it's a revolution, i suppose Invité | | | Le burger est meilleur. Elle n’est pas critique gastronomique mais il est meilleur. Il a des saveurs nouvelles, elle en apprécie les travers, tout ce qui fait qu’elle n’en avait jamais mangé avant San Francisco. Elle comprend qu’il puisse vouloir manger avec les doigts, que cette nourriture grasse soit une sorte de réconfort. Finalement, elle comprend surtout que c’est le partage qui lui fait apprécier cela, que seule la présence de Bobby rend l’instant si agréable. Elle a simplement voulu lui faire plaisir et si il ne mange que par gourmandise, les sens un brin engourdis par son rhume, elle sait qu’avec lui c’est l’intention qui compte. « J’espère bien te prouver qu’on peut t’aimer sans te vouloir du mal. » Elle a détourné un peu les yeux, à peine quelques secondes, parce que ça l’a touchée. Quand les sentiments seront ils des choses acceptables ? Ils naissent avec intensité, ils s’étirent, s’imposent, ne lui laissent aucun moyen de contrôle - notion si chère à son coeur. Rien n’est pourtant simple avec eux, rien ne le sera jamais et dés lors qu’elle demande ce qui pourrait le rendre heureux, il ne peut s’empêcher de jouer à l’effet miroir. Ce dont il a besoin est impossible, ce qu’il souhaite est presque irréalisable. Elle aurait préféré qu’il rêve d’un séjour à Hawaï ou qu’il imagine une vie au fond de l’Alaska, qu’il voit ses envies de façon égoïste, quelque chose qu’elle puisse lui donner.. mais ça ne serait pas lui s’il se montrait égoïste, n’est-ce pas ? Il est généreux par nature, elle n’avait donc pas de quoi s’étonner de sa réponse.
« Tu es là, j’ai un burger, on est en vacances… j’ai juste besoin de savoir que tu es heureuse. » Est-ce qu’elle est heureuse ? Non. C’est là le noeud du problème. Les souvenirs sont déroulés comme on rembobine un vieux film à la recherche d’instants éclatants de joie, elle tente d’en trouver un parmi les malheurs, seulement un qui ne soit pas terni. Est-ce que Prudence sait seulement la signification de ce mot ? Elle demeure silencieuse sans pour autant lâcher son regard. « C’est trop dur de te voir malheureuse ou perturbée par des choses. Le pire, c’est que je ne sais pas comment faire pour te rassurer. » A son tour de poser le burger, à son tour d’essuyer ses doigts. Il est malade et elle l’embête avec son incapacité au bonheur. Elle se lève, calmement, déplaçant sa chaise pour la poser près de Bobby. Ceci fait, elle s’assied de façon à pouvoir le regarder, à ne pas lâcher les billes claires des siennes. Elle attrape sa main, elle noue ses doigts aux siens. Que peut-elle lui dire ? Qu’elle ne pourra jamais le combler ? Elle n’a brusquement plus l’air d’une gamine fragile et perdue, drôle de facilité à passer des crises au sérieux, des larmes à la raison. « Dans un monde idéal, j’aurais les vingt-neufs ans que tu as aujourd’hui. Dans un monde parfait, je serais partie en vacances dans l'Iowa avec mes parents et j’aurais été là le jour où ta mutation s’est déclenchée. » Où veut-elle en venir ? Elle lui raconte cela comme on raconterait une belle histoire, son pouce caressant le dos de sa main. « Je serais sans doute tombée éperdument amoureuse de toi et jamais je n’aurais eu à être malheureuse, parce que c’est ce que tu aurais fait de moi : l’adolescente la plus heureuse de la X-Mansion. » Un monde idéal dans lequel personne n’aurait jamais eu à craindre Snow Queen, où Alcatraz ne les aurait pas opposé, où toute leur histoire serait devenue un fleuve tranquille, gelé dans le temps, envers et contre tout. « Mais ça aurait privé Malicia du garçon extraordinaire dont elle avait besoin pour supporter le fardeau de ses pouvoirs. » Comme quoi, elle sait parfois penser aux autres. Comme quoi Prudence n’est pas juste une gamine capricieuse, même si elle boude souvent, même si ses mauvais côtés ont la fâcheuse tendance à se déchaîner. « On n’est pas dans cet univers parallèle où être heureuse durablement peut avoir un sens pour moi, nous n’avons pas d’autre choix que celui d’apprendre à vivre avec le fait que je ne le suis qu’à des moments précis. » C’est peut-être douloureux à entendre, elle en a conscience. Elle sait qu’il voudrait que chaque heure de sa vie ne soit que bien-être et éclats de rire, elle sait qu’il pourrait tenter de lui décrocher les étoiles. Elle sait aussi qu’elle lui doit de tenir debout encore à ce moment là quand bien d’autres l’auraient abandonnée à ses terreurs, à ses démons. « Je suis heureuse quand tu me prends dans tes bras, quand je me réveille le matin et que tu es là, chaque fois que tu m’embrasses. Je suis encore plus heureuse quand je t’entends rire, quand tu me fais des roses de glace sans raison particulière. » Elle presse un peu plus sa main, elle essaye de faire passer un message difficile, elle essaye de lui faire entendre que ça n’est pas parce qu’elle est gênée ou contrariée, parce qu’elle est préoccupée ou angoissée qu’elle ne savoure pas sa chance d’être avec lui. « La dépression, ça ne se soigne pas du jour au lendemain.. encore moins les états suicidaires. » Elle a roulé des yeux, comme pour souligner une évidence, pour signifier que le dire n’est pas un crime. Elle pose les mots tabous sur des symptômes, elle exprime des diagnostics dont on évite habituellement la brutalité avec elle. Elle n’a jamais entendu Bobby exiger qu’elle prenne les traitements liés à ces maladies, ça ne l’empêchait peut-être pas de l’avoir marqué quelque part. Elle ignore au final ce qui se trouve dans les dossiers du psychologue, elle n’a jamais cherché à fouiller quand elle lui volait des livres. « Le Professeur a muselé les pires parts de ce que je suis mais un jour, la barrière va définitivement céder et je vais devoir apprendre à vivre avec ça, plus encore qu’avec ces crises passagères. Ce jour-là, il faudra qu’on soit assez solides pour que ça ne te détruise pas. Te faire du mal n’est pas envisageable, tu comprends ? Que tu imagines que tu ne sais pas me rendre heureuse, même temporairement, n’est pas concevable. Ne l’oublis pas. » Il ne doit jamais l’oublier. Elle le blesse, sans cesse, quand son état fait une rechute, quand les douleurs surpassent les joies, chaque fois qu’elle tremble de le voir partir. Elle ne veut pas de cela pour lui, elle veut qu’il soit un peu égoïste, qu’il savoure les instants de calme et relativise les nuits blanches. Ils ont décidé d’aller au-delà des règles et de la raison, ils n’ont plus qu’à en assumer les conséquences.
« Maintenant, il faudrait que tu finisses ce burger et que tu ailles te coucher. Une bonne nuit de repos devrait te permettre d’aller mieux. » Est-ce qu’elle ne tricherait pas un peu avec ce sourire débordant d’amour ? C’est à cela que ressemble leur quotidien : des paroles douces pour rassurer l’autre, des maladresses qui écorchent et des sourires qui pansent les plaies. « Et si tu es sage tu auras même droit à un chocolat chaud. » Elle le chouchoute. Elle est une source de froid, il lui est difficile de le réchauffer durablement, de compenser l’effet des microbes en jouant le radiateur. Rien de mieux qu’un chocolat chaud, dans ces conditions, ça vaut mille fois mieux qu’une soupe. |
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