Amadeus était complètement ailleurs. Des sirènes hurlaient un peu partout mais il ne les entendait même pas. C’était le chaos, autour de lui. Des civils criaient encore, sanglotaient. Il devait s’éloigner de là. Ignorer la panique qui l’entourait était faisable, lorsqu’il se battait pour survivre mais à présent, c’était juste insupportable. Du sang maculait son visage, au niveau de la tempe et du menton. Sa lèvre était fendue mais il ne fit rien pour arrêter le saignement et boitilla misérablement. Une voix l’appela, certainement un collègue, mais il l’ignora complètement et accéléra le pas, autant que sa jambe douloureuse lui permettait de le faire. Il devait partir, juste… partir. Ses pas le menèrent à l’écart, jusqu’à l’entrée de Central Park qui étrangement, était la seule zone à peu près épargnée par les combats. Il faisait froid, un vent glacial soufflait sur New-York et de la neige s’était remise à tomber. Mais le jeune homme avait l’impression d’étouffer. Ne tenant plus sur ses jambes, il se laissa tomber sur le banc le plus proche et s’empressa de retirer sa veste. D’une main tremblante, il défit quelques boutons de son uniforme, juste pour respirer. Là, il laissa l’air froid le saisir et laissa échapper un soupir. T’es vivant, Jaëger, t’es vivant. Il avait beau se répéter cela, il ne parvenait pas à y croire. Comment des êtres pareils pouvaient-ils exister ? C’était de la folie, pure et simple. Il n’était pas taillé pour lutter contre des mutants possédant de tels pouvoirs. Un grognement lui échappa et Amadeus passa une main sur son visage poisseux de sang. Du revers de sa manche, il essuya sa bouche en sang et observa la tâche avec des yeux vitreux. Alors ses doigts s’enfoncèrent dans la poche de son pantalon et il en tira un paquet de cigarettes. Il batailla un moment pour l’ouvrir et en sortir un tube de nicotine qu’il glissa entre ses lèvres avant de l’allumer. Là, il tira longuement dessus, ignorant la douleur au niveau de sa lèvre à cause de la plaie qui s’y trouvait.
Un frisson parcourut son échine à cause du froid mais qu’importe, il avait besoin de ça pour reprendre ses esprits. Il avait réussi à s’éloigner, mais c’était toujours le bordel, dans sa tête. Il avait éprouvé la terreur et la douleur de ces gens, juste avant que le Fléau ne… Amadeus ferma les yeux. Ce n’était pas le moment de perdre les pédales. Les autres allaient sûrement le chercher. Il devait se ressaisir et y retourner, ne serait-ce que pour se rendre utile, aider les ambulanciers à évacuer les civils blessés, il devait… Un grondement sourd lui échappa et il tira de nouveau sur sa cigarette. Il se sentait nauséeux et il était incapable de dire si c’était à cause de tout ce qu’il avait ressenti et vu, ou du mauvais coup qu’il avait pris à la tête. Et même assis, sa jambe lui faisait un mal de chien. Monter dans une ambulance pour se rendre à l’hôpital ne serait sûrement pas du luxe, mais Jaëger était incapable de bouger. Lever son bras pour fumer sa cigarette était déjà un effort qu’il effectuait difficilement.
Son don était vraiment à chier. Il l’avait toujours su, mais se retrouver face à un monstre comme le Fléau, voir des types lui tenir tête avec cette force incroyable, ça ne faisait que lui rappeler qu’il n’était rien. Il était peut-être un mutant, mais il était loin de représenter le moindre danger. C’était pathétique. Amadeus pensait être un bon flic, du moins, il faisait tout pour l’être. Mais comment était-il censé faire son travail quand il risquait de se retrouver face à des types pareils ? Il savait se battre, était habile avec une arme, ça le rendait redoutable contre d’autres êtres humains. Mais contre eux ? Amadeus avait eu l’impression de n’être qu’un misérable insecte et il ne supportait pas d’être impuissant. Il était têtu, mais pas suicidaire. Admettre que l’on n’était pas de taille n’était pas une faiblesse mais ça faisait quand même sacrément mal. Sa lèvre avait recommencé à saigner, mouillant le filtre de sa cigarette. Alors le blond grimaça et la jeta au loin, ça n’arrangeait pas son étourdissement, de toute manière. A vrai dire, il se sentait encore plus nauséeux.
Il devait retourner là-bas. Il avait pris le temps de se calmer un peu et si ça ne suffisait pas, ça lui permettrait au moins de tenir le coup. Alors Amadeus prit appuis sur le banc et tenta de se lever en grognant mais un véritable courant d’air lui fit perdre l’équilibre. Le jeune homme gronda et retomba assis, son cœur battant la chamade. Pas un autre mutant, par pitié, il n’était pas en état de se défendre. Pourtant, il porta sa main à son arme mais se figea en reconnaissant la silhouette qui se tenait à quelques pas de lui. A en juger par l’état de ses vêtements, il s’était retrouvé mêlé à tout ça, lui aussi. Mais Amadeus ne parvenait pas à s’inquiéter et ne pensait qu’à la dernière fois qu’ils s’étaient vus. La honte de ce souvenir lui réchauffa le visage. Impossible d’oublier comme il s’était ridiculisé en craquant face au Maximoff. En le suppliant de l’aider, pathétiquement. Son souffle se bloqua dans sa gorge et il serra les dents, priant pour que Pietro disparaisse aussi vite qu’il était venu, mais il sembla remarquer sa présence, puisqu’il se retourna. Alors l’inspecteur s’appuya contre le banc avec un soupir. « Belle journée, hein ? » croassa-t-il d’une voix rauque en essayant d’afficher un sourire détendu. Avec sa gueule en sang, il avait bien l’air fin.
Pietro avait sorti son téléphone dès que la situation avait été gérée. Dès qu'il avait foutu le camp. Encore un décor apocalyptique, encore un nouveau cauchemar. Il avait composé le numéro de Wanda, il avait attendu deux sonneries, plus angoissé que jamais. Il se souvenait des ruines de leur maison, de la bombe au-dessus de leurs têtes, de la main de sa sœur dans la sienne pendant des heures, des jours. Elle avait décroché. Elle allait bien. Il poussa un tel soupir qu'elle ne put s'empêcher de s'inquiéter à son tour. « Je suis en vie. C'est le principal. » avait-il dit. Puis il avait convenu de la retrouver quand il aurait aidé au maximum les Avengers à déblayer les rues, à soulever les débris, à secourir les victimes ou à récupérer les corps de ceux qui, malheureusement, y avaient laissé la vie. Fût un temps où Pietro n'aurait pas supporté ce spectacle. Tout ce sang, tous ces cris terrifiés, dans les vapeurs âcres des incendies, les relents de mort … c'est vrai, ce qu'on dit. On s'habitue à tout. On finit même par s'accoutumer à des scènes aussi tragiques, aussi sales.
Pietro serra le bandage de fortune autour de son bras : il courait vite, mais il n'avait pas échappé aux pans d'immeubles qui s'étaient effondrés, lorsque Avalanche avait fait valdinguer les murs. Il y avait un bout de sa peau qui s'était enlevé : littéralement, il avait vu le morceau de chair tomber au sol ! La moue dégoûtée qu'il avait affiché ne l'avait pas empêché d'arracher une partie de sa chemise pour couvrir la blessure. Des gens étaient dans une situation bien plus dramatique que la sienne – il aurait tout le temps de s'apitoyer plus tard. Il traversa Manhattan à l'affût de n'importe quel gémissement, et quand il courrait aussi vite, le reste du monde tournait au ralenti. C'était presque trop facile, de venir à la rescousse de ceux qui en avaient besoin. Alors il sortit une petite fille, qui s'était réfugiée dans le coffre d'une voiture désormais complètement retournée sur les pavés. Il amena une équipe d'urgentistes à l'intérieur d'un building – ou ce qu'il en restait – pour retrouver un père et ses deux fils, cachés dans un placard dont l'entrée était bloquée par les débris du plafond qui s'était écroulé. A chaque innocent sauvé, à chaque sourire qu'on lui adressait, Pietro se sentait utile, se sentait mieux. C'était peut-être comme ça qu'il arrivait à supporter des scènes aussi cauchemardesques : en rendant la situation moins tragique. En venant en aide à son prochain.
Pourtant, il étouffait. Son bras le tirait, le bandage était imbibé de sang et courir autant, sans barre protéinée pour refaire le plein d'énergie, c'était absurde. Il était épuisé ; après tout, la journée n'avait pas été de tout repos. Les fumées formaient un brouillard anxiogène dans Manhattan, il se sentait trop nauséeux. Il avait besoin d'air, besoin de calme. Il s'ébroua, reprit sa course une dernière fois pour atterrir dans Central Park, à la lisière d'une pelouse. Le jeune homme prit une grande inspiration, finit par tousser un bon coup en crachant un peu de suie. Il voulait être tranquille, rentrer à pied jusque chez lui sans se presser – peut-être ferait-il mieux de passer voir Jemma avant, qu'elle le rafistole ? - et revoir le visage de sa sœur. Manger un bon repas, faire une bonne nuit. Placer cette journée dans la pile des souvenirs merdiques, ceux qui finissaient par trop s'accumuler dans sa courte vie de post-adolescent, de pré-adulte. Solitude et quiétude, voilà ce qu'il lui fallait. Mais il y avait quelqu'un derrière lui.
Pietro se retourna brusquement, encore sur ses gardes. Après ce qu'il venait de voir, ce que New-York venait de subir à nouveau, il était en effet mieux de rester prudent. Son cœur eut un raté. Cette journée pouvait donc empirer ? Il détailla de bas en haut le détective qui lui faisait face : Amadeus. Dans un sale état, les fringues trempées de sang, de sueur, le visage fatigué. Il gardait une posture trop décontractée, et il tenta un sourire mais sa lèvre était fendue, du sang coulait sur son menton. « Belle journée, hein ? » Malgré lui, Pietro sourit. C'était le sarcasme parfait, l'ironie idéale. En temps normal, il aurait pris à nouveau ses jambes à son cou. Il était trop fatigué cependant. Il se traîna au banc, y posa ses fesses. « M'en parle pas. » répondit-il. Oh, il savait comment s'était terminé leur dernière rencontre, bien sûr. Il se souvenait encore du pouvoir de Jaëger, de sa détresse. De leur baiser. Néanmoins, Pietro espérait qu'ils pourraient passer outre. C'était un égarement, comme il en arrive à beaucoup de gens. Ça ne voulait pas dire qu'il était gay. Depuis, il s'était trouvé une jeune femme bien sympathique dans un bar, ils n'avaient pas longuement discutés, mais ils avaient passé assez de temps au lit : Pietro était rassuré. Il ne ressentait rien pour Amadeus. Ni désir, ni attachement. Ils étaient de simples connaissances, ils avaient le potentiel de devenir de bons amis, voilà tout.
Il lui jeta un nouveau coup d’œil malgré tout, essaya de repérer si les blessures du flic étaient importantes. Si elles étaient sérieuses. « T'as survécu, c'est une bonne chose. » fit-il, le désintérêt trop accentué dans sa voix. Il sonne faux. « Toute cette panique t'a pas trop submergé ? » Il dit ça comme si ce n'était rien, comme s'il n'avait aucune idée de combien les émotions des autres pouvaient affecter Amadeus. Mais il sait qu'un trop-plein de sentiments peut le rendre fou, lui donner envie de crever. Et quoiqu'il en dise, quoiqu'il en pense, il détesterait voir Jaëger crever.
Il devait faire bonne figure après tout, non ? Ce sourire, ce ton détaché et moqueur, c’était rien qu’une façade. Amadeus passait son temps à mentir de toute façon, ce n’était pas quelque chose de nouveau, pour lui. Et puis, c’était plus simple que de se montrer honnête face à Pietro. Il s’était déjà humilié une fois, pas besoin de recommencer. Pourtant, sa gorge était nouée et il se mit presque à espérer que le jeune homme l’ignore et décide de s’enfuir à nouveau. Ça lui avait mis une sacré gifle la dernière fois, mais au moins, c’était clair. Encore que. Durant ce baiser, ce court baiser, Amadeus avait ressenti quelque chose, d’accord ? Quelque chose qui ne venait pas de lui, il en était certain. Et pourtant, Pietro s’était tiré comme si sa vie en dépendait. Ça avait de quoi rendre n’importe qui confus, mais l’inspecteur ne voulait pas y penser. Surtout pas maintenant. Nan là il espérait plus que Pietro s’en aille, mais au lieu de cela, le Maximoff s’approcha de lui et s’installa à ses côtés, sur le banc. Etait-il systématiquement obligé de faire l’opposé de ce qu’on attendait de lui ? C’était agaçant à force et surtout, ça faisait perdre ses moyens à Amadeus et il n’aimait vraiment pas ça. « M'en parle pas. » répondit le jeune homme, alors le plus âgé s’autorisa un soupir. En parlant de confusion, il ne put s’empêcher de percevoir celle qui émanait de Pietro. Alors il grimaça et regarda ailleurs, mal à l’aise.
Pas besoin d’être télépathe pour savoir à quoi il pensait, hein. Mais Amadeus n’avait aucune intention de ramener ça sur le tapis. A vrai dire, s’ils pouvaient ne jamais reparler de ce soir où il s’était ridiculisé alors tant mieux. « T'as survécu, c'est une bonne chose. » fit le Maximoff d’un ton qu’il voulait désintéressé, certainement, mais qui sonna terriblement faux. Alors l’inspecteur ne put s’empêcher de ricaner. Un sourire taquin aux lèvres, il se tourna vers Pietro et chercha son regard. « Je suppose, oui. » Il retint à peine une parole plus suggestive, la ravala amèrement. Il ne se privait pas pour dire ce qu’il pensait, d’habitude, mais il sentait que le jeune homme n’était absolument pas prêt à l’entendre plaisanter sur ça. Il avait eu le temps de réfléchir, après ce soir-là. A ce qu’ils avaient dit, à ce qu’il s’était passé. Mais aussi, de se rappeler de ce qu’il avait éprouvé. Sur le toit, Pietro avait clairement paniqué parce qu’il avait embrassé un mec. Parce qu’il n’avait jamais fait ça avant. Ils ne se connaissaient pas, donc ça ne pouvait pas être parce qu’il avait peur d’être rejeté ou quoi, ce serait complètement stupide. Non, c’était juste parce qu’il avait complètement flippé en réalisant qu’il avait embrassé un autre type.
Parce que c’était homo, une tare. Il l’avait dit, non ? Même si c’était pour plaisanter, détendre l’atmosphère, il le pensait certainement au fond. Peut-être pas pour les autres, mais pour lui, oui. Les autres pouvaient être pédés, mais pas lui. Pietro n’était pas stupide pour faire preuve de discrimination alors qu’il était un mutant. C’était juste s’imaginer dans cette position, qui le dérangeait. Amadeus pouvait comprendre ça. Assumer n’avait pas été facile, pour lui. Si un de ses collègues ne l’avait pas surpris avec un autre type, nul doute que personne ne connaîtrait son orientation sexuelle, au boulot, même aujourd’hui. Il n’en avait pas honte, okay ? Ça ne regardait personne.
(Et il ne supportait pas qu’on le regarde différemment.)
Alors ouais, que Pietro ait complètement flippé, il pouvait comprendre et ça l’amusait presque, dans le fond. La seule chose qui l’empêchait de se moquer un peu du Maximoff, c’était parce qu’il l’avait vu dans un état clairement pathétique. Et aussi, peut-être, un peu, parce qu’il ne pouvait pas se résoudre à risquer que Pietro ne veuille plus jamais le voir. C’était pathétique, mais ce qu’il avait ressenti, sur ce toit… ce calme, cette impression d’être enfin lui-même et de ne pas lever de stupides barrières en permanence, se sentir à ce point connecté avec quelqu’un sans que ce soit une torture… Putain, ça avait été fantastique.
« Toute cette panique t'a pas trop submergé ? » La voix de Pietro le ramena à la réalité et il s’ébroua un peu. Il mit un moment à comprendre la question du jeune homme, parce qu’il n’était clairement pas habitué à ce qu’on lui pose une question sur son pouvoir. A vrai dire, c’était la première fois. Sa gorge se noua et un frisson parcourut son échine. Prétextant qu’il s’agissait du froid, il attrapa sa veste, qu’il remit sur ses épaules avec une grimace à cause de son corps endoloris et referma les bras autour de lui, se recroquevillant un peu sur lui-même, sur ce banc. « Ça va, » croassa-t-il alors que non, ça n’allait pas du tout. A vrai dire il faisait tout pour ne pas y penser, mais il était persuadé qu’il allait avoir son lot de cauchemars dans les jours, les mois à venir. Sentir les émotions de ces personnes, dans leurs derniers instants, c’était… Non, il n’y penserait pas, pas maintenant. Un nouveau frisson secoua ses épaules et son regard se perdit au loin. Instinctivement, il s’ouvrit de nouveau à Pietro. Ce n’était pas comme la dernière fois, ce calme et ce bonheur parfaits, mais c’était toujours mieux que ce qu’il éprouvait lui. A vrai dire, tout était toujours mieux que ses propres sentiments. Un soupir franchit la barrière de ses lèvres et il sembla hésiter un moment. « Je… » commença-t-il d’une voix rauque. « Je suis désolé. D’avoir menti. Je… Je voulais pas profiter ou… » Il s’interrompit et osa enfin tourner la tête vers Pietro. « J’en avais jamais parlé à personne, » admit-il finalement avec une grimace avant de baisser les yeux.
« Ça va » répond Jaëger. Pietro ne le croit pas. Comment le pourrait-il ? La dernière fois qu'ils se sont vus, le flic n'avait aucun contrôle sur son pouvoir. Il se trouvait noyé sous les sentiments de tous ceux qui l'entouraient – et dans une panique aussi forte, aussi intense que celle qui venait d'engloutir Manhattan, il n'y avait aucune chance pour qu'Amadeus ait été capable de garder son empathie en cage. Le jeune coursier fait un effort monstre pour ne pas laisser ses propres sentiments à la merci de l'inspecteur. Il ne veut pas que ce dernier sache ce qu'il pense, sache ce qu'il ressent. Alors il garde le visage fermé, le cœur fermé, jetant à peine un regard à l'homme assis à côté de lui. Ses yeux se perdaient sur les volutes de fumée qui émanaient de la ville. C'était encore le chaos. Le sang avait marqué le pavé, le feu avait léché les bâtiments, et il sera difficile de passer outre, désormais. Mutants et héros vont rencontrer une opposition plus forte, vont être bien plus des parias maintenant qu'ils ne l'étaient avant. Pietro n'aimait pas la direction que prenait toute cette histoire. Il garda les yeux rivés au loin, laissa le soupir de Jaëger le bercer un moment. « Je... » Le flic hésite, il a la voix trop grave, et enrouée. Il s'éclaircit la gorge, pique la curiosité de Maximoff. « Je suis désolé. D'avoir menti. Je... Je voulais pas profiter ou... » Il met un petit moment à comprendre ce dont il parle. Et dès qu'il fait le lien, il se repasse dans sa tête les images et il devient rouge, il perd son assurance, il marque la distance sur le banc. Merde, il ne voulait pas y penser. Amadeus le regarde maintenant, Maximoff fuit ces deux iris trop claires. « J'en avais jamais parlé à personne. »
Pietro se lève. Il se dit qu'il a assez récupéré, qu'il pourrait prendre encore ses jambes à son cou. Mais courir ne ferait que repousser l'inévitable : il recroisera Jaëger un jour. Parce qu'il voudra le recroiser, il le sait. Puis il est incapable de tourner le dos une nouvelle fois au détective. Il se retourne, les joues rougies, les yeux sombres, et fait face au flic. « Pourquoi tu m'en as parlé à moi, alors ? » Ce n'est pas de la colère, à proprement parler. Il ne comprend pas ; il ne lui devait rien. Et il a commencé à avoir une crise, un épisode, dans son appartement, d'accord – c'était pas la première fois que ça devait lui arriver. De perdre le contrôle en public. Il aurait pu trouver une excuse, une de celles qu'il devait utiliser fréquemment, mais il s'est complètement laissé aller. S'il avait fui la scène en premier, Pietro n'aurait pas été tenté. Il l'aurait pas embrassé, et il se serait pas barré en courant la seconde qui suivait. « Te méprends pas, je suis content de savoir. Mais, et sa voix se radoucit légèrement, tu me connaissais pas, ou si peu. On est presque des étrangers, l'un pour l'autre. » Il se rapproche, se rassied, et ose enfin affronter le regard de Jaëger. « Pourtant, je sais quelque chose sur toi que personne d'autre ne sait. » Son sourire est mutin, il aime l'idée d'être le seul dans la confidence. « Et tu sais quelque chose sur moi que personne ne sait non plus. Même pas moi. » Son sourire devient alors distrait, presque automatique. Est-ce qu'il est gay ? Il n'aurait jamais pensé aimer les hommes ; aimer un homme. Non pas qu'il aime Amadeus, oh non. Il ne sait presque rien de lui. Mais dire qu'il n'est pas touché ? Qu'il n'est pas attiré par lui ? Ce serait mentir. Pietro ne veut pourtant pas ressentir ça. Il secoue la tête, reprend ses distances. Recentre la discussion. « Tu ne contrôles rien, hein ? Ta mutation … c'est elle qui a le pouvoir. » Il se mord la lèvre, un petit tic qu'il aborde toujours lorsqu'il réfléchit sérieusement à un problème donné. Qu'il accepte ou non ses sentiments pour Amadeus, il ne peut simplement pas le laisser se débrouiller de lui-même. Pietro est mutant aussi, il sait à quel point on peut se sentir seul, quand son don prend des propensions démesurées. Il est le seul au courant, après tout. « Je ne suis pas Xavier, mais peut-être que je peux t'aider ? Te donner des cours, t'apprendre … à gérer tes sentiments. Et ceux des autres. » tente-t-il, le ton hésitant et le regard à nouveau fuyant. Qu'il ne s'agisse pas d'un prétexte, d'une excuse pour le revoir, Pietro. Si ta volonté faillit déjà, tu finiras par céder, tu finiras pédé.
Amadeus ne voulait pas parler de ce qu’il venait de se passer, ni même y penser. Pas maintenant, pas alors qu’il se sentait aussi vulnérable. Alors il préféra balayer la question de Pietro. Non, ça n’allait pas du tout et ça se voyait clairement, le jeune homme s’en doutait, mais il n’insista pas et l’inspecteur le remercia mentalement pour ça. Et puis, c’était étrange, mais sa présence l’aidait à penser à autre chose. Presque inconsciemment, il s’était concentré sur les émotions du plus jeune, juste pour ne pas avoir à affronter les siennes. Ce n’était pas aussi agréable que cette fois sur le toit de son immeuble, mais c’était toujours mieux que ce que lui éprouvait. Amadeus se sentait coupable de faire cela. Et pathétique. S’abreuver de ce que les autres ressentaient pour ne pas avoir à s’occuper de ses propres émotions, ça n’avait rien de normal, de sain. Mais était-ce de sa faute, si malgré ce qu’il venait de se produire, il sentait Pietro plus calme que lui ? Si cela l’attirait irrémédiablement ? Il avait toujours cette impression amère de violer l’intimité des gens lorsqu’il percevait ainsi leurs émotions. Après tout, ce n’était pas comme lire leurs pensées, mais ça s’en approchait terriblement, au final. Du coin de l’œil, il vit le visage de Pietro se fermer soudainement et il sentit également ses émotions lui échapper. Amadeus déglutit avec difficultés. Savait-il ce qu’il était en train de faire ou souhaitait-il simplement lui épargner ses états d’âme ? Détournant le regard, l’inspecteur s’excusa alors d’avoir menti à Pietro, plus pour meubler le silence que par réelle envie de parler de cela. Alors malgré les efforts du jeune homme pour ne pas imposer ses émotions au Jaëger, il perçut très clairement sa gêne et le sentit s’écarter de lui sur le banc. Peut-être un peu amusé par une réaction aussi extrême, il tourna la tête vers le Maximoff pour le trouver planté là, les joues rouges et l’air complètement déstabilisé.
Il n’avait clairement pas abordé ce sujet pour le plonger dans un tel embarras et maintenant que c’était fait, Amadeus ne savait pas trop s’il voulait s’excuser et le rassurer, ou en profiter pour voir à quel point Pietro était gêné par ce souvenir. Pietro le coupa en se levant d’un bond et pendant un instant, il se dit qu’il allait s’enfuir en courant, comme la dernière fois. Mais au lieu de cela, le Maximoff se tourna pour lui faire face et Amadeus se retint difficilement de sourire. Il était si arrogant, si fier, si sûr de lui. A faire le malin, à ne rien prendre au sérieux. Il tournait tout en dérision et donnait l’impression que rien ne pouvait l’atteindre. Il connaissait peu le jeune homme, mais c’était ce qu’il avait constaté à force de le croiser. Le voir privé de toute sa confiance, le voir rougir comme un adolescent avait quelque chose de particulièrement attendrissant. Et Amadeus n’avait rien fait pour que ça arrive. Après tout, ce n’était pas lui qui avait embrassé Pietro. Le Maximoff s’était empêtré tout seul dans cette situation. Un court instant, il se demanda ce qu’il se passerait, s’il se levait maintenant pour aller l’embrasser à son tour. Est-ce qu’il se prendrait une droite ? Est-ce qu’il prendrait ses jambes à son cou ? Certainement. Mais surtout, pouvait-il rougir plus que cela encore ? L’inspecteur alla mordre l’intérieur de sa joue, juste pour réprimer un sourire.
« Pourquoi tu m'en as parlé à moi, alors ? » Ah. Ca le ramena immédiatement sur la terre ferme, un peu trop brutalement. Amadeus détourna le regard, les sourcils froncés, les dents serrées. Il ne lui en avait pas vraiment parlé. Il avait prouvé une fois de plus qu’il n’avait absolument aucun contrôle sur son pouvoir et s’était ridiculisé, c’était différent. Il aurait préféré ne pas avoir à en parler ou plutôt, ne pas se donner ainsi en spectacle. Quant à savoir pourquoi il avait demandé à Pietro de l’aider ce soir-là… Il n’en savait rien, ça avait simplement semblé être la seule chose à faire. A vrai dire, ça faisait un moment qu’il n’avait pas perdu le contrôle à ce point, il évitait le plus possible de se laisser envahir par ses propres émotions justement parce qu’il savait ce que cela déclenchait. Mais la colère qu’il avait éprouvée, il n’avait pas su l’ignorer et s’était laissé envahir. Quand il sentait qu’il perdait le contrôle, Amadeus avait tendance à se concentrer sur la personne la plus calme ou la plus joyeuse de la pièce, juste quelques minutes, dans le seul but d’apaiser ses souffrances. Il n’avait pas toujours la possibilité de le faire et ce soir-là, Pietro avait dégagé tant d’émotions chaotiques qu’Amadeus avait eu l’impression de suffoquer, de se noyer sous elles. Alors il lui avait demandé d’être cette ancre paisible à laquelle se raccrocher avant de devenir complètement dingue. Parce qu’il était incapable de le faire seul. « Te méprends pas, je suis content de savoir. Mais tu me connaissais pas, ou si peu. On est presque des étrangers, l'un pour l'autre. » Il sentit Pietro se rapprocher et leva les yeux vers lui lorsqu’il se remit assis à côté de lui. Son regard croisa le sien et aucun des deux ne sembla se résoudre à fuir l’autre cette fois-ci.
« C’était pas vraiment prévu, » marmonna Amadeus d’une voix rauque. Il n’avait jamais eu l’intention de parler de son don en venant chez lui. « Pourtant, je sais quelque chose sur toi que personne d'autre ne sait. » fit-il en esquissant un sourire qui bien malgré lui, tira un frisson à Amadeus. Mais il plissa les lèvres, tandis que son cœur se mettait à battre plus vite. Il n’avait pas l’intention d’en parler à qui que ce soit, hein ? Ça n’avait pas l’air d’être son genre, mais l’inspecteur ne put s’empêcher d’être terrifié à cette idée. « Et tu sais quelque chose sur moi que personne ne sait non plus. Même pas moi. » Oh. Il se calma immédiatement et arqua un sourcil, à cela. Vu comme ça. Il était vrai que malgré la distance qu’il semblait vouloir imposer entre eux, la gêne qu’il éprouvait à chaque fois qu’il paraissait penser à ce qu’il avait fait, Amadeus ne pouvait ignorer cette curiosité qui semblait se dégager de Pietro. La question était de savoir s’il était simplement curieux, ou s’il éprouvait des choses qu’il ne comprenait pas. Mais Jaëger avait une longueur d’avance lorsqu’il s’agissait d’émotions, de ce que les autres éprouvaient. Il n’avait rien demandé, ces choses-là s’imposaient à lui. Alors oui, il savait quelque chose sur Pietro que tous ignoraient, lui-même y compris. « Tu ne contrôles rien, hein ? Ta mutation … c'est elle qui a le pouvoir. » Changement de sujet, Amadeus se renfrogna et regarda ailleurs.
« Je ne suis pas Xavier, mais peut-être que je peux t'aider ? Te donner des cours, t'apprendre … à gérer tes sentiments. Et ceux des autres. » dit Pietro d’un ton mal assuré et Amadeus écarquilla les yeux. Lui donner des cours ? Et encore ce maudit Xavier, comme s’il était la référence, le nec plus ultra de la mutation. Les sourcils froncés, l’inspecteur observa le parc enneigé qui s’étendait devant eux. Il passa une main un peu tremblante dans sa tignasse blonde et soupira, sans oser croiser le regard de Pietro. « Il est venu me voir, » dit-il alors sans trop savoir pourquoi il racontait ça. « Ce Xavier, j’avais quoi, vingt-et-un ans ? J’venais de devenir flic et il est venu me voir pour me parler de son école. » Il s’interrompit et esquissa un sourire gêné. « Au début, j’ai cru qu’il se foutait de ma gueule et… » Il grimaça, honteux de l’admettre. « Après, j’ai surtout flippé. Alors j’ai dit non. » Un rire rauque lui échappa. « L’école, ça n’a jamais été mon truc. Et puis… J’sais pas, j’pensais pouvoir m’en sortir tout seul. J’voulais pas… Il a parlé de m’apprendre à maîtriser ça, mais j’voulais juste m’en débarrasser. J’pensais que si je l’ignorais, ça finirait par partir, » dit-il avant d’enfin se tourner vers Pietro pour croiser son regard. « Mais c’est jamais parti, » murmura-t-il faiblement. Il aurait dû s’en douter. Après tout, il s’y connaissait plutôt bien en tares dont on ne se débarrassait pas. Amadeus haussa les épaules et soupira de nouveau avant de se caler un peu plus contre le banc. « C’est supportable, la plupart du temps. Mais y a des fois où… comme la dernière fois, » articula-t-il difficilement, la gorge nouée. « Quand c’est comme ça, quand c’est… trop, juste trop. J’y arrive pas tout seul, » admit-il avant de détourner à nouveau le regard. C’était la première fois qu’il en parlait autant, à voix haute. Il avait toujours refusé de le faire, d’avouer qu’il avait besoin d’aide. C’était peut-être ridicule, mais Amadeus avait toujours eu l’habitude de se démerder tout seul. De ne pas pouvoir compter sur les autres.
Il pensait à Amadeus. Quand elle tritura le col de sa chemise, quand elle en défit un bouton. Elle posa ses lèvres et il ressentit celles de l'inspecteur, il avait le souffle plus erratique, il avait les mains plus puissantes. Elle se faisait mutine dans les baisers qu'elle marquait sur son cou, et il ferma les yeux – mais il voyait Amadeus. Quand la fraîcheur de l'air caressa son torse nu, il poussa un gémissement. Elle laissait courir ses doigts fins, ses ongles bleu océan sur les côtes, et autour du nombril. Il voulait qu'elle soit plus ferme, qu'elle soit plus forte. Il voulait qu'elle soit Amadeus. Elle remonta doucement, ses longs cheveux glissant sur sa peau découverte, et murmura à son oreille ; mais sa voix était trop claire, trop féminine. Il préférait les basses et le rauque de son détective – et quand il la déshabilla, il tenta d'oublier les formes et les courbes, sa poitrine et ses hanches. Elle était belle, mais elle n'était pas lui. Et dans la hâte de finir cette affaire, il la prit sans passion, sans tendresse, il la prit et il ferma les yeux, couvrant ses gémissements trop délicats par des grognements sonores. Il ne voulait pas l'entendre et il ne voulait pas la sentir autour de lui, mais il devait se sortir le flic de la tête. Il avait envie d'Amadeus. Et lorsque vint le moment de l'orgasme, il ressentit le baiser à nouveau.
Pietro avait les paupières semi-closes. Il sentait la morsure du vent, et ses blessures lui tiraient la peau. Le parc était tranquille, les sirènes au loin teintaient le silence d'un étrange sentiment de sécurité. Il était fatigué, las des combats et las des dilemmes qui lui rongeaient le cœur. Pietro n'était pas comme ça, habituellement : il savait mettre de la distance. Il portait l'humour comme une carapace, la désinvolture comme un bouclier, et il affrontait la vie à pleine vitesse, sans se poser de questions. Depuis qu'il avait rencontré Jaëger, sa tête était remplie d'interrogations, et il ne semblait pas pouvoir les distancer à coup de joggings hyper-rapides. « Il est venu me voir, dit Amadeus. Sa voix grave fit tressauter Pietro, qui s'était doucement habitué à la quiétude. Il était retourné quelque part, dans un souvenir dont il perdait déjà les traits. Ce Xavier, j'avais quoi, vingt-et-un ans ? J'venais de devenir flic et il est venu me voir pour me parler de son école. » Le sourire d'Amadeus était discret, embarrassé. Nul doute qu'il s'agissait là d'une anecdote qu'il n'avait raconté à personne, mais encore une fois, tout ce qui concernait son pouvoir devait être secret depuis longtemps. « Au début, j'ai cru qu'il se foutait de ma gueule et... Après, j'ai surtout flippé. Alors j'ai dit non. » Il comprenait. Pietro avait sa sœur. Il avait Wanda, et si Xavier était venu les chercher à l'époque, ils auraient accepté ensemble. Amadeus était seul avec ce don, il était seul tout court. Le rire désabusé qui lui échappa fendit Pietro en deux. « L'école, ça n'a jamais été mon truc. Et puis... J'sais pas, j'pensais pouvoir m'en sortir tout seul. J'voulais pas... Il a parlé de m'apprendre à maîtriser ça, mais j'voulais juste m'en débarrasser. J'pensais que si je l'ignorais, ça finirait par partir. Il tourna vivement la tête, capta le regard de Pietro. Il y avait de la tristesse dans les yeux de Jaëger. Une déception immense. Mais c'est jamais parti. » Sa voix est faible, seul un murmure passe la frontière de ses lèvres. Il s'adossa plus encore au banc, et Pietro l'imita, curieux à nouveau. Compatissant, aussi. « C'est supportable, la plupart du temps. Mais y a des fois où... comme la dernière fois. Quand c'est comme ça, quand c'est... trop, juste trop. J'y arrive pas tout seul. » Il semblait gêné. Il était gêné. D'avouer sa faiblesse ? De parler de ce pouvoir qu'il avait passé tant de temps à cacher ? Pietro posa une main sur l'épaule du détective sans trop y réfléchir, à l'automate.
Le soupir qu'il laissa échapper était sympathisant. Il s'éclaircit la gorge, nouée par le froid et l'épuisement des combats récents. « Écoute-moi bien, commença-t-il. Il se voulait clair et compris, aussi ne lâchait-il pas Amadeus du regard. Tu n'y arriveras pas tout seul. Aucun d'entre nous ne s'en sort tout seul. » A nouveau, et sans vraiment y penser, il s'approcha de l'inspecteur, réduisant la distance qui les séparait. C'était pour que le message passe mieux, sans aucun doute. « Si ce n'est pas ta mutation qui te pourrit la vie, ce sont les groupes anti-mutants. Ceux qui s'opposent à notre existence. Ou bien les méchants, les criminels, les terroristes, les menaces aliens. » Il marqua une pause, lâcha un petit rire. « Enfin, tu sais bien ! C'est toi le flic. » Puis son visage retrouva un sérieux qui dénotait avec l'habituel insouciance du jeune homme. « Tu peux toujours aller voir Xavier. Il t'acceptera avec plaisir... et il sera sans aucun doute plus capable de t'aider que moi. » Et il laissa ses yeux dériver, vers les hautes cimes des arbres, vers les basses pelouses enneigées. Il ne pouvait pas le regarder dans les yeux lorsqu'il lui avouerait ; il n'avait pas le courage, il n'avait pas encore digéré les informations qui se bousculaient dans sa tête, ni résolu les centaines de questions qui tourbillonnaient encore jusqu'à l'insomnie. « Mais si tu veux que je t'apprenne, si tu veux que je sois là pour toi, je le serai aussi. Il a la voix qui tremble et il se sent lâche, se sent faible. Il a l'impression de perdre tout ce qui fait de lui un homme, mais il le dit quand même. Je te laisserai jamais seul. »
Pietro et sa sœur auraient-ils accepté l’offre du Professeur Xavier, s’ils en avaient eu l’occasion ? Le jeune homme en parlait comme si c’était plutôt évident pour tous les mutants alors il ne pouvait pas s’empêcher de se sentir stupide. Il avait eu l’occasion d’apprendre à maîtriser son pouvoir et plutôt que d’accepter, il avait décidé d’être trop têtu, trop fier. Alors qu’à côté de ça, les jumeaux Maximoff avaient été obligés d’avoir recourt à l’HYDRA pour avoir une chance de contrôler leurs pouvoirs. Amadeus se sentait vraiment, vraiment stupide. A vrai dire, il ne pouvait s’empêcher de se demander si Pietro n’allait pas le juger pour ça, s’il n’aurait pas mieux fait de se taire et prétendre qu’on n’avait jamais tenté de l’aider. Mais il ne parvenait pas à mentir au jeune homme. C’était étrange, il était plutôt bon à ça, pourtant. Prétendre que tout était normal, jouer un rôle. Mais il n’y arrivait pas avec le Maximoff. Il avait cette envie, ce besoin d’être franc avec lui, comme Pietro l’avait été en lui révélant comment sa sœur et lui avaient appris à se contrôler. Lorsqu’une main se posa sur son épaule, ferme et compatissante, il ne put s’empêcher de sursauter légèrement et il se tourna vers Pietro, un peu fébrile. « Écoute-moi bien, dit-il d’un ton presque autoritaire et Amadeus soutint son regard, le souffle court. Tu n'y arriveras pas tout seul. Aucun d'entre nous ne s'en sort tout seul. » Il ne put retenir une grimace et c’est alors que le jeune homme se rapprocha, tant que son souffle chaud balaya le visage glacé par le vent de l’inspecteur. Il se figea, retint sa respiration sans même s’en rendre compte. « Si ce n'est pas ta mutation qui te pourrit la vie, ce sont les groupes anti-mutants. Ceux qui s'opposent à notre existence. Ou bien les méchants, les criminels, les terroristes, les menaces aliens. » Amadeus grimaça au rire de Pietro et détourna le regard. Il avait déjà eu affaire à des groupes anti-mutants, indirectement. Il ne comptait plus le nombre d’enquêtes qu’il ne parvenait pas à résoudre entièrement parce que la découverte d’un cadavre le menait directement vers un acte de haine à l’encontre d’un mutant, sans pour autant être en mesure de mettre la main sur les coupables. Il avait été exposé plus d’une fois à cette rage qui habitait ceux qui avaient peur et ne comprenaient pas, ce qui n’avait fait que le pousser plus encore à se cacher. Son don n’était pas tellement visible et il évitait au maximum de s’en servir alors il n’avait jamais eu d’ennuis jusqu’à présent, mais il percevait cette haine comme si elle était directement dirigée contre lui.
Les aliens, hein. Amadeus s’en souvenait très clairement, l’attaque des Chitauri sur New-York, il s’était senti inutile, incapable de rivaliser comme les Avengers l’avaient fait. Il n’avait eu que son arme et sa jugeote et encore, ça n’avait pas été suffisant. Un peu comme aujourd’hui. « Enfin, tu sais bien ! C'est toi le flic. » Oui, il était bien placé pour savoir que les mutants qui préféraient rester seuls finissaient souvent mal. C’était eux, les cadavres. Ceux qui comme lui, avaient préféré se tenir à l’écart en pensant pouvoir gérer tout seuls. Mais ils s’étaient tous montrés vulnérables en procédant ainsi. Les prédateurs s’en prenaient toujours à l’animal solitaire, à celui qui se tenait à l’écart du troupeau. Ça marchait ainsi. « Tu peux toujours aller voir Xavier. Il t'acceptera avec plaisir... et il sera sans aucun doute plus capable de t'aider que moi. » Amadeus se raidit à cela. Il pourrait, oui. Ça voudrait dire reconnaître qu’il avait eu tort, une chose qu’il avait beaucoup de mal à faire. Mais il pourrait le faire, s’il acceptait de mettre sa fierté entre parenthèses. C’était stupide après tout, il avait besoin d’aide, il ne pouvait plus le nier à présent. S’il avait réussi, seul, à dresser certaines barrières contre les émotions des autres, ça s’arrêtait là. Et les crises comme celle qu’il avait eue chez Pietro étaient de plus en plus difficiles à arrêter. « Mais si tu veux que je t'apprenne, si tu veux que je sois là pour toi, je le serai aussi. » Amadeus posa son regard sur le jeune homme qui avait détourné le sien. Sa voix tremblait, mal assurée. Il sentit très clairement le malaise qui habitait le Maximoff et le sentiment de faiblesse qui le torturait et il fronça les sourcils. Il ne savait pas ce qui se tramait dans sa tête, ce à quoi il pensait, alors il ne comprenait pas tellement ce qu’il éprouvait, en cet instant. Se sentait-il faible d’admettre qu’il voulait l’aider ? C’était plutôt à Amadeus de ressentir cela, d’avoir l’impression d’être un idiot d’avoir besoin de l’aide de Pietro parce qu’il n’était pas fichu d’aller voir ce Xavier pour admettre qu’il avait eu tort. « Je te laisserai jamais seul. » dit-il enfin et l’inspecteur laissa échapper un souffle tremblant.
Oh. Une douce chaleur s’empara d’Amadeus à ces paroles alors qu’il faisait toujours aussi froid. Sa gorge se serra légèrement et il observa Pietro. Il semblait mortifié d’avoir dit une telle chose, confus aussi. Après tout, pourquoi éprouvait-il ce besoin de l’aider alors qu’ils se connaissaient à peine ? Pourquoi avoir recourt à des mots aussi forts, à des paroles aussi définitives, alors qu’ils n’étaient au final que des inconnus, l’un pour l’autre ? Pietro semblait complètement perdu et ce qu’Amadeus éprouvait faisait écho à son état. Le Maximoff ne lui devait rien du tout. Ils n’étaient pas amis. Qu’avaient-ils en commun, sinon leur mutation ? Ils ne pouvaient pas le savoir, puisqu’ils ne se connaissaient même pas. Alors quoi, cette histoire de baiser l’avait retourné au point que sa curiosité le poussait à affirmer qu’il n’abandonnerait jamais Amadeus ? Pietro ne semblait pas être du genre à se créer des attaches pour une chose aussi futile. Il était libre, tout en lui criait ce besoin de liberté. C’était peut-être ça qui attirait autant l’inspecteur. Lui qui se sentait prisonnier de son propre esprit, prisonnier d’une vie de mensonges et de faux semblants. Pietro était synonyme de liberté. Avec sa tignasse en bataille à force de courir si vite, son regard fuyant, son sourire en coin et désinvolte. Avec son corps élancé, ses muscles tendus, prêts à se relâcher à tout moment pour lui offrir l’impulsion nécessaire pour s’enfuir. Rien ne le retenait ici, il pourrait tout simplement disparaître, laisser Amadeus seul sur ce banc avec ses doutes et ses regrets, mais il ne le faisait pas. Il lui offrait son aide, comme ça, parce qu’il en avait envie. Pas parce qu’il était contraint, car rien ne semblait pouvoir contraindre Pietro Maximoff à faire quoi que ce soit. Après tout il pourrait facilement ignorer ce qui lui donnait envie de l’aider, comme Amadeus passait son temps à tout ignorer, tout repousser, tout refouler. Et alors que cela lui donnait le sentiment d’être faible, le jeune homme choisissait de rester.
L’inspecteur enviait cela. Cette force que Pietro semblait ignorer posséder. Et c’était égoïste, lâche, mais il avait envie de profiter, de se nourrir de cette force que lui n’avait pas. Il rêvait de retrouver cet état de calme que le jeune homme lui avait offert. Et lui non plus ne parvenait pas à oublier la sensation de ses lèvres sur les siennes. Il savait que ça tourmentait Pietro, il sentait sa gêne, ses doutes. Il n’avait toujours rien dit, le silence s’était installé entre eux, pesant, épais. Sur son bout de banc, le Maximoff était tendu comme la corde d’un arc, le regard toujours fixé sur l’horizon et Amadeus repoussa cette envie bien trop présente de capturer ses lèvres, ce n’était pas le moment de lui donner une bonne raison de se tirer définitivement. Et ça aussi, c’était étrange. Jaëger était quelqu’un de confiant, sur ce genre de choses. Il tentait souvent le tout pour le tout, il fonçait sans vraiment réfléchir. Mais l’idée de faire fuir Pietro lui nouait les entrailles douloureusement alors il préférait ignorer ce qu’il avait envie de faire, par simple peur de se planter magistralement. Il avait besoin de cette aide. Il avait besoin que le Maximoff reste. Il ne voulait plus être seul. Cette réalisation le frappa de plein fouet et il détourna finalement le regard, le cœur battant trop vite, trop fort. Il ne voulait plus faire ça tout seul, se forcer à se tenir loin des autres parce que c’était douloureux de les côtoyer. Il était un mutant, il avait accepté l’idée qu’il n’était pas normal, mais ça ne l’empêchait pas de vouloir vivre comme n’importe quel autre humain et plus les nerfs à vif, exposés. « D’accord, » murmura-t-il d’une voix rauque, tremblante. Et il se sentit stupide. C’était quoi cette réponse, d’accord ? Amadeus mordit sa lèvre inférieure en se maudissant de ne pas savoir quoi dire, ni quoi faire, pour faire comprendre à Pietro à quel point il lui en était reconnaissant. Qu’il n’était pas le seul à se sentir confus. Et surtout, qu’il n’avait pas à se sentir faible alors que des deux, il était de loin le plus fort.
Et puis merde, songea-t-il avec la gorge nouée, comme s’il faisait ça pour la première fois. Se décidant à agir avant de flipper et de rester planté là à ne rien faire, il s’approcha de Pietro et glissa une main dans sa nuque, à la base de ses cheveux. Il fit pression pour qu’il tourne la tête vers lui, sans pour autant l’empêcher de se dégager, si vraiment il le souhaitait. Alors il s’approcha de lui, son regard plongé dans le sien. « En échange, j’te collerai pas en taule, » souffla-t-il avec un sourire qu’il voulut moqueur mais il s’avéra plus maladroit qu’autre chose. Comme si c'était possible. Alors il réduisit l’écart entre eux et pressa ses lèvres sur les siennes. Amadeus s’attarda plus que Pietro ne l’avait fait. Il profita un peu d’être celui qui avait pris l’initiative pour être aux commandes, pour s’enivrer de leur proximité, pour mémoriser cette sensation et espéra l’imprimer dans la mémoire du jeune homme. Juste un peu. Finalement, il s’écarta, son souffle balaya les lèvres de Pietro mais sa main demeura dans sa nuque, légère. « Flippe pas, » murmura-t-il faiblement. « C’est juste comme ça que les homos disent merci, » rajouta-t-il sur le ton de la confidence avant de libérer les cheveux qu’il avait un peu agrippés dans le cou du Maximoff. Il mit un peu de distance entre eux, son cœur battant toujours trop vite, trop fort. L’humour, ce n’était peut-être pas le bon moment, non, ce n’était définitivement pas le bon moment, il venait très certainement de tout ruiner parce qu’il était stupide et préférait agir impulsivement plutôt que de réfléchir ou utiliser des putains de mots, tout simplement. Mais au moins, il avait tenté. Et puis, il ne pouvait pas éternellement ignorer ces émotions que Pietro dégageait et qui foutaient le bordel dans sa tête et ses tripes. Et ce n’était pas tellement son genre, mais il se sentait bien capable de courir après le Maximoff pour lui faire comprendre deux trois choses sur la vie, s’il décidait de s’enfuir encore une fois.
Pietro avait encore le regard vague. Il ne pouvait pas regarder Amadeus dans les yeux, il ne pouvait pas affronter son regard, après lui avoir avoué qu'il était attiré par lui. Parce que finalement, c'était ce que cette phrase voulait dire. Je te laisserai jamais seul. Pas le genre de chose qu'on dit à un inconnu, ni un presque-inconnu. Amadeus ressentait ses émotions, alors il savait. Il avait goûté à l'embarras du jeune Maximoff, à son incroyable naïveté dans le cercle homosexuel. Il connaissait les tourments de Pietro quand il s'agissait de son détective – et il le regardait encore. Jaëger avait les yeux rivés sur lui. Curiosité, envie, gratitude ? Ce n'était pas Pietro l'empathe. Il sentait seulement les iris de l'autre qui le fixaient, et il était incroyablement mal à l'aise. Il ne voulait pas partir pour autant. C'était une bulle au temps suspendu. Le silence qui s'était installé faisait battre le cœur du coursier plus vite, avec plus d'acharnement. Il voulait sortir de sa poitrine. Amadeus devait répondre, il n'avait pas le choix ; sans quoi, Pietro allait devenir fou. Il venait d'avouer, merde ! Lui qui vivait sans attache autre que Wanda, sans introspection, sans questionnement incessant. Lui qui aimait les femmes. C'était n'importe quoi. Il y avait de la magie vaudou dans l'air, Amadeus lui avait jeté un sort. « D'accord. » souffla l'inspecteur. Bam et son cœur manque un battement. Il avait accepté.
Il avait accepté quoi, au juste ? Les sentiments de Pietro ? Ou juste son aide ? Le Maximoff aurait pu conclure ici la conversation. Reprendre ses clics, ses clacs, et rentrer soigner ses blessures, dormir un peu. Pourtant il resta sur le banc. Il voulait savoir ce que ce d'accord signifiait. Il en avait besoin. Et la main d'Amadeus glissant dans sa nuque fut une réponse plus que claire. Il se laissa faire, tourna sa tête en direction du flic, accrocha son regard au sien. Dieu qu'il était beau. « En échange, j'te collerai pas en taule. » Il sourit. Pietro sent les battements de son palpitant jusque dans ses tempes. Ils sont trop proches. Il sent son souffle et il voit au fond de ses iris, il voit le monde comme lors de leur première rencontre, les peines et joies de chacun, il voit quelque chose de beau et quand il l'embrasse, quand il pose ses lèvres avec autorité sur les siennes, Pietro ferme les yeux. Il laisse les feux d'artifice exploser. Ce n'était pas un baiser aussi simple, aussi doux que leur premier. Il était plus fort, plus dansant. Pietro sentit son corps prendre vie, il leva la main, voulut la poser sur la joue de l'inspecteur. Mais ce dernier rompit le contact. Il laissa son bras retomber doucement, content de ne pas s'être montré trop passionné, trop entreprenant. S'il s'était laissé submergé par ses envies, il aurait voulu faire l'amour sur ce banc, goûter Amadeus et vivre avec ce souvenir pour le restant de ses jours. Maintenant que leur baiser était rompu, il réalisait à quel point ça aurait été une mauvaise idée.
La main toujours sur sa nuque, les doigts entre deux mèches, ils sont toujours proches, le front qui se touche presque, et Jaëger murmure, la voix éprise d'un désir rauque. « Flippe pas. C'est juste comme ça que les homos disent merci. » Pietro lâche un petit rire. Il a le souffle court, le cœur en chamade. Il sait ce qu'il vient de se passer, mais son cerveau n'a pas encore assimilé l'information. Aussi, lorsque son détective recule un peu, lui redonne de l'espace, il prend une grande inspiration et essaie de calmer ses nerfs. Il n'a jamais ressenti ça. Pourtant, il en a embrassé, des filles. Il a fait plus que ça, même. Or, son cœur a toujours été froid : s'attacher finit toujours par faire mal. Alors il préférait ne pas éprouver de sentiments trop forts pour les gens. Et comme ça fait partie de ces choses qu'on ne contrôle pas, il se contentait de changer de partenaire assez régulièrement. Ne pas se laisser le temps de vraiment ressentir quelque chose. Jusque là, cette technique s'était avérée plutôt efficace. Amadeus était une exception à la règle, un homme qu'il ne connaissait pas assez pour l'aimer, mais qu'il ne pouvait pas imaginer quitter pour autant. Un homme... il fallait qu'il en parle à quelqu'un. Qu'il en parle à Wanda. Pietro était certain qu'il avait aimé le baiser qu'il venait de partager avec Amadeus. En revanche, l'idée d'être homo ne lui plaisait guère. Ça changeait toutes les règles auxquelles il avait jusque là obéi. « Je flippe quand même un peu. » dit-il, la voix encore tremblante. Il n'a plus autant d'aisance, plus autant de verve. Il veut plus qu'un baiser, il veut Amadeus tout entier ; et réaliser ça le terrifie carrément. « Je sais que tu... tu ressens ce que je ressens. Je suis complètement effrayé. » Il ne veut pas faire de peine à Amadeus. Il ne veut pas l'amener à penser qu'il n'a pas aimé ce qu'ils viennent de partager. Alors il prend la main du flic dans la sienne – dieu ce que c'est pédé – et il la presse doucement. « C'était bien. C'était vraiment bien. » Son sourire est sincère, son regard toujours un peu perdu. Sa voix est faible, il le met sur le compte de la fatigue, de la surprise. « Mais comprends-moi. Je suis hétéro. J'ai toujours été hétéro. Et là tu débarques... Y a quelque chose chez toi. Je sais pas ce que c'est, mais ça me fait flipper. » Il lâche la main d'Amadeus, se gratte l'arrière de la tête. C'est incompréhensible. Est-ce qu'on peut virer de bord pour une seule personne, pour un seul être ? Si ça se trouve, Pietro n'est pas hétéro, pas homo. Juste Amadeusexuel. Il sourit à cette idée, niaisement. « Je veux t'aider à maîtriser ton pouvoir, et pour ça, il va falloir qu'on se voit régulièrement. » A cette idée, il ne peut empêcher son petit cœur d'accélérer la cadence. « Et si tu veux bien, garde tes lèvres pour toi durant nos sessions. Je... j'ai besoin d'un peu de temps pour comprendre tout ça. D'accord ? » Loin de lui l'idée de peiner Jaëger. Pietro doit réfléchir. Il y a tellement de nouveaux paramètres à prendre en compte. Il faut qu'il parle avec sa sœur. Elle saura le guider, saura le conseiller. Et s'il se sent prêt après ça, s'il réussit à accepter ce nouveau penchant, il y aura d'autres baisers. Avec un peu de chance, il y aura même plus.
Amadeus ne s’était pas trompé. Ce qu’il éprouvait en cet instant même était la preuve qu’il ne s’était pas trompé. Pietro avait beau être perdu, ne pas être certain de ce qu’il éprouvait, encore moins de ce qu’il voulait éprouver, c’était là et l’inspecteur ne pouvait pas manquer une pareille évidence. Ce désir qui courait dans les veines du Maximoff était comme une vague puissante et destructrice. Tandis qu’il parcourait ses lèvres, le jeune homme crut s’intoxiquer et se força à mettre un terme à leur baiser avant de se faire trop entreprenant alors qu’ils se trouvaient sur un banc à Central Park, alors que Pietro n’était clairement pas au point sur ce qu’il se passait dans sa tête. Détacher ses lèvres des siennes lui demanda un effort considérable et il ne parvint pas à aller beaucoup plus loin. Son souffle tremblant balayant le visage du plus jeune, il crut bon de sortir une bêtise, espérant détendre l’atmosphère et surtout forcer Pietro à penser à autre chose. Parce que s’il ne le faisait pas très vite, Amadeus allait finir par devoir se tirer, juste pour éviter de faire quelque chose de bien plus gênant. Mais cela sembla fonctionner, puisque le rire du Maximoff résonna. Cela calma un peu les choses et l’inspecteur parvint à se reculer un peu plus, la gorge nouée et le cœur battant trop vite, mais c’était mieux que rien. Le désir laissa place à quelque chose de plus lourd et de plus sombre. C’était plus que de l’angoisse ou de la simple peur, non, Pietro était terrifié. Parce qu’il avait embrassé un homme et avait aimé cela ? Parce qu’il réalisait seulement maintenant qu’il aurait souhaité plus qu’un simple baiser ? Ou il y avait autre chose, quelque chose de plus compliqué qu’Amadeus ne pouvait percevoir ni comprendre ? Pendant un instant, il se demanda si le jeune homme n’allait pas s’enfuir, pour éviter d’avoir à confronter ces émotions qu’il ne maîtrisait pas du tout. « Je flippe quand même un peu. » admit-il d’une voix tremblante et le flic rit légèrement. Il ne se moquait pas, c’était plus nerveux qu’autre chose, parce qu’il avait clairement ressenti cette peur et elle commençait à lui foutre un peu les boules, à lui aussi. « Je sais que tu... tu ressens ce que je ressens. Je suis complètement effrayé. » Il hocha la tête à cela, il était vrai que Pietro ne pouvait pas lui cacher grand-chose quand il s’agissait d’émotions. Ça mettait toujours Amadeus mal à l’aise, d’ailleurs, mais le Maximoff ne semblait pas s’en formaliser plus que ça, en cet instant.
Il sursauta presque lorsque le jeune homme vint saisir sa main et baissa les yeux sur ce contact chaud et agréable. Il s’était un peu attendu à ce qu’il l’évite le plus possible après ça, pas à ce que Pietro cherche à le toucher à nouveau alors bien malgré lui, cela lui tira un petit sourire. « C'était bien. C'était vraiment bien. » dit-il alors et Amadeus se retint difficilement de rire à nouveau ou de faire une remarque, ce n’était pas vraiment le moment. Pietro était perdu et il n’avait pas tellement besoin qu’Amadeus fasse le malin. Alors il préféra se mordre l’intérieur de la joue pour être certain de ne rien laisser paraître. « Mais comprends-moi. Je suis hétéro. J'ai toujours été hétéro. Et là tu débarques... Y a quelque chose chez toi. Je sais pas ce que c'est, mais ça me fait flipper. » Et okay, c’était quand même un peu flatteur. Beaucoup, même. Le jeune homme semblait tellement certain d’avoir toujours été attiré par les filles et Amadeus le sentait tellement perdu qu’il ne risquait pas de vouloir mettre en doute ses paroles. Mais c’était flatteur de se dire qu’il était visiblement cette exception étrange qui causait ce véritable bordel dans la tête de Pietro. Il le vit esquisser un sourire et ne put s’empêcher d’arquer un sourcil, intrigué. Au moins, il n’était pas terrifié au point de vouloir se rouler en boule dans un coin, c’était plutôt bon signe. Amadeus n’avait pas vraiment réfléchi avant d’embrasser le jeune homme et il s’en serait vraiment voulu si ça l’avait définitivement fait fuir. Après tout, le Maximoff n’était pas le seul à éprouver quelque chose, quoi que ce soit, ici. Et il n’était pas le seul à être paumé. L’inspecteur comprenait parfaitement l’attirance qu’il ressentait pour Pietro, mais il n’y avait pas que cela. Ce n’était pas que physique, il recherchait aussi sa présence et c’était ça le plus perturbant. Il faisait toujours tout pour tenir les gens éloignés de lui, le plus possible, principalement à cause de son pouvoir. Etait-ce parce que le jeune homme était un mutant lui aussi, parce qu’il connaissait la vérité et ne s’était pas tiré en réalisant qu’Amadeus était capable de connaître ses sentiments, même s’il faisait tout pour les enfouir le plus possible ? Il y avait certainement un peu de cela, oui.
« Je veux t'aider à maîtriser ton pouvoir, et pour ça, il va falloir qu'on se voit régulièrement. » Cela le tira de ses pensées et il reporta son attention sur Pietro. Et l’idée de le voir souvent, l’idée que ce baiser n’avait pas donné envie au jeune homme de ne plus jamais le revoir fit manquer un battement au cœur d’Amadeus. « Et si tu veux bien, garde tes lèvres pour toi durant nos sessions. Je... j'ai besoin d'un peu de temps pour comprendre tout ça. D'accord ? » Cette fois-ci, l’inspecteur rit sincèrement, tandis qu’il se sentait réellement soulagé. Une douce chaleur s’empara de lui et il ne sut pas tellement définir de quoi il s’agissait. Etait-ce une forme de fierté ? Oui, c’était peut-être ça. Il était fier de voir que Pietro était prêt à affronter ce qu’il éprouvait, à se poser de réelles questions plutôt que de choisir la solution la plus simple. Plutôt que d’enfouir tout cela profondément et d’ignorer ses sentiments. Plutôt que d’agir comme Amadeus l’aurait fait, certainement. Accepter qu’il était attiré par les hommes avait été une véritable épreuve, pour lui. Il n’était alors qu’un adolescent, vivait dans un quartier de merde et son père n’était qu’un ivrogne détestable, ce qui ne l’avait pas tellement aidé, mais pendant longtemps, l’inspecteur avait simplement espéré que ça disparaisse. Il avait refusé de voir la vérité en face et avait mis un temps fou à s’accepter. Il venait très certainement de remettre vingt-trois années d’existence en question pour Pietro et pourtant, le jeune homme semblait prêt à y faire face. Le Maximoff était peut-être plus jeune que lui, il donnait l’impression de n’être qu’un petit plaisantin qui ne prenait rien au sérieux mais au fond, il était bien plus sage qu’Amadeus. « T’en fais pas, je saurai me contrôler, » dit-il enfin d’une voix un peu rauque, mais il esquissa un sourire pour appuyer ses propos. Il sembla alors hésiter, que pouvait-il dire de plus ? Prends tout le temps qu’il te faut ? Après tout ce serait sincère, il n’avait pas l’intention de le presser, ce serait stupide. L’inspecteur s’ébroua tandis que les quelques flocons qui tombaient depuis le début de la journée sur New-York se faisaient plus nombreux, plus épais. Cela sembla sortir Amadeus de la bulle dans laquelle il se trouvait depuis que Pietro était arrivé et il se rappela qu’ils étaient tous les deux blessés et surtout, qu’il avait encore du travail. Surtout maintenant qu’il avait réussi à se calmer.
Alors Amadeus soupira et entreprit de se relever en grimaçant à cause de sa jambe amochée. Il s’étira un peu, réalisant que rester assis sur ce banc, dans le froid, n’avait pas aidé son corps endolori. « Faut que j’y retourne, » murmura-t-il à regret, avant de se tourner vers Pietro. Il fronça les sourcils en voyant le bandage imbibé de sang autour de son bras et se dit qu’il n’avait certainement pas l’air mieux que lui. « Et toi tu devrais t’occuper de ça, » fit-il en désignant la plaie. Il ouvrit la bouche, la referma, hésitant. Finalement, Amadeus esquissa un mince sourire et se décida à partir, avant que ses collègues ne partent à sa recherche pour le trouver en train de bavarder alors qu’il avait bien mieux à faire. « Stay out of trouble, » ajouta-t-il avant de lui tourner le dos pour boitiller vers la sortie de Central Park.