Ouvrir les yeux, émerger, se réveiller, se lever, une jambe après l'autre, poser les pieds sur le carrelage froid et les retirer aussitôt. Se passer les deux mains sur le visage avant de se retourner pour voir la tronche écrasée de Warren sur le matelas. J'ai bien dis écrasée. Je n'ai pas encore mentionné le filet de bave. Je prenais mon téléphone et dans un silence absolu immortalisais cet instant. Ça sortirait le jour de son mariage, légendé d'une phrase mensongère. Enfin s'il se mariait un jour. On en était pas là. Aujourd'hui j'étais le premier à me réveiller. Pourquoi? Parce qu'il n'était que quatre heures du matin et je tournais en rond depuis déjà une bonne demi-heure. J'avais pourtant si bien dormi la nuit précédente, si bien que c'est Warren qui m'avait réveillé, et avec difficulté. Pourquoi cette nuit était-elle différente? L'ennuie? L'inactivité? Non, j'avais été occupé et surtout j'avais assez de sommeil à rattraper pour tenir au moins deux semaines. Pourquoi alors? Pourquoi cette incapacité à dormir? Je n'avais que cette boule au ventre, une simple sensation, si simple et pourtant si prenante. Silencieux, je contournais le lit et allait jusqu'à la fenêtre pour en pousser le volet sans faire un seul bruit. Hors de question de réveiller Warren avec tout ça. Hors de question de l'inquiéter.
Je m'installais sur le rebord, un équilibre parfait de légèreté me maintenant hors de danger. Un léger courant d'air passait et faisait frissonner ma peau nue. Moi qui pensais être tranquille. Moi qui pensais pouvoir dormir en paix ici, loin de la ville et de mes ennuis. Des années que mon sommeil s'étiolait, perdu au profit d'images horrifiques sans queue ni tête. Des cauchemars veillant à mon éveil. Parfois si fort que j'en faisais trembler tout l'appartement. Je m'étonnais d'ailleurs qu'on ne soit pas venu me voir l'une de ces nuits pour savoir si j'allais bien, ou l'un de ces matins pour me dire d'arrêter ce boucan. Mes yeux verts balayaient le domaine du regard alors que je repliais mes jambes contre moi, les enserrant de mes bras. J'avais toujours cette boule au ventre, ce sentiment oppressant. Mon menton planté entre mes genoux je laissais l'air jouer sur ma peau et fermais un instant les yeux. Derrière mes paupières, le néant semblait intense. Si profond.
Je sentais dans mon dos la présence qui s'élevait et sur ma peau ses ongles se déployer. Je sentais la brûlure de sa griffure et mon visage se tordait. Je gardais mes yeux fermés. Peut être allait-elle disparaitre? Doucement l'air se réchauffait et de derrière mes paupières le néant s'éclairait. Une douce lumière, douce et chaleureuse. Étouffée par ma peau. Emplissant chaque parcelle d'infini. Sa main poursuivait sa route et dans mon dos creusait ses sillons. Elle descendait et je sentais l'air brûler. Je sentais ma peau s'humidifier puis s'assécher. Je sentais ma nudité. Je sentais son bras passer autour de mon cour et sa poitrine se coller à mon dos. Mes lèvres tremblaient, mon corps était froid et lorsque j'ouvrais les yeux c'est un puit de flammes que je voyais. Un torrent rougeoyant, un gouffre flamboyant et dans cette atrocité mon regard s'horrifiait. Parmi la transpiration, mes larmes se mêlaient et entre ses dents l'entité saisissait mon oreille. Elle pinçait. Elle mordait. Elle arrachait et je hurlais. Je ne pouvais bouger, je ne pouvais fuir. j'étais vissé à ce rebord par un bras si fin et si puissant. Du coin de mon œil effrayé je percevais ses grandes ailes de jais, immenses et magnifiques. Imposantes. Je tournais la tête et voyais son visage, animé par une flamme dont j'avais bien trop souvent rêvé la vivacité. Reyhan.
Un rire s'élevait, un échos, et elle me poussait dans le vide. Je n'avais aucun pouvoir ici, je ne pouvais que chuter, laisser à la flamme mon corps se détruire. Je hurlais. Je tombais. Je brûlais. Ma peau puis mes chairs. Ma vue puis ma conscience. Au dessus des mois ses ailes battaient encore, comme la mort venant me réclamer. Comme le démon. Parmi les flammes des mains distordues apparaissaient et m'agrippaient. Elles me retenaient, me tiraillaient, me maintenaient dans les flammes et me détruisaient. Je m'enfonçais dans les abysses infernales et au dessus de moi le démon revenait. Elle filait droit vers moi et ralentissait juste au dessus. Elle déployait ses ailes de pétrole et je me tenais là, nu, dans les flammes, le visage déformé par la peur et la douleur. Elle s'allongeait sur moi et je déglutissais, happant l'air alors qu'elle approchait son visage de mon cou, ses lèvres de ma peau, ses dents de mes chairs et elle mordait. Je hurlais. Je saignais et je me réveillais. J'étais recroquevillé sur moi-même, ma peau ruisselante, mes dents douloureuses. Ma gorge usée cessait enfin de crier et mes mains desserraient leur étreinte sur le bras endolori de l'ange qui m'observait. Dans ma respiration saccadée et entre deux regards encore fuyants, je comprenais: le cauchemars s'était déjà produit.
Je dors la fenêtre ouverte en général, je lis un peu avant de me coucher, je fais un petit tour dans les couloirs pour vérifier que tout va bien. Après le septième chapitre d'une dystopie, j'entreprends ma petite promenade. Quelques insomniaques traînent devant la télé en bas, deux discutent dans la cuisine, baissant doucement le ton de la voix quand ils m’aperçoivent passer. Je les salue d'un petit signe de la main, simplement pour leur signifier que tout va bien. Dehors, le calme du parc me donne envie d'y sortir faire un tour avant de me coucher et je baisse les yeux sur mes pieds nus. Déjà, avec le passage qu'il y a dans les couloirs, était-ce vraiment une bonne idée ?
Bah... tant pis. Vêtu d'un simplement d'un bas de pyjama, je m'autorise un petit vol au-dessus de l'école. Je m'assieds un peu sur le toit. Je regarde le bleu que j'ai sur le coude et qui est maintenant bien marqué. Quel boulet, tu parles d'un X-men. Je lève les yeux au ciel, j'aurais dû dire à Dayle de monter. C'est tranquille ici, je profite de quelques instants avant de revenir à la chambre. Comme Dédé a déjà décliné ma proposition du harnais, je n'insiste et nous nous couchons. Je me mets au-dessus de la couette en serrant mon oreiller contre moi en mode doudou, offrant mes ailes comme unique vue à Dayle.
Alors que les heures passent, je m'enfonce dans un profond sommeil. J'ai toujours bien dormi et je ne mets en général pas plus de dix minutes à me faire prendre par Morphé. Comme toujours, je finis par partir sur le ventre, le tête dans ou sous l'oreiller et les ailes partiellement déployées. À un moment, des cris viennent intégrer mon rêve. J'entrouvre le regard et manque de tomber à la renverse quand je sens des doigts contre moi. Je me redresse rapidement dans le lit, mes ailes se déploient, celle de gauche chassant la chaise de bureau et une lampe de chevet au passage. La droite s'étend au-dessus de mon ami dans la direction de la porte. Je regarde autour de moi et retrouve Dayle cramponné à mon bras si solidement que les jointures de ses doigts se font plus claires. Mais il dort, ses yeux sont fermés. « Dayle ? Dayle ? » Je cherche à le réveiller sans trop de brutalité, utilisant mon bras libre pour le poser sur son épaule brûlante. Je secoue doucement mais il continue de crier.
Je passe la main d'abord sur son front, ramenant ses cheveux sur l'arrière, plusieurs fois en approchant mon visage du sien. « Dayle, ça va... ça va... je suis là. » S'il avait s'agit d'un des élèves, je l'aurais probablement pris dans mes bras pour essayer de calmer les soubresauts de son sommeil mais il ne lâche pas mon bras. Je fais une grimace puis reprends mes gestes doux contre son visage, le son de ma voix étant la seule chose qui soit plus forte... pour le sortir de son cauchemar : « Dayle ! Tu rêves ! Réveille-toi ! »
Il ouvre soudain les yeux, cherchant sans doute un repère dans cet environnement encore inconnu. Je pose doucement mes mains contre ses joues pour amener son visage dans la direction du mien. Je plante ses yeux dans les miens : « Regarde-moi Dayle, c'est moi Warren, tout va bien, tu es en sécurité. D'accord ? D'accord ? » Je lâche son visage pour poser les mains sur ses avant-bras quelques instants, histoire qu'il soit bien réveillé. Quand je suis certain qu'il a repris conscience de l'endroit où il se trouve, je replie mes ailes derrière moi en me levant. Je pose la main sur son épaule, lui parle à nouveau les yeux dans les yeux : « Je reviens, d'accord ? Je reviens, ne bouge pas. »
Je me dirige vers la porte que j'entrouvre pour passer la tête. Je trouve quelques têtes tirées brutalement du sommeil. Je fais un signe avec ma main ouverte, paume vers le sol. Je fais un mouvement lent de haut en bas pour éviter qu'ils ne s'inquiètent et je leur dis que tout va bien. J'interpelle tout de même l'un des curieux pour lui demander de me ramener un verre. Je referme doucement la porte sans donner de tour de clef dedans. Je me rassieds sur le lit, près de Dayle : « Est-ce que... enfin... ne t'inquiète pas, tu es en sécurité ici. » Je me relève et fais mouiller un gant de toilettes avec de l'eau fraîche avant de le tordre et de le tendre à Dayle : « Tiens... ça te fera du bien... »
« Regarde-moi Dayle, c'est moi Warren, tout va bien, tu es en sécurité. D'accord ? D'accord ? » - Lorsque Warren prenait mon visage entre ses mains mon regard se fixait sur le sien l'espace de deux secondes et tout mon corps se détendait. Je prenais conscience d'où se trouvait la réalité et je retombais sur le coussin. Au même moment des petits bruits se faisaient entendre, de chute, des objets qui tombaient ou se reposaient un peu trop vite. C'était d'ailleurs le cas de la chaise de bureau et de la lampe de chevet que Warren avant percuté avec ses ailes: tout ces objets s'étaient mis à flotter, privé de leur pesanteur durant mon cauchemars et je grimaçais à la simple idée d'avoir mis sans dessus dessous l'école alors que Warren se levait en me disant de ne pas bouger. J'enfonçais mon visage dans l'oreiller. Quel boulet je faisais. Les yeux fermés je voyais encore le visage déformé de Reyhan et sa présence maléfique. La pression sur le matelas me faisait lever la tête et je voyais l'ange, son visage inquiet. - « Est-ce que... enfin... ne t'inquiète pas, tu es en sécurité ici. » - Mon visage à moi ne souffrait aucun expression sinon les séquelles d'une terreur encore vivace.
Il se relevait et moi je repoussais la couverture pour m'asseoir, le dos contre la tête de lit. La fraîcheur du bois me faisais du bien et lorsqu'il revenait avec son gant mouillé je lui offrais un sourire usé, très usé. Je prenais le gant et le passais sur mon visage avant de le poser sur ma nuque et sa fraîcheur forçait un frisson à parcourir toute ma colonne vertébrale. Je posais mon regard sur son avant bras encore rouge. - Je suis désolé... - Je l'étais, sincèrement. Outre la marque, qui disparaîtrait bien vite, je me sentais surtout coupable de tout ce remue ménage. J'étais là depuis deux jours, invités, pas nécessairement voulu par tous et en prime je faisais des histoires. C'était peut être pas une si bonne idée que je reste finalement. Mon regard était encore dans le vide et toute mes interrogations pouvaient probablement se lire sur mon visage. Jamais ça n'avait été aussi grave. - C'est la première fois que c'est aussi fort... - Parfois c'était simple, parfois c'était un peu plus difficile. Je faisais régulièrement flotter tout l'appartement mais personne dans l'immeuble ne s'était jamais plain de quoi que ce soit, et vu les personnages, ils ne se seraient pas gênés. La zone d'action de mon pouvoir était vaste, je n'osais pas vraiment imaginer jusqu'où c'était allé cette fois. Je le saurais bien assez tôt, mais pour cette fois, j'aurais bien aimé faire l'autruche.
J'avais toujours chaud. Comme si les flammes de mon rêve étaient encore là. Ma peau toujours humide, je me levais, le gant toujours sur ma nuque et je contournais Warren non sans passer ma main sur son épaule. Une façon de lui dire que ça allait, que ça irait. Je contournais le lit d'un pas lent et grimpait sur le rebord de la fenêtre, posant le gant à côté de moi. Je m'installais sur le rebord, un équilibre parfait de légèreté me maintenant hors de danger. Un léger courant d'air passait et faisait frissonner ma peau nue. Mes yeux verts balayaient le domaine du regard alors que je repliais mes jambes contre moi, les enserrant de mes bras. Mon menton planté entre mes genoux je laissais l'air jouer sur ma peau et fermais un instant les yeux. Le contact de la nuit sur ma peau humide générait un nouveau frisson, agréable, me rappelant que j'étais éveillé. C'était la même position, la même scène, mes paupières remontaient vite et mes bras se resserraient. La présence dans mon dos, ces ailes, cette position. Allais-je tomber à nouveau?
Je n'aime pas le voir comme ça et surtout... je n'en ai pas l'habitude. J'envoie un élève chercher un verre d'eau, je me concentre sur Dayle, ne remarquant pas que sur le bureau, toute la petite papeterie a légèrement changé de place. Mon téléphone est descendu du dit bureau, ma ceinture n'est plus accrochée à la porte de l'armoire... Peu importe, ce n'est que du détail, ce n'est que du matériel, le matériel ne vaut rien. Revenant près de lui, je tends un gant de toilette mouillé pour qu'il puisse le passer contre son visage, son visage est couvert de sueur et j'imagine qu'il doit se sentir un peu... fiévreux vu l'expression terrifiée qu'il a arborée en s'extrayant difficilement du cauchemar...
Son regard se pose sur mon avant-bras et je couvre de ma main libre en lui souriant pour éviter qu'il ne s'en fasse pour rien : « Ça ? Pffff, pipi de chat. » lui dis-je simplement avant de m'asseoir sur le lit près de ses pieds. Et beaucoup de pensionnaires ici avaient eu à subir le retour d'un passé souvent assez ingrat, régulièrement brutal. Je savais que même si certains pouvaient se sentir inquiets ou intrigués, la majorité comprendrait tout à fait. Je secoue la tête, voulant ainsi effacer ses angoisses. Il n'a pas à se préoccuper de ça, et si quelqu'un fait la moindre remarque, je serai là pour le remettre en place. Je pose la main sur la sienne pour lui faire sentir que je suis là. Tu vois Dayle, tu n'as pas à t'inquiéter de tout ça, je suis là.
« C'est la première fois que c'est aussi fort ». À ses mots, je m'en veux de ne pas pouvoir l'aider davantage. De ne pas avoir su le faire auparavant, de l'avoir laissé affronter ces angoisses nocturnes seul. Je baisse doucement le regard, ne sachant pas comment on peut l'aider dans ce cas-là... Peut-être le professeur... ? Mais les cauchemars ne sont que les manifestations de notre inconscient, nos peurs, nos souvenirs, nos remords, alors est-ce qu'on peut vraiment y faire quelque chose ? Heureusement, ça se passe ici. Et ici, Dayle n'est pas seul. Et si les cauchemars s'éternisent, je le garderai là, jusqu'à ce qu'il rêve de coquelicots, voilà !
Je m'écarte quand il se lève, sens sa main brûlante contre mon épaule. J'attends quelques instants puis me tourne sur lui pour regarder ce qu'il fait. Il s'assied sur le rebord de la fenêtre. De la chambre, c'est aussi mon endroit préféré. Il fait plus doux, un parfum d'humidité court sur les jardins et l'absence de nuages autorise la lune à poser sa douce lumière claire sur la peau de Dayle. Je m'approche, lève les yeux au ciel. Pas un bruit si on omet les élèves pas encore recouchés dans le couloir qui en profitent pour passer l'un de la chambre à l'autre. Il y a d'autres enseignants qui les rejoindront, qui leur diront de se coucher... Ce n'est pas bien grave.
En soi, je n'ai pas peur que mon ami tombe. D'abord parce que je sais qu'il sait léviter, et ensuite parce que... pourquoi tomberait-il ? Mais à notre première rencontre, il flottait là, cherchant son chemin ; quand je l'ai aperçu. Ce soir, il est là, à nouveau perdu entre la sérénité d'un nuit étoilée et les cauchemars contre lesquels il doit lutter, encore et encore. La porte s'entrouvre prudemment, laissant passer le visage inquiet du jeune élève auquel j'ai confié la mission du verre. Je baisse les yeux sur le verre, il me confie d'une petite voix qu'il a fait un lait à la fraise, parce que lui, ça l'aide à se rendormir. Je lui souris puis le remercie. Je pose le verre sur le bureau puis me rapproche de Dayle. Mon premier réflexe serait de... J'en ai rien à faire de ce que les mauvaises langues et les naïfs peuvent dire sur nous. Parce que oui, forcément, il y a un « nous ». Dayle est une personne que j'adore, avec laquelle j'ai un feeling qui fait que je me sens naturellement proche de lui, qui fait que je me sens en confiance avec lui. Je peux lui raconter n'importe quoi, une connerie comme un truc sérieux, je sais instinctivement qu'il aura la bonne réaction, il aura la réponse juste. Dédé, c'est une sorte de vieux dans sa tête parce que lorsque nous parlons, les traits de son visage laissent entendre qu'il a traversé plus d'épreuves qu'il n'aurait dû. Je me cale derrière lui et passe les bras autour de lui, posant mon menton sur l'une de ses épaules. Je le sens frissonner, du fait du courant d'air qui passe sur sa peau moite. Mes ailes se déploient doucement et viennent l'entourer. J'esquisse un sourire puis lui souffle : « Hey... tu tombes pas tant que je suis là... compris ? » Je regarde en bas puis perds mon regard l'amas de mes plumes qui nous entourent.
Je rouvrais les yeux, mon regard, rapide, passant de cet arbre à ce lac en passant par ce terrain ou cette ombre grandissante. La nuit était vaste, la lune lumineuse. Elle nacrait le domaine de sa pâleur et je resserrais la pression sur mes jambes. Dans mon dos j'entendais le bruit de la porte qui s'ouvrait et les voix basses qui échangeaient quelques mots mais je n'écoutais pas. J'étais fatigué et cette sensation tordant mon estomac m’empêchait de fermer les yeux. C'était comme si je tombais, encore, mais je ne bougeais pas. Comme si j'allais tomber. Comme si le rebord allait céder sous mon poids et m'emporter dans les abysses.
Les pas dans mon dos se rapprochaient, doux et assassins, l'immensité plumeuse s'étendait derrière et deux bras forts passaient le long de mes épaules, j'inspirais. Ils ne serraient pas mon cou. Pas cette fois. Cette fois il me serrait moi et un menton se posait dans le creux de mon épaule. Je fermais les yeux en soupirant et penchais légèrement la tête sur le côté pour la poser contre celle de Warren. Sans le savoir il réécrivait mes visions de terreurs et ça me rassurait. Je me détendais et un nouveau frisson parcourait ma peau. La chaleur qui m'animait me quittait et c'est le froid qui me saisissait, l'air frais de la nuit venant frôler ma peau humide.
L'ange déployait ses ailes et je comprenais à cet instant pourquoi sa mère aimait quand il faisait ça autour d'elle. C'était rassurant, sécurisant. Apaisant. - « Hey... tu tombes pas tant que je suis là... compris ? » - J'esquissais un sourire. - Tu me rattraperais. - Et ça j'en étais certain. Il était rare que je sois aussi vulnérable, rare que je le laisse voir en tout cas. Et de fait, encore plus rare que ce soit moi qu'on tente de rassurer. Warren écopait de cette tâche ce soir et l'espace d'un instant je m'en voulais un peu. Je m'en voulais de lui faire subir ça, je m'en voulais de ce qui s'était passé. Mon pouvoir était puissant, vaste. J'avais dû altérer tout le bâtiment sans m'en rendre compte. J'espérais ne pas avoir fait trop de dégâts. A quoi je pensais aussi. Je n'étais pas mutant, qu'est-ce que je faisais là? Qu'est-ce que j'avais dans la tête? A part une Reyhan démoniaque qui me plongeait dans l’abîme infernale?
Je lâchais une main de mes jambes et venais la poser sur l'un des avants-bras de Warren. - Tu devrais retourner dormir, tu bosses demain. Moi je vais reste un peu ici. - J'allais me laisser bercer par la brise et le silence de la nuit, retrouver mes esprits, apaiser mes pensées. Laisser ma conscience retrouver sa paix et le sommeil me gagner. Warren ne bougeait pas, il ne répondait pas, il restait là avec moi sans même se justifier. Dans le silence j'esquissais un nouveau sourire et faisais une légère pression de ma tête contre la sienne. Une façon comme une autre de le remercier sans briser ce calme. Il repliait légèrement ses ailes au bout d'un moment et mes yeux pouvaient observer le domaine à nouveau, sans la terreur qui animait mes pensées auparavant. Je pouvais seulement laisser cette vue me calmer et c'est au bout de longues minutes, peut être des dizaines, que je faisais mine de bouger. Retour au lit et au sommeil. Enfin Warren s'endormait. Moi je veillais encore. J'avais beau être calmé, j'avais toujours du mal à retrouver le sommeil. Ça prendrait un peu de temps. Un peu. Et le matin serait vite sur nous.