ONCE MORE YOU OPEN THE DOOR AND YOU'RE HERE IN MY HEART
such a great white and empty room i am. such a mess of blood and shame.
C'était une putain de longue journée. Heather était fatiguée. Très, très fatiguée. Elle avait passé les dernières heures dans une clinique privée très onéreuse et aussi très réputée du centre-ville où on avait mis son pied dans un plâtre et s'était occupé des plaies sur son corps: son pouce cassé, les éraflures sur ses bras, les diverses plaies sur ses doigts. Elle avait l'impression d'être un petit champ de bataille, recroquevillée sur la banquette arrière du taxi que son père lui avait envoyé, les yeux perdus dans l'immensité new-yorkaise. Son état n'étant pas particulièrement grave ou dangereux, on l'avait poliment conviée à rentrer chez elle: quoiqu'immensément chère, la clinique accueillait toutes les victimes de l'hôpital qui s'était effondré et ils étaient plein à craquer. Quelques médicaments pour faire passer la douleur, un plâtre sur le pied et un autre sur le doigt, et on l'avait gentiment mise dehors. Son père n'avait pas pu se libérer de ses obligations politiques; sa soeur était injoignable. Elle était seule. Il n'y avait que Dylan. Dylan avait essayé de l'appeler cinq fois ces trois dernières heures et lui avait laissé quelques messages vaguement inquiets, avec un sentiment d'urgence grandissant dans chacun. Heather ne lui avait pas répondu. Trop fatiguée. Mais elle était heureuse qu'elle n'ait pas l'air blessée. Qu'elle ne soit pas hospitalisée. Qu'elle ne soit pas- -
Elle repoussa cette pensée. Dylan allait bien. Elle paya le taxi, le chauffeur l'aidant à claudiquer jusqu'au hall de l'immeuble dans lequel elle vivait. Elle n'arrêtait pas de repenser à l'accident de voiture, aussi, et à ce que cette Hansen-Wright allait raquer, tribunal ou non. Oh, Hansen-Wright. Elle revoyait son visage. Ses yeux perdus. Les plaies s'additionnant sur son visage. Et puis elle revoyait aussi l'oeil noir du revolver pointé sur sa tempe. Le calme absolu, le calme parfait qui l'avait prise quand la seule chose qu'elle désirait faire était se battre, se battre et tuer. Ses mains tremblaient rien que d'y penser. Elle s'y reprit à cinq fois pour glisser la clef de la porte dans la serrure, et fut surprise de voir que la porte était en fait ouverte. Un cambriolage, maintenant? Super. Elle eut une pensée pour son arme de service, qu'elle avait laissé au commissariat. Comment allait-elle expliquer ça au S.H.I.E.L.D.? Elle ne pouvait pas se permettre de relâcher sa garde et en se glissant silencieusement dans l'appartemment, glissa les différentes clefs de son porte-clefs entre ses doigts, poing américain improvisé. La lumière du couloir était allumée, ainsi que celle du salon. Pas très discret, comme cambrioleur. Une série de pas. Heather se raidit, prête à bondir sur- -
“ Dylan? ” Sa voix était plus faible qu'elle ne l'avait prévu. Plus enrouée aussi. Cassée. Brisée. Juste- juste fatiguée. Il y avait un sanglot presque inaudible dans cette voix, au fond de sa gorge. Et sans même qu'elle n'arrive à les contenir, les larmes se précipitent à la frontière de ses yeux, viennent souligner le céladon de ses prunelles, écraser un peu plus de son maquillage. Tous ses traits se froncent, soumis à une affliction plus grande que tout, alors qu'elle baisse le visage, soudainement honteuse, la douleur dans son pied revenant lui torpiller le coeur. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose mais se ravise. Devant elle, Dylan semble paralysée. Tant mieux. Elle ne sait pas si elle supporterait vraiment la douceur de son contact en cet instant précis. Alors elle se mord la lèvre et se détourne, contourne soigneusement sa collègue sans lui adresser un regard pour se rendre dans la cuisine où ses doigts fébriles et tremblants cherchent dans le frigo du jus d'orange après avoir laissé tomber son sac à main au sol dans un bruit sourd. Elle lui tourne le dos — elle n'a pas à la voir, à souffrir sa compassion, sa pitié, son inquiétude. Ça lui fait mal au coeur quand Dylan a ce visage, oui, juste ce visage, avec ses grands yeux et sa bouche ouverte surprise. Heather n'a pas envie qu'elle la voit dans cet état. Elle n'a pas envie d'être faible ou triste ou incapable devant elle. Et pourtant, c'est la seule personne dont elle peut supporter la présence en cet instant précis.
Elle boit au goulot de la bouteille deux, trois, dix longues gorgées, la referme, la remet dans le frigo et cherche frénétiquement quelque chose à grignoter. Et quand sa voix ne menace plus de la lâcher, de dire à peine audiblement: “ est-ce que- est-ce que tout va bien? tes... proches? ” fait-elle dans un mince filet de paroles, soudainement timide (là où elle ne l'a jamais été, surtout pas avec Dylan), soudainement mal à l'aise (jamais, jamais, jamais), soudainement triste (que fait-elle là? pourquoi elle la torture comme ça?). Elle se retourne, fait enfin face à sa meilleure amie. Sourit. Puis lui ouvre les bras, lentement, après avoir refermé le réfrigirateur presque vide. “ Ne fais pas cette tête, je vais bien. Viens là. ” Oh elle a toujours été bonne pour mentir.
Elle était avec Johnny quand tout est arrivé. Ils jouaient tranquillement à la console dans le grand salon du Baxter Building et elle était en train de lui foutre une bonne raclée quand Susan a débarqué dans le salon en trombe, suivie de Reed et Ben. À la mine grave de la femme invisible, Dylan a compris qu'elle ne devait pas protester quand Ben a débranché la PS4 sans prévenir pour qu'ils puissent voir les informations en direct. La hackeuse s'est retrouvée avec sa manette dans les mains, devant des images de la ville de New-York, en proie au chaos le plus total. Ils avaient bien entendu des bruits dehors, mais trop plongés dans leur jeu, Johnny et elle n'avaient même pas compris que quelque chose était en train de se passer. Elle a échangé un regard avec son meilleur ami, un peu triste et un peu grave. Les quatre fantastiques ont ensuite presque sauté dans leurs costumes et en moins de temps qu'il faut pour le dire, ils étaient dehors, et elle était là, seule dans le grand salon commun du groupe de super-héros, démunie. Elle a fini, au bout de quelques longues minutes devant l'écran de la télévision, par s'installer sur l'un des ordinateurs de Johnny, comme elle l'avait fait déjà plusieurs fois auparavant, et par se mettre en contact avec son meilleur ami pour lui donner des informations en temps réel et le guider. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était déjà ça. Puis au bout de vingt minutes, une fois le choc initial passé, elle a un peu réfléchi. Le centre commercial, l'hôpital, et le poste de police. Heather. Heather était partie plus tôt dans la journée. Après s'être retrouvée dans un accident, elle avait envoyé un sms à Dylan pour lui dire qu'elle serait en retard, qu'elle était au poste de police en train de se friter avec une pauvre idiote qui lui était rentrée dedans. Alors là, Dylan a commencé à paniquer. Elle a balancé l'oreillette sur la table et est retournée devant la télé. Elle a vu l'hélicoptère qui survolait Franklin Station, l'énorme brèche qui s'était creusée en plein milieu de bâtiment. Et elle a pensé : Heather. Son coeur s'est mis à battre la chamade et elle a choppé son portable.
Elle a appelé une fois, deux fois, dix fois peut-être, elle ne se souvient plus vraiment. Mais le portable de la blonde a continué de sonner dans le vide, et Dylan a entendu tant de fois le début de son répondeur qu'elle s'en est donné la migraine. Elle s'est assise sur le canapé, la tête dans les mains. Puis s'est relevée, et a fait les cent pas. Puis elle s'est rassise. Puis elle s'est relevée. Cette danse étrange a duré près d'une heure, ponctuée encore et encore de la voix d'Heather sur le répondeur. Dylan a laissé quelques messages, essayant de ne pas avoir l'air aussi paniquée dans sa voix qu'elle ne l'était dans la réalité. Mais Heather n'a pas répondu. Le silence est devenu pire que tout. La brune a essayé de se calmer, de cesser de se faire du souci. Mais elle savait que Heather n'était pas la seule dans ces attentats, et plus les minutes ont passé, plus il lui a été difficile de gérer son angoisse. La nouvelle de l'attentat dans l'église, ou bon nombre d'agents du Shield étaient réunis pour les obsèques d'un des leurs, lui a foutu un nouveau coup à la poitrine. Et c'est justement en pensant à ses collègues qu'elle s'est dit qu'elle devait se prendre en main. Se laisser complètement noyer par l'angoisse, ce n'était pas quelque chose qu'on lui avait appris à l'académie, ce n'était pas digne d'un agent. Alors elle a respiré et s'est recollée devant l'ordinateur, reprenant sa communication avec Johnny. Heather allait bien. Elle devait aller bien. Elle n'avait juste pas eu le temps de lui répondre. Il fallait qu'elle fasse son devoir. Elle a passé encore une heure, passant de la tablette au smartphone, du smartphone à l'ordinateur, à essayer de donner des indications précises. Johnny a bien senti que quelque chose avait changé dans sa voix, mais il n'a pas posé de questions. Ce n'était pas le moment. Elle n'a quitté le Baxter Building que quand son meilleur ami lui a annoncé qu'ils rentraient. Il n'avait plus besoin de lui, tout avait été maîtrisé. Maintenant il allait falloir faire le bilan.
Dylan a pris ses affaires sans demander son reste et a commencé par filer comme une tarée vers les ruines de la station de police. Le périmètre avait déjà été bouclé, et elle n'a malheureusement pas pu voir grand-chose. Mais elle a eu une information : tous les blessés avaient été envoyés dans différents hôpitaux, et les bien portants, après être passés par une cellule psychologique installée en urgence, avaient eu le droit de rentrer chez eux. Bien sûr, elle a essayé d'appeler les différents hôpitaux encore debout de la capitale. Mais le réseau était si bouché qu'elle n'a pas pu avoir les informations qu'elle souhaitait. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire : filer chez Heather. Et c'est ce qu'elle a fait. L'adrénaline lui a même permis de s'infiltrer comme une vraie espionne chez la blonde, mais elle n'a trouvé personne dans l'appartement, même après avoir fouillé chaque pièce. Alors elle a attendu, encore, encore, en faisant les cent pas.
Quand elle entend du bruit du côté de la porte, elle a l'impression d'avoir attendu des heures. Elle se précipite vers l'entrée, pour découvrir Heather avec une mine affreuse qui entre dans l'appartement. Elle dévisage la blonde, les cernes sous ses yeux, sa mine affreuse. Elle ne va pas bien du tout. Dylan a envie de la serrer dans ses bras, mais au lieu de ça, elle reste là, debout dans l'entrée face à Heather. Elle est vivante, elle est bel et bien vivante. La blonde ne dit rien et file dans la cuisine. Dylan ne peut que baisser les yeux sur le plancher, ses yeux soudainement humides. Elle ressent comme un petit chagrin malgré elle. Un petit coup dans la poitrine. Elle aurait aimé pouvoir sauter dans les bras de la jeune femme sans la moindre hésitation, elle aurait aimé pouvoir lui dire à quel point elle a été inquiète toute la journée. Mais elle ne peut pas. C'est déjà peut-être trop d'être venue ici. Heather aurait peut-être préféré qu'elle ne vienne pas. Elle n'en sait rien. Son amante reste un mystère. « est-ce que- est-ce que tout va bien? tes... proches? » fait la voix d'Heather dans la cuisine. Dylan avance un peu, et se dirige d'un pas un peu hésitant vers l'îlot central. Quelque chose lui fait mal dans la voix d'Heather. Il s'est passé quelque chose, aujourd'hui. La brune acquiesce, avec un léger sourire, mais ne dit toujours rien. « Ne fais pas cette tête, je vais bien. Viens là. » Les bras de la jeune femme sont ouverts, et Dylan craque plus vite que son ombre. Elle enroule ses bras autour de la taille de la blonde et se cache dans ses cheveux clairs. Elle la serre fort contre elle, comme si elle pouvait fondre et lui échapper en une seconde. Elle reste comme ça pendant une bonne longue minute, en ne disant rien, cherchant à calmer sa respiration. Quand elle lâche sa collègue, elle a encore du mal à la regarder dans les yeux. Elle a comme l'impression d'avoir fait quelque chose de mal en venant ici. Et pourtant. Ça lui semble si right. Elle n'a envie d'être nulle part ailleurs. « Désolée. » Le mot est sorti tout seul. Elle est désolée pour beaucoup de choses. Ce qui est arrivé aujourd'hui à Heather, ce monde merdique, tout. « Je ne voulais pas t'harceler, c'est juste que... » Ses yeux se lèvent, et rencontrent ceux, bleus, de la jeune femme. Elle ne finit pas sa phrase. Mais tout est assez évident. Elle se sent mal. « Hum, tu as vu des médecins ? » La question est complètement nulle, mais elle sert surtout à noyer le poisson. « Tu es blessée ? » Elle ne sait pas quelles questions elle peut poser sans rappeler à Heather les images terribles de la journée. « Tu veux manger quelque chose ? »
ONCE MORE YOU OPEN THE DOOR AND YOU'RE HERE IN MY HEART
such a great white and empty room i am. such a mess of blood and shame.
Heather voit toutes les expressions jouer sur le visage de Dylan: doute, quelque chose comme de la peur, hésitation et enfin soulagement quand la blonde lui ouvre les bras. En moins de temps qu'il faut pour le dire, Dylan est dans ses bras et la serre contre elle et Heather niche machinalement son nez dans son cou. Ça lui fait bizarre, le fait que Dylan soit si plus grande qu'elle, mais ça la réconforte un peu aussi: les bras passés autour de son cou, son visage profondément enfoui contre sa peau, les bras de Dylan autour d'elle, Heather se sent juste bien et un léger soupir de soulagement de contentement s'échappe de ses poumons. Elle mentirait en disant qu'elle n'a jamais pensé à embrasser ou câliner Dylan depuis la nuit qu'elles ont passé ensemble; qu'elle la considère seulement d'une manière platonique. Oui, ce serait des mensonges. Mais dans ses bras, en cet instant précis, Heather pense à toute autre chose. Elle a juste besoin de Dylan, son amie. Dylan, sa collègue. Dylan sa meilleure amie, qui la soutient malgré tout, Dylan qui l'a appelée et lui a envoyé plein de textos, Dylan qui s'est introduite chez elle pour vérifier qu'elle va bien. Dylan. Elle la relâche au bout d'un ton infini (ou infiniment court? Heather ne sait plus) et Heather la laisse s'éloigner avec regret. Elle garde un instant ses mains sur ses épaules, à la base de son cou, avant de les laisser retomber en baissant les yeux. Retour à la normale. « Désolée, » dit Dylan au moment où Heather s'apprête à dire la même chose. Fronçant les sourcils, la blonde relève les yeux vers elle sans comprendre. « Je ne voulais pas t'harceler, c'est juste que... » Dylan relève les yeux vers elle et Heather lui présente toujours un visage surpris, presque choqué. Incompréhensif et confus au plus haut point. Cette fille est un mystère. Un joli mystère au visage d'ange et au corps de rêve, mais un mystère tout de même. À chaque fois qu'Heather pense l'avoir comprise — elle est très forte pour comprendre les gens —, Dylan la surprend avec une autre facette, avec une réplique, avec un baiser, avec un sourire.
« Hum, tu as vu des médecins ? Tu es blessée ? Tu veux manger quelque chose ? » assène-t-elle ensuite alors qu'Heather retrouve enfin la force de parler. La blonde soupire légèrement et avant que sa collègue ait eu le temps de s'enfuir, elle lève la main et la dépose sur sa joue. C'est un geste tendre, et simple. Juste sa paume qui épouse parfaitement la forme de sa joue, qui l'incite à la regarder dans les yeux. Son pouce qui caresse sa pommette. (Mémoire musculaire. Elle repense à son visage après l'amour. Pendant l'amour.) “ Tu t'inquiètes trop, Blackstone. N'importe quoi, lâche Heather dans un souffle, en laissant retomber sa main. Je suis contente que tu sois là. Tu vois bien que personne se bouscule vraiment au portillon de toutes façons et je ne sais pas si je supporterai la solitude dans ces conditions... ” Sa voix est plus triste que prévue. Plus tendue aussi. La douleur est omniprésente: dans sa jambe, ses doigts, ses côtes, tout son corps irradie d douleur mais ses pensées sont tournées ailleurs. Elles sont tournées vers Dylan mais elles sont surtout tournées vers Hansen-Wright et son visage tuméfié. Elles sont tournées vers le commissariat et son désir de mourir, son désir de se suicider, son désir de tuer tout le monde. À nouveau, les larmes se précipitent à la lisière de ses yeux et elle se détourne brusquement de Dylan pour s'approcher d'une des armoires de la cuisine. “ Ça fait longtemps que tu attends? Je vais nous préparer du thé. Je crois qu'il me reste quelques Pop-Tarts au chocolat dans l'armoire derrière toi est-ce que tu peux- - ” Sans qu'elle ne l'ait entendue, Dylan s'est glissée dans son dos et a glissé à nouveau ses bras autour de sa taille.
Ça lui fait du bien, quand Dylan prend les choses en main. Ça la libère d'un poids et ça la réconforte dans l'idée qu'elle ne la déteste pas autant. Qu'elle est pas là juste pour son joli minois ou pour le sexe ou juste pour dire qu'elle est pote avec une autre lesbienne ou un truc du genre — ça fait longtemps qu'Heather a décidé que les femmes étaient des mystères incompréhensibles. Et ça lui fait du bien, quand Dylan la serre contre elle à nouveau, car elle a besoin de ça et elle se laisse aller son étreinte, glisse même une main sur celle de Dylan qui s'est nouée autour de sa taille. Elle ferme les yeux et malgré elle, les larmes coulent, dévalent sur ses joues. Elle se sent stupide, jeune, petite et fragile mais ce n'est pas si grave, dans les bras de Dylan. Rien ne semble vraiment grave. “ J'ai failli tuer quelqu'un aujourd'hui, ” chuchote-t-elle et sa voix est étonnament calme et composée. Évidemment, c'est à ce moment là que les sanglots décident de pointer le bout de leur nez. Incontrôlables. Douloureux. Ils soulèvent sa cage thoracique et son corps un peu fragile et elle a l'impression qu'un grand froid cruel s'empare d'elle quand elle sent les bras de Dylan la lâcher. Oh, elle doit la trouver dégoûtant maintenant. Elle doit être horrible, ses traits déformés par la douleur et la peine, et sa bouche pleine d'horreurs amères... mais Dylan s'est séparée d'elle pour mieux la reprendre dans ses bras, la faisant tourner avec douceur pour qu'elles se fassent face, jusqu'à l'attirer à nouveau contre elle. Heather niche à nouveau son nez dans son cou, s'aggripe aux épaules de la jeune femme comme si elle n'allait jamais la laisser partir. Elle aimerait ne jamais la laisser partir. “ Je- j'en avais vraiment- vraiment envie, murmure-t-elle contre sa peau, les sanglots déformant affreusement ses mots. Je voulais- je voulais qu'elle meure et aussi je- je voulais mourir. Je voulais mourir. ” Les sanglots se calment peu à peu, comme si la froideur de son propos parvenait enfin à faire disparaître le feu de ses larmes. “ Je pensais à rien je- je voulais juste mourir et- - ” Elle ferme brusquement les yeux, se serrant encore plus contre Dylan. “ Il y avait un mutant qui- qui soumettait tout le monde à sa volonté et il m'a dit de me tuer et pendant un instant ça- j'avais l'impression que- c'était la meilleure chose à faire. La seule chose à faire. ” Quelque chose explose dans sa poitrine. “ Je voudrais qu'ils meurent tous, murmure-t-elle le plus doucement possible contre la peau de Dylan, et elle sait qu'elle a tort, et elle sait que ce n'est que la douleur, le choc, la peur qui parlent, mais elle le dit quand même. J'ai- j'ai si peur, Dylan, ” gémit-elle, sans pouvoir s'en empêcher, et elle se déteste pour cela.
Elle espère que Heather ne lui en veut pas. Qu'elle ne la jugera pas. Qu'elle ne la rejettera pas. Elle sait que ce n'est pas un comportement de collègue, de faire ça. Ni un comportement d'amie, parce qu'elles n'ont pas une amitié assez profonde pour qu'elle soit attachée à elle au point de faire ça. Elle sait très bien que c'est autre chose, mais balaie cette idée flippante immédiatement. Elle n'a pas le droit de penser à ça. Pas maintenant. La main de la blonde vient trouver son visage et Dylan baisse les yeux au sol. Le contact lui provoque une petite décharge électrique. Après toute la tension qu'elle a accumulée au cours de la journée, ce n'est pas si surprenant, n'est-ce pas ? « Tu t'inquiètes trop, Blackstone. N'importe quoi » Elle retire sa main, un peu trop vite au goût de Dylan. « Je suis contente que tu sois là. Tu vois bien que personne se bouscule vraiment au portillon de toutes façon et je ne sais pas si je supporterai la solitude dans ces conditions... » Son cœur s'allège légèrement. Même si le constat qu'Heather vient de faire ne lui plaît pas particulièrement. Elle n'avait pas compris l'ampleur de sa solitude avant d'entendre ça. Sa voix est presque triste. Dylan a l'impression qu'elle laisse un peu tomber cette carapace qu'elle porte sans cesse. Qu'il y a une brèche devant elle pour comprendre la véritable Heather. La blonde a des larmes aux bord des yeux, et ça bouleverse complètement la hackeuse de la voir comme ça. Elle se détourne, comme si elle espérait que Dylan n'allait pas voir. La brune esquisse un geste vers elle tandis qu'elle se dirige vers la cuisine. Mais Heather est trop rapide. « Ça fait longtemps que tu attends? Je vais nous préparer du thé. Je crois qu'il me reste quelques Pop-Tarts au chocolat dans l'armoire derrière toi est-ce que tu peux- - » N'écoutant que son instinct, et son soulagement extrême de voir la blonde en vie, devant elle, Dylan s'est approchée et a passé ses bras autour de la taille d'Heather. Elle a laissé de côté toutes les peurs, tout. Elle veut juste faire comprendre à la blonde à quel point elle est heureuse d'être avec elle. À quel point elle n'est pas seule. À quel point elle tient à elle. C'est peut être une mauvaise idée, peut-être qu'Heather va la repousser. Mais Dylan n'a pas le cœur à se retenir. Elle a passé la journée dans un état pas possible. Elle a passé la journée à penser à elle. Elle ne peut décidément pas rester de marbre, surtout quand Heather semble si… broken.
Elle la serre contre elle. Se perd dans ses cheveux blonds. Elle sent le ventre d'Heather se contracter, et ses épaules qui bougent légèrement la trahissent. Elle pleure. Alors Dylan la serre un peu plus fort, et la main de la blonde vient trouver la sienne. « J'ai failli tuer quelqu'un aujourd'hui, » Les sanglots reprennent, et Dylan lâche Heather pour la forcer à lui faire face. Elle rencontre à peine ses yeux avant de la serrer de nouveau contre elle. « Je- j'en avais vraiment- vraiment envie, » ajoute-t-elle. « Je voulais- je voulais qu'elle meure et aussi je- je voulais mourir. Je voulais mourir. » Le coeur de Dylan se brise un peu plus en entendant tout ça. La journée de Heather a finalement été bien pire que ce qu'elle a pu seulement imaginer. Elle voulait mourir. La phrase résonne dans sa tête, et ça fait mal. « Je pensais à rien je- je voulais juste mourir et- - » La brune tourne ses lèvres vers les cheveux d'Heather et ferme les yeux. « Il y avait un mutant qui- qui soumettait tout le monde à sa volonté et il m'a dit de me tuer et pendant un instant ça- j'avais l'impression que- c'était la meilleure chose à faire. La seule chose à faire. » Dylan serre les dents. Elle a envie d'aller casser des gueules. « Je voudrais qu'ils meurent tous, » Dylan secoue la tête. « J'ai- j'ai si peur, Dylan, » De nouveau, la brune sent son cœur se serrer. « I know. » Elle se détache un peu d'elle, et dépose un baiser sur sa temps. Puis deux, puis trois. Elle ne dit rien, la garde contre elle encore pendant de longues secondes. « But you're safe now. » Elle lui donne un dernier baiser et sans lâche sa main, ouvre l'armoire dans laquelle elle trouve les fameuses Pop-Tarts. Elle met la bouilloire en marche, ses doigts toujours entrelacés avec ceux d'Heather. « I'm sorry all this happened. » Elle pince les lèvres. Puis elle lui fait un nouveau bisou sur la joue. Elle ne peut pas s'en empêcher. Mais elle a quand même peur qu'Heather déteste ces soudaines et évidentes preuves d'affection. « Do you want to sleep ? Because if you don't.. I think you deserved to spend a nice night. I could order pizzas. We could watch a movie. And by movie I mean.. High School Musical, of course. » Elle lui lance un petit clin d'oeil, cherchant à alléger l'atmosphère pesante de l'appartement. Elle allume la lumière de la cuisine, pour ajouter un peu de chaleur à la pièce. Peu importe ce qu'il faudra, elle arrachera un sourire à Heather ce soir. Que cette journée ne soit pas synonyme que de mauvais souvenirs.
ONCE MORE YOU OPEN THE DOOR AND YOU'RE HERE IN MY HEART
such a great white and empty room i am. such a mess of blood and shame.
« I know. » Et ça, juste ça, ça la rassure. Elle se dit: elle sait. Elle comprend. Elle me comprend. Et ça, elle en a toujours douté, Heather. Elle se pensait trop différente, trop déviante, trop étrange dans le monde manichéen de ses parents; elle ne s'est jamais réellement sentie à sa place, sauf à la CIA, sauf au S.H.I.E.L.D., sauf dans les bras de Dylan. Mais Dylan... Dylan est une petite chose délicate et fragile, trop belle et trop innocente d'une certaine manière. À rester auprès de Heather, elle va se gâter, comme une fleur mal entretenue, et Heather ne veut pas de ça pour elle. Surtout à la lumière des ordres qu'elle a reçu de la part de Richardson... à cette pensée, des larmes coulent encore silencieusement sur ses joues et machinalement, elle se serre encore plus contre Dylan. Elle a envie de lui dire qu'elle est désolée, oh, si désolée, désolée, désolée, pour tout ce qu'elle a fait, tout ce qu'elle va faire, tout ce qu'elle doit faire. « But you're safe now. » Oui, dans ses bras, elle est en sécurité. Dylan l'écarte un peu d'elle et Heather — bien malgré elle — pousse un petit bruit de désespoir en espérant lui cacher son visage ravagé de larmes et de chagrin, contre son épaule. Dylan lui embrasse la tempe, lui caresse les cheveux. Heather a envie de fondre à son contact. Elle a envie d'embrasser ses lèvres mais elle sait qu'elle n'a pas le droit — il y a l'ombre d'Hélène qui traîne sur elle, sur elles, ombre terrible qu'elle déteste et qui lui pince le coeur bien malgré elle.
Elle garde sa main dans la sienne, se mettant en action dans la cuisine en silence et Heather la laisse faire, déconfite, faible, vidée de toutes ses forces. « I'm sorry all this happened. » I'm sorry for what is about to happen, a envie de lui dire Heather, mais elle se retient. Elle plante finalement un baiser électrique sur sa joue. Heather ne s'était pas rendue compte que trahir le S.H.I.E.L.D., c'était aussi trahir Sharon. Aussi trahir Dylan. Dylan qui l'embrasse et lui sourit et veut qu'elle aille mieux. Dylan qui lui plaît, Dylan qu'elle aime, d'une manière ou d'une autre. Dylan qu'elle désire et Dylan qu'elle jalouse. Dylan. « Do you want to sleep ? Because if you don't.. I think you deserved to spend a nice night. I could order pizzas. We could watch a movie. And by movie I mean.. High School Musical, of course. » Et lentement, Heather sourit, bien malgré elle, même si elle a pas du tout envie de sourire, parce que Dylan la connait bien, trop, et que c'est encore pire de penser aux mots trahison et défection dans ces circonstances. “ I think I'd rather watch the news, if you don't mind, dit-elle doucement, avec un petit sourire penaud. You might be tired of it already but- - I want to know what's happening. ” Elle a toujours un sourire triste sur les lèvres mais lentement, glisse un bras autour de la taille de Dylan pour la rapprocher d'elle, machinalement, sans vraiment y penser — ces petits gestes ne leur sont pas étrangers. Elles sont amies, proches, à vrai dire, Heather considère que Dylan est sa meilleure amie depuis que Darcy a déménagé et s'est un peu éloignée d'elle. Sa meilleure amie. Pourtant, en cet instant précis, chaque contact semble électrique à Heather. Elle a l'impression que chaque contact sera le dernier alors elle profite, impunément, du parfum de son shampoing, de la sensation de son corps près du sien.
“ But we can have pizza. You know I can't say no to pizza. Can you get me a pineapple one? ” lui souffle-t-elle dans les cheveux, presque volontairement sensuelle dans ses lèvres qui effleurent son oreille, avant de doucement se détacher pour aller mettre les Pop-Tarts dans le grille-pain. Elle serre deux tasses de thé, essuie discrètement ses larmes dans sa manche quand elle pense que Dylan ne la regarde pas, et met le tout sur un plateau. Dylan raccroche le téléphone après avoir commandé, Heather lui adresse un petit sourire. “ If the news get too depressing, I might nap on your shoulder tho', ” rajoute-t-elle avec un air d'évidence, avant de la contourner pour aller dans le salon. Elles prennent place, un peu mal à l'aise au début parce que Heather a peur, parce qu'elle hésite, parce qu'elle menace encore de pleurer à chaque fois que Dylan la regarde d'un air gentil. Mais quand les pizzas arrivent, leurs jambes sont entremêlées sur le canapé, leurs téléphones éteints, la télévision la seule source de lumière et de son dans la petite pièce; pourtant, c'est presque agréable, le confort avec lequel elles évoluent l'une avec l'autre, quand Dylan lui passe la télécommande Heather lui demande ou quand Heather lui enfonce un doigt de pied dans la cuisse pour la réveiller quand Dylan fait mine de s'endormir. Mais finalement, le ventre bien rempli et les yeux fixés sur l'écran, leurs paupières finissent par se fermer d'elles-mêmes et pour sa part, Heather plonge dans un sommeil sans rêve, réparateur.
Jusqu'au moment où elle les rouvre. Un changement dans l'air, un battement de coeur qui se rate, une perturbation dans la pièce; en tout cas, elle se réveille dans une pièce douloureusement silencieuse si ce n'est pour sa respiration sifflante et celle apaisante de Dylan, qui s'est endormie près d'elle sur l'imposant canapé, son visage dans le creux du sien — à moins que ce soit elle qui ait niché sa tête près d'elle? Elle n'est pas sûre d'avoir envie de savoir. La télévision ronronne toujours discrètement, en mode silencieux. Il est presque minuit et pourtant, les news flash se succèdent, les présentateurs, les spécialistes. Les mêmes images tournent en boucle. Rien de nouveau. Beaucoup de questions, de destruction, de morts. Heather voit même son père sur l'écran. Elle a envie de l'appeler et de lui envoyer un message mais ne le fait pas. Elle n'a pas envie de bouger et de réveiller Dylan. Alors ses yeux tombent sur elle. Elle dort encore. Est-elle réellement prête à la trahir? À partir? À devenir son ennemie? Non. Non, et ce n'est pas seulement à cause du fait qu'elle aime beaucoup Dylan. Mais le problème, c'est qu'elle n'a pas le choix. Elle a reçu une autre mission après celle de Richardson, une autre mission où on lui a fait comprendre qu'ils aideront son père à accéder à la Maison Blanche, que les Bolton seront protégés, avec plus de pouvoir et d'argent qu'ils aient jamais pu rêver. On lui a fait comprendre que si elle n'exécute pas cette mission, ce sera elle et ses proches qui seront exécutés. Elle n'est qu'un pion sur un échiquier qui la dépasse. Pourtant elle ne pense qu'à sa reine, qui dort silencieusement à côté d'elle, si proche et pourtant si éloignée d'une certaine manière. Ses lèvres se posent sur sa joue comme une évidence. Un besoin irrépressible. Elle a envie de graver la sensation de sa peau contre la sienne, son parfum, son odeur, son visage, sa peau, sa bouche, ses cheveux, ses yeux. Elle n'a jamais envie d'oublier Dylan et pourtant, elle le doit. Au deuxième baiser sur sa pommette, les paupières de Dylan papillonne et elle darde sur elle un regard confus, plein de questions auxquelles Heather ne saura jamais répondre. Elle agit sans même réfléchir, glisse sa main sur la joue de la jeune femme et dépose ses lèvres sur les siennes — pas un baiser amical, loin de là. Un baiser brûlant, avide, long, lent, luxurieux, un peu désespéré, très triste. Un baiser sans futur ni lendemain. “ I'm sorry, ” dit-elle en se détachant, son front collé contre le sien le temps d'une seconde, les yeux fermés. Son ton dit clairement qu'elle n'est pas désolée du tout; et pourtant sa voix chevrote, comme si elle allait se mettre à pleurer à nouveau. Elle détache son front, enlève sa main, ouvre les yeux et les détourne en repoussant légèrement Dylan sur l'autre côté du canapé pour se redresser, s'asseoir, se lever. “ I'm sorry, ” lâche-t-elle encore une fois, soudainement tremblante, quand elle pense à ce qu'elle a vécu, ce qu'elles ont vécu, ce qui va arriver ensuite et ce qui va être détruit, pour toujours. Elle prend le plateau de tasses vides, les cartons de pizza vides, l'assiette de Pop-Tarts vide, se relève et s'en va dans la cuisine pour laver tout ça, le coeur lourd de vide.
« I think I'd rather watch the news, if you don't mind, » fait Heather. Dylan est légèrement surprise, mais ne dit rien. « You might be tired of it already but- - I want to know what's happening. » Finalement, la brune acquiesce, et murmure un petit Alright. Heather a passé la journée à l'hôpital, elle n'a sûrement pas tous les détails de ce qui est arrivé, et Dylan comprend tout à fait ce besoin d'avoir des réponses, d'avoir tous les éléments. Après tout, elle a passé la journée devant les écrans, les yeux rivés sur son portable, afin de ne pas laisser passer la moindre information. Heather passe un bras autour de sa taille et la brune pose sa main sur son épaule. « But we can have pizza. You know I can't say no to pizza. Can you get me a pineapple one? » Elle a murmuré ces mots à quelques centimètres de son oreille, et Dylan sourit quand la blonde finit par la lâcher pour aller s'occuper des Pop-Tarts. Elle espère secrètement que leurs pizzerias préférées n'ont pas fermé leurs portes à cause des attentats. Ce serait presque logique… Ils disent que le bilan s'élève désormais à un peu plus de deux mille morts… Mais elle prend quand même son téléphone. Tente un numéro. Puis un deuxième. Ce n'est qu'au bout du troisième qu'on lui répond. L'homme au bout du fil a de la tristesse dans la voix, comme tout le monde, touché de près ou de loin. Il prend sa commande avec lenteur, visiblement incapable d'être parfaitement concentré sur sa tâche. Elle ne dit rien, elle comprend. Tout du long, elle ne quitte pas vraiment Heather des yeux. Comme si d'une seconde à l'autre, elle allait s'écrouler, disparaître. « If the news get too depressing, I might nap on your shoulder tho', » fait la blonde quand elle raccroche, une petite boule dans la gorge. Elle lui sourit légèrement et hausse les sourcils. « I guess I won't have the choice, then. » Les news seront tristes, qu'elle le veuille ou non. Elles vont s'installer toutes les deux sur le canapé, en attendant les pizzas, qui arrivent environ quinze minutes plus tard, alors qu'elles ont toutes les deux les yeux sur l'écran de la télévision, qui habille l'appartement d'une lumière un peu froide. Dylan n'aime pas trop ça, mais Heather est là, elles sont là toutes les deux, elles sont ensemble. C'est ce qui importe le plus, au fond. Et puis elles sont si proches l'une de l'autre qu'elle se sent bien, quoi qu'il arrive.
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Quand elle se réveille, il y a les lèvres d'Heather sur sa joue. Ça agit comme un seau d'eau froide, et en même temps, c'est extrêmement réconfortant. Étrange, ce paradoxe. Elle pose ses yeux sur le visage de la blonde, un peu surprise, un peu déconcerté par ce geste si intime. Après tout, depuis leur nuit ensemble, elles n'ont jamais partagé ce genre de relation. Oh, elles se sont frôlées plusieurs fois lorsqu'elles sortaient. Se sont fait de nombreuses blagues et ont partagé plusieurs repas en tête-à-tête… Mais jamais depuis le jour où elles ont dépassé la ligne, elle n'a eu de tels gestes. À tel point que Dylan a toujours eu l'impression que l'affection qu'elle ressentait pour la blonde n'allait que dans un sens. Au moment où ses lèvres cherchent à esquisser une question, Heather l'embrasse. C'est un baiser différent, quelque chose de plus impatient, de plus urgent. C'est bizarre. Dylan commence à répondre à son baiser, bien sûr, mais un peu trop vite, les lèvres de la blonde ont quitté les siennes et la jeune femme reste frustrée par ce baiser qui n'a rien à voir avec ce qu'elle a déjà vécu ou ce qu'elle a pu imaginer. On dirait presque que Heather pense que c'est la dernière fois, à en juger l'expression sur son visage. Dylan fronce les sourcils quand la blonde articule un petit « I'm sorry, » de sa voix chevrotante et se lève du canapé. Dylan se rassure un instant en se disant qu'après le choc qu'Heather vient de connaître, au milieu des attentats, il est normal qu'elle soit étrange, comme ça. Peut-être même que ce baiser n'a pas autant de sens qu'elle aimerait. Peut-être qu'Heather avait juste besoin de quelqu'un, et pas forcément d'elle. C'est un peu le sentiment que la brune a toujours. Qu'elle n'est pas assez pour elle. Et c'est d'ailleurs pour ça qu'elle n'a jamais osé lui demander autre chose que cette relation sans étiquette qu'elles partagent. Cette espèce d'amitié amoureuse qu'elle ne partage avec personne d'autre. « I'm sorry, » répète Heather au moment où Dylan commence elle aussi à se redresser, toujours un peu décontenancée par ce qui vient de se passer. La blonde se rue dans la cuisine avec les cartons de pizza et la vaisselle dans un ouragan, laissant Dylan complètement à côté de la plaque, assise sur le canapé, avec la télé qui joue toujours un concerto malheureux en face d'elle. Qu'est-ce qu'elle est censée faire ? Son premier instinct est de se dire d'aller la rejoindre dans la cuisine. Mais elle se dit : et si elle n'avait pas envie ? Ce baiser avait quelque chose de si définitif, de si triste que Dylan se demande si ce qu'Heather veut au fond, c'est qu'elle s'en aille. Après tout, venir ici était déjà un acte relativement étrange pour une amie. Peut-être qu'Heather veut lui dire au revoir. Peut-être qu'Heather ne sait pas où elle en est, comme Dylan qui triture ses ongles, assise sur le canapé avec le cœur un peu trop rapide. oh et puis merde Elle se lève et rejoint en ayant l'air le plus nonchalant possible la blonde dans la cuisine. Elle est en train de faire la vaisselle. Dylan attrape l'un des torchons et commence à essuyer les couverts qu'elle a déjà lavés, dans le silence d'abord. Elle s'adosse au plan de travail, ne peut pas quitter Heather des yeux quand bien même elle le voudrait. « what was that for? » lance-t-elle d'abord, un poil de teasing dans la voix, même si une sorte de tristesse se laisse entendre. « is everything ok? » dit-elle ensuite, en se rapprochant d'Heather. Elle pose une main dans le bas de son dos et se poste à côté d'elle. Elle coince une de ses mèches blondes derrière son oreille du bout des doigts. « you can tell me anything. you know that, right? » Elle a le cœur qui se serre. Elle n'est pas sûre qu'elle fait bien de demander tout ça mais.. Heather doit savoir qu'elle est là, non ? Et si elle ne lui parle pas à elle… à qui ?
ONCE MORE YOU OPEN THE DOOR AND YOU'RE HERE IN MY HEART
such a great white and empty room i am. such a mess of blood and shame.
Sa meilleure amie. C'est des conneries, tout ça, et Heather le sait. Quand est-ce qu'elle est tombée amoureuse de Dylan? Elle ne sait pas et n'a pas envie de savoir. Elle ne s'est jamais permise d'y penser, à Dylan. Parce qu'elle a une copine, parce qu'elle est parfaite, parce que Heather est parfaitement satisfaite de leur amitié et parce qu'elle pense, Heather, qu'elle ne sait pas, ne peut pas s'accrocher à quiconque sans les ruiner, d'une manière ou d'une autre. À quand remonte la dernière fois qu'elle a eu une copine? Six mois: elles sont restées deux semaines ensemble avant qu'Heather pique une crise de jalousie pour rien, en sachant pertinemment que l'autre allait casser avec elle. Et avant ça? C'était il y a presque deux ans maintenant, elles sont restées cinq mois ensemble, un record, et sur la fin, Heather n'arrêtait pas de kamikazer leur relation, en ne répondant jamais à ses messages, en arrivant toujours en retard à leur rendez-vous, en faisant la tête sans rien expliquer, en faisant ceci, en faisant cela... Tout ça parce qu'elle avait peur, tout ça parce qu'elle a peur de toutes ces émotions qui refont surface à la frontière de sa peau quand ses lèvres jouent contre celles de Dylan et quand Dylan la regarde comme ça, avec ses grands yeux mordorés arrondis d'incompréhensif et de désir, et quand Dylan la suit dans la cuisine après un temps de pause et, sans un mot, l'aide à essuyer la vaisselle qu'elle est en train de faire. Ça la calme de compter, et ça la calme de ranger, nettoyer les choses. Elle prend chaque objet avec déférence et attention, sans se presser, passe l'éponge savonneuse dessus, puis sous l'eau, puis l'éponge à nouveau. C'est méthodique, c'est simple, ça relaxe un peu Heather qui, les doigts dans l'eau, essaie d'ignorer du mieux qu'elle peut la présence de Dylan dans la pièce, son regard inquiet qui coule sur elle, la manière qu'elle a de nettoyer les couverts et la manière qu'elle a de s'inquiéter pour elle quoiqu'il arrive. Heather aimerait être seule et elle aimerait aussi que Dylan la prenne dans ses bras pour lui dire que tout ira bien. Elle ne sait pas, elle ne sait plus ce qu'elle veut.
Ou peut-être qu'elle veut que ça: le silence. Le silence pour assourdir tout ce qui se passe autour d'elle, la ville de New York qui saigne et sa cheville qui lui fait mal, son coeur qui bat trop vite et trop fort dans sa poitrine et le regard de Dylan qui se glisse par intermittence vers elle. Elle ne veut que ça: le silence et le confort, la conscience que Dylan est là, sera là, ne l'abandonnera pas — vraiment? Oui, vraiment. C'est Heather qui va l'abandonner, mais je ne fais que suivre les ordres et Heather qui va la trahir, mais je n'ai pas le choix et Heather qui va faire éclater cette bulle de silence et de tranquillité mais je n'ai jamais voulu ça. (Vraiment?) « What was that for? » Heather ne répond pas. Continue de frotter l'assiette avec encore plus de vigueur, comme si enlever toute trace de saleté de cette foutue porcelaine pourra seulement enlever toute la saleté qu'elle a l'impression de trainer à sa suite partout où elle va. « Is everything ok? » Dylan est soudainement proche, presque trop proche, sa main chaude dans le bas de son dos, ses doigts dans ses cheveux et bien malgré elle, Heather se tourne vers elle et se confronte à son regard. « You can tell me anything. You know that, right? » Non, justement, non, non, non, archi-non, Dylan ne comprendra pas, personne ne comprendra, Heather elle-même n'y comprend rien à rien, à ses devoirs, ses droits, ses obligations et le reste. Elle aimerait juste que ce moment dure pour toujours: les yeux doux de Dylan sur elle, ses doigts qui effleurent toujours sa peau, sa proximité et son parfum et ce sentiment qui envahit la poitrine d'Heather, et la réchauffe.
“ I know, Dylan. Thank you. ” Il y a trois milliards de choses qu'elle a envie de dire, dans tous les sens et dans tous les ordres. Mais elle n'y arrive pas alors elle se tait, son visage se ferme et ses yeux se baissent, elle est incapable de soutenir son regard une seconde de plus. “ Y-you should just go home, Dylan. ” To your girlfriend. To your real friends. Et juste comme ça, Heather se détourne, comme si elle ne venait pas de l'embrasser, de lui dire adieu, de tracer une croix sur tout ce qui aurait pu se passer entre elles si seulement elle avait été moins lâche, moins faible, moins incapable. “ I'm sorry, ” lâche-t-elle néanmoins, lui tournant lâchement le dos, n'offrant que ça pour expliquer son geste, pour expliquer son futur geste, pour tout expliquer. Désolée de pas avoir été capable de comprendre et de te dire que je voulais plus de toi, de moi, de nous. Désolée de t'avoir avilie, contaminée, empoisonnée avec mon amitié: tu mérites de meilleures amies que ça. Désolée de t'avoir menti. Désolée de t'avoir aimée. Désolée de t'avoir embrassée. Désolée de te dire au revoir. C'est seulement quand Dylan part, apparemment surprise, incompréhensive et inquiète, que les larmes dévalent sur ses joues; elle n'a même pas la force de les effacer. Une petite voix lui dit que ça devait être fait et que c'est bien qu'elle l'ai fait. Quoi exactement? Heather ne sait pas; mais elle sait désormais qu'elle et Dylan, c'est une histoire finie et oubliée.