« No woman really wants a man to carry her off; she only wants him to want to do it. » - Elizabeth Peters.
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tarbucks, repère de foule, de mouvements, imprégné de l’odeur alléchante du café. Tendresse douce et berceuse savoureuse. Skylar n’avait encore rien commandé, assise à une table, le carnet à dessins devant elle, se couvrant peu à peu d’une silhouette masculine. Des traits nets et précis, une assurance dans le crayon. Elle aimait se faire oublier de la sorte, loin de son univers de héros, de mutants et de missions dangereuses. Les attentats répétés et actuels lui donnaient une sensation terrible d’impuissance, elle pour qui la mutation n’était qu’un stade supplémentaire dans l’évolution, elle qui avait vu la société au travers du regard bienveillant de la X-Mansion. Morsures intolérables dans l’idéalisme mourant. Masque sombre sur le visage dessiné, un Spider-Man qui prend forme. Suprême alléchant de héros sur papier. Est-ce qu’un seul d’entre eux avait une chance face à tout cela ? Face au chaos ? Elle aurait peut-être dû devenir une super-héroïne pour avoir la sensation d’être réellement efficace. Elle serait toujours à temps de le faire si rien ne tournait comme prévu. Sa journée était terminée et, pensive, elle en oubliait le défilé du temps. Elle en oubliait la réalité agitée autour d’elle.. jusqu’à ce qu’un visage un peu trop connu n’entre dans son champ de vision. Merde ! Le presque prince charmant à la légendaire maladresse, là, juste là où elle ne voulait pas qu’il soit, et avec ses cheveux roux, sa veste en cuir et son sac à main, il ne manquerait pas de la voir, de l’interpeller, elle le savait. Elle a certes cherché un instant une excuse, un quelque chose à prétexter pour fuir mais c’était perdu d’avance. Ce gars était impossible, il ne décollait jamais de son idée.
Un sourire gêné quand il s’approche. Elle a bêtement croisé son regard, elle ne peut pas prétendre qu’elle ne l’a pas remarqué, avec ses deux pieds gauches et sa détermination sans failles. Il va lui proposer un café, forcément, dans un Starbucks. Et elle n’allait tout de même pas lui dire qu’elle n’aimait pas ça, parce qu’il lui proposerait un thé, un cookie ou une autre ânerie pour se faire pardonner de cette fois où il a manqué la tuer en la renversant. Enfin il pense avoir manqué la tuer parce qu’il en faut plus que ça pour venir à bout de Sky. Ce serait mauvais pour sa carrière dans le cas contraire. Très mauvais. Et elle réalise qu’en fait, il est juste venu s’asseoir avec deux cafés tout prêts, naturellement, sans lui laisser une once de choix. Ca se trouve il ignore totalement ce qu’elle préfère et lui a pris un truc qui arracherait le gosier d’un alcoolique notoire. Pardon papa. Une petite moue boudeuse, elle croise les bras, se calant contre le dossier de la chaise, l’air de lui faire comprendre qu’il la prend en traitre. Elle est un peu trop gentille pour simplement l’envoyer brouter de l’herbe au bord de l’autoroute. Il est gentil, après tout. Il est mignon, enthousiaste, seulement il est aussi un peu charmeur et ça, Skylar ne sait absolument pas gérer.
« Mh. Salut. » Wah. Superbe entrée en matière ! Elle allait avoir la palme du discours de remerciements ! « T’es un peu entreprenant, non ? Je veux dire, si ça se trouve, je suis allergique à ce que tu as choisi. » N’était-ce pas un peu cruel de casser ainsi ses efforts bienveillants ? Ce garçon avait tout d’un malmené de la banalité, de ceux que personne ne remarque, à tort, et si c’est le cas, de ceux que l’on engueule ou bouscule pour un oui, pour un non. Il a ces petits défauts de normalité qui plaisent tant à la rousse, ces tracas quotidiens qui ne ressemblent en rien aux siens, parce qu’il est obligé de batailler pour son job, sa copine, être à l’heure au lieu de cogner contre des mégas-méchants, parce qu’il n’a pas une super-agilité, un super-sens ou un super-narcissisme. Il est cet univers mystérieux qui n’a finalement jamais été le sien : l’humanité lambda, grouillante et impuissante qui se noie dans de super-problèmes alors qu’elle n’a rien demandé. « Je te dois combien ? » Quoi ? Non mais la galanterie ou l’homme qui paye, c’est mort. Elle n’est pas le genre de fille qui laisse croire aux mecs qu’ils ont une chance. Elle ne peut pas. Qui supporterait une révélation du genre : pardon chéri, j’ai oublié de te dire, mon adn est couplé à celui d’un scorpion ! Brillante idée. Non vraiment, il ferait mieux de se tenir loin d’elle, très loin.
Une journée terminée. Une journée éprouvante. Une journée fatiguante. Une journée où il a traversé New-York de bout en bout. Demain, il aura des courbatures. Il en fait le pari. Il aura une démarche de cow-boy pendant plusieurs jours. Il aurait dû prendre le scooter. Il aurait dû anticiper un peu plus. Mais non. Il a préféré la liberté du vélo. Il a préféré sentir le vent frais sur son visage. Il a préféré le danger des frôlements des voitures. Ou plutôt, il n’a pas eu le choix. C’était soit le vélo, soit les pieds. Il a opté pour le vélo. Un jour, il devrait demander une camionnette. Si son supérieur accepte, cela équivaudrait à une promotion. En tout cas, pour lui. Il semble que la hiérarchie manque de confiance pour lui confier un véhicule à quatre roues. Par contre, ils lui font assez confiance pour revenir en vie chaque soir, après une journée sur deux roues. Paradoxal. A moins qu’ils essayent par tous les moyens de se débarrasser de lui et de transformer cela en un accident de la route. Une piste à creuser. Il abandonne son bolide - comprendre son vélo - dans le garage de l’entreprise. Il troque son uniforme et son casque de cycliste contre sa veste. Il est content de retrouver ses vêtements normaux. Bien loin de l’uniforme affreux des coursiers. Bien loin de l’équipement réglementaire pour tout cycliste. Il se sent plus à son aise. Il fait un signe à ses collègues. Ils se donnent rendez-vous demain. Même heure. Même endroit. La routine du travail. Seuls les lieux de livraison changent. Parfois, il peut passer ses journées dans Manhattan. D’autres jours, il lui arrive de s’aventurer dans les autres quartiers de New-York. Parfois, il se présente aux portes de particuliers. Souvent, ce sont auprès des agents d’accueil qu’il fait sa livraison. Un métier varié. Un métier différent chaque jour. Mais un métier qui ne l’épanouit pas particulièrement. Non, lui, il rêve d’un travail plus glorieux. D’un travail qui change la face du monde. D’un travail qui le motive et lui donne envie de s’impliquer. En tant que coursier, il ne peut pas s’investir dans beaucoup choses. Peut-être dans le respect des délais. Peut-être dans les relations avec les clients. Mais ce n’est pas le métier de coursier qui rend le monde meilleur. Avant de se lancer dans des projets pour sauver l’humanité, il a besoin de sa dose de café. Il a besoin de faire le plein d’énergie. Il a besoin de s’aérer l’esprit. Et peut-être qu’après, il ira parcourir les rues de la ville. Non pas pour livrer des enveloppes ou des colis. Plutôt pour trouver des super-héros en pleine action. Son passe-temps favori. Si ce n’est le seul.
C’est au Starbucks qu’il se rend. Un lieu toujours bondé, mais où il peut facilement avoir sa dose journalière de caféine. Automatiquement, il laisse son regard vagabonder dans la salle. En quête d’une table libre. En quête d’un endroit où poser son derrière. Plutôt que de trouver une table, ses yeux croisent ceux d’un visage familier. D’une jeune femme aux cheveux roux qui passe difficilement inaperçue dans la foule. Un sourire se loge sur ses lèvres. Ainsi, madame boit des cafés, mais refuse ses invitations. Il lui fait un signe de la main. Juste pour lui montrer qu’il est là. Juste pour souligner qu’ils sont encore au même endroit. Le geste est inutile. Elle l’a déjà vu. Son expression l’amuse. Son expression traduit sa surprise et sa gêne. Son expression est celle d’un animal pourchassé. Il devrait probablement arrêter de l’embêter. De la poursuivre dans ses moindres mouvements. D’insister pour rembourser sa dette de vie. Mais sa réticence et son caractère l’incitent à continuer. Dans le genre borné et tenace, on ne fait pas mieux que lui. Malheureusement pour elle. Elle a probablement l’habitude d’envoyer balader les hommes. Elle a sûrement l’habitude de se faire draguer de tous les côtés. Pourtant, ce doit être la première fois qu’elle tombe sur un coursier au comportement d’harceleur. Au comptoir, il demande deux cafés. Un cappuccino pour elle, un espresso pour lui. Elle a une tête à boire des cappuccinos. A moins qu’il ne se trompe totalement. Il sait seulement qu’elle est trop occupée. Qu’elle est aussi têtue que lui. Qu’elle est gênée à chaque fois qu’il se pointe. Il sait seulement qu’elle le repousse inlassablement. Et puis, il sait comment elle s’appelle. Skylar. Il se rappelle de son prénom. Il se rappelle de son regard quand il a failli lui foncer dedans. Il se rappelle de son expression effrayée. Il a dû lui faire une belle frayeur. De celle que l’on n’oublie pas. De celle qui nous marque. Peut-être même qu’il l’a traumatisée. Les deux gobelets entre les mains, il se retourne. Un instant, il se demande si elle n’en a pas profité pour fuir. Et puis non, elle est toujours là. Assise à sa table. De nouveau, un sourire en coin sur les lèvres. Dans la vie, il faut savoir sauter sur les occasions et se créer ses propres opportunités. Skylar, assise seule dans un Starbucks, en est une belle. “Mh. Salut.” “Salut !” Elle semble sauter de joie à l’idée de le voir. Elle semble tellement réjouie. Il ne regrette pas d’être venu, rien que pour voir sa mine boudeuse. Rien que pour voir ses tentatives de le repousser. A chacune de leurs rencontres, elle le rejette. Elle refuse ses invitations. Elle refuse tout contact. A croire qu’il a mauvaise haleine. A croire qu’il a quelque chose entre les dents. A croire qu’il est de mauvaise compagnie. A moins qu’elle ne soit pas attirée par les hommes. Auquel cas, il s’en contre-fiche. Il veut seulement se faire pardonner de sa maladresse. Il veut seulement nouer le contact avec elle. Il veut seulement lui faire oublier leur accident.
“T’es un peu entreprenant, non ? Je veux dire, si ça se trouve, je suis allergique à ce que tu as choisi.” Son sourire ne le quitte pas. Il lève les yeux au ciel. Elle est insupportable. Toujours à lutter. Toujours à contrôler. Toujours à s’éloigner. Ils ont quelques années d’écart. Sa force de caractère la rend probablement plus mature et intelligente que lui. Il n’a que son immaturité et sa maladresse pour contrebalancer. Ils se battent à armes inégales. Il pousse le gobelet vers elle. “Impossible. C’est un cappuccino. On ne peut pas être allergique au cappuccino.” Il a pris un air extrêmement sérieux. Être allergique au café est comme être allergique au chocolat. Une absurdité. Une déformation de la nature. Une impossibilité. Il a une hypothèse à ce propos : toute personne allergique au chocolat ou au café provient d’une planète lointaine. Alors, son éventuelle excuse est irrecevable. De toute manière, maintenant qu’elle est coincée dans un café avec lui, elle n’a pas d’échappatoire. Qu’elle n’aime pas le café, il peut le concevoir. Elle trouvera bien quelque chose qui lui convient. Café, chocolat, thé, frappuccino, pâtisserie. Elle a de quoi choisir. “Je te dois combien ?” A-t-elle vraiment besoin de rendre les choses si difficiles ? Après de nombreux échecs, il parvient enfin à se faire pardonner sa tentative d’homicide. Elle n’a qu’à voir le côté positif : il la laissera tranquille ensuite. Enfin, en théorie. Cette fille l’intrigue. Secrète, mystérieuse, distante. Elle l’intrigue tellement qu’il n’a pas vraiment envie de laisser tomber. “J’ai failli te tuer l’autre fois, je crois qu’on est quitte.” Aussi simplement que cela. Aussi facile qu’une dette remboursée. Il n’est pas parfait. Il a de nombreux défauts. Mais on ne peut pas lui reprocher son honnêteté. Il reconnaît ses torts. Il les répare. Même quand la victime refuse. Il se penche au-dessus de la table. Son expression a de nouveau changé. A mi-chemin entre la compassion et la compréhension. “En fait, je sais ! Tu aimes tellement mes apparitions surprises que tu ne veux pas que je me fasse pardonner. Tu sais, t’as juste à me le dire.” L’auto-dérision est sa marque de fabrique. Il n’a pas peur qu’elle le remballe. Il n’a pas peur qu’elle lui jette son café brûlant à la figure. Il n’a pas peur qu’elle le traite de prétentieux. Il n’a pas peur. Il espère juste pouvoir lui arracher un sourire. Une lueur d’amusement dans le regard. Une émotion d’une micro-seconde. Peu importe. Elle paraît tellement sérieuse. Tellement concentrée. Tellement occupée. Tellement surbookée qu’il a envie de la dérider. Qu’il a envie de lui montrer comment profiter de la vie. Qu’il a envie de l’embarquer sur des chemins plus amusants et drôles. Parce qu’à chaque fois qu’il la voit, elle a plein de trucs dans la tête. Comment son cerveau fait pour ne pas surchauffer ? Comment son cerveau parvient à tout gérer en même temps ? Celui de Jared aurait déjà rendu l’âme. Il aurait déjà pris feu.
Son regard descend sur le carnet posé devant elle. Un carnet à dessin. Un carnet ouvert à une page. Il plisse les yeux. Est-ce… ? “Noooon, c'est pas vrai ! Tu dessines Spider-Man... Je peux ?” Il n’attend pas son autorisation. Il tend le bras pour atteindre le carnet et le tourner dans sa direction. Elle dessine des super-héros. Belle. Intelligente. Artiste. Distante. Mystérieuse. Et elle aime les super-héros. Il est prêt à fermer les yeux devant son dessin de l’homme-araignée (il aurait préféré un dessin de Thor). Il est prêt à la proclamer femme parfaite de l’année. Il est prêt à lui faire une déclaration d’amour, là, maintenant. Au lieu de cela, il lève les yeux du croquis. Il tente de contrôler son optimisme. Il tente de ne pas l’effrayer. Il tente de ne pas ressembler à un gamin. Mais il est trahi par la lueur de ses yeux. Il est trahi par ses traits tendus par un sourire d’enfant. “C’est magnifique. Tu en as déjà fait d’autres ? Je veux dire des super-héros.” Son dessin est d’une grande précision. D’un trait fin et assuré. D’un réalisme impressionnant. Il rend le carnet à sa propriétaire. Il n’a pas le talent pour en faire autant. Il dessinerait une marguerite que ça ressemblerait à une réalisation d’un enfant de deux ans. Cette femme est vraiment fascinante. De tous les points de vue. Et il est convaincu qu’elle n’a pas encore révélé tous ses talents.
« No woman really wants a man to carry her off; she only wants him to want to do it. » - Elizabeth Peters.
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ersonne n’est allergique au capuccino. Ca l’a faite sourire, inexplicablement. Elle aurait bien joué l’indifférence mais c’était impossible, elle pouvait le bouder ou le fuir, rien chez lui en revanche ne pouvait provoquer l’indifférence. Le regard de Skylar était toujours attiré par ceux que l’humanité avait tendance à oublier, à côtoyer en transparence, comme s’ils ne méritaient pas de graviter dans leur univers. « J’ai failli te tuer l’autre fois, je crois qu’on est quitte. » Il est un peu maladroit dans sa manière d’agir, d’attraper l’attention. Elle sait bien qu’il essaye de se faire pardonner, qu’il vaut mieux que tourner autour d’une fille aussi bizarre qu’elle. Elle a parfaitement conscience qu’il tente simplement de rattraper son erreur pour passer à autre chose ; elle a juste peur de le blesser. Et si il la touchait par inadvertance ? Elle n’arrivait jamais à prévoir ses gestes, trop spontanés. Il sortait de son ordinaire, il sortait du lot des agents bien entraînés ou des mutants super résistants. Il était une vie fragile qu’elle se refusait à briser en acceptant de le voir plus de cinq minutes. « En fait, je sais ! Tu aimes tellement mes apparitions surprises que tu ne veux pas que je me fasse pardonner. Tu sais, t’as juste à me le dire. » Sky s’est sentie rougir. Elle a opté pour baisser la tête vers son café, dissimulée derrière le rideau de ses cheveux roux. Juste le temps que ça passe. Puis il a visé juste, c’est ce qu’elle aurait pris. Elle ne sait pas gérer des situations aussi simples, parler à quelqu’un de normal dans un environnement normal, c’est presque contre sa nature, elle, élevée comme une mutante entourée de mutants, selon un concept de tolérance finalement peu appliqué.. l’Institut était un jardin d’Eden fermé, protecteur. Quand elle a choisi d’en partir, elle ne pensait pas avoir du mal à vivre avec les homo sapiens - elle ne pensait pas trembler tant à l’idée de les pousser vers le risque, le danger. Elle était du SHIELD, l’existence lambda n’existerait jamais vraiment et avoir des amis dits normaux supposerait leur mentir à longueur de temps. Est-ce que Jared méritait qu’elle lui mente ? Il devrait retourner sur son vélo pédaler vers des personnes tranquilles.
« Noooon, c'est pas vrai ! Tu dessines Spider-Man... Je peux ? » Un sursaut. Un sursaut l’a trahie lorsqu’il a tourné le carnet, manquant frôler ses doigts au passage. Il a l’air d’un gamin devant un kinder surprise. Il a l’air d’avoir trouvé le Graal quand il observe le dessin pas terminé du héros araignée. C’était celui dont elle se sentait le plus proche, si on ne comptait pas Spider-Woman, parce que la mutation avait des similitudes dans son origine. Les scorpions et les araignées, drôle de famille. « C’est magnifique. Tu en as déjà fait d’autres ? Je veux dire des super-héros. » Un haussement de sourcils dénote sa surprise. Est-ce que c’est un fan ? Il a l’air. Beaucoup, actuellement, se méfiaient des types en costume, jugeant qu’ils attiraient plus le danger sur Terre que s’ils n’étaient pas là, beaucoup dénigraient leur attitude, leur façon brute de décoffrage de sauver le monde en détruisant des pans entiers de bâtiments et d’Histoire. Skylar elle-même avouait volontiers ne pas toujours être en accord avec eux, elle les trouvait souvent inconscients, que leurs actions proviennent de bonnes intentions ne suffisait pas à réparer ; il y avait des blessés, souvent, des gens qui se sentaient trahis par une absence de sauvetage pour les uns et non les autres. « Euh.. oui. A peu près tous. Y a quelque chose d’artistique dans leurs tenues. Les couleurs, les formes. C’est sympa à dessiner. » Et c’est bien comme couverture. Un talent pour le dessin était utile pour se prétendre étudiante dans le domaine. Ca lui avait servi auprès de monsieur Murdock également, quelques portraits robot pour se sentir utile, pour avoir la sensation de réellement aider quelqu’un. Bien sûr, en tant qu’étudiante au sein de l’organisation du SHIELD, elle aidait souvent mais pas suffisamment à son goût, pas autant qu’elle le voudrait. Etudier, dessiner, errer, une vie trépidante. « Puis certains que j’ai rencontré sont vraiment sympas. » C’était peut-être pas la meilleure chose à dire devant Jared. Elle ignorait sa passion dévorante, Sky ne pensait pas une seconde que ça ne tomberait pas dans l’oreille d’un sourd et qu’il ne passerait pas à un autre sujet de conversation. Cette fille rencontrait des super-héros, c’est bizarre non ?
On ne peut pas dire que Jared soit normal. Il est passionné. Incroyablement passionné. Il serait capable d’acheter tous les boxers super-héros qu’il trouve. Il serait prêt à tapisser son appartement avec des photos de super-héros. Si la brigade du mauvais goût ne menaçait pas de faire une descente chez lui. Il est aussi immature. Incroyablement immature. Les responsabilités, il ne connaît pas. Il a bien un appartement à payer et à maintenir propre, mais c’est le seuil de responsabilité maximal pour lui. Pour un homme de vingt-six ans, on ne peut pas dire qu’il soit normal. Pourtant, elle, Skylar, n’est pas normale non plus. Alors qu’elle est mature. Alors qu’elle est, certes, passionnée, mais passionnée modérée. Elle se contente de dessiner, là où lui collectionne. Elle se contente de reproduire, là où lui suit et espionne les moindres faits et gestes. Elle est intrigante. Dans le sens où elle ne révèle rien. Dans le sens où elle paraît se cacher de lui. Dans le sens où elle n’apprécie pas les contacts. Dans le sens où elle semble gênée à chacune de ses phrases. Dans le sens où elle est toujours préoccupée par quelconque chose qu’elle doit faire. Il a beau être un fan et un adulte immature, il est toujours plus normal qu’elle. Une anormalité qui lui donne son charme. Une anormalité qui la rend fascinante. En fait, tout est fascinant chez elle. Ses rejets rajoutent à son magnétisme. Ses refus réguliers et maintenant, ses dessins de super-héros. Il était loin de soupçonner une amoureuse des capes et des collants derrière son visage angélique et son comportement sérieux. Il l’imaginait passionnée de musique, d’art et de littérature anglaise. Sûrement pas intéressée par ces personnes supérieures. Pourtant, sous ses yeux, est croqué un Spider-Man réussi, malgré les parties manquantes. Elle a un exceptionnel coup de crayon. Cette femme est surprenante. Elle cache ses talents pour mieux les exposer ensuite. Elle omet des détails pour mieux les insérer dans une conversation. Non pas qu’il connaisse sa vie de bout en bout. Il sait seulement qu’elle s’appelle Skylar Rice. Il connaît seulement son adresse - enfin, il la connaissait. Et il sait qu’elle commande sur les boutiques en ligne. Autant dire que les informations qu’il a sur elle sont minces. “Euh.. oui. A peu près tous. Y a quelque chose d’artistique dans leurs tenues. Les couleurs, les formes. C’est sympa à dessiner.” Elle l’a perdu au moment où elle a parlé d’élément artistique. Son regard sur les costumes n’a rien d’artistique. Son regard est davantage technique. Un regard porté sur leur faciliter à se battre. A se mouvoir. Bien sûr, ils sont jolis et apporte une touche badass, mais ils ne font pas tout. Les personnes importantes sont dans les costumes.
Il attrape son gobelet pour boire une gorgée de son breuvage. Il est fasciné par cette compétence cachée. Rien que pour cela, ça valait le coup d’insister pour boire un café ensemble. Café qu’elle n’a jamais accepté, d’ailleurs. “Puis certains que j’ai rencontré sont vraiment sympas.” Il s’est étranglé. Il tousse. Il se frappe le torse, dans une tentative de faire passer le café. Mais il continue à tousser. Les larmes lui montent aux yeux. Des larmes d’émotion ou d’étouffement, on ne saura jamais. Elle a rencontré des super-héros ? Est-ce qu’il a bien entendu ? Elle les a rencontrés, genre elle a parlé avec eux, elle leur a fait la bise, elle leur a demandé leur numéro de téléphone ? Ou elle les a rencontrés, genre elle les a vus, mais ne leur a pas parlé ? La précision est importante. Le détail est crucial. Dans les deux cas, cela suppose qu’elle ait été en danger. Qu’elle ait été agressée par un quelconque individu. Qu’elle ait été sauvée par un super-héros. “Tu les as rencontrés ‘rencontrés’ ?” Ça y est ! Il sait. Elle est une agent secret du FBI. Elle est en relation régulière avec les super-héros. Elle est en ce moment même en filature ou en espionnage d’un individu dangereux. Ce qui explique tout : ses mystères, sa gêne, ses refus, ses relations avec les super-héros. Cette fois, il est complètement convaincu : elle est la femme parfaite. La femme que tous les hommes rêvent de trouver (en tout cas, c’est le cas de Jared). La femme qui plaît à tous les hommes. La femme qui partage les mêmes centres d’intérêts. “Mais qui êtes-vous, mademoiselle Rice ? Dessinatrice, énigmatique et copine de super-héros. C’est… wow.” Il n’a pas d’autres mots. Wow. Elle l’étonne de minute en minute. Elle le surprend à chaque fois. Mais il comprend mieux. Il comprend mieux pourquoi elle n’a jamais accepté ses invitations. Il comprend qu’il ne puisse pas rivaliser avec des mecs archi-musclés et aux pouvoirs extraordinaires. Il comprend qu’elle ne le trouve pas attirant. Il comprend qu’elle préfère côtoyer des super-héros plutôt qu’un coursier de pacotille. Elle aurait pu le lui dire. Elle aurait pu l’informer qu’elle n’était pas intéressée. Elle aurait pu lui demander d’arrêter de l’inviter. Il s’adosse à la chaise. Il a assez d’auto-dérision pour accepter une défaite. Il a assez d’humour pour en rigoler. Il a assez de maturité pour ne pas pleurer à chaque ‘non’.
Si elle agit ainsi avec tous les hommes qui l’abordent, elle doit avoir une sacrée liste d’admirateurs. De contacts prêts à tout pour lui sauter dessus. D’hommes disponibles pour répondre à chacun de ses appels. Il ne veut pas être l’un d’eux. Il veut seulement se faire pardonner. Il veut seulement la remercier de sa clémence. Elle aurait pu lui hurler dessus quand il l’a évitée de justesse. Elle ne l’a pas fait. Elle aurait pu lui reprocher son imprudence. Elle ne l’a pas fait. Tout au plus, il espère en faire une amie. Il ne peut pas imaginer davantage. L’expérience aidant, il sait quel genre de femmes il peut attirer. Elle n’en fait pas partie. Elle est trop intelligente, trop belle, trop en relation avec des super-héros. Définitivement, elle est trop bien pour s’intéresser à lui. Au pire, leur relation naissante s’arrête à ce café. Au mieux, ils deviennent amis. Il n’imagine pas les choses autrement. “Je ne m’attendais pas à ça. Ne me dis pas que tu sors avec l’un d’entre eux ou que tu es une super-héroïne, parce que je crois que je pourrais m’évanouir.” Il hésite à reprendre une gorgée de son café. La précédente a laissé une irritation au fond de sa gorge. Il préfère éviter que cela se reproduise. Il préfère éviter de cracher sa boisson au visage de Skylar. Ce ne serait pas du plus bel effet. Il préfère attendre qu’elle réponde. Il préfère attendre qu’elle dévoile tous ses super-secrets. Il a la nette impression qu’elle en a plein, de super-secrets. Il compte bien les découvrir. “Tu as déjà rencontré Captain America ? Il est comment ? Non, attends, j’veux pas savoir, ça me ferait trop mal au coeur si il s'avérait être un vrai connard.” Il agite la main. Non, surtout, il ne veut pas savoir. Il a grandi en lisant les aventures de Captain America dans les comics. Il ne veut pas avoir une nouvelle vision de cet homme. Une vision négative. Une vision moins héroïque. Une vision moins glorieuse. Hors de question de gâcher ce souvenir d’enfance.
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n sourcil s’est haussé lorsqu’il a manqué s’étouffer, avalant son café sans doute brûlant de travers, à la seule évocation du fait que, oui, Skylar avait rencontré quelques super-héros, de-ci, de-là. Qu’y avait-il d’exceptionnel à cela ? Ne pouvait-il pas seulement se dire qu’elle s’était retrouvée dans de sales situations ? Visiblement son cerveau s’active plus vite et plus loin que prévu, intégrant l’idée que la demoiselle puisse avoir une existence soudainement plus fabuleuse qu’elle n’en avait l’air. « Mais qui êtes-vous, mademoiselle Rice ? Dessinatrice, énigmatique et copine de super-héros. C’est… wow. » Non. Non il ne pouvait pas sauter à une conclusion pareille. Elle s’était contentée de dire qu’elle en avait rencontré, elle n’en était pas au point de vivre avec. Copine, faut pas pousser. « Je ne m’attendais pas à ça. Ne me dis pas que tu sors avec l’un d’entre eux ou que tu es une super-héroïne, parce que je crois que je pourrais m’évanouir » C’était l’histoire de sa vie. Elle était toujours forcée de mentir, toujours obligée de trouver des excuses, des pirouettes, de quoi faire penser qu’elle est une fille lambda dans un monde trop grand et trop complexe pour elle. Jouer l’idiote, même, parfois. Jared venait de la coincer, parce qu’il l’a assez croisée pour savoir qu’elle n’est pas stupide, que glousser bêtement pour faire passer l’info n’était pas son genre. Sky opte pour boire son café, histoire de le laisser déballer ses idées. Histoire de trouver une parade, gagner du temps en somme.
Captain America. Quel rapport ? C’est un fan. Visiblement c’est un fan de comics, un adepte des aventures des types en collants. Il devait tout savoir de tous les héros en herbe, les défenseurs d’une humanité ingrate. Sa fascination la surprend. Sa fascination l’égare. Elle s’en voulait d’avance de le décevoir et elle ne voyait pas comment se sortir de là, face au regard illuminé du jeune homme, sûrement plein d’un espoir qu’elle ne comprend pas bien.
L’hésitation est longue, le gobelet tourne entre les doigts de Skylar qui fixe la table avec une passion dévorante. Elle sait comment mettre fin à tout ça, elle sait comment effrayer Jared, lui faire prendre ses jambes à son cou afin qu’il ne revienne plus jamais des les parages, sur sa route, là où il serait bien capable de se mettre en danger. Elle sait ce qu’elle doit lui sortir pour qu’il cesse de la voir comme quelqu’un d’intéressant. Les homo sapiens ont peur de ce que la mutation sous-entend, il ne fera sans doute pas exception à la règle. Son silence est peut-être plus éloquent que toutes les paroles du monde : il doit déjà s’imaginer qu’elle vit une passion dévorante avec un Iron-Man de seconde zone. Son immaturité claire la ferait presque sourire. Il a la douce naïveté de quelqu’un dont les problèmes classiques sont balayés par les rêveries d’adolescent, par une imagination débordante. « Je suis mutante. » Les mots ne sont audibles que pour lui. Elle a prononcé cette phrase sur un ton doux, pour ne pas attirer l’attention, pour ne pas qu’une oreille intrusive n’attrape l’information. Cela faisait des années qu’elle n’avait pas fait cette révélation, elle avait évité tous ceux qui ne faisaient pas parti du SHIELD ou de la X-Mansion, ses autres contacts, civils classiques, ignoraient tout de cette particularité. A la limite, ils pensent que son refus du contact était une drôle de phobie, quelque chose concernant l’hygiène ou l’agoraphobie naissante. Je suis mutante était une réalité qu’elle évitait de dévoiler. Jared lui plaisait bien, un peu trop peut-être, il la faisait rire chaque fois qu’il essayait d’obtenir un oui à une invitation, il était charmant, gentil, d’une maladresse amusante. Parce que Jared lui plaisait bien, elle devait l’écarter. S’attacher, s’en faire un ami, était tout simplement impensable, il passait son temps à pédaler dans tout New-York, il était une cible tellement facile ; non pas que Sky soit assez importante pour être la raison de son décès, mais si elle s’y attachait et qu’elle le perdait, qu’elle ne soit pas capable de le protéger, elle s’en voudrait le restant de ses jours.
Le SHIELD était tout ce qu’elle avait. Son avenir s’y trouvait, il n’était pas dans un lien avec les hommes ou des amis classiques. Ne pas avoir d’existence normale lui semblait la meilleure couverture possible, mieux encore : le seul moyen de protéger ses secrets et les innocents qui seraient alors, malgré eux, pris dans ses mensonges. « J’ai croisé des super-héros parce que j’ai des facultés particulières. Ma vie est compliquée et je suis dangereuse pour ceux qui m’entourent, de fait, tu devrais juste prendre tes affaires et oublier que j’existe. Si je n’ai pas accepté tes précédentes invitations, c’est pour cela. » Voilà. Fuite dans 5, 4, 3..
Elle reste silencieuse. Elle reste prostrée. Elle ne dit rien. Jared la dévisage. Il attend. Il attend une réponse. Il attend un signe de sa part. Il attend un geste. Il plaisante. Il ne cherche pas à la mettre mal à l’aise. Il ne souhaite pas la mettre face au mur. Il doute clairement qu’elle puisse être la petite-amie d’un super-héros. C’est bien connu, les héros ne parviennent pas à garder une femme à leurs côtés. Ils font un métier trop dangereux. Trop prenant. Trop difficile. Tout au plus, Skylar aurait pu être une relation sur le court terme. Il doute qu’elle soit une agente secrète. Elle a des mystères, mais pas au point de mener un double vie. Elle souhaite juste ne rien lui divulguer. Il veut juste l’embêter. Il veut juste la taquiner. Il veut juste lui arracher un sourire. Tout ce qu’il lui arrache est un silence. Un long silence. Il a perdu son regard. Il a perdu son attention. Autour d’eux, les clients discutent, rient. A leur table, il n’y a que le silence. Un silence perturbant. Il ignore ce qu’il a dit. Il ignore ce qu’il a fait. Mais quoi qu’il se soit passé, cela l’a blessée. Il regrette d’avoir insisté pour un café. Il regrette d’avoir supposé qu’elle soit quelqu’un d’autre. Il regrette d’avoir essayé de la taquiner. Elle n’est clairement pas celle qu’il croyait. Elle est encore plus sérieuse. Encore plus stricte. Encore plus hermétique à l’humour. Il pensait réussir à la dérider quelques secondes. Il pensait parvenir à l’éloigner de son quotidien studieux. Il s’est trompé. Après tout, ils ne sont que deux inconnus. Ils ne savent rien l’un de l’autre. Il a cru quoi ? Qu’il pourrait cerner Skylar en quelques conversations ? Qu’il pourrait la comprendre au premier coup d’oeil ? Il s’est trompé. Il s’apprête à partir. A la laisser. A l’abandonner à son silence. A lui rendre sa tranquillité. Il attrape même son gobelet. Il recule même sa chaise. Il accepte les refus. Il rit des échecs. Mais il y a une limite. Il y a un moment où il sait qu’il est de trop. Qu’il n’est pas apprécié. Qu’il agace carrément. Ce moment est arrivé. Mieux vaut qu’il parte. “Je suis mutante.” Il arrête son geste. Il se rassoit. Il a mal entendu. Évidemment qu’il a mal entendu. Elle ne vient pas de dire qu’elle est mutante. Elle ne vient pas de lui dévoiler qu’elle possède des pouvoirs. Elle ne vient pas de lui accorder sa confiance. Il repose le café sur la table. Il plisse les yeux, la bouche prête à formuler un ‘Quoi ?’. Elle est mutante. Et ? On dirait qu’elle lui avoue une identité secrète. On dirait qu’elle avoue un lourd secret. Mais quoi, elle est seulement mutante. Elle est seulement supérieure à lui. Elle est seulement dotée de pouvoir. Il n’y a rien de honteux. Elle devrait même en être fière. Elle a des pouvoirs. Choses qu’il aurait adorées avoir. Choses qu’il a longtemps rêvées. Comment peut-être l’avouer du bout des lèvres ?
“J’ai croisé des super-héros parce que j’ai des facultés particulières. Ma vie est compliquée et je suis dangereuse pour ceux qui m’entourent, de fait, tu devrais juste prendre tes affaires et oublier que j’existe. Si je n’ai pas accepté tes précédentes invitations, c’est pour cela.” … 2, 1. C’est décidé, il reste. L’esprit de contradiction, bonjour. Elle s’attend à ce qu’il parte. Il reste. Elle s’attend à ce qu’il prenne la fuite. Il s’installe. Elle s’attend à ce qu’il soit en danger. Il fonce tête baissée. Elle ne le connaît. Si c’était le cas, elle saurait qu’il n’a pas peur de se foutre dans la merde. Elle saurait qu’il a l’habitude de tomber dans des situations rocambolesques. Elle saurait qu’il est assez inconscient pour suivre Daredevil. Mais elle ne le connaît pas. Il change d’expression. Il ne sait pas comment réagir. Il ne sait pas quoi lui dire. Elle semble tellement tenir à son secret que le fait qu’elle lui avoue témoigne de sa confiance. Elle semble tellement tenir à son secret qu’elle était prête à refuser chacune de ses propositions. “On est d’accord tu ne te fiches pas de moi ? Tu es vraiment mutante ? Non parce que si tu penses que ça va me faire fuir, c’est pas le cas.” Il serait le dernier à fuir un mutant. Il serait le dernier à en avoir peur. Il serait le dernier à le juger. Skylar peut être une mutante, il s’en fiche. Leur relation ne change pas. Il acceptera toujours d’aller lui livrer ses colis lourds de quarante livres. Il cherchera toujours à l’inviter à boire des verres. Il sera toujours le gars chiant qui ne la lâche pas. Fuir ce qu’on a toujours voulu être est ridicule. Il devrait être jaloux. Il devrait être en colère qu’elle ait des pouvoirs et pas lui. Il devrait s’en aller, furieux. Il devrait être vexé. Mais non. Il ne fait qu’ajouter un mystère autour de Skylar. Il ne fait qu’être plus fasciné par cette rousse. Il y a encore quelques jours, il ne soupçonnait même pas son existence. Il y a encore quelques jours, il ne pensait pas rencontrer une jeune femme pleine de secrets. Comme quoi, en l’espace de plusieurs semaines, tout peut changer. Elle se décrit comme dangereuse. Elle décrit sa vie comme étant compliquée. Il n’y croit pas un instant. Comment peut-on être dangereux lorsque l’on incite quelqu’un à s’éloigner de soi ? “Tu ne peux pas être dangereuse, c’est ridicule. Tu m'aurais déjà tué sur place, si c'était le cas.” La douceur transparaît de ses traits. La gentillesse brille dans ses prunelles. Elle n’est pas dangereuse. Peu importe qu’elle soit capable de tuer en clignant des paupières. Peu importe qu’elle puisse arrêter son coeur par télépathie. Peu importe qu’elle sache créer un tremblement de terre. Elle n’est pas dangereuse. On l’est uniquement lorsqu’on décide de l’être. Il est certain que ce n’est pas le cas de Skylar. Sinon, elle aurait déjà usé de son pouvoir. Sinon, il ne serait plus là pour discuter avec elle. Sinon, sa mère serait déjà en train de pleurer sur sa dépouille. Non, Skylar est tout sauf dangereux.
Son regard se fait plus curieux. Plus observateur. Il cherche un indice sur sa mutation. Il cherche une preuve de ses pouvoirs. Il cherche un signe physique d’une déformation mutante. Il n’y a rien qui saute aux yeux. Il n’y a rien qui soit visible. Il la voit autrement. Plus comme la fille trop sérieuse. Plus comme la fille incapable de s’amuser. Plus comme la fille occupée et préoccupée. Il la voit comme une sorte d’héroïne. Il la voit comme une jeune femme souffrant d’un manque d’assurance. Il la voit comme une mutante aux pouvoirs incroyables. Fascinante, il l’a déjà dit. “Si je me fais agresser dans la rue, tu viens me sauver avec une cape et une tenue ultra-moulante ? 'Faut me prévenir, je ne veux pas m'évanouir pendant que tu sauves mes fesses.” Sourire en coin. Regard brillant. Il la taquine. De nouveau. Finalement, il n’aura pas mis longtemps avant de reprendre ses bonnes vieilles habitudes. Il est le spécialiste des super-héros. Il ne se rappelle pas d’avoir vu une belle rousse se battre contre des vilains, dans New-York. Soit il n’était pas au bon endroit. Soit elle exerce ses pouvoirs en toute discrétion. Elle ne se cache sûrement pas derrière un costume. Pas comme les super-héros. A moins qu'elle possède des pouvoirs plus discrets. Qu'est-ce qu'il se cache derrière cette chevelure flamboyante ? Quels pouvoirs sont dissimulés derrière son visage angélique ? Vision à rayons X. Ailes greffées dans le dos. Voix suraiguë. Physionomiste de l’extrême. Fuyeuse d’hommes ? Mante religieuse ? Finalement, il devrait peut-être prendre ses jambes à son cou...
« No woman really wants a man to carry her off; she only wants him to want to do it. » - Elizabeth Peters.
«
On est d’accord tu ne te fiches pas de moi ? Tu es vraiment mutante ? Non parce que si tu penses que ça va me faire fuir, c’est pas le cas. » Il.. ne va pas fuir ? Sky est sidérée. Elle pensait que Jared prendrait la fuite, parce que ne pas l’avoir prévenu sous-entendait qu’elle le mettait peut-être en danger chaque minute en sa compagnie - qu’est-ce qui lui prouvait qu’elle n’était pas du genre radioactive, mh ? Alors oui, Skylar est sidérée. Elle s’attendait à ce qu’il s’énerve, à ce qu’il ait la réaction typique des gens ces derniers temps, lovés dans leur méfiance mouillée d’acide, méfiants de tout, pour tout. Il aime les Super-Héros. C’est vrai, elle aurait pu penser que cet attrait provoquait autre chose : la tolérance pour la bizarrerie, pour l’extraordinaire. Elle ne sait pas tellement ce qu’il faut faire. Xavier enseignait à ses élèves l’acceptation et l’échange, le vivre-ensemble en harmonie, le S.H.I.E.L.D était moins ouvert, moins enclin à ce qu’on parle de soi, de ce qu’on fait, de ce que l’on est. Elle ne comptait pas lui dévoiler l’intégralité de son existence simplement parce que ce mec est mignon et enclin à se passionner pour les êtres hors du commun.. mais tout de même. Elle réalise qu’elle se sent un peu seule, enfermée dans le carcan de ses obligations, dans les sabliers égrenés de la haine. « Tu ne peux pas être dangereuse, c’est ridicule. Tu m'aurais déjà tué sur place, si c'était le cas. » Elle penche légèrement la tête, la longue chevelure rousse suivant le mouvement fluide. Il est sérieux ? Il n’a donc pas fait le rapprochement ? Elle se disait pourtant qu’en lui apprenant qu’elle était mutante, il se souviendrait des vertiges, peut-être d’une sensation nauséeuse. Mais non.
Et la façon dont il la regarde, soudain, la dérange. Elle se sent.. détaillée, observée. Il n’a pas l’air d’être dégoûté, plutôt.. fasciné à vrai dire. C’est embarrassant. Elle ne sait plus vraiment où se mettre. Sky n’était pas habituée à être le centre d’attention des gens qu’on qualifiait de normaux, c’était même plutôt l’inverse, elle traversait leur vie sans attirer l’intérêt, sans prendre ou donner d’attention, une fille trop sérieuse ou trop distante pour qu’on insiste comme Jared le faisait. Il n’allait pas chercher à la disséquer, n’est-ce pas ? Il cherche sans doute un signe de sa mutation, quelque chose qui indique ce qu’elle a de particulier. Il ne trouvera rien, si ce n’est peut-être les mitaines élégantes accrochées par l’annulaire, couvrant la paume de sa main, limitant la possibilité de contact à ses doigts. Il doit simplement penser qu’elle a un look particulier. Les signes extérieurs ne sont pas évidents à trouver. « Si je me fais agresser dans la rue, tu viens me sauver avec une cape et une tenue ultra-moulante ? 'Faut me prévenir, je ne veux pas m'évanouir pendant que tu sauves mes fesses. » Le rire. Il lui arrache un rire doux, sincère. S’il savait ! Non, elle n’a pas de cape, elle est plutôt du genre cuir noir. Elle doit tenir l’attrait du sombre de l'Institut. Il pourrait bien la trouver au milieu d’un vrai chaos, dans un pantalon en cuir, haut sombre et talons, ça ne serait pas elle le centre d’attention, on retenait bien plus les héros colorés, pas la fille dans le coin qui agit discrètement, rapidement. Elle avait un point en commun avec Jared : le don de se noyer dans des situations impossibles. « Okay, je nie pas la tenue ultra moulante. » Charmants décolletés pour détourner l’attention, ça marchait bien, et se battre n’impliquait pas de manquer de féminité. Joindre l’utile et la mode n’était pas interdit par la loi. « Tu vois.. Spider-Man, mh ? Sens arachnéens, super-agilité, adn modifié ? Et bien.. j’ai subi le même genre de mutation, avec un scorpion. Je suis imparfaite, partiellement mutée. » Elle était obligée d’user d’une comparaison qu’il paraissait connaître, qu’il paraissait avoir assimilé sans mal, de fait le lien serait facile à faire pour lui. Préciser qu’elle avait une mutation buguée - ou peut-être pas tout à fait développée, l’institut n’avait jamais trouvé la réponse - permettait aussi de lui faire comprendre qu’elle était clairement moins cool que les mecs masqués. « Et tu te souviens, le vertige à notre première rencontre ? Je sais que tu t’es senti mal. C’est parce que je suis venimeuse. » Ca expliquait qu’elle évite le contact. Ca expliquait brusquement énormément de choses. Oui, elle avait un sens plus développé du danger, des aptitudes parfois cools mais une vie entièrement dirigée par sa différence, par un refus de mettre un homme en danger par égoïsme. Elle pourrait aimer quelqu’un mais elle se sentirait coupable de lui infliger la créature étrange qu’elle pouvait devenir. Elle baisse le regard sur son café. Ca lui paraît tellement surréaliste de discuter de cela, comme ça, dans un Starbucks avec une personne qui ignore tout du S.H.I.E.L.D et de la X-Mansion. Drôle de journée.
La femme parfaite. La femme parfaite est devant lui. La femme parfaite rit de ses blagues. La femme parfaite lui parle. Skylar est la femme parfaite. Celle dont il a rêvé pendant des années. Celle dont il a imaginé les passions et les passe-temps. Celle avec laquelle il peut se projeter. Celle qu’il n’aurait jamais espéré rencontrer. Les femmes parfaites sont souvent attirées par les héros, les hommes un brin badboy un brin charmeur, les hommes musclés. Pas par un coursier. Peut-être est-ce le problème. Elle est trop parfaite. Elle exigera peut-être qu’il change. Elle demandera qu’il modifie sa manière de s’habiller. Elle râlera peut-être à chacun de ses retards. La femme parfaite n’existe pas, c’est ce qu’ils disent. Et pourtant. Pourtant, il n’en revient pas. Elle cumule les points positifs. Elle collectionne les similitudes. Elle est tout simplement parfaite. C’est le mot. Même son rire est parfait. Mélodieux. Doux. Délicat. Elle est une créature venue d’une autre planète. Elle est le clone de ses rêves. Elle est venue le séduire pour lui arracher tous ses organes, avant de les envoyer sur une autre planète. Elle va attendre qu’il soit vulnérable, à moitié nu, pour lui arracher chaque membre de son corps, avec un rire machiavélique. Ce n’est pas possible autrement. Ou alors, il a trop regardé de films de science-fiction. Ou alors, il devrait arrêter de regarder des séries fantastiques. Et puis, il l’a enfin eu. Son rire. Le rire amusé qu’il cherchait. Le rire amusé qu’il désirait. Il l’a. Il a enfin réussi à l’arracher de son visage sérieux. Il a enfin réussi à voir une expression joyeuse sur son visage si parfait. Enfin. Il était temps. La conversation prend une tournure intéressante. La conversation devient fascinante. Ce n’est plus la jeune femme talentueuse et brillante qu’il a en face de lui. Il s’agit plutôt d’une femme qui aime le danger et qui apprécie les super-héros. “Okay, je nie pas la tenue ultra moulante.” Okay, elle n’est plus parfaite. Elle est encore mieux. Elle est super-parfaite. Il y a forcément un truc qui cloche. Il y a forcément un inconvénient à tant de perfection. Elle est un homme. Voilà. Il a mis le doigt sur le problème. Sa mutation l’a transformée en une femme, mais elle a toujours le sexe d’un homme. Forcément. Cela explique pourquoi elle s’éloigne à chaque contact. Cela explique pourquoi elle a refusé de sortir avec lui. Cela explique pourquoi elle est si souvent soucieuse.
Un homme derrière le visage d’une femme. Il a besoin d’un verre. Il a besoin d’un alcool fort. Il a besoin de chasser cette vision d’elle avec un membre pendant entre ses jambes. C’est trop affreux. C’est trop moche. C’est trop… salissant pour l’image parfaite qu’il a d’elle. Brrr. Cette image refuse de s’en aller. Cette image reste scotchée à sa rétine. Il se noie dans le café. Faute de mieux. “Tu vois.. Spider-Man, mh ? Sens arachnéens, super-agilité, adn modifié ? Et bien.. j’ai subi le même genre de mutation, avec un scorpion. Je suis imparfaite, partiellement mutée.” Deuxième étranglement. Il va mourir. Il va crever. Là, maintenant, tout de suite. Si il ne meurt pas parce que son coeur lâche, il va mourir parce qu’il se sera étranglé. Elle cherche à l’achever. Elle cherche à le tuer. Elle cherche à avoir sa peau. C’est clair et précis. Une mutation qui ressemble à Spider-Man ? Il pensait presque qu’elle allait lui annoncer qu’elle était Spider-Woman. Il en a fallu de peu pour qu’il s’évanouisse sur la table. Heureusement, elle n’est qu’une version d’un scorpion. Une version partielle. Qu’est-ce que cela aurait donné si elle avait été complètement mutée ? Elle aurait eu une énorme queue à camoufler derrière son manteau ? Elle aurait eu des pinces à la place des mains ? Quitte à faire le charmeur, il la préfère amplement ainsi. Imparfaite génétiquement, mais parfaite à ses yeux. Il repose définitivement son café sur la table. Il ne le boira pas aujourd’hui. Il ne mangera pas non plus. Histoire d’être sûr qu’il ne risque pas un étouffement, en repensant à cette conversation. Histoire d’être sûr qu’il ne mourra pas aujourd’hui. “Et tu te souviens, le vertige à notre première rencontre ? Je sais que tu t’es senti mal. C’est parce que je suis venimeuse.” Il n’a pas pu s’en empêcher. Il a ri. Il a rigolé. Parce que cette conversation est surréaliste. Parce que cette conversation dépasse l’entendement. Il devient fou. Il devient complètement cinglé. Comment, elle, aurait pu provoquer son vertige ? Ce n’est qu’une coïncidence. Ce n’est que le fait d’un repas sauté. Ce n’est que l’effet d’une peur subite. Elle n’a pas pu provoquer ce vertige. Impossible. Il reprend son sérieux. Conscient que sa réaction est impolie. Conscient que son comportement est désagréable. “Pardon… j’ai-j’ai du mal à tout comprendre. T’es d’accord que c’est complètement absurde ? Tu ne peux pas m’avoir donné des vertiges. On s’est à peine frôlés… j’veux dire, ça dépasse l’entendement.” Il se repasse la scène. Il se remémore l’accident. Le vélo qui file, longeant le trottoir. Le feu qui passe au rouge. Le feu qu’il grille. Le passage piéton qui se noircit de piétons. La tentative d’éviter Skylar. Oui, ils se sont frôlés. Il n’avait presque pas de peau à découvert. Si ce n’est sa main. Son bras. Il n’a même pas croisé son regard. Ils n’ont probablement pas respiré le même air.
Il cherche un sens. Il cherche une signification. Il cherche une explication. Elle ne peut pas être dangereuse. Peut-être qu’elle ne s’accepte pas et qu’elle se trouve horrible, effroyable, monstrueuse. Sauf que ce n’est pas du tout ce qu’il voit. Sauf que ce n’est pas du tout ce qu’il a pu découvrir d’elle. Il hausse les sourcils. Il la désigne de haut en bas de la main. “Tu parais si douce, si gentille si… inoffensive.” Son cerveau a décidé de ne pas comprendre. Son cerveau a décidé de ne pas assimiler. C’est trop gros. C’est trop incohérent. C’est trop contradictoire avec son physique. Il l’a rangée dans la catégorie ‘Femme-gentille-intelligente’, pas dans celle des ‘Femmes-méchantes-à-éviter-à-tout-prix’. Et puis, une pensée fulgurante. Une pensée que tout ceci n’est pas vrai. Une pensée que ses amis le connaissent trop bien. Une pensée qu’il est en train de parler à une actrice. “OH JE SAIS ! On me fait une blague, c’est ça ? Y a une caméra cachée quelque part...” Il se tourne dans tous les sens. Il a l’air d’un fou. Il observe. Il regarde. Il détaille. Il s’attend à ce que des gens surgissent de nulle part, en criant “Vous avez été piégé” Il s’attend à voir ses amis débarquer, le sourire aux lèvres, fiers de leur coup. Mais rien. Pas de caméra camouflée dans un coin. Pas de micro suspendu au plafond. Pas de personnes cachées derrière une plante. Rien. Absolument rien. Il n’y a que des clients lambdas. Il n’y a que son imagination qui travaille. Il n’y a que lui pour imaginer des trucs. Il reporte son attention sur Skylar. “... non ?” Il n’a pas besoin d’attendre sa confirmation. Il n’a pas besoin qu’elle ouvre la bouche. Il a tout faux. Elle n’est pas une actrice. Elle n’est pas un clone. Elle est seulement une inconnue. Elle est seulement l’incarnation de la perfection, telle qu’il la conçoit. “T’es vraiment la femme parfaite, alors...” Le regard perdu. Le regard dans le vide. Une phrase soufflée. Murmurée. La femme parfaite. Elle est juste ça. Elle est seulement parfaite. Et il vient de l’accuser de lui mentir, de jouer un rôle. Il vient de se moquer d’elle. Il vient de la remettre en question. Il ne mourra pas en s’étranglant ou en perdant le contrôle de son coeur. Il mourra de conneries.
« No woman really wants a man to carry her off; she only wants him to want to do it. » - Elizabeth Peters.
C
’est absurde. Il a raison, c’est absurde, comment un contact si furtif pourrait l’avoir atteint au point de lui infliger des vertiges ? Pourtant c’est la réalité, c’est le quotidien de Sky depuis toujours. Elle avait mis tant d’années avant de pouvoir savourer ne serait-ce que la caresse d’une main sur la sienne, tant de temps avant d’envisager un baiser qu’on lui avait finalement volé. Elle comprend la réaction de Jared. Elle comprend qu’il soit déboussolé, sceptique même. Elle le laisse émettre ses hypothèses, affirmer qu’elle est trop douce, gentille, jusqu’à la qualifier d’inoffensive. Ca la fait sourire. Inoffensive. Pourquoi ? Parce qu’elle est une femme ? Parce que sa fine silhouette lui donne un air fragile ? Elle aimerait voir au travers de ses yeux pour mieux comprendre son raisonnement, suivre le fil de ses pensées pour ne pas répondre à côté. Il manque s’étouffer à chaque révélation, il semble tantôt fasciné tantôt empli de doutes. Elle trouve compliqué d’entrer dans son univers, son mode de vie. « OH JE SAIS ! On me fait une blague, c’est ça ? Y a une caméra cachée quelque part… » Le visage se penche à nouveau, dans l’incompréhension la plus totale : quel est le concept de ce genre de blague, en fait ? Il ne lui viendrait jamais à l’idée de piéger une personne sur des sujets aussi glissants. Ca pourrait être mal pris, créer des mouvements de panique injustifiés. Non, Skylar ne comprend pas mais elle passe plus de temps le nez dans les livres que devant la télévision, elle n’est ni coutumière des reality show ni habituée des séries, elle va plus souvent à la bibliothèque que dans un cinéma. Les films d’action ou les comédies qui pourraient supposer qu’elle en sache un rayon sur les blagues ne font pas partie de son champ de connaissances. Elle est un rat de bibliothèque.
Et le ras de bibliothèque reste dans un silence total en attendant que ça passe. « ... non ? » Elle signe par la négative, d’un mouvement de tête, pour confirmer ses dires. Ca n’est pas une farce de mauvais goût, si elle décide de lui faire confiance, ça n’est pas pour décider ensuite de délirer sur des mutations surréalistes. A quoi bon ? Mais elle lui pardonne son immaturité, ses réactions de gamin tantôt stupéfait tantôt émerveillé. Elle lui pardonne l’accusation et la légèreté. Il est ainsi, elle n’a aucune envie de le changer, elle ne le connaît même pas vraiment, si ce n’est par sa maladresse, par son humour. Il a de l’humour, à n’en pas douter. « T’es vraiment la femme parfaite, alors… » La phrase est murmurée. Le rouge monte brusquement aux joues de Sky qui n’a aucun moyen de le cacher, cette fois. Pourquoi pense-t-il cela d’elle ? Pourquoi croit-il qu’elle est la femme parfaite ? Être venimeuse n’est pas franchement le critère premier des hommes quand on leur demande de décrire la nana idéale, à épouser ou à mettre dans son lit. On les préfère tout de même plus accessibles, enfin c’est ce qu’il semble à la jeune femme mais elle doute, brusquement.
La femme parfaite. Il doit la trouver jolie, elle doit lui plaire, s’il dit ça. Le rouge de ses joues ne s’estompe pas quand elle tend la main avec hésitation pour attraper la sienne. Le contact l’intimide. Elle n’a jamais vraiment osé ce type de gestes avec les hommes qui ne se trouvaient pas dans son cercle proche, et encore ses collègues n’y avaient pas droit. Elle doit lui montrer, cependant, et l’épiderme fait son oeuvre, déroute le cerveau, brouille les sens ; le vertige est offert, la nausée est donnée. Elle relâche la prise avant que le coeur ne s’emballe, avant de lui donner de la fièvre, avant de mettre réellement sa vie en danger. Le corps réagissait toujours au venin, il se défendait bec et ongles, activant une armada de symptômes, elle ne désirait pas lui infliger une expérience aussi poussée. Avant qu’il n’ait vraiment pu conscientiser le mouvement, elle se trouvait déjà près de lui, la chaise bougée, pour plus de proximité, pour le rassurer aussi, lui montrer qu’elle ne le laissait pas, que si la détresse se faisait ressentir, elle serait là. Il y avait des gestes permettant de diminuer l’angoisse, elle savait quoi faire si la respiration venait à être atteinte, elle avait été formée à secourir ses propres victimes, et son père avait donné quelques flacons d’anti-venin, si elle dérapait, qui ne suffisaient pas à éliminer l’intégralité de la souffrance mais évitaient aux victimes une mort certaine. Finalement, heureusement que son père avait été chercheur, heureusement que la formule avait été fournie. « Jared.. ça va ? Respire profondément, ça ne va pas durer. Je suis désolée. » La femme parfaite n’existe pas. La femme parfaite, si c’était elle, lui causerait trop de souffrances, de tracas.
Le contact est inattendu. Le contact est impensable. Une simple main tendue. Une simple peau entrant en contact avec une autre. Un épiderme qui offre tous ses pouvoirs. Une simple main tendue qui déploie son poison. Qui conduit un mal. Dès les premières secondes, il le sent. Il sent le poison s’infiltrer dans ses cellules. Il sent le poison envahir son corps. La main. Le bras. Le torse. Les jambes. Bientôt, tout son corps est parcouru par ce poison. Le poison d’un scorpion. Il ne se sent pas bien. Il ne saurait dire pourquoi. Il ne saurait pas dire comment. Il ne saurait pas le définir. C’est un sentiment général. Un sentiment d’énergie perdue. Un sentiment que tout se délite. Un sentiment qu’il est soudainement malade. Malade, alors qu’il allait parfaitement bien. Alors qu’il était en bonne santé. Alors qu’il se sentait en forme avant ce contact. Il cligne des paupières. Il n’est pas sûr de ce qu’il ressent. Il n’est pas sûr de ce qu’il voit. Sa vision devient trouble. Sa vision devient floue. Sa vision n’est plus claire. Il devine à peine la silhouette rousse. Il voit ses contours. Il voit des silhouettes répétées plusieurs fois. Une rousse démultipliée sous les effets du poison. Le décor tangue autour de lui. Le paysage devient flou. Son gobelet se dédouble. Triple. Quadruple. Il se sent vide. Il se sent épuisé. Il se sent nauséeux. Son ventre souffre. Son ventre se débat contre le poison. Son ventre veut évacuer ce qui le rend malade. Mais il n’y a rien à régurgité. Il n’y a rien à évacuer. Le poison ne s’est pas infiltré par l’ingurgitation d’un aliment avarié. Le poison ne s’est pas insinué dans son corps par la bouche. Mais par la peau. Par le contact. Par l’épiderme. Il a du mal à respirer. Il sent que ses poumons se rétractent. Ce n’est plus l’étouffement par café. Ce n’est plus la mort par connerie. C’est la mort par poison de scorpion. Il étouffe. Il suffoque. Il sent que l’air lui manque. L’air refuse d’entrer dans ses poumons. L’air refuse de l’alimenter en oxygène. A moins que ça ne soit l'angoisse qui l'étrangle. La main s’arrache à la sienne. Les effets disparaissent. Le poison est stoppé dans son avancée. Le poison est moins vivace. Le poison perd en intensité. Pourtant, il a encore des difficultés. La fatigue. Le vertige. La nausée. La respiration. Il a besoin de respirer. Une vague de panique. Une seconde d’effroi. Il va mourir. Il va crever. Il sent ses doigts se crisper. Ils se crispent à la recherche d’une aide. Ils se contractent à l’idée de mourir. Il ne s’est jamais senti aussi mal.
Il s’est mis en danger de nombreuses fois. En courant après les super-héros. En se trouvant au mauvais endroit, au mauvais moment. En répondant des choses incongrues. En provoquant par maladresse. Mais jamais, il n’a pensé qu’il serait aussi proche. Qu’il pourrait mourir. Jamais il n’a imaginé sentir ses poumons arrêter de happer l’air. Jamais il n’a pensé qu’il se serait vidé de son énergie. Skylar se pense dangereuse. Dans un sens, elle l’est peut-être. Elle est peut-être dangereuse. Elle est peut-être capable de donner la mort. Mais ce n’est pas ce qu’elle souhaite. Même à ce moment précis, il ne parvient pas à lui en vouloir. Il ne parvient pas à lui reprocher sa mutation. Elle n’a rien demandé. La génétique ne se contrôle pas. La génétique n’est pas une chose que l’on peut gérer. “Jared.. ça va ? Respire profondément, ça ne va pas durer. Je suis désolée.” Sa vision se clarifie. Sa vision se fait plus stable. Sa vision se fait plus nette. Un nouveau clignement et il réalise que Skylar l’a rejoint. Plus proche, plus inquiète. Il voudrait la rassurer, mais il a la bouche atrocement sèche. Il voudrait la rassurer, mais il a encore le souffle court. Il voudrait la rassurer, mais il se sent encore trop faible. Il prend une inspiration. Une longue et profonde inspiration. Il suit ses consignes. Il suit ses recommandations. Elle est désolée. Il secoue la tête. Il refuse ses excuses. Il lui interdit de se faire pardonner. Il se cramponne à son gobelet. Il s'aggripe à son gobelet. Il a la main tremblante lorsqu’il l’approche de sa bouche. Il a la main tremblante lorsqu’il tente de boire une gorgée. Il la boit. Il l’avale. Il dépose le gobelet sur la table. Il a besoin de s’en remettre. Est-ce qu’un empoisonnement par contact de scorpion est un motif d’arrêt maladie ? Il lui faudrait au moins ça. Il lui faudrait au moins trois semaines de repos. Au moins. Mais déjà, il va mieux. Déjà, il va lui en faire la démonstration. Déjà, il se lève et faire quelques pas. Déjà, il titube et manque de tomber. Il se rattrape à la table voisine. Bon, peut-être pas. Peut-être qu’il est un peu moins résistant. Peut-être que sa maladresse est exacerbée. Peut-être qu’il devrait resté sagement assis sur sa chaise. Il revient à sa place d'origine. Il ne lâche pas les meubles. Il s’y accroche comme à une bouée de sauvetage. Il s’y accroche comme pour ne pas dériver. “Ok-okay… je te crois.” Il la croit. Elle lui a bien donné ces vertiges lorsqu’ils se sont frôlés. Elle l’a bien fait tomber de son vélo. Elle est bien à l’origine de sa chute. Une chute qui n’est pas causée par sa maladresse ou par un manque de sucre dans le sang. Une chute qui a une nature plus génétique, plus fantastique. Il est bien assis à sa chaise. Il est installé, pourtant il a encore l’impression d’être parcouru par le poison. Il a encore l’impression qu’il grouille sur sa peau. Dans sa peau. Paranoïa. Il ferme les paupières. Il cherche à s’en défaire. Il cherche à effacer les traces du venin.
“Je ne me sens pas très bien.” Il pose ses paumes contre son son front. Il presse ses mains contre sa tête. Il tente de faire son chemin dans les brumes du poison. Il tente de mieux voir à travers le brouillard empoisonné. Il reprend le contrôle doucement. Il reprend le dessus. Il reprend possession de son corps. Il redécouvre un organisme affaibli, mais qui fonctionne par lui-même. Un organisme qui se remet. “C’était intéressant comme expérience, quoiqu’un peu violent. Si tu pouvais éviter à l’avenir...” Il esquisse ce qui ressemble à un sourire. Un sourire de travers, comme sa démarche. Un sourire bancal, comme son équilibre. Un sourire bizarre, comme son était actuel. Une simple plaisanterie. Elle doit bien exercer une emprise sur son pouvoir. Elle doit bien parvenir à le maîtriser. Sinon, tous les contacts lui sont refusés. Sinon, elle est condamnée à vivre loin de tous. Impensable. Il imagine seulement qu’elle a délivré son venin pour lui montrer. Pour lui expliquer. Pour lui prouver. Il ne tenait pas à subir les conséquences de sa mutation. Il ne tenait pas à subir la démonstration. Ils auraient pu choisir un vandale, un criminel. Peu importe. Quelqu’un d’autre qui le méritait. Mais tant pis. Au moins, il sait à quoi s’attendre. Il sait que la toucher peut être mortel. Il n’y a pas mieux pour une femme que de se défendre avec sa propre peau. Une arme intégrée, anti-agression. Il tourne la tête vers elle. Il plante son regard dans celui de Skylar. Il s’accroche à ses prunelles. Il n’est pas effrayé, seulement déboussolé. Il n’est pas apeuré, seulement nauséeux. Il n’est pas énervé, seulement malade. “Je ne vais pas fuir, Skylar. Et même si je le voulais, je m’écroulerais trois mètres plus loin.” Elle peut essayer tant de fois qu’elle le souhaite, elle ne le fera pas partir. Il n’est pas de ces hommes qui fuient à la première difficulté. Il n’est pas de ces hommes qui s’effrayent de l’anormalité. Il n’est pas de ces hommes qui fréquentent des femmes, seulement pour les attirer dans leur lit. Elle se voit comme un monstre. Il la voit comme une jeune femme normale. Une femme capable de le repousser comme d’autres l’ont fait et le feront. Une femme capable d’apprécier ses retards et d’aimer ses maladresses. Une femme capable d’être son amie, ou peut-être même plus. Cependant, s'imaginer en couple avec la femme parfaite lui donne des palpitations. Il s’estimera chanceux de pouvoir la compter parmi ses amis. Il n’en demande pas plus.
« No woman really wants a man to carry her off; she only wants him to want to do it. » - Elizabeth Peters.
I
l la croit. Il tremble, il se sent mal, c’est visible sur ses traits, il est pâle, il est vaseux. Sky s’en veut. Elle s’en veut de lui faire subir une telle succession de sensations désagréables, un tel cocktail de malaise. Il la croit, parce qu’il n’a plus le choix. Un simple contact et il se sent sur le point de succomber au venin d’un scorpion particulièrement virulent, une espèce digne des contrées ensablées de l’Egypte antique. « Je ne me sens pas très bien. » Il ne peut pas prétendre le contraire. Il a du mal à porter le gobelet à ses lèvres, il respire trop vite, son corps se révolte, se bat contre ce qui tente de l’envahir et, malgré lui, il accentue la souffrance en respirant vite, en tentant de happer l’air avec plus de volonté. « C’était intéressant comme expérience, quoiqu’un peu violent. Si tu pouvais éviter à l’avenir… » L’humour comme seule défense. Evidemment, si elle pouvait éviter. Autrefois, le si avait eu toute son importance, parce qu’elle n’avait pas le choix, contrainte et forcée de vivre privée de contact, d’affection, de ces câlins qu’on donne aux enfants pour les rassurer. Oui, à l’avenir elle éviterait, si elle pouvait, s’il faisait l’effort de la prévenir, s’il essayait d’être mois maladroit près d’elle, sinon la défense risquait d’être automatique, sinon le venin se déploierait de lui-même, par instinct primaire. Le scorpion n’est pas la plus téméraire des créatures.
Elle ne comprend pas pourquoi il a tenté de se lever, pourquoi il a essayé de faire ces quelques pas titubants. Il voulait lui prouver sa résistance ? Inutile. Elle n’a rien demandé, elle n’a pas d’attentes particulières, elle ne réclame rien, elle lui a simplement fait une démonstration claire du danger qu’elle représentait pour une personne normale. Le savoir assis était plus rassurant. Le sourire bizarre, un peu tordu, est positif à ses yeux, il signifie qu’il ne lui en tient pas rigueur, il est le témoin de sa gentillesse, de l’absence d’une hostilité qui aurait eu de quoi grandir. Il n’est pas comme la plupart des gens, il est tolérant, il a l’oeil d’un gamin que tout passionne, porté par les petites et grandes choses extraordinaires de l’existence. Il a l’air de savoir profiter de chaque battement de cil sans se soucier des risques, des conséquences, là où elle calcule tout méthodiquement, où elle se perd dans les études, dans les livres poussiéreux. Il y a un gouffre entre ces deux là.
« Je ne vais pas fuir, Skylar. Et même si je le voulais, je m’écroulerais trois mètres plus loin. » Elle rit. Il est fragilisé. Elle y a peut-être été un peu fort sur la dose, elle a mal évalué sa résistance, d’habitude les hommes sont moins faciles à mettre K.O ; d’un autre côté, elle avait souvent affaire à des super-quelque-chose qui avaient besoin d’une injection à tuer un cheval avant de faiblir. Note pour plus tard : y aller doucement avec Jared. Il n’est pas de son monde. Son regard planté dans le sien la dérange un peu, elle ne sait pas dans quoi il se perd, sans doute délire-t-il encore pour ne pas éprouver l’ombre d’une peur. « Tout contact doit être calculé. Me toucher par surprise, c’est risquer le double de ce que tu ressens là. Je suis.. enfin. Je n’ai jamais pu me permettre ce que font tous les adolescents, cette mutation limite mes relations avec les autres. » Pas de baisers passionnés, de longs flirts, d’aventures dans le secret des draps. Skylar n’avait pas eu la vie de tout le monde, après tout, elle n’était sûrement pas conçue pour ça ; elle était une arme, quelque part, pas forgée pour mais mutée de façon à réduire son champ des possibilités. Si elle était plus résistante que la moyenne, elle devait mettre ces facultés au service de l’humanité, quitte à renoncer à des choses que, de toute façon, elle n’avait jamais goûté. « Non je ne me sens pas monstrueuse ou mal dans ma peau, seulement je dois te protéger de ce que ça implique. J’ai grandi avec les X-Men, on m’a appris à vivre en harmonie avec les gens normaux et à les préserver.. tu comprends ? » Est-ce qu’il veut bien intégrer qu’elle agit pour son bien ? Skylar refuse d’aggraver le quotidien de Jared, il doit déjà composer avec son boulot difficile, pédaler toute la journée, livrer des colis, sortir avec ses amis, vivre en somme - elle n’est pas compatible avec tout ça. Qu’est-ce que dirait son entourage si il se faisait une amie aussi bizarre ? La fille qui se tient toujours un peu à l’écart, qui ne boit pas, ne fume pas, ne saisit pas toujours les références évoquées. Non, vraiment, elle savait que le repousser était la meilleure chose à faire.
Ce n’est pas une partie de plaisir. Ce n’est pas un moment réjouissant. Que de souffrir d’un venin. Que de sentir le poison s’insinuer dans son corps. Que d’imaginer ses poumons se vider de tout air. Que de sentir les vertiges l’envahir. Que d’être sujet aux nausées. Il a connu peu d’instants aussi désagréables. La fois où il s’est pris un pain dans la tronche par un camarade du lycée. La fois où il a été pourchassé par une bande de crétins qui l’accusait d’avoir rayé la voiture. Une accusation infondée. Une accusation imaginaire. Certes, il s’était rapproché un peu trop près. Certes, il l'avait frôlée du bout de sa clé. Mais pour sa défense, il avait trébuché sur le chien d’une grand-mère. Un accident. Une erreur d’équilibre. Qui pourrait l’en blâmer ? Il y a la fois où il a mangé dans un restaurant louche. Il y a la fois où il s’est nourri exclusivement de banane pendant trois jours d’affilées. Il peut maintenant ajouter la fois où il a été empoisonné au venin de scorpion, transmis par un mutant. Les vertiges ne sont plus qu’une histoire ancienne. Les nausées ne sont qu’un ressenti oublié. Il va mieux. Il va bien. Il voit clairement Skylar à ses côtés. Il sent sa présence attentionnée. Il tente de la rassurer. Quitte à le lui prouver en se cassant la tronche. Quitte à se ridiculiser devant tous les clients du Starbucks. Quitte à se casser la mâchoire contre une table. Il tente de la détendre, en usant d’humour. En usant de plaisanteries. Elle s’inquiète trop. Beaucoup trop. Elle doit avoir quoi, la vingtaine ? Un peu plus, peut-être. Pourtant, elle semble avoir développé un instinct protecteur. Presque maternel. Pourtant, elle semble concernée par son état de santé. Alors qu’il prend cela à la légère. Alors qu’il prend les conséquences de la mutation comme elles viennent. Il se pose pas de questions. Elle ne lui en laisse aucune. Elle se les pose toutes avant même qu’elles ne naissent dans l’esprit de Jared. Elle est trop habituée à contrôler. A protéger. A épargner. Il ne demande pas ce traitement. Il ne demande pas une protection. Il est assez grand pour prendre ses décisions tout seul. Il est un humain. Un homo sapiens. Mais il n’en est pas moins intelligent, résistant et capable de décider par lui-même. ”Tout contact doit être calculé. Me toucher par surprise, c’est risquer le double de ce que tu ressens là. Je suis.. enfin. Je n’ai jamais pu me permettre ce que font tous les adolescents, cette mutation limite mes relations avec les autres.” L’ironie veut qu’il soit maladroit. L’ironie veut qu’il soit incapable de contrôler ses propres gestes. L’ironie veut qu’il ne puisse pas la prévenir lorsqu’il tombe, lorsqu’il se rattrape à elle, lorsqu’il lui frôle la main. L’ironie veut que ce soit impossible.
Elle n’a pas fait ce que toutes les adolescentes font. C’est-à-dire ? Les relations amoureuses. Les tripotages intempestifs dans l’obscurité d’une voiture. Les bisous baveux entre deux cours. Si c'est de cela dont elle parle, elle n’a rien loupé, qu’elle se rassure. Jared ne garde qu’un vague souvenir de cette époque. Un souvenir peu glorieux. Un souvenir où chacun veut sortir avec l’autre, seulement pour le style. Seulement pour des attraits physiques. Seulement pour le tableau de chasse. L’adolescence de Skylar n’en est que plus riche en d’autres expériences. Alors que Jared s’est laissé porter par les échecs et par les futilités de la vie d’adolescent, Skylar a sûrement dû exceller dans toutes les matières. Elle a la tête d’une première de la classe. Elle a la tête de celle qui réussit tout ce qu’elle entreprend. ”Non je ne me sens pas monstrueuse ou mal dans ma peau, seulement je dois te protéger de ce que ça implique. J’ai grandi avec les X-Men, on m’a appris à vivre en harmonie avec les gens normaux et à les préserver.. tu comprends ?” Il n’entend pas sa question. Il n’entend pas son interrogation. Il ne réalise pas qu’elle souhaite une réponse. Il s’est arrêté aux X-Men. Il s’est arrêté au fait qu’elle a partagé sa vie avec des héros. Cette femme… cette femme est incroyable. Cette femme est parfaite. Cette femme ne cesse de le surprendre. Cette femme a côtoyé des héros pendant des années. Elle les connaît personnellement. Elle connaît leurs qualités et leurs défauts. Elle connaît leurs habitudes. Elle connaît leur identité. Cette information est pire que le venin. Cette information est pire que les nausées et les vertiges. Il doit forcément rêver. Il doit forcément halluciner. Est-ce qu’un scorpion est capable de donner des hallucinations ? Il va devoir se renseigner. Pas tout de suite. Il se sent encore trop gauche pour taper sur les bonnes lettres. Il se sent encore maladroit pour ne pas écrire quelque chose qui ressemblerait à “gemmobayupn fe xcotoin”. Non pas qu’il soit plus habile en temps normal. Mais en temps normal, il n’est pas touché par le poison. En temps normal, il est en pleine possession de ses moyens intellectuels. Elle doit arrêter de lui dire des choses pareilles. Elle doit arrêter de lui faire cet effet. Elle doit arrêter d’être si parfaite. Sinon, il va hurler au scandale. A la tromperie. Au mensonge. “Attends, tu peux revenir en arrière ? Je crois que mon cerveau déraille… tu as vraiment dit que tu as grandi aux côtés des X-Men ? Genre, le gars avec des griffes de deux mètres, la tempête ambulante et tous leurs copains ?” Son cerveau va bientôt abandonner. Son cerveau va bientôt lâcher prise. Son cerveau va bientôt surchauffer. Cette conversation a quelque chose de surnaturel. D’extraordinaire. D’insensé. Comment peut-elle connaître tant de super-héros, sans en être une ? Elle va devoir lui raconter toute sa vie. De A à Z. Il veut tout savoir. Tout connaître. Tout découvrir. Si elle lui annonce qu’elle est la soeur de Deadpool, il la demande en mariage illico.
Cette femme est le cadeau que tout fan de super-héros attend. Désire. Rêve. Cette femme est un trésor. Un diamant dont il faut prendre soin. Un diamant qu’il faut garder près de soi. Cette femme est sortie de nulle part, elle s’est jetée sous ses roues, elle l’a touché, leur regard se sont croisés. Il n’aurait jamais pensé rencontrer une femme qui partage sa passion pour les collants et les capes. Il n’aurait jamais imaginé tomber sur une femme qui a évolué à leurs côtés. Elle dépasse toutes ses attentes. Elle dépasse tous ses espoirs. Elle dépasse toutes ses espérances. Il n’en nourrissait pas. Il ne lui imaginait même pas une vie aussi trépidante. La seule chose qu’il imaginait trépidante dans la vie de Skylar était la livraison de nouveaux bouquins. Il était loin du compte. Il l’est probablement encore. “Tu sais… tu peux me penser trop faible pour te survivre ou que tu peux vouloir me protéger, mais je suis assez grand pour faire mes propres choix.” Elle doit bien avoir des amis. Elle doit bien avoir des gens avec qui elle parle, elle échange, elle rigole. Elle doit bien avoir des proches auxquels elle tient. Elle ne peut pas être totalement solitaire. Une mère. Un père. Un frère. Une soeur. Qui que ce soit, elle doit bien tenir à une personne sur cette planète. La solitude a ses limites. La solitude n’est jamais totale. Parce que l’on s’attache toujours à une personne. Parce que l’on apprécie toujours quelqu’un. Que cela soit un membre de sa famille ou la bouchère du quartier. “Peu importe ce que les X-Men t’ont appris, je ne te demande pas de me préserver, d’accord ? Seulement d’être… une amie.” C’est la première fois qu’il demande une amitié. Normalement, tout cela se passe naturellement. Normalement, les affinités sont telles que les statuts d’”inconnu” à “copain” à “ami” passent sans aucune demande formulée. Mais avec Skylar, il semble que les choses ne fonctionnent pas ainsi. Comme quand on court après les super-héros, il faut savoir s’adapter. S’adapter au fonctionnement de chacun. S’adapter à la sociabilité de chacun. S'adapter à son interlocuteur.
« No woman really wants a man to carry her off; she only wants him to want to do it. » - Elizabeth Peters.
U
ne fraction de seconde, Skylar avait oublié l’amour immodéré de Jared pour les héros, elle a oublié l’effet que lui ferait l’idée que la fille a côté de lui a grandi aux côtés des X-Men. Ca l’a faite rire. Le gars aux griffes, Wolverine. Ca l’a faite sourire. Il y a quelque chose d’extrêmement rafraîchissant dans cette façon de s’émerveiller face aux héros si décriés ces derniers temps, il y a quelque chose d’amusant. « Oui. Et même le glaçon sur pattes. » Elle s’abstient de préciser qu’elle considérait Iceberg comme son meilleur ami, non, comme un grand frère, afin de lui éviter une syncope. Il serait bien capable de lui poser des centaines de questions auxquelles elle ne se sentirait pas le droit de répondre, parce qu’il s’agit de leur vie, de leurs habitudes qu’ils ne voudraient certainement pas voir révélées dans un journal ou n’importe quoi qui rendrait les faits publics. « J’avais neuf ans quand un accident m’a fait muter. Sans les X-Men, je ne serais sans doute qu’une cinglée paumée de plus lâchée dans les rues de New York. » Une tueuse en série malgré elle, peut-être. Toutes les hypothèses étaient possibles, toutes les hypothèses pouvaient être émises ; qui pouvait prouver qu’elle aurait été autre chose qu’un danger ambulant ? La terrible rousse au contact venimeux. Non, vraiment, elle devait tout à l’institut Xavier, à leur enseignement et leur tolérance.
« Tu sais… tu peux me penser trop faible pour te survivre ou que tu peux vouloir me protéger, mais je suis assez grand pour faire mes propres choix. » Sky fronce les sourcils. C’est ce qu’il pense ? Qu’elle le trouve trop faible ? Ca n’est pas une question de faiblesse, c’est une question de mortalité. Si il était immortel, elle ne chercherait pas à le protéger d’elle, elle ne tenterait pas de l’écarter, parce qu’un contact avec sa peau ne serait qu’un chatouillis pour ses sens. Il n’y avait guère que les immortels à qui elle pouvait accorder l’aveuglement du naturel, de l’insouciance, à qui elle n’avait pas besoin de tout éviter, qu’elle ne faisait pas en sorte de couver. Lui.. ça n’était jamais qu’un homme. Un grand gamin, qui plus est ! « Jared, la faiblesse n’est pas le problème. Même les héros, je leur évite le contact, à tout prix. Je contrôle mais pas tout le temps, pas au point de me permettre.. je ne sais pas.. un baiser par exemple. » Un baiser. Elle ne savait pas ce que c’était. Une fois, on le lui avait imposé et elle avait détesté l’angoisse qui en avait résulté, noyée d’une culpabilité sans nom, d’une sorte de dégoût aussi. Elle savait qu’elle pouvait tenir une main une dizaine de minutes, elle l’avait fait quand il avait fallut tester les limites, évaluer si elle était prête à voler de ses propres ailes. Elle savait qu’une bise n’était pas dangereuse non plus. Du moment qu’elle s’y attendait, qu’elle se concentrait et que ça ne durait pas indéfiniment, que ça n’impliquait pas d’émotions violentes, tout allait bien. Qui sait ce que Jared pourrait lui faire ? Elle pourrait paniquer à l’idée qu’il ne meure bêtement et le tuer en cherchant à l’aider. Ce serait idiot !
« Peu importe ce que les X-Men t’ont appris, je ne te demande pas de me préserver, d’accord ? Seulement d’être… une amie. » Une amie. Elle est sciée. Elle ne s’attendait pas à ce genre de demande. C’est comme se prendre un coup de poêle à frire sur le coin de la tête. Complètement sonnée, elle cligne des yeux, l’observe avec attention. Il veut qu’elle soit son amie, c’est une drôle d’entrée en matière. Elle ignore ce que font les amies, elle ne se sent pas tout à fait digne d’entrer dans sa vie, comme ça, alors qu’elle cherchait à le faire fuir depuis plusieurs semaines. Conversation surréaliste. « Je ne sais même pas comment on fait.. je suis pas.. enfin les gens autour de toi vont me trouver bizarre et.. » Elle en a perdu ses mots, décontenancée, alors elle a baissé le regard, fixant ses propres mains nouées entre elle avec une attention parfaitement inutile. Elle est gênée. Pourquoi n’apprend-on pas à gérer ce genre de situations, au SHIELD ? Comment se sortir d’une demande d’amitié inattendue quand ça n’est pas sur un mur facebook.
Wolverine. Tornade. Shadowcat. Iceberg. Malicia. Tout autant de héros mutants. Autant d’alias qui apparaissent dans la presse, à la télévision, à la radio. Autant de pseudonymes sous lesquels se cachent des personnes. On connaît leur visage. On connaît leurs pouvoirs. Mais rien d’autres. Un mystère les entoure. Et se dire que Skylar possède toutes les réponses est incroyable. Elle pourrait divulguer pour leur vraie identité. Elle pourrait leur donner des surnoms. Elle pourrait… avoir leur numéro de téléphone dans son répertoire. Il aurait préféré qu’elle soit en contact direct avec Thor, mais il ne faut pas trop en demander. Il ne faut pas être trop gourmand. Et dire qu’il l’imaginait trop sérieuse et responsable pour se mettre en danger. Et dire qu’il lui prêtait une vie ennuyante à mourir, alors qu’elle botte les fesses des vilains. Elle est bien loin de l’image qu’elle reflète. Elle est bien loin de la jeune femme studieuse et angélique. Elle est bien loin de la femme prévenante et apeurée. Elle est bien plus. Elle est bien mieux. Jared n’en revient pas. Finalement, elle est elle-même une héroïne. Une justicière qui lutte pour rendre le monde meilleur. Une citoyenne concernée par la sécurité de la ville. Une héroïne qui n’a pas peur de mettre sa vie en danger. Et après, elle lui demande d’être raisonnable. Elle lui demande de fuir face à elle. Elle ne constitue pas un danger à proprement parler. Elle ne cherchera jamais à lui voler son argent ou à le détrousser de sa montre à vingt dollars. Elle lui demande de la fuir, alors qu’elle affronte bien pire. Alors qu’elle risque sa vie tous les soirs. Alors qu’elle combat le crime. Comment pourrait-il partir devant un danger si inoffensif quand elle, elle court, tête baissée, vers un homme armé ? C’est ridicule. Chacun est prêt à prendre des risques à des échelles différentes. Le risque de Jared, le frisson d’adrénaline, c’est Skylar. Elle doit l’accepter. Elle doit s’y faire parce qu’il ne compte pas abandonner. Encore moins maintenant. “Oui. Et même le glaçon sur pattes.” Il a un moment d’égarement. Un moment d’errance. Un moment où son cerveau lui hurle de demander un autographe. Un moment où son cerveau lui hurle de quémander le numéro de téléphone des X-Men. Mais pour une fois, il ne s’écoute. Il tente de jouer l’indifférence. Il tente d’être le mec cool et détendu pour qui fréquenter des mutants célèbres est normal. Un contraste saisissant avec ce qu’il se passe dans sa tête. Un vrai champ de bataille entre la raison et la folie. Entre le fan et l’homme lambda. Entre le naturel et l’apparence. Il ne veut pas être l’homme immature et opportuniste. Il ne veut pas être l’homme fan à ne plus savoir se tenir. Il veut être un homme détaché. Même si c’est trop tard pour sauver les apparences.
“J’avais neuf ans quand un accident m’a fait muter. Sans les X-Men, je ne serais sans doute qu’une cinglée paumée de plus lâchée dans les rues de New York.” Elle, une cinglée ? Est-ce qu’elle se met à l’humour ou est-ce vraiment ce qu’elle pense ? Parce qu’il ne l’imagine absolument pas folle. Il n’arrive pas à voir sa chevelure rousse décoiffée, la bave dans le coin des lèvres, le regard brillant d’une lueur meurtrière, ses doigts prêts à lui arracher la carotide. Non, il ne l’imagine pas folle. Il ignore son âge. Il ignore sa date de naissance. Mais elle est jeune. Elle est encore une gamine, une étudiante. Elle a sûrement passé la moitié de sa vie au contact des X-Men. Incroyable. Elle a eu la chance qu’il aurait voulu avoir. Elle a eu l’opportunité d’être puissante. Elle a la possibilité de devenir une héroïne. Et elle a suivi ce chemin. Elle en est devenue une. “Jared, la faiblesse n’est pas le problème. Même les héros, je leur évite le contact, à tout prix. Je contrôle mais pas tout le temps, pas au point de me permettre.. je ne sais pas.. un baiser par exemple.” Un baiser. Elle ne peut pas en faire. Cela veut dire qu’elle a déjà essayé… Avec un super-héros ? Lequel ? Spider-Man ? Wolverine ? La Torche Humaine ? War Machine ? Il ferme les paupières. Il doit calmer son instinct de fanboy. Il doit ranger son addiction pour les hommes en costume. Juste quelques instants. Juste le temps de cette conversation. Skylar n’a sûrement pas besoin d’un hystérique des capes. Elle a besoin d’un adulte avec qui discuter. Il est bien décidé à le lui donner. Il rouvre les paupières. Elle est donc incapable d’embrasser. Mais il ne lui demande pas de bisou. Il ne lui demande même pas de contact. En fait, il ne demande rien, si ce n’est de l’emmener boire un café et discuter avec elle. Cette invitation ne requiert pas de se toucher. Elle n’exige aucune proximité physique. Et pour parer à l'éventualité d'une de ses maladresses, Jared se tiendra loin. Il se tiendra bien droit et immobile. Au moins, les risques seront limités. Il peut le faire. Enfin, il croit. Il n’est pas sûr. Il est du genre toujours en mouvements. Peut-être un peu trop dynamique. Peut-être un peu trop actif. C’est ce que sa mère lui reprochait souvent. De toujours faire le casse-cou. De ne pas savoir se poser. De ne pas rester tranquille. Mais cette fois, il n’a plus sept ans. Cette fois, il a une motivation. Cette fois, il est décidé à faire un effort. D’ailleurs, Skylar ne devrait-elle pas s’éloigner légèrement ? Il pourrait la toucher. La frôler. Lui faire mal. Il pourrait subir un excès de maladresse. Si un autre accident survient, il parie qu’elle fuira.
“Je ne sais même pas comment on fait.. je suis pas.. enfin les gens autour de toi vont me trouver bizarre et..” Il se recule contre le dossier de sa chaise. Comment ça, elle ne sait pas comment on fait ? L’amitié n’a rien de compliqué. On se donne des nouvelles, on partage des instants de vie, on échange sur des passions communes, on sort. Il n’y a pas besoin de diplôme ou de formation. Il n’y a pas besoin de permis. Juste d’écouter l’autre. Juste de partager. Juste d’être naturel. Si elle n’était pas mutante, il la soupçonnerait de débarquer d’une autre planète. Il la soupçonnerait d’être un robot. Un sourire amusé pour chasser l’incompréhension. Un sourire satisfait pour se dire qu’il n’est pas si immature, au final. Il a plus d’expériences. Des expériences dans un autre domaine que le dessin ou la lecture. Mais de l’expérience humaine. “Tu ne vas pas me faire croire que tu n’as jamais eu d’amis ? Même pas un imaginaire ?” Elle est forcément étudiante. En tant qu’étudiante, elle est censée rencontrer des gens, elle est censée travailler avec eux, elle est censée avoir des relations cordiales avec ses camarades. Lui a qui a tendance à se lier d’amitié facilement et qui ne craint pas de parler aux inconnus, il a du mal à concevoir que l’on puisse vivre seul. Coupé de tous. Enfin, pas tout à fait. Puisqu’elle fréquente des cafés. Puisqu’elle va à l’université ou dans toute autre école. Puisqu’elle sort. Coupée, mais plongée dans le coeur du monde. “Si ça peut te rassurer, ils m’ont accepté et, franchement, on ne fait pas plus bizarre que le gars qui trébuche sur une poussière. Ensuite, je ne vais pas t’obliger à les fréquenter.” Il hausse les épaules. Il n’a pas un groupe d’amis défini. Il en a quelques uns par-ci par-là. Certains qui ne se rencontrent jamais. D’autres qui ont pris l’habitude de se voir. Devenir son ami n’est pas le synonyme de sortir tous les soirs et de boire à n’en plus pouvoir. Devenir son ami n’est pas le signe de rencontres tous les jours. Il souhaite juste agrandir sa vie sociale. Lui montrer qu’il est possible de s’amuser, tout en ayant le temps de lire tous ses bouquins intellectuels. “On se fera des trucs en tête-à-tête et je te donnerai des cours ” Des cours pour apprendre à avoir une vie sociale. Des cours pour se détendre dans un contexte amical. Des cours pour découvrir le sens du mot “amis”. Des cours pour lui prouver qu’elle peut côtoyer des gens sans les mettre en danger. Mais le dernier point nécessitera un effort de son côté. Un effort d’équilibre. Un effort d’habilité. Un effort digne du plus grand funambule de tous les temps.
« No woman really wants a man to carry her off; she only wants him to want to do it. » - Elizabeth Peters.
L
es amis, c’est compliqué. Il faut du temps pour les amis, de la sincérité pour que ça dure, être abordable pour les avoir, proche pour les garder, tout ce que Skylar ne sait pas être. Il faut des passions communes, des discussions qui s’accordent, des opinions à donner. A l’Institut Xavier, elle n’avait pas eu de mal, l’enfant souriante et tendre à distance mais le monde normal, adulte qui plus est, s’avère plus difficile. Elle ne fréquente plus le lycée ou une université classique, le SHIELD forme des combattants, des agents, ça n’a rien d’un club de vacances où l’on se rend pour chanter et se trouver des potes un peu sympathiques. Il y avait bien Luna, Daisy aussi mais Sky ne les comparait pas aux mutants de la X-Mansion, les relations étaient trop différentes. Elle les appréciait, elle n’arrivait pas à dire qu’elle les aimait. Trop de silences, de sérieux. « Seulement des mutants. » finit-elle par avouer. Être une amie classique avec des goûts et des occupations classiques, ça ne fait pas partie de son CV, mais visiblement, ça ne dérange pas Jared. Quel âge peut-il avoir ? Il semble si enthousiaste pour tout, tellement plus qu’elle et paradoxalement elle est certaine qu’il est plus âgé.
« On se fera des trucs en tête-à-tête et je te donnerai des cours. » Elle offre un sourire, refermant son carnet à dessin, rangeant ses crayons et terminant son café. Elle ne pouvait pas s’éterniser là, elle avait encore des tas de choses à faire et la foule environnante la dérangeait, brouhaha désagréable en fond sonore, mélodie bourdonnante dont elle aimerait s’échapper. « On peut peut-être commencer maintenant ? Je dois rentrer. Tu m’accompagnes ? » Elle n’habitait pas très loin. Et Sky n’avait pas besoin de cacher son style de vie étant donné que Jared lui avait déjà livré plusieurs colis. Son père lui avait cédé le grand appartement à sa sortie de l’institut, il avait voulu la rapprocher du SHIELD, lui offrir les chances qu’il ne lui avait pas donné durant son enfance, coupable malgré la tendresse qu’elle lui portait. Son alcoolisme n’en faisait en rien un homme violent, il aurait dilapidé sa fortune pour le plaisir de sa fille survivante - elle avait refusé. L’argent était placé, malheureusement l’assurance vie de sa mère s’était ajouté, était venu grossir le compte en banque des Rice. Carrière finie mais espèces ronronnantes. Richard ne dépensait quasiment rien, Sky vivait plus que confortablement sans excès pour autant - du moins aux yeux de son milieu social, Jared n’en dirait sans doute pas autant.
« Sauf si tu as mieux à faire que passer la soirée avec une nana-scorpion. » Le sourire est malicieux. Elle ignore si inviter un ami à passer du temps de la sorte se fait vraiment. Il devait lui donner des cours, si ça n’allait pas, il le lui ferait remarquer, non ? « Paraît que je fais des supers pâtes bolognaise. Trop original, n’est-ce pas ? » La jeune femme s’éclipse un instant dans la queue pour acheter du café, elle n’en avait plus et à son stade d’addiction, tomber en panne serait un véritable drame. Ceci fait, elle revient vers Jared, le manteau remis sur ses épaules, le sac à la main. « Et si tu travailles.. je veux bien assommer ton patron quelques heures. » C’est une plaisanterie, évidemment. S’il se retrouvait aux urgences avec les symptômes d’une piqure de scorpion sans la moindre perforation, sans qu’un liquide caractéristique n’apparaisse dans ses analyses, ils seraient dans de sales draps. La main est tendue, comme un signe d’acceptation : elle veut bien être son amie, elle veut bien apprendre à le connaître, répondre à ses questions indiscrètes, lui en poser par centaines, boire un peu peut-être. C’est comme ça qu’il faut faire, non ? Se découvrir, tout simplement.