Joan referma la porte de son appartement d’un coup de talon et s’étira un long moment en poussant un bâillement sonore.
Elle était épuisée. Elle avait passé les trois derniers jours loin de chez elle pour passer un deal à l’autre bout de l’état et n’avait presque pas fermé l’œil. Elle lança un. « J’suis rentrée ! » Sonore qui résonna un moment dans l’appartement et s’immobilisa en n’entendant aucun son. C’était quoi ce bordel ? Pourquoi et ce qu’il n’y avait aucun bruit ? « Adam ? » Elle commença à déambuler dans l’appartement, jetant des coups d’œil un peu partout à la recherche de son "colocataire". Ça faisait quelques semaines que Lewis avait débarqué chez elle sans prévenir avec son ami et lui avait demandé si elle pouvait l’héberger le temps que la situation pour lui se calme.
Elle avait accepté sans hésiter et était plutôt contente d’avoir quelqu’un chez elle, même si les premiers jours avaient été… Compliqué. La "dépression" avait légèrement flingué l’ambiance au début, ce qui était compréhensible compte tenu de la merde noire dans laquelle était Adamska mais elle n’en avait pas tenu rigueur et avait fini par réussir à lui remonter le moral.

Pourquoi est ce qu’il ne répondait pas ? « Adamska ? » Il n’était pas là ? Ça n’avait aucun sens ! Elle continua de fouiller l’appartement et s’immobilisa quand son regard fut attiré par une lettre, posée sur la table de son salon. Ça c’était étrange…
Elle la ramassa et la parcouru rapidement, sa mâchoire se serrant à mesure qu’elle la lisait. Un « Et merde. » Lui échappa et elle sortit son téléphone de sa poche pour chercher le numéro de Lewis et lui envoyer un message.

Got an issue with your buddy.
Come asap.

Elle se laissa tomber sur son canapé en soupirant bruyamment et se prit son visage dans ses mains. Pourquoi est ce qu’il était parti ? Il ne donnait aucun détail dans sa lettre mis à part qu’il voulait "reprendre sa vie en main" mais qu’est ce qu’il voulait dire par là ? Lewis lui avait bien expliqué la situation du journaliste et ses problèmes avec les Watchers. Qu’est ce qu’il espérait pouvoir faire ? Le frère à Lewis n’était pas du genre à discuter ou négocier avec des mutants, elle s’en était bien rendue compte les rares fois où elle l’avait croisé.
Toute cette histoire sentait vraiment mauvais…


Joan sortit de sa salle de bain en poussant un soupir de contentement et se chercha une bière dans son frigo avant de se rendre dans son salon pour vérifier si Lewis lui avait répondu.
Rien.
Mais c’était Lewis. Le connaissant il s’était très certainement mis en route dès qu’il l’avait vu et arriverait dans les minutes à venir.
Elle ouvrit sa bière pour en boire une gorgée, réfléchissant à ce qu’elle allait bien pouvoir dire à Lewis. Est ce qu’il lui en voudrait de ne pas avoir été là pour empêcher son ami de partir ? Il y avait un risque ouais. Elle lui avait donné sa parole qu’elle s’occuperait de lui et le garderait en lieu sûr mais s’il apprenait qu’elle l’avait laissé seul pendant trois jours il était possible qu’il s’énerve. D’un autre c^^oté elle n’avait pas eu le choix, elle avait encore un travail elle.

Des coups contre sa porte la tirèrent de ses pensées et elle se leva d’un bond pour s’y diriger et l’ouvrir sans vérifier qu’il s’agissait bien de Lewis. Elle lui offrit un mince sourire quand elle se retrouva face à lui et lui fit un salut militaire tout en lâchant un. « Captain. »
C’était un vieux réflexe qu’elle avait gardé de l’armée, du temps où elle faisait partie de l’unité du Reagan. Elle l’avait aussi appelé Big Bro pendant un temps, surtout pendant ses débuts et après qu’il lui ait sauvé la mise en remettant à leurs places certains des machos de leur unité mais avait rapidement arrêté en voyant que ça le mettait mal à l’aise.

Elle s’effaça finalement et l’invita à entrer d’un. « Je t’en prie. » Avant de refermer la porte derrière eux. Elle lui indiqua le canapé d’un mouvement de tête, lui indiquant qu’il pouvait s’y asseoir. « Tu veux un truc à boire peut être ? » Ok, ils devaient peur être aborder un sujet sensible mais ça n’empêchait pas qu’ils puissent boire en même temps pas vrai ?

Lewis ouvre la bouche, la referme et serre les dents. Son oreille n’est plus douloureuse, mais l’acouphène est encore là, à l’empêcher de dormir la nuit, insupportable. Il a la désagréable sensation d’avoir une oreille en permanence bouchée, mais rien ne parvient à la faire disparaître. Et puis, surtout, il entend beaucoup moins bien et à cause de ça, il se sent diminué. Avec un soupir, Lewis dépose ses clés sur le comptoir à l’entrée du loft et se retient de dire un truc stupide comme I’m home, alors qu’il n’y a personne pour l’entendre. Il le sait, bien sûr qu’il le sait, puisque Sarah est chez une amie et n’est pas censée avoir gardé contact avec lui, et puisqu’il s’est empressé de conduire Aaron dans un endroit beaucoup plus sûr, la X-Mansion. Avoir gardé contact avec quelques mutants qu’il a empêché Jeremiah et les autres Watchers de tuer s’est révélé avantageux, mais Lewis ne peut s’empêcher de beaucoup moins aimer rentrer à la maison.
L’appartement est terriblement vide. C’est par automatisme qu’il se dirige vers la cuisine, ouvre le frigo et en sort une bière qu’il décapsule avant de la porter à ses lèvres, pour la vider de moitié. Il ne sait toujours pas quoi faire avec Jeremiah, mais il sait qu’il va devoir prendre une décision. Leur dernier échange de messages lui a laissé un goût amer et surtout, un profond désespoir. Dans sa poche, son téléphone vibre et il l’en sort pour regarder de qui il s’agit, fronçant les sourcils en voyant le nom de l’expéditeur.

Got an issue with your buddy.
Come asap.

Il reste planté là quelques secondes à regarder l’écran. Quoi, un problème avec Adamska ? Ils ne l’ont quand même pas déjà retrouvé, pas vrai ? Lewis lâche un juron, abandonne sa bière sur le comptoir de la cuisine et se dépêche de ressortir, attrapant ses clés au passage. Il va clairement trop vite, grille un ou deux feux rouges mais le trajet lui semble tout de même durer une éternité et lorsqu’il arrive enfin devant l’immeuble où habite Joe, Lewis trouve rapidement un endroit où laisser sa moto avant de filer jusqu’à l’appartement de la jeune femme. A l’intérieur de sa veste, son arme de poing fichée dans le holster qui ne le quitte plus depuis la dernière visite de Jeremiah.
Une fois devant la porte, il toque fébrilement et c’est la jeune femme qui lui ouvre. Elle lui adresse un mince sourire et il avise ses cheveux humides, sa tenue confortable et—clairement, elle n’est pas en train de se faire attaquer. « Captain, » salue-t-elle et il grogne. « Je t’en prie. » Elle s’écarte et il entre, avise l’appartement, ne voit pas Adamska. « Tu veux un truc à boire peut-être ? » Et ok, c’est bon, il a compris.

La mâchoire crispée, il se tourne vers elle. « Il est où ? » grogne-t-il durement et les lèvres un peu pincées, elle lui indique la table basse sur laquelle se trouve une lettre, qu’il s’empresse d’attraper et de parcourir du regard.

Mais.
Quel.
Con.

Il va le tuer. Il va retrouver cette andouille de journaliste et lui dévisser la tête. Le mot finit froissé dans son poing alors qu’il se retient de pousser une gueulante parce que Joe n’est pas tellement responsable de la stupidité congénitale de Fawkes. Le planquer ici était temporaire, pas suffisant, il croyait quoi, qu’en se débrouillant tout seul il s’en sortirait mieux ? Et puis quoi, reprendre sa vie en main, il n’a toujours pas compris qu’il n’en a plus ? Putain de—
Lewis inspire, expire et se laisse tomber sur le canapé, avant de passer une main sur son visage. Il est crevé. Son oreille l’empêche de dormir et quand ce n’est pas ça, c’est Jeremiah, les attentats. C’est Sarah qui se fait prendre la main dans le sac et un Watcher qui la flingue. C’et Jer qui retrouve Aaron et lui colle une balle en pleine tête sans la moindre hésitation.

« Whisky, » finit-il par lâcher d’une voix rauque, parce que finalement, une bière ne sera probablement pas suffisante pour digérer ça. Est-ce qu’il doit s’attendre à entendre parler d’un journaliste de la CNN retrouvé mort dans une benne à ordures, maintenant ? Putain Adamska, pourquoi ne pas le laisser faire ? Pourquoi encore jouer au héro et vouloir tout faire tout seul ? C’est stupide. Il entend Joan qui s’agite, revient avec deux verres et une bouteille de whisky. Elle remplit les deux verres et Lewis attrape le sien qu’il vide d’une traite, sans même prendre le temps d’apprécier quoi que ce soit. C’est de plus en plus ça dernièrement, de l’alcool qu’il s’enfile juste pour faire taire tout le reste.
« J’crois que j’aurais mieux fait d’pas revenir, » qu’il finit par lâcher sombrement. Il a quitté l’armée pour s’occuper de sa famille après l’appel au secours de Sarah, mais qu’est-ce qu’il a arrangé depuis son retour, au juste ? Rien. Il n’a pas réussi à arrêter Jeremiah et à chaque fois qu’il tente d’améliorer un peu la situation, ça repart immédiatement en lattes. Il tend son verre à Joe, lui fait signe de le remplir à nouveau. Il devrait probablement être là-bas dehors à chercher Adamska mais ce soir, il n’en a juste pas la force. Ce soir, il a l’impression qu’on vient encore de lui cracher à la gueule et Lewis commence sérieusement à en avoir ras-le-cul.

Lewis se tourna immédiatement vers elle, la mâchoire crispée, ce qui lui fit légèrement froncer les sourcils. « Il est où ? » Ok, donc les politesses, bonjour, ce genre de trucs on oubliait. Bien.
Elle comprenait qu’il veuille retrouver son pote, savoir ce qu’il s’était passé -surtout vu le message qu’elle lui avait envoyé- mais quand même !

Il lit rapidement la lettre d’Adamska et froissa le papier avant de se laisser tomber sur le canapé et de se passer une main sur le visage. « Whisky, » Elle hocha silencieusement la tête et se dirigea tranquillement vers sa cuisine pour y chercher une bouteille et deux verres, prenant son temps pour les sortir des placards. Ce n’était pas la peine qu’elle se presse et elle préférait prendre son temps, justement pour laisser à Lewis le temps de ressasser tout ça et -peut être- de se calmer.

Elle retourna finalement au salon et s’installa dans un fauteuil face au Reagan, remplit deux verres et lui en tendit un qu’il vida d’une traite. Elle afficha une moue désapprobatrice mais garda le silence. Ce n’était pas bon pour lui de boire comme ça et ça provoquerait sans doute plus de problèmes que ça n’en créerait mais elle comprenait qu’il puisse en avoir besoin. Elle ne comptait plus le nombre de soirées qu’ils avaient passé tous les deux au Woods où chez l’un d’entre eux en buvant juste pour oublier ce qu’ils avaient pu faire pendant leurs déploiements du temps de l’armée. Elle ne le jugerait pas là dessus. Ou du moins ne dirait rien.

Elle avisa la bière qu’elle s’était ouverte peu avant son arrivée, se demandant si ce ne serait pas mieux pour elle de ne pas attaquer tout de suite le whisky mais porta finalement son verre à ses lèvres pour le vider de moitié, grimaçant et frissonnant légèrement au moment de déglutir.
Ouais, elle aurait mieux fait de rester à la bière finalement...

« J’crois que j’aurais mieux fait d’pas revenir, » La blonde leva les yeux au ciel mais garda encore le silence. Et ils en revenaient au même point. Parce qu’Adamska avait fait le con, Lewis s’en voulait. Il n’y était pour rien, avait fait tout ce qu’il pouvait pour le journaliste mais il se sentait coupable de son départ.
Il tendit son verre à la jeune femme, l’invitant à le resservir et elle haussa les sourcils, lui lança un regard exaspéré mais le resservit quand même avant de vider le restant de son verre d’une traite et de se servir à son tour.

Elle posa son regard sur son ancien capitaine, l’observant longuement, son verre levé à quelques millimètres de ses lèvres, et en but une gorgée avant de pousser un soupir, légèrement dépitée. « Eh. T’y es pour rien ok ? » Elle posa le verre sur la table basse et se renfonça dans son fauteuil avant de reprendre sur un ton presque sévère. « Je sais ce que tu ressens. Je sais que tu te dis que t’aurais pu en faire plus. Mais c’est faux. » Cette fois c’était elle qui lui faisait la morale à ce sujet. « Tu te souviens de ce que tu m’avais dit après notre dernière mission ? Après que j’ai merdé ? Exactement ce que je viens de te dire. » Elle se pencha légèrement en avant, appuyant ses coudes sur ses cuisses et plongea son regard dans celui de son vis à vis. « C’est pas de ta faute Lewis. T’y peux rien si Adam est trop con pour comprendre la situation. Et t’y peux rien non plus si Jeremiah est taré. » Elle reprit son verre sans quitter le brun des yeux et en but une nouvelle gorgée, en grimaçant un peu moins cette fois.

Et encore… Dire que Jer était taré était un doux euphémisme. Elle ne l’avait pas rencontré tant de fois que ça mais les échos qu’elle avait pu avoir de Lewis ou d’Adamska le lui avait confirmé. Il était complètement allumé. Au point qu’elle se demandait encore comment Lewis et lui pouvaient être frères. « Il faut que t’arrêtes de t’en vouloir. T’as fait ce que t’as pu. Il faut juste que tu t’en rendes compte. Où en serait ta famille si t’étais pas rentré ? Si t’avais pas essayé de changer les choses, de les aider ? Pose toi cette question. » Elle ne savait pas si ça suffirait à convaincre son ami et honnêtement elle en doutait -surtout quand on connaissait son caractère- mais elle espérait qu’il pourrait comprendre ce qu’elle voulait dire. Elle savait ce qu’il ressentait, qu’il s’en voulait et qu’il avait l’impression que tout partait en latte dès qu’il tentait d’améliorer les choses mais au moins il essayait. Il fallait juste qu’il le comprenne.

La vérité – violente, douloureuse, le genre qui laisse un arrière-goût terriblement amer – ce n’est pas qu’il n’aurait pas dû revenir. C’est plutôt qu’il n’aurait jamais dû partir. Il ne voulait pas des responsabilités que son père faisait peser sur ses épaules. Il ne voulait pas de la vie qu’il avait tracée pour lui. Il ne voulait pas être celui qu’il avait choisi pour ça. Et parce qu’il s’en voulait d’être celui-là et pas Jeremiah, parce qu’il ne supportait plus la distance qui s’installait entre son frère et lui, il est parti. Parce que c’était moins douloureux si la distance était physique, au lieu de voir chaque jour Jer éviter sa présence et devenir quelqu’un qu’il ne comprenait plus.  La seule fois où il a fait part ne serait-ce qu’un tout petit peu de ses regrets à Sarah, elle l’a regardé droit dans les yeux et lui a dit qu’il ne pouvait pas se blâmer pour cela. Que Jeremiah avait pris toutes ces décisions, pas lui. Qu’il était jeune et ne pouvait rien y faire.
Il avait dix-huit ans, quand il est parti. Jeune, certes, c’est indéniable. Mais assez vieux pour avoir la force de se battre pour son frère, s’il n’avait pas été aussi lâche. Au lieu de cela, il a abandonné dès qu’il en a eu l’occasion et il est parti. Il a laissé Jeremiah se débattre seul et perdre face à ses démons. Il a laissé Sarah et Aaron rejoindre les Watchers, se retrouver mêlés à une organisation criminelle et terroriste. Leur père voulait que Lewis reprenne le flambeau de l’affaire familiale, lui n’en voulait pas. Alors il a laissé tomber tout le monde.

Oh peut-être qu’en étant là, il n’aurait rien pu changer. Peut-être que Jeremiah aurait continué de lui en vouloir inconsciemment, d’être celui que leur père préférait. Peut-être qu’il aurait quand même fini par sombrer. Mais Lewis aurait dû être là. Il aurait dû se battre de toutes ses forces, pour faire comprendre à son frère qu’il valait bien plus que ce qu’il pensait. Qu’il n’avait pas besoin de se laisser pourrir l’esprit par ce taré de Stryker pour avoir l’impression d’avoir de la valeur. Il aurait dû être là pour sa famille, plutôt que de partir se battre à l’autre bout du monde pour—pour quoi, au juste ? Il n’en est même plus sûr, maintenant. « Eh. T’y es pour rien ok ? » la voix de Joe le fait presque sursauter, tellement pris dans ses pensées qu’il a failli en oublier sa présence. « Je sais ce que tu ressens. Je sais que tu te dis que t’aurais pu en faire plus. Mais c’est faux. » Lewis pince les lèvres, si forts qu’elles ne forment plus qu’une mince ligne blanche, cachée dans sa barbe. Elle ne parle pas de la même chose, mais il ne peut s’empêcher de se dire qu’elle se trompe.
« Tu te souviens de ce que tu m’avais dit après notre dernière mission ? Après que j’ai merdé ? Exactement ce que je viens de te dire. » Il lève un regard un peu perdu vers elle. Il se souvient, oui. Joan, pâle et tremblante, essayant de masquer ce qu’elle ressentait réellement parce que la dernière chose qu’elle souhaitait, c’était qu’on pense qu’elle était faible. Se faire accepter dans l’armée en étant une femme avait déjà été suffisamment difficile comme ça. Il se souvient oui, ce qu’il lui a murmuré, une main agrippée à son épaule dans un geste réconfortant. « C’est pas de ta faute Lewis. T’y peux rien si Adam est trop con pour comprendre la situation. Et t’y peux rien non plus si Jeremiah est taré. » Sa gorge se noue et Lewis ferme les yeux. Il n’y peut rien pour Adamska, c’est vrai. Fawkes est un grand garçon, et s’il a décidé qu’il n’avait pas besoin de son aide alors…

Mais Jeremiah. Jeremiah aussi était jeune, blessé, influençable. Et Lewis aurait dû le voir. Il aurait dû le tirer des griffes de Stryker parce qu’à l’époque déjà, même sans réellement savoir, Lewis n’aimait pas ce qu’il voyait dans les yeux du Colonel quand il regardait Jeremiah. « Il faut que t’arrêtes de t’en vouloir. T’as fait ce que t’as pu. Il faut juste que tu t’en rendes compte. Où en serait ta famille si t’étais pas rentré ? Si t’avais pas essayé de changer les choses, de les aider ? Pose-toi cette question. » C’est de la douleur qui se lit sur son visage, alors.
« Je— j’entends c’que tu dis, c’est juste— je sais que pour Adamska, j’peux rien faire de plus, mais— c’est pas tellement lui le problème, c’est-- » Il déglutit avec difficultés. Le problème, c’est qu’il ne sait plus quoi faire pour aider Jeremiah. C’est lui, qu’il veut sauver. Malgré tout ce qui s’est passé, c’est Jeremiah, toujours Jeremiah et il ne peut pas laisser tomber. Mais il ne sait plus quoi faire. Et Adamska qui se tire et qui ne veut même pas du peu d’aide qu’il peut apporter, c’est la goutte de trop.

« J’aurais dû me battre plus. Pour Jer. J’aurais dû-- » Il secoue la tête et sa main tremblante vient recouvrir son visage. « C’est mon frère, Joe, c’est-- » Sa voix se brise et il se déteste pour ça, il déteste être comme ça. « C’est mon frère, » répète-t-il dans un murmure à peine audible.

Elle avait vraiment l’impression de se voir après cette mission qui avait merdé.
C’était Lewis qui était venu la trouver après qu’ils soient rentrés à leur base. Il était le seul à être venu la voir. Il n’avait rien dit au début et s’était contenté de lui poser sa main sur l’épaule alors qu’elle était recroquevillée dans un coin de son dortoir. Il lui avait dit les mêmes mots que ceux qu’elle venait de prononcer et elle comprenait la réaction qu’avait Lewis en ce moment. Elle avait mis des jours avant d’arrêter de s’en vouloir, avant d’arrêter de revoir sans cesse les images de ses coéquipiers morts ou blessés. A cause d’elle. Parce qu’elle avait été faible. La plupart des membres de son unité lui en avait voulu mais pas Lewis. Il l’avait soutenue, lui avait dit que ce n’était pas de sa faute si ça avait merdé.
Et c’était exactement ce qu’elle comptait faire aujourd’hui. Montrer à Lewis qu’il n’était pas fautif, qu’il avait fait ce qu’il avait pu. Elle ne le lâcherait pas tant qu’il ne l’aurait pas compris.

« Je— j’entends c’que tu dis, c’est juste— je sais que pour Adamska, j’peux rien faire de plus, mais— c’est pas tellement lui le problème, c’est-- » Non, Adam n’était pas le problème. Du moins pas complètement. Il n’était que le problème de trop. Le regard de Joan se fit plus triste alors que l’expression de Lewis changeait elle aussi, reflétant toute la souffrance qu’il devait ressentir. Elle ne pouvait pas s’empêcher de s’en vouloir elle aussi. Il lui avait demandé de veiller sur sa famille quand elle avait quittée l’armée, de garder un œil sur Jeremiah et ses Watchers mais elle n’en avait visiblement pas fait assez. C’était en partie de sa faute si Lewis se retrouvait dans cet état.

« J’aurais dû me battre plus. Pour Jer. J’aurais dû-- » Il secoua la tête et recouvra son visage avec sa main, accentuant un peu plus le malaise de la jeune femme. « C’est mon frère, Joe, c’est-- » Elle baissa un moment les yeux. Elle ne supportait pas de le voir comme ça. « C’est mon frère, » Elle reposa son regard sur Lewis, sentant son cœur se serrer un peu plus. Elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Non. Elle ne devait pas le laisser comme ça.

Elle reposa son verre sur la table basse et se leva de son siège pour se rapprocher de Lewis, lentement et vint s’asseoir doucement à sa gauche. Elle resta un moment immobile, hésitante mais leva finalement sa main droite, sans geste brusque pour la passer autour des épaules du brun. Elle serra délicatement sa prise pour le rapprocher doucement d’elle et sa main gauche vint saisir celle libre du Reagan. Elle n’avait jamais été douée avec les contacts humains et faisait toujours en sorte de les éviter le plus possible mais elle faisait cet effort pour lui. Parce qu’il devait en avoir besoin.

Joan inspira profondément, réfléchissant à ce qu’elle allait dire. « C’est ton frère. Je sais. » Elle resserra sa prise sur son épaule dans un geste se voulant réconfortant. « T’as fait ce que t’as pu. Je suis désolée de l’avoir traitée de taré. C’est pas lui le fautif. C’est Stryker. Et je suis responsable aussi. » Elle déglutit avec difficulté avant de répondre. « Si j’avais mieux fait mon taff, si je les avais mieux surveillé on en serait pas là non plus. » Elle se doutait que Lewis lui dirait qu’elle n’y était pour rien, que ce n’était pas de sa faute mais c’était ce qu’elle ressentait. Il lui avait fait confiance et elle n’avait pas pu faire ce qu’il lui avait demandé.

« C’est pas de ta faute. » Elle caressa doucement la main de Lewis qu’elle tenait toujours dans la sienne avec son pouce. « T’as pas le droit de t’en vouloir. » Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait. Elle n’avait jamais été douée pour réconforter les gens, ou du moins pas de cette manière. Son truc à elle c’était de balancer des conneries pour remonter le moral des gens ou de picoler jusqu’à ce qu’ils en oublient leurs problèmes. « Sarah t’en veux pas. Aaron non plus. » Du moins elle l’espérait. Ils ne pouvaient lui en vouloir. Parce qu’eux non plus n’avait rien pu faire ou rien vu venir concernant Jeremiah.

Elle libéra la main du Reagan et retira délicatement celle qui recouvrait toujours son visage avant de la poser doucement sur sa joue pour le forcer à la regarder. « Je suis désolée de te dire ça comme ça mais… Il faut que t’arrêtes de culpabiliser. T’avanceras à rien en continuant à te morfondre. » Elle plongea un regard déterminé dans celui du brun. « Si tu veux aider Jeremiah il faut aller de l’avant. » Son regard se fit plus rassurant. « Je pourrai pas t’aider si tu restes comme ça. Et je veux t’aider Lewis. »