Retour à la case départ. Enregistré sous un faux nom, je sais déjà que je ne devrais pas rester longtemps ici. Je suis recensé, on peut me reconnaître et je n'ai pas envie de finir enfermé au District à compter les cailloux sur le trottoir parce que je serai resté trop longtemps ici. Kayden est reparti, j'attends simplement que mes résultats d'examens reviennent. Et puis je vois mal comment je pourrais me défendre mon bras dans le plâtre. Assis près de la fenêtre, je ne peux m'empêcher de retourner les propos de Kay dans ma tête, à savoir s'il a raison. Je passe le bout de mes doigts contre la vitre, regardant vers l'extérieur. Comment saurais-je les retrouver ? Machinalement, je passe la main contre le pendentif offert par mon frère, et qui ne m'a plus quitté depuis ce jour.
Bon, d'abord il faut me concentrer sur les détails techniques et purement matériels, pour quand je sortirai d'ici. Il est évidemment hors de question de me tourner vers mon père qui serait le premier à appeler l'unité de protection des humains, pensant ainsi faire preuve de bonne foi. Ne suis-je pas un homme sans mutation à ses yeux désormais ? Un mal pour un bien... Je fronce les sourcils mais ne m'arrête pas sur cette pensée, j'espère qu'il aura simplement retenu ce que je lui ai dit. Je peux appeler ma mère, elle peut trouver quelque chose rapidement qui ne sera pas à son nom à elle.
Les rayons de soleil du printemps encore timides essaient de percer à travers les nuages et je prends le téléphone en mains plusieurs fois avant de le porter finalement à mon oreille. Je passe ma langue contre mes lèvres, plusieurs fois... Mauvaise idée, je raccroche. Le médecin passe, me sermonne de me trouver debout et entame un monologue sur les traumas crâniens après les accidents de voiture... Oui parce qu'on a changé le type de véhicule, pour une question de discrétion. Je me remets près de la fenêtre pendant qu'il termine de parler puis cesse de l'écouter finalement.
J'attends qu'il soit parti après sa visite express pour reprendre le téléphone en main. Je fais pour composer le numéro... regarde mon bras droit... et cale finalement le combiné entre mon épaule et mon oreille pour pouvoir composer de ma main gauche. Aucune sonnerie. Après quelques mots, enfin le bip laissant le champ libre pour parler : « Bonjour Rachel, je... tu entendras peut-être parler d'un accident d'hélicoptère mais je voulais te dire que je vais bien... Désolé je suis bête... Je voulais savoir comment toi tu vas, et où tu te trouves... Bon, je ne sais pas où tu es mais reste-y, et si tu n'es pas recensée... je ne peux que te conseiller de ne pas le faire. Je... Je suis désolé. » Je laisse un moment passer... je ne sais pas ce qu'elle va penser après mon départ, avec ce plongeon le jour de mon départ... « Je suis conscient qu'on doit parler. Dès que je serai posé, je te rappelle. Prends soin de toi... Je t'embrasse. »
Je repose le combiné, hésitant déjà à le reprendre, la rappeler jusqu'à entendre le son de sa voix mais qu'aurai-je de plus à lui dire ? … Bientôt la porte s'ouvre à nouveau. Je n'attends pas de visite, je m'enfonce dans le fauteuil et lance à l'encontre du nouvel arrivant : « Si vous n'avez pas mes résultats et mon autorisation de sortie, ce n'est pas la peine de perdre votre temps. » Je me retourne pour découvrir une femme qui ne semble pas faire partie du corps médical. « Vous vous trompez de chambre je crois. »
J'étais resté autant que je l'avais pu. Autant de temps que la bureaucratie et la logistique avaient pu m'octroyer. Mais ce temps n'était pas infini et j'aurais aimé qu'il le soit. J'étais parvenu à faire changer Warren d'avis, ou en tout cas à ce jour et à cette heure. Je l'avais emmené à l’hôpital, je l'avais enregistré sous une fausse identité. Il était autant recherché que moi dans un monde où son innocence aurait dû le protéger. J'avais fais en sorte qu'il soit tranquille, payé les bonnes personnes, donne les mauvaises informations. J'avais passé la nuit là, juste pour être là. Je ne voulais pas l'étouffer, mais j'avais évité ça depuis le début et regardez où il en était venu... J'avais passé la journée là aussi, avec lui, une présence. Jusqu'à ce que le téléphone ne sonne. Jusqu'à voir ce nom s'afficher sur l'écran. Warren avait pu lire l'inquiétude lorsque je l'avais vu, et il avait pu entendre ma voix lorsque je lui avais parlé. Il avait pu entendre les soubresauts, discrets, dans le ton que j'avais employé pour lui répondre. Le monde m'avait rattrapé. Finalement j'avais regardé Warren, je l'avais fixé. Désolé. Tiraillé. Je ne ferais que l'enfoncer avec moi si je restais là. Si je me défendais ouvertement. Ils ne devaient pas le trouver. Alors j'étais parti après lui avoir tout expliqué. Je lui avais promis de revenir lorsque je le pourrais. J'avais jeté mon téléphone dans l'Hudson en partant. J'avais rejoins le Captain, m'étais retiré pour mieux combattre la prochaine fois. Ils me manquaient déjà.
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Dans le couloir ses talons haut claquaient. Des pas réguliers, rapide mais pas pressés. Assurés. A son bras pendait un petit sac à main. Serrée dans un tailleur noir des plus exquis, manches courtes, jupe juste au dessus des genoux elle marchait dans l’hôpital, le regard fixe et droit. Ses yeux noirs ne laissaient rien au hasard et ses cheveux bruns mi-longs semblaient absolument parfaits. Envoûtante sans être insolente. A son poignet droit un bracelet fin, glissait. Une ligne en argent nervuré d'un motif comme aléatoire. Une main manucurée se posait sur la poignée de la porte de la chambre 515 et après une inspiration, elle la poussait pour entrer. - « Si vous n'avez pas mes résultats et mon autorisation de sortie, ce n'est pas la peine de perdre votre temps. » - Elle faisait un pas en avant, ses talons claquants contre le sol alors que la porte se refermait doucement derrière elle. Warren s'asseyait dans le fauteuil et lorsque leurs regards se croisaient, son sourire soulignait l'évidence. - « Vous vous trompez de chambre je crois. » - Mon cher, je pense être précisément au bon endroit.
Son sourire était confiant, presque entendu. Comme si elle blaguait avec lui. Elle posait son sac sur la tablette du lit et croisait ses mains dans son dos. Son regard courait sur le corps de Warren comme une intrusion bizarrement agréable et finalement elle s'arrêtait à son plâtre avant de se rapprocher. - Oh dear, est-ce que c'est douloureux? - Elle se rapprochait assez pour pouvoir toucher le plâtre, frôler ses doigts, comme si lui tenir la main pouvait l'aider, mais finalement reculait. - Pardonnez moi, j'en oubli mes manières. Je me nomme Cassandra, Cassandra Allen. - Sa main se posait doucement sur son genoux. - Mais vous pouvez m’appeler Cassy. - Elle reculait finalement d'un pas pour s'asseoir sur le bord du lit, croisant ses jambes, son dos bien droit. - Si je peux être honnête, je dois dire que l'hélicoptère n'était pas vraiment un choix très judicieux. Il y a quand même des façons bien plus efficaces de procéder, vous ne pensez pas? - Un grand sourire étirait ses lèvres, un sourire des plus chaleureux. - Mais heureusement vous êtes toujours là et j'en suis ravie.
Je me redresse dans le fauteuil, alors qu'elle répond être là où elle le souhaitait. Pas forcément par méfiance, même si je sais que je devrais l'être, mais avant tout par correction pour ne pas rester affalé dans le fauteuil alors qu'elle est debout non-loin de moi. Je me rapproche du bord et l'observe rapidement, me permettant aussi une œillade dans son dos. Elle m'offre un sourire entre l'assurance et une sorte de complicité qu'il y aurait entre nous... Je fronce les sourcils mais ne la chasse pas, comme je devrais le faire. Une sorte de curiosité me pousse à la détailler davantage, jusqu'au bracelet qu'elle porte autour de son poignet fin.
Elle abandonne son sac, marquant manifestement le fait qu'elle ne compte pas partir tout de suite et s'approche de moi, les mains jointes dans le dos. Finalement, elle se rapproche, mon regard croise le sien alors qu'elle semble me parler du plâtre. Ça ne l'est plus, surtout depuis qu'il y a le plâtre. Je me suis déjà fait mal, plusieurs fois, je m'attendais à ce que ça guérisse vite – même si pas en quelques secondes forcément – mais à en juger les bleus disséminés ici et là sur mes épaules, mes genoux... j'en viens à douter que mon corps respecte toujours son temps de guérison. Je ne me suis pas interrogé à ce sujet, la réponse semblerait trop évidente.
Alors que l'extrémité de ses doigts frôlent les miens, elle m'arrache un frisson et je baisse le regard sur mon bras, devinant une chair de poule sous ma chemise. Ma main libre se serre autour de l'accotoir et je me redresse davantage sur le siège. Je me racle la gorge, un peu gêné, comme si j'avais eu un geste malheureux envers elle puis secoue la tête, oubliant un peu qu'elle n'a rien à faire dans cette chambre... « Non merci... ça va... »
À vrai dire, je m'arrache davantage les cheveux à savoir ce que je devrai faire en sortant de cet hôpital, avec moi, avec ceux que je devrais chercher... pour savoir si j'ai encore la possibilité d'intervenir dans leurs vies. Ou plutôt si j'en ai le droit. J'ai peur, terriblement peur de ce que j'apprendrai. Je n'ai jamais interrogé Alec à ce sujet, et j'aurais tant voulu qu'il me dise qu'ils s'en étaient tous sortis... Je cligne des yeux, réalise que je m'égare alors qu'elle se présente. Je tends ma main gauche, serrant la sienne le temps d'un contact trop bref. Je la salue en ces mots : « Enchanté Mademoiselle Allen, Kenneth. »
Sa main vient se poser contre ses genoux dénudés, je remonte mes yeux sur son regard sombre ; me rendant compte de mon stupide manque de politesse à son égard. Bien que rien n'explique toujours sa présence dans la chambre, ni qu'elle s'installe et entame la conversation. Toutes les alarmes se mettent à sonner quand « Cassy » parle directement de l'hélicoptère. Tout d'abord, quand même bien elle serait une personne de confiance, je n'ai vraiment pas envie de disserter sur mon choix de tel ou tel appareil pour disparaître au fond de l'Hudson ; ensuite je me raidis sans répondre à sa question. Elle sourit, je copie son sourire puis lui réponds avec une pointe de sarcasme : « Merci, je suis aussi ravi d'être vivant – mensonge, je me demande encore pour quel lendemain je devrais continuer, envers et contre tout – Cassy.... Mais j'ai l'impression que vous vous trompez de personne. » Je me mets finalement debout, me rapprochant une fois encore de la fenêtre, espérant que mon absence la fasse partir sans que je sois grossier avec elle. D'ailleurs, je ne sais pas à quoi elle doit ce traitement de faveur, mon instinct me dictant d'être aussi sec que possible pour que cette conversation douteuse s'arrête déjà là.
Lorsqu'il s'était présenté, elle avait souri, avait saisi sa main en retour. Bien sur qu'elle savait qu'il mentait, mais elle avait trop de correction pour s'en offusquer ou même le lui faire remarquer de but en blanc. En vrai dire elle avait simplement poursuivi, comme si de rien n'était. - « Merci, je suis aussi ravi d'être vivant, Cassy.... Mais j'ai l'impression que vous vous trompez de personne. » - Il se levait pour retourner prêt de la fenêtre et elle affichait un regard un peu déçu. Voire presque triste. Elle se laissait glisser du lit, ses talons retrouvant le sol dans un claquement discret, et se rapprochait de lui. Côte à côte et malgré ses talons hauts, elle était bien plus petite que lui et lorsque sa main venait toucher son bras, elle levait la tête pour le regarder dans les yeux. - Je sais très bien que c'est faux, vous savez. - Sa main glissait sur son bras, comme un massage rassurant. Elle savait très bien ne pas devoir toucher son dos, mais elle faisait ça tellement... naturellement. - Je sais que vous n'êtes pas tant ravi que ça de toujours être en vie. - Elle mettait en avant l'un de ses mensonges mais lorsqu'elle captait son regard, son sourire se voulait rassurant. Elle ne lui en voulait visiblement pas. - Ne vous inquiétez pas, je comprend.
Elle regardait à l'extérieur, regardait la banlieue s'étendre à perte de vue, observait les maisons, le parc un peu plus loin. C'était loin de l'Hudson, loin du théâtre de sa chute. Kayden avait été malin de l'éloigner, efficace dans ses falsifications. Elle s'adossait finalement à la fenêtre, les bras croisées, une jambe par dessus l'autre, son regard dans un vide abstrait. - Ce qui vous est arrivé est vraiment triste. C'est vrai. Je n'ose pas imaginer par quoi vous avez bien pu passer. - Son regard se tournait vers lui, un regard plein de compassion. - Tant d'épreuves, tant de souffrances. Tous ces mois à attendre que le temps passe... - Son regard courrait le long de ses larges épaules, l'air pensive. - Vous étiez tellement beau, tellement majestueux... - Elle le lâchait du regard pour se retourner, observer à nouveau la ville. - Ça vous manque, n'est-ce pas? - Elle levait la tête vers lui. - De voler. - Avait-elle dis dans un souffle, comme une révélation enfin offerte au monde. Une vérité si simple et pourtant si dure à entendre. - Et cette petite virée en hélicoptère, ça a dû vous faire du bien. Revoir enfin le monde depuis là-haut.
Elle soupirait. - J'ai toujours voulu savoir voler. J'ai déjà pris l'avion bien sur, mais... J'aurais aimé être comme vous, pouvoir voir le monde depuis le ciel. Pouvoir ressentir cette sensation de pure liberté. - Elle inspirait, comme si elle était vraiment là-bas, dans le ciel, à sentir le vent dans ses cheveux, le flot de la vitesse secouer son corps. Comme si la fraîcheur de l'air emplissait ses poumons. - Hmm... Ça doit être quelque chose. Je vous envie. - Elle laissait passer quelques secondes, quelques secondes durant lesquelles le silence était roi, et finalement... - Enfin, devait. Depuis le sol, le ciel doit paraître si lointain... - Sa main venait à nouveau frôler ses doigts plâtrés, comme pour les saisir sans vraiment forcer pour ne pas lui faire mal. - Pardonnez mon indélicatesse. J'ai parfois tendance à trop parler.
Je me suis posté près de la fenêtre, ne m'attendais pas vraiment à ce qu'elle vienne me rejoindre dans mon observation passive de l'extérieur. Je n'ai qu'une envie, comme lorsque j'avais rejoint Kayden à la tour, ouvrir la fenêtre et m'envoler tout simplement. Regarder vers l'extérieur, bien qu'inutile, me fait du bien et je sursaute alors qu'elle vient toucher mon bras, comme une décharge dans le bras qui me parcourt le corps et vient s'achever dans ma nuque. Mais, étonnamment, je ne défais pas mon bras de sa faible emprise, me contentant de renvoyer mon regard contre elle. Nos regards se croisent et je ne peux retenir un bref soupir à ses mots. J'ai préféré ne rien dire, pendant de longues semaines, j'ai trouvé qu'il serait hypocrite de ma part de dire que je le surmontais et il me semblait tout aussi inconcevable de dire que c'était trop dur. Et ne l'avais-je pas déjà dit ? Que j'étais mort. Je regarde son visage, cherchant où j'aurais déjà pu la rencontrer. À moins que ce ne soit quelqu'un qui l'envoie ? « Ne vous inquiétez pas, je comprends. » Vraiment ? Oh, vraiment ? Je voudrais la croire mais je n'en ai pas envie, pas maintenant.
Mon regard suit le sien dehors, puis elle se retourne, me frôlant dans son mouvement. J'observe son bref jeu de jambes et m'en détourne quand elle reprend la parole. Je pourrais lui dire que ce n'était qu'un accident de voiture, c'est la version dont nous avons convenu ensemble. Mais à cet instant, j'ai comme l'impression que ce sera inutile... Ses propos me semblent à la fois suffisamment vagues pour pouvoir s'adresser à n'importe qui, et pourtant, elle me parle. À moi. J'enfonce ma main gauche dans ma poche de jean. « Tous ces mois à attendre que le temps passe... » Je ferme les yeux une seconde, c'est exactement ça. Je ne peux plus laisser passer le temps désormais, je n'en ai plus le droit. Je n'ai plus ce luxe.
« Vous étiez tellement beau, tellement majestueux... » C'est le moment où ses propos ne deviennent plus assez vagues pour s'adresser à quiconque. Je tourne brutalement la tête vers elle mais elle perd à nouveau son regard sur l'extérieur. Sa voix est douce, tout comme le ton qu'elle emploie. Je me laisse bercer par ses mots. « De voler. » De voler... Tout s'arrête un instant, les bruits du couloir, tout disparaît sauf l'écho de ses mots. Je serre les lèvres, sans me détacher de son regard. Manifestement, mentir ne sert à rien, tout ce qu'elle ne doit pas savoir... elle le sait. Alors à quoi bon continuer cette petite histoire ? Si l'HPU doit passer cette porte dans trois ou trois cents secondes, ils la passeront. Alors à quoi bon ? Mentir... encore. C'est vrai, elle a raison. Ces quelques minutes là-haut, exception faite de la raison de ce vol, ont été parfaites. Et même si j'ai été privé d'une partie des sensations qui me faisaient tant plaisir, elles ont été parfaites.
Elle inspire, je croirais presque y être, moi aussi. Sentir la condensation se glisser contre mes bras, l'air glacé infiltrer mes poumons et le monde défiler tout en bas, s'affairer à vivre. Les jardins disparaître au profil de carrés verts, les champs, la mer, la neige. Un sourire se dessine contre mon visage. Oh, comme j'ai aimé me poser sur le Pont de Williamsburg, Verrazanocorps, celui de Mahnattan. Juste m'y poser pour réfléchir, pouvoir faire le point avec moi-même. Son emploi de l'imparfait me ramène à la réalité. Me ramène au sol. Ma main gauche quitte ma poche pour venir se poser au-dessus de la sienne. « Il ne l'a jamais autant. » Loin. Inaccessible. « Voler c'est... » Mon regard alterne entre l'extérieur et son regard ; quand ma main lâche la sienne pour simplement ouvrir la fenêtre. Je reprends sa main et la fais passer par la fenêtre, ses doigts contre les miens. « Être seul au monde, être totalement libre. Ne plus appartenir à la terre ferme, ne plus appartenir aux hommes, ne plus appartenir à quoi que ce soit. Elles n'ont jamais été un accessoire ou un instrument... » dis-je en lâchant sa main doucement. « Elles étaient moi. J'aurais tout donné pour les retrouver. » J'aurais accepter de tout perdre, pour ne pas les avoir retrouvées...
Je me tourne, m'adossant à mon tour contre l'encadrement de la fenêtre. Je passe ma main contre mon visage puis lui demande finalement : « Je suis désolé Mademoiselle Allen, ou Cassy, peu importe. J'aimerais que vous me disiez vraiment pourquoi vous êtes ici, et pourquoi nous avons cette conversation ? »
« Il ne l'a jamais autant été. » - Elle souriait en sentant sa main la rejoindre, souriait en l'entendant lui répondre. Son regard quittait l'extérieur pour se lever à nouveau vers celui de Warren. - « Voler c'est... » - Et il lui expliquait. Il ouvrait la fenêtre puis accompagnait sa main à l'extérieur, ses doigts contre les siens. Il mimait dans l'air la fraîcheur de la liberté. Et pendant qu'il parlait, qu'il exprimait ce que son cœur lui avait toujours dicté, elle se laissait faire, son regard ne quittant pas leurs mains dans l'air. Et lorsqu'il la lâchait, elle laissait sa main un instant, prise dans le mouvement. - « Elles étaient moi. J'aurais tout donné pour les retrouver. » - Son regard se tournait vers lui, scrutait son visage. Elle retirait sa main du vide et le laissait s'adosser à son tour, le haut du dos dans le vide de la fenêtre ouverte. - « Je suis désolé Mademoiselle Allen, ou Cassy, peu importe. J'aimerais que vous me disiez vraiment pourquoi vous êtes ici, et pourquoi nous avons cette conversation ? »
Elle se plaçait face à lui et sa main venait discipliner une mèche de cheveux à l'arrière de l'oreille de Warren d'un mouvement tout à fait naturel. - Cassy c'est très bien. - Elle reculait finalement et s'appuyait au lit sans vraiment s'y asseoir à nouveau. - Et justement, j'allais y venir. Vous avez raison de demander. Après tout je viens ici sans m'annoncer, c'est tout à fait naturel. - Elle croisait les bras, un sourire sur les lèvres. - A vrai dire je suis ici pour vous aider. - Son regard courrait sur le corps de Warren. - Pas pour aujourd'hui, ou en tout cas pas directement. - Elle se redressait pour se rapprocher de l'une des tables proches du lit, désignant la carafe d'eau. - Je peux? - Et elle se servait un verre, buvant une gorgée. - J'ai conscience du chemin parcouru, des épreuves que vous avez eu à traverser. J'ai conscience que ça a été dur et que le temps est passé, beaucoup de temps.
Elle buvait une autre gorgée et reposait le verre. - Mais tout ce que vous avez vécu, tout proviens de cette journée de Septembre, n'est-ce pas? Tout y est lié. - Elle levait une main comme pour l'arrêter. - Je ne viens pas vous offrir une opportunité de vengeance. Je sais que vous avez les amis nécessaires pour ça et que malgré tout, vous avez choisi autrement. - Ses mains revenaient le long de ses hanches. - Mais et si je vous disais que vous pourriez voler à nouveau. Si je vous disais que je pouvais vous rendre vos ailes? - Elle laissait passer un temps, un silence nécessaire pour que l'information soit assimilée. - Parce que c'est ce que je viens vous offrir, Warren. La possibilité de visiter le ciel à nouveau. De pouvoir ressentir cette pure liberté, comme avant. - Elle le désignait du regard, lui, le ciel, ses ailes manquantes. - Vous auriez tout donné pour les retrouver, c'est ça? C'est le cas finalement.
Elle vient passer sa main, tout près de mon visage. D'ordinaire, j'aurais chassé sa main, peut-être au vu de la conversation aurais-je dû la saisir pour l'éloigner mais aussi doux paraît ce contact de prime abord, ce ne sont pas de ses mains à elle dont j'aurais envie, je lui demande simplement « S'il vous plaît, ne faites pas ça... » Parce que dès qu'elle sourit – et je ne sais pourquoi elle sourit si ce n'est pas politesse, et je n'ai pas besoin de sa politesse – je pense au sourire de Rachel. Et je ne veux pas la trahir une fois encore, différemment. Je ne peux pas la trahir encore. Cassy, si elle veut, qu'est-ce que ça change pour moi, maintenant ? Elle s'éloigne pour aller s'appuyer contre le lit.
Je me redresse, toujours le dos appuyé contre la vitre. Mon ombre qui ne me ressemble plus projetée contre le carrelage de la chambre, d'ailleurs je ne me ressemble plus depuis des mois. Semblant adopter un tic de Kayden, mon pouce et mon index viennent pincer l'arrête de mon nez quand je m'en rends compte et laisse mon bras pendre le long de mon corps. Au fur et à mesure qu'elle parle, je me laisse de son joli sourire.
Quand elle dit venir pour aider, je ne peux m'empêcher de lâcher un ricanement moqueur. Pitié, que Kayden ne m'ait pas envoyé une psychologue, quand même. Je pourrais aussi croiser les bras sur mon torse, si le plâtre ne menaçait pas de rendre cette posture ridicule. Pas aujourd'hui. Pas directement. Si elle me dit que c'est à moi de m'aider, de faire le chemin vers la vie tout ça, je n'ai besoin de ce discours. Et surtout pas d'une inconnue. J'ai bien envie de lui dire que je connais quelqu'un qui fait le même job qu'elle et que j'irai le voir quand je sortirai mais je m'épargne cette peine et l'invite à prendre dans l'eau d'un mouvement du menton.
Je me rapproche d'elle quand elle évoque le mois de septembre. Je me fige puis songe que j'ai fait un dépôt de plainte, c'est logique que quiconque puisse être au courant... Mais qu'est-ce qu'elle peut bien changer à cette journée-là ? C'est trop tard, les erreurs commises ce jour-là, et depuis, sont les miennes. Mon regard suit ses mains contre ses hanches puis se perd un moment dans le vide. « Si je vous disais que je pouvais vous rendre vos ailes ? » Mon cœur s'arrête. Il s'est totalement arrêté. Je lève les yeux sur le plafond et lâche, entre l'espoir et la colère : « Je vous répondrais que vous êtes incroyablement douée, ou terriblement cruelle, de me dire ça. » Dès lors, une seule question s'impose à moi. Comment ?
Son regard part derrière la fenêtre, dans l'immensité dont je suis privé puis sur moi. Je fais un pas dans sa direction et d'un geste vague de la main, je fais tomber le verre qui se fracasse au sol. Je me rapproche d'elle, trop près pour ne pas remarquer qu'il s'agit d'une femme superbe. Comment de psychologues, de chirurgiens ont ses mensurations, sa classe et se déplacent chez des patients qu'ils n'ont jamais rencontrés ? « J'ai écrit des centaines de messages, ou des milliers, à des centaines de spécialistes. La majorité n'a pas pris la peine de me répondre. Quand les autres n'ont pas compris quel était mon problème, quand les autres ont refusé de tenter l'impossible. Quand les derniers se sont avoués vaincus sans me rencontrer. » Je ne la menace pas, je ne peux pas la menacer, et je ne le veux pas. Je ne suis pas de ceux qui croient obtenir l'impossible par la peur. Je m'éloigne sensiblement d'elle, et décide de la prendre au mot. « Et si vous disiez vrai, que voulez-vous ? » Pas de « que voudriez-vous ». Je veux me projeter dans cette hypothèse délirante. Qui qu'elle soit, elle est ici et elle a ces propos. Un simple arnaqueur saurait-il vraiment qu'il y a deux jours, je plongeais dans l'Hudson ? « Dites-moi... »
« Je vous répondrais que vous êtes incroyablement douée, ou terriblement cruelle, de me dire ça. » - Un fin sourire étirait encore ses lèvres. Il n'était pas moqueur, il n'était pas vicieux non plus. Il était simplement là, traduisant une forme de satisfaction qu'on ne ressent qu'à un moment précis: lorsqu'on offre à quelqu'un la chose qu'il désire le plus au monde. Elle avait tout juste le temps de boire une petite gorgée supplémentaire avant que Warren ne se rapproche et ne la prive du verre d'un geste vague de la main. Au choc éclatant du verre au sol, elle se figeait sous la proximité du mutant, son regard rivé dans le sien, une lèvre pincée. Elle ne semblait pas avoir peur pourtant elle retenait son souffle. Ses mains libres s'appuyaient sur le lit pour qu'elle puisse se pencher légèrement en arrière sans pour autant tomber. - « J'ai écrit des centaines de messages, ou des milliers, à des centaines de spécialistes. La majorité n'a pas pris la peine de me répondre. Quand les autres n'ont pas compris quel était mon problème, quand les autres ont refusé de tenter l'impossible. Quand les derniers se sont avoués vaincus sans me rencontrer. »
Elle baissait légèrement les yeux, ensevelie sous les tentatives et échecs de ces derniers moi. Ou plutôt étouffée sous la voix de Warren plus que par ce qu'il disait. Elle savait déjà tout ça, c'était évident. Il reculait d'un pas et elle se redressait en suivant son mouvement, son regard gagnant à nouveau le sien en silence. - « Et si vous disiez vrai, que voulez-vous ? » - Elle penchait la tête, intriguée. - « Dites-moi... » - Un sourire vrillait encore ses lèvres. - Oh moi je ne veux rien... - Son regard descendait jusqu'au sol. - Ou peut être que vous cessiez de martyriser ces pauvres verres. Attention à vos pieds. - Avait-elle dis en le poussant sur le côté de sa main sur son flanc. Elle se tournait vers lui. - Vous l'avez surement deviné, je ne suis pas chirurgienne. En réalité je ne peux pas vous expliquer précisément comment ce sera fais. Ce que je sais en revanche, c'est que la procédure est réelle. Je ne suis pas venu à vous avec une promesse vide. - Elle se décalait un peu pour éviter de marcher sur les bris de verre. - Je suis venu pour vous faire ce cadeau, vous montrer le chemin à suivre. Si vous acceptez, je vous conduirais à ceux qui pourront vous rendre vos ailes.
Son regard courrait sur le plafond, la fenêtre dans son dos. - Et pour répondre à votre question... Je pense qu'un jour ils auront besoin de vous. Je suppose que ce jour-là il faudra ne pas leur tourner le dos. - Elle haussait les épaules en souriant. - Et puis ça vous permettra d'aider des gens, encore. C'est bien non? - Elle croisait ses mains devant elle. - Et voler à nouveau. De quoi me rendre jalouse. - Avait-elle ajouté en tournant la tête vers la fenêtre encore ouverte. - Bien sur je ne vous presse pas. Je vais vous laisser mon numéro, vous avez tout le temps d'y réflechir. - Avait-elle dis en se dirigeant vers son sac à main. - Vous pourrez m’appeler pour me dire ce que vous avez décidé.
Quand elle répond ne rien vouloir, je me retourne vers elle. C'est impossible, une femme comme elle ne manque pas de savoir que dans ce monde, rien ne s'offre. Surtout si elle est vraiment en mesure de me donner ce que j'attends depuis si longtemps, ce dont je n'osais même plus rêver. La preuve étant au fond de l'eau. Rien n'est gratuit, je peux consentir à payer le prix, je peux consentir au sacrifice mais je ne veux pas m'engager à l'aveuglette... Ses lèvres esquissent un léger sourire et mon regard se baisse avec le sien sur les débris de verre, je réalise que je réagis n'importe comment. Ses doigts passent contre mon flanc et je me laisse comme guider par ce geste, me décalant sur le côté. « Vous l'avez surement deviné, je ne suis pas chirurgienne. En réalité je ne peux pas vous expliquer précisément comment ce sera fais. Ce que je sais en revanche, c'est que la procédure est réelle. Je ne suis pas venu à vous avec une promesse vide. » Son mouvement suit le mien et elle se rapproche. Pas venue avec une promesse vide, je le souhaite. Je le souhaite vraiment de tout mon cœur...
J'en viens à m'appuyer à nouveau contre la fenêtre. Un cadeau ? À vrai dire je ne vois pas qui voudrait faire un cadeau aux mutants en ces temps mais peut-être, et je dis bien peut-être qu'il y a quelqu'un, quelque part qui veut agir dans notre intérêt, et contre ceux qui m'ont fait ça... Sa réponse est plutôt vague mais elle va forcément dans mon sens... des gens qui auraient besoin de moi, pour les aider. Est-ce qu'elle parle d'une aide comme celle qu'ont pu fournir à Kayden ses alliés, quand il en avait besoin ? De quelle aide peut-elle avoir besoin, et surtout de quelqu'un comme moi...
« Et de voler à nouveau... » Je la regarde, tout à côté de moi, pour ne pas retourner sur l'extérieur. Elle se dirige vers son sac et je tends ma main libre dans sa direction pour me saisir doucement de la carte qu'elle me tend. Je la regarde, espérant y trouver d'autres informations que celles qu'elle m'a déjà données. Elle ne me presse pas, mais j'ai simplement envie de lui dire que oui, la supplier de lancer je ne sais quelle procédure... Oui, tout simplement oui... Je cale la carte entre mon index et mon majeurs droits et pose ma main contre son épaule, sans doute de peur qu'elle ne s'en aille trop vite. Sa main rejoint la mienne. J'ai envie de la croire, vraiment envie. Me souvenant de mon écart avec le verre, je retire ma main en m'excusant...
Je cherche du regard quelque chose sur quoi noter puis me reprends, passe ma main libre contre mon visage. Je ne peux... je ne veux pas qu'elle s'en aille. Elle est la réponse que j'attendais depuis des mois, elle est le dernier espoir de pouvoir recommencer. Quand je commençais à me dire que Kayden avait raison, que je pouvais aussi me reconstruire et essayer d'aider les autres, sans mes ailes... « Je peux d'ores et déjà vous dire oui. Je... quoi dire d'autre ? J'aiderai vos amis, ou vos employeurs. Mais s'il vous plaît... faites-le. » Elle sourit, l'un de ces sourires confiants - et qui prêteraient à confiance - dont elle semble avoir le secret. Je tends le bras dans sa direction, pince les lèvres avec contrariété quand je brandis mon plâtre et lui dis qu'il faudra sans doute attendre que je retrouve le plein usage de ce bras-là. Mais j'ai sa carte. « Dès que vous pouvez, faites-le. » Je réalise que je n'ai pas demandé quels risques peut comporter une telle procédure. Mes ailes ont toujours été une partie de moi, mes os, mes muscles, ma peau... Je ne vois pas comment ils peuvent les ramener. Mais peu importe. Je suis prêt à rendre le risque. « Dés que votre bras va mieux, appelez moi, j'organiserais un rendez-vous. » Un délai est donné, un pas de la promesse à la réalité, n'est-ce pas ? Elle récupère son sac, passe sa main contre ma joue. « On va vous rendre votre liberté, Warren, c'est promis. » Elle me le promet, yeux dans les yeux... Je hoche de la tête. À bientôt alors. À son départ, je m'assieds sur le lit et parcours à nouveau la carte des yeux... Je volerai à nouveau.