Le réveil indique à peine 7 heure, son corps est lourd, engourdis dans la chaleur des couvertures. Elle ne dormira plus elle le sait. Il y a ses cauchemars qui reviennent toutes les nuits. Elle ne faisait pas de cauchemars avant, elle ne rêvait pas non plus, son sommeil était d’inconscience et de néant et ça lui allait très bien. Elle rejette les couvertures et attrape un sweat à l’effigie d’un obscur groupe indéchiffrable, puis le paquet de cigarette et le briquet qui ne manque jamais d’être sur la table de chevet à son réveil. Elle se cale sur le rebord de la fenêtre, le jour se lève à peine, le ciel est joli mais elle fixe sans vraiment voir l’encadrement beige. Elle n’a pas décoré la chambre qu’il lui a été attribué, quelques vêtements en vrac. Une décoration est censée restituer une personnalité. Mais qui elle est putain ? Une super-héroïne aux mèches roses. Une fugueuse, lutteuse, voleuse, haineuse. Une mercenaire. Une folle. Un peu tout ça et rien du tout. La vitre lui renvoi son reflet translucide. Une paumée récupérée une nouvelle fois par un nouveau groupe. Elle a toujours suivis, 'fait partie de' ou 'été avec'. Elle était une ombre blanche, elle a juste ajouté un peu de couleur. Peut être pourrait-elle simplement strier les murs d’un rose criard Ce qu’elle était ne lui semblait pas se résumer à plus que ça.
Un bruit sourd la sort de ses turpitudes matinales, elle se redresse, attend un peu, écrase sa cigarette dans un cendrier déjà trop plein. Il y a bien du bruit en bas, ça pourrait être le reste de l’équipe mais à part Paul personne ne fait autant de bruit et Paul n’est pas là en ce moment. Zemo est parti tôt faire Dieu savait quoi. A demi inquiète elle sort de sa chambre, ses pieds nus ne font aucun bruit lorsqu’elle progresse le long du couloir jusqu’à l’escalier en équerre. Il y avait en effet du bruit, quelqu’un qui fouille ? Elle fronça un peu les sourcils. Il y aurait vraiment quelqu’un d’assez stupide pour cambrioler un QG ? Un QG dont le rez-de-chaussée est une pizzeria. Ca lui paraissait trop absurde. Sauf que toute la situation l'est. Elle atteint l’angle et là sa surprise lui fit matérialiser un maillet d’énergie rose qu’elle envoya droit dans l’énorme forme indistincte qui obstruait les escaliers. La dite forme s’échoue en arrière sur quelques mètres, plutôt mollement et ce n’est que lorsqu’elle se stoppe qu’elle s’aperçoit qu’elle vient tout juste de dégommer un costume de tacos. Un costume de tacos vide.
« Qu’est ce que…. ??? »
Son regard s’arrête alors sur une intruse. Son regard passe plusieurs fois du costume à la totale inconnue. Passé le stade de l’incrédulité, Melissa descend les quelques marches et s’avance dans la pièce. Elle est en rogne et étend son bras vers le costume, l’objet du délit, une expression oscillant entre la colère et l’incrédulité qui chez elle se manifeste par un retroussement des lèvres, comme si elle allait se mettre à grogner : elle a retrouvé son humeur coutumière.
« Mais t’es qui putain ? Tacos Girl ? »
L’agressivité du ton et de sa posture principalement liés à son ego blessé d’avoir surréagit pour une aberration. Le maillet d’énergie disparaît et Mel dévisage l’inconnue. Il y a des cartons dans la pièce et c’est là que lui revient l’annonce d’une nouvelle recrue. Elle n’avait écouté que d’une oreille le dernier meeting de Zemo. Il a de beaux discours, des projets ambitieux et Melissa ne se sent toujours qu’à moitié concerné, ne comprenant pas vraiment la raison de sa présence dans cette équipe. Elle se demande qui peut y croire. L’Amérique est si t-elle désespérée pour s’accrocher à tous les héros auto-proclamés ? Il semblerait que ce soit le cas et ça ne fait que la conforter dans le mépris profond qu’elle a pour cette société. Elle tire machinalement sur le bas de son sweat moins par pudeur que par agacement. Elle se sent un peu bête, maladroite. C’est qui cette nana ? Elle fait quoi, elle était qui et elle sera qui ? Et puis surtout comment Zemo les trouve, sur quoi il se base. Il semble qu’il ramène toujours les plus perché et les plus frappé. Les vilains les plus loosers de la planète pour en faire des héros. S’il n’était pas nazi il pourrait s’apparenter à une Mère Thérésa du côté obscur.
✻✻✻ Aujourd’hui, je ne suis plus un tacos géant. C’est fini pour moi, je tourne la page sur les deux plus belles années de ma vie. Parce que oui, j’ai passé deux merveilleuses années dans ce costume. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je ne me suis jamais sentie aussi accomplie. Je n’ai pas simplement passé mon temps à hurler que les tacos du restaurant pour lequel je travaillais étaient les meilleurs. J’ai exprimé ma joie de vivre en dansant, j’ai tenu compagnie à de pauvres SDF fatigués de vivre, j’ai égayé les journée d’un tas de vieilles personnes toutes ridées, et j’ai aimé être un tacos. Mais il est temps de grandir, de faire quelque chose d’époustouflant. Ce quelque chose d’époustouflant me semblait difficile à accomplir en étant un tacos. Alors j’ai pris l’une des décisions les plus dures de toute ma vie : j’ai renoncé à mon job étudiant. Et à ma vie étudiante, aussi. Mais ça, c’était plus facile. J’ai juste épargné les professeurs de ma divine présences pour les examens finaux. Abandonner mon rôle de tacos, c’est une toute autre affaire. Le gérant du restaurant est devenu mon meilleur ami. Même si le travail accompli n’était pas brillant, je l’amusais. Toutes les fois où il a cru devoir mettre la clé sur la porte, j’étais là pour lui remonter le moral. Je lui disais de belles paroles avant de m’enfuir dans la rue pour agresser les gens. Oui, j’ai réellement hurlé sur les passants pour qu’ils viennent manger des tacos. En lui annonçant la mauvaise nouvelle, j’ai l’impression de rompre. C’est délicat, douloureux. Ca me brise le cœur. Je me prépare pour une nouvelle vie, ce n’est pas de ma faute ! C’est rare quand ça arrive, aussi. Habituellement, j’ai la flemme de faire ce genre de chose. Là, je déborde d’enthousiasme. Tout quitter pour me consacrer corps et âme aux Killjoys n’est sans doute pas la meilleure des décisions. Pourtant, je le fais. Sans doute par folie, d’ailleurs. Mais je me dis qu’après toutes les mauvaises décisions que j’ai enchaînées, je ne peux pas faire pire.
Alors voilà, le mexicain me regarde avec tristesse. Il ne sait pas quoi dire, il passe une main sur son visage, soupire, secoue la tête. Moi, je me pince les lèvres avant de lever timidement le costume qu’il est prêt à récupérer. « Non, attends… Est-ce que je peux le garder ? » J’y suis attachée, à ce costume. J’en ai toujours pris soin. Je l’ai aimé de tout mon petit cœur, l’ai lavé avec beaucoup d’amour. Il fait partie de mon patrimoine personnel, de mon histoire atypique. J’en ai besoin pour vivre. Si on me l’arrache, on m’arrache le cœur. Pour convaincre mon ex-patron de me le laisser, je lui fais ma plus belle tête de chien battu. Puppy eyes et tout. « Arg. D’accord. Tu vas me manquer ma grande. Prends soin de toi. » Qu’il me dit avant de m’offrir un câlin généreux. Je ne peux pas m’empêcher de faire des bruitages de chagrin lorsque je sens ses bras me serrer très fort tout contre lui. « Mooowh. Toi aussi. Ne profite pas de mon départ pour te goinfrer de cochonneries, hein ! Je passerai surveiller ta ligne de temps en temps. » Il rit un peu et me libère, la petite larme au coin de l’œil. Une fois en dehors du restaurant, je pousse un petit soupir en observant le costume de tacos que je tiens entre les mains. Maintenant, il va falloir que je vide mon appartement pour tout déplacer au QG des Killjoys. Il s’agit là d’une journée chargée pour ma petite personne, qui n’avait vraiment plus l’habitude de checker autant de choses sur sa to do list en si peu de temps. Après ça, il me faudra probablement une nuit de 26 heures. Et après, ça veut sauver le monde.
Il est tard, il fait chaud, mais j’ai vaincu. J’ai réussi à mettre mon minuscule appartement dans les cartons, non sans avoir souffert une bonne partie de l’après-midi. Je viens de refermer le dernier carton en émettant un « FOUF ! » d’épuisement. Après tant d’effort, je m’échoue sur le lit désormais nu et accepte de m’endormir ainsi. Même si dormir est un bien grand mot. La chaleur m’étouffe et le vide de mon appartement m’empêche de réellement me reposer. Jusqu’à 6h00, je somnole. Je suis presque heureuse d’entendre mon réveil sonner, ça veut dire que je vais enfin déménager. Quitter cet endroit et changer de vie. Le nouveau départ. Franchement, avec ce genre de réplique bidon, on devrait faire un film sur Lauren. Je ressors un petit papier de la poche de mon pantalon et lis l’adresse qui y est indiqué. Zemo me l’a donné il y a deux jours, en m’expliquant qu’il s’agissait de ma nouvelle maison. Il ne m’a pas donné de deadline d’emménagement, mais m’a fait comprendre que le plus tôt serait le mieux. Tout est prêt. Il ne me reste plus qu’à attraper un taxi et à tout transporter au-dessus de cette pizzeria. Parce que oui, j’ai tellement peu d’affaire que tout tiendrait dans un taxi. Je rassemble mes affaires vers la porte d’entrée et cherche mon téléphone portable. Que j’ai explosé pour ne plus être connectée à Overwatch. Je n’ai pas d’autre choix que de descendre dans la rue, crier comme une gueuse dès lors que j’aperçois une voiture jaune, et soudoyer le chauffeur pour qu’il m’aide à transporter les cartons. C’est mon jour de chance : il accepte. Vu le pourboire que je lui ai promis, difficile de refuser.
L’homme m’emmène jusqu’à chez moi, discute joyeusement de la vie et m’aide à déposer les quelques boîtes dans la pizzeria. Le reste, j’assure. Une fois seule, je commence à monter les affaires à l’étage, en semant deux ou trois trucs au passage. Comme mon costume de tacos, par exemple. Je prends le temps de découvrir ma nouvelle chambre, souriante, avant de redescendre pour récupérer le reste. Ma maladresse m’attrape en plein vol et j’arrive à faire tomber un carton qui se trouvait à un mètre du sol, à peine. La dure loi de l'apesanteur.« Diantre ! » que je rouspète, toute fâchée. Je suis maintenant obligée de ramasser les quelques objets qui se sont échappés de la boîte, le tout en m’insurgeant contre la vie. A peine quelque seconde plus tard, je sursaute en apercevant du coin de l’œil mon costume de tacos décédé dans les escaliers. Bientôt, une jeune fille avec de belles mèches roses apparaît, l’air un peu ronchon. « Hey ! Ca s’fait pô ! » Je place mes deux mains sur mes hanches pour lui montrer que oui, je suis en colère. Comme si elle n’en avait pas déjà assez fait, elle décide d’attaquer mon pauvre costume une seconde fois en l’empoignant méchamment. Là, je fronce les sourcils et je me demande si brûler l’une de mes potentielles camarades serait très apprécié. Trop d’agressivité d’un coup, trop de mauvaise onde. « D’abord, tu ferais mieux de me rendre ça, sinon ça va chauffer pour ton matricule. » Je lui arrache le costume des mains et le serre un peu contre moi d’un air protecteur. Puis je daigne relever mon regard noir vers mon interlocutrice. « La politesse, ça existe, jeune fille. C’est pas parce que t’as des mèches roses et que tu sais faire de jolies choses que tu dois m’agresser. » Je dépose soigneusement le costume dans le carton ouvert et le referme avant de m’en emparé. « Je suis Lauren. Ou Ember. Ou Tacos Girl oui, j’aime bien. Tends tes bras. » Je n’attends pas qu’elle le fasse, je lui colle littéralement le carton contre la poitrine pour la forcer à le porter. « J’ai besoin d’aide. J’emménage ici, je suis ta nouvelle colocataire. Ou partenaire, je sais pas trop. Il fait chaud ici, non ? » Je m’empare moi aussi d’un carton et lui montre le chemin jusqu’à ma chambre. « Évite d’attaquer mon costume de tacos à l’avenir. Sinon, toi et moi, on pourra pas devenir copines. » Ce qui me rendrait triste. J’aimerais beaucoup être copine avec une fille qui a les cheveux roses et qui fait des trucs jolis avec ses pouvoirs. « Oh, c’est quoi ton p’tit nom ? »
C’est qui cette nana ? Melissa reste quelques secondes éberlués par son attitude. C’est une maman. Une maman qui dispute une gamine qui a fait une bêtise. Elle pourrait s’en sentir vexer mais le costume de tacos qu’elle serre contre elle comme si c’était un trésor l’empêche de prendre mal cette infantilisation. Elle l’observe ranger le dit costume dans un carton et son esprit à bien du mal à faire le lien entre les plans machiavéliques de leur leader et cette Lauren. Énergique, presque sautillante, Melissa se demande un peu inquiète ce qu’elle sait et elle craint de connaître la réponse. Est ce qu’elle pense qu’ils sont vraiment là pour sauver le monde ? Elle retient machinalement le carton qu’elle lui fourre dans les bras, elle n’était définitivement pas prête pour cette rencontre. Elle n’est pas bonne pour la socialisation. Encore moins le matin après une nuit à ruminer sur tout ce qui a été de travers dans existence.
« Melissa » répond t-elle laconique avant de rajouter un peu penaude « désolée pour ton machin »
Lauren semble déjà envisager l’amitié. C’est pourtant pas vraiment le lieu, pas vraiment la dynamique du groupe. Elle n’a jamais été une amie, jamais vraiment. L’amante quelque fois. Mais pas l’amie, elle n’était pas l’amie des autres grapplers, juste une coéquipière. Elle n’avait pas été amie depuis l’école primaire. Qui parlait encore d’amitié de ce côté là ? La présence de Lauren la bousculait et elle n’aimait pas vraiment ça. Pourquoi c’est pas Abe qui s’est réveillé ? C’est lui qui est bon pour ce genre de truc, mettre à l’aise les gens, faire la conversation. Qu’elle ne compte pas sur elle pour les soirées pyjamas et les batailles de coussins où peut importe ce que font les filles quand elles sont amies. Elle a besoin de café et de patience, de savoir comment réagir. Sa première impulsion était de lâcher le carton, la planter là et de repartir dans sa chambre. Sauf qu’elle est un peu curieuse, un peu inquiète aussi alors elle la suit et dépose le carton sur le matelas.
« Qu’est ce qui t’a amené à nous rejoindre ? »
Nonchalante, elle se demande c’est quoi l’histoire de cette fille. Elle sait qu’il ne faut pas juger un livre par sa couverture, mais cette fille avec son costume de tacos et son attitude de maman lui paraît très éloigné de ce qu’elle fut ou de ce que quiconque fut ou est ici. Elle avait tout un tas de carton qui encombrait pour le moment le salon et Melissa était décidée à jouer les bonnes copines. Elle afficha une expression moins farouche, les traits sévères de son visages parurent un peu plus doux. Il n’y avait pas de sincère altruisme dans son aide, juste l’attitude qu’elle adoptait en tant que Songbird. A force de faire semblant ça devenait plus facile. Toute façon ils étaient tous dans cette même étrange galère, au premier étage d’un restau de pizza à enfiler du lycra pour paraître sauver le monde.
« Avant de terminer, tu veux pas boire un truc ? Café, thé ? »
Elle, elle avait besoin d’un café avant de commencer sa journée.
« Chocolat ? » ajouta t-elle sans savoir s’ils en avaient.
Elle voyait mal ici qui pouvait boire du chocolat. Peut être Abe. Mais elle, elle la voyait bien en boire. Cependant Melissa n’était pas une très bonne juge du caractère, c’est juste qu’elle lui paraissait être une fille à aimer le chocolat, les animaux et être du genre à croquer la vie à pleine dent. Sérieux, sur quel base Zemo les recrutait ?
« Je continuerai de t’aider après, si tu veux. Mais d'abord café. »
Elle alluma la machine dont le vrombissement lui était agréable. Elle attrapa des tasses et se hissa sur un tabouret, elle chercha machinalement ses clopes, mais elles étaient restés sur le rebord de la fenêtre. Elle fumait trop de toute façon et comme elle savait pas quoi faire de ses mains elle les mit autour de sa tasse vide.
✻✻✻ Peut-être qu’un jour, j’apprendrai à me comporter décemment avec les inconnu(e)s. J’admets avoir quelques difficultés à conserver une certaine distance entre les gens et ma tendre personne. Si bien que je m’adresse souvent à eux de façon un peu trop brute, ce qui, je peux le comprendre, semble déroutant. Mais est-ce que je suis obligée d’être correcte avec une personne qui agresse mon costume de tacos ? C’est un peu comme si elle venait de m’attaquer directement. Alors finalement, je décide que mon agressivité est justifiée. Si elle n’avait pas propulsé ma seconde peau dans les escaliers, j’aurais pu me montrer polie et civilisée. On peut en douter, mais on peut aussi y croire très fort. J’abandonne définitivement l’idée lorsqu’elle insulte mon habit de « machin ». Certes, elle présente ses excuses. Mais cette désignation ne me plait pas et je le lui fais ressentir en me retournant vers elle dans les escaliers pour lui lancer un énième regard noir. Décidément, notre relation ne démarre pas très bien. « C’est un costume de tacos. Pas un machin. » Ai-je surgi de nulle part pour lui bousiller ses affaires, moi ? Non, je ne crois pas. Alors un minimum de respect serait fortement apprécié. Dans le fond, elle n’a pas l’air d’être bien méchante. Je suis probablement en train de dramatiser la situation, parce que j’ai cette fâcheuse tendance à accorder une importance improbable à des choses qui n’ont en réalité que très peu d’intérêt. D’ailleurs, la plupart des affaires qui se trouvent dans les cartons sont des objets inutiles qui ont pour moi une très grande valeur sentimentale. J’ai malheureusement besoin de tous ces objets pour me sentir bien, pour avoir l’impression d’être chez moi. C’est primordial. Je ne m’attends cependant pas à ce que les gens comprennent. Je sais que mon niveau d’étrangeté peut parfois dépasser l’entendement, j’ai abandonné depuis longtemps l’idée d’être comprise. En revanche, je ne veux pas qu’on touche à mon univers et qu’on le détruise. Melissa, c’est un peu ce qu’elle a tenté de faire. Sans doute inconsciemment. Malheureuse !
Qu’est-ce qui m’a amenée ici ? Pourquoi avoir rejoint les killjoys ? En entendant la question de la jeune femme aux mèches roses, je me tourne vers elle et lui adresse un regard un peu perdu. Bizarrement, j’ai le sentiment d’être face à une interrogation surprise. Quelle réponse dois-je lui donner ? Je ne sais pas jusqu’à quel point je dois être précise. Lui parler d’avant, du recensement et de mon rôle auprès du gouvernement ? Ou simplement lui répéter les mots de Zemo ? Je suis là pour aider la population en l’élevant, pas en l’enfonçant. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Melissa en sait sans doute bien plus que moi sur les killjoys. Je débarque ici sans savoir réellement pourquoi. Tout est arrivé très vite. Il s’agit d’une pure impulsion, un ras-le-bol qui a mené à une décision hâtive. Comme toujours. Je suis presque gênée, désormais. L’envie de faire quelque chose de bien m’a motivée à rejoindre un nouveau groupe, un peu plus en adéquation avec ce que je veux défendre. Le problème, c’est que je ne sais même pas exactement ce que je veux défendre. La loi de recensement ? Les superhéros et les mutants ? La population new-yorkaise ? Uniquement les humains ? Ca s’embrouille, dans mon esprit. Dans le même ordre d’idée, je ne sais pas ce que font les killjoys. Qui ils sont, ce qu’ils veulent. Pour autant, les paroles de Zemo m’ont rassurée et j’avais envie d’être dans son équipe. Je pense que ce nouveau camp me correspond, mais je suis incapable d’expliquer pourquoi puisque je n’y connais rien. J’imagine que dans le fond, j’avais juste besoin de me déconnecter une bonne fois pour toutes d’Overwatch. La suite reste imprévisible. Mais ça, c’est un peu l’histoire de ma vie. Pendant que je réfléchis à sa question, pendant que je tente désespérément de remettre mon esprit au clair, Melissa m’impose une pause-café. Ou chocolat, c’est selon ma convenance, apparemment. « Hm. Oui, ok. Un chocolat ou un thé, ça me va. Je suis pas fan du café. » Le café, c’est un symbole de la vie adulte. Les responsabilités, les choix compliqués. Toutes ces choses. Même si j’ai l’impression d’être plongée dedans contre mon gré, je préfère conserver une petite part de ma vie tranquille. Le chocolat et le thé m’y aident grandement.
Melissa s’occupe de préparer les boissons. Moi, je découvre les lieux, les yeux grands ouverts. Pour une raison que j’ignore, j’aime découvrir des lieux qui me sont inconnus. Cet endroit est quand même fondamentalement différent de mon ancien appartement, il me faudra probablement plusieurs semaines avant que je ne me sente totalement à l’aise ici. Dans l’immédiat, c’est surtout comme si je m’invitais allègrement chez Melissa. « J’ai rencontré Zemo y’a quelques jours, je suppose que tu le connais ? J’étais en pleine crise existentielle. Il m’a proposé de vous rejoindre et j’ai accepté. » J’explique la situation le plus simplement possible, sans trop rentrer dans les détails. Dans le fond, les détails importent peu. Zemo est celui qui m’a parlé des killjoys, celui qui m’a invitée à en faire partie. Il passe facilement pour la raison de ma présence ici en cette chaude matinée. « Et toi ? » Je m’installe face à elle, un joli sourire plaqué sur mon joli minois. J’essaye de paraître un peu plus sympathique, plus détendue. Elle a de la chance : je ne suis pas spécialement rancunière. J’ai déjà presque oublié la brutalité dont elle a fait preuve quelques instants plus tôt. Maintenant, nous devons faire les présentations. En apprendre un peu plus l’une sur l’autre et savoir si nous allons potentiellement devenir copines. Là, il s’agit d’évaluer la chose sous un angle différent, en utilisant de nouveaux critères bien plus objectifs. « On est combien, en fait ? Zemo m’a pas beaucoup parlé de tout ça. » Que je dis en désignant l’ensemble du QG. « J’aime pas trop être la nouvelle, je me sens un peu à la ramasse. Alors si jamais t’as deux ou trois trucs importants à partager, je suis preneuse. Même si c’est juste sur les habitudes des gens ici, ça me va. Je me dis que ça pourra toujours me servir. » Accessoirement, je compte sur cette discussion pour en apprendre davantage et savoir exactement dans quoi je m’embarque. J’aurais probablement dû questionner Zemo le soir où il m’a recruté. Mais à ce moment, j’étais bien trop occupée à chercher une échappatoire. Je l’ai trouvée, mais que vaut-elle réellement ?
Melissa n’est pas surprise de l’entendre préférer le chocolat elle se demande juste s’il y en a. Elle farfouille dans un placard, puis dans un second tout en écoutant attentivement ce que la nouvelle venue raconte. Elle finit par trouver une boîte métallique contenant du chocolat et ses doigts se crispent sur le couvercle. Elle sait rien, elle est venue pour sauver le monde. Zemo a débusqué une plus grande paumée.
« Pareil » ment-elle réfugiée derrière la porte du placard
Elle fait mine de chercher encore, le temps de retrouver son calme. Elle avait envie de lui hurler de reprendre son costume de tacos et de retourner d’où elle venait. Elle pose un peu trop brusquement la boîte métallique. Elle peut pas. Égoïstement elle peut pas. Ça poserait des questions et faut que personne de trop fouineur ne se pose des questions sur eux. Alors elle reprend son expression avenante.
« Avec toi six » répond t-elle d’une tranquillité feinte.
Elle se concentre sur sa tâche, le chocolat, puis le lait, puis le micro-onde. Elle fulmine. Ça fait des siècles qu’elle n’a pas bu de chocolat. Dès que Zemo rentre elle va lui tomber dessus. Des siècles que tout ce qui évoquait l’enfance lui collait la nausée. Elle va parler à Zemo. Elle connaît pas cette fille mais elle n’a rien à faire ici. Elle lui pose son chocolat et attrape son café.
« Y’a Karla aka Meteorite, la grande blonde. »
Elle n’en dit pas plus sur Karla parce qu’elle n’a jamais pu la voir et celle-ci lui rend bien. Un jour elles en viendront aux mains.
« Paul aka Fixer c’est notre ingénieur, il paraît un peu louche mais il est assez sympa. Et Abe, aka Mach III ou IV j’arrive pas à suivre. Probablement le plus fréquentable ici. »
Certainement même. Son ton est léger moins son humeur. Qu’est ce qui est passé dans sa foutue tête ? Dans quelle partie de son plan intervient-elle ? Ils vont être obligé de jouer la comédie même entre eux désormais pour pas se trahir devant la petite nouvelle. Elle l’observe un peu, elle est mignonne, enjouée maintenant que ses réprimandes sont passées. Elle en vient à penser que c’est peut être plus trivial que ça. Elle est quasi certaine que Karla est passée ou passe dans son lit. Il y a elle et ce à quoi elle ne veut plus repenser. Et maintenant cette nana, elle la dévisage un instant. Peut-être que c’était bel et bien plus trivial que ça. Ça serait décevant mais elle n’en tomberait pas non plus de sa chaise. Elle détourne le regard vers son café.
« Et tu connais déjà Zemo. » conclut-elle
Une gorgée de café pour remplacer la colère par l’amertume. Elle évite aussi soigneusement que discrètement de se retrouver seule avec lui et c’est peut-être en effet un bon conseil à lui donner. Un conseil qui soulèverait des questions et de l’embarras alors elle noya dans une autre gorgée.
« Ne t’inquiète pas, on est tous les nouveaux. Le groupe n’est pas formé depuis longtemps. On apprend encore à se connaître. »
Elle se veut rassurante et puis ce n’est pas tout à fait faux. Quelques mois à peine et malgré les quelques unes, les sourires de connivences convenus, elle ne peut pas dire qu’elle connaisse réellement les gens avec qui elle partage ce lieu. Sauf peut-être Abe, mais assez injustement elle n’est pas certaine que lui la connaisse, en tout cas elle trouve cette pensée rassurante.
« Fais quand même attention à Karla, elle n’aime pas trop la compétition. » ajoute t-elle finalement puis pour ne pas paraître stupide cryptique elle ajoute « Si on était au lycée elle serait la capitaine des cheerleaders. »
✻✻✻ Finalement, je l’aime bien cette demoiselle. Elle a l’air sympathique et ça me fait plaisir de croire que nous allons probablement bien nous entendre. Du moins, je crois ? Peut-être que c’est un peu tôt pour le dire. Quoi qu’il en soit, elle et moi, nous sommes là pour les mêmes raisons. L’intérêt de la population passe avant tout le reste. Mes craintes d’avoir encore une fois choisis mon camp dans la précipitation se dissipent. Je sens que je vais enfin avoir l’occasion d’accomplir des choses épiques. Cette pensée me donne envie de sautiller dans tous les sens, et de serrer Melissa très fort dans mes bras. On se contentera pourtant d’un sourire. Nous ne sommes pas assez intimes pour les câlins, j’aurais peur de la contrarier et qu’elle m’expulse comme elle a expulsé mon costume de tacos. Je ne suis pas en tissu, moi, pas très solide, difficilement résistante. Elle m’attaque, je meurs. Il y a des chances pour que je la brûle dans ma mort, aussi. Cette phrase ne me parait pas très française, j’annonce. Pour le moment, tout va bien dans le meilleur des mondes. L’heure est à la discussion, et j’en profite pour lui demander une image globale de ce à quoi notre groupe ressemble. Zemo n’a pas pris la peine de me communiquer les noms des autres membres, j’arrive littéralement comme un cheveu sur la soupe sans savoir avec qui je vais travailler. Dans l’ordre, il y a Karla, Paul et Abe. Au début, j’ai un léger temps d’arrêt. Nous sommes Six, elle a dit. Mais elle n’a cité que trois nom, quatre avec celui de Zemo. Je la fixe, les sourcils froncés, et il me faut bien trente secondes avant qu’un éclair de génie ne me frappe. D’où mon facepalm intense. « Avec nous deux, ça fait six. » Que j’explique en hochant la tête. Tout fait sens, désormais. Pour le moment, je n’essaye même pas de retenir les pseudos de chacun. Si j’arrive à me souvenir des prénoms dans deux heures, ça sera un miracle.
Plus les minutes passent, plus je trouve Melissa rassurante. Elle est officiellement celle que je connais le plus ici. En même temps, ce n’est pas bien compliqué. Je ne pensais pourtant pas être capable de lui pardonner sa violence. Quand j’y repense… Mon pauvre costume de tacos ! J’écarte vite ce douloureux souvenir de ma tête pour éviter de gâcher ce joyeux moment. C’est avec un sourire jusqu’aux oreilles que je bois une première gorgée de mon chocolat chaud. J’ai l’impression que je n’ai plus eu l’occasion d’en boire depuis des années. Alors qu’en réalité, il est fort probable que mon dernier chocolat chaud date d’il y a deux jours. Ma mémoire n’est pas bien efficace, je ne m’en cache plus ! Melissa profite du moment pour balancer les premières informations nécessaires à ma survie. « Comment ça, elle n’aime pas trop la compétition ? » Demandé-je d’un air intrigué. « Pour quoi on doit se battre ? » Placée hors contexte, ma question peut paraître extrêmement stupide. Quoique… Même replacée dans le bon contexte, elle l’est toujours autant. Mais selon mon raisonnement, une compétition implique un trophée. Ma question est donc : quel est ce trophée ? Je suis dans le flou, c’est déroutant. « Attends… Si Karla est la capitaine des cheerleaders, ça veut dire qu’il doit y avoir le capitaine de l’équipe de foot ? Voire peut-être même un autre capitaine, celui de l’équipe de basket. » Là, je ne m’occupe plus tellement de Melissa. Je poursuis ma réflexion en faisant d’étranges gestes avec mes mains, tandis que j’affiche une mine des plus sérieuses. « Zemo, Abe et Paul sont les hommes de la team. Ce qui veut dire que deux d'entre eux sont les capitaines. OH MON DIEU ! DES HISTOIRES DE SEXE ! » Que je fais, la main contre ma poitrine. « Zemo m’avait pas dit tout ça, c’est fou. Tu me dis ça parce que t’as été en compétition avec Karla ? Pour lequel ? Zemo, Paul ou Abe ? » Mes sourcils dansent avec fesse-mathieu. J’ai ri, j’étais obligée de le mettre. « Zemo m’a pas non plus expliqué comment il comptait s’y prendre pour sauver la population. J’suppose que s’il a construit son équipe avec six personnes, il doit bien avoir une p’tite idée du plan. Il t’en a parlé ? On va servir à quoi ? » Je passe littéralement du coq à l’âne, sans transition. Autant je me fiche pas mal de connaître les histoires du groupe, autant connaître le but ultime de mon existence au sein des killjoys, j’y tiens. Je fixe Melissa droit dans les yeux, dégustant ma boisson chaude en faisant de petits bruitages assez dérangeants.
La suivre est un véritable défi, les pensées semblent se bousculer dans son esprit et c’est sans filtre qu’elle déblatère. Le sourire de Melissa cette fois n’est pas feint même si elle manque de s’étrangler dans son café face à ses bruyantes déductions. Rapidement elle réalise qu’elle aurait préféré déblatérer sur la vie sexuelle de Paul que de répondre à cette question sérieuse. Le plan de Zemo, elle repose doucement sa tasse , elle a déjà du mal à digérer ses mensonges.
« Il a des projets, mais chaque chose en son temps. Le monde ne tourne plus rond on ne va pas régler ça demain. »
Elle commence à bien pratiquer la langue de bois, à force de parler aux journalistes, à force de devoir faire attention.
« Son grand plan il ne le dévoile que parcimonieusement. »
Elle se dégoute, elle devrait s’employer à la faire fuir cette fille. Ruiner son costume débile, lui dire de se barrer avant de se retrouver bloqué. Elle peut tout simplement pas, elle pense à tout ce qu’elle va dire à Zemo, elle se demande s’il compte en ramener d’autre encore. Il faut noyer le poisson et elle préfère revenir au sujet précédent avant de se retrouver à faire passer Zemo pour un bienfaiteur de l’humanité.
« Pour ce qui est de Karla, elle est en compétition avec tout ce qui a des seins. Mais tu la rencontreras rapidement tu te feras ton propre avis. » annonce t-elle tranquillement
Elle n’a jamais trop apprécié Karla et c’est un euphémisme, elle n’est jamais tout à fait sereine quand elle est dans les parages. Elle a l’impression qu’à tout moment elle peut lui planter un couteau entre les omoplates, le tout sous le regard bienveillant du boss, avant de probablement le planter lui. A aucun moment durant ses pensées elle ne se départit pas de son visage amicale.
Son café terminé et pour éviter d’autres questions auxquelles elle n’a aucune envie de répondre elle frappe dans ses mains d’un air enjoué tout en se disant que la matinée allait être longue et en maudissant ceux qui dorment encore et elle n’éloigne pas l’idée de faire tomber un carton juste devant la porte d’Abe.
« Je t’aide à déballer le reste ? »
Elle se dirige déjà vers les cartons restant, elle même n’avait pas plus d’un carton, qui contenait quelques photos et des vieilles frusques qu’elle avait du renouveler pour les apparitions publics. Personne ne lui avait rien imposé, c’était elle qui l’avait voulu, toute cette mascarade c’était aussi un bon moyen de faire table rase. D’essayer de se construire sur autre chose que la rage, la violence ou le deuil. C’était pas encore complètement gagné, mais les chemisiers fluides et pastels aidaient un peu.
Chargé d’un nouveau carton, un peu plus lourd celui ci, elle reprend le chemin de la chambre de la nouvelle recrue. Puis lui traverse l’esprit que s’il veut recruter encore il faudrait pousser les murs, leur modeste QG n’est pas extensible et puis, c’est déjà la guerre pour la salle de bain.
✻✻✻ Bon, c’est officiel. Les killjoys sont des personnes incroyablement mystérieuses, et assez peu loquaces. Mon unique question sérieuse obtient une réponse vague, et le doute persiste. Je comptais sur Melissa pour qu’elle me parle de l’équipe et de ses objectifs, qu’elle m’en dise davantage sur le plan de notre leader, et éventuellement, qu’elle m’éclaire sur mon rôle et les différentes missions que je vais devoir accomplir. Pour le moment, j’ai l’impression que le « on va sauver la population » de Zemo était bien plus clair et précis que la réponse de Melissa. Ce qui est un peu déconcertant, on ne va pas se mentir. Je ne peux pas dire avec certitude que la jeune femme me ment, ni même qu’elle me cache des choses, mais j’ai quand même l’impression d’être le dindon de la farce. Je ne peux pas croire que toute l’équipe se soit formée un peu par hasard, sans savoir exactement quels sont les plans de Zemo. Mon petit doigt me dit qu’il y a hippopotame sous gravillon, et mon petit doigt se trompe rarement. Pour autant, je suis incapable de regretter ma décision. Même si j’ai rejoint les killjoys sans savoir à quoi je dois ou devais m’attendre, je sais que j’ai eu raison. Travailler avec le gouvernement ne m’a rien apporté de bon, et je reste persuadée que Zemo a su comprendre et voir ce que je recherchais exactement. Même si moi, je ne suis pas sûre de le savoir. Ma présence au sein de cette équipe doit forcément avoir un sens, et sans doute qu’un jour, je finirai par en avoir connaissance. C’est en partie pour ça que je ne creuse pas plus la réponse de Melissa. J’accepte d’être dans le noir, de ne pas avoir toutes les réponses que je souhaiterais obtenir. Je me dis que ça viendra. Quand je serai là depuis plus de trente minutes et quand j’aurai fait mes preuves. Pour le moment, Melissa joue peut-être la carte de la méfiance. Je la comprends, moi aussi j’éviterai de dévoiler le plan de mon patron à quelqu’un que je connais à peine.
Que Melissa ne veuille pas m’en dire plus sur les killjoys, je peux donc le concevoir. En revanche, elle ne devrait pas être aussi mystérieuse en ce qui concerne les histoires romantiques des membres. Encore une fois, elle esquive majestueusement ma véritable interrogation pour me reparler de Karla. Une fille dont je dois apparemment me méfier. A sa réflexion, je baisse les yeux sur ma poitrine et grimace légèrement. « Bon. Bah j’suppose que ça devrait aller. J’ai pas des seins énormes, la compétition devrait pas être aussi rude que tu l’dis. » Je lâche ça avec beaucoup de sérieux. Parce que dans le fond, je le suis. « Au pire, elle m’embête, je la brûle. » L’ultime menace, le retour. Sur ces paroles pleines d’amour, je termine mon chocolat chaud et saute de ma chaise tandis qu’elle frappe dans ses mains. Cet enthousiasme me plait, et quand quelque chose me plait, je glousse. « On va ignorer le fait que t’aies pas vraiment répondu à ma question. Celle sur qui couche avec qui, pas celle sur notre utilité et tout ça. » A deux, il ne nous faut que quelques minutes pour désencombrer la cuisine, jusqu’alors envahie par mes multiples cartons. Je dépose le dernier en lâchant un énorme soupir d’aise, signe qu’il était temps de terminer cette pénible tâche. Maintenant, il va falloir que je déballe le tout pour m’installer un peu plus confortablement. Et surtout, oh oui surtout, il va falloir que j’accroche mon gigantesque poster de Kevin Love au-dessus de mon lit. A ce propos… « Sache que je suis secrètement mariée à Kevin Love. Tu peux m’appeler Lauren Love, si tu veux. » C’était l’information inutile que je me devais de partager. Et si jamais un jour elle m’appelle Lauren Love, je serai la femme la plus heureuse du monde.
Je suis d’humeur à discuter. Déso Melissa, je suis obligée de te tenir la jambe. « Je bossais avec le gouvernement avant. Je les ai aidé à arrêter les hors-la-loi, j’en ai probablement blessés quelques uns aussi. Je sais pas ce que tu penses du recensement, mais moi je pense que c’est de la grosse merde. » Je marque une pause, penchant légèrement la tête sur le côté et fermant un œil. Je réfléchis. « Enfin… Pas littéralement de la grosse merde. J’pense juste qu’à cause de ça, le monde est devenu trop violent. C’était pas utile. Du coup, j’ai pété un câble. Je venais juste d'arriver au travail et je portais ce pauvre costume de tacos que t’as attaqué tout-à-l’heure. J’ai commencé à devenir un peu agressive. J’étais pas crédible, tu peux le dire. Parce que oui, j’te l’ai pas dit, mais je bossais dans un restaurant mexicain. J’étais le tacos géant qui se baladait devant pour faire un peu de pub. J’étais étudiante, aussi. » Je raconte ma vie dans le plus grand des calmes, tout en défaisant distraitement mes cartons. Quitte à travailler ensemble, je me dis que Melissa a le droit d’en savoir plus sur moi. De toute façon, mon existence n’est pas top secrète. Je n’ai rien vécu de bouleversant ou d’exceptionnel, de la même façon que je n’ai pas grand-chose à cacher. « Et toi ? Tu faisais quoi avant d’atterrir ici ? » Pas sûre qu’elle me réponde, pour le coup.
Elle commence à apprécier Lauren. Elle a un franc parler qui l’amuse, elle n’est pas ni naïve qu’elle l’a cru au premier abord, ça lui déplaît d’autant plus de devoir lui mentir. De la savoir ici à tolérer les demis-vérités qu’elle lui balance. Melissa rumine ça en terminant de déballer les cartons. A deux c’est une affaire rapidement pliée et lorsque Lauren extirpe un poster immense à l’effigie d’un basketer sommes toute assez mignon, elle n’a pas besoin de se forcer à rire.
« Ok, Love » répond t-elle et puisqu’elle a bien l’air décidé à entretenir la conversation Melissa s’appuie à moitié contre le radiateur éteins.
Elle lui raconte histoire bien qu’elle n’ait rien demandé. C’est vraiment une fille curieuse, elle l’imagine mal s’engager pour le gouvernement, encore moins blesser qui que ce soit, mais elle ne l’imagine pas plus mentir. Il faut dire qu’elle est passée un peu à côté de la propagande gouvernementale des dernières années. Dans son petit asile, la télé ne faisait que diffuser des vieilles séries américaines devant lesquelles bavaient littéralement les plus vieux pensionnaires. Alors elle acquiesça distraitement, oui cette histoire de recensement c’était de la merde. Parquer les mutants dans un quartier c’était de merde. Et Lauren était définitivement le genre de nana qui se cherchait une place. Le genre de nana avec une vie normale en fait, étudiante avec un boulot débile, le genre de nana qui avait rien à foutre ici avec un mégalo et une psychologue psychopathe.
La question suivante était logique mais pris Melissa au dépourvu tout de même. Ils avaient convenus de ne pas parler de leur passé. A la presse. Aux inconnus. Rester dans le mystère parce qu’il fallait qu’ils aient l’air sans peur et sans reproche. Et aucun d’eux n’était sans reproche. Il y eut un blanc, un peu trop long et elle baissa le regard comme si elle craignait que Lauren ne perçoive dans ses yeux les rouages de son cerveau tourner à toute blinde.
« J’étais lutteuse pro, catégorie optimisée » finit-elle par répondre.
C’était la stricte vérité, elle avait réellement été lutteuse professionnelle. Ce n’était juste pas la dernière chose qu’elle avait fait. Comme elle sentait qu’elle ne pourrait se contenter de ça, elle poursuivit.
« Moi et quelques autres filles ont se faisait nommer The Grapplers, on était assez populaire dans le milieu... »
C’était étrange d’en reparler, douloureux aussi mais ça elle le masquait assez bien. L’histoire c’était terminé dans un bain de sang, elle était la seule à s’en être sortie indemne. Deux étaient mortes et la dernière, sa petite amie, avait vu sa rotule éclater.
« … mais les sponsors demandaient toujours plus. C’est devenu franchement malsain et j’ai préféré raccrocher mon body. »
Ce dernier point étant probablement le plus positif. Le seul également. Et comme elle pouvait pas s’arrêter là non plus, elle ajouta.
« Ma copine s’est barrée et j’ai trouvé un job alimentaire dans un service de sécurité et maintenant je reporte du lycra mais pour sauver le monde. »
La partie sur le service de sécurité était pure mensonge, mais elle se voyait mal lui annoncer, que pour rembourser le sponsor qui avaient financé leurs améliorations elles étaient sorties de la légalité, qu’elle avait fait plusieurs séjours en prison et le dernier en asile après que son mec se soit vidé de son sang entre ses bras. Son histoire est composée de sang et de mauvaises décisions. Elle préfère la version qu’elle vient de raconter à Lauren.
✻✻✻ Pour une sombre raison, il me semble très important de prévenir Melissa de mon affection toute particulière pour Kevin Love. Ce genre d’information peut toujours servir. Pour mon anniversaire, par exemple. J’imagine que l’équipe se demandera quel cadeau me ferait le plus plaisir, et Melissa repensera à notre discussion. Elle repensera à cette confession et proposera d’acheter un T-Shirt à l’effigie de Kevin Love. On ne dirait pas, mais chaque information lâchée a un but. Même lorsque je lui raconte tout ce par quoi je suis passée avant d’atterrir au-dessus de cette pizzeria. J’essaye de lancer la conversation et d’en savoir un peu plus sur elle. Bien que je ne sois pas la plus douée en termes de relation, je sais par expérience que les gens se livrent plus facilement lorsqu’on les laisse entrevoir un petit bout de soi-même. Ca m’intéresse de savoir avec qui je vais travailler. Sans parler de tout savoir de Melissa, j’aimerais en apprendre un minimum sur elle. Lorsque je lui pose la question, pourtant, je ne m’attends pas à ce qu’elle y réponde. Plusieurs secondes s’écoulent avant qu’elle n’ouvre la bouche, en réalité. Il ne m’en faut pas plus pour comprendre qu’elle n’est pas aussi à l’aise que moi, et que parler d’elle n’est pas simple. Peut-être parce que, contrairement à moi, elle n’a pas eu la chance d’avoir une vie paisible, quasiment sans problème. Je détourne le regard et reporte mon attention sur un carton à moitié vide. C’est là que Melissa daigne parler d’elle. Je ne me retourne pas tout de suite, préférant jouer les distraites en sortant les objets un à un. Le fait qu’elle ait été lutteuse pro me pousse à l’admiration, je ne vais pas le cacher. En entendant ça, je m’attends aussi à une histoire sanglante. The Grapplers, les sponsors qui en redemandent toujours plus, le côté malsain de la chose… Tous les éléments sont réunis pour que son récit mène à une choquante révélation. Je m’attends à tout, surtout au pire. Je me retourne vers la jeune femme ; elle peut clairement voir qu’elle a mon attention. Toute mon attention.
Ma copine s’est barrée et j’ai trouvé un job alimentaire dans un service de sécurité et maintenant je reporte du lycra mais pour sauver le monde. Cette chute me plonge dans une incompréhensible frustration. Ce n’est pas exactement ce à quoi je pensais, comme fin. Ca n’explique pas comment elle s’est retrouvée chez les killjoys, ni même pourquoi. Alors que dans le fond, c’est ce qui m’intéressait le plus. J’imagine que ça m’aurait permis d’en savoir un peu plus sur notre rôle, ou je ne sais pas. J’espérais obtenir quelques petits bouts d’informations manquants. Alors voilà que je fronce les sourcils. « Surprenant. » Que je lâche avec spontanéité. « Cette histoire de job alimentaire dans un service de sécurité. Ca devait être un sacré changement. » Et je retourne à mon carton. « Y’a un million de questions que j’aimerais te poser. Mais j’imagine que t’as pas trop envie d’en parler alors j’vais éviter. » A quel point The Grapplers étaient-elles connues ? Qu’est-ce qu’elle veut entend exactement par « les sponsors demandaient toujours plus » ? Qu’est-ce qui a fait que la situation était devenue malsaine ? Pourquoi avoir subitement choisi de travailler dans un service de sécurité ? J’ai bien compris que reparler de son passé la troublait, et je le respecte entièrement. C’est pour ça que je n’irai pas faire ma fouine. Tout en sachant pertinemment que les questions que je me pose maintenant finiront forcément par revenir. Et si, pour une fois, j’ai la délicatesse de ne pas l’agresser avec, je sais qu’à un moment ou un autre, elles sortiront à cause de ma maladresse habituelle. « En tout cas, si jamais un jour tu t’ennuies et t’as envie de m’apprendre à me battre… Je dis pas non ! C’est triste, mais le gouvernement m’a même pas appris à cogner sur les rebelles. Ca pourrait être utile, j’imagine. Parce que quand on m’attaque, j’ai la fâcheuse tendance à riposter avec le feu. J’pense que si je pouvais répliquer avec mes poings, ça serait moins moche. » Je lui adresse un sourire avant d’ajouter. « J’ai pas de costume en lycra non plus. Ca me rend triste. » Je suis effectivement le genre de fille qui part combattre dans la rue en pyjama, voire parfois en costume de tacos géant. Pas top. « Zemo m’a promis la lune en m’embarquant dans cette folle aventure. Alors j’espère au moins qu’il va me payer la tenue en lycra. D’ailleurs, il est comment, Zemo ? Perso, je l’ai trouvé très mystérieux. » Un jour, j’arrêterai avec mes questions. Ce n’est pas de ma faute si je suis une personne curieuse et intéressée. Il ne faut pas m’en vouloir : j’ai littéralement l’impression de découvrir la vie.
Lauren n’est pas si naïve. Un point pour elle. Son histoire était bancale, la fin manquait de dramaturgie, mais c’est pas trop son fort l’improvisation. Surtout quand le public est avide. Lauren a cependant la politesse de ne pas remettre en question cette version bien qu’elle affiche ouvertement son scepticisme. Pour le moment ça ira. Il faudra qu’elle briefe les autres, que chacun trouve son histoire. La sienne était bancale, trop courte et manquait des détails qui rendent les bons mensonges crédibles.
Lauren a un débit de parole impressionnant et Melissa écarquille les yeux quand elle apprend que la nouvelle recrue en plus du reste ne sait pas se battre. Elle ne sait plus ce qui est ou non une plaisanterie avec elle et comme si tout ça n’était pas assez émotionnellement compliqué à gérer elle met le sujet Zemo sur le tapis. Si c’était un combat elle ne serait pas loin du KO.
« Il est…. » commença t-elle sans trop savoir ou elle allait.
Autoritaire, obsessionnel, revanchard, intense ? Elle ne se sentait maladroite, Zemo elle évitait d’y penser trop ça l’amenait sur une pente dangereuse. Elle avait toujours eu un truc pour les figures autoritaires et ce n’était pas le genre d’aspect qu’elle voulait qu’on retienne d’elle. Pas un même un de ceux qu’on apprenne.
« Autoritaire » Celui là, elle pouvait le garder, puis réalisant qu’elle prenait trop de temps pour répondre à une question sommes toute simple, elle soupira et termina sur un laconique « et mystérieux ouais »
Elle-même peu convaincu par sa prestation, elle échangea un regard avec Lauren lui demanda implicitement de stopper ici l’interrogatoire, ça avait été assez compliqué comme ça. Et le dernier sujet était définitivement celui qu’elle n’avait pas assez potassé. Après un nouveau blanc, Melissa revint d’une façon tout à fait non naturelle sur le sujet précédent, certes important mais qui aurait mérité mieux que de servir de détournement à une autre question.
« Dès que tu seras prête on commencera ton entraînement, tu risques d’avoir besoin de savoir te battre rapidement. Les pouvoirs suffisent pas toujours »
C’est un rôle auquel elle a jamais pensé mais elle peut le faire. Apprendre à se battre, le catch peut être utile aussi, apprendre à tomber, apprendre à connaître son corps suffisamment. C’était impensable que le gouvernement tout incompétent soit il est engagé des gens sans leur fournir la moindre formation. Irresponsable. Ça faisait monter sa haine contre ces endimanchés incapables qui envoyaient les gens se faire massacrer et c’était beaucoup mieux de centrer sa haine et sa rancœur là dessus que sur le reste. Elle faisait toujours ça : transposer sa rage personnelle sur un sujet plus vaste, plus important, plus impersonnel, surtout que ça ne se concentre pas sur elle, c’était primordial. Melissa a le déni facile et la fuite rapide, elle fuit depuis qu’elle a 12 ans et c’est en parti grace à ça qu’elle est en vie. Alors elle a étendu cette capacité à tous les domaines de son existence sans même s’en rendre compte. Elle ne fuyait cependant jamais un combat tant qu’il se faisait avec les points. Ce sont les mots qui l’effraient.