Le soleil tapant, le sable chaud, les vagues allants et venants, léchant la plage dans un son apaisant, l'odeur salée d'une eau claire et turquoise. J'étais allongé sur une serviette bleu, une paire de lunette de soleil rondes que je n'avais pour ainsi dire retiré que pour dormir depuis que nous étions là, accoudé au sol et le regard rivé vers l'horizon. L'Australie, ça faisait déjà deux jours qu'on avait posé nos bagages à l’hôtel et deux jours durant lesquels nous n'avions absolument rien fait à part... bronzer. Mes yeux verts n'avaient jamais été aussi clair ni mis en valeur. J'avais jamais été aussi bronzé cela dit.
C'est Warren qui m'avait "forcé" à venir. A prendre des vacances. J'avais plus pris de vacances depuis que j'avais quitté Londres la première fois pour aller travailler aux Etats-unis, j'en avais jamais vraiment eu l'occasion faut dire, entre le boulot, la cavale, les expériences et encore la cavale et la mafia et encore la cavale et encore la mafia... C'était un peu compliqué. Après ce qui s'était passé j'aurais eu tendance à juste rester dans un coin à attendre mais Warren me connaissait trop bien pour me laisser faire ça. Je l'avais suivi, bêtement, dans cette escapade, sans volonté de toute façon de faire autre chose pour le lui refuser. Nous avions décidé une chose cependant, mon besoin couplé à sa prévoyance: ne pas parler de ce qui s'était passé, ne pas y penser. Le but était de se déconnecter de tout ça, de se reposer, de juste laisser de côté l'espace de quelques jours et ça me convenait assez.
Dans mon maillot rouge à la Alerte à Malibu j'observais la plage. Warren barbotait à une dizaine de mètres de la rive, autour de moi il n'y avait pas énormément de monde. Il faut dire qu'on avait choisi un coin isolé pour être tranquille. Hotel discret, plage privée... bref, on avait fait ça bien. Si ce n'était un gamin pour le moins agaçant qui avait semble-t-il décidé de faire caprice après caprice aujourd'hui, l'endroit serait paisible.
Je posais mon regard sur Warren qui me faisait signe depuis la flotte. Je répondais à son signe par automatisme. C'est ça, vas-y à ta bouée. Ou pas? Qu'est-qu'il veut? Peu importe. Je me laissais retomber en arrière et repliais une jambe tout en fermant les yeux. Je crois que je rattrapais le sommeil dont j'avais été privé pendant deux ans et je sais que j'avais promis de ne pas songer à ce qui s'était passé mais mon esprit était hors de mon contrôle. Je devais me tenir occupé et la bronzette me laissait beaucoup trop de temps pour cogiter.
Ne sentant plus le soleil sur mes paupières, malgré les lunettes, j'ouvrais les yeux pour voir une silhouette se laisser tomber sur la serviette à côté de moi. - Ah bah quand même, j'ai eu peur que tu commence à te liquéfier là-dedans. - Je m'accoudais à nouveau au sol et levais mon regard jusqu'au sien. - T'as bien fait mumuse?
Je décline toute responsabilité sur le contenu de ce sujet xD
Vacaaaaaaaaaaances ! Outre le passage gênant à l'aéroport où on m'avait demandé de retirer le sac à dos sous mes vêtements, j'avais plutôt bien réagi à l'avion cette fois. J'avais commencé par me gaver de médicaments pour dormir enfin et j'avais fait la grosse moule sur son rocher... mon rocher étant l'épaule de Dayle. Ce n'était pas l'oreiller le plus moelleux de l'univers mais il avait su retenir sa vessie assez longtemps pour que je sombre dans le coma. Et une fois que j'avais été réveillé, impossible de retomber dans le sommeil. Trois paquets de cacahuètes, trois litres de flotte et cinq pauses pipi plus tard, nous étions enfin arrivés ! Australie, nous voilà enfin ! À nous le bonheeeeeur !
Ah j'adore les vacances, j'adore quand je sors enfin de l'avion et que je tends les bras en me demandant qui je vais rencontrer et ce que je vais faire. Et puis Dédé a besoin de vacances. Quand j'étais enfant, j'ai tellement voyagé à l'oeil. Bon, même maintenant, je ne peux pas dire que je suis ruiné... Je profite de mes parts dans la société de mon père pour conserver un train de vie plutôt confortable. C'est sans doute immoral, j'y pense parfois. Mais ces parts me permettent aussi un regard sur ses activités, du moins celles qu'il laisse voir au conseil. Mais on laisse tout ça derrière nous et vamos a la playa para olvidar todos los problemas de los Estados Unidos ! Sortis du petit hôtel qu'on avait trouvé et qui offrait une tranquillité non négligeable – loin de Louis qui m'avait demandé cinq fois la dernière fois si Dayle était mon petit copain – et appréciable, nous nous sommes rendus sur un bout de plage qui s'annonce aussi tranquille.
Avant qu'on n'arrive, bien entendu... Laissant Dédé s'étaler sur sa serviette, je m'envole après avoir couru sur quelques mètres. Je m'élance dans le ciel et après avoir vérifié que je suis au-dessus de l'eau (et assez loin du bord quand même), je replie mes ailes et plonge la tête la première en hurlant « Boulet de canoooooooooooon ! » J'entre dans l'eau et passe la tête après quelques secondes d'apnée. Je nage un moment avant de retrouver Dayle. Il va bien falloir qu'il vienne aussi, obligé. Même si je dois lui arracher son maillot et le jeter à l'oeil pour qu'il aille le récupérer, et tant pis pour vos petits yeux innocents... Une fois sorti, je me secoue et mes plumes avec. Je reste quelques secondes au-dessus de lui, cette princesse dans son bain de soleil... « Ah bah quand même, j'ai eu peur que tu commence à te liquéfier là-dedans. T'as bien fait mumuse ? » « C'est nul quand tu n'es pas là. » Je me laisse tomber sur la serviette près de lui. « Allez, tu viens ? Viens, on s'envole et on plonge, c'est génial ! Ou tu vas devenir couleur caramel et je vais avoir envie de te lécher pendant la nuit, faute de nutella ! »
« C'est nul quand tu n'es pas là. » - Je sais, je sais, tu peux pas te passer de moi. - Et je me ré-étalais sur la serviette, enfonçant mon crâne dans le sable en dessous pendant que les rayons du soleil grignotaient ma peau. - « Allez, tu viens ? Viens, on s'envole et on plonge, c'est génial ! Ou tu vas devenir couleur caramel et je vais avoir envie de te lécher pendant la nuit, faute de nutella ! » - Sans ouvrir les yeux ni même bouger d'un pouce je répondais du tac au tac. - Je serais certainement plus sel que caramel, t'auras été prévenu. - Mais je pouvais pas rester sur la plage indéfiniment. Déjà pour éviter les coups de soleil, même si j'étais protégé, et puis il avait raison sur ce point: on était là ensemble, seul c'était d'un ennui mortel. L’intérêt avec un hôtel de ce genre, discret et privé, c'est que même si vous aviez des ailes, même si vous étiez bleu, ça ne posait pas de problème: vous aviez payé assez cher pour pas être emmerdé. Je me délestais de ma masse et commençais à flotter doucement à quelques centimètres du sol. Je retirais mes lunettes et les posais sous moi, sur la serviette. - Secoue toi les plumes, je t'attend. - Et je m'élevais, me retournant pour me mettre en position debout... quoi que dans l'état dans lequel j'étais, le haut ou le bas n'avait plus vraiment d'importance.
Je me stabilisais à peu prêt là où il avait plongé la première fois, parce que oui je l'avais regardé faire, parce que oui il faut toujours surveiller les enfants quand on est à la plage. En haut l'air se faisait plus rapide, il y avait comme une légère brise que l'on ne sentait pas au niveau du sol et ce frais sur ma peau encore chaude du soleil qui l'avait baigné me donnait un frisson. - C'est quoi qu'il faut dire déjà? - Mais à peine Warren commençait-il à répondre que je me laissais tomber en souriant. Chute rapide, plongeons approximatif, sensation amusante, bref je sortais la tête de l'eau pour voir Warren franchir l'eau et m'éclabousser sans la moindre retenue dans le même temps. Un frisson parcourait à nouveau mon corps entier, résultat du choc entre la chaleur du soleil et la fraîcheur superficielle de l'eau salée. - C'est bon, jsuis salé, ça y est. - Et je lâchais un rire avant de réduire ma masse pour éviter d'avoir à trop nager pour rester à la surface. Tricherie? Ouais, et assumée en plus. - Et oui, j'admet, c'est marrant. T'as des bonnes idées des fois en fait. - Et je me mangeais une vague dans la tronche, finissant sous l'eau quelques secondes avant de remonter à la surface, passant une main sur mon visage pour retirer l'eau en trop. Je finissais par me mettre en planche, les oreilles dans l'eau, jambes et bras écartés. J'étais bien là. - T'as des bonnes idées ouais.
Dayle me lance une petite réponse puis refait son trou dans le sable. Comment peut-il rester si longtemps ici ? Allez Bernard l'Hermite, action... réaction ! Du coup, j'essaie de lui proposer des alternatives un peu moins ennuyeuses... Je suis bien tenté de m'asseoir sur lui, avec mon cul sur son ventre salé, ou caramel, peu importe. Quand il mangera des plumes, il aura forcément envie de se remettre sur ses jambes ! Finalement, il commence à léviter et abandonne ses lunettes de soleil. Je me retourne sur lui et croise les bras sur mon torse avant de le regarder s'envoler.
Finalement, je fais de même. Quand je m'apprête à trouver un super cri de combat pour la plongée de Dédé, il se laisse déjà tomber dans la flotte. Je reste un instant au-dessus de lui avant de replier mes ailes et de me laisser tomber et de pénétrer l'eau comme une pierre, ne manquant pas d'éclabousser Dédé au passage. J'écarte les ailes dans l'eau, trouvant la sensation plutôt agréable et je souris à mon ami quand il admet enfin que je n'ai que de bonnes idées. Bon, ce n'est pas vraiment ce qu'il a dit mais c'était le fond de sa pensée, j'en suis sûr !
Je donne deux trois coups d'ailes pour sortir de l'eau et me maintiens au-dessus de la surface, laissant perler de l'eau sur la tête de Dayle. Finalement, on reste un moment dans la flotte. J'essaie de le couler en vain, au passage... Finalement, je sors de l'eau. Je me penche en avant, déploie les ailes que je secoue un peu puis me tourne vers mon camarade de chambrée : « Autant que tu sois prévenu tout de suite, je ne dormirai pas avec les ailes salées ou sablonneuses, donc il va falloir que quelqu'un me les rince. Cadeau ! »
Finalement je m'assieds sur la serviette. Je me tourne vers Dayle qui me rejoint puis lui demande sans sorte d'introduction ou de transition : « Dis-moi, comment as-tu obtenu tes pouvoirs ? Tu as mis du temps à les maîtriser ? » Je ne pense pas avoir déjà raconté à Dayle mes pathétiques tentatives pour voler les premières fois... Il faut dire que dans Hook aussi, il avait essayé de sauter d'une certaine hauteur mais ça avait plus raisonnable, il était plus réaliste que moi.
Mais les premiers vols étaient tirés d'un rêve ! La peur de tomber, la peur du vide même parfois et chaque fois, aller plus haut. À chaque fois, vaincre une peur et apprendre à battre des ailes, à planer, découvrir la ville sous un nouvel angle, d'un œil nouveau. Ça avait été un rêve ! Bon, on a dit qu'on ne parlerait pas de... la... « mission » alors je vais peut-être éviter le sujet famille. « Tu sais ce qu'on devrait faire après ? On devrait se trouver des glaces énormes, mais vraiment énormes. Avec quoi... Disons trois goûts différents dans chacune, au moins ! Mais avant tu n'échappes pas aux questions, je veux savoir : où comment et tout ! »
Warren qui essayait de me couler était amusant, vu mon poids à ce moment-là c'était peine perdu. Vous connaissez la poussée d’Archimède? Fascinante règle physique. J'étais comme un ballon qu'on voudrait enfoncer sous l'eau, autant dire que c'était quasiment impossible et finalement lorsqu'il abandonnait et se dirigeait vers la plage je le suivais. - J'ai dû signer un truc pour ça de toute façon, hors de question d'avoir des plumes salées. - Il prenait de l'avance jusqu'à nos places et je sortais doucement de l'eau, la chaleur solaire frappant mon dos, provoquant à nouveau ce choc chaud/froid qui me filait un nouveau frisson. L'eau ruisselant sur ma peau, je me rapprochais des serviettes et une fois devant, étendait les bras vers le haut pour m'étirer, faisant par la même craquer mon dos. - « Dis-moi, comment as-tu obtenu tes pouvoirs ? Tu as mis du temps à les maîtriser ? » - Je posais mon regard sur lui de toute ma hauteur, mon ombre empiétant sur ses jambes et un bout de son torse. C'est vrai que nous n'en avions jamais discuté, ni lui, ni moi. Ça m'arrangeait. Enfin ça m'avait arrangé. Cette histoire allait de paire avec son contexte et avec l'HYDRA sur le dos, je m'étais refusé à lui révéler quoi que ce soit de ce passé. A lui comme aux autres. Il s'avérait que tout n'avait pas été aussi simple que ça.
Sharon avait été la première à savoir, parce qu'elle avait fait le lien avec des photos découvertes là-bas. Le Captain avait été le suivant car durant la malédiction j'avais dis certaines choses qui avaient mérité des précisions. Mais Warren? Warren ne savait rien. J'y avais veillé. Peut être un peu trop. Et maintenant? Maintenant que tout était fini? J'étais coincé, sans excuse, sans raison, sans mensonge sinon la vérité devant être dites. Ça avait été un mensonge valable, je savais pourquoi j'avais caché tout ça, pour sa sécurité, pour la mienne. Mais nous étions proches, au fil du temps j'avais senti notre lien se resserrer et ce passé peser sur ma conscience. Comment avais-je pu m'accrocher à ce secret avec lui à côté? Aucune idée. J'étais partagé entre le regret de n'avoir rien dit avant... et savoir que ça n'avait pas été pour rien. Je l'avais regardé peut être deux secondes avant qu'il parte sur ses glaces et j'avais soupiré discrètement. J'y échappais? Non, bien sûr que non. Vain espoir. - Mais avant tu n'échappes pas aux questions, je veux savoir : où comment et tout ! » - Non, après. On sera mieux là-bas pour ça. - Repousser, reporter. Remettre à dans cinq minutes ce que je pouvais faire maintenant. Au final j'étais pas très sur de savoir si je repoussais pour le secret, ou pour ce que j'allais raconter.
J'attrapais mes lunettes que je fichais sur mon nez et secouais rapidement ma serviette avant de la rouler sur mes épaules. - Allez, si tu veux tes réponses t'as pas le choix de toute façon. - En théorie il ne me ferait jamais dire ce que je ne voulais pas dire... En pratique je voulais tout lui dire. Tout. Car le temps était désormais court avant que mon passé ne revienne. On retournait à l'intérieur du parc et traversait le long du chemin cimenté jusqu'à l'entrée arrière de l’hôtel. Nous n'entrions pas cela dit et allions sur la droite. Je laissais à Warren le soin d'aller nous prendre les glaces et prenais ses affaires avec moi, il mettrait dans la mienne ce qu'il voulait, il connaissait mes goûts. Pendant ce temps je lui tirais un tabouret, pour ses ailes, et me laissais tomber sur une chaise devant une table isolée, à l'ombre d'un grand palmier. Durant quelques minutes j'attendais Warren, mes pensées fusant en tout sens dans mon crâne pour décider de comment raconter tout ça. Je posais nos affaires sur la chaise à côté de moi mais gardais mes lunettes sur mon nez. Comprenez bien ceci: j'avais été silencieux durant tout le temps entre la plage et maintenant et Warren n'était pas stupide. Il savait que je n'étais pas un mutant, il savait aussi que j'avais toujours évité, avec talent, de parler de tout ça. Il n'avait jamais posé la question mais j'avais toujours fait en sorte qu'il ne pense même pas à le faire.
Il revenait et je lui souriais en prenant mon dû. - Bon choix, mon grand. - Un coup de langue le long d'une goutte glacée qui se faisait la malle et je commençais. - Bon, comment raconter ça... - J'allais devoir m'en remettre à l'improvisation et autant je souriais jusque là, autant le simple souvenir de cette période durcissait mon visage. - C'était il y a 4 ans. A l'époque je travaillais pour le gouvernement et j'étais avec une délégation diplomatique en Sokovie. - Je ratissais large. Trop large. Je commençais déjà avec des choses dont il ne savait rien mais le reste m'inquiétait un peu. Et si il voyait mon affiliation avec HYDRA d'un mauvais œil? Et si je passais pour un terroriste après ça? J'avais choisi de les rejoindre après tout. Enfin à l'époque. - J'ai... Enfin il y a eu un incident et j'ai dû m'enfuir. Les américains voulaient ma peau et après un peu de temps... des agents d'HYDRA sont venus me trouver. - Je m'arrêtais là. J'avais besoin de jauger sa réaction. J'avais peur d'entrer dans les détails, peur de nous enfoncer dans tout ça, mais c'était ces détails qui me rendait moins coupable aux yeux du monde. Pour l'heure je passais pour ce que le monde me voyait à l'époque: un traître à la nation.
On parle de notre jardin secret, pourquoi un jardin ? Est-ce que le jardin a quelque chose de mystérieux ? Comme ces week-end où, gamins, nous allions chez l'oncle Albert à la campagne ? On avait construit une cabane qu'on pensait être les seuls à posséder. Il y avait un ru à traverser et quelques kilomètres à parcourir et nous y étions, débarrassés des blablablas politiques et pompeux. À croire que c'est génétique du côté de mon père d'être pompeux. Ils parlaient fort, nous aimions nous livrer à des chuchotis discrets. Nous n'y allions pas souvent, ma mère nous accompagnait plus pour garder un œil sur moi que pour profiter de la présence de la famille paternelle. Parfois, je revenais après plusieurs semaines et je constatais les améliorations. La dernière fois que j'y avais été, la tempête avait fragilisé la construction. L'échelle était tombée, hormis en grimpant au tronc de l'arbre, il était impossible de la rejoindre. L'espace d'un instant, je m'étais demandé si ces sept plumes que j'avais déjà remarquées dans mon dos – outre la douleur et les excroissances osseuses qui les accompagnaient – auraient pu m'y amener...
Le jardin de Dayle ressemblerait plutôt à une jungle. Sans cabane où se réfugier, sans abri, avec simplement des mensonges dont j'avais cru commencer à lever le voile lors de ce qui avait été une sorte d'opération de sauvetage... J'ai bien cru entendre « Kayden » ce jour-là mais je ne connais pas de Kayden, cette personne ne représente rien pour moi. Même si Dayle a toujours reconnu qu'il me tenait à l'écart de certains pans de sa vie pour ma protection, je n'ai pas envisagé jusqu'à maintenant que Dayle ne soit pas Dayle... Parce que « Dayle » - oui je dis cinq fois son nom en sept lignes et j'assume - … je le connais vraiment. C'est à lui que je peux parler de rien, et de tout, c'est lui qui sait voir sur ma tronche quand quelque chose me tracasse, c'est lui qui peut m'appeler quand il veut et il sait que je viendrais.
Il demande à ce qu'on bouge un peu avant de pouvoir discuter. Je jette un œil autour de nous, ne comprenant pas ce qui le gêne ici mais je ne peux pas lui en vouloir de prendre quelques instants pour faire un tri dans sa tête. J'espère juste que ce tri ne se fait pas entre ce qui restera secret et ce qui sera dévoilé. Je le suis silencieusement et me crame les pieds sur le ciment au passage. Je fais la feignasse et je m'envole à un mètre du sol. « Regarde, je te fais de l'air, en plus. » lui dis-je quand même avec un sourire au coin des ailes. Parce que bon... c'est toujours lui pas vrai ?
Je vais chercher les glaces. Vanille et chocolat, tssss ! Amateur ! Alors, on va prendre stracciatella, avec chocolat blanc eeeeet... nutella. Et une autre fruits exotiques, chocolat et banane. Parce que les bananes, j'aime bien ça. Je le rejoins avec une glace de chaque côté et lui tends la sienne, commençant déjà à un filer un coup de langue dans la mienne. Nous sommes à l'ombre et Dayle a pensé à moi, en me tirant un tabouret. S'asseoir sur une chaise qui a un dos pour moi, c'est comme si n'importe qui s'assied en face d'un fucking pied de table. Il faut manger en écartant les jambes et tu le sens toujours, et il te gêne toujours quand tu veux bouger. Donc plausible mais chiant.
Je glisse une jambe sous mes fesses et cale mes lunettes de soleil sur mon crâne. Il récupère la glace puis introduit la discussion... qui semble déjà le tracasser. Pour ne pas lui mettre trop la pression en le fixant comme un psychopathe, je regarde mon cornet à la recherche de la goutte qui vient de couler sur ma cuisse. Et même pas une bonne âme pour venir la récupérer, quelle tristesse. Je passe mon doigt dessus et... j'en fais quoi maintenant. Vas-y Dédé, ouvre la bouche. Je ricane tout seul de ma connerie puis lève les yeux sur Dayle : « Désolé mais il y avait une goutte qui... enfin tu vois. »
Je cale mes coudes sur la table quand finalement, il choisit de se lancer. Je le fixe – malgré moi – de mes yeux grands ouverts (il doit regretter qu'on se soit mis à l'ombre, sans doute) mais garde le silence. Il évoque un incident suite auquel il a dû fuir. Je fronce les sourcils, pas parce que je le juge mais parce que je suis déjà perdu. À la suite de quoi aurais-tu dû ainsi s'en aller ? À tel point que le pays soit à sa poursuite ? Venus me trouver ? Capturer ? Recruter ? J'avoue que j'ai un peu peur de comprendre. Mon visage se tord dans une moue songeuse. Je devine son regard qui sonde le mien. Perdant mes lèvres sur les fruits exotiques, je fuis son regard une seconde avant d'y retourner, lui demandant : « Et ensuite ? » Je n'ose en demander plus pour l'instant... J'en sais trop peu, mais l'évocation d'Hydra me file la chair de poule... sans mauvais jeu de mots.
Parfois j'en voulais à ma mère de m'avoir appris à voir les gens. Pas à les regarder, à les voir. Elle m'avait appris comment lire leurs visages, comprendre ce qu'ils pensaient, les émotions qu'ils ressentaient. J'observais Warren et je pouvais lire certaines de ses réactions au fur et à mesure que je parlais et c'était atroce. Tourner la tête? Alors que j'étais le conteur de cette histoire? Non. Il me demandait de poursuivre mais j'avais vu sa réaction au mot d'Hydra. Je prenais conscience que mes choix de mots étaient vraiment stupide. - Excuse-moi. J'ai du mal à raconter tout ça. Ça sort pas comme ça devrait. - Je pinçais mon nez avant de reprendre, la glace toujours dans la main. - J'ai été témoin d'un rendez-vous secret entre un diplomate américain et un sokovien. J'aurais pas dû être là, c'est pour ça qu'on m'a traqué comme un traître. - En réalité c'était pire que ça puisqu'il y avait un papier, officiel, stipulant que Kayden Jefferson était un traître aux yeux des Etats-Unis. - J'ai vécu dans la rue durant des semaines, en Sokovie, avant qu'Hydra ne vienne me trouver. Tu dois comprendre que j'étais dans un état lamentable à l'époque. Je n'avais pas d'amis là-bas, pas d'alliés non plus. Ma famille m'avait abandonné, enfin c'est ce que je croyais, et... ouais, j'ai fais une dépression bien profonde.
C'était toujours bizarre de parler de dépression. Tout le monde en fait je pense. Les gens parlent souvent de dépression pour un tout ou un rien et on a souvent l'impression que lorsque ce mot est évoqué, la personne en fait des tonnes. Pourtant dans mon cas, et les psychologues d'Hydra me l'avait certifié, j'y étais, et bien. Je perdais un instant pied et mon regard se brouillait, un appel à la glace qui me donnait la pause dont j'avais besoin avant de poursuivre. Depuis tout ce temps où je voulais tout lui dire... Maintenant que j'avais commencé, je n'étais pas sûr d'être capable de m'arrêter. - Et donc j'ai signé. J'étais à la rue, sans aide ni rien du tout, à voler pour survivre. Ils n'ont pas vraiment eu à forcer pour me convaincre, j'aurais dit oui à n'importe quoi pour un repas chaud. J'ai été emmené dans un complexe, un endroit avec des dizaines d'autres âmes comme moi, des cobayes. Ils nous ont testé et observé pendant des semaines avant de finalement passer aux expériences. - Je frissonnais à la pensée des tortures de Reyhan qui me hantait toujours dans mes cauchemars. - Tu te souviens de l'attaque des Chitauris à New York? Loky et son sceptre? Et bien on m'a exposé à l'énergie cosmique du sceptre. C'est de là que viennent mes pouvoirs.
On m'a... "stimulé" physiquement pour activer le pouvoir puis j'ai subi deux semaines de transition... Au fond d'un bac d'eau glacée parce que ma température était trop haute. - Les tortures de Reyhan me hantaient encore mais la transition? Sans commune mesure. Mon corps était littéralement bouillant. Je me demande encore comment j'ai pu survivre à ça alors que n'importe qui serait mort rien que de cette température trop élevé. En fait... les autres étaient morts. Pourquoi pas moi? J'esquissais un sourire en lâchant le cornet qui flottait un instant avant de retomber doucement dans ma main. - Et maintenant je fais flotter des glaces à l'italiennes. Si c'est pas génial. - Devais-je continuer? Après tout il n'avait évoqué que l'origine de mes pouvoirs, pas le reste. J'avais envie de tout déballer mais peut être lui ne voulait pas en savoir plus? Peut être était-ce suffisant? Je portais la glace à mes lèvres pour combler le silence. Je connaissais Warren pour savoir que s'il voulait en savoir plus, il le dirait.
Hydra, on est d'accord sur ce que c'est ? Sur leurs aspirations et leur façon d'agir ? En fait, outre les frissons que provoque la simple évocation de ces monstres, je ne peux m'empêcher d'être triste. Triste que Dayle tisse un lien entre lui, entre le monstre, entre la créature et lui ! Parce qu'il a toujours représenté tout le contraire à mes yeux. Il a toujours été... Dayle ! Pas un membre d'Hydra... Je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que tout cela a impliqué...
Mais je ne veux pas qu'il pense que je le juge, que je le juge mal... Est-ce qu'il faut nous baser sur les erreurs du passé ou sur ce qu'elles nous ont apporté ? Je repose le regard sur lui quand il apporte une précision sur ce fameux rendez-vous auquel il a assisté. Les rendez vous secrets n'apportent jamais rien de bon, d'ailleurs les secrets tout court n'apportent rien dont on puisse jouir sereinement... Je n'ai rien dit quand il s'excuse, disant que ça ne devrait pas sortir comme ça. C'est vrai que dit comme ça, c'est un peu troublant n'est-ce pas ? Il y a une explication, il y a toujours une explication. Des circonstances atténuantes, des motivations biaisées, des informations erronnées. C'est aussi ce que j'ai dit de papa quand il a pris les mauvaises décisions, parce que nous sommes humains pas vrai. Je pince les lèvres, j'aurais voulu être là mais pas sûr que ça aurait fait grande différence... Même mon père n'aurait rien pu faire j'imagine... Ah si, il aurait enfoncé Kayden, sans doute...
Je baisse le regard une seconde quand il évoque la façon dont il a vécu. Non, évidemment que je ne peux pas juger, parce que je n'ai jamais été dans une situation semblable, je ne peux pas imaginer avoir tout perdu un jour. Parce que même si j'ai fait face à des déceptions, elles ne m'ont jamais brisé, j'ai toujours eu un point d'accroche plus fort que la dite déception... Qu'il eut s'agit de ma mère ou même de Zadig. Ils ont su colmater les fissures avant que tout n'explose. Avant que ce soit trop tard. Trop tard. J'imagine que c'est dans des moments de vulnérabilité comme ça que ces gens frappent, qu'ils s'engouffrent dans la faille... instinctivement, j'en viens à poser la main contre l'avant-bras de Dayle, parce que j'imagine que ce n'est pas évident pour lui de se replonger dans ces souvenirs-là.
Mais... qui suis-je pour lui demander tout ça ? Je garde ma main contre lui, et soudain ces mots « Et donc j'ai signé. » avec tout ce qui ça implique de conséquences. De contrats ? Quand il parle de cobayes, je serre les lèvres et baisse à nouveau le regard. Des images me viennent, pas des souvenirs. Pas des souvenirs d'expériences vécues, d'ouï-dires... Je déglutis, je ne dois pas repenser à ça... Oui des expériences, vers quoi ? Finalement, je relève les yeux sur lui, me sentant coupable de ma lâcheté de toujours.
Je hoche de la tête quand il me demande pour l'attaquer des Chitauris... comment oublier ça ? J'imagine mal comment cette énergie a agi sur Dayle et fais une grimace malgré moi en imaginant les effets combinés des expériences et du sceptre. C'est à la fois affreusement concret et assez abstrait pour que mon imagination comble les zones d'ombre... Je l'écoute, esquissant un sourire en coin un peu forcé quand il parle de faire flotter les glaces à l'italienne. Je lui fous le bout de la mienne sur le nez puis lance « Si tu ne flottais pas, on ne se serait pas rencontrés. »
Mince consolation. Notre rencontre ne vaut pas tout ce qu'il a vécu, subi, enduré, forcément. Mais c'est juste que je... « Et comment... tu t'appelles vraiment ? »
Le regard un peu perdu dans le vide je ne revenais à la réalité que lorsque je sentais le froid sur le bout de mon nez et reculait la tête par réflexe, un peu trop tard. - « Si tu ne flottais pas, on ne se serait pas rencontrés. » - Et quel ennui ça aurait été. - Ironie par ironique. C'était vrai, quel ennui. Je n'aurais trouvé le bureau que je cherchais que des jours plus tard, probablement. Et je me serais bien emmerdé tout seul dans mon bel appartement tous l'été avant que Ivan ne me retrouve. Pas de Warren, pas de sorties, pas de boites ni d'alcool ni d'Amadeus. Juste Netflix et un doigt dans une boite. L'été aurait été bien différent. J'attrapais ma serviette et m'essuyait la petite tâche claire alors qu'il posait sa question.
Sa question, la question. Celle qui me torturait depuis plus d'un an. Des années même. Je n'avais plus ressenti le manque avant de rencontrer Warren parce que depuis Wanda et Pietro je n'avais plus rencontré personne digne de ma confiance et surtout de mon honnêteté. Personne capable... de me faire regretter. Personne à qui je voulais désespérément tout dire sans pouvoir le faire. Je gardais le silence un instant, le regard plongé dans ma glace qui fondait doucement. Des années, longues, que je n'avais pas prononcé ce mot. Ce nom. Mon nom. - Je m'appelle Kayden. - Je soupirais puis levais mon regard vers lui. Je devais continuer. - Kayden Tobias Jefferson.
J'entamais déjà le cornet et vu à quel point bouffer ce truc m'aidait à combler mon trac, il n'allait pas durer très longtemps. Compenser par la bouffe, jamais une bonne idée. - J'ai obtenu l'identité de Dayle grâce au MI6 après mon retour de Russie. Mon père... - Je marquais un silence. Devais-je en parler? Tant pis. - ... était un agent du MI6, il a fait jouer ses relations pour me l'obtenir. Le but était de me cacher d'Ivan mais surtout de me cacher d'HYDRA qui était toujours à mes trousses. - Je me rendais compte trop tard de ma connerie et fermais les yeux. Lorsque je les rouvrais, je posais mon regard sur Warren et hésitais. - C'est pour ça que je ne t'ai jamais révélé ma véritable identité. Ils étaient toujours... C'était dangereux... - L'hésitation, le doute. Je contournais un pan de l'histoire, je le frôlais de trop prêt et ça se sentait.
On m'avait appelé monstre, on m'avait appelé abomination. On m'avait qualifié de criminel, de voleur ou de meurtrier. Je regrettais toute cette époque mais dans mon regard une nouvelle détermination se lisait. Je devais commencer ce que j'avais terminé. Sharon savait tout car elle avait été mon lien avec le SHIELD dans cette histoire. Cap savait tout car il avait été là à un moment critique. Warren devait tout savoir car... il était Warren, tout simplement. - Lorsque j'ai commencé à prendre le contrôle de mes pouvoirs, je suis devenu moins docile à leurs yeux. J'étais moins soumis, moins... obéissant. - Il faut dire que passer du pauvre gars déprimé à un pauvre gars avec des pouvoirs, ça change beaucoup de choses. - Pour s'éviter des déconvenues à venir, ils ont décidé de me supprimer. - J'avais dit ça d'une traite, plutôt naturellement: en réalité je l'avais dit directement pour éviter d'hésiter. - Ils m'ont électrocuté, escorté dehors avec un peloton d'exécution et... je me suis enfui. On savait pas à l'époque que j'étais résistant à l'électricité. - Tolérance qui s'était transformé en immunité avec le temps, mais peu importe. - Ils me cherchaient, je devais disparaitre... - Je me rabattais sur ma glace et atteignait le bout du cornet. Même sans parler de contrer le stress, elle fondait vite et ce serait dommage de gâcher. Oser lever le regard vers Warren? Non, pas encore, j'avais oublié mon assurance dans le placard.
J'esquisse un sourire. Quel ennui, surtout pour moi. Il n'empêche que Dayle n'a jamais caché qu'il me protégeait de son passé. Parce que nous aurions pu juste échanger quelques banalités sur les rues de New york, sur la météo, sur le vol peut-être et ça se serait arrêté là. Mais Dayle, je ne sais pas s'il en est vraiment conscient ou pas, a tellement plus à offrir. Je traînais déjà ici et là mais comme je l'ai dit sur la plage, sans lui ce n'est pas pareil. C'est assez amusant de voir ce que nous inspirons parfois, alors que je vois parfois Dayle comme le frère que je n'ai pas eu. J'imagine que si j'en avais eu un, on aurait fait les mêmes sorties, on aurait eu les mêmes remarques sur les hommes, sur les femmes, sur les relations d'un soir, sur cette protection qu'on s'inflige, qu'on refuse, à laquelle on peut renoncer. Est-ce que son nom change vraiment quelque chose ?
Et pourtant, n'est-ce pas la première chose que l'on se dit ? J'ai dit mon nom à Dayle, quand je lui ai serré la main, la première fois. Je lui ai dit mon nom, avec ce que ça peut parfois impliquer. Avec le risque d'un écho négatif, ou pas forcément. Parce que j'ai souhaité être honnête avec lui. Qu'il ne m'ait pas dit son nom à notre rencontre, je peux l'envisager mais je me demande ce qu'il ressentait à chaque fois que je lui parlais de Dayle. Dayle, c'est cet autre lui qui avait droit à un peu de paix pendant que « l'autre » devait se taire, rester enfermé dans une geôle de silence et de secrets ? Les jours passants, les rencontres se multipliant, j'imagine que ça devenait de plus en plus dur, et pourtant, n'était-il pas temps de parler ? Qu'adviendra-t-il du Dayle que je connais ?
Je ne suis pas encore prêt à ne plus l'appeler ainsi... Et quelque part, est-ce que je connais vraiment ce « Kay » ? La question m'a brûlé les lèvres depuis que j'ai entendu cet autre diminutif. J'ai attendu parce que je savais que ce n'était pas le moment de faire une scène, d'exiger quoique ce soit. Il avait déjà bien assez de soucis, il y avait « ses histoires » comme il les appelle qui l'avaient rattrapé. Quel que fut son nom, bien sur que je me suis senti prêt à voler à son simple appel, et bien sur que je le ferais encore sur l'instant s'il me le demandait... « Je m'appelle Kayden. » C'est bête, je ne pensais pas que cette simple phrase me ferait mal. Je ne pensais pas que ces quelques mots m'atteindraient, ou m'ouvriraient les yeux. Vraiment. Je n'avais pas envie d'être protégé... Hydra, oui, les russes, oui... Mais voulais-je vraiment être protégé de ce Kayden ? Je ne pense pas. « Kayden Tobias Jefferson. »
Putain je suis con, j'ai l'impression que je suis en train de dire adieu à Dayle Strickland. C'est ridicule comme réaction. Je me sens ridicule, de toutes façons. Nos regards se croisent, je secoue la tête, comme si je répondais à l'affirmative à une question. Oui... D'accord. Je sais ce que je devrais dire : Enchanté Kayden. Je devrais lui tendre la main, faire à nouveau connaissance avec lui, non ? Je n'arrive pas à lui en vouloir. Je comprends. Mais je suis triste, c'est tout... Je fuis le regard de... son regard. Pas pour le punir, pas pour lui montrer quelque colère, juste parce que je veux digérer l'information. Pourtant, il vient de lever le voile sur pire n'est-ce pas ? Pourquoi j'ai l'impression que c'est Kayden qui a vécu tout ça ? Pourquoi j'ai l'impression que maintenant, il veut reprendre sa place ? Je prends une grosse inspiration mais me tais pour l'instant. Mais je reste. Je resterai parce que je sais que ce n'est pas facile pour lui. Je sais parce que je vois dans ses yeux que c'est douloureux, et je pense qu'il a sans doute y penser avant... tout dire, ou du moins son nom... sans trouver le temps, la force, l'occasion... J'ai envie de croire qu'il a déjà voulu tout dire. Pourquoi l'a-t-on appelé Kay alors ? Pourquoi ne pouvais-je pas savoir ? Non c'est ridicule, ce n'est qu'un nom... Pas vrai ?
Je regarde ma glace fondre, glisse un doigt sur le côté pour rattraper les gouttes qui se multiplient sur le côté et glisse mon index entre mes lèvres. J'ai besoin d'aller marcher, d'aller courir, d'aller voler mais je me fais violence pour rester ici. Je croise et décroise les jambes, parviens à lever les yeux sur lui quand il reprend son récit, notamment sur la façon dont il a obtenu ce nom... Je le laisse parler, réfugiant ma bouche contre la glace que j'ai quand même plutôt envie de laisser fondre contre la table... « C'est pour ça que je ne t'ai jamais révélé ma véritable identité. Ils étaient toujours... C'était dangereux... » Oui je sais... Pourtant... M'enfin, oui je sais... Mais encore ? Ils étaient toujours ? Je fronce les sourcils puis lève les yeux sur lui une fois encore, lui demandant sans mots de dire ce qu'il a à dire. Quel est le risque maintenant ? Parce que maintenant, comme il y a un mois, comme il y a deux ans, je n'irais le dire à personne. Et personne ne nous entend. Qu'est-ce qui le retient ? Je suis grand, je saurais l'entendre.
Je me décide à abandonner la glace sur la table, laissant le chocolat se coucher le premier. Il évoque alors réellement sa prise de contrôle sur ses pouvoirs. « Pour s'éviter des déconvenues à venir, ils ont décidé de me supprimer. » Il abandonne cette phrase subitement, sans doute aussi brutalement que l'effet que l'annonce de ce contrat avait eu sur lui... Mon visage se ferme quand il évoque comment ils cherchèrent à s'y prendre... « Ils me cherchaient, je devais disparaître... » Je hoche à nouveau de la tête, il a le regard rivé sur... ailleurs. Je me contente de lui souffler, passant une main contre mon avant-bras, me rappelant avec quel désespoir « Dayle » s'y était accroché il y a plusieurs semaines... « Je comprends... » lui souffle-je simplement.
« Je comprends... » - Je lui lançais un sourire. Depuis que j'avais révélé mon vrai nom il n'avait plus bougé. Pas le moindre geste vers moi, pas même sa main compatissante contre mon avant bras fébrile comme lorsque j'avais raconté le début de l'histoire. L'avais-je dégoutté? Étais-je devenu un étranger? Encore une fois? Mon regard se faisait fuyant, entre mes doigts la pointe gaufrée pleine de chocolat fondu tremblait discrètement. Un sursaut, entre hochet et frisson, un petit sursaut involontaire qui venait faire sauter la pointe. Elle tournait, tombait, volait et s'écrasait. Le rouge virait sombre et la gaufrette rebondissait au sol alors que le chocolat s’imprégnait dans les fibres de mon maillot. - Et merde! - J'avais reculé la chaise bruyamment par réflexe mais ça n'avait pas changé grand chose au résultat. - Jsuis toujours aussi mauvais, peu importe le nom... - Trop tôt? Peut être, surtout que c'était pas vrai. Je n'étais pas maladroit. Alors pourquoi cette petite erreur? N'importe qui se douterait.
Je me levais et observais les dégâts: une tâche sombre et chocolatée, pile devant. Je posais mon regard sur Warren, il ne souriait pas. En fait il me regardait sans réellement réagir. Il se serait moqué en temps normal. Comblant ce vide je parlais à nouveau. - Je vais... Je monte me changer. - Et je m’éclipsais sans plus de cérémonie. Mes affaires en main, ma serviette sur les épaules qui descendait suffisamment pour camoufler la tâche incongrue, j'entrais dans le bâtiment et m'engouffrais dans l'un des ascenseurs dont les portes se refermaient. Je fermais les yeux, m'adossant à la paroi, passant une main sur mon visage déconfis. Qu'est-ce qui venait de se passer?
Le tintement de la cloche se faisait entendre et les portes s'ouvraient sur le couloir du troisième étage. Je marchais un peu, mes pieds nus sur le carrelage froid, et retrouvait le porte de notre chambre. Qu'est-ce que j'avais fait? Je jetais sur la tablette mes affaires et allais jusqu'à la salle de bain dont je faisais coulisser la porte sans la verrouiller. Ma serviette se retrouvait à joncher le sol et je m'approchais doucement du lavabo, le regard brouillé. Il se faisait plus clair seulement lorsqu'il croisait mes yeux dans le reflet du miroir. Pourquoi est-ce que j'avais ouvert ma gueule? Pourquoi est-ce que j'avais raconté tout ça? Pourquoi n'avais-je pas menti comme d'habitude? C'était devenu tellement facile avec le temps que ça m'en rendait malade mais après tout pourquoi pas? Il n'aurait pas posé de question, je n'aurais pas eu à répondre. J'aurais pu me complaire dans mon vide et ma noirceur sans jamais le perde... Mais sans jamais l'avoir totalement non plus.
Mes mains se resserraient sur les bords du bac de porcelaine, mes jointures se faisant plus blanches à mesure des secondes. Des années à mentir, à me protéger, à protéger les autres du passé que je traînais dans mon sillage et quelques minutes de vérité pour tout détruire. Son visage inexpressif, son regard vide, ses yeux bleus sans fond ni éclat. Allait-il m'abandonner lui aussi? Comme les autres? Comme tous les autres? Allait-il me laisser seul? Seul avec mes démons et mes entraves? Mes yeux rougis déversaient quelques gouttes salines, conséquence de la vérité, et je passais une main pour les retirer, une main claire. Éclatante et lumineuse, de plus en plus. La peur l'éveillait, la terreur et mon corps entier s'illuminait alors que je fermais les yeux à en plisser mes paupières, à m'en faire mal. Je frappais du poing sur le lavabo mais ce n'est pas lui qui céda. Un objet avait volé à travers la pièce, un rasoir ou que sais-je, pour aller exploser contre un mur, détournant suffisamment mon attention pour que la lumière ne s'estompe.
Imbécile... - M'étais dit à moi-même en essuyant les quelques larmes encore sur mon visage. Un peu de tenue que diable, mon père aurait dit ça s'il avait été avec moi. Il n'était pas un de ces types hermétiques aux émotions, il préférait simplement les contrôler que les laisser agir. Ma mère elle m'aurait seulement prit dans ses bras et m'aurait dit de laisser aller. Parfois je me demande comment ils avaient bien pu s'aimer et se supporter. J'ouvrais le robinet et plaçais mes mains en coupe sous l'eau fraîche avant de l'envoyer sur mon visage, deux fois. Ça va aller, ça ira. Je me le répétais comme un mantra sans réellement y adhérer. J'étais pas monté pour ça. Je retirais mon maillot et le passais sous l'eau, chaude cette fois. La tâche ne partais pas, elle demeurait, s'étalait, s’atténuait mais s’imprégnait. Dans un soupir j'arrêtais l'eau et jetais le maillot rouge dans un bac, y ajoutant la serviette au passage. Peut être que le service de pressing ferait mieux.
La porte coulissais et je passais mon cul blanc dans la pièce principale jusqu'aux placards d'où je sortais un autre short que j'enfilais. Ne jetant même pas un regard à mon téléphone je me dirigeais vers le balcon et m’accoudais à la rambarde, prenant ma tête entre mes mains. De cette hauteur, le son d'en bas ne venait pas mais mon regard lui descendait et sur la terrasse du bar je ne voyais plus Warren...
« Je comprends... » J'ai été trop nul, trop trop nul. Bien trop nul, merde ! Il esquisse un sourire, j'essaie de copier son expression. Je ne réalise pas que le bout du cornet lui tombe dessus. J'entrouvre les lèvres sans rien dire, que puis-je lui demander ? S'il veut de l'aide ? Sérieusement, est-ce que je peux lui demander ça après ce qu'il vient de me raconter ? Enfin j'imagine bien que je n'ai eu que les grandes lignes... les détails ne devant pas être spécialement ragoutants non-plus... De ce qu'il m'avait dit, ce que j'imaginais le plus était les expériences, parce que j'avais eu l'occasion à un moment donné de lire des rapports de mutants qui s'étaient « volontairement » soumis à des essais cliniques. Et sur ceux qui avaient survécu, beaucoup n'avaient jamais retrouvé une vie normale.
« Jsuis toujours aussi mauvais, peu importe le nom... » Ouais, trop tôt. En temps normal, ça m'aurait fait rire mais je suis encore... J'en sais rien, je suis trop stupide, c'est tout ! J'ai juste besoin de quelques minutes, juste quelques minutes pour faire cette mise à jour dans ma tête. Kayden, je m'en souviendrai. Et Tobias aussi, c'est aussi le prénom de notre chauffeur. Mais j'ai déjà oublié son nom de famille, ce n'était pas le nom d'un président ? Je me mords l'intérieur de la lèvre, pour tenir. Juste quelques minutes... Utilisant cette « malheureuse » tâche sur ses vêtements, Dayle s'en va rejoindre la chambre d'hôtel. Je prends ses affaires et je le suis du regard. Je suis bête, j'aurais dû dire quelque chose. Je me lève du tabouret. Je fais un pas dans sa direction. Je souffle. Je m'arrête. Je prépare mes mots... finalement, je prends le tabouret que j'envoie valser derrière moi.
Je retourne près de la plage et m'assieds dans le sable. Qu'est-ce qu'un nom, après tout ? Dayle n'est pas mort. Mais je ne veux plus qu'on prenne soin de moi, ou qu'on me mente pour mon bien. J'ai accepté que Dayle me cache des choses, c'est moi qui ai commis une erreur simplement. Je ne ferai plus la même erreur. Je me remets debout, lance une œillade vers l'hôtel. Je sais que quel que soit son nom, il peut compter sur moi mais ne faut-il pas que lui aussi le sache ? Juste quelques minutes. Je fais quelques pas, avec le plaisir de sentir mes pieds nus sur le sable à nouveau. Je n'en sais rien... Je lance un œil sur l'horizon, imaginant la plage de l'autre côté de cette superbe étendue d'eau. Je crois finalement que c'est simplement la peur de le perdre qui fait enfin surface. Je fais quelques pas, dissimule mon visage entre mes mains. Je respire plus fort, je frotte mes yeux.
Non, allez... ce n'est pas en pleurant que ça ira mieux. Je ramène mes cheveux vers l'arrière. Je continue de marcher, ça me détend. Et même plus de glace à la banane pour noyer mes larmes de crocodile dedans. Allez, arrête de dramatiser, Dayle n'est pas mort. Je m'arrête de marcher. Ça s'est passé il y a longtemps, on ne se connaissait pas, je ne pouvais rien faire pour l'aider. Alors oui il s'appelle Kayden... Mais toutes les fois où j'ai voulu me confier à lui, et quand je l'ai fait, il m'a bien entendu. Il n'a pas oublié tout ça. Il connaît ces rapports que j'ai avec ma famille, sait que l'apparition du pouvoir n'a pas été facile – forcément il a déjà vu les cicatrices de part et d'autre de la naissance des ailes sur mon dos – enfin pas facile à faire disparaître, surtout, au début. Et tant de choses...
Je m'envole, doucement. Le mouvement de mes ailes est large, il ne faut que quelques impulsions pour que je me rapproche de l'hôtel. Sur le toit, la piscine et quelques vacanciers ne se préoccupent même pas de mon arrivée. C'est plaisant. Je m'assieds sur le bord, baisse les yeux sur notre balcon. Je ne vais quand même pas traîner à côté des baies, les gens croiraient que je suis un vil voyeur... Et je l'aperçois. Lui. Dayle. Kayden. Peu importe son nom. C'est toujours lui, il est toujours là. Il ne lui ai rien arrivé, il n'a pas disparu, il est là.
Je le regarde quand il prend sa tête entre ses mains. C'est là que je dois être, oui. Je me laisse tomber dans le vide, déployant mes ailes simplement pour ne pas m'écraser comme une crotte de pigeon sur l'épaule de Dayle. Je me pose sur le balcon, lui offrant l'ombre de mon aile droite comme indice de me présence. Je croise les bras sur mon torse, esquisse un sourire en coin. C'est lui, il n'a pas changé. Je le connais, en dépit de ce qui a pu se passer. Je le connais. « Hey... » Les mots me manquent encore... Mes ailes terminent de se replier totalement dans mon dos et je saute à côté de lui. « Je risque de t'appeler Dayle encore un petit moment tu sais... voir même Dédé, carrément... » Je tue la distance qui nous sépare. Je fais ce que j'aurais dû faire en bas, je m'empare de son bras pour l'amener à moi et le prends dans mes bras. Je l'y écrase quelques instants en lui disant simplement : « Excuse-moi... Je suis désolé... »
Je mets fin à l'étreinte pour pouvoir enfoncer mon regard dans celui de Kayden : « Je ne peux pas gommer le passé, effacer ce que tu as vécu mais je peux simplement te promettre que ça n'arrivera plus. Parce que tu ne seras plus jamais seul. Excuse-moi Dédé... ou Kayden, excuse-moi... Et sache bien que tu pourras toujours compter sur moi. Quoiqu'il arrive, et quel que soit ton prénom, quand tu m'appelleras, je répondrai présent. »
Mes doigts passaient dans mes cheveux et je restais là, immobile, l'ombre d'un grand arbre m'évitant les affres d'un soleil encore chaud. Les yeux fermés, la tête presque posé contre le fer de la barrière, j'attendais. Je ne sais pas trop quoi d'ailleurs, je ne faisais qu'attendre dans ce presque silence que le temps passe. Que ça passe. Mes pensées ne voulaient pourtant pas me laisser en paix mais sans une ombre, je sentais sa présence. - « Hey... » - Je me redressais et lui faisais face. Mes cheveux tenaient seuls en l'air à cause du sel et mes yeux étaient encore un peu rouge. Je lâchais un rire à l'évocation du "Dédé" et me laissais attirer jusqu'à lui, enfouissant ma tête dans son cou, ses bras m'enserrant avec force. - « Excuse-moi... Je suis désolé... » - Je l'entendais mais ne répondait pas, restant juste immobile et silencieux, là, simplement. Cette sensation. Ce soulagement. Ce "truc" que je ressentais lorsque j'étais avec lui. Lorsqu'il était là. Cette liberté et cette assurance, cette sécurité. Ce n'était pas de l'amour, c'était bien plus que ça. Cette sensation je ne l'avais ressenti qu'une seule fois depuis mon départ de Londres et s'était en Sokovie, lorsque j'avais compris que Wanda, Pietro et moi nous formions quelque chose de plus qu'un simple groupe de cobayes. Lorsque j'avais compris ce que le mot famille voulait dire.
Il me relâchait et je levais mon regard vers lui. A mesure des secondes, à mesure des mots qu'il prononçait, mes yeux devenaient de plus en plus rouge, de plus en plus humide. Il terminait et deux larmes filaient le long de mes joues jusqu'à ma barbe naissante. J'essayais mes yeux en me tournant d'un quart en pestant dans un sourire. - Tu fais chier... - Ça voulait plus s'arrêter cette saloperie. - Je fuis, va chercher un plombier. - Je riais et finissais de me vider par les yeux, une main pour essuyer, l'autre posée sur la rambarde. Dans ma tête c'était le bordel, entre joie et culpabilité, bonheur et tristesse. J’étouffais finalement un rire, mon regard encore brouillé, rivé vers l'horizon. - Peu importe comment tu m'appelles... - Je lâchais la rambarde et me retournais vers la baie vitrée, laissant mon regard se poser sur lui un instant. - Peu importe. - Je lui offrais la même promesse. L'exacte même et inconditionnelle loyauté. Je passais finalement la baie et entrais dans la chambre avant de me retourner. - Tu viens?
Je ne sais pas à quoi il avait pu penser en me rejoignant dans la salle de bain mais moi je n'avais pas oublié. En quelques minutes, il s'était retrouvé assit par terre, une aile bien tendue, à me laisser lui rincer les plumes. J'avais ouvert les vitres de la douche et avait rallongé le conduit métallique du pommeau pour atteindre toutes les plumes salées. Si ça faisait ça à mes cheveux, je ne voulais même pas imaginer ce que le sel pourrait faire à ses plumes avec le temps. Armé du pommeau de douche, et d'un peu de musique dans la pièce à côté, je m'attelais à ma tâche. - J'adore tes ailes, mon grand, mais y'a beaucoup trop de plumes... J'aurais dû manipuler le sel plutôt que le métal tiens. - J'en terminais avec la plume du bout et revenait dans son dos. - Tend l'autre. - Et lorsque l'un des ailes se repliait, l'autre s'étendait. Je reprenais au début et commençait par la base, mes doigts courant doucement le long des cicatrices sur sa peau. Je me souvenais de cette histoire, je me souvenais lorsqu'il me l'avait raconté, je n'osais pas imaginer ce qu'il avait dû vivre à l'époque. - Je suppose qu'on remettra ça demain?
J'espère que ces fois où je l'appellerai par cet autre nom ne le lasseront pas, mais j'imagine qu'il s'est préparé à ce que l'adaptation ne soit pas immédiate pour moi... Égoïstement, ça me fait aussi du bien à moi, de briser ce froid dont je ne voulais pas qu'il s'installe, de nous rassurer tous les deux sur la force de notre amitié, qui saura résister à ça. Parce que ça appartient au passé, à son passé à lui. Alors je me sens bien, d'être là pour lui et qu'il soit aussi là pour moi... Alors je lui fais cette promesse, je ne fais jamais de promesses que je ne pense pas tenir. Nous avons une parole, même si nous ne la donnons pas facilement. Mais pour ça, j'ai toujours eu confiance en mes parents parce que lorsqu'ils s'engagent dans une voie, ils s'y tiennent. Ça permet de savoir à quoi s'attendre.
Quand je termine de parler, Dédé se met à pleurer. Il se tourne, frotte son visage. Je souris, pose ma main sur le bas de sa nuque, appuyant ma prise sur lui. Je secoue la tête : « Arrête s'il te plaît, ou on va tous les deux pleurer ici... » Je relâche finalement mon ami, suis son regard sur l'horizon. J'inspire à fond, profitant de l'air de la mer... Je lui souris quand il me promet cette même loyauté, quoiqu'il arrive. Et je sais aussi qu'il la tiendra. Je le laisse retourner à l'intérieur sans le suivre, et me décide à le rejoindre quand il m'y invite.
Je traverse la chambre, prends juste le temps de ramasser... un rasoir ? Qu'est-ce qu'il a pu faire avec le rasoir si loin du lavabo ? J'espère qu'il n'y a pas de poils par terre. Je lève un pied, non ça a l'air bon... Je le rejoins à la salle de bains. Oh oui ! Je m'assieds par terre et le laisse rincer mes ailes. C'est que ça assèche vachement le sel. Et je tiens à la douceur de mes petites plumes, hé oui... « J'adore tes ailes, mon grand, mais y'a beaucoup trop de plumes... J'aurais dû manipuler le sel plutôt que le métal tiens. » Trop de plumes ? Never trop de plumes ! Déjà que je vois celles que je perds, ça m'inquiète suffisamment. Des fois, je me demande si je finirai mes vieux jours avec des vieilles plumes toutes raides et sans éclat, comme un vieux hibou. Je replie mon aile quand il en vient enfin à bout, attrape une plume morte du bout des doigts alors qu'elle est ramenée par l'eau. Je joue avec puis déplie ma seconde aile. Je me raidis subitement, quand je sens ses doigts dans mon dos. Habituellement, je ne laisse personne toucher mon dos, en fait. Du moins pas ici, entre les ailes. Je tourne mon visage vers Dayle, un léger sourire dessus : « Désolé... » J'ai été surpris ? Réflexe ? Pas l'habitude ? Non, en fait je ne vais rien dire, le mec hypersensible du dos, est-ce que j'ai pas l'air assez con comme ça ?
« Je suppose qu'on remettra ça demain ? » À cette question, je tourne la tête dans sa direction avec un immense sourire sur les lèvres : « Et les jours suivants... » Tant pis mon gars, fallait tout lire avant de signer. Parce que c'est de l'entretien ces trucs, et j'avoue que j'aime bien me faire bichonner. J'ai quand même dû prendre de mauvaises habitudes... Je lui prends la pomme de douche pour me rincer les cheveux au passage. Et quand les ailes sont enfin débarrassées de l'effet plage, je me remets debout, les replie presque totalement et les agite pour retirer le surplus d'eau qu'il pourrait rester entre les plumes. « On devrait manger et sortir ce soir. J'ai envie de voir comment Kayden drague parce que Dayle... c'était vraiment pas terrible terrible tu sais... »
Je prends une serviette et m'essuie rapidement avant de déjà jeter un œil sur les vêtements que j'ai rangés dans l'armoire. « Punaise, j'ai déjà faim... » Non, pas ça, ni ça... Je me retourne sur Dayle : « Tu crois que ça le fait si on mange ici et si j'y vais torse-nu, si on trouve... disons... un bar sur la plage ? Ou je fais simple ? » Je brandis une chemise noire devant lui, pour lui demander son avis.
« Et les jours suivants... » - T'apprécie un peu trop tout ça toi. - Enfin c'était pas comme si ça me gênait vraiment. C'était comme s'occuper d'un enfant handicapé, mais avec des ailes. J'entamais la moitié de l'aile lorsqu'il me prenait le pommeau pour ses cheveux et je passais ma main dedans pour le gêner avant de reprendre mon instrument. Il me fallait encore un peu de temps pour terminer et allait remettre le pommeau à sa place pendant qu'il se relevait. Dos à lui, je recevais des dizaines de gouttelettes froides lorsqu'il se secouait les ailes. - AH! Froid. - Ma peau encore chaude me filait un frisson et je me retournais. Le sol était inondé. Enfin ça aurait été un problème si je n'avais pas prévu le coup au départ. De tous les murs, des morceaux de métal revenaient vers le centre de la pièce, poussant l'eau vers la bonde au centre, prévue certainement pour faciliter le travailler des femmes de ménages. Ou éviter ce genre de problème? Enfin peu importe. Au commentaire sur les techniques de dragues je levais mon regard sur la tronche d'attardé de Warren. - En attendant, il me semble pas t'avoir vu souvent rentrer accompagné.
Je laissais finalement à Warren le temps de se sécher correctement et sortait de la salle de bain. Mon regard se portait brièvement sur l'écran de la télé dans lequel dansaient cinq filles en maillot entrain de chanter All in my head, enfin c'est ce que ça disait à l'écran, et je faisais un pas en avant lorsque l'ange sortait à ma suite. Distrait par la télé je me laissais tomber sur le lit de Warren, mon dos humide n'allait certainement pas aller se sécher sur mon propre lit, et je dérivais du clip musical sur Wawa qui fouillait le placard. - Ouais, moi aussi... - Ça en était pas encore au stade des cris de famine de mon estomac mais clairement la glace à l'italienne de tout à l'heure avait fini de faire croire à mon corps qu'il n'avait pas faim. Il se retournait en me montrant sa chemise noire et je la jaugeais une seconde. - A mon avis tu vas être obligé de porter quelque chose au restaurant d'ici, mais si on trouve un bar je pense pas que ça pose problème si tu l'enlèves... - Je croisais mes bras sous ma tête. - Après tout on est en vacances, sur la plage, ça m'étonnerais que ça pose un problème que tu sois torse-nu. - Je fixais la chemise encore un peu. - Mais met pas ça, t'as personne à impressionner ce soir.
Je fermais un instant les yeux pour les reposer un peu de la lumière du jour, le son des cintres qui s'entrechoquaient couvrant à peine la musique de la télé. Je n'allais pas m'endormir, impossible, mais épargner un peu mes yeux me faisait du bien. Même avec des lunettes de soleil, la lumière de la plage était fatigante. Sentant l'air sur ma peau, et sans ouvrir les yeux d'ailleurs, je m'adressais à Warren. - Tu peux me sortir quelque chose aussi? - Après tout c'était ses achats, il était plus apte à choisir ce que je pourrais porter avec mon short blanc. Oui, il avait prit sur lui, enfin c'était bien ce qu'il laissait croire, de m'acheter de quoi m'habiller qui sorte de mes habituels vêtements sobres et sombres. J'avais plus vraiment d'excuse pour refuser de toute façon alors j'avais dis oui, lui avais donné les tailles et l'avais laissé faire. Et autant certaines choses finiraient au feu dés que possible, autant le reste me convenait dans l'ensemble. N'entendant plus rien d'autre que la musique j'ouvrais un œil curieux. - Tu t'en sors?