Un pas après l'autre, une brise après l'autre, je me balade tranquillement sur les toits de la ville. Je pourrais dire d'une cheminée à l'autre, mais le grand mec en rouge pourrait aussi venir me taper dessus. Noel c'est son moment de gloire et il y tient. Et en même temps comment lui en vouloir. Je suis allé le voir pendant sa tournée, j'ai passé un peu de temps avec lui, abandonnant lâchement Prudence à sa morosité. Je ne me montre pas sans cœur, loin de là, mais l'hiver est toujours une période particulière. Heureusement pour moi, il est toujours l'hiver quelque part dans le monde. Mon bâton vient percuter une conduite d'eau et le gel se répand à une vitesse folle jusqu'à faire sauter quelques boulons. Et oui, ça fait parti du jeu. Il fait nuit. Prudence est parti de l'appartement depuis déjà de longues heures mais je ne la traque pas, je ne cherche pas à la garder avec moi non plus. Elle est libre de vagabonder autant qu'elle le souhaite et vu mon occupation actuelle, je suis de toute façon très mal placé pour lui dire quoi que ce soit. Je me laisse glisser le long d'un toit en pente et fini par sauter dans le vide d'une rue où le vent froid vient me soulever, m'élever au dessus de la ville, loin du bruit et des odeurs, juste le ciel, l'air pur et le silence du vent à mes oreilles.
Et cette sensation. Cela fait quelques temps déjà qu'elle me tenaille mais je suis incapable de la définir. Pourtant je sais reconnaître une alerte quand j'en ressens une, c'est d'ailleurs la raison première de ma présence dans le ciel, mais je n'arrive pas à en trouver l'origine. A comprendre quoi faire ni où me rendre. Alors me voilà, à voler, à patienter, parce que j'ai appris avec le temps que courir partout en cherchant la solution ne sert à rien. Mieux vaut voler. Voler éclairci les idées, voler aide à réfléchir, à se détacher... J'entend les sons de la ville, j'entend les klaxons, les voitures. J'entend les sirènes des voitures de police et je vois la couleur des gyrophares. Trop nombreux. Sous moi le rouge et le bleu s'agite et je me laisse doucement redescendre. La sensation se fait plus forte et j'ai l'intuition d'être au bon endroit jusqu'à en avoir la certitude. Du haut du toit sur lequel je me tiens, j'observe la rue en dessous et les personnes qui s'y trouvent. J'observe leur fougue, leur ardeur, leur violence. J'observe les coups et les attaque. Cette femme qui saute sur le dos de cet homme pour l'étrangler. Cet homme qui charge cet autre homme jusqu'à l'encastrer dans la vitrine d'une boutique fermée pour la nuit. Quelle beau début de soirée...
C'est une véritable émeute que j'observe, une vague de violence sans queue ni tête. Quelques voitures de police sont déjà là et les officiers tentent de séparer certains combattant mais ils sont trop peu et je remarque dans leur comportement une agressivité notoire. Il n'en faudrait pas beaucoup pour qu'ils se mettent à se battre eux aussi. Je me laisse planer jusqu'en bas, posant mes pieds nus sur le trottoir. J'ai besoin d'être au plus proche pour pouvoir traquer l'entité à l'origine de tout ça et si j'arrive à rester détacher de ce qui se déroule sous mes yeux, c'est par la force de l'habitude, la force du temps. La volonté de rester concentré sur... Mon bâton tournoie et vient s'abattre sur un homme qui me fonçait dessus. - C'est quoi ton problème à toi? - Ai-je dis sans vraiment attendre de réponse. Je suis une cible moi aussi? Je ne me sens pas atteint par la vague de violence mais ça ne m'étonne pas vraiment. Je vais devoir me frayer un chemin. Une épaisse couche de glace vient piéger mon assaillant comme enragé et j'avance. Et plus j'avance, plus je vois de monde, des gens que je n'ai pas vu d'en haut. Des gens.. que je soupçonne venir s'ajouter à la masse déjà présente. Une vitre éclate sous la pression d'un corps qui chute et une pente de glace vient accueillir sa descente.
Hey! - J'attire l'attention d'un groupe qui bat à mort un type au sol et m'élance vers eux, utilisant mon bâton comme d'une perche pour mieux me propulser vers l'un des gars, le neutralisant sur le coup. Mon bâton vient frapper à la circulaire et chaque coup que je porte avec laisse une marque rouge. Rien à voir avec le coup en lui même mais bien avec la morsure d'un froid trop puissant pour les chairs humaines. En quelques mouvements plus agile les uns que les autres, c'est terminé et j'avise les hommes au sol, rampant pour fuir. - ... Envoûté? - Je lève la tête, mes sens en alerte en sentant une présence, et mon regard se pose sur une tête blonde presque blanche. Mes sourcils se froncent alors que je change mon bâton de main, me sortant du centre du cercle de ces corps inconscients ou gémissants. - Prudence? Qu'est-ce que tu fais là?
« But evil is a cunning force. It can find the weakness in any man, even the bravest. [...] It only takes a single weak moment to let evil in. » - William Joyce, Nicholas St. North and the Battle of the Nightmare King.
A
l’enthousiasme de Jack s’est opposé le silence terrible de Prudence. Il l’héberge, il est là pour elle mais à Noël, elle s’est montrée distante, si froide. Noël, elle déteste cela, elle le déteste d’autant plus qu’elle aurait dû le passer avec une famille, pour la première fois de sa vie. Le deuil est une chose complexe et longue. Elle était revenue, trop seule, trop perdue. Revenue auprès de celui qui lui avait ouvert sa porte, qui avait veillé sur elle durant son enfance. Elle n’a plus pleuré, le coeur gelant chaque jour un peu plus dans une vaine tentative de protéger l’esprit. Tout est beau, en hiver, et elle n’en perçoit pourtant plus l’éclat. Ce jour-là, pourtant, elle s’est levée moins morose, elle s’est décidée à bouger. L’enfermement l’a toujours rendue folle, elle qui était toujours attirée par le froid, par la neige, par la liberté que pouvait inspirer le vent faisant voler ses cheveux. Ils n’étaient pas prisonniers l’un de l’autre, à Jack elle n’avait aucun compte à rendre, aucun devoir de présence, aucune obligation sinon celle de respecter l’espace vital de chacun. Elle rangeait souvent, cependant, refusant encore de déranger, de laisser trop de traces de sa présence.
Un peu d’oxygène, malgré le danger. Un peu d’air pour avoir l’impression d’exister. Les pas se sont alignés en dépit du bon sens, alors qu’elle aurait dû se cacher. A quoi bon ? Que risquait-elle finalement qu’elle n’était pas prête à subir ? Marcher pour oublier, marcher pour aller mieux. Peut-être le charme opère-t-il puisqu’elle ne réalise l’heure qu’à l’instant où le soleil se couche. Le premier coucher de soleil qu’elle contemple, le premier depuis des jours. Errance tranquille dans les rues, esquivant les attentions diverses. Et quand l’astre s’efface pour faire place à la lune, il n’y’a plus de reflets dorés dans la chevelure, laissant l’éclat du blanc comme une évidence. Elle sait qu’il est temps de rentrer, qu’elle a pris assez de risques comme cela.
Le bruit, le chaos, la violence. Ses pas l’ont menée là, sans qu’elle ne sache vraiment ni comment ni pourquoi. Elle a bien décidé de retourner chez Jack mais elle a été détournée, distraite, réalisant que sa marche n’avait pas eu le résultat escompté. Est-ce que c’est une véritable émeute ou le théâtre de la folie du monde ? Détachée du spectacle, elle observe, ombre presque invisible au milieu des coups, des agressions. Ce ne sont pas des mutants. Ca n’a rien d’une bataille entre homo superiors et homo sapiens. C’est du délire, c’est parfaitement illogique, malgré la situation sociale, malgré la paranoïa ambiante. « Raté. » Le poing lui est passé au travers, ayant activé la liquéfaction. L’homme aurait mieux fait de cogner ailleurs, pour sa propre survie. Elle pivote, la forme aqueuse laissant à nouveau place à la jeune femme de chair et d’os. La veste noire est tombée dans le processus, ne laissant que le haut blanc. « Fais pas cette tête, t’aurais dû réfléchir avant de cogner. » Un sourcil haussé comme une provocation tandis qu’elle lui piège les pieds dans la glace puis elle se détourne, sans autre forme de procès, complètement désintéressée de l’individu. C’est l’ensemble, qu’elle voudrait voir cependant elle n’a aucun moyen de grimper, il n’y’a pas d’escaliers alentours, pas de point de hauteur suffisamment stable pour qu’elle puisse constater sans être prise d’un vertige handicapant. « Prudence? Qu'est-ce que tu fais là? »
Le regard s’est levé vers la voix. Jack, toujours là au bon moment. « Honnêtement ? J’en ai pas la moindre idée. » Et lui, que fait-il au milieu de ce qui risque de devenir un véritable carnage ? Les autorités ne semblent pas avoir les moyens de boucler tout le monde, et si le mythe paraissait en avoir neutralisé certains - pour preuve les corps au sol -, Prudence avait la sensation qu’il s’en ajoutait toujours plus à l’équation. « J’avais décidé de rentrer et je me suis retrouvée là. Un peu distraite, je te l’accorde. » Petit sourire un brin confus. Si il était là, peut-être n’avait-elle rien à y faire ? Elle le savait peu enclin à intervenir pour un oui ou un non, il ne se serait pas interposé sans une raison valable. A moins que le hasard leur joue simplement des tours.
« N’y pense même pas. » La glace se répand en un cercle autour d’eux faisant glisser une femme qui venait de remarquer leur présence. Rien de grave, un poignet cassé dans la chute, au pire. En d’autres circonstances, elle aurait choisi une méthode plus douce, neutraliser sans blesser, sans brûler, seulement cette période de sa vie avait déjà un pied dans la tombe, la pitié n’étant plus le sentiment dominant sa personnalité aussi instable qu’extrême. Tout ou rien, n’est-ce pas ? Hors de question de se laisser marcher dessus par une humanité ingrate. « Jack, tu m’expliques ? On dirait qu’ils sont complètement possédés ! » Possédés par la violence en personne, par quelque chose de brutal, d’indomptable. A moins qu’un télépathe ne joue avec les esprits de ceux qui seraient alors de simples victimes ? Les questions se bousculent.
« Honnêtement ? J’en ai pas la moindre idée. » - Allons bon. Elle n'en sait rien. Étrange, ou pas si étrange. Il faut dire que c'est un détail qui m'échappe et surtout un détail dont je n'ai pas cure à cet instant. Il y a plus urgent. Elle voulait rentrer mais s'est retrouvé ici? Je ne peux qu'en être heureux. Je suis forcément moins seul pour gérer tout ça et si mon premier réflexe est de lui dire de rentrer vite avant d'être blessé, je suis vite interrompu. Une couche de glace s'étend autour de nous et une femme glisse dessus, se fracturant probablement le poignet, alors qu'elle fonçait vers nous. - « Jack, tu m’expliques ? On dirait qu’ils sont complètement possédés ! » - Je viens planter mon bâton entre nous et l'écho génère une vague froide qui gonfle autour de nous une bulle de glace si solide et pourtant si fine. On voit les silhouettes à travers, ombres violentes qui viennent marteler la bulle de leurs poings serrés. Le son absorbé ne nous atteint presque pas et dans ce cocon de froid, je peux parler sans avoir à hausser la voix. - Je pense qu'il y a un esprit derrière tout ça. Je t'ai parlé des esprits néfastes, je pense que c'est l'un d'eux. J'arrive à le sentir. - Comme une impression, une intuition récalcitrante.
Je peux pas dire sous quelle forme il est. Dans une objet, dans une personne. Il a pu posséder quelqu'un comme juste attendre un l'ombre. - C'est une option, et il ne sera pas aisé de le débusquer. - Du coup... Impossible de le localiser par en haut, on est obligé de travers ce champs de bataille et de fouiller nous-même. - Autant je ne suis pas un grand combattant, autant je connais mes points forts et même si je n'ai jamais aimé me battre, cette fois une pointe d'excitation m'anime. Peut être le fait d'être avec Prudence? - Si tu veux partir, je te couvre, mais je pourrais avoir besoin de deux mains supplémentaires là. - Je peux aussi geler tout le quartier mais ça ne m'avancerait pas à grand chose. Et puis au moins ça lui donne quelque chose à faire, non? - Mon intuition me dis qu'il est par là-bas. - Je désigne l'autre côté de l'avenue. Je sens qu'il pourrait être là-bas, mais sans preuve, je ne peux rien affirmer. - Si tu tombes sur lui, tu le sauras quand tu le verras, surtout n'engage pas. Tu ne pourras pas le vaincre. - Je la regarde un instant, pris d'une illumination, et baisse les yeux une seconde. - Tu n'es pas plus immunisée que les autres à ses pouvoirs, alors si jamais tu sens que la rage te prends, fuis. Éloigne toi loin et vite. Sortie de son champ d'action, les effets se dissiperont
Lorsque je suis certain qu'elle a bien compris, je saisi mon bâton et la bulle vole en éclat, ses éclats repoussant violemment les sauvages qui martelaient. Plus ça va et plus j'ai l'impression qu'ils convergent vers nous. Ou moi. Mais c'est encore diffus. Je m'élance en avant. C'est un véritable champ de bataille. La colère, la violence. Une sauvagerie gratuite et j'évite de regarder le sol où nombre de corps sont étendus. Certains morts, d'autres juste inconscients mais je suppose que ça les sauve, d'une certaine manière. Le vent me porte et je saute sur le ventre d'une voiture retournée, mes pieds nus sentant la chaleur des tuyaux. Une vague gelant repousse les quelques assaillants et mon bâton vient frapper le visage d'un homme qui tente de monter me rejoindre. Mon regard se focalise au loin, tentant de repérer une quelconque anomalie mais le bordel ambiant et la pénombre d'une nuit seulement éclairée par un croissant de lune n'aident pas. Mon regard se pose sur Prudence et mon inquiétude reprend. Je ne veux pas la voir devenir comme ces autres brutes, je ne veux pas qu'elle se mette plus en danger. Mais ce n'est pas à moi de choisir à sa place. Je me laisse tomber sur le bitume et mon chemin se forme de glace pour repousser les hommes et les femmes qui tentent de s'interposer. J'entend crier, j'entend hurler... Mais pas pleurer. Je n'entend pas d'enfant. Mes yeux se lèvent vers les hauteurs, vers les fenêtres éclairées des appartements dans les quelques immeubles. Je sais ce qu'il est.
« But evil is a cunning force. It can find the weakness in any man, even the bravest. [...] It only takes a single weak moment to let evil in. » - William Joyce, Nicholas St. North and the Battle of the Nightmare King.
L
a bulle lui fait lever le nez, un instant. Fine et solide. La méthode est bien plus efficace lorsqu’il en est à l’origine, les siennes ayant toujours eu tendance à imploser avant qu’elle ne le décide. « Je pense qu'il y a un esprit derrière tout ça. Je t'ai parlé des esprits néfastes, je pense que c'est l'un d'eux. J'arrive à le sentir. » L’attention se reporte bien vite sur Jack dont la voix lui parvient enfin nettement, sans le capharnaüm ambiant. Un esprit ? Y’en avait-ils de si puissants qu’ils pouvaient rendre les Hommes complètement fous ? Sans doute. Il n’avait aucune raison de mentir, il n’avait pas plus de raisons de lui fournir des explications, lui qui était le garant de la sécurité d’une barrière. Il n’avait pas à se justifier, ni auprès d’elle ni auprès de l’humanité. « Je peux pas dire sous quelle forme il est. Dans une objet, dans une personne. Il a pu posséder quelqu'un comme juste attendre un l’ombre. » Un froncement de sourcils. Bien, et comment diable allait-il stopper cela, s’il ne pouvait pas trouver rapidement l’origine du problème ? La rage gagne déjà ceux qui s’agglutinent, se marchent presque dessus, animaux aux instincts primaires exacerbés. « Du coup... Impossible de le localiser par en haut, on est obligé de travers ce champs de bataille et de fouiller nous-même. » Et qu’y peut-elle, elle ? Que peut-elle contre quelque chose qu’elle ne peut pas atteindre ? Elle n’est qu’une mutante, qu’un pion obsolète sur un échiquier bien trop grand. « Si tu veux partir, je te couvre, mais je pourrais avoir besoin de deux mains supplémentaires là. » Vapeur froide qui s’échappe de la main qu’elle referme, dont la température est déjà en train de baisser. Elle savait neutraliser les empêcheurs de tourner en rond, si elle pouvait au moins détourner l’attention pour permettre à Jack d’agir, elle le ferait, sans hésiter. « Ca tombe bien, je commençais à rouiller. » Un peu d’humour. Elle en est encore capable, c’est fou, mh ?
« Mon intuition me dis qu'il est par là-bas. » De l’autre côté. A l’opposé, évidemment. C’aurait été trop simple, dans le cas contraire. « Pas de GPS spirituel ? » Quoi ? Sa question est légitime, quoique rhétorique, elle n’attend pas spécialement de réponse poussée, ça n’est ni le lieu ni le moment, ni un détail important. « Si tu tombes sur lui, tu le sauras quand tu le verras, surtout n'engage pas. Tu ne pourras pas le vaincre. » Soit c’est particulièrement laid, soit ça a un notable signe distinctif mais Prudence préfère ne pas chercher à imaginer les traits que pouvaient prendre des esprits dont la seule vocation semblait se résumer à foutre un bordel monstre sur leur passage. Ils ont sans doute une conception des fêtes de fin d’année bien particulière.
« Tu n'es pas plus immunisée que les autres à ses pouvoirs, alors si jamais tu sens que la rage te prends, fuis. Éloigne toi loin et vite. Sortie de son champ d'action, les effets se dissiperont » Il baisse les yeux un instant et déjà, l’enveloppe charnelle change, se fait translucide, gagne son aspect liquide. « Ne te préoccupe pas de moi, ça devrait aller. Le grand méchant, c’est ton job. J’m’occupe de la fourmilière enragée. » Du moins une partie, elle ne prétend pas pouvoir neutraliser toute une rue. Si elle en était capable, au fond ? Oui mais elle avait cessé depuis longtemps de pousser ses capacités à de pareilles extrémités, consciente qu’elle avait un mal fou à s’arrêter ensuite, que le potentiel dépassait trop vite la maîtrise ensuite. Plus la glace était utilisée, plus elle s’exprimait, moins elle pouvait en contenir les aspects dévastateurs. Quant à la rage, elle était une compagne familière dont elle se méfiait chaque heure de chaque jour depuis l’attaque de la X-Mansion et si elle opte pour ne pas commenter sa fragilité face à une telle émotion, elle n’en est pas moins méfiante. Finalement, c’est contre elle-même qu’elle devrait se battre, en partie. L’Esprit pouvait être un déclencheur, l’interrupteur dont elle n’avait pas la commande. Dont aucun de ceux qui se trouvaient là n’avait le contrôle.
La bulle éclate, repousse les âmes aveuglées. Les premiers mètres sont effectués avec fluidité, flaque quasi invisible entre les jambes, entre les corps inconscients. C’est une arme à feu qui lui fait retrouver son apparence normale, formant un bouclier devant la femme qui est la cible de la balle. Le projectile se coince dans l’épaisse couche de glace. Elle tente de protéger, en vain, ils ne sont pas réceptifs et chaque coup contré en fait naître un nouveau. Il n’a plus de balles ? Qu’importe, il y va avec les poings sur la personne la plus proche quand la victime devient assaillant, serrant ses doigts autour de la gorge d’une Snow d’abord surprise. Puis franchement agacée. L’air aurait pu manquer si la température n’était pas tombée, le contact arrachant un cri de douleur à celle qui se voit forcée de lâcher prise. Prudence finit par rejoindre Jack, un peu plus loin, esquivant tant bien que mal les diverses tentatives d’agression. Au moment où il se laisse tomber sur le sol, elle atteint le point de rupture, projetant un petit groupe - occupé à s’acharner sur un corps sans défenses - contre le mur d’en face, à travers une large fenêtre. Tourbillon gelé sans pitié qui ne s’essouffle qu’à l’instant où le sang vient tacher la glace. Elle pourrait se sentir coupable, elle pourrait s’en vouloir mais c’est presque libérateur, c’est une saveur oubliée qui remonte à la surface, qui s’extirpe de l’ombre, malsaine, d’un passé qu’elle déterre. « Ce truc va jouer à cache-cache longtemps ? » Question posée une fois qu’elle a suivi le chemin glacé tracé par le Gardien. « C’est pas que je m’ennuie mais ils ne sont pas assez résistants. » A la frontière entre les deux parts d’elle-même, elle semblait y trouver un certain plaisir, l’agacement estompé.
Pas de GPS spirituel non, juste une boussole et l'aiguille est dans ma tête. La glace fait rempart autour de moi pour m'éviter d'être dérangé dans mes recherches et je vois de plus en plus de personnes venir s'écraser contre elle, cherchant à passer, à traverser ou à escalader. Je me rapproche de l'un des murs de glace, observant à travers le visage d'une femme défiguré par la rage. Par une violence effrayante. Ma main glisse sur la glace mais sa seule réaction est d'armer le poing pour frapper. Je vois son sang se répandre, sa main se blesser, je n'ai pas de doute sur le fait qu'elle se brise les os mais elle continue. Elle hurle sous le coup de la douleur mais elle continue. Frappe encore. Au coup suivant, la glace absorbe son poing, l'entourant solidement. Elle serait piégée ainsi, incapable de frapper à nouveau. La glace gagne le reste de son corps, l'entravant totalement. Elle hurle encore, mais cette fois de la frustration et l'air sur mon visage se fait plus grave. - « Ce truc va jouer à cache-cache longtemps ? » - Je tourne la tête vers Prudence, pas moins agacé qu'elle. - « C’est pas que je m’ennuie mais ils ne sont pas assez résistants. » - Un sourire traverse mon visage, amusé par la réflexion. Ce petit couloir de glace nous protège encore mais les deux extrémités sont ouvertes et ce n'est qu'une question de temps avant que ces sauvages n'en trouve le chemin. Qu'ils n'arrivent jusqu'à nous. Prudence et moi ne risquons pas de glisser, c'est ce qui nous donne un avantage autant qu'un temps d'avance.
On est toujours dans la bonne direction, c'est déjà ça. - Je parais calme, patient, comme si j'avais le temps mais ce n'est pas le cas. La femme que je viens de piéger dans la glace, pour sa protection, n'est qu'un exemple parmi des dizaines d'autres et je me déplace. Ils suivent, tel des zombies. - C'est un esprit guerrier. Observe les tous. Femmes, hommes, vieux comme jeunes, mais... - Mon regard balaye le côté gauche et je désigne du doigt une zone avant de retenir Prudence pour l’empêcher de mettre son réflexe en pratique. Ça se bat, ça se tape dessus, c'est violent, c'est sanglant, et au milieu... Ce petit garçon. Peut être 6 ans, un simple pyjama sur le dos, son doudou pendant lamentablement au bout de son bras. Il est en pleur, cris des noms, impuissant. - Il n'est pas atteint par la rage. Et les autres, ils ont l'air de l'ignorer totalement. - Je ne peux rien faire pour lui, je n'ai pas le temps de prendre chaque combattant à part pour les séparer tous. - Un esprit différent n'aurait pas fait cette distinction. Mais un esprit guerrier a une forme d'éthique. L'honneur. Et ceci... - Je désigne le quartier. - ... est un champs de bataille.
Ok, plan B. Dispersion. - Je venais brutalement frapper le sol avec mon bâton et la glace volait en éclat pour s'étendre, une vague verglaçante venait recouvrir le sol de toute le quartier et tout le monde s'effondrait. Une perte d'équilibre générale. - Il sait qu'on est là, c'est pour ça que tout le monde nous cible. Je peux le sentir, mais il peut faire pareil. - Je fais quelques pas, les fleurs de givres se dessinant tranquillement sur le sol comme à l'accoutumé. - Il n'est pas immunisé contre mes pouvoirs mais il est plus agile que la moyenne. Si tu vois quelqu'un qui se débrouille sur la glace, c'est peut être lui. - Peut être, oui, car si la majorité rampe au sol pour tenter d'atteindre son adversaire, certains sont encore debout. Par chance ou par hasard. Je laisse de côté ceux que l'on a déjà dépassé, ou ceux qui nous entourent. L'esprit est plus loin, devant, dans ceux que l'on a pas encore vu. - Au boulot jeune fille.
« But evil is a cunning force. It can find the weakness in any man, even the bravest. [...] It only takes a single weak moment to let evil in. » - William Joyce, Nicholas St. North and the Battle of the Nightmare King.
C
alme, il le semble toujours, comme si l’univers glissait sur la fine pellicule de glace couvrant sa peau et tandis qu’ils avancent, seulement protégés par leur élément, elle tente de se souvenir s’il s’agissait du trait de caractère qu’elle avait d’abord attribué à Jack. Elle n’était plus la petite fille dans la neige, ça changeait énormément de choses, ça changeait leur relation elle-même mais la réflexion ne poursuit pas son cours parce que son attention se perd sur le spectacle qui les entoure : masse d’hommes et de femmes qui se battent, envers et contre toute logique, qui suivent les déplacements du Mythe comme on suivrait une boussole, aveuglément. « C'est un esprit guerrier. Observe les tous. Femmes, hommes, vieux comme jeunes, mais… » Il pointe une zone du doigt, la poussant à observer plus attentivement et il retient le mouvement vers l’avant quand elle comprend, quand elle voit ce qu’il désigne : un petit garçon, si seul dans le chaos, le pyjama et le doudou, plongé dans un cauchemar trop réel, sans sa mère pour le consoler, sans personne pour le voir, pour en prendre soin. Self-control ou indifférence ? « Il n'est pas atteint par la rage. Et les autres, ils ont l'air de l'ignorer totalement. » C’est vrai. Il a l’air entièrement immunisé, totalement invisible à ceux qui se battent pourtant à s’entretuer, élimineraient sans une once d’hésitation le voisin, une grand-mère ou leurs frères. Elle entend bien ce qu’essaye de lui faire comprendre Jack, il n’empêche qu’elle voudrait y aller, elle voudrait le mettre en sécurité, loin de ces images de violence, de brutalité. « Un esprit différent n'aurait pas fait cette distinction. Mais un esprit guerrier a une forme d'éthique. L'honneur. Et ceci… est un champs de bataille. » Mutation muselée. Elle ne laisse pas la glace craquer sous son envie de traverser, de lui dire que ça va aller, que ça n’est rien, qu’il a simplement fait un mauvais rêve. Elle ne laisse pas la température proche tomber, consciente qu’il ne l’a pas stoppée sans raison, rebelle soudain bien obéissante.
Le bâton rencontre le sol, éclate la glace qui se diffuse finalement pour couvrir le sol, patinoire géante renversant les combattants si peu habiles. « Il sait qu'on est là, c'est pour ça que tout le monde nous cible. Je peux le sentir, mais il peut faire pareil. » Les fleurs de glace décorent, ornent la surface, magiques. Les yeux de Prudence se portent sur l’enfant, toujours sain et sauf. « Tu dégages quelque chose de particulier ? » Les premiers mots prononcés depuis de longues minutes, preuve qu’elle n’est pas soudain devenue muette, qu’elle n’est ni indifférente ni totalement dans la lune. « Il n'est pas immunisé contre mes pouvoirs mais il est plus agile que la moyenne. Si tu vois quelqu'un qui se débrouille sur la glace, c'est peut être lui. » Peut-être sous entendant qu’il est préférable d’y réfléchir à deux fois avant de bouger, au risque d’alerter quelque chose dont elle ignore tout en envisageant la mauvaise cible. « Faudrait leur suggérer de se promener avec un gilet jaune, à tes esprits. »
« Au boulot jeune fille. » Elle avance, scrutant les âmes égarées au sol, celles qui tentent encore de se relever, de sortir du piège glissant qu’est devenu le quartier. Elle n’oublie pas qu’il peut y avoir n’importe qui, parmi les victimes, peut-être des habitants capable de se défendre, armés ou pourvus d’une quelconque capacité. Ca dure un moment, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle cherche, ce qu’elle doit s’attendre à voir, tentant surtout de ne pas laisser passer un indice, un détail pouvant mettre sur la voie. Elle s’arrête, sans justifier la raison qui l’y pousse. Le problème ça n’est pas qu’il tient debout plus aisément que la moyenne, cet homme désormais dans son champ de vision, c’est ce qu’elle a l’impression de voir qui la laisse perplexe. « Jack.. » C’est presque un murmure, entre la surprise et la méfiance. « Tu aurais pu préciser qu’il était rouge, on aurait gagné du temps. » Un pas puis deux et trois, en arrière. Ca n’est pas la carrure qui l’angoisse, pas non plus la taille, elle a l’habitude que le monde paraisse grand pour elle, c’est qu’elle n’a aucune idée de la manière dont résister. Si c’est humain, c’est gérable, contre un sentiment on ne peut rien. Contre la colère, la rage, la violence, la guerre, il n’y’a pas de défense. « Qu’est-ce qu’on.. » La fin de la phrase se perd dans le néant, parce qu’elle pivote déjà, parce que la cible change, malgré la vaine tentative de résistance : la première lame glacée est volontairement déviée, la suivante est plus vive, plus précise.
Elle aurait peut-être voulu le prévenir, lui dire qu’elle n’allait pas pouvoir lutter mais à quoi bon ? Il n’a rien à apprendre de ces êtres dont elle n’intègre qu’à peine l’existence. Sa température baisse tandis qu’elle essaye de l’atteindre, qu’elle jette les projectiles. La glace contre un cryokinésiste, idée stupide qu’elle n’aurait pas envisagée si l’intellect pouvait prendre le pas sur ce sentiment brûlant, volonté de tuer qui décharge ce qu’elle a muselé. Puisque ça ne la mène nulle part, puisqu’aucune arme forgée de son pouvoir ne peut l’atteindre, elle opte pour le contact, moineau furieux contre celui qui fait figure de géant. Elle griffe, le bras comme premier point d’ancrage, tente d’atteindre la ceinture d’un coup de genou qu’il n’aurait peut-être aucun mal à contrer, parce qu’il n’y’a aucune stratégie pour compenser cet acharnement chaotique là où elle aurait réfléchi à la zone la moins simple à protéger, en temps normal. Qu’importe que chaque coup donné soit gelé, il n’y est pas sensible, un autre en aurait souffert, pas lui. Elle n’a que la force de cette folie.
On se sépare et je pars sur la gauche. Mon regard ne peut s’empêcher de balayer les gens au sol et j'entrave dans la glace tout ceux qui me semblent un peu trop vif encore. J’assomme en passant ceux qui tentent de m'attraper sans la moindre forme de douceur ou de délicatesse. Si c'est un champ de bataille, il est inutile de prendre des pincettes. Le gamin de tout à l'heure continue d'essayer de faire entendre raison à quelqu'un, ses parents probablement, mais ça ne sert à rien. Je n'ai pas le pouvoir de l'endormir, pas comme Sab, et je n'ai pas plus envie d'aller l'assommer alors je préfère lui envoyer un flocon, un flocon magique qui vient se poser sur son front avec douceur, un flocon qui l'aiderait à supporter ce qu'il allait voir, ce qu'il avait déjà vu. Arriver à trouver l'esprit était le seul et meilleur moyen de tout arrêter, de lui rendre ses parents s'ils étaient toujours là, toujours vivant à la fin. - « Jack.. » - Je tourne la tête vers Prudence, la main serrée autour du bâton, prêt à bondir. - « Tu aurais pu préciser qu’il était rouge, on aurait gagné du temps. » - Je fronce les sourcils. Pardon? Mon regard dévie vers le mouvement qu'elle observe. Un homme d'une quarantaine d'années, plutôt bien battis, plutôt en forme aussi. Autour de lui j'observe l'aura rouge sombre qui s'anime, un voilà invisible. Un invisible de tous. Comment a-t-elle pu le voir?
« Qu’est-ce qu’on.. » - Un pieu de glace traverse le vide et passe à côté de moi, mon regard revenant immédiatement à elle. Quelque chose a changé. Un nouveau pieu de glace file dans ma direction et je la vois le lancer avant que mon bâton ne le brise en plein vol. - Prudence, qu'est-ce que tu fais? - Je le sais très bien ce qu'elle fait, mais pendant quelques secondes j'ai encore l'espoir de me tromper. Une nouvelle salve de glace vient ma rencontre et je la brise à nouveau en plein vol. Et merde. Mon regard se détourne vers l'homme, vers l'esprit. Il ne bouge plus, accaparé par le combat. Si nous sommes les seuls encore aptes à combattre, il n'a aucune raison d'aller ailleurs. Un énième pieu traverse le vide et vient se ficher dans mon ventre mais je ne sens rien. Aucune douleur, aucune souffrance. Juste la sensation du froid. J'absorbe la glace qui vient de trouer mes vêtements et Prue le voit. Elle comprend, avec du retard, que ses attaques sont inefficaces alors elle change de tactique. Elle fonce dans le tas, troquant ses pouvoirs contre une attaque physique et frontale. Ses doigts griffent mon bras mais ils ne griffent que la glace qui le recouvre. J'évite chacun de ses coups. Sa rage l'aveugle, elle la rend maladroite mais je n'ose pas répondre. Je n'ose pas rendre les coups. - Prudence arrête! Prue!
Rien à faire. Et je ne peux pas aller après l'esprit tant que je l'ai sur le dos alors je me fais une raison. Mon bâton tape droit, directement dans le ventre. Son corps se liquéfie instantanément. Si ça avait été n'importe qui, le bâton serait passé au travers mais pas là, pas moi. Mon froid se propage, gelant suffisant l'eau pour rendre son corps accessible et le coup la fait reculer. Je frappe encore, la poussant encore en arrière. Je ne veux pas la blesser même si je sais qu'elle guérira très vite. Le cercle du bâton s'illumine légèrement et je frappe encore, la poussant encore plus en arrière jusqu'à ce que la lueur ne soit suffisante. Alors la cible change et je frappe à la tête, en plein front. Elle aurait une bosse, une marque, mais pas du coup. De la brûlure. La lumière explosait et le choc la faisant s'écrouler. Elle se réveillerait bien assez vite, je n'ai pas de temps à perdre et à la vu de cette lumière, l'esprit se carapate. Je fais comme si je tirais un galet au Hockey et la glace se propage, allant piéger l'homme dans sa course. - Tu vas nulle part toi! - Il enrage, il grogne sans parler. Je force la glace à pivoter, la brisant par endroit pour qu'il me fasse face. Ses yeux sont révulsés. Son regard fixe, son sourire fou. Je resserre mon emprise sur le bâton qui commence à s'illuminer à nouveau. - Retour dans le monde spirituel! - Mais il me prend de vitesse, se libérant de la glace fissurée alors je m'élance. Il est rapide, agile, mais je le suis plus encore et je saute au dernier moment alors que l'esprit tente de s'échapper par le haut. Mon bâton frappe en plein vol et la lumière qu'il produit est aveuglante, éclatante et elle explose. Froide et brûlante.
Mes pieds retrouvent le sol, léger comme une plume, alors que le corps de l'hôte s'effondre lamentablement, épuisé mais vivant. Immédiatement, le silence tombe sur le quartier, un silence étrange, avant que des voix ne commencent à s'élever doucement, puis plus vivement. Les gens reprennent conscience, ils reviennent de leur rage, comprennent ce qu'ils viennent de faire. La glace disparaît, soufflée par le vent, transformée en poudre puis en neige fine soulevée dans les airs. Je me rapproche de Prue, laissant mon bâton se tenir debout tout seul. - Prudence, ça va? - Je n'y suis pas allé de main morte malgré tout et maintenant que l'esprit n'est plus, elle risque de le sentir, elle va s'en souvenir. Mon pouce vient masser la zone sur son front et une fine couche de glace s'y forme, presque invisible. Apaisante, curative pour elle. - Comment tu as su? Comment tu as fais pour le voir?
« But evil is a cunning force. It can find the weakness in any man, even the bravest. [...] It only takes a single weak moment to let evil in. » - William Joyce, Nicholas St. North and the Battle of the Nightmare King.
«
Prudence arrête! Prue! » Mais rien ne l’arrête, rien n’est capable de la ramener, de faire taire cette rage, comme si elle n’entendait pas, comme si elle ne le voyait plus lui mais seulement une cible à abattre, à faire tomber. Coups maladroits qu’il esquive sans mal, glace absorbée trop aisément, n’abîmant que les vêtements, ne lui faisant aucun effet notable. Attaques physiques déjouées, griffure inefficace, aucun endroit visé n’est atteint, ni par les poings, ni par le genou, pas plus que le talon. Elle n’a aucune réflexion tactique, que la folie de cette émotion artificielle, toxique pour sa raison. Et puis le bâton qui frappe le ventre, qui la liquéfie sans passer au travers, puis gèle de façon surprenante. Trois fois, elle est obligée de reculer, trois fois elle tente de revenir à la charge, la souffrance n’étant pas à l’ordre de la conscience. Juste le temps de voir la lumière que le bâton frappe le front, que l’action la fait tomber, s’écrouler de cette explosion aveuglante. Sonnée.
Prudence rouvre les yeux, pourtant, le champ de vision trop flou, l’équilibre encore impossible alors que le combat se termine plus loin, les deux silhouettes agiles et imprécises s’affrontant, luminosité éclatante qui sonne la victoire du Gardien, la défaite de l’esprit. Aucune pensée ne l’effleure dans ce laps de temps, pas avant que Jack ne revienne, ne se pose sur le sol près d’elle. « Prudence, ça va? » Elle l’ignore. Elle tente de se lever, sans grand succès. Le pouce de Jack masse, apaise, diffuse la fraîcheur salvatrice. Elle recommence à percevoir les bruits autour, elle entend les autres parler, peut-être s’interroger. La glace s’est faite poudre et neige dans les airs, décor sublime sur les morceaux d’horreur. « Excuse-moi.. je ne voulais pas vraiment.. » lui faire de mal, le tuer, l’égorger, l’étriper. Elle se souvient de cette fureur intense, si proche et si lointaine de ses habitudes. Snow a la colère froide, la vengeance gelée, meurtrière calculatrice, elle n’est pas de ceux qui cessent de calculer les coups sous une impulsion sanguine, capable d’une rage acérée. Elle se sent aussi faible que stupide d’avoir cédé à une telle folie. L’enveloppe charnelle semble voguer un instant, d’un état à l’autre, du liquide au solide, tentative d’absorber le froid. C’est la main de Jack, finalement, qu’elle attrape. « Comment tu as su? Comment tu as fais pour le voir? » Le contact entre l’aspect liquide et la froideur de la peau de Jack régule la température de la silhouette féminine qui régénère doucement des chocs, de l’énergie dépensée vainement avant qu’enfin, elle ne soit ramenée à la chair, à l’apparence plus humaine.
« C’est cette sensation.. dérangeante. » avoue-t-elle. Snow est incapable de la décrire, de l’expliquer. Elle n’a pas les mots, pas le vocabulaire adéquat. Y’en a-t-il un, quand il s’agit d’un monde qu’elle pensait inexistant, imaginaire ? « Je ne sais pas, je l’ai vu, c’est tout.. » La question la laisse assez perplexe. Comment a-t-elle fait pour le voir ? Elle s’est servie de ses yeux. « Comme n’importe qui, j’imagine. » Elle l’observe, un instant. Elle tente de traduire les traits de son visage, son expression. « Quelque chose ne va pas ? Si c’est parce je t’ai retardé, je suis vraiment désolée.. tu.. » Froncement de sourcils. Elle ne voit pas comment se justifier, il n’y’a rien qu’elle puisse faire pour réparer, pour se faire pardonner. « C’était impressionnant. Tu es impressionnant. » L’image de l’Innocence, du Jeu, de l’enfance s’effrite un peu. Peut-être qu’elle l’a trop cantonné à cela, trop limité à cet aspect de ce qu’il était, délaissant l’idée qu’il puisse avoir été le combattant, le soldat. « Le garçon. » Réminiscence fulgurante qui l’arrache à ses constatations, parce qu’elle ne l’a pas aidé, parce qu’elle n’a pas vérifié, elle a lâché prise avant, elle n’a pas pris le temps. Elle bouge enfin, elle se décale de l’ombre du mythe pour tenter de trouver l’enfant, simplement tenter de savoir s’il va bien, de le voir bouger. « Est-ce qu’il va se remettre de tout cela ? »
« Je ne sais pas, je l’ai vu, c’est tout.. Comme n’importe qui, j’imagine. » - Mon visage se ferme. Non, bien sûr que non pas comme tout le monde. Je m'enferme dans mes pensées, dans mes certitudes. Comment peut-elle être capable d'avoir vu ça. C'est impossible. Je l'observe, la fixe droit dans les yeux mais aucun son ne sort de ma bouche, rien n'est lisible sur mon visage. - « Quelque chose ne va pas ? Si c’est parce je t’ai retardé, je suis vraiment désolée.. tu.. » - Non, non... - Je balaye ses mots d'un revers de main et me relève, les bras croisés, le regard dans un espace incertain. Je me retourne et observe la foule qui s'éveille, les survivants, les morts, les blessés. Je les vois mais en les regarde pas vraiment. Il y a bien plus important à mon esprit que ça et c'est peut être un problème... Mais je ne peux rien pour eux, plus maintenant. Et elle... - « Le garçon. » - Je tourne la tête vers elle. De quoi parle-t-elle? - « Est-ce qu’il va se remettre de tout cela ? » - Finalement je comprend et tourne la tête vers l'endroit où il se trouvait lorsqu'on l'avait vu. Pleurant, criant pour ses parents... Mais seul, ignoré. Une âme innocente au beau milieu d'une tempête de violence et de rage. Je soupire et tend la main à Prue pour l'aider à se relever. - Viens...
Les cris, les pleurs, désormais il n'y a plus que ce garçon qui les subit. Il y a tout le monde. Chaque survivant. Chaque femme, chaque homme. Certains sont inconscients, tant mieux pour eux. D'autres s'effondrent. Je vois un homme en état de choc au centre de trois cadavres. Une femme qui hurle sur le corps inconscient d'un type allongé au sol. Un autre homme là-bas, baigné de larme. Leurs poings sont en sang mais ils s'en fichent. Je ne lâche pas la main de Prudence, de peur de la perdre dans cette désolation mais au fond de mon cœur une pointe de confort s'installe, que j'ignore, que je ne veux pas sentir. Hors de question d'accepter cette souffrance. On revient en arrière, on retrouve l'endroit. - Il était là. - Je lâche la main de Prudence et m'avance entre les corps et les âmes en perdition. Mon regard le cherche mais je n'arrive pas à le trouver. - Il a dû retourner à l'intérieur ou... - Mon regard accroche quelque chose et je me penche pour dégager la fin couche de neige dessus. Un petit lapin en peluche usé, légèrement humide. Le doudou du garçon. Je le retourne doucement. Sur l'étiquette le nom de "Ronan" est encore lisible et je soupire en levant le regard vers Prudence. Impossible de deviner qu'à mes pieds gisent ses parents, décédés.
Ma main se serre sur la peluche alors qu'au loin les sirènes des voitures de police se font entendre. - Tu peux pas l'avoir vu. - Et comprenant la maladresse, je recommence. - Je veux dire, t'es pas censée pouvoir le voir. Seul un esprit peut voir un esprit. - Je traverse la distance pour la rejoindre, laissant derrière moi la quête de l'enfant, espérant seulement qu'il a pu se mettre à l'abri. - T'es une mutante, humaine et bien vivante. Tu peux pas avoir... - Je mime du vide dans l'air. - ... Vu. - Les lumières rouges et bleu nous atteignent et je tourne la tête pour voir les voitures de police s'arrêter dans des crissements de freins sonores. - On ferait mieux de filer, j'ai pas envie de répondre à leurs questions. Suis moi. - Le vent se lève et m’élève. Je ne peux faire voler Prudence, elle devra suivre par ses propres moyens mais je ne m'en inquiète pas. Je connais son vertige mais je l'ignore, à cet instant je n'y pense même pas et le vent me mène sur le toit de l'un des immeubles. Prue me rejoint rapidement et sa glace s'effrite une fois qu'elle est en haut, se mêlant à la neige qui habille déjà le quartier. - Je comprend pas... - Mon regard balaye en contre-bas les silhouettes des gens et les policiers qui investissent les lieux. - Ta mutation aurait pu t'en donner le pouvoir? - Je tape ma tête, doucement, cherchant à comprendre avant de me retourner, tendant les bras. - Qu'est-ce que tu vois?
« But evil is a cunning force. It can find the weakness in any man, even the bravest. [...] It only takes a single weak moment to let evil in. » - William Joyce, Nicholas St. North and the Battle of the Nightmare King.
L
e visage se ferme comme jamais auparavant. Elle a dit quelque chose de déplaisant, n’est-ce pas ? Gouffre d’incertitudes qui se rouvre. C’est brutal même si elle ne dit rien, même si elle reste là, sans un mot, sans une expression particulière sinon les doutes au fond de ses yeux trop bleus. Il pourrait la laisser là, lui aussi ? Non, il n’y’a pas de raisons, il n’est pas comme cela. Se détacher des vieux démons est difficile, tâche ardue dont elle ne viendra pas à bout si aisément. « Non, non… » Il balaye ça si vite, de ce revers de main et elle n’ose rien faire. « Viens… » La main tendue, elle la prend, se relevant, espérant qu’ils pourraient au moins venir en aide à l’âme innocente qu’ils ont vu pleurer, qu’ils ont vu crier. C’était un peu leur faute, tout ce chaos. C’était un peu leur faute si tous n’en étaient pas sortis entiers. On ne peut pas sauver tout le monde, c’est également une leçon qu’elle devait apprendre, une leçon complexe quand on avait tant d’actes à réparer. Prudence est accrochée à la main de Jack, seule ancre qu’elle possède à l’instant où elle constate l’étendue des souffrances qui s’étalent là, autour d’eux, sur le sol, dans les coins. Cette femme là, c’est un écho à sa propre peine qu’elle repousse depuis des jours, qu’elle nie. Elle aurait marqué un temps d’arrêt, se serait peut-être abandonnée, si le mythe n’était pas là, s’il ne lui assurait pas un contact réconfortant, rassurant. « Il était là. » Il lâche sa main, elle croise les bras, réflexe vain pour se protéger de ce qui se joue autour. « Il a dû retourner à l'intérieur ou… » Le doudou, le lapin usé, récupéré entre les mains masculines quand elle comprend qu’ils ne peuvent rien faire de plus. Ils pourraient le trouver et ensuite ? Ils pourraient fouiller tout le quartier, ils ne pourraient pas sauver ce gamin, ils ne pourraient pas l’héberger, le consoler. Trop froids, l’un et l’autre. « Ils le retrouveront.. » Les homo sapiens, les autorités, les secours, n’importe qui. Quelqu’un finirait bien par trouver ce garçon. « Pas mon rôle. » Forme de rejet violent quand quelques minutes auparavant elle s’en faisait pour le petit être. Non, pas son rôle. La génétique l’avait voulue trop froide pour cela, n’est-ce pas ? Elle préférait se dire qu’elle acceptait plutôt que de voir l’évidence de ses regrets.
« Tu peux pas l'avoir vu. » Elle fronce les sourcils, contrariée, n’entendant même pas les sirènes retentir. Pardon ? Elle ne peut pas l’avoir vu ? Insinue-t-il qu’elle invente l’impossible ? Bien sûr, c’est fort probable, de la même manière qu’elle se contente d’imaginer Jack. Elle aurait eu un rire bref, expression parfaite d’amertume, si ça n’était pas coincé au fond de sa gorge. « Je veux dire, t'es pas censée pouvoir le voir. Seul un esprit peut voir un esprit. » Et le feu se calme aussitôt, l’incendie naissant retourne dormir sous la glace : Jack est différent, il ne la ramène pas à ses défaillances, il n’a pas vocation à la soigner, l’ancrer dans une morne réalité, faire d’elle une parfaite petite dame bien présentable à une famille, avec un boulot correct et pas de sang sur les mains. Il souligne ce qu’il sait, rien de plus. « Mais.. » Mais elle ne sait pas exactement ce qu’elle veut ajouter, en vérité. « T'es une mutante, humaine et bien vivante. Tu peux pas avoir… » Il mime du vide, il complète sa phrase : elle ne peut pas avoir vu parce que c’est physiquement impossible, parce que c’est la nature même des esprits de ne pas être visibles par n’importe qui. « Jusqu’à preuve du contraire, en effet. » Pas faute d’avoir essayé de mourir mais, de ce qu’elle en savait, elle n’y était pas parvenue. On est au courant quand on est mort ou pas humain, non ? Il lui faisait se poser des questions parfaitement surréalistes.
« On ferait mieux de filer, j'ai pas envie de répondre à leurs questions. Suis moi. » Il triche. Il s’élève, léger comme une plume, vers les hauteurs. Elle n’a aucune envie d’y aller, malgré tout elle inspire profondément, formant une première marche de glace sur le sol - c’est de la folie. La peur la paralyse déjà, irrationnelle et elle a beau se répéter que c’est exactement comme en entrainement, il lui faut plusieurs interminables seconde pour former la seconde marches. « Ne pas regarder en bas.. » Un conseil qu’elle se répète en fixant l’objectif, chaque pas formant naturellement les marches suivantes et si ça semble facile, de l’extérieur, elle ne le fait que parce que Jack le lui a demandé, que parce qu’elle a plus confiance en lui qu’en ce vide en bas auquel elle voudrait ne pas penser. Une fois en haut, elle s’écarte du bord, de pas pressés, les escaliers devenant poudre. Il ne comprend pas mais Prudence ne cherche déjà plus à comprendre, elle tremble encore de l’endroit où ils se trouvent. Le toit d’un immeuble : les images reviennent, flash rapide, souvenir jusque là imprécis de la chute qui l’a conduite à avoir ce vertige incurable. « Ta mutation aurait pu t'en donner le pouvoir? » « Non. »
Elle le fixe, refusant de regarder autre chose que lui. « Mes pouvoirs sont liés à un élément, il n’y’a aucune raison pour que je possède une quelconque aptitude psychique. Je ne comprends pas grand chose en génétique, tout ce que je sais des tests qu’on m’a fait, c’est que ma mutation est particulièrement expressive. J’ai rien d’unique, Jack. Mutante lambda. » La glace n’était certes pas la faculté la plus répandue qui soit mais ça n’était pas non plus unique, elle n’avait rien manifesté qui sorte de l’ordinaire, pas à son souvenir. « Qu'est-ce que tu vois? »
Elle voit surtout qu’il doute, qu’il réfléchit, qu’il tend les bras. Et puis ça lui saute aux yeux. « Tu brilles. » Un pas en arrière, comme si cela justifiait une soudaine méfiance. « Enfin ça.. ça brille.. de blanc. » Ca la sidère visiblement assez pour qu’elle ne s’occupe plus ni du vide, ni des mouvements en bas durant ce bref laps de temps. « Ecoute je.. je vais rentrer.. parce que soit j’hallucine tout ce qu’il s’est passé depuis que j’ai quitté l’institut et je suis probablement dans un coma profond, soit … soit je suis pas normale et je préfère nettement la première option. » Voilà, elle va rentrer, se coucher et probablement se réveiller tranquillement, sans que rien de tout cela ne soit réel. Sauf que Snow est incapable de descendre, incapable de repartir par là où elle est venue, elle le réalise au moment où elle s’approche du bord, frôle une chute qui serait extrêmement douloureuse et termine appuyée contre une rambarde instinctivement formée par la glace.
Autour de moi une aura s'étend. Blanche, lumineuse mais pas aveuglante, plutôt réconfortante sans être chaleureuse. La lumière en elle même est froide et ce qui pourrait être de minuscules flocons voletant ci et là sont illuminés d'un scintillement presque magique. - « Tu brilles. » - Elle recule d'un pas. - « Enfin ça.. ça brille.. de blanc. » - Je ne sais pas si je dois être excité parce qu'elle me dit ou si je dois m'inquiéter. Du coup mon visage affiche une expression mitigée... loin d'être rassurante. Et je comprend trop tard que ça ne l'aide pas. Trop de choses. Trop de choses en même temps. La mort de Bobby, la perte de son enfant, cette bataille, cette découverte... Moi... Elle a été manipulée par l'esprit et je sais à quel point ça peut être éprouvant après coup. Je sais à quel point on peut se sentir confus, perdu, chamboulé. J'efface mon aura pendant qu'elle parle et lorsqu'elle tente de partir je tend un bras mais c'est sa propre glace qui l’empêche de tomber. De chuter en contre bas pour trouver la mort. - A l'évidence t'es pas juste une mutante lambda... - Je me rapproche, pas effrayant même si mon ombre la gagne. - Tu penses que la normalité est un standard? La normalité n'existe pas. Regarde moi: pieds nus sur le toit d'un immeuble en plein hiver. Tu troues ça normal peut être? - J'étend les bras comme un haussement d'épaule. - Et pourtant, c'est comme ça.
Je viens la piège entre mes bras, tentant de la calmer d'une façon ou d'une autre. Notre différence de taille fait que mon menton vient se poser sur le sommet de son crâne et je resserre l'étreinte. Rare personne à pouvoir supporter mes étreintes, rare encore à pouvoir les apprécier. - Dans ce monde, la normalité n'est qu'une connerie de plus. Ne suis pas la normalité... - Je romps l'étreinte, m'écartant légèrement pour capter son regard trop bleu. - Normalité veut dire que tu suis le choix des autres et les autres n'ont pas à choisir à ta place. - Et je reviens la prendre dans mes bras. Parce que oui, des millénaires à pouvoir compter ce genre de contact sur les doigts d'une main, ou presque... Ça manque. - Et pouvoir voir ça ne te rend pas anormale. Ça te rend seulement plus intrigante. - Ma main se décolle de son dos pour s'ouvrir à l'air libre alors qu'un magnifique flocon s'y forme. Il flotte doucement au dessus de ma paume, luisant faiblement, et je viens l'approcher de la tête de Prudence pour l'y déposer. Le flocon y disparaît, indolore, et je baisse ma tête pour qu'elle aille se perdre au creux de son cou, les yeux fermés le temps que la magie opère. Le temps que le voile de la peur et de la confusion ne se lève.
Je passe ma main dans ses cheveux en me reculant, mon regard croisant le sien, un regard d'une gentillesse à crever, avant que le vent ne se lève doucement. Je récupère mon bâton et saisi Prudence par la taille. Le flocon a fais taire sa peur, il a fais taire son vertige. Il faut qu'on s'en aille, elle doit se reposer, on doit éviter la police, alors le ciel sera notre échappatoire. Le vent nous emporte alors et mon regard ne peut s’empêcher de balayer le champ de bataille en contre-bas. Elle pensera certainement être responsable, responsable d'avoir échoué, de ne pas en avoir fait assez. Je lui dirais qu'elle a tort, que nous sommes seulement responsable de toutes les vies que l'on avait pu sauver car la présence comme l'acte de l'esprit guerrier n'est pas de notre fait. Nous ne l'avions pas poussé à faire ça. Nous l'avions seulement combattu. Elle s’inquiéterait peut être pour le garçon, peut être, et je lui dirais simplement que nous n'aurions rien pu faire pour l'aider. J'espère seulement qu'il réussira à surmonter ces épreuves, qu'il parviendra à survivre, à grandir et à vivre. J'espère seulement que Prudence se remettra vite, qu'elle réussira à accepter cette nouvelle particularité qui me rend si curieux. C'est impossible et pourtant c'est réel. Oui, ma curiosité est définitivement piquée.