rupture

Son amie. Robe transparente. Odeur envoûtante. Effet hypnotisant. Il pourrait la regarder des heures durant. Il pourrait la goûter des dizaines de fois. Il en demande. Encore et encore. Son amie. La vodka. Tous les alcools y sont passés, jusqu’à ce qu’il se jette sur la vodka. Bien plus forte, bien plus enivrante. Pendant un quart de seconde, elle efface, elle gomme, elle comble. Il n’y a plus de vide quand il l’avale. Il n’y a plus de manque quand il la voit. Il n’y a plus de doute quand il la sent. Il n’y a plus d’égarement quand il la prend. Il n’y a plus rien. Il se sent bien avec son amie, la vodka. Elle est son équilibre. La contre-partie est douloureuse, violente, agressive. La contre-partie est la colère. Une haine viscérale. Un énervement profond. L’alcool exacerbe son tempérament. Le transforme en un monstre de méchanceté, de violence et d’agressivité. Toujours mieux que de se sentir vide, égaré, inutile. Toujours mieux que rien. “Linc… s’il te plaît. Tu dois poser ce verre, tu vaux tellement mieux que ça.” Une main se pose sur son bras. La tête se relève. Ses yeux s’arrachent du verre. Se posent sur un visage féminin, inquiet, blessé, amoureux. Il ignore ce qu’elle fiche ici. Elle devrait ne plus l’aimer. Elle devrait le penser incompétent, idiot, invivable. Mais elle reste. Elle s’accroche. Elle l’aime. “Tu m’fais chier. Laisse-moi tranquille.” Il la repousse. Il l’éloigne. Il n’a pas envie de la blesser. Il n’a pas envie d’être un poids. Il n’a pas envie de sa pitié. Il veut juste être seul. Seul avec son amie, la vodka. Il saisit la bouteille. Il remplit le verre. Il pourrait boire directement à la bouteille. Il pourrait. Mais il préfère verser l’alcool. Il a le sentiment de contrôler. Il a le sentiment de pouvoir arrêter n’importe quand. “Ça suffit ! Tu as assez bu comme ça !” La voix monte dans les aiguës. Il grimace. Il déteste. Il la déteste. A s’inquiéter pour lui. A le disputer comme si il était un gamin. A être sur son dos. Tout le temps. Continuellement. De nouveau, contact visuel. Regard noir. Main fermement accrochée à son verre. Rébellion infantile.

“Tu te prends pour qui ? J’t’ai jamais rien demandé, tu devrais te casser, faire ta valise et partir.” Cruel. Il s’en fiche. Il avale l’alcool. Douce brûlure dans son corps. Le vide est comblé. Il se sent mieux. Il se sent vivant. Il se sent complet. Dans ces moments-là, il a le sentiment que le monde lui appartient et qu’il pourrait accomplir de grandes choses. “Tu ne penses pas ce que tu dis. Tu ne vois pas que l’alcool te ronge de l’intérieur ? Tu n’es plus le même, Lincoln.” Elle geint. Elle chiale. Elle s’accroche de nouveau à lui. Il se lève brusquement. Il en a assez entendu. Il en a assez de discuter. Il sait comment ça va finir. Comme à chaque fois. Elle va pleurer dans la chambre, éprouvée par la dispute. Lui va boire, en tête à tête avec une bouteille. Elle le fait chier. “Je sors.” Il abandonne son amie liquide sur la table. Elle sera toujours là à son retour. Fidèle au poste. Soutien incontestable. Il attrape les clés de la voiture. Il sort. Il a le pas sûr. Le bar. Son QG quand ça devient lourd chez eux. QG où personne ne le juge. “Quoi ? Tu as bu, Linc, tu ne peux pas prendre le volant ! Laisse-moi conduire, je t’en prie… Lincoln !” Trop tard. Le volant est déjà devant lui. Prêt à le conduire jusqu’au bar. Un passager clandestin s’ajoute. La copine en chair et en os. Les larmes dévalent ses joues. La peur déforme sa voix. Il se déteste de la faire souffrir. Il la déteste encore plus de s’accrocher et de s’inquiéter pour lui. Il met le contact et il file. Loin. Vite. La vitesse n’efface pas la colère. La vitesse ne tarit pas les mots. La dispute continue. S’amplifie. S’intensifie. La dispute se poursuit, jusqu’à l’inévitable.

Klaxon. Crissement de pneus. Cris. Choc. Il relève la tête. Cette fois, il ne regardait pas son verre de vodka. L’airbag s’est déclenché. Sonné. Désorienté. Mains tremblantes. Substances chaudes et rougeâtres sur le visage. Regard hagard. Regard qui tombe sur le trou dans le pare-brise. “Non, non, non, non…” Coeur affolé. Regard affolé. Mains affolées. La ceinture cède sous ses sollicitations. Il sort de la voiture. Jambes tremblantes et instables. Il fait le tour. Le corps est là. Projeté. Échoué. Il se précipite. Il s’affale. Il l’attire contre son torse. Caresses sur des joues perforées par les éclats de verre. Il continue à psalmodier. Non, non, non. “Jess… Jess… réveille-toi ! Allez, putain, réveille-toi ! Tu peux pas faire ça… s’il te plaît…” Il gueule. Il hurle. Il secoue. Rien ne lui répond. Juste l’inertie d’un corps. Juste un beau visage déchiré par la mort. Juste sa faute renvoyée en pleine gueule. Elles coulent, les larmes. Elles débordent, les larmes. Il a trouvé le remède à l’ivresse. Il a trouvé le remède à l’égoïsme. “Lincoln Campbell ?” Il met du temps à réagir. Il met du temps à lâcher ce visage dont il était amoureux. Il croise un visage inconnu. Yeux absents. Main tendue. Un messager venu lui faire payer la mort de Jess ?

rencontre

Plop. Apparition instantanée. Apparition surprise. Il a sursauté. Perdu dans ses livres de médecine. Concentré sur l’avenir qui l’attend. Il a revu ce visage si familier, si amical au final. Ce n’était pas un messager vengeur, mais un messager venu l’aider. Venu lui expliquer. Venu lui montrer. Venu lui expliquer. Venu donne un sens. Le vide n’en est plus un. Le vide n’est que de l’histoire ancienne. Aussitôt, un sourire apparaît sur ses lèvres. Heureux de revoir Gordon. Ce bon vieux Gordon. Il referme son livre et se lève. Il accueille son ami. “On a besoin de toi à l’Afterlife, une inhumaine est arrivée. Elle a été exposée au terrigène et Jiaying veut que tu t’en occupes.” Il a d’habitude le temps de s’organiser. De se préparer. De voir l’événement venir. Pas cette fois. L’ADN alien a été déclenché en dehors des procédures habituelles. Depuis qu’il a appris à maîtriser son pouvoir, il est devenu transiteur. Chargé de soulager les inhumains dans la transition. Chargé de les aider. Chargé de les accompagner les premiers jours. Il ne revient à l’Afterlife que lorsqu’on a besoin de lui. Toujours un plaisir. Comme un retour à la maison. Ce petit village perdu dans un coin de la planète est l’endroit où il s’est révélé. Où il a découvert le sens de sa vie. Où il s’est senti bien. Où il a trouvé sa place. Enfin. Depuis, son amie la vodka n’est pas revenue. La vodka et toutes ses amies ne se sont plus pointées. Elles sont restées loin, très loin. La rupture a été avalée, digérée. “Okay… maintenant ?” Gordon hoche la tête. Le temps de faire son sac. Le temps de rassembler quelques affaires. Le temps d’être téléporté. Le voilà de retour dans ces rues qui lui sont si chères.

survie

Le bistouris incise la peau. Le sang perle. Coule. Glisse. La peau se couvre d’une traînée rouge. L’équipe s’organise. Les ordres sont donnés. Les médecins s’affairent. Le sang coule sur sa peau, mais il ne sent rien. Endormi par un anésthésiant. Il dort. Il dort profondément. Oscillant entre sommeil et coma. Un équilibre difficile à jauger. Il ne sent rien, mais dans son songe, il pressent que quelque chose se passe. Il se rappelle la cellule dans laquelle il était. Il se rappelle les hommes armés venus l’arrêter. Il se rappelle. Mais il dort. Il dort profondément. L’autopsie peut commencer. La tentative de savoir. La volonté de trouver le secret. Ils veulent comprendre son pouvoir. Ils veulent tout savoir, tout contrôler, tout reproduire. Pour mieux recréer le gène alien. Pour mieux trouver une arme contre les inhumains. But expérimental. But scientifique. Dans ces cas-là, le patient n’a pas de nom. Pas de conscience. Pas de vie. Il n’est qu’un tas de chair qui apporte des réponses et soulève des questions. Il n’est qu’un moyen d’atteindre leur objectif, de mener à bien leur projet. Doucement. Lentement. Il s’enfonce. Il tombe. Le rythme cardiaque baisse. Le coma est proche. Il n’y a bientôt plus que l’obscurité. Un sentiment de tomber dans un tourbillon qui l’emporte. L’entraîne. Le pousse. Il s’enfonce sans en avoir conscience. Sans rien ressentir. Le pouls ralentit. Encore et encore. Il est imperceptible. Presque inexistant. D’un coup, tout s’arrête. Il n’y a plus rien. Un quart de seconde. Son coeur tremble. Il tremble. Il se remet à battre. Un battement. Puis deux. Assez pour qu’on le dise sauvé. Assez pour qu’on le transporte. Assez pour qu’on l’emmène dans les locaux du S.H.I.E.L.D. pour être soigné. Et bientôt, la conscience revient. Le sommeil s’efface. Les sensations apparaissent. Et bientôt, la lumière est là.

normal

Moniteurs. Téléphones. Ordinateurs. Télévisions. Ici, l’électricité grouille. Circule. Il y en a partout, rattachant les hommes à la vie, permettant aux médecins de faire leur oeuvre, distrayant les familles et les malades. Il pourrait tout faire sauter. Il pourrait couper l’électricité en quelques secondes. Il pourrait tuer des dizaines de personnes, en arrêtant les appareils respiratoires, en débranchant les moniteurs, en faisant dysfonctionner les défibrillateurs. Au lieu de cela, il porte la blouse. Grande veste blanche sur des vêtements d’un bleu laid. Un badge à la poche sur la poitrine. Un dossier dans la main. Son quotidien depuis qu’Afterlife n’est qu’un lointain souvenir. Il n’utilise plus son pouvoir. L’électrokinésie reste sous contrôle. Enfermée dans un coin. Sous verrous pour ne pas risquer les accidents. Il a perdu foi. Il a a perdu l’envie. Être inhumain est devenu une malédiction. Être inhumain est synonyme de monstruosité. Il n’apprécie plus cette part de lui. Il se fait peur. Alors, il contrebalance en enchaînant les heures de garde. Il s’assure de réparer les vivants, de les soigner, de les rétablir. Il s’assure de faire le bien. Loin de son ancienne vie. Loin de son pouvoir. Pourtant, tout le lui rappelle. Si il se concentre, il peut la sentir. Là, juste ici. Partout dans l’air. Partout en lui. Si il se concentre, il peut la sentir vibrer, presque la toucher. Où qu’il aille, elle est là. Vieille amie collante qui ne veut pas le laisser tranquille. Il a passé des années à ressentir un vide, maintenant il se sent trop plein. Envahi par un monstre de noirceur qui ne demande qu’à sortir. Envahi par un pouvoir qu’il ne désire plus. Il n’y a que le travail qui compte. Moyen de créer une vie normale. Moyen de se mêler aux humains. Moyen d’oublier son passé.

changement

Il y a une certaine satisfaction à faire son travail. Les remerciements. Les regards soulagés. Les sourires sincères. Il aide vraiment. La médecine est un domaine qui lui plaît. Un domaine qui demande de l’investissement personnel et professionnel. Il a toujours voulu aider. Il le faisait déjà à l’Afterlife. Il continue dans cet hôpital. Pourtant, il y a Daisy juste devant lui. Ses prunelles noisettes. Son sourire. Ses discours incroyables. Elle le voit comme une bonne personne. Elle le voit encore comme le Lincoln qu’elle a connu sur l’Afterlife. Mais il ne l’est plus. Maudit par un pouvoir. Hanté par une trahison. Il n’est pas aussi parfait qu’elle semble le croire. Elle lui rappelle Jess. Le même espoir dans le regard. La même volonté. Cette fois, il est sobre. En pleine possession de ses moyens. Totalement conscient. Il ne fuit pas. Il ne s’énerve pas. Il se contente de s’appuyer contre le dossier de sa chaise. “Ce n’est pas une bonne idée…” Il craint. Son propre caractère. Ses propres réactions. Il craint ce qu’il serait capable. Bras croisés. Regard perdu. Il sait. Il sait qu’il a une part de noirceur en lui qui ne demande qu’à sortir, qu’à s’exprimer. Il sait qu’il devra se contrôler encore plus. Il sait qu’il devra faire attention à chaque instant. Le contrôle de son pouvoir n’est pas aussi instinctif que pour Skye. Le sien est soumis à ses émotions. Le stress, la colère, la tristesse… il pourrait tuer quelqu’un. Il pourrait être submergé par ses démons. Il pourrait la décevoir. Il pourrait ne pas s’arrêter à temps. A l’hôpital, il n’y a pas de risques. Il peut vivre normalement. Il peut faire le bien à son échelle.

“Ce poste est une chance d’aider comme tu le fais ici. Tu aiderais les inhumains à contrôler leur pouvoir. Tu es le mieux placé pour ça.” Une place dans l’équipe Delta, au milieu d’humains, d’inhumains et de mutants. Une équipe spéciale pour intervenir lorsqu’une personne de pouvoir doit être arrêtée. Il n’apprécie pas l’idée. Il n’est pas certain que tout cela se termine bien. Extermination. Enfermements. Autopsies. Les risques sont multiples. Il n’a toujours pas confiance en l’organisation. Sous couvert de vouloir aider des inhumains, ils pourraient avoir d’autres projets. Des projets pour rassurer la population. Des projets pour développer leurs propres pouvoirs. Des projets pour créer des armées d’inhumains. Aucun gouvernement ne passera devant une chance d’avoir une armée plus puissante que n’importe quelle arme. “On parle du S.H.I.E.L.D., je ne suis pas fait pour ça.” Devenir agent. Obéir aveuglément aux ordres. Se battre. Espionner. Tuer. Il préfère son quotidien de médecin. Il préfère prendre soin des autres. Loin des situations dangereuses. Loin des armes. Loin des pertes de contrôle. Loin de tout cela, il reste fidèle à lui-même. Redevenant le Lincoln de l'Afterlife. “Qu’est-ce que tu risques d’essayer ?” Rien. Probablement rien. Il soupire. Il voit la détermination dans son regard. Elle ne capitulera pas. Pas tant qu’il n’aura pas lâcher un “oui”. Pas tant qu’il n’aura pas accepté. Après tout, elle a raison. Qu’est-ce qu’il risque ?

Spoiler: