A • B E AU T I F U L • T H I N G • I S • N E V E R • P E R F E C T .
Alexandrie, sous un soleil de plomb. La ville luit, suinte, chauffe ; elle se trouble au contact des rayons du soleil et perturbe les piétons comme les automobilistes. En tendant l'oreille, peut être peut on même entendre le métal plier et se plaindre. Un temps à ne pas faire grand chose, un temps à rester sous une climatisation ou un ventilateur, n'est ce pas ? Surtout pas un temps à faire des efforts. Ou à donner naissance. Et pourtant, dans un hôpital non loin du bord de mer, la vie se prépare. Le travail est long, difficile, douloureux. Pire encore, il est solitaire. Harrisson est parti pour la Grosse Pomme, après tout, elle n'était pas prévue avant deux semaines. Mauvais calcul. Neith doit enfanter seule, sans la présence rassurante de son aimé à ses côtés. Et malgré le temps, malgré la douleur, malgré l'absence, au bout de plusieurs heures de labeur, la petite Nephthys devient tangible. Elle qui n'était alors qu'une image sur un écran devient un véritable petit poupon, qui déjà s'élance dans la vie en pleurant avec fougue.
Très tôt, la fillette marche, sous les yeux attendris de ses parents. Elle n'a toujours pas quitté l'Egypte, mais ses parents ont bien l'intention de l'emmener en Angleterre, en Amérique, et même plus loin si elle le souhaite. Problème pourtant : elle ne parle pas, ou du moins pas encore. Chose étrange pour un être qui, en plus, aurait dû être bilingue. L'enfant ne décoche pas un mot, ni en Anglais, ni en Arabe, ni rien d'autre. Elle écoute et comprend, cela est certain, mais il ne lui semble pas essentiel de communiquer. Pour seules réponses, elle se contente de hocher ou de secouer la tête. Peut être que cela suffit ; en tout cas, ni Harrisson ni Neith ne panique à cause de ce retard. Cela viendra, ou peut être cela est-il déjà venu, mais elle ne juge pas indispensable de parler : elle n'a sans doute rien à dire, tout simplement.
Mais les jours passent et aucun son ne s'adresse à eux ; alors il leur faut bien songer à emmener la petite voir un spécialiste. Ils en discutent, elle les entend. Et elle secoue la tête si violemment qu'ils savent non seulement qu'elle comprend, mais qu'elle n'en a pas besoin. Elle ne veut simplement pas leur parler.
A trois ans enfin, Nephthys décide de décocher quelques mots, puis des phrases. Elle répond quand on lui parle, sous l'oeil stupéfait de ses géniteurs. Evidemment, les questions se font alors essentielles. Mais pourquoi diable n'as-tu pas parlé avant ?
« Il m'avait dit de ne pas le faire. » chuchote t'elle.
Qui ? Quand ? Qu'est ce que c'est que cette histoire ? Ils n'auront pas d'autre réponse que celle-là. C'est une enfant, après tout ; il a du se passer quelque chose dans sa tête, voilà tout. Le principal était qu'elle parle à présent. Et puisqu'elle parle enfin, elle en profite. Toute petite déjà, Nephthys souffre de maux de tête chroniques. On la fait examiner, sans résultat. « Peut être le stress », leur dit-on. Mais comment un si jeune enfant peut il être stressé ? « Peut être les températures, l'environnement, le pays » etc, etc. Toutes les hypothèses se font. Comme ils avaient décidé de lui faire voir du pays de toute façon, la famille Leonhart prend l'avion, direction l'Angleterre.
Là, elle peut intégrer une école bien comme il faut, digne des valeurs du pays, en évitant les désagréments sous-entendus de l'environnement égyptien. Le climat n'est pas le même, et en effet, les migraines de la petite fille ont disparu. Tout semble donc pour le mieux, bien que les intempéries anglaises lui paraissent d'abord des plus étranges. S'il fait beau le matin, en Angleterre, il pleut l'après-midi. Et inversement. Si l'on s'en tient à cela, bien sûr, tout est viable. Mais la pluie, à forte dose, est dangereuse elle aussi, et Nephthys vit pour la première fois une fermeture d'école pour cause inondation. Cela aurait pu être un simple événement ponctuel dans l'année, et donc sembler tout à fait ordinaire, s'il n'avait pas été répété. Les pluies torrentielles semblaient n'en plus finir, et reparaissaient toujours quand on s'en croyait enfin débarrassé. Parfois, elles s'abattaient alors que les enfants étaient encore rassemblés dans leurs salles de classes. Nephthys, dans ses moments là, se pelotonnait dans un coin pour pleurer en silence. On en déduisait qu'elle avait peur de l'orage ou des grosses pluies ; il n'en était rien. Lorsqu'elle restait coincée dans l'école pour cause d'intempéries, et sans savoir pourquoi, l'enfant avait mal. Elle pliait sous le poids de la douleur.
Ce fut lors de la cinquième inondation qu'elle sentit son poignet se déchirer ; et, recroquevillée sous les porte-manteaux, elle put suivre des yeux la fissure sur son avant-bras. Elle en resta sans voix, malgré la douleur. Une fois rendue à ses parents, ce fut la première chose qu'elle leur montra, en larmes.
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Pas de sang -pas de nerfs, de veines ou d'artères endommagées ; et pourtant, la peau est bien creusée sous les yeux étonnés des médecins et chirurgiens auxquels on a très vite emmené la fillette. Étrangeté scientifique s'il en est : l'enfant est ouverte, point final. Elle ressent pourtant la douleur, mais son corps ne sécrète rien qui ne pourrait signifier qu'il a reçu une blessure. Cela ne ressemble même pas à une coupure, lorsque l'on s'y penche ; va t-elle même cicatriser ? Faute de mieux, on désinfecte et bande sa plaie. Pas d'explications, pourquoi y en aurait-il ? Le corps soignant ne sait pas lui même à quoi il a affaire. Au mieux, on demande à l'enfant comment elle s'est fait ça, ou qui lui a fait ça. Bien sûr, la réponse ne vient pas. Elle n'a rien fait, et personne ne lui a rien fait. Si on l'écoute, cette étrange plaie est apparue
toute seule. Foutaises. On en déduit qu'elle a des tendances à l'auto-mutilation. Mais n'est elle pas trop jeune pour cela ? Disons qu'il n'y a pas d'âge. On conseille à ses parents de la surveiller ; rien de mieux pour les épouvanter. Comment pourraient-ils réellement croire que leur petite fille chérie s'était blessée ainsi seule ? Ça n'a aucun sens à leurs yeux. Alors ils essaient à nouveau de lui demander. Qui ? Quand ? Elle ne sait pas elle-même. Elle aimerait savoir pourtant. Elle ne comprend pas plus qu'eux. Tout ce qu'elle sait, c'est que c'est arrivé soudainement en classe, alors qu'il pleuvait à torrents. Mais ça n'a pas de sens, la pluie ne blesse pas, surtout pas une petite fille assise dans une salle de classe.
Mais après tout, n'est-il pas étrange que les pluies soient si violentes et si fréquentes chez eux ? Quand il n'y a plus de solution, l'être humain se tourne -naturellement?- vers ce qui lui reste : le divin, le malin, ou le fantastique sous quelque forme que ce soit. Cela n'a pas de sens, bien sûr, mais si les pluies étaient un signe ? Si quelqu'un au dehors avait quelque chose contre leur enfant ? Si ce « il » qu'elle avait évoqué était là, non loin, a essayer de lui faire du mal ? Quand ils arrivèrent à cette conclusion, le couple Leonhart échangea un regard des plus terrifiés. Que fallait il faire ? Exorciser l'enfant ? Engager quelqu'un pour trouver le responsable ? S'il s'agissait d'un humain, ce n'était pas impossible mais... Si le Diable lui-même en était après elle ?
Pour un temps, ils gardèrent chez eux la petite plutôt que de la laisser, lors de ses classes, être possiblement en danger. Pas une fois ils ne la laissèrent alors seule, trouvant des horaires et faisant des roulements. Ils n'osèrent pas même engager quelqu'un, de peur de faire entrer chez eux « ce » qui en voulait à leur enfant. Devenus superstitieux et paranoïaques au possible, Harrisson et Neith imaginèrent toutes les situations possibles. Chaque jour également, ils vérifiaient la plaie dans le poignet de l'enfant. Si au début son corps ne semblait pas avoir remarqué sa blessure, celle-ci finit néanmoins, avec plus de lenteur qu'à la normale, par cicatriser, pour finalement ne plus laisser comme signe de son existence qu'une tâche légèrement plus sombre. Ils purent alors se calmer, et tentèrent de réfléchir de façon plus raisonnable et conventionnelle. Si la blessure avait pu se soigner d'elle-même, la source n'était sans doute pas maline... N'est ce pas ? Ils continuèrent malgré tout encore de longues semaines à surveiller leur enfant, chez eux, à l'abri de tout, avant d'oser une nouvelle fois la mettre à l'école. Les jours semblaient plus cléments, rallongeaient même, et le climat de terreur qui s'était installé se dissipait peu à peu.
Mal leur en prit. A peine quelques jours après le retour de Nephthys à l'école, le temps se couvrit à nouveau. Et si Neith voulut sortir sous des torrents d'eau pour aller chercher sa fille, une fois de plus coincée entre les murs de sa classe, il lui fallut bien admettre que sortir était bien trop dangereux. En se mangeant les ongles, Neith pria tous les dieux qu'elle connaissait. Ses prières, semble t-il, ne trouvèrent grâce pour aucun d'eux ; au fond de sa salle de classe, une fois de plus roulée en boule, Nephthys se redressa soudainement pour hurler alors que sa joue se fissurait à son tour, bien que sa voix fut couverte par le vrombissement de l'orage. Alors, l'intégralité de la classe put admettre et témoigner que rien ni personne ne causait, en apparence du moins, ces blessures. Si certains élèves avaient tourné de l'oeil à cause de l'orage, Nephthys s'évanouit sous la douleur avant de voir la fin de la pluie. Voilà la goutte de trop lorsque ses parents purent enfin aller la chercher. La réponse était claire : une créature mythique et démoniaque lui en voulait. Il était temps de faire appel à un exorciste.
Il est bien sûr inutile de préciser que tous les exorcismes du monde n'auraient eu aucun effet sur l'enfant. Mais, enfermée ainsi à subir des exorcismes pendant de longs jours, et comme la première fois, rien de plus ne lui arriva. La famille fit exorciser la maison également, et décidèrent de changer Nephthys d'école ; ou plutôt, de lui donner des cours à domicile. Chaque professeur, bien sûr, n'exerçait que sous étroite surveillance de l'un ou l'autre parent. Tout devint calme pour la fillette, et elle n'eut plus à se préoccuper de quelque douleur que ce soit... Cela dit, elle n'eut plus à se préoccuper d'avoir ou non des amis non plus. Mais il fallait sacrifier quelque chose pour vivre en sécurité, et elle s'y faisait. Les années passant, elle s'y habitua même très bien. On avait trouvé la source du problème, en théorie, et cela lui allait. Plus aucun démon ou autre créature de Lucifer ne pouvait la blesser.
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Merde.
Merde.
Merde.
Ce n'était pas possible.
Il avait donc fallu déménager, et quoi de mieux pour être tranquille que l'arrière pays ? Parfois au fin fond des fields anglais, parfois contre les rives les plus éloignées du Nil, Nephthys avait passé son enfance à voguer çà et là, au fond. Des racines et des ailes ? Surtout des ailes. Comme si rester loin du monde civilisé, de la foule contenue, allait changer quoi que ce soit. Si quelque démon la poursuivait, il se fichait bien de l'endroit où elle se trouvait, non ?
Toujours est-il qu'elle avait merdé. Elle ? Bien sûr, c'était nécessairement sa faute.
Quand on vit coupé du monde, on vit coupé de tout. Et des informations, surtout. Neith restait à présent avec elle, et il n'y avait qu'Harrisson qui allait et venait -c'était important. Il travaillait sur quelque chose de... Spécial. Semblait il. En tout cas, il n'en disait pas plus. Il se faisait de plus en plus absent, mais revenait toujours souriant, bien qu'exténué.
Puis un jour, il revint avec un air grave. Il s'entretint avec sa femme ; on n'avait pas les infos, ici. Nephthys sentit bientôt les regards se poser sur elle. Ils avaient une explication. Elle le savait à présent. Mais on ne lui donna pas cette explication. Juste un peu de peur, mais beaucoup d'attention. Il fallait croire que quel que soit la raison à tout cela, elle n'avait pas eu de chance. Ce ne fut que lorsque son père repartit que sa mère éclata en sanglots. Et elle ne comprenait pas.
Merde.
Merde.«
Pourquoi toi ? »
Les premiers mots faisaient mal ; mais elle savait que ce n'était pas un rejet. Ca ne pouvait pas en être un.
«
Pourquoi, parmi tout ce qui existe... » Sa mère reprit son souffle et la fixa. «
Tu aurais pu être tellement de choses... Il y en a tellement, là-bas... Je suppose qu'on appelle ça un don... Pour eux. »
Devait-elle en déduire qu'elle était, pour sa part, maudite ?
Neith la serra contre elle. C'était le signe qu'il fallait vivre caché ? Qu'y avait-il, là, dehors, au loin, là où son père allait, qui changeait ainsi tout dans sa vie ? Qu'avait-il appris ? Que lui cachait-on ?
Elle avait merdé.Pourquoi était-elle sortie comme ça, en pleine nuit ? Pourquoi courrait-elle au hasard ? Où pensait-elle aller ? Ca n'avait pas de sens. Ses pas alourdis par les sables ne la guidaient nulle part. Elle chercha dans les étoiles une réponse qui ne venait pas ; il ne lui restait plus qu'à courir. Peut-être était-ce un élan de liberté, mais une fois sa tête vidée, elle prit un certain plaisir à s'enfuir librement sans même savoir vers où elle se dirigeait. Sur l'instant, elle n'eut pas peur. Au contraire même ; et sans doute fallait-il mettre la faute sur une crise d'adolescence ou quelque chose du genre. Quand le soleil se leva sur sa tête, elle trouva à portée du regard un village. De village, elle put se faire guider en ville. Et la ville, elle la redécouvrit. Plus rien ne ressemblait à ses souvenirs de petite fille, et l'euphorie qui la prenait soudain balayait ses doutes et sa culpabilité. Il n'y avait pas de mal à se faire de bien, n'est ce pas ? Tout aurait pu se passer au mieux. Tout aurait pu être parfait. Mais la ville regorge, certes de beautés, mais également de toutes ses horreurs. Certaines rues étaient peu engageantes, et on ne pouvait pas dire qu'elle resta sûre d'elle très longtemps. Elle se contenta donc de déambuler sur le boulevard le plus fréquenté. Mais la foule ne lui seyait pas ; elle ne tarda pas à sentir sa tête s'alourdir, et le décor tournoya autour d'elle. Elle s'assit un instant, essaya de reprendre son souffle. Sa vision s'obscurcit et elle dut fermer les yeux.
«
Ce n'est pas ce que tu crois. Tu n'es pas une victime. »
Elle se redressa brusquement et s'écarta violemment de l'endroit d'où on venait de lui souffler une telle chose. Personne. Pourtant, elle sentait encore le souffle sur sa nuque. Rien sur le muret à côté d'elle, si ce n'était... Une feuille ? Non, une page. Une page de dictionnaire. Elle posa la main sur l'objet, chercha des yeux autour d'elle sans jamais croiser un regard qui trahirait la personne ; puis ses yeux déchiffrèrent les lettres anglaises.
« Mutant, mutante. Adjectif. De : Muter.
Mutant. Nom masculin. De : Muter.
Se dit d'une cellule, d'un clone cellulaire ou d'un organisme dérivant d'une cellule qui a été le siège d'une mutation. »
Il lui fallut ensuite déchiffrer une écriture peu soignée rapidement griffonnée dans les colonnes vides de la page. Elle n'en comprit pas la moitié. Symptômes ? Ou syndrome ? Pas sûre. Pouvoirs ? C'était ça ? Pouvoirs ? Humains. Non... Surhumains ? Ca n'avait aucun sens. Supérieur ? Supériorité ? Elle n'y comprenait décidément rien. Il aurait été tellement facile de juste jeter cette feuille et de ne plus y penser... Pourtant, cet étrange événement avait signé l'arrêt de sa migraine. Et quelque chose la poussait à penser... Que ce n'était pas une coïncidence.
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« Qu'est ce que je suis ? »Harrisson a à peine passé le pas de la porte quand la question cingle à ses oreilles. Ferme, décidée. En attente d'une réponse, d'une réponse précise, d'une vraie réponse. Du concret. La vérité. Impossible de se défiler. Ce qu'il essaye pourtant de faire.
«
Comment ça, ce que tu es, ma chérie ? »
Un grincement de dents, une ado déjà névrosée, des ongles qui s'enfoncent dans les bras croisés. Nephthys dévisage son père avec froideur.
« Arrête. Tu en as parlé à maman. Quelque chose ne va pas avec moi. Et ce n'est pas une malédiction ou une possession, n'est-ce-pas ? C'est moi. C'est moi qui ne vais pas bien. Qu'est ce que je suis ? »Il hésite, soupire, passe sa main dans ses cheveux et se débarrasse de sa veste. Puis il s'approche et la serre dans ses bras.
«
Ca va aller, d'accord ? Quelqu'un... On m'a dit que ça irait. Tu n'es pas toute seule, et il y a des gens qui peuvent t'aider. Tu ne crains rien. »
« M'aider ? Quoi, je suis folle ? Gravement atteinte ? »«
Non, ma chérie. Non. Rien de tout ça. »
Il dégage une mèche de son visage.
« Qu'est ce que je suis ? » supplie t-elle dans un souffle.
Il embrasse son front pour la rassurer.
«
Ils appellent ça des mutants, mais tu ne dois pas paniquer. Ce que tu fais, personne ne peut le faire. C'est un don, d'accord ? Il existe une... Ecole... Oui, une école. Pour t'apprendre à contrôler ce don. Tu vas pouvoir réguler ta douleur. Tu ne veux plus avoir mal pour rien, n'est ce pas ? Ils sont là pour ça. »
Il lui faut du temps pour assimiler ; tout cela n'a aucun sens.
Envisager déjà que le terme du dictionnaire s'appliquait à elle était une sacrée nouvelle. Se dire qu'il y en avait d'autres en était une de plus. D'ailleurs, que pouvaient-ils faire, ces autres ? Inconsciemment, elle se mit à les jalouser. Jusqu'ici, son « don », comme le disait son père, ne lui avait permis que de souffrir lors des inondations. Et, de ce qu'on lui avait dit, de migraines pour une raison inconnue lorsqu'ils vivaient à Alexandrie. Elle ne comprenait pas. Comment le fait d'avoir mal pour rien pouvait être une capacité dont on pouvait être fière ? Cela ne servait absolument à rien. Quelques jours s'écoulèrent alors que son père attendait de savoir si elle voulait ou non en savoir plus et migrer aux États-Unis, quelques jours durant lesquels elle conversa très souvent avec lui. Sur sa particularité. Sur son but, sur son utilité. Ils imaginèrent beaucoup de choses. Peut être ne pouvait-elle pas être blessée gravement ? Peut être son corps ne perdait pas de sang ? Ils essayèrent de mettre les réactions en relation avec ce qu'ils pensaient être les causes : le soleil d'Egypte, les pluies d'Angleterre. Ils étaient loin de se douter de ce dont elle était réellement capable, mais étrangement, elle se plut à imaginer ce dont il allait en retourner, une fois qu'elle maîtriserait tout. Parce qu'il fallait avouer qu'être la mutante-qui-se-craquelle, ça restait un peu pitoyable.
Sauf qu'ils n'avaient pas envisagé qu'au premier pas au sein de l'institut, entourée de tous ces élèves -mutants-, Nephthys se mettrait à hurler et se craqueler sur place. Ils n'avaient pas envisagé qu'au milieu de cette foule, sa mutation s'affolerait à n'en plus savoir que faire avec tous les pouvoirs qui l'entouraient ; que la jeune fille se fissurerait de la tête aux pieds, avant de s'évanouir brusquement, à peine quelques minutes après son arrivée. Ils n'avaient aucune réelle idée de ce qu'elle était capable de faire -et d'ailleurs elle-même n'en avait aucune idée non plus- ; et sa longue convalescence suite à cet incident ne lui en apprit pas plus. Il lui fallut du temps, beaucoup de temps, pour que son corps colmate peu à peu la brèche noire qui la scindait en diagonale. Heureusement pour elle, comme la marque sur son poignet, cette fissure-là finirait aussi par n'être qu'un souvenir. Restait alors, une fois capable de le faire, à retenter une entrée moins violente au sein de l'Institut.
Lorsqu'elle comprit enfin, dans les grandes lignes du moins, ce à quoi... Servait son pouvoir, elle comprit que sa vie serait un enfer. Encore plus en vivant, comme elle avait stupidement décidé de le faire, au milieu même des mutants. Brillante idée que voilà. Elle se replia alors d'autant plus sur elle même, ne passant pas un jour sans regarder au loin, pensant à s'en aller sans un mot... Sans en avoir le courage pour autant. Il y avait un côté sécurisant dans ce lieu ; et pourtant, elle se refusait à approcher les autres par peur de ce qu'elle pouvait provoquer. Toujours parsemée de doutes, elle faisait de son mieux pour éviter quiconque possédait un mutation... Problématique.