Nous voici sur le toit de l'immeuble où se trouvent les laboratoires de mon père. Tous les deux assis sur le rebord du toit, sa main dans la mienne. Elle est triste, je le sens et des sillages de détresse ont été creusés sur ses fines joues. Elle n'a pas mis son bracelet de perles blanches, celui qu'elle affectionne tellement, elle n'a pas dit le moindre mot depuis que nous nous sommes assis. J'ai senti qu'elle avait besoin de s'éloigner de ce monde froid et brutal quand elle a fait tomber son verre ce matin. Sa main tremblante l'a dénoncée, et dès que le bruit du cristal brisé a résonné dans le salon, elle s'est effondrée. Désormais, elle reste fière près de moi. Silencieuse. Digne.

Elle est amoureuse, même si elle ne veut pas le reconnaître. Elle est amoureuse, même si le cours de la vie a éloigné son amant. Elle est amoureuse, elle ne retrouvera plus jamais la même passion dans les yeux de celui qu'elle aime tant. L'amour contrarié, l'amour à genoux l'a brisée. Elle a besoin de s'éloigner de sa vie, je voudrais tant retrouver le sourire lumineux qu'elle arborait. Je voudrais la sentir glisser sa main contre ma joue avec la même tendresse d'antan mais elle pense qu'elle ne vaut plus rien, elle se sent vide. Ses yeux sont vides de larmes, assechés par une semaine éprouvante. « Je suis désolée » avoue-t-elle, d'une petite voix brisée. Je l'entoure de mon aile, la ramène doucement vers moi et sens soudain sa tête venir reposer contre mon épaule. Je la prends dans mes bras. D'ici, New York ressemble à un ciel remplis d'étoiles folles. Le carrefour de l'univers. Mais désolée pour quoi ? Même brisée, elle garde cette force que je lui connais. Le moindre de ses regards me rend petit garçon, elle n'a pas besoin de mots et quoiqu'elle dise, je continuerai de l'aimer, toujours. Elle a été choquée, surprise, trahie mais nous avons partagé tellement de fous rires, de larmes, de parenthèses dans les bras l'un de l'autre que quoiqu'il arrive, je ne pourrai que l'aimer. Assis ainsi au-dessus du vide, c'est comme si nous étions seuls au monde. Finalement, je me décide à me redresser. Elle me regarde faire, silencieuse. Un carré entoure son visage, je caresse sa joue du pouce, prends sa main dans la mienne. « Ne le sois pas »

Elle a toujours été là pour moi. Elle a appris à m'accepter tel que je suis maintenant. Elle a appris à ne pas avoir honte des mes ailes. Elle a appris à aimer cette autre facette de moi, elle m'aime tout entier maintenant. Je l'aide à se redresser. « Je voudrais que tu viennes avec moi. » Elle sait ce que ça implique, elle me regarde avec incompréhension. Comment puis-je lui demander ça, doit-elle se répéter. Sa petite main est toujours nichée dans la mienne. Je passe un bras dans son dos, lui souffle d'avoir confiance en moi. Quoiqu'il arrive, ce sera toujours moi, Warren. Elle me connaît, ailes ou pas ailes, elle me connaît et elle sait qu'elle sera toujours la lune de ma nuit. Quand son bras à elle entoure mes épaules, nous échangeons un sourire complice. Qu'il est bon de revoir un sourire éclairer son visage. Je me penche et la prends dans mes bras, tout contre moi. Elle vient caler son visage au creux de mon cou. Je déplie doucement mes ailes puis ressers mon étreinte contre elle. Je pourrais plonger dans le vide et planer mais je ne veux pas l'effrayer. Je donne deux coups d'ailes et me projette dans les airs. Elle garde d'abord les yeux fermés, ce n'est pas grave. J'aime sentir le vent contre moi, j'adore cette liberté que procure le vol. Avant d'être une mutation, avant d'être une façon de se déplacer, avant d'être des os et des plumes, c'est un véritable bonheur. C'est un véritable bonheur de voler, de planer au-dessus du monde, de profiter du silence. Je veux qu'elle puisse profiter de cette sensation incroyable, sans jamais craindre de tomber. Je veux qu'elle sache que jamais je ne la lâcherai et qu'elle pourra toujours compter sur moi. Finalement, elle ouvre les yeux. Je la sens se raccrocher plus fermement encore à un cou. Attention à ne pas trop serrer. Je pose mes yeux sur elle et lui dis, un sourire au coin des lèvres : « Aie confiance »

Son regard croise le mien. Elle desserre sa prise. Elle inspire profondément, parvient même à lâcher mon cou après plusieurs minutes. Nous volons ainsi un moment puis nous nous posons délicatement sur le haut de la statue de la liberté. Je la garde toutefois dans mes bras. D'un geste lent, je dépose un baiser contre son front puis enfonce mes yeux dans les siens. Elle a retrouvé son regard de petite fille quand elle contemple la ville d'ici. Elle entrouvre la bouche, mais reste silencieuse. Sans m'en rendre compte, je la berce doucement. Son divorce lui fait du mal mais elle vaut tellement mieux que lui, malgré l'affection que je porte à son mari. Elle fera sa route seule, elle réussira, elle est quelqu'un de bien... Je lui souffle simplement « Je t'aime, maman ». Et nous restons ici un moment...