Ava n’avait pas réfléchi. Elle était en mission pour le SHIELD, des gens étaient blessés, elle-même avait pris quelques mauvais coups. Elle devait vérifier l’état des membres de son équipe, s’occuper des civils, faire son rapport à ses supérieurs. Tout sauf ça. Mais elle n’avait pas réfléchi. En voyant James s’enfuir comme si sa vie en dépendait, elle avait regardé autour d’elle et aperçu Rogers qui fixait l’endroit où le Winter Soldier s’était trouvé quelques secondes auparavant avec de grands yeux. Elle n’avait pas tardé à faire le lien et avait profité du passage d’une ambulance pour disparaître à son tour. Elle n’avait pas réfléchi. Putain, elle avait toujours été impulsive, mais on l’avait entraînée, formée, on lui avait appris à prendre rapidement une décision, mais les bonnes décisions. Et pourtant la voilà qui courait après Barnes en oubliant complètement son devoir. Elle tentait de se rassurer en se disant que le laisser dans la nature après avoir vu Rogers n’était pas une bonne idée, qu’il pourrait blesser quelqu’un, s’en prendre à des innocents. Mais à vrai dire, elle était plus inquiète pour lui que pour les autres.
Et ça, ce n’était vraiment pas une bonne idée. Mais c’était trop tôt. Beaucoup trop tôt pour que James se retrouve face à Rogers, surtout après ce qu’ils venaient de traverser. La jeune femme avait pris un mauvais coup à la tête et sa tempe saignait, sa jambe droite la ralentissait et tout ceci avait réveillé de vieilles douleurs dans son dos. Mais elle courait tout de même, sachant parfaitement bien où James se rendait. S’était-il souvenu d’autre chose ? Ou cette part de lui, celle créée de toutes pièces par HYDRA, avait-elle tenté de s’en prendre à Captain America ? Putain, ce n’était pas le moment, pas du tout. Et si Rogers l’avait suivie ? Et s’il s’était mis en tête de retrouver Barnes, lui aussi ? Elle pourrait justifier sa présence en prétextant avoir voulu arrêter le Winter Soldier, passer pour un brave Agent du SHIELD qui ne s’arrêtait jamais, mais que se passerait-il, ensuite ? Et si James tentait à nouveau de s’en prendre à Rogers ? Et s’il parvenait à accomplir sa mission, cette fois-ci ?

Elle ferait mieux de faire demi-tour. Ava se figea, le cœur battant la chamade et se détourna de la voie empruntée par Barnes. Qu’est-ce qu’elle faisait, à courir après lui comme une idiote alors que… Merde, merde ! Elle ne pouvait pas le laisser. Peu importe ce que sa raison lui martelait, elle ne pouvait pas le laisser. Alors elle se remit à courir et ne s’arrêta que devant l’immeuble où il habitait. Il avait une longueur d’avance, elle ne pouvait pas battre le Super Sérum, même contrefait, qui l’avait transformé. Et sa jambe l’avait considérablement ralentie. La gorge nouée, elle pénétra dans le bâtiment et s’empressa de monter jusqu’à son appartement. Une fois devant la porte, elle prit le temps de reprendre son souffle, de tout faire pour ignorer sa tête douloureuse et elle entra.
Il était là. Ava se figea immédiatement en voyant l’arme braquée dans sa direction, mais il baissa son bras, la laissa tomber sur la table devant lui. Un grognement lui échappa et il se rattrapa maladroitement alors elle s’avança, plus par réflexe qu’autre chose. Péniblement, il se redressa et leva les yeux vers elle. Alors l’angoisse qui enserrait la gorge d’Ava vint lui comprimer la poitrine en croisant son regard.

Elle ne pouvait pas ignorer les larmes de douleur dans ses yeux sombres. « Tu... » Le gémissement qui lui échappa tira un frisson d’horreur à la jeune femme. « Fous le camp Ava. Re... Reste pas là. » Merde, à quoi elle pensait ? Elle ne savait pas quoi faire, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait faire pour l’aider. Ces douleurs qui lui vrillaient le crâne n’avaient rien de naturel, ce n’était pas quelque chose qu’elle pouvait régler. A quoi pensait-elle, bon sang ? « Je... J'ai vu Steve et je... Tu peux pas rester. » Il l’implorait, une chose qu’elle n’aurait jamais pensé le voir ou l’entendre faire. Et bordel, ne pouvait-elle tout simplement pas l’écouter ? Pour une fois dans sa vie, ne pouvait-elle pas faire ce qu’on lui disait ?
Elle en était incapable. Son instinct lui criait de se tirer de là vite fait, de ne pas mettre sa vie en danger en restant dans la même pièce que lui. Mais cette part d’elle, celle qu’elle ne comprenait pas encore, l’empêchait de bouger. Elle ne pouvait pas le laisser là, comme ça, alors qu’il souffrait à ce point. Alors qu’il était peut-être plus un danger pour lui-même que les autres. Ava déglutit avec difficultés, tandis qu’il s’appuyait contre le mur, derrière lui. « S'il te plaît Ava, va-t’en. Je sais pas de quoi je serais capable si tu restes. » Et ça aurait dû suffire. En temps normal, elle n’aurait pas hésité à partir, ne serait-ce que pour préserver sa propre existence.

Mais putain, il n’était pas question d’elle, là. L’Agent ne bougea pas, elle n’était pas stupide au point de faire une chose pareille. Pourtant, elle en avait envie. Ne serait-ce que pour le décoller de ce mur, le forcer à se rasseoir. Elle inspira profondément. « James… » appela-t-elle doucement, presque un murmure, mais il l’avait entendue, elle le savait. Elle leva les mains, prouvant qu’elle n’était pas armée – mais il y avait le couteau, coincé dans sa rangers, l’arme de poing, cachée dans son dos. « Je ne suis pas une menace, » articula-t-elle d’une voix douce. « Et je ne suis pas ta mission. Lui non plus. » Elle déglutit difficilement, baissa les bras lentement. « Tu es James Buchanan Barnes, tu n’as plus à leur obéir. » Elle résista de toutes ses forces contre cette envie de s’approcher. « Tu peux combattre ça, » assura-t-elle, les sourcils froncés. « James, tu peux combattre ça, » répéta-t-elle fermement. Et s’il ne pouvait pas, alors elle était vraiment, vraiment dans la merde.

Ça ne marchait pas. Peu importe ce qu’elle disait, ça ne marchait pas. La douleur ne faisait qu’empirer, elle le voyait clairement, James était plié en deux, les mains rivés sur ses tempes, comme si cela pouvait changer quoi que ce soit. Un grognement lui échappa, il n’avait rien d’humain, c’était un avertissement, mais elle ne l’écouta pas. « LA FERME ! » hurla-t-il brusquement et elle fit de son mieux pour ne pas sursauter. « Pourquoi t'es encore là ?! » fit-il sur le même ton et Ava serra les dents. Pourquoi, en effet ? « Je t'ai dit de foutre le camp alors pourquoi tu ne m'écoutes pas ?! Tu ne comprends pas ! » C’était lui qui ne comprenait pas. Elle ne pouvait pas partir. Elle n’avait pas à se justifier, elle ne voulait pas le faire, elle ne pouvait tout simplement pas le laisser là, dans cet état. La dernière fois qu’ils s’étaient vus, il avait été tenté de se tirer une balle, juste pour que tout ça s’arrête. Et il espérait qu’elle s’en aille ? Hors de question. « Ava... S'il te plaît... Je sais que je t'ai dit que je ne te ferais jamais de mal mais si tu restes ici... Je ne pourrai pas tenir ma promesse. » Son ton s’était radouci mais ses paroles ne firent qu’alimenter la colère sourde qui pointait petit à petit. Il tenait à peine debout, la douleur était telle qu’il était à deux doigts de s’effondrer et il pensait encore plus à elle qu’à son propre état ? Idiot.
« Si... Si jamais il prend le dessus je... » Elle savait très bien ce qu’il se passerait, s’il prenait le dessus. Il tenterait de la tuer, y parviendrait certainement d’ailleurs, dans l’état où elle se trouvait. Mais elle n’avait pas l’intention de bouger d’ici. « Je sais que tu veux m'aider mais... Tu ne feras qu'empirer les choses si tu restes. Alors va-t’en. S'il te plaît va-t’en. » Peut-être. Il avait certainement raison. Sa présence ne faisait qu’empirer son état, c’était évident. Mais à quoi bon vouloir l’aider, si elle se tirait dès qu’il était dans cet état ? Comment pourrait-il aller mieux un jour, s’il continuait d’être terrifié par le Winter Soldier ? Si personne ne le forçait à le contrôler ? Si elle partait maintenant, il n’y parviendrait jamais. Elle en était convaincue. Si elle le laissait là, si tout le monde le fuyait dès qu’il était ainsi, alors il pouvait dire adieu à ses chances de retrouver une vie normale.

Elle aurait peut-être dû faire appel à Rogers. Lui dire où James vivait. Lui pourrait lui faire face, sans craindre de se faire tuer comme elle. Mais elle ne l’avait pas fait, elle avait promis de ne pas le faire. Et si elle commençait à briser ses promesses, comment pourrait-il tenir la sienne ? Ava déglutit, puis inspira profondément. Elle était la seule à pouvoir lui faire face, là tout de suite. Elle n’avait pas abandonné son poste, ne s’était pas précipitée ici pour se tirer dès que ça devenait compliqué.
Il tremblait, à présent. Tout le poussait à se jeter sur elle pour lui faire la peau, mais il avait encore le contrôle, il faisait tout pour le garder. C’était en train de le rendre dingue, mais il se battait de toutes ses forces et elle était censée l’abandonner là ? Hors de question. « LA FERME ! » s’écria-t-il brusquement et Ava serra les dents, parce qu’elle savait à qui il s’adressait. Alors ses deux poings s’abattirent sur la table devant lui et elle ne supporta pas l’impact, se brisa dans un fracas assourdissant.

Un coup, rien qu’un coup et il pouvait la tuer. Elle en avait conscience, n’avait jamais oublié cela. James releva la tête, les joues baignées de larmes. Et c’était dur à regarder, putain. La mâchoire douloureuse à force de serrer les dents, Ava se mit à haïr l’HYDRA et tous ces pourris un peu plus. Se promit d’abattre tous ceux qui croiseraient sa route, sans la moindre hésitation. Ils étaient responsables de tout ça, ils payeraient pour tout ça. « Je vais te tuer si tu restes ici. » La jeune femme ferma les yeux, un court instant. Sa décision était déjà prise. Morte, elle ne pourrait pas la regretter, de toute façon. Un mince sourire se dessina sur ses lèvres à cette pensée et ses paupières se soulevèrent. Ava plongea son regard dans celui de James, déterminée. « Non, tu ne me tueras pas, » dit-elle d’un ton ferme. Alors elle continua d’être stupide et s’avança d’un pas. Puis deux. Elle ne s’arrêta que lorsqu’à peine deux mètres les séparaient. Tant qu’il aurait peur du Winter Soldier, il ne pourrait jamais avoir le dessus. C’était une théorie, elle se plantait peut-être royalement, mais tant pis. Ava Moriarty ne faisait pas les choses à moitié.

« Je suis une grande fille, Barnes, » poursuivit-elle avant de retirer sa veste qu’elle laissa tomber derrière elle, pour gagner plus de mobilité. « Je n’ai pas peur de lui. » Et okay, c’était un putain de mensonge, mais sa voix était suffisamment assurée pour qu’il ne le perçoive pas.  « Je n’ai pas peur de toi, » ajouta-t-elle avant de faire un pas de plus. « Maintenant, si tu ne veux vraiment pas me tuer, prouve-le, » dit Ava avec arrogance. Elle le provoquait peut-être trop, mais ça devait être fait. Elle n’était pas dans les meilleures conditions pour ça, mais elle avait déjà eu droit à pire. Et il pouvait le faire. Bon dieu, il en était capable. « Et s’il tient à ce point à me faire la peau, » dit-elle en attrapant sa tignasse blonde pour la nouer rapidement derrière son crâne afin qu’elle ne la gêne pas. « Qu’il essaye, » siffla-t-elle entre ses dents.
T’es folle, Moriarty, t’es complètement folle, songea-t-elle amèrement tandis qu’un sourire carnassier se dessinait sur ses lèvres. Son cœur battait la chamade, sa raison tenta une dernière fois de l’empêcher de faire une immense connerie mais elle l’ignora. L’adrénaline courait déjà dans ses veines, effaçant les douleurs qu’elle avait ressenties plus tôt. Elle n’abandonnerait pas James Barnes aux mains du Winter Soldier sans tout tenter pour lui rappeler qui il était réellement.

On ne l’avait pas conditionné comme lui. Lavé le cerveau pour n’en faire qu’une arme, un atout obéissant et efficace. Mais elle avait grandi dans une base militaire, appris à se battre dès qu’elle avait pu avoir du répondant. Elle avait été formée pour ça, elle avait ça dans le sang. La soif du combat, le besoin de cogner jusqu’à ce que plus rien n’ait de sens, elle connaissait ça. Elle avait eu la sensation d’être complètement inutile face à ce mutant, un peu plus tôt. Trop fort pour elle, c’était insupportable à admettre. James était plus fort qu’elle, lui aussi. Mais il n’était pas invincible. Et elle n’était pas la seule à avoir morflé durant ce combat. S’il ne l’atteignait pas alors elle avait ses chances. Elle était sûrement folle et le coup qu’elle avait reçu à la tête n’y était pas pour grand-chose. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher de sourire, alors que James disparaissait pour laisser place au Winter Soldier. Ça, c’était son domaine. Ça, elle pouvait gérer. Le reste était compliqué, elle avait l’impression de n’être d’aucune aide. Mais si le monstre créé par HYDRA voulait jouer, alors elle en était, sans hésiter.
Il l’observa, repérant rapidement ses points faibles, mais elle ne sourcilla même pas. S’il la sous-estimait, tant mieux. Elle ne ressentait plus la douleur. Si elle survivait à ça, ce serait sûrement atroce, plus tard, mais là, elle ne pensait qu’à une chose. Se mesurer à lui et s’en tirer, contrairement à tous les autres. Ha ! elle était encore plus folle que lui, au final. Un grognement résonna dans la pièce, animal, il tira un frisson à Ava qui se tenait prête. Alors il se jeta sur elle, visant la tête. Elle l’évita sans peine. Il était beaucoup plus fort qu’elle, mais elle était rapide. Plus petite, plus fine, c’était un avantage.

Mais hors de question de le sous-estimer. Elle l’avait vu à l’œuvre, un peu plus tôt. Elle savait ce dont il était capable. Le prochain coup visa son abdomen et elle s’éloigna à nouveau. Son sourire avait disparu, laissant place à la concentration. Sa vie était en jeu. Ses esquives lui tapaient sur le système, elle le savait, ça marchait toujours. Il n’y avait rien de plus agaçant que de ne pas réussir à atteindre sa cible. Il grogna encore et se jeta en avant. Cette fois-ci, il avait cessé d’y mettre de la force brute, pour suivre sa rapidité, son agilité. Et bordel, ça semblait trop facile pour lui. Elle parvint à éviter tous ses coups, le parer serait stupide, avec sa force, il pourrait lui briser l’avant-bras.
Alors Ava vit une ouverture et n’hésita pas une seule seconde. Son poing s’enfonça dans l’estomac du Winter Soldier qui grogna de douleur, s’écarta d’elle. Ça ne dura qu’une fraction de seconde. Déjà, il s’ébrouait et se lançait sur elle de nouveau. Elle ne pouvait pas s’appuyer correctement sur sa jambe, qui n’était pas douloureuse pour l’instant car elle la ménageait mais… Merde. Il sembla s’en souvenir, parvint à l’atteindre et avec un grondement sourd, Ava perdit l’équilibre et fut cueillie par le poing droit de Barnes.

Aucun son ne franchit la barrière de ses lèvres pourtant entrouvertes. Sa vue se brouilla et elle tituba, prête à tomber en arrière. Elle fut arrêtée par le mur derrière elle et vit son autre poing foncer droit sur elle. Merde, merde, merde. Mais son poing de métal s’enfonça dans le mur, juste à côté de sa tête. Ce n’était pas le moment d’être reconnaissante. Ignorant la douleur dans sa mâchoire, le sang dans sa bouche qui coulait le long de son menton, elle se redressa, prêt à le frapper. Il dévia son coup et ses doigts se refermèrent autour de sa gorge. Ava grogna et lorsqu’il la plaqua brutalement contre le mur derrière elle, tout l’air qu’il lui restait quitta ses poumons. Alors il serra plus fort, la soulevant presque du sol. Sur la pointe des pieds, recherchant désespérément de l’air, elle plongea son regard dans le sien, les yeux écarquillés.
Il leva à nouveau son bras gauche et elle refusa de fermer les yeux pour s’épargner la terreur qui avait pris place dans ses entrailles. « Pourquoi tu n'es pas partie ? Tu aurais dû partir... » Il lui fallait de l’air. Maintenant. Sa main gauche saisit l’avant-bras du Winter Soldier et elle prit un air paniqué qui n’était pas très dur à feindre. Alors elle prit appuis sur son avant-bras pour se soulever du sol sans finir pendue, accrochée au mur par sa main implacable. Elle remonta sa jambe droite, saisit le couteau qui était caché là et profitant de l’effet de surprise, dirigea sa lame vers son abdomen. Sans surprise, il l’arrêta de son bras gauche, la lame crissa horriblement sur le métal mais c’était l’occasion qu’elle recherchait.

Son talon fonça droit sur le genou du Winter Soldier. Un grognement de douleur lui échappa et il la relâcha enfin alors Ava tomba lourdement à terre, les mains plaquées au sol. Toussant, crachant le sang qui obstruait ses voies respiratoires, Ava tenta de reprendre son souffle, les épaules tremblantes. Pas le temps, elle n’avait pas le temps pour ça. Elle voyait flou, sa tête lui faisait un mal de chien et son dos aussi, depuis qu’il l’avait plaquée contre ce mur. Ses pieds dérapèrent sur le sol, mais elle se rattrapa, se releva et s’écarta de lui le plus possible. « Si je pars… » commença-t-elle d’une voix brisée. Elle toussa, s’ébroua. « Si je pars maintenant, il gagne. » Elle essuya le sang sur ses lèvres et son menton du dos de la main. « Si je m’enfuis à chaque fois qu’il se pointe, ça ne sert à rien de te dire de ne pas en avoir peur, » poursuivit-elle difficilement. Sa gorge lui faisait atrocement mal. Parler était une torture. Elle était hors d’haleine, mais elle n’en avait pas fini. « T’es plus fort que lui, » cracha-t-elle en se redressant, levant le menton pour le regarder fièrement. « Le Winter Soldier, c’est lui le fantôme. Il n’a plus de raison d’être. James, » elle s’interrompit, se mit en posture défensive. « Bucky Barnes, tu as toujours été Bucky Barnes. Le Winter Soldier n’est rien. » Il fallait que ça s’arrête, et vite. Elle ne pourrait pas tenir indéfiniment. Il avait déjà failli la tuer, deux fois. Mais il s’était arrêté deux fois, aussi. « Mais si t’as besoin que j’te cogne dessus jusqu’à ce que ça rentre, j’le ferai, » fit-elle avec un sourire en coin. Des paroles en l’air, puisqu’aux dernières nouvelles, c’était elle qui avait la gueule en sang. Mais c’était plus fort qu’elle, Ava était incapable de la fermer.

Elle avait réussi à le mettre hors de lui pour de bon. Elle le savait, ce regard n’était plus celui de James. Et maintenant, quoi ? Maintenant qu’il était complètement enragé, qu’il ne pensait plus qu’à la réduire en pièces, elle n’avait plus qu’à trouver un moyen de tenir face à lui. Suck it up, Moriarty. Ce n’était pas le moment d’avoir peur, il était trop tard pour ça. Il tenta de nouveau de la frapper, mais elle l’esquiva et en profita pour fracasser son poing sur son visage, de toutes ses forces. Il recula de quelques pas et elle le regarda essuyer sa bouche du revers de la main et cracher du sang. Bien, il pouvait saigner, donc. Elle pouvait l’atteindre, c’était plutôt bon signe. Ou pas, à en juger par le regard qu’il lui lança en relevant les yeux vers elle. Le Winter Soldier repartit à l’assaut et elle l’esquiva encore, un peu plus difficilement cette fois. Mais elle tenta tout de même de l’atteindre et erreur. Il dévia son coup et son coude atterrit en plein dans ses côtes. L’air fut chassé de ses poumons et la douleur fut immédiate. Ava hoqueta de douleur, des larmes perlèrent immédiatement aux coins de ses yeux, mais il ne s’arrêta pas là.
Il attrapa son poignet, lui tordit le bras dans le dos et la jeune femme fit de son mieux pour ne rien laisser échapper, sinon un grondement de douleur. Alors son bras de métal s’abattit sur son coude et cette fois-ci, Ava ne put retenir un cri rauque. Elle ne parvenait plus à respirer. La douleur dans ses côtes et son bras était telle qu’elle s’effondra au sol. Cette fois-ci, elle était fichue. Elle était incapable de se relever, encore moins de se défendre. Elle ne faisait qu’hoqueter à la recherche d’oxygène, mais elle ne parvenait pas à respirer, quoi qu’elle fasse. Son bras formait un angle étrange, anormal, la douleur remontant jusqu’à son épaule, l’empêchant de réfléchir.

Respire, respire, respire. Elle devait avoir une côte cassée, au minimum. Ava le savait, ce n’était pas la première fois. Elle devait se forcer à inspirer, peu importe la douleur. Elle avait peut-être un organe perforé, mais le Winter Soldier ne lui laisserait pas le temps d’en crever. Un coup de pied dans son flanc lui tira un nouveau hoquet et la força à se retourner sur le dos. Ses yeux écarquillés, elle remarqua immédiatement l’arme dans son poing. Elle ne savait pas trop si elle avait envie de chialer pour avoir été aussi conne ou si elle était rassurée qu’il ne la laisse pas crever à petit feu et préfère l’achever.
Mais Ava n’était pas du genre à abandonner. Enfin, elle parvint à inspirer, bouche grande ouverte. Elle ignora la douleur, même si les larmes coulaient à présent le long de ses joues. Elle recommença, encore et encore, s’assurant qu’elle pouvait respirer. Alors il pointa son arme sur elle et elle serra les dents. Elle était entièrement à sa merci. Elle l’avait cherché, elle avait tout fait pour qu’ils en arrivent là, au final.

Il sembla hésiter et elle soutint son regard, féroce. S’il s’attendait à ce qu’elle supplie, il pouvait toujours rêver. On l’avait entraînée à résister à la torture et si la peur avait pris place dans son esprit, il était hors de question qu’elle y succombe. Il était proche d’elle, si elle parvenait juste à l’atteindre… Ava serra les dents à s’en faire mal et se tortilla au sol pour aller chercher l’arme dans son dos. Un I.C.E.R. Elle tremblait de tous ses membres mais il était bien assez prêt pour qu’elle parvienne à tirer correctement, non ? De toute façon, sa vie en dépendait. Elle tira l’arme en grognant sous la douleur dans ses côtes mais un cri l’arrêta.
L’agent leva les yeux et vit que le Winter Soldier avait porté ses mains à ses tempes, relâché son arme. « Je... Je peux pas... » fit-il d’une voix rauque et elle croisa son regard. « Je peux pas la tuer. » Ce n’était plus l’assassin. Elle put lire l’horreur dans ses yeux, tandis qu’il réalisait ce qu’il venait de faire et elle laissa échapper un soupir tremblant, libéra l’I.C.E.R. Alors James se jeta à ses côtés, complètement paniqué. « Ava ! Je... Je suis désolé ! Je... J'étais pas moi même ! » No shit ! Et bien malgré elle, un rire rauque lui échappa. Elle le regretta immédiatement puisque cela réveilla une douleur terrible dans ses côtes et elle gémit en fermant les yeux. « Putain de merde... Putain de merde... » La jeune femme sentit qu’on lui attrapait la main pour la serrer fermement et ce contact lui permit de se concentrer sur autre chose que son corps endolori. Rien qu’un tout petit peu. « Qu'est-ce que je dois faire putain ? » Ava se força à ouvrir les yeux, ce n’était pas le moment de se laisser aller ni de sombrer dans l’inconscience, même si c’était tentant. Ce qu’il devait faire ? Elle n’en avait aucune idée. Il n’y avait pas grand-chose à faire pour son bras, sinon faire appel à un véritable médecin. Quant à ses côtes, ça faisait un mal de chien mais elle n’avait pas l’impression que c’était si grave. C’était juste terriblement douloureux.

James serra sa main plus fort, complètement perdu et Ava s’accrocha à lui, plongea son regard dans le sien. « J’t’avais dit… » commença-t-elle d’une voix rauque mais la douleur lui tira un grognement. « J’t’avais dit que tu pouvais l’arrêter, » murmura-t-elle en esquissant un sourire forcé. Elle était ridicule, mais c’était plus fort qu’elle. Même si elle n’était pas tellement en état de le montrer, la terreur qui avait pris place dans son esprit s’était dissipée si soudainement qu’elle se sentait presque euphorique. Il s’était arrêté, il ne l’avait pas tuée et bordel, savoir qu’elle n’allait pas finir avec la cervelle explosée sur le sol de ce vieil appartement avait de quoi la rendre heureuse. Elle ne voulait pas penser à tout le reste. A comment elle allait sortir d’ici, comment elle allait se faire soigner, comment elle allait justifier tout cela auprès de ses supérieurs. Auprès de Phil.
Oh bordel, Phil allait la tuer. Elle dégagea ses doigts de la main de James et alla agripper sa nuque pour se redresser. La respiration sifflante, les traits tirés par la douleur, elle se figea une fois assise et baissa la tête pour aller l’appuyer contre l’épaule du soldat. Là, elle se força à inspirer profondément, les doigts fermement accrochés au col de Barnes, dans sa nuque. Elle n’avait pas fait ça pour rien, il y avait une raison, mais elle était incapable de bouger. « Dans ma… » sa voix se brisa et elle geignit misérablement, parler était une torture. « Sacoche arrière, ceinture, » décida-t-elle de dire, évitant les phrases trop longues. « La seringue, » acheva-t-elle finalement en espérant ne pas avoir besoin de se répéter.

Dans la sacoche arrière de sa ceinture, il y avait une seringue contenant une puissante dose d’antidouleur. C’était ça qu’il lui fallait là tout de suite, c’était ça qu’il devait faire. Car si la douleur ne disparaissait pas rapidement alors elle allait finir par sombrer dans l’inconscience et ce n’était pas du tout au programme.

Elle avait connu pire, vraiment. Ce n’était même pas pour tenter de se rassurer ou de faire la dure, elle avait réellement connu pire douleur que ça. Quand Clint lui avait tiré dessus à plusieurs reprises, ça avait été bien pire. Et très franchement, Ava préférait sentir la douleur dans chacun de ses membres plutôt que de rien ressentir du tout, comme la dernière fois. Si ça faisait mal, c’était bon signe. Ça voulait dire qu’elle était en vie et que ça fonctionnait toujours. Alors elle pouvait serrer les dents et faire avec. Du moins le temps que James comprenne ce qu’elle lui demandait. Et vite, de préférence. Pressée contre lui, elle respirait laborieusement, le front appuyé contre son épaule. Alors elle le sentit enfin bouger, fouiller un moment puis trouver ce qu’il cherchait. Il souleva son tee-shirt, l’air frais dans le bas de son dos lui tira un frisson, mais elle ne bougea pas. « Ça risque d'être un peu douloureux. » Bien malgré elle, Ava ricana légèrement. Ça ne pouvait pas être pire. Il semblait hésitant, comme s’il avait réellement peur de lui faire mal et l’ironie de la situation tira un sourire à la jeune femme.
Il venait de la tabasser proprement, ce n’était pas une piqûre qui allait lui faire peur. Elle ouvrit la bouche, prête à lui dire ces mots exacts, mais l’aiguille s’enfonça d’un coup sec dans le bas de son dos. Elle se raidit brusquement, grogna en resserrant sa prise dans la nuque de James. Il la tint plus proche de lui et elle se laissa complètement aller. « Ça va aller, c'est terminé. » murmura-t-il et elle gémit de bien être en sentant les antidouleurs commencer à faire effet. Il ne lui restait plus beaucoup de forces, sentir la douleur se dissiper petit à petit ne l’aida pas à rester droite, mais un bras ferme, dans son dos, l’empêcha de retomber. Elle desserra ses doigts dans la nuque de James et soupira longuement. « Je suis désolé. Tu avais raison, depuis le début et... » Il s’interrompit et Ava lutta pour garder les yeux ouverts. « Si j'avais été plus fort, tu serais pas dans cet état. Je suis désolé. » Elle fronça les sourcils à ses paroles et cela sembla la réveiller un peu.

Respirer était moins difficile, maintenant qu’elle avait moins mal. Il la libéra de son étreinte, alors elle releva la tête, croisant son regard tandis qu’il la maintenait toujours droite, d’un bras dans son dos. « Je... Je peux pas te laisser comme ça, il faut que je t'amène à l’hôpital mais... » Elle secoua immédiatement la tête, hors de question qu’il l’emmène à l’hôpital. Déjà, parce qu’elle détestait ça. A vrai dire, c’était peut-être plus encore. Elle paniquait rien qu’à l’idée de se retrouver à nouveau dans un lit d’hôpital, ça lui collait une angoisse terrible. C’était stupide, elle le savait, mais c’était plus fort qu’elle. « Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? C'est quoi la procédure dans ces cas-là ? » Serrer les dents et assumer comme une grande ? Ava ouvrit la bouche pour répondre, mais il s’écarta un peu plus et saisit son poignet, lui tirant un grognement de douleur. En le voyant poser sa main sur son épaule, elle déglutit avec difficultés, comprenant parfaitement ce qu’il comptait faire. « Désolé, mais avant tout, il faut que je te le remette en place. » Elle ferma les yeux, serra les dents de toutes ses forces et sans prévenir, il tira d’un coup sec.
Elle ne tenta même pas de retenir un cri de douleur et sa main valide alla attraper le bras de James, s’y accrocha de toutes ses forces, tandis qu’elle inspirait et expirait profondément par le nez. « Désolé. » No biggie, dude, songea-t-elle amèrement. Ses épaules tremblaient et une sueur froide recouvrait son corps, tandis qu’elle faisait de son mieux pour supporter la douleur. Mais heureusement, les antidouleurs injectés un peu plus tôt prirent rapidement soin de tout cela. « Il faut que tu me dises quoi faire Ava. » Et merde, il avait l’air complètement perdu, désespéré.

La jeune femme ferma les yeux et apprécia la bulle douce dans laquelle elle se trouvait, grâce aux antidouleurs. Une petite merveille créée par Fitz, ce garçon méritait un câlin, des chocolats, qu’importe, elle pourrait tout lui donner en cet instant. Un peu calmée, elle releva la tête, plongea son regard dans celui de James et esquissa un mince sourire. Alors elle relâcha son bras et leva une main, encore un peu tremblante, vers son visage, pour la poser sur sa joue. « Déjà… tu vas arrêter de t’excuser, » commença-t-elle d’une voix rauque. Ses doigts tapotèrent doucement la mâchoire du soldat et cela lui tira un léger rire. God bless painkillers. « J’savais ce qui m’attendait, » croassa-t-elle avant d’inspirer profondément pour reprendre ses esprits.
C’était pas tellement le moment de péter un câble, hein. Elle retira vivement sa main de sa joue mais continua de s’appuyer contre son bras, dans son dos. Elle n’était pas certaine de réussir à tenir droite toute seule et ce n’était pas complètement inconfortable. « Tu… les antidouleurs, c’est bien, c’est… Merci, » articula-t-elle difficilement. Elle parlait aussi de la fracture qu’il avait réduite efficacement, mais s’exprimer correctement était un peu compliqué.

« Pas d’hôpital, » lâcha-t-elle finalement avant de secouer la tête pour se remettre les idées en place. « C’est bon, d’accord ? C’est… » Elle s’interrompit, fronça les sourcils. « Te torture pas, j’suis vivante, ça va aller, » acheva-t-elle avec insistance. Il était hors de question qu’il commence à s’en vouloir alors qu’elle avait refusé d’écouter ses avertissements. Elle était solide et même si les antidouleurs rendaient ça presque facile en ce moment même, elle pouvait faire avec ça. « Aide-moi à… Me relever, » fit-elle en grimaçant un peu, parce qu’elle n’était pas vraiment habituée à demander de l’aide, encore moins pour ça. Pas depuis un moment, du moins. Mais le sol n’était pas ce qu’il y avait de plus confortable. « J’irai au SHIELD, en attendant... t’aurais quelque chose, pour l’immobiliser ? » fit-elle avec un regard pour son bras en allant mordre sa lèvre inférieure. Ce n’était pas plaisant, loin de là, mais si elle pouvait éviter d’aggraver sa blessure, ça l’arrangerait. Déjà que ça allait lui coûter deux mois de repos au minimum. Et merde. Elle n’allait jamais pouvoir cacher cela, hein ?
Tant pis, elle s’occuperait des conséquences plus tard. Là tout de suite, elle devait penser à ne pas s’amocher plus encore et… à James, dont elle percevait parfaitement la culpabilité qui le rongeait. Même si elle avait besoin de soins, elle ne se sentait pas de le laisser juste après ce qu’il venait de se passer. Les antidouleurs allaient faire effet un moment, c’était leur rôle après tout. Elle pouvait gérer ça. Elle n’avait pas fait tout ce chemin et risqué d’y passer pour se tirer au meilleur moment, hein ?

Elle savait qu’elle parlait certainement dans le vide en lui disant de ne pas s’en vouloir, mais c’était une chose sur laquelle ils allaient devoir travailler plus tard. Pour l’instant, Ava voulait juste se redresser, ne plus traîner ainsi sur le sol. Plus tard, elle réaliserait sûrement pleinement qu’elle avait failli y passer, ça la frapperait de plein fouet, certainement. Mais là, elle préférait ne pas y penser. James n’avait pas besoin de la voir déstabilisée, bien au contraire. Il avait réussi à combattre le Winter Soldier pour elle alors la jeune femme lui devait bien ça. « Ok. » dit-il simplement lorsqu’elle lui demanda de l’aide pour se relever avant de lui tendre son bras. Elle l’attrapa sans hésiter et se hissa sur ses jambes en grimaçant malgré les antidouleurs, à cause de ses côtes. Son bras n’était pas vraiment mieux, aussi demanda-t-elle de quoi l’immobiliser, afin d’éviter d’empirer la fracture. Il se mit à chercher de quoi faire et en l’entendant grommeler, elle faillit lui dire de laisser tomber, que ça irait, mais son regard s’éclaira. Elle referma la bouche et le laissa la guider jusqu’au canapé. Elle ne chercha même pas à râler, elle avait bien besoin de s’asseoir. Alors elle s’installa avec un soupir. « Je reviens tout de suite. » fit-il et elle hocha la tête en le regardant disparaître dans sa chambre.
Seule dans le salon, Ava regarda autour d’elle, la gorge nouée. La table brisée, l’arme qui avait failli la tuer au sol et l’I.C.E.R. un peu plus loin. Elle vit aussi le sang qu’ils avaient tous deux craché durant leur combat, sur le sol. Alors elle baissa les yeux sur son propre tee-shirt, remarquant qu’il était poisseux de sang. Sur son menton, il avait séché mais elle gardait un goût cuivré, désagréable, dans la bouche. Elle fut interrompue par James qui revenait dans le salon, un sweat à la main. Il en fit une écharpe avant de lui adresser un mince sourire, auquel elle répondit. Elle le laissa passer son bras dedans en serrant les dents et soupira doucement. Il ne pendait plus de tout son poids et c’était bien mieux. « Ça devrait faire l'affaire le temps que tu te fasses soigner. » Elle hocha la tête pour le remercier. Alors il s’empara de la couverture qui se trouvait sur le canapé, la déplia et la passa sur ses épaules.

L’adrénaline disparaissait petit à petit et elle n’aurait pas tellement mal grâce aux antidouleurs, pour l’instant. Mais elle n’allait pas tarder à avoir froid et elle baissa un peu la tête pour cacher le sourire qui se dessinait sur ses lèvres. Il avait l’impression qu’il ne récupèrerait jamais ses souvenirs, que James Barnes n’était qu’un lointain passé. Il avait peur de lui-même, certainement persuadé qu’il était un monstre. Mais il n’en était pas un et le Bucky Barnes qui avait toujours pris soin du frêle et trop têtu Steve Rogers était toujours bien présent. Même s’il ne s’en rendait certainement pas compte. « Je vais faire du café. Boire un truc chaud te fera du bien. » dit-il alors avant de s’éloigner en direction de la cuisine et Ava releva la tête, pour l’observer.
Sa gorge se noua lorsqu’il se pencha pour ramasser l’arme laissée au sol. Il la vida et la jeta sur le comptoir de la cuisine. Ava se retint de rire, nerveusement, en songeant à quel point tout ceci était grotesque. Ils venaient de s’affronter, l’un pour tuer, l’autre pour survivre et elle se trouvait à présent assise sur son canapé, avec un de ses sweats en guise d’écharpe, tandis qu’il allait préparer du café. Comment ça avait pu devenir sa vie ? Ava secoua la tête puis elle reporta son attention sur James.

Le café était en train de se faire, seule chose venant perturber le silence qui régnait à présent dans l’appartement. Il était appuyé sur le comptoir, attendant que leur breuvage soit prêt et il était épuisé, lui aussi. Physiquement, d’avoir lutté contre ce mutant et un peu contre elle. Mentalement, d’avoir ainsi combattu le Winter Soldier. Mais il avait réussi à l’arrêter et c’était plutôt bon signe, non ? Et ce n’était pas comme cette fois où il s’était empêché de tuer Rogers. Il s’était arrêté pour elle, presque une inconnue, alors ça signifiait beaucoup. Ça signifiait qu’il pouvait réellement combattre ça, aller mieux. Elle devinait sans peine la tension et la douleur dans ses muscles, mais il irait certainement mieux après une bonne nuit de sommeil, grâce au Super Sérum. Une fois les cafés prêts, il retourna auprès d’elle et les déposa sur la table basse après avoir débarrassé les dossiers qui s’y trouvaient d’un revers de la main. Bien malgré elle, Ava grimaça en songeant à Phil et son amour des dossiers bien triés et rangés.
James s’installa à côté d’elle et la jeune femme ne détacha pas son regard de lui. Il joignit ses mains, visiblement mal à l’aise. « Je... » Il passa une main sur son visage et elle ne dit rien, lui laissant la parole. « Je voulais te remercier. C'est grâce à toi si j'ai réussi à... » Ava détourna le regard cette fois-ci. « A me débarrasser de lui. Tu as mis ta vie en jeu pour que j'y arrive et... Et je trouverai un moyen de te remercier. » L’agent voulut hausser les épaules mais se rappela que ce n’était pas une très bonne idée, dans son état. Alors elle reporta son attention sur lui et tenta de sourire, plutôt. « Je t’ai provoqué ouvertement et tu ne m’as pas tuée, je pense qu’on est quittes, » fit-elle avant d’attraper sa tasse de café, pour chasser le goût du sang, dans sa bouche. Elle but une gorgée, fermant un moment les yeux pour savourer la chaleur du liquide. Alors elle se laissa aller à s’appuyer plus confortablement contre le canapé.

« La dernière fois, tu m'avais dit que tu me parlerais plus de toi. » dit-il alors et elle rouvrit les yeux, pour le trouver en train de sourire. Ce n’était pas timide, forcé, c’était un réel sourire, peut-être pas aussi resplendissant que ceux qu’il arborait sur les photos en compagnie de Rogers ou des Howling Commandos, mais c’était déjà ça. Ava ne put s’empêcher de noter la différence flagrante entre James et le Winter Soldier. De détester encore plus ceux qui avaient créé l’assassin en brisant un homme qui prenait soin des autres et souriait comme Barnes le faisait. « Et je pense que c'est l'occasion de le faire non ? Je veux dire... On a un peu de temps devant nous maintenant. » Elle avait fait ça, hein ? Elle sourit à son tour mais cette fois-ci, c’était presque timide, une chose rare, chez Ava. Elle n’était pas du genre à parler d’elle. Encore moins à raconter sa vie. Mais elle avait dit qu’elle le ferait et ce serait juste qu’il en sache plus sur elle, n’est-ce pas ? Et puis, il n’avait pas tort. Elle ne pouvait pas partir maintenant, se pointer au SHIELD comme ça. D’abord, elle devait reprendre ses esprits et trouver un plan.
La jeune femme porta sa tasse à ses lèvres et en but une gorgée, pour se donner un peu de courage. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien raconter ? « Okay. Hum. » Elle fronça les sourcils, se plongea dans la contemplation du liquide dans sa tasse. « J’suis née le 15 mai 1987. Taureau, ça explique le caractère, » fit-elle avec un sourire en coin. Elle ne croyait même pas à ces conneries, plaisanter était juste un moyen pour elle de faire ça plus facilement. « Mes parents étaient tous les deux agents pour le SHIELD, » poursuivit-elle sans lever les yeux de sa tasse. « Ils sont morts en mission, tous les deux. J’avais cinq ans. » Elle n’avait jamais voulu connaître les détails. Il y avait un dossier, pourtant, dans les archives du SHIELD, qui portait le nom de ses parents. Mais elle ne l’avait jamais ouvert. « Nick Fury est… -tait mon parrain, c’est lui qui m’a élevée. » Voilà, maintenant, il comprendrait certainement pourquoi elle avait essayé de le tuer, la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. Et vraiment, elle aurait souhaité lui épargner plus de culpabilité, mais elle ne pouvait pas lui dire que Nick était en vie. Alors elle préféra ne pas s’attarder là-dessus. Elle leva les yeux vers lui et il n’y avait aucune trace de rancœur ni d’animosité, dans son regard.

S’il devait penser qu’il avait tué Nick Fury, il devait au moins savoir qu’elle n’en voulait pas à James Barnes. Qu’elle n’en voudrait jamais à James Barnes. « J’ai grandi au SHIELD, je n’ai connu que ça. Autant dire que ma voie était toute tracée, » fit-elle avec un sourire en coin. « J’ai tout de suite su que je voulais être un agent, comme tous ceux autour de moi. Alors Nick m’a entraînée. Hawkeye et Black Widow, aussi, » fit-elle en se disant que ces noms devaient forcément lui dire quelque chose. Après tout, les Avengers ne passaient pas vraiment inaperçu et il avait affronté Natasha à deux reprises déjà. Bien évidemment, elle ignorait tout le reste, mais lui aussi, pour l’instant.  « J’me suis baladée à l’académie grâce à ça et je suis devenue un agent, » dit-elle non sans une pointe d’orgueil.
Elle avait enchaîné les missions, grimpé les échelons. Rien de très intéressant. Puis il y avait eu le Tesseract, Loki, Clint. Mais elle ne se sentait pas tellement de parler de ça aujourd’hui. A vrai dire, elle n’avait pas grand-chose à raconter, dès qu’elle décidait d’omettre ce qui concernait son boulot. Certains trouveraient sûrement ça triste, mais ça ne dérangeait pas Ava. Elle but une gorgée de son café, songeuse. « J’ai pas grand-chose à raconter, » admit-elle avec un petit rire. « J’ai un appartement, mais je n’y vais presque jamais. Je ne suis pas du genre à beaucoup sortir, je ne suis pas un être très sociable, » fit-elle avec une grimace. « J’aime manger. Bordel, j’adore ça. Italien, chinois, japonais, thaï. Un burger, je rêve d’un énorme burger. » Elle s’interrompit, un peu rêveuse pendant quelques instants, puis son regard s’éclaira. « La meilleure chose que tu puisses découvrir au vingt-et-unième siècle ? La bouffe, Barnes. » Et elle était parfaitement sérieuse. Il avait grandi durant la Grande Dépression, puis il avait fait la guerre et avait vécu en Russie. En Russie, eurgh. Et c’était sans parler des délicats menus qu’il avait sûrement dégustés, en compagnie d’HYDRA.

« Si j’finis pas décapitée par mes supérieurs, toi et moi, on ira se faire les meilleurs restos de New-York, » affirma-t-elle avec un large sourire. Les antidouleurs lui déliaient la langue, ou bien c’était juste parce que toute cette situation était complètement folle. Parce qu’après ce qu’il venait de se passer, elle avait besoin de parler de choses qui n’importaient pas vraiment. Et lui avait besoin de les entendre. « Si jamais tu doutes encore d’avoir ta place ici… attends d’avoir découvert tout ce que tu as manqué, » affirma-t-elle un peu plus sérieusement. « Y a plein de trucs nazes – la téléréalité, eurgh et j’te parle même pas de la techno, » fit-elle avec un frisson de dégoût. « Mais les bonnes choses ? Elles rattrapent tout ça. » Elle était censée parler d’elle à la base, non ? Elle était vraiment nulle, à ça. Un sourire contrit se dessina sur ses lèvres. « Désolée, au final, tu ne sais pas grand-chose de plus. Si t’as des questions, pose-les, » dit-elle avant de prendre une autre gorgée de son café. Ce serait sûrement plus simple comme ça. Ava avait tendance à partir dans tous les sens, autrement.

Ava ne parlait jamais d’elle. La plupart de ses proches savaient déjà tout d’elle, puisqu’ils la connaissaient depuis qu’elle était gosse. Quant aux autres, ceux qu’elle avait rencontrés plus tard, ils avaient appris à la connaître à force de passer du temps avec elle. N’avaient jamais posé de questions personnelles, puisqu’eux-mêmes préféraient ne pas s’étaler sur leur vie. Nick et Phil la connaissaient par cœur. Clint faisait partie de ceux qui ne posaient pas de questions, n’avaient pas besoin de le faire. Natasha savait toujours tout, il était impossible de lui cacher quoi que ce soit. Quant aux membres de son équipe, ils avaient leur lot de choses dont ils préféraient ne pas parler, c’était plus simple ainsi. Maintenant qu’elle y pensait, elle n’avait jamais vraiment eu à parler d’elle. Qu’est-ce que ça voulait dire sur la vie qu’elle menait, elle n’en savait rien mais puisqu’elle lui plaisait ainsi… elle n’avait jamais été comme les autres, de toute manière. Elle avait connu les bancs de l’école jusqu’à l’âge de cinq ans, puis une fois que ses parents étaient morts, n’y était plus retournée. Faire mentir une gamine de son âge aurait été impossible et Nick n’aurait pas voulu prendre un tel risque. Alors les agents du SHIELD étaient devenus ses professeurs, elle n’avait pas connu le collège, ni le lycée.
C’était peut-être pour ça aussi, qu’elle manquait de sociabilité. Qu’elle ne savait pas tellement comment se comporter, entourée de personnes normales. Oh elle savait très bien faire semblant, c’était son métier, après tout. Mais à l’intérieur, c’était autre chose. Elle n’avait commencé à fréquenter des personnes de son âge qu’à l’académie, toujours entourée d’adultes autrement. Oh ça faisait grandir plus vite, c’était certain. Mais elle ne regrettait pas sa vie. Elle n’avait jamais pensé à ce qu’elle aurait pu faire différemment. Et puis, elle n’était pas du genre à s’attarder sur ce que les gens pouvaient penser d’elle.

Elle s’embrouilla, bien évidemment, commença à partir dans tous les sens. Avant de se mettre à disserter sur les bienfaits d’une soirée pizza – bière – télévision, elle préféra se taire et dire à James qu’il ferait mieux de lui poser des questions s’il voulait vraiment savoir quelque chose. Ce serait nettement plus simple ainsi. Sa réponse fut une mine perplexe et elle le regarda passer une main dans ses cheveux longs. Elle se demanda alors encore une fois s’il ne voulait pas s’en débarrasser une bonne fois pour toute, visiblement gêné plus qu’autre chose. Ava fronça les sourcils en le voyant regarder sa main avec un large sourire. Elle le fixa avec intérêt, attendant qu’il lui partage la raison de ce sourire, mais il sembla se raviser et but une gorgée de son café, plutôt. « Hum... Déjà, avant toute chose, je tiens à préciser que je suis au courant de ce qui se fait au vingt et unième siècle. Je n'ai juste pas encore eu l'occasion de m'y mettre. Je sais que j'ai été placé en cryogénie mais c'était pour quelques années à chaque fois. Je n'y ai pas passé soixante-dix ans d'un coup. » dit-il en lui faisant presque la leçon et… vraiment ? La jeune femme arqua un sourcil en le fixant d’un air clairement moqueur, cette fois-ci.
« Au courant, hein ? A d’autres, Barnes, tu n’as certes pas l’air aussi largué que Rogers – t’aurais dû voir sa tête, quand il a découvert Google pour la première fois, les caméras de surveillance ont immortalisé cet instant. C’est comme regarder un chiot jouer avec sa queue, hilarant, j’me la repasse le soir quand j’ai un coup de blues, » fit-elle en ricanant. « Mais j’t’assure que t’as loupé plein de choses. T’es peut-être au courant, mais crois-moi, il y a des choses qu’il faut vivre, » ajouta-t-elle avec un clin d’œil. A quoi bon savoir que Star Wars existait tant qu’on n’avait pas regardé tous les films ? Aucun intérêt. Ca revenait au même que de ne rien savoir du tout. Cette pensée tira un sourire à la jeune femme. C’était vraiment n’importe quoi, de se dire une telle chose après ce qu’il venait de se passer, alors que James avait bien d’autres choses à faire avant de découvrir tout ce qu’il avait manqué.

« Des questions... » grommela-t-il alors, visiblement à court d’idées. Mais elle n’allait pas faire tout le travail, n’est-ce pas ? « Wow, c'est compliqué... Je... J'en sais rien en fait. » Ava rit légèrement, compliqué hein ? « Je sais pas, qu'est-ce que tu aimes faire quand tu n'es pas en mission ou occupée à manger... » fit-il avec un sourire et la jeune femme arqua un sourcil. Oh vraiment, Barnes ? Premièrement, cette question ne l’aidait pas du tout, deuxièmement, il faisait de l’humour ? C’était une bonne chose, il s’arrangeait, finalement. A vrai dire, ça la surprenait un peu mais elle pouvait faire avec ça. « Est ce que tu as quelqu'un dans ta vie ? Ou est-ce que vous faites comme dans les films, avec une famille fictive ? Un faux emploi ? » Et ça semblait réellement l’intriguer, ce qui tira un mince sourire à l’agent.
« Non, honnêtement je ne vois vraiment pas ce que je pourrais te demander. Je... J'ai l'impression d'avoir le cerveau en compote là. » Oh elle aussi, c’était bien pour cela qu’elle lui demandait de participer un peu, sinon, elle ne risquait pas de dire grand-chose. Elle ouvrit la bouche, prête à lui répondre mais son visage sembla s’éclairer, une idée certainement. Alors elle le laissa prendre la parole, curieuse. « Si, il y a quelque chose que j'aimerais savoir. Je sais que je te l'ai déjà demandé mais... Pourquoi tu as fait tout ça pour moi ? Même aujourd'hui, pourquoi est-ce que tu es restée ? Oui, tu m'as dit que tu voulais m'aider, que ça ne servirait à rien de partir, que ça ne ferait pas avancer les choses. Mais pourquoi est-ce que tu as décidé de m'aider moi, alors qu'on se connaissait à peine ? Je veux dire, je suis presque un inconnu pour toi. Et ne me dis pas que c'est pour mes beaux yeux. » Elle avait fait l’erreur de porter la tasse de café à ses lèvres et manqua de recracher le liquide à la fin de sa phrase.

Elle fit de son mieux pour ne pas s’étrangler, pour retrouver contenance et lui lança un regard sombre pour avoir dit ça à cet instant bien précis. Pourquoi elle l’aidait, hein ? Cette question semblait vraiment l’obséder, ce n’était pas la première fois qu’il lui demandait après tout. Et le pire, c’était qu’elle n’en savait rien. Ava soupira et se cala un peu plus dans le canapé en réfléchissant. « C’est peut-être bien pour ça, » murmura-t-elle, perdue dans ses pensées. Réalisant que ça ne voulait pas dire grand-chose, elle s’ébroua un peu et plongea son regard dans celui de James. « Pas tes yeux, Monsieur Modestie. Mais ton regard. » Elle grimaça un peu parce que ça ne lui en disait pas beaucoup plus, mais ce n’était pas évident à raconter. « Okay, bon, c’est gênant. Si j’en sais autant sur Captain America, les Howling Commandos, toi… C’est parce que gamine, j’passais mon temps à lire et à écouter toutes les histoires qui vous concernaient. » Elle détourna le regard, remerciant des années d’entraînement à mentir et à jouer un rôle qui lui évitaient à présent de rougir de honte. « Vous étiez… vous êtes des héros. Vous étiez les miens. » Bon, ben voilà, elle l’avait dit. Maintenant elle pouvait aller s’enterrer, ou espérer que le canapé l’avale, quelque chose comme ça.
Elle but une gorgée de café, réalisa qu’elle avait vidé sa tasse et la déposa sur la petite table. « Alors quand j’ai compris qui tu étais, je ne pouvais pas te laisser là. » Parce qu’elle était une inconnue pour lui, mais Bucky Barnes appartenait à cette bande d’hommes trop courageux, trop fous, qui lui avait tenu compagnie quand elle était gamine. Qui lui avait donné le courage de se ressaisir, quand penser à ses parents était trop douloureux. Il l’ignorait, mais il l’avait en quelque sorte aidée autrefois et elle avait voulu lui rendre la pareille. Tout simplement. Et puis c’était peut-être un peu pour ses beaux yeux, aussi. Dans le sens où ils méritaient d’être éclairés par cette lueur taquine et joyeuse qu’elle avait vue sur les photos des Howling Commandos. Et non voilés par la douleur et la culpabilité. Mais ça, elle ne se sentait pas tellement de lui dire.

« Et si tu veux vraiment savoir, » fit-elle un peu précipitamment, avide de changer de sujet. « Certains agents ont un faux emploi, pour cacher ce qu’ils font vraiment, même auprès de leur famille. Pour les protéger, certainement, » fit-elle en fronçant les sourcils. « Mais comme je n’en ai pas, ça règle le problème. Pour mes voisins, je suis cette fille qui rentre à des heures impossibles et qui s’absente souvent pour rentrer dans un sale état, » poursuivit-elle d’un air songeur. « Je crois que la vieille d’à côté me prend pour une prostitué. Ou une dealeuse, » pouffa-t-elle joyeusement. Elle se reprit en se raclant la gorge et osa enfin lever son regard vers lui. « Mais on n’a pas de famille fictive, ni de faux mariage ou que sais-je. A part en mission, quand c’est nécessaire. » Elle ne se remettrait probablement jamais de cette fois où Zachariah et elle avaient dû jouer au couple de milliardaires échangiste. Ce souvenir lui arracha un sourire en coin. Ils avaient bien failli ruiner leur couverture à plusieurs reprises et avaient eu besoin de décompresser avec une bière devant un match de baseball après ça.