais un pas en arrière. Viens, je t'attends. Je n'ai fait que ça, de t'attendre.
« Personne ne va venir me chercher ici. Peu importe, tant qu'ils n'arrivent jamais à l'école. Je ne trahirai jamais les miens, quoiqu'il advienne... Cette pensée me déchire le cœur. Sont-ils prêts à sacrifier la vie de ma mère pour atteindre la communauté mutante à son cœur ? Après tout... quels mutants ne seraient pas prêts à se battre si demain, une bande de malades venait à s'en prendre à son membre le plus charismatique et le plus pacifiste ? C'est ce que nous empêcherons. Kayden a déjà vu l'école, il comprendrait. Il a passé son temps à me protéger, à protéger ceux à qui il tient. Est-ce que je pourrais me montrer à la hauteur si je pense à tous ces sacrifices qu'il a concédés ? »
Un souffle se dégage et écarte brutalement tous ceux se trouvant autour de lui. Il se met à courir, lames en main. C'est ainsi que je te reconnais. C'est ainsi que tu es. Ma mâchoire se serre. C'est ainsi que tu es réellement, alors. Et pourtant, je t'avais dit de partir. Ne t'ai-je pas dit de partir ?
« Quelqu'un viendra, mes ailes souffriront puis se tendront à nouveau fièrement, fussent-elles les seules. Elles se déploieront à nouveau. Nous défierons les distances, encore, pas vrai ? Kayden, dis-moi que nous le ferons. Assieds-toi ici, près de moi, dis-moi que nous pourrons encore le faire. Non, je ne dois pas penser à ça. Elle ne le fera pas, il se passera quelque chose avant. Et je leur dirai. Quand le regard sombre de Kayden s'éclairera, je leur dirai « Je ne leur ai rien dit. » Je le leur dirai. »
Ils m'ont fait comprendre que t'avoir tué était un échec, une erreur. Et tu es là, devant moi. Cette haine sur ton visage, j'ai l'impression de la voir pour la première fois. Pourtant, je me souviens que tu étais là, que ce sont tes doigts à toi qui ont accompli le martyr. Je déploie mes ailes. Cette haine sur ton visage, laisse-moi la faire mienne. Et je te tuerai autant de fois qu'il le faudra. J'ouvre mon aile, envoie une première volée de plumes sur ma droite, qui viennent rencontrer les uniformes, les gilets par balle, n'importe qui, les mutants sont plus loin. Les autres, tous les autres peuvent bien crever. Et même les alliés de Kayden, et surtout eux.
« Je ferme les yeux, baisse la tête. Vaincu. Si tu n'es pas là Kayden, sache bien que moi je suis là. Je serai toujours là, près de toi. » … « Je ferme les yeux. Kayden, je t'en supplie... Ne me laisse pas seul... S'il te plaît. » … « Kayden ! Je ne tiendrai pas mes promesses, je crois. Tu m'excuseras si je ne suis plus là pour toi ? Je crois que je vais mourir. La salive dans ma gorge est brûlante, je déglutis. »
Je crois avoir ce nouveau goût en bouche. Je donne un coup d'ailes qui me lève à juste quelques mètres du sol et offre à Kayden de nouvelles plumes qui brillent quand elles fendent l'air. Les premières se plantent entre nous et comme il continue de courir – ô tu n'as plus jamais été si proche que la dernière fois – alors c'est lui que je dois viser.
* * *
La porte s'ouvre, je me cramponne à l'embrasure de la porte. « Mais qui êtes-vous ? » s'exclame-t-il. Je ne le connais pas, on va dire qu'il s'appelle Roger, parce qu'il a une tête de Roger. Coulant sur la porte comme une sorte de grosse limace un jour de pluie, je laisse une traînée sur mon passage : « Le cousin de la reine, appelez-moi un médecin maintenant ». Roger va chercher son téléphone.
Si on m'avait dit que j'en viendrais là. Si on m'avait dit que ce jour viendrais. Si seulement on avait pu suggérer que j'en serais réduis à ressentir de la haine pour mon propre frère, que je me ruerais vers lui, armes à la main, prêt à en découdre. Non seulement je ne l'aurais pas cru mais surtout j'aurais rayé le corbeau de ma vue. Comment est-on tombé si bas? Comment en est-on arrivés là? Pourquoi m'a-t-il tué? Pourquoi veut-il me blesser? Pourquoi se délecte-t-il de ma souffrance? Il a dit que j'étais responsable, que j'avais détruit sa vie le jour où j'avais arraché ses ailes. Il l'a dit, juste avant de m'envoyer à la mort. Juste avant de me planter et de me pousser du haut d'un immeuble.
Il envoie une salve de lames vers les combattants et je ne les détourne pas. Je les laisse voler, je les laisse se planter. J'ai une cible, la volonté de l'atteindre et les moyens de le faire. Il donne un coup d'ailes et s'élève de quelques mètres avant d'envoyer ses plumes à ma rencontre. D'un appel du pied, je bondis à mon tour en manipulant la gravité pour gagner en hauteur. Alors, tout se passe comme au ralenti. Les premières lames se plantent au sol là où j'aurais dû marche mais les autres trouvent leur cible. J'ai la présence d'esprit de les dévier, juste assez pour ne pas me retrouver poignardé à nouveau, mais la plupart entaillent mes côtés. Je pare l'une d'elle avec la lame qui se trouve dans ma main droite et finalement, à la fin de ce saut aérien, j'atteins le monstre.
Mon instinct me hurle d'aller aux points vitaux, de trancher la gorge, perforer les poumons, planter le cœur, tailler les vaines ou crever les yeux, mais mon cœur à moi est en conflit. Ma conscience me murmure de me retenir, de ne pas frapper, de ne pas blesser. De ne pas céder à la rage. De ne pas succomber à ce que mes yeux me montrent. A ce que mes émotions me mentent. Alors dans ma rage, je ferme mes yeux baignés de larme et je frappe. Je frappe encore et encore. Je laisse mon instinct prendre le dessus pendant que mon corps ressent la détresse d'Alan qui approche de la porte. Ma gorge se serre et je frappe à nouveau. Il dévie une partie des coups, en parent d'autres et encaisse les derniers. Il défend et attaque, occasionnant coupures et saignements, ses ailes comme des rideaux de couteaux aiguisés.
Un coup pourtant me désarçonne et je suis forcé de me laisser tomber pour éviter d'être empalé, roulant sur le côté pour ne pas recevoir la quinzaine de plumes acérées qu'il a projeté vers moi. Je vois son regard. Je vois son sourire. Je vois la joie qu'il a de me combattre. Le désir qu'il a de me tuer et ce plaisir infernal de me voir souffrir. Je vois cette étincelle dans son regard, cette même étincelle que j'ai observé dans le mien durant tant d'années, cette flamme que j'ai toujours refusé de lui transmettre... Qui a osé? Une expression de terreur déforme mes traits alors que je réalise ce qu'il est devenu, mon frère, mon âme-sœur, et la colère me prend à nouveau, dirigée vers autre chose.
D'un coup d'aile il se propulse vers moi et je serre les dents. Un voile flou se dessine autour de moi alors que je lève ma main vers lui pour me protéger. Il s'agit d'un bouclier, un bouclier qui le bloque à seulement un mètre de moi. Un bouclier qui piège le métal hors de son périmètre et même si je me refuse à utiliser ses propres ailes contre lui, le métal qui court sur ses os en revanche est une force passive que je me résous à influencer. Figé ainsi, j'ai tout loisir d'observer à mes dépends l'expression sur son visage, cette déformation de ses traits devenus si bleu. - Je ne t'ai jamais fais le moindre mal... - Mais il ne faut jamais dire jamais...
D'un mouvement du bras j'inverse le rapport de force, de nouvelles larmes roulant sur mes joues alors que je m'élève au-dessus du sol. La force gravitationnelle qui me clouait au bitume, je la transfère sur lui et l'écrase dessous. La force qui s'applique arrive par vague, des vagues qui compressent son torse, l'empêchent de respirer, l'empêchent de bouger. Suis-je capable de tuer mon frère? Suis-je capable de venir Caïn? Je porte déjà la marque de la mort, alors pourquoi pas... Mais il est Caïn. Je suis Abel. Je suis sa victime originelle... Ou est-il la mienne pour m'avoir rencontré?
Suis-je capable d'en finir?
AAAAAAH! - Le cri est déchirant, il m'aide à rester concentré, me force à poursuivre, mais l'approche fulgurante d'une salve de flammes sortie de nulle part nuit a ma concentration et tout se passe très vite. Mon attention détournée lui permet de libérer l'une de ses ailes qui joue le rôle de bouclier et alors que les flammes auraient dû l'attendre, la boule flamboyante est désormais dirigée vers moi et ma seule protection est un bouclier fragilisé.
Je la reçois de plein fouet.
Je chute, en feu. Je trouve le sol, sonné et forcé de me débarrasser du simple t-shirt qui couvrait mon torse, je révèle au monde les marques qui ornent depuis des mois mon dos. Ces traits sombres, ces courbes rigides, ces angles détaillés qui forment deux grandes et magnifiques ailes sur ma peau rougie par la chaleur. À mon poignet, la gourmette de mon frère s'enfoncent dans ma chair comme une tentative inconscience de retrouver mon contrôle.
Je me retourne et croise son regard, le mien encore confus, et je sens la gourmette se détendre légèrement. Je le fixe, ignorant les combats autour de nous. Je le fixe un instant, juste un court instant. - J'ai toujours juré d'être à tes côtés...
Ses paupières sont closes. Et ses poings me rappellent qu'il est vivant, toujours vivant, toujours présent. Chacun de ses coups ne fait qu'àccroitre ma colère à son encontre. Pourquoi ne pas en finir maintenant, fais-moi voler en éclats comme tu sais le faire ! Pourquoi laisser tes poings entrer dans ma chair, fissurer mes côtés, briser mon arcade alors que tu pourrais me faire voler en éclats ? Pourquoi est-ce que tu t'amuses à ça ? Mes ailes battent pour me maintenir à sa hauteur et comme animées de leur propre volonté, elles m'écartent pour éviter certains coups, s'interposent comme un bouclier acéré.
D'abord sans grande force puis, ayant besoin de quelques instants pour me guérir, je m'écarte et le frappe. Ma peau contre la sienne, aussi futile soit le mouvement, aussi violente soit l'intention, me fait mal. Mal comme si ce combat en moi n'arrêtait pas... de se stopper pour me laisser submerger par cette haine envers lui, de reprendre pour me rendre fou. Comme un pantin. Au gré de mes instincts.
Mes plaies se soignent alors qu'il perd de la hauteur. Sur mes doigts, ce n'est pas son sang, ce n'est pas que son sang. Il y a ses larmes. Elles devraient se joindre aux miennes. Elles devraient, elles l'auraient fait jadis. Je porte la main à mon cou puis regarde le bout de mes doigts sans comprendre pourquoi j'ai l'air d'avoir si froid ? Je ne ressens pourtant pas le froid, pourquoi suis-je si pâle ? Alors qu'il touche à terre, un coup d'ailes envoie les dignes héritières de celles qu'il a arrachées, anéanties, perdues. Tu les vois, tu les vois bien de là où tu es ? J'aime le voir au sol, j'aime sentir le vent battu par mes ailes. Est-ce que tu as mal ? Est-ce que tu te sens encore tomber ? Encore ?
À moi de tomber sur toi, jusqu'à ce que mes mouvements ralentissent, que mes ailes se bloquent en plein vol. Pas comme au lycée, je ne tombe pas cette fois, elles sont simplement immobiles, figées. Je reste suspendu dans les airs néanmoins, pas haut mais c'est différent. Je regarde pourtant derrière moi comme pour vérifier qu'elles sont toujours présentes. « Je ne t'ai jamais fais le moindre mal... » Il pourrait même avoir l'air sincère. Pas le moindre mal ? Pas le moindre mal ? Alors c'était quoi ? Un mal pour un bien, et bienvenue parmi les humains ? C'était quoi ? Qu'est-ce que tu as voulu ? Est-ce que tu t'es trompé, est-ce que pour toi, ce n'était rien ?
Qu'est-ce qu'il m'avait demandé ? « Ton corps. Tes élèves! TES amis! » Que m'avait-il demandé ? Si je l'avais tué aussi. Maintenant oui, et je recommencerais. Mon corps s'écrase au sol, c'est une pression différente de celle qui nous amusait quand Piper faisait ses tours de piste. J'essaie de m'appuyer sur mes avant-bras, prends une grosse goulée d'air mais qui ne suffit pas. Et pourtant quand je monte, quand je monte, mes poumons sont soumis à rude épreuve mais je n'y arrive pas. Je serre les poings, alors tu le fais, maintenant ? Je lève les yeux sur lui, qu'attend-il, maintenant ?
Son cri résonne autour de nous sans qu'il ne me touche, sans qu'il ne provoque chez moi la moindre compassion. Soudain, la pression qui s'exerçait sur moi disparaît, j'ai à peine de temps d'inspirer à fond qu'une vague de flammes arrive dans la direction. Je peux à nouveau bouger mon aile, j'ai simplement le temps de l'amener devant moi pour dévier les flammes.
Quand je lève les yeux, Kayden s'écroule au sol, les flammes dévorant son t-shirt. Je me remets debout et le rejoins, doucement. Il me fixe, ne fait même plus attention aux attaques qui pourraient surgir autour de lui. « J'ai toujours juré d'être à tes côtés... » Je ne sais quoi répondre à cela, je n'arrive même plus à vouloir lui demander pourquoi. Sa voix, sa voix si proche ne colle pas et pourtant, ce n'est que son regard que je vois quand je ferme les yeux et que j'y pense. Ce n'est que son regard. « Ton corps. Tes élèves! TES amis! » Je me rapproche de lui, attendant qu'il se remette debout. Le t-shirt termine de brûler. Il ne reste que Kayden et même s'il ne me tourne pas le dos, je devine le tatouage sur son dos. Je m'approche, tends la main dans sa direction. Les membres du HPU se sont multipliés, je les vois s'approcher. Je prends sa main dans la mienne. « N'oublie jamais que tu es le seul responsable de ce qui va suivre. » Je ravale difficilement ma salive et serre sa main. ça me déchire le cœur, ça me fait tellement mal. Je n'ai pas oublié, que j'étais le seul responsable, de ce qui a suivi. Je l'aide à se mettre debout, le bleu de mes yeux se trouvent sous la présence de larmes qui ne fuient pas jusqu'à mes joues. Si quelqu'un a les moyens de vaincre Kayden c'est le HPU, ou c'est Hydra. Et si les Avengers sont là, alors je suppose qu'ils sont tous là, j'espère qu'ils sont tous là. Je passe mes bras autour de Kayden, ma main vient se caler à l'arrière de sa tête. « Alors reste à mes côtés. » Une aile l'entoure et je le garde fermement contre moi, mon visage abandonné contre son épaule. Ils n'ont qu'à le prendre, maintenant. Ou mon aile droite viendra planter chacune de ses plumes sur toute la hauteur de son flanc.