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 Cletus ♦ Ce qui vient du diable retourne au diable.

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Rubén Algren
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C'est un magnifique jour ! Dès que j'ai regardé dehors je l'ai su. Le sommeil de ces derniers jours a été réparateur et je suis principalement resté à l'intérieur pour observer ce nouveau monde qui s'ouvre à moi. Mais j'aime découvrir toutes ces personnes. J'ai profité des ordinateurs pour envoyer un petit message à Beth d'ailleurs. Tout simplement pour m'excuser de n'avoir pu lui donner de nouvelles plus tôt, je la salue et lui demande comment elle va. Pas par convention sociale mais vraiment pour le savoir. Après quatre heures de sommeil, j'ai profité que le nombre d'insomniaques n'excède pas un chiffre avoisinant les sept pour aller me laver et m'habiller. Souvent, avant de rentrer dans une pièce, je prends la peine de me pencher en avant et de jeter un œil panoramique. Les pièces déjà bondées m'angoissent profondément, je voudrais me faire tout petit, tout petit, assez petit pour me cacher dans les cheveux de Prudence, tiens ! Je tortille souvent des mèches de cheveux en ce moment, c'est un bon substitut pour essayer de ne pas m'arracher la peau du bras, me mordre le doigt ou me griffer le visage. Pour l'instant, je reste dans une zone de confort qui comprend cet étage et les escaliers qui amènent aux étages voisins. Parfois, je m'y assieds, et je les regarde aller et venir, j'aime m’enivrer de leur présence. Et dès qu'un léger mouvement de « foule » se fait sentir, je repars à proximité de la chambre. Cette nuit, j'ai beaucoup marché. En rond, en carré, en souhaitant à un moment donné qu'il n'y ait personne en dessous pour m'entendre. J'ai regardé le soleil se lever, depuis la fenêtre. Ça m'a fait plaisir parce que ça m'avait terriblement manqué, j'ai toujours fait ça à l'appartement.

Je me suis promis, comme j'ai implicitement promis à M. Drake, de faire des efforts pour ne pas m'enfoncer dans mon apathie habituelle. Alors j'essaie de capter ces instants, j'essaie de m'en sortir comme on quitte simplement un vêtement. À l'heure du repas, je me glisse discrètement hors de ma chambre pour aller me connecter, voir si Beth a eu le temps de me répondre. Au lieu de ça, je reçois un message d'un oncle que je n'ai pas vu depuis... Longtemps. À chaque fois, il me parle de choses très différentes et il me dit qu'il sait bien que je ne répéterai pas. Je n'aime pas les secrets, je n'aime pas ça du tout, comme les mensonges... Toujours est-il qu'aujourd'hui, il me dit apprendre le décès de mon père et en être profondément affecté. Décès ? Mais non... Ils ont dit parti au ciel, disparu, ils ont dit plus des nôtres. Il ne restera pas sous sa stèle indéfiniment... Mon visage se crispe, se serre dans une moue contrariée. Je n'arrive pas à assimiler l'information, à être triste ou en colère. Je tourne mon regard vers l'extérieur. Il me demande de le rejoindre pour récupérer mes affaires qu'il a prises à l'hôpital... Il veut simplement s'assurer que je vais bien sinon, ajoute-t-il, « il devra maintenir ma recherche avec les autorités et l'hôpital ». Non, ne me cherchez pas. Je tire sur une mèche de cheveux, réponds puis retourne dans « ma chambre ». Je m'assieds dans un coin, contre un mur, et plaque mes ongles contre le papier. Je gratte nerveusement, fixant le plafond. Plus fort, plus fort et finalement, je me contente d'enfoncer mes ongles dans mon bras. Pourquoi faut-il que tout soit changé ? Je respire mal. Je secoue la tête. « Ils préparent les contentions... » me souffle la petite voix à côté de moi. Non, silence ! Il ne ment pas, pourquoi mentirait-il ?

En début de soirée, je rédige un mot pour M. Drake. Mon écriture n'est pas très harmonieuse, hormis sur les majuscules où je m'applique particulièrement. Je lui note juste « un oncle souhaite me voir, je me rends en ville mais je rentrerai ce soir. Merci » Bon. Il n'y aura qu'une majuscule sur laquelle m'appliquer finalement. J'ai ajouté le dernier mot, mais ce n'est pas une formule de politesse. C'est un vrai merci, pour tout. En sortant, je ne prends qu'un peu d'argent pour un bus. Mon voisin de chambre m'aperçoit, me demande si je sors. Oh non, une confrontation verbale ! Je baisse le regard : « Ou... oui je, je, je.... v... vais voi... voi... voir qu... qu... qu... » « Quelqu'un ? » demande-t-il avec empressement, comme pour me soulager de ce mot trop lourd pour moi. Je hoche de la tête et essaie d'ajouter, maudissant chacun de ces mots trop long : « J... je rentre ce... ce ce ce ce » Je me tapote la tempe. Allez, calme-toi, tu vois bien qu'il attend. « ce... soir par laaa-a li... ligne quatre ! » Elle ne s'arrête forcément pas aux portes de l'Institut mais elle est la moins loin et je pourrai marcher. Je marche tout le temps. Finalement, au prix d'incommensurables efforts, mon voisin de chambre – qui apparemment s'appelle Jamie – me propose de me déposer près de Central Park et de m'y reprendre ce soir, dans deux heures. J'accepte, ça me coûte une mèche de cheveux et une morsure que je m'inflige à peine descendu de voiture. Je fais quelques, tombe sur cet homme au regard froid. Il me songe du regard, j'ai horreur de ça, je fuis ses yeux. Nous avons à peine échangé quelques mots que je ne me sens pas bien. Je n'arrive pas à parler en sa présence, il m'interrompt et soudain, il me saisit par le bras. Je me dégage brutalement, le visage orienté vers le sol. Je fais un pas en arrière et lui crie « Il ne ne ne ne ! Laisse ! Laisse ! Ne pas ! Non ! Non ! Non ! Il ! Non ! » Je saisis ma tête entre mes mains puis essaie d'orienter mon visage vers le sien pour qu'il comprenne que je m'adresse à lui : « Je je je je... je ! S... suis... bi... bi... bi... bi... » Je cale une main sur ma cage thoracique, l'autre sur mon menton : « bien oùùùù j... je suis ! Laisse laisse laisse ! »

Je fais demi-tour, enfonce ma tête entre mes mains. Je l'entends, de loin, de dire qu'on devra avoir cette discussion : « D'accord, reste où tu es pour l'instant, mais on devra parler ! » Sa voix s'efface derrière moi. Je gratte mon bras, manquerait de me prendre un arbre au moment où je traverse Central Park. Il ne me reste plus qu'à attendre le retour de... qui déjà ? Ah oui, Jamie. Je m'assieds sur un banc, me lève, me rassied, nerveusement. Je me remets debout d'un bond, me mets à marcher. « Tout change... tout s'écroule. » « N... non... C'est... c'est... » Je m'assieds à même le sol, plonge à nouveau mon visage entre mes mains. J'ai besoin de disparaître quelques instants, souffler, faire un point, oublier le contact de ses doigts serrés sur mon bras... Je ne sais pas si je me suis beaucoup éloigné. Il a disparu, sa voix aussi. Je me remets debout, avance mes bras dans le vide, fais tourner doucement mes mains... marionnettiste privé de marionnettes... je regarde le bout de mon index rongé il y a trois jours, la récente trace de morsure... je la regarde avec patience, m'oublie un peu dedans...
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Finn Fawley
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La colère et la frustration qui l’avaient inondé lorsqu’il avait été confronté à l’évidente nécessité de garder sa double identité secrète avaient été suffisantes pour que Cletus décide de se tenir à carreaux pendant un moment. L’idée en elle-même semblait assez simple, en théorie, mais Cletus n’était pas de ce genre-là, il n’était pas calme, pas plus qu’il n’était patient ou même raisonnable lorsqu’il s’agissait des excès de son amusement. Toujours animé par le désir, et le plaisir qu’il en tirait, de commettre de plus en plus d’horreurs, simplement parce que ça l’amusait et le faisait rire il avait eu du mal à se retenir et ne pas obéir à ses pulsions ; si bien qu’il avait craqué à plusieurs reprises avant de finalement se décider véritablement et s’imposer de ne plus rien faire pendant les prochains jours, l’envie était difficile à combattre, comme un drogué en manque de sa dose, comme si ça lui importait tellement qu’il ne pouvait plus s’en passer, comme si ôter la vie était la chose la plus importante qu’il pouvait et devait faire de ses journées. Carnage, elle, se fichait éperdument de cette décision et essayait de l’y forcer, elle lui hurlait à l’esprit de se laisser aller, d’agir plutôt que de simplement rester là, immobile, dans l’appartement dans lequel ils avaient élus domiciles après en avoir tué le propriétaire. Il y avait même encore de son sang qui tâchait les murs de la chambre, et Cletus y trouvait une beauté fantomatique et étrange, une sorte de mosaïque chaotique qu’il adorait regarder et se répéter qu’elle était magnifique. Il y avait comme quelque chose d’intime et de sentimental à propos de cet endroit, ça avait été le tout premier meurtre qu’il avait commis avec elle, avec Carnage. Lorsqu’ils n’étaient plus qu’un, et d’une certaine façon, cet endroit lui tenait à cœur. Il s’était débrouillé pour que ça lui revienne, autant symboliquement que réellement, il s’était débrouillé avec quelques types pour faire en sorte de manipuler tout ce qu’il y avait autour de ces idioties administratives et d’un coup d’un seul, l’endroit était devenu le sien depuis ses dix-huit ans, et personne n’y verrait à redire. Et puis tout le monde s’en fichait, au final. Tout ça simplement parce que Cletus s’était attaché à l’endroit comme il s’était attaché à son ours en peluche. Et c’était la seule raison qui l’avait poussé à ne pas bouger, son premier meurtre avec Carnage. Et là-bas, Cletus et le symbiote attendaient, ils patientaient, ils débattaient intérieurement l’un avec l’autre. Des heures entières, parfois même des journées entières, comme s’il y avait un moyen qu’ils atteignent une conclusion avec laquelle ils seraient tous les deux d’accord, un compromis qui leur plairait à tous les deux. Et d’un œil extérieur, on aurait vu Cletus tourner en rond dans l’appartement et se parler à lui-même, adoptant une voix plus aigüe, plus stridente et plus cinglante lorsqu’il devenait Carnage et se répondait.

Autour de lui, les tentacules terrifiants et animés de Carnage pendant qu’il faisait les cents pas, ils s’agitaient et remuaient dans un rythme irrégulier et violent, s’agrippant autour de lui, contre lui, sur lui ; comme les pattes d’une araignée ils suivaient le rythme des jambes de Cletus et s’immobilisaient en même temps que lui, jusqu’à ce que le meurtrier s’immobilise à son tour et tourne la tête pour observer de nouveau la fresque chaotique de sang séchée. Se léchant les lèvres en silence, les sourcils froncés et les yeux couverts de lourds cernes, parce qu’il ne dormait pas, il ne dormait plus. Plus autant que depuis que Carnage était avec lui, comme s’il n’en avait plus besoin, et les rares fois où il tombait et s’endormait c’était plus proche de l’évanouissement causé par l’épuisement, il ignorait tout de ce qui se tramait véritablement en lui et n’en avait pas vraiment quelque chose à faire, tout ce qui comptait, c’était que Carnage soit là pour lui, avec lui, à son service autant qu’il était au sien. Parfois, sans qu’il ne s’en soit rendu compte à cause du manque de sommeil, Cletus se retrouvait avec du sang qui dégoulinait de ses lèvres, et la seule fois où il avait pensé à demander au symbiote ce qu’il se passait, elle lui avait dit que c’était ordinaire, que ça venait de leur union, qu’il n’avait pas à s’inquiéter et que ça n’était pas grave. Et bêtement autant que naïvement et par manque d’intérêt, il l’écouta et décida de ne pas plus s’en occuper que ça, puisque de toute façon s’il se passait quelque chose de plus grave, elle serait là pour l’en guérir comme elle le faisait à chaque fois. Et alors qu’il retrouvait son calme après la longue discussion avec le symbiote, Cletus quitta du regard la fresque chaotique et tourna les talons pour lentement sortir de chez lui. Ils en avaient convenus qu’attendre ne servait à rien et que se retenir ne ferait que les forcer à commettre un jour une erreur à force d’avoir perdu la main au bout de tant de temps d’attente, alors plutôt que de rester caché chez eux, ils se décidèrent à sortir et traversèrent la ville de cette habituelle façon toujours aussi silencieuse et lugubre, recouverte de mauvaises intentions que personne n’était capable de déceler en lui.

Cletus n’avait pas cet air inquiétant qu’on aurait pu imaginer sur le visage d’un tueur en série, il n’avait pas l’air froid et distant et capable de sauter sur le premier venu, du moins pas lorsqu’il n’en avait pas envie, il avait appris à se cacher, à dissimuler ses intentions et à tout simplement avoir l’air d’un type ordinaire qu’on perdait du regard dans une foule. Il était discret, il était méticuleux, passionné par sa motivation et même probablement inarrêtable dans ses actions une fois qu’il était en marche et déterminé. Et c’était le cas. Vadrouillant, traversant les rues et les quartiers, à la recherche de la victime parfaite, à la recherche de la cible idéale. Quelqu’un sur qui passer sa frustration, quelqu’un avec qui il s’amuserait, quelqu’un qui risquerait bien de ne pas en ressortir vivant. Et sans trop s’en rendre compte, Cletus avait déjà traversé une grande partie de la ville et n’avait trouvé personne qui suscitait suffisamment son intérêt pour le moment. Ses envies et ses désirs de victimes variaient souvent, et même s’il n’avait pas vraiment de modus operandi, il y avait quelque chose d’intrigant et d’amusant dans l’idée de ne pas choisir au hasard, quelque chose de sans doute plus galvanisant que s’il laissait simplement le hasard décider pour eux. Cependant, à mesure qu’il traversait la rue dans laquelle il était tombé, Cletus ne put s’empêcher de regarder avec un peu plus d’attention les passants qu’il croisait. Jusqu’à ce que son regard se fixe sur une silhouette fébrile et minuscule, recroquevillée sur elle-même, faible et l’air perdue. Un sourire carnassier se dessinant lentement au travers de ses lèvres, les yeux toujours plantés sur le désigné victime, Carnage sifflait d’envie dans sa tête, si fort qu’il avait presque l’impression qu’elle lui parlait directement, comme si elle était là, à côté de lui. Et sans trop qu’il ne comprenne pourquoi ou comment exactement, Cletus savait que ce pauvre adolescent serait parfait pour s’amuser un peu, et de cette innocence qui transparaissait hors de lui, il savait qu’il prendrait énormément de plaisir à le briser et le déformer, à le tordre de douleur et lui découvrir les extrêmes confins de ses vices. Cletus allait s’amuser, et se faisant, il disparut soudainement pour ressurgir de nulle part, sous les traits de Carnage, derrière le garçon, et plaqua une main contre sa bouche, aux griffes si larges qu’elles faisaient presque le tour de sa tête. Il appuya ensuite son crâne rougeâtre et monstrueux contre lui, et susurra d’une voix mielleuse « Shhht, on va s’occuper de toi. » avant de faire glisser sa langue gigantesque contre le côté du visage de l’adolescent, achevant d’un rire machiavélique et tonitruant d’un écho terrible.
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Ce n'est pas de la douleur, c'est un soulagement. Ce n'est pas de la douleur, c'est un exutoire. Ils ne comprennent pas que ce n'est pas pour avoir mal, c'est déplacer les troubles au bout de mes doigts. Parfois, je m'échappe de ce corps étranger, je le laisse avec ses voix et moi je m'isole, je m'isole au bout de mes doigts. Je suis désolé, il est mort. Qu'est-ce que ça veut dire ? Je regarde autour de moi, je rentre doucement dans mon corps, je regarde mes doigts, je regarde cette main qui a frappé le marbre mais il n'est pas sorti de sa cachette. Papa est mort, qu'est-ce que ça peut vouloir dire concrètement ? Il pourra revenir quand il le souhaite. Rien n'est définitif, tout se soigne. J'ai passé ma main sur sa stèle, je sais bien qu'il n'y est pas, il va revenir. Un matin, c'est lui qui passera la tête dans l'embrasure de la porte, il aura cette expression indescriptible... ce sourire qu'il arbore avant de montrer des signes d'agacement, avant de me dire que tout va bien. La complaisance dans ses mensonges qui ne l'aideront pas.

Ce n'est pas de la douleur, c'est un soulagement. C'est emprunter une voie sans issue et y demeurer aussi longtemps que nécessaire, avant de revenir parmi les autres. Ce n'est pas le sommeil, simplement une pause dans l'existence. Il dit que tout chance, il dit que tout s'effondre, je ne veux pas y croire. C'est comme si le passé était perpétuellement changé, que l'avenir se transformait sous mes yeux et affectait tout le temps sauf moi. Je resterais au milieu de cette terre brûlée sans savoir ce que je suis censé y faire. Alors il est normal que je cherche simplement à ancrer mes pieds dans le sol, à ne plus bouger. Ou à fuir continuellement. Je ne veux pas rester sous la coupe d'une aiguille et d'une sangle. Bien sur, j'ai pensé à des tas de choses, j'ai pensé que je pourrais m'assumer. Je sais compter de l'argent, je sais faire des courses, je sais même faire quelques plats quand je ne suis pas dérangé et distrait. Mais quand j'ai réalisé qu'il faudrait expliquer « les yeux dans les yeux » à d'autres personnes, avec un trouble du langage plutôt marqué, et quelques absences, que je peux m'assumer, ce serait plus difficile. Tu ne peux pas. Mais si, je le peux. C'est juste que je ne suis pas préparé à toutes les réactions humaines, celles qui ne se prévoient pas, celles qui ne se justifient pas, celles qu'ils ne contrôlent pas. Je voudrais que tout soit aussi simple pour eux que pour moi, tout le temps. Sans se dissimuler derrière un rôle, derrière une arme, derrière de l'alcool, derrière des mensonges.

Ce n'est pas de la douleur, c'est un soulagement. Pourquoi faut-il qu'is entrent tous en contact avec ce corps trop petit pour toutes les voix qu'il y a dedans. Quand je me tape la tempe, j'arrive à les canaliser, à les endormir. Mais pourquoi mes intrusions me bouleversent moins que les leurs ? Je n'ai plus qu'à attendre, je veux retourner entre ces quatre murs que j'ai détaillés avec minutie pendant ces quelques jours, je veux implorer M. Drake de me laisser rester là-bas, parmi toutes ces personnes tout aussi spéciales que lui. Je ne sais pas ce que je pourrai leur apporter, mais j'ai simplement envie d'être là, et de pouvoir, moi, prendre toute la place dans mon corps. Le soleil qui va se coucher fait un dégradé de couleur chaud et délicat au-dessus de Central Park. Le nombre de promeneurs s'est amoindri, je suis assis par terre, je commence à reprendre contact avec mon environnement. Je glisse le bout de mes doigts sur le sol moite. Les derniers rayons d'un soleil à demi-assoupi me livrent soudain une ombre. Une ombre qui ne correspond pas à la mienne mais la couvre. Une ombre trop grande. Une ombre brusque. Le fait que je n'ai pas entendu les pas ne m'étonnent pas plus que ça, je ne suis parfois pas attentif aux bruits, aux voix. Mais elle est arrivée si soudainement.

Intérieurement, je me dis que ce n'est sans doute pas une ombre. Sa forme inhabituelle me fait penser qu'elle n'existe sans doute même pas. Est-ce vous ? Vous qui n'avez aucun nom, vous qui débarquez sans prévenir, sans demander, pour déverser vos angoisses et vos mensonges ? Est-ce vous qui voulez me faire ressentir que je ne saurais pas être seul ? Depuis ce matin, elles n'étaient pas, j'organisais bien mes pensés et maintenant, je me dis qu'elles ne veulent pas que je reprenne contact avec le réel. Je fais pour me redresser, posant le bout de mes doigts sur la terre quand quelque chose vient me couvrir partiellement le visage. Instinctivement, j'essaie de me dégager en jetant mon corps vers l'avant mais la prise sur mon menton, sur ma bouche est trop forte. Mes mains viennent toucher cette chose... qui n'a rien d'une autre main d'ailleurs. Mes doigts s'enroulent maladroitement d'objets que je n'arrive pas à identifier. Mon cœur rate un battement, parce que je n'arrive pas à me dégager de ce contact. Parce que mes pieds fouillent le sol à la recherche d'une prise pour que je puisse me dégager. Les ombres des formes alentours semblent me regarder, navrées... « Ce n'est pas nous, Sterling. » Les yeux s'écarquillent. Les ombres repartent sur les objets, navrées. Navrées. Pas nous. Navrées. Pas nous. Mon regard rencontre mon ombre, qui se confond avec celle de celui qui se trouve derrière moi. Quelque chose vient s'appuyer contre mon crâne. Mes doigts tirent, nerveusement, sans parvenir à dégager cette main gigantesque de mon visage. Mes ongles cherchent la chair. Mes coudes cherchent des côtes. Mon cou se plie vers l'arrière. Arrête, calme-toi, cœur. Ce n'est pas eux. Si ce n'est pas eux, les monstres n'existent pas. Les extraterrestres sont partis. Ironman les a vaincus, tu le sais. Calme-toi, cœur ! Je me sens dépossédé de mon cœur, chaque muscle en moi essaie de se connecter aux autres pour s'extraire de cette immense poigne. « Shhht, on va s’occuper de toi. » Un son. Un écho. Un râle venu d'un cauchemar. Mon corps s'immobilise un instant. S'occuper de toi. Ils auraient pu dire cela. Mes bras ne sentent rien, pas d'aiguille, ça devrait me rassurer. Mais qu'est-ce que c'est ? Je laisse échapper un long gémissement au moment où je sens quelque chose sur la joue. Quelque chose de chaud, de mouillé. Ça y est, j'ai envie de m'arracher la peau. Mes bras se tordent vers l'arrière, essayant d'attraper je ne sais quoi. Mes genoux se plient. Mes oreilles n'en peuvent plus, elles me disent, tu entends ? Non, je n'ai pas envie d'entendre ça... ça n'existe pas. J'ai envie de croire que c'est uniquement dans ma tête mais ce n'est pas apparence. Ça ne ressemble à rien de ce qui je connais ! Ma mâchoire se serre, se serre douloureusement, mon cœur va s'arracher, déchirer tout sur son passage et je vais le vomir ici, maintenant. Le combat est vain. Mais la sensation de cette... langue ? sur ma joue me rend malade, j'ai envie de frotter, juste frotter, juste frotter jusqu'à me débarrasser de cette sensation. Laisse-moi ! Je t'en prie, laisse-moi maintenant, laisse-moi seul avec moi-même, laisse-moi avec mon délire, laisse-moi me débarrasser de cette sensation, laisse-moi chasser ta voix de ma tête ! Laisse-moi tout de suite, pitié lâche-moi !
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Le sourire carnassier de la créature qu’était devenu Cletus se fit encore plus large lorsque leur nouvelle victime adolescente commença à tenter de leur résister. Il était si innocent, et visiblement si fragile et serait si amusant à déformer par le vice que Cletus se sentait encore plus galvanisé et excité à l’idée de lui faire du mal – peut-être même un peu trop. Au contact de sa longue langue contre la joue du garçon, Carnage remarqua son dégoût, son envie de fuir et sa terreur, ce qui le poussa à se montrer encore plus possessif avec lui, après tout il venait de le marquer avec sa propre salive, l’adolescent était à lui maintenant. Frottant lentement son crâne contre la tête du garçon, crâne qui n’était pas solide et qui laissait quelques résidus rouges et gluants contre les cheveux du jeune homme, Cletus poussa un soupir qui lui donnait presque l’air d’être déjà épris de lui, comme s’ils étaient amoureux. Et tandis que le garçon essayait de saisir derrière lui le corps de Carnage de ses bras frêle, une paire de longues tentacules toutes aussi gluantes vinrent s’enrouler autour de ses poignets pour les plaquer violemment contre son dos, lui faisant au passage, bien évidemment, mal. « C’est moi qui câline, mon chéri. » souffla-t-il dans un autre râle, contre son oreille, avant d’y laisser glisser sa longue langue disproportionnée pour lui caresser la chair une nouvelle fois. Sa peau si douce et si juvénile avait un goût particulier que Carnage aimait déjà, une tendresse relative à sa jeunesse, un parfum différent de celui des autres hommes qu’il avait déjà tués, différent de celui des femmes qu’il avait toutes autant déchirées. Celui-ci était différent, il était plus doux, plus lisse, plus jeune et plus particulier. Laissant même échapper un rapide soupir presque synonyme de plaisir alors qu’il retirait lentement sa langue de contre l’oreille du jeune garçon, Cletus se mit à rire une nouvelle fois et laissa échapper quelques mots ; « T’as meilleur goût que la plupart des New-Yorkais. » Et décolla lentement sa tête de la sienne, malgré quelques mèches de cheveux encore agrippés à la substance gluante qui recouvrait son crâne – comme le reste de son corps tout entier.

Cletus trouvait la situation terriblement amusante, il y avait comme quelque chose avec ce garçon qui l’attirait, cette facilité à contrôler ce qu’il se passait sans doute ; ça n’était pas ordinaire, c’était différente de ce qu’il se passait en général quand il devait s’amuser avec quelqu’un d’autre, et parce que c’était loin d’être une situation ordinaire, pour le peu de ce que pouvaient avoir d’ordinaire ses autres moments de joie et d’amusement avec le Symbiote et une pauvre victime, Cletus commençait à se dire qu’il allait devoir faire autre chose que simplement le tuer et mettre en scène sa mort ; non, ce petit était différent, il était spécial – et visiblement de nombreuses façons, et Cletus avait besoin de lui faire honneur à travers cette situation relativement hors du commun. Fermant sa gueule gigantesque pour la reposer calmement contre l’épaule de sa victime terrorisée, Carnage lui passa sa main libre dans les cheveux, caressant de ses longs et fins doigts crochus difformes, et disproportionnés eux aussi, son cuir chevelu et s’engouffrant lentement entre chaque mèches, s’arrêtant parfois pour lui caresser tendrement le haut du crâne et ensuite y aller plus violemment, tirant nonchalamment dessus, mais pas assez fort pour les lui arracher d’un coup sec, quand bien même il aurait pu le faire. Et d’ailleurs, s’il l’avait fait, il aurait sans doute arraché de la peau avec, tant le Symbiote augmentait les caractéristiques de l’humain qui lui servait d’hôte. Et c’était donc dans un élan de douceur plus ou moins faux que Cletus ne faisait que simplement caresser le crâne et les cheveux du garçon, faisant glisser une mèche contre la paume collante et gluante de sa main Cletus se pencha et renifla longuement le parfum des cheveux de l’adolescent, laissant échapper un petit rire amusé. « J’ai oublié de te demander comment tu t’appelles, c’est un très mauvais premier rendez-vous ça. » ajoutait-il en lui faisant tourner la tête pour qu’il le regarde dans ses gigantesques orbites blancs. Son sourire déformé et beaucoup trop grand reprenant vite forme.

Mais prenant tout à coup un air désolé, comme s’il riait de sa propre idiotie, Cletus pointa d’un doigt son autre main, toujours plaqué autour de la bouche de l’adolescent et ajouta dans sa voix toujours si terrifiante et cauchemardesque « Ohh, que je suis bête, je t’empêche de parler c’est ça ? » avait-il ajouté en retirant très lentement sa main qui semblait s’être collée contre la peau de la victime, tant qu’elle ne se retira pas totalement et qu’il resta une portion rouge, et puant le sang, plaquée contre les lèves du garçon. Un autre rire amusé et à l’écho cauchemardesque s’échappa du symbiote qui se tordait de rire et fit un bond pour s’asseoir en face de l’adolescent, les tentacules rouges qui lui plaquaient les bras dans le dos se scindant de son corps pour rester accrochée là, le gardant immobile et muet. Agenouillé en face de lui, Cletus posa ses larges griffes sur les genoux du garçon et inclina la tête sur le côté, faisant une nouvelle fois une moue attristée alors qu’il regardait le garçon de bas en haut, ses doigts lui caressant le pantalon lentement et d’une façon qui laissait présager qu’ils pouvaient à tout moment se planter dans sa chair, mais Carnage ne le fit pas et se redressa en silence avant de l’attraper par le col et de le forcer contre lui dans une embrassade maladroite, simplement pour l’envelopper d’un peu plus de tentacules et de filaments rouge sang. « Tu sais ce que j’aime à propos des gens comme toi ? Qu’ils soient des hommes ou des femmes, à tout moment ils vont se mettre à hurler, mais ça on le sait déjà, et si tu pouvais tu serais déjà en train de le faire, pas vrai ? » lui susurra Carnage en soulevant un bras duquel il projeta de ses cinq doigts de larges toiles rouges et se souleva en l’air d’un bond, fendant l’air dans un sifflement rapide et se retrouvant avec sa victime au sommet d’un toit. « Ce que j’aime à propos des gens comme toi, c’est que malgré tout ce qu’il va se passer, malgré tout ce que je vais te faire — et ohhh, je vais te faire tellement de choses ; malgré tout ce qui va t’arriver, comme les autres à un moment donné tu vas essayer de résister. Tu vas essayer d’être plus fort que ce que tu es vraiment, et tu vas essayer de fuir. Tu vas essayer de me battre à mon propre jeu. Alors je vais te dire quelque chose, ne te retiens pas. Fais-toi plaisir, frappe-moi aussi fort que tu veux. Frappe-moi aussi fort que tu n’as jamais frappé. Je veux voir jusqu’où tu es capable d’aller. Je veux que tu puisses réaliser à quel point tu es un monstre avant que je te tue. » Concluait-il dramatiquement en le faisant se retourner dans l’espèce de cocon qu’ils formaient, le forçant à regarder droit devant, dos à Carnage, et sautant du haut du gratte-ciel pour ne finalement les empêcher de s’écraser qu’à la dernière minute, pour ensuite se balancer au bout d’une autre toile rouge jusqu’à ce qu’ils ne traversent une bonne partie du quartier et se retrouvent derrière un immeuble, dans une ruelle, et que Cletus l’emmène avec lui à l’intérieur d’une cave.
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Je n'attrape rien. Rien. Rien. C'est le mot qui commence à s'ancrer dans ma tête. Rien. Je ne vois rien de ce qui peut se trouver derrière moi. Rien. Quand je passe les doigts sur mon propre corps, je me le réapproprie, il est à moi. Maintenant, plus rien n'est à moi. Comment on peut oser passer une langue sur ma joue ? Pourquoi passer une langue sur ma joue ? Ça me rend malade, il n'y a plus que ça. Du moins c'est ce que je pense jusqu'à ce qu'une forme bizarre vienne se coller contre mon crâne. Mon cou se tord, autant que je le peux, pour essayer de m'éloigner de cette sensation lourde sur mes cheveux. Je secoue ma tête, à gauche, à droite, en avant, en arrière. Mais qu'est-ce qu'il est ? J'avale péniblement ma salive, sent mon cœur qui se met à battre dans mes tempes. Puis seulement maintenant, mon regard fouille les environs, ceux qui ne sont pas encore dévorés par le jour qui décline et le soir qui s'installe. J'aperçois de vagues formes au loin. Mais j'ai peur, trop peur pour pouvoir produire le moindre son dans leur direction. Il y a cette matière lourde dans mes cheveux, cette chaleur moite sur ma joue, que je n'arrive pas à faire quoique ce soit d'autre que m'en défaire. Les sons ne m'arrivent pas tous, il n'y a que les contacts qui m'obnubilent. Et la taille de cette immense main.

Quand je sens mes poignets être ramenés vers l'arrière, ce qui me reste de bon sens prend la fuite. Une main. Deux mains. Trois mains. Mes bras se tordent, j'étouffe un râle de douleur, je sens mon corps raide, trop raide pour se plier ainsi maintenant. Une main. Deux mains. Trois mains. Impossible. « C’est moi qui câline, mon chéri. » D'ailleurs, je ne comprends même plus quand il s'adresse à moi. Sa voix fait un écho que je n'assimile pas, ou plutôt qui reste attaché à moi et efface tout. Même mes voix à moi je ne les entends pas, et pourtant je voudrais qu'elles soient là. Plus que tout, je voudrais qu'elles soient là. Je voudrais que ce soient elles qui couvrent le reste, avec leurs gémissements, leurs chuchotis indescriptibles, leur maladresse habituelle... Je voudrais qu'elles se mettent toutes à parler, toutes celles que j'ai déjà vues et que je verrai un jour.

Quand je sens à nouveau cette langue sur moi, je sens mon corps frémir. Mes mouvements restent entravés par toutes ces mains. Mes bras se tordent. Je n'y arriverai pas comme ça. Il n'a pas d'odeur sinon celle du sang. Mais c'est quelque chose d'autre. C'est différent. Il n'est pas blessé et je n'ose pas imaginer que ce soit celui de quelqu'un d'autre. De quelle odeur sera le mien, une fois sur sa peau ? Je produis un bruit, qui vient de ma gorge, juste sentir mes cordes vocales vibrer, juste ça. Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois. Juste produire ce bruit par intermittences régulières, comme si je comptais. Hum. Hum. Je ferme les yeux, ma tête bascule vers l'avant, repart doucement en arrière. Ne pas écouter. Meilleur goût. Trembler. Meilleur goût. Trois mains.

Ouvrir les yeux. Vouloir dégager sa tête. Sentir les doigts sur son crâne. Avoir la nausée. Sentir qu'on lui tire les cheveux. Râler sans mots. J'ai du mal à trouver une solution qui me calme. Je n'arrive pas à m'extraire de la situation, à trouver de quoi faire le vide complet. C'est trop difficile. Je l'entends inspirer profondément par le nez. Lui aussi s'interroge sur les parfums, les odeurs, est-ce que lui aussi décrypte le monde avec ces petits signes ? Qu'est-ce que je suis alors pour lui ? Finalement, moi qui nous considère tous comme de simples luminaires, je me dis qu'il doit avoir la même vision du monde : remplie d'objets qui sont crées, cassés, parfois réparés et qui sont jetés. Mais je ne casse pas les objets, je les regarde, je les touche, je les observe, je les sens. Sous toutes les coutures, de toutes manières possibles. Je n'ai pas l'aspiration d'intervenir... Lui intervient, il détruit toutes les barrières qui me protègent, et qui m'empêchent de perdre pied. Avec lui contre moi, c'est une noyade. Une lente et pénible noyade. Je prends une goulée d'air pour en perdre deux quand il touche, quand il parle.

« J’ai oublié de te demander comment tu t’appelles, c’est un très mauvais premier rendez-vous ça. » Premier rendez-v... Rien. Rien. J'ouvre d'énormes yeux en le découvrant. Mon coeur rate un battement, je n'en ai jamais vu comme ça. Il est le cauchemar. Il est les monstres sous le lit. Il est tout ce qui m'a cloîtré chez moi des années durant. Il est le mauvais rêve... Je le détaille en évitant ses énormes yeux dont j'ai peur qu'ils me scrutent, me percent à jour, ouvrent les fenêtres de mon âme et dévastent tout là-dedans. Parce que c'est ce qu'il veut, dévaster. Tout dévaster. Sa bouche. Sa peau. Le cauchemar qui pénètre insidieusement dans le réel. Je voudrais que M. Drake soit là, et qu'il me dise qu'il n'est pas réel, qu'il est dans ma tête. Mais j'ai cette matière infâme dans les cheveux, encore la sensation de son toucher... « Ohh, que je suis bête, je t’empêche de parler c’est ça ? » Et sa main se retire de ma bouche, comme un adhésif puant. Je voudrais ouvrir grand la bouche, essayer de capter l'air qui nous entoure mais je sais que je n'arriverais pas à produire le moindre son. Même des phrases habituelles semées de bégaiements me semblent être une douce utopie égarée... Il dit... mes doigts s'agitent à chaque écho de sa voix. Il est dans ta tête, juste là-dedans. Il rit. J'essaie d'écarter mes poignets, je n'y arrive pas. Ce ne sont pas ses mains... Je ne comprends pas ce qu'il est, ce qu'il fait...

Mes yeux suivent ses mouvements. Je me sens à la fois paralysé par la peur et terriblement intrigué. Je ne comprends pas ce qu'il peut vouloir. Parce que tout ce qui motive les hommes, ce sont les vœux. Richesse, bonheur, réussite, gratitude, bonne conscience, sens du devoir... Ils ont tous des buts, pas lui ? Que voudrait-il que je pourrais donner ? Rien. « Tu sais ce que j’aime à propos des gens comme toi ? Qu’ils soient des hommes ou des femmes, à tout moment ils vont se mettre à hurler, mais ça on le sait déjà, et si tu pouvais tu serais déjà en train de le faire, pas vrai ? » Je voudrais écarter mon visage. Je regarde en l'air, j'essaie de trouver une étoile, une feuille, un lampadaire sur lequel poser toute mon attention. Ce sera une feuille. Oui je voudrais hurler. Ça n'engage qu'une syllabe et ça ne demande aucun effort syntaxique. Juste vider ses poumons, jeter au loin l'angoisse avec le son. Je pourrais faire crier mes ombres mais qui les entendrait ? Il n'y a personne aux alentours, personne à qui envoyer cette vision-là. Feuille. Feuille. Les gens comme moi ? Que veut dire « les gens comme moi » ? Mon oncle disait, enfant, que je n'avais pas la lumière à tous les étages. Cette métaphore me faisait penser à un frigo, je ne comprenais pas bien ce qu'elle voulait vraiment dire. Ma mère disait que j'étais son mystère, parfois. Est-ce de ces gens-là qu'ils parlent ? Ou est-ce des roux ? Les mutants ? Ceux qui attendent des voitures au bord de Central Park ? Qui ? Je me sens idiot de vouloir lui poser la question... Il lève son bras, je suis son mouvement des yeux et la seconde d'après, je les ferme. J'ai osé avoir peur de l'avion, et maintenant... Je voudrais me retrouver en bas. Je regarde autour de moi. Ce n'est pas une illusion, ce n'est pas un rêve. C'est le monstre. « Ce que j’aime à propos des gens comme toi, c’est que malgré tout ce qu’il va se passer, malgré tout ce que je vais te faire — et ohhh, je vais te faire tellement de choses ; malgré tout ce qui va t’arriver, comme les autres à un moment donné tu vas essayer de résister. Tu vas essayer d’être plus fort que ce que tu es vraiment, et tu vas essayer de fuir. Tu vas essayer de me battre à mon propre jeu. Alors je vais te dire quelque chose, ne te retiens pas. Fais-toi plaisir, frappe-moi aussi fort que tu veux. Frappe-moi aussi fort que tu n’as jamais frappé. Je veux voir jusqu’où tu es capable d’aller. Je veux que tu puisses réaliser à quel point tu es un monstre avant que je te tue. » Me faire ? Me faire quoi ? Me faire ? J'essaie une dernière fois de me défaire de l'emprise de ce qui me tient les mains, je pourrais me déboîter les poignets, je pourrais les arracher si c'était nécessaire. À un moment donné, je vais essayer de résister. Ces mots m'envoient des images de livres d'histoire mais ne me ramènent à aucun souvenir à moi. Je fronce les sourcils en regardant vers sa bouche. Essayer d'être plus fort que ce que je suis. Chaque fois, je fournis une multitude d'efforts pour ne serait-ce qu'établir un contact avec cette masse effrayante qu'est « les autres ». Je ne sais pas ce que je devrais faire. Je ne veux pas de ce jeu. Je ne suis pas les monstres. Ce n'est pas moi, vous faites erreur. Je ne suis pas les monstres, ils sont simplement là-dedans mais nous ne sommes pas les monstres. Et c'est là que les derniers mots font tilt dans ma tête. Avant que je te tue ? Me tuer moi ? Mais pourquoi ?

Et nous voici projetés dans le vide. Je ferme les yeux, j'imagine que cet instant, c'est sans doute maintenant. Mon cœur s'arrête dans ma poitrine, suspend son souffle quand je suis rattrapé. Comme un boite qu'on secoue, tout ce qu'il y a en moi se tasse. Tout ce qui se trouve dans ma tête. Je garde les yeux fermés, imagine que je suis allongé sur mon lit. Il n'y a personne autour de moi. Je suis seul. Je suis sans doute malade. Une fièvre délirante. Je suis seul. Il n'y a personne. Personne, plus personne. L'obscurité mange les détails quand nous sommes à nouveau au sol. Enfin. Mes jambes manquent de se dérober sous mon poids plusieurs fois. Quand nous semblons « arrivés », je regarde autour de moi. Il faut que j'arrête ça avant que je ne puisse plus sortir d'ici. Je tourne le visage sur le côté. Une dame portant une robe déchirée par endroits me regarde avec surprise « Moi ? » Oui, s'il te plaît, vas-y. Parle pour moi, dis-lui qu'il se trompe, dis-le lui... La femme, quarantaine tassée porte un chignon blond parfaitement tendue. Des tâches d'ombre couvrent une partie de son menton et elle est pieds nus, de petites tâches de sang dessinées sur ses pieds. Je la fais apparaître pour la créature, il doit savoir... Elle se place sur son côté, tend une main factice dans sa direction : « Arrête ! Ne fais pas ça ! Ne le fais pas. » Elle baisse le visage vers le sol. Elle est fausse, je ne vois pas à travers ses yeux, je me contente de la fixer pour pouvoir lui donner vie. « Que veux-tu de nous ? » Elle joint les mains devant elle.
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Toutes les petites réactions qui s’échappaient de sa victime n’avaient que pour effet de rendre l’attrait que Cletus avait pour lui bien plus important qu’il ne l’était déjà. L’innocence et la fragilité qui se dégageaient de lui étaient excitantes, tellement que Cletus aurait sans doute été capable de se contenter de lui comme victime pour les dix prochaines années et n’aurait jamais fini par s’ennuyer tellement il avait l’air d’être si malléable et destructible. Il est fragile, il est précieux et est comme ces œuvres d’art inestimables qu’on admire dans des musées, le genre de structure fragiles qu’on a peur de casser si on s’en approche trop, qu’on a peur d’abîmer si on y touche, mais Cletus, lui, a toujours eu envie de les pousser ces statues, de les griffer ces tableaux, il a toujours eu envie d’abîmer l’art et la beauté. Et avec lui, il pourra le faire. Il pourra prétendre qu’il est comme une Joconde et y planter ses griffes pour le déchirer petit à petit, qu’il est comme une Vénus de Milo à qui il cassera lentement les os de chaque bras et s’amusera à les arracher lentement et terriblement une fois qu’ils seront complètement ruinés. Penchant la tête un peu plus contre lui, l’observant en silence, son sourire difforme lui détruisant le visage dans une gigantesque fente, Carnage souriait à pleines dents en voyant les yeux de sa pauvre victime essayer de ne pas croiser le regard de ces orbites démesurées qui lui servaient d’yeux. La sensation d’avoir quelque chose d’aussi vulnérable entre ses mains était plus agréable que toutes les autres qu’il avait pu ressentir à détruire des vies et mutiler des corps hurlant de douleurs. Celui-ci était différent, il avait presque l’air d’être plus qu’un corps aux yeux de Cletus puis de Carnage, il avait l’air spécial, il était spécial. Et les petites choses inestimables de la sorte méritaient qu’on s’occupe d’elles de bien d’autres façons plutôt que de suivre l’habituel schéma complètement hasardeux que le symbiote et lui pouvaient suivre. Non, il fallait s’amuser avec celui-ci, voir ses limites, pousser au-delà et prendre le plus de plaisir qu’ils n’auraient jamais pris avec un autre.

Perdu dans sa contemplation de sa nouvelle victime, Carnage ne remarqua même pas qu’il essayait de se défaire de ses entraves qu’il essayait de le fuir, de partir, de hurler, de crier à l’aide. De faire tout ce que quelqu’un de censé aurait tenté de faire dans ce genre de situation, et c’aurait été mentir que d’admettre que s’il l’avait remarqué, Cletus se serait mis à rire un peu plus, il adorait les voir essayer de le fuir comme des poules qu’on venait de décapiter, il adorait leur courir après. Il adorait les attraper par les chevilles et les trainer vers lui lentement en s’abreuvant de leurs hurlements terrifiés, il adorait les entendre paniquer, être terrorisés. Le bruit d’une petite chose fragile qu’on détruisait lentement, et à petit feu, était quelque chose de galvanisant que Cletus ne pouvait pas s’empêcher de trouver délectable, et il savait que le garçon lui fournirait suffisamment de hurlements pour sustenter sa faim inaltérable de violence et de destruction. L’apercevant essayer de le fuir du regard à nouveau, de fixer en l’air et de sans doute essayer de se concentre sur autre chose, Cletus ne put s’empêcher de se redresser juste pour qu’il puisse l’apercevoir du coin de l’œil malgré tout, juste pour le forcer à se souvenir qu’il n’était pas libre, qu’il n’était pas tranquille, et que d’un moment à l’autre il allait lui sauter dessus et lui faire tant de mal qu’il ne l’oublierait jamais. Et après sa longue tirade sur les bienfaits de se lâcher, de devenir un monstre – ou de réaliser qu’on en avait toujours été un, Cletus pris un malin plaisir, qui n’avait pas la moindre réelle utilité, à dérober la pauvre victime du sol et à traverser les airs avec lui d’immeuble en immeuble. Simplement pour lui faire peur, et sans doute aussi pour le faire comprendre qu’il était avec une créature dont il ne devrait pas sous-estimer les compétences, une fois qu’il, et s’il, se déciderait à lui résister et à se battre pour sa survie.

Et les voilà qui se suspendaient dans les airs, qui se balançaient dans le vide, d’un immeuble à l’autre, comme si c’était normal, comme si ça n’avait rien de surprenant ; comme s’il l’avait déjà fait des dizaines et des dizaines de fois, Cletus avait l’air de savoir où il allait, il avait l’air de savoir ce qu’il faisait. Comme si, malgré le hasard évident de cette rencontre, tout avait été planifié à l’avance, comme s’il avait toujours eu en tête de poursuivre et de ravir ce garçon en particulier, et pas un autre. Comme si tout était toujours écrit et qu’on ne pouvait pas échapper à son destin, aussi funeste devait-il sans doute être. Carnage ne regardait pas sa victime, alors qu’ils traversaient le ciel, mais il sentait toutes ces petites choses, la peur, l’envie de ne pas regarder en bas, comme si le symbiote pouvait renifler tout ça. Et peut-être était-ce vraiment le cas, peut-être étaient-ils capables de déceler la peur, le chagrin, la fureur et l’envie, peut-être que toutes ces choses-là n’étaient rien que des odeurs aux yeux d’un fauve affamé comme Carnage. Comme Cletus, comme Eux. Ils étaient différents, ils étaient plus forts et plus indécents que le commun des mortels, et le Symbiote comme Cletus avaient toujours été attirés par la souffrance de l’être humain, la souffrance d’une espèce à laquelle Cletus appartenait pourtant. Il aurait dû savoir qu’il y avait quelque chose de mauvais et de malsain dans ses envies, dans ses plaisirs procurés par l’état de domination complète qu’il pouvait parfois atteindre lorsqu’il prenait contrôle de la vie comme de la mort de ces gens qu’il enlevait sans le moindre regret. Mais il était né indifférent à toutes ces choses, il ne savait ni ce qu’était le bien, ni ce qu’était le mal. Il était persuadé de travailler pour quelque chose de plus grand depuis qu’il avait ôté sa première vie, depuis qu’il avait enfin compris que l’univers était incomplet tant qu’on n’aurait pas semé le chaos. Il avait compris qu’il était celui dont c’était la mission. Peut-être était-il croyant, persuadé qu’il y avait là quelque part une entité suprême, supérieure, qui l’avait adoubé d’une telle mission. Il ne le savait même pas lui-même, mais il était sûr d’une chose, il réduirait le monde en cendres. Et ce garçon, comme les autres, allait en faire partie, de ces cendres.

Ils venaient d’arriver à la destination choisie par Cletus. C’était la maison de son premier meurtre. Dans la cave, il y avait une chaise, sinistrement placée au centre de la pièce, comme le terrible avertissement de ce qui allait se passer. Comme l’inquiétant souvenir de milliers d’autres meurtres passés, du sang séché, des rayures et des griffures visibles à quelques endroits, sur l’un des pieds comme sur le dossier du siège. Cletus n’eut ensuite pas la moindre douceur lorsqu’ils arrivèrent, il jeta sa victime par terre et l’attrapa par la jambe pour le traîner jusqu’à la chaise et l’y hisser et l’y asseoir. D’un rapide geste de la main, qui fut suivit d’un bruit semblable à de la chair qu’on arrachait à un cadavre, gluant, collant, Carnage projeta de quoi immobiliser les jambes du garçon contre les pieds de la chaise, et c’était tout, il n’avait pas envie de complètement l’immobiliser, ni de le voir être incapable de se défendre, d’être incapable de résister et d’essayer de se protéger de lui. Il adorait les voir gigoter dans tous les sens, comme des vers qui grouillaient, il adorait les voir tenter de se battre. Ça le faisait rire. Et tandis qu’il reculait pour le regarder un moment, le voir dans sa position de faiblesse, un large sourire terrifiant lui déchirant le visage, Cletus ne put s’empêcher de tourner la tête pour regarder lui aussi le mur que le garçon semblait ne pouvoir s’empêcher de fixer. Mais plutôt que de perdre son temps, le symbiote se dépêcha de faire pousser à la main droite de Cletus une lame, fine et petite, suffisante pour simplement lui entailler la peau et le faire hurler longuement de douleur, de la musique aux oreilles du meurtrier. S’approchant lentement du garçon, Cletus s’arrêta sur place lorsqu’il fut hélé par une personne surgissant de nulle part. Surpris et intrigué, il fit la chose la plus évidente à faire, et la transperça de son bras gauche tout entier, ses griffes acérées si longues et se plantant si haut qu’elles vinrent érafler le plafond de la cave. Mais pas de sang, pas de victimes, pas de mort. Inclinant la tête sur le côté pour observer la femme qui lui parlait.

Pourquoi baisse-t-elle la tête au sol ? S’interrogea Cletus, avant de tourner la tête vers le gamin, qui continuait de la fixer, « C’est de toi ça ? Impressionnant… » se contenta de dire le Symbiote, alors qu’elle prit elle-même la parole et lui demanda ce qu’ils voulaient de lui, d’eux. Un sourire déforma à nouveau le visage de la créature rouge, et rétractant ses gigantesques griffes, puis faisant disparaître la lame au poing de son autre main, le Symbiote porta les mains à son visage, appuya ses doigts dans sa propre bouche et commença à tirer sur le haut de son crâne et sur sa mâchoire inférieure, dans un boucan répugnant de craquements d’os et de ce même bruit gluant et collant, le visage du Symbiote se démantibula sèchement sur un dernier craquement pour révéler le visage de Cletus, ses yeux injectés de sang, son visage parcouru par ce qui avait l’air de filament rougeâtres et semblables à de minuscules tentacules et ses cheveux à l’air humide, couverts de sang et de la même substance que produisait le symbiote. Tournant la tête pour regarder la femme, il s’approcha un peu, et la regarda de bas en haut avant de reposer ses yeux sur le rouquin. « C’est toi comme un autre, mon petit. T’as juste eu la chance de te retrouver en face de moi au bon moment, maintenant je vais m’amuser avec toi. Je vais commencer par te casser les os, un par un. Et ensuite, je te ferai hurler de douleur, et ça va me faire tellement de bien… »
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Elle ne s'y attendait pas. Enfin tout dans sa réaction laisse croire qu'elle ne s'y attendait pas. Moi non-plus, je ne l'attendais pas à ce qu'elle vienne. Elle porte les vêtements de quelqu'un qui s'est débattu et battu pour arriver jusqu'ici. Mais où est-ce donc, ici ? Et surtout comment pourrais-je sortir de cet ici que je ne connais pas ? Mon regard fouille maladroitement les alentours sans spécialement chercher quoique ce soit. Mes poignets se tordent toujours dans mon dos, plus doucement, essayant de me défaire de ce qui les lient toujours. Je respire par le nez, mes lèvres étant toujours collées par... je n'en sais rien. J'essaie d'ouvrir grand, ma mâchoire se contorsionne et mon visage remue doucement dans toutes les directions mais rien n'y fait.

Puis mes yeux rencontrent cette chaise. Cette chaise simplement posée sur le sol. Elle porte les cicatrices de rencontres douloureuses. Je plisse les paupières, me penche sur ces griffes qui parsèment le meuble. Sur le dos principalement, et aussi sur le pied. Mes bras se figent dans mon dos, j'arrête d'essayer d'ouvrir la bouche. Que pourrais-je dire, voyant cela ? Je retiens mon souffle, avale ma salive puis penche la tête sur le côté. Une mèche reste collée à ma tempe suite à son dernier contact. Une partie de mes cheveux semblent même collés entre eux, ça me dérange. Mes jambes se raidissent, mon corps tout entier se raidit même. Je ne veux pas, ne peux pas m'asseoir là-dessus. Mes pieds essaient de s'ancrer dans le sol. Il y en a aussi sur le pied de la chaise. Les griffes délivrent un message, elles en délivrent toutes un. Celui-ci est funeste. Mes paupières se lèvent comme le rideau sur une macabre pièce de théâtre. Dans les blessures du bois de la chaise, il semble y avoir des restes de sang. Du sang qui a séché, qui a viré au zinzolin vu d'ici. Un sang qui dit que l'attente a été longue, infernale. Un sang qui me dit de ne pas m'asseoir là-dessus. Je bascule doucement la tête en arrière. Arrête, arrête s'il te plaît... Tout cela ne dure qu'un instant...

… Le suivant me voilà qui m'écroule sur le sol. Je dégage ma tête, tombe sur l'épaule droite. Immédiatement, je sais que je devrais m'éloigner. Je sais que je le dois, maintenant, tout de suite, sans attendre. Mes jambes se raidissent, je ne cherche pas à me mettre debout. Je veux simplement pousser le sol de mes pieds, je veux frotter ma peau sur le sol, je veux me traîner juste ailleurs, plus loin. Mes genoux se plient, je sens mes mains écrasées entre mon poids et le sol froid. Je dois m'éloigner. J'avale difficilement ma salive. Sa main difforme saisit ma jambe. J'essaie de me bloquer de la seconde, mais inutilement. À cet instant, son contact ne me fait même rien. Je suis simplement incapable de sentir ce contact gênant. J'ai trop peur de lui. Mon visage se fige dans la stupeur.

Tout va bien. Tout va bien. Quand mon corps rencontre celui de la chaise, je voudrais simplement me lever. Un bruit de... chair qu'on arrache... je baisse les yeux sur mes jambes, interdit. Je regarde ce qui les bloque aux pieds de la chaise avec une curiosité qui me permet d'oublier trois secondes ce qui se passe. Je lève les yeux sur lui, sur elle, sur ça... Devant ? Je ne pourrais pas protéger mon visage, tomberai simplement sur le front, le nez ou la joue. Sur le côté ? Je peux sans doute, et ce serait comme tomber en arrière. J'essaie à nouveau de libérer mes poignets. Je ferme les yeux, essaie d'écarter mes bras au plus fort. Je n'y arrive pas.

Elle ne s'y attendait pas. Enfin tout dans sa réaction laisse croire qu'elle ne s'y attendait pas. Moi non-plus, je ne l'attendais pas à ce qu'elle vienne. Elle porte les vêtements de quelqu'un qui s'est débattu et battu pour arriver jusqu'ici. J'aimerais qu'elle m'aide, je voudrais qu'elle soit invisible à ses yeux mais que son corps ne le soit pas à la réalité. Je voudrais qu'elle brise ce lien organique, je voudrais qu'elle me dise que tout va bien et ouvre une porte. Je la fixe, elle regarde aussi dans ma direction. Dis-lui d'arrêter. Arrête, quoi que tu sois. Et soudain, la vue de sa main glace mon sang. Mais qu'est-ce qu'il fait ? Mais pourquoi est-ce qu'il voudrait utiliser ça contre moi ? Je ne lui ai rien fait, je ne crois pas. Égoïstement, ma vie ne tourne qu'autour de moi. De ce que je vois, ce que je sens, ce que je ressens. Même mon besoin de manger ou de dormir passent après toutes ces impressions qui m'assaillent. Alors comment aurais-je pu lui causer quelque tort que ce soit ? Je me demande où est la voiture de Jamie maintenant ? Est-il arrivé au point de rendez-vous ? Que se dit-il ? J'ignore ce qui me fait le plus peur : ne pas savoir pourquoi ni quand ça s'arrêtera ou simplement l'appréhension d'avoir mal, de devoir supporter la plaie de ce corps maladroit qui n'arrive pas à se défaire de sa douleur. Besoin de sortir. Besoin de partir. Besoin de m'en aller.

Long soupir. Alors que ma chimère essaie de lui parler pour moi, il entre soudain son bras à travers son corps. Je sursaute, elle aussi. Elle le fixe pour moi, elle le fixe d'immenses yeux ronds qui ne comprennent pas sa réaction, son besoin de la détruire. De nouvelles stigmates sur le plafond, pour rejoindre les autres. Il incline la tête sur le côté, sans doute surpris de ne pas se retrouver avec un cadavre au bout du bras. Ma chimère copie son expression. Est-ce que je peux gagner du temps ? Un peu de temps ? Ou puis-je reprendre le contrôle de mon corps un moment ? Je me balance sur le côté. Les pieds se soulèvent légèrement. Je profite de l'élan pour recommencer, une fois encore. La chaise, entraînée par mon poids, bascule sur le côté. J'essaie de protéger ma tête mais elle cogne sur le sol. Je cligne plusieurs fois des yeux. Elle me regarde, je regarde vers elle pour qu'elle puisse perdurer. Reste avec moi, s'il te plaît.

Il ne lui répond pas tout de suite à elle. « C’est de toi ça ? Impressionnant… » Je ne sais pas comment le prendre. Je n'en sais rien, je ne comprends pas son ton, ni comment il peut dire tant de choses sans rapport les unes avec les autres... Pourquoi il dit ça soudain ? Mon dos s'écarte du dosseret de la chaise, même si mes jambes elles, restent liées aux pieds de cette même chaise. Je cesse de bouger un instant. J'attends sa réponse, y reste suspendu. La lame qu'il arborait au poing disparaît doucement, j'essaie de calmer ma respiration. Je le regarde faire. Et tout bascule. Il entre les doigts dans son visage, il s'arrache le visage. N... non... Ar-ar-arrête... Mes yeux écarquillés fixent la scène, les craquements me brisent les tympans. Attends ! Ne fais pas ça ! La chimère ouvre grand la bouche, tend un bras fictif dans sa direction et tombe finalement à genoux. Elle couvre ses oreilles de ses mains comme je voudrais le faire moi-même. Elle hurle dans son cri inaudible, un cri sans son. Sa bouche s'allonge alors que je suis le témoin de cette horrible transformation. Après cette... manipulation qui ne semble pas le faire souffrir, apparaît un visage humain. Je regarde son menton, ses lèvres, je regarde l'allure générale de ses traits. Tout ce qui est optimiste en moi se voit ravi par un élan d'espoir, sous le monstre, il y a un homme.

Il se tourne vers elle. Elle a les mains sur ses propres joues, elle a refermé la bouche. Il s'approche d'elle, je la fais se mettre debout pour se présenter tout proche de lui. Nous échangeons un regard vide, j'aime leurs yeux qui ne renvoient rien. Parfois, j'aime que... que... Finalement, il se tourne dans ma direction. « C’est toi comme un autre, mon petit. T’as juste eu la chance de te retrouver en face de moi au bon moment, maintenant je vais m’amuser avec toi. Je vais commencer par te casser les os, un par un. Et ensuite, je te ferai hurler de douleur, et ça va me faire tellement de bien… » De la chance ? Je ne saisis pas... s'il est ironique ou dit ses mots avec sa vérité à lui... Je ne comprends jamais les sarcasmes... Mon cerveau n'assimile plus rien. Il a parlé de me casser les os ? De me faire hurler ? Il a dit que ça lui fera du bien ? Je ne saisis pas... Chimère se place entre lui et moi, tends un bras vers moi et le second vers lui. Finalement, ce n'était pas l'homme dans le monstre mais le monstre dans le monstre. « Non ! Non, tu arrêtes ! »

Elle est essoufflée, sans doute parce que je manque aussi de souffle à cet instant. Mes bras et mes jambes se remettent à gesticuler inutilement, pris dans cette urgence. Chimère... quel nom lui avais-je donné déjà ? Olivia ! Olivia pâtit de mes angoisses. Elle fronce les sourcils et se met bien droite en face de lui. Pendant ce temps, les lèvres scellées, j'ai besoin de faire vibrer mes cordes vocales. J'ai besoin de ce son monotone. « Hum... Hum... Hum... Hum... Hum... Hum... ». D'abord très espacés puis plus proches. Je bascule doucement mon corps d'avant en arrière, sur  le rythme de mes bruits de gorge. Je prends une longue inspiration, j'ai besoin de sortir d'ici. Mes cheveux collés. Mes poignets liés. Mes jambes bloquées. Expiration lente par le nez. Je cesse les bruits. Je suis sur le côté. Olivia lui hurle, désignant l'entrée que nous avons empruntée pour pénétrer dans les lieux : « Sortez ! Sortez ! Sortez ! Sors ! Laisse-nous ! Sors ! Allez ! Laisse-nous ! »
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Tant de choses tout à coup, tant d’étranges manifestations suivies de réalisations toutes aussi étranges, Cletus ne pouvait s’empêcher de trouver les choses encore plus excitantes qu’elles ne l’étaient déjà maintenant que le jeune homme avait fait apparaître cette chose pour lui parler. Et s’il avait décidé de penser clairement et logiquement plutôt que de suivre ses envies et ses instincts primaux, Cletus aurait peut-être commencé à se dire qu’il pourrait peut-être utiliser ces choses pour appeler à l’aide, mais non, il n’y pensa pas et se contenta d’observer la chose qui tendait les bras vers lui et le garçon, comme si elle pouvait l’arrêter ou le protéger d’une quelconque façon. Inclinant la tête à nouveau sur le côté, mais cette fois pour regarder le garçon, Cletus se mit à sourire. D’un air amusé, autant que d’un air fasciné et étonné, comme s’il était soudainement chargé de nouvelles idées et d’un engouement à toute épreuve dans le jeu auquel ils allaient tous les deux participer longuement et lentement. Et puis, Cletus reposa les yeux sur la chose irréelle et comme s’il était soudainement pris de compassion, lui passa une main autour du visage, comme pour essayer de lui caresser la joue avant de faire traverser son poing par la gorge de la chose. Simplement pour voir et essayer de ressentir quelque chose au travers d’elle, mais rien. Son sourire vint se replacer sur ses lèvres quand il lui passa au travers alors qu’elle hurlait à s’en époumoner qu’il devait partir et les laisser tranquilles. « Oh mais j’vais pas lui faire de mal à elle, faut pas s’inquiéter pour ça, mon petit chat. » susurra Cletus en se penchant, et attrapant le garçon par les vêtements pour le hisser du sol et le soulever au-dessus de lui, avec une aisance effrayante, comme s’il ne pesait rien. D’une autre main, Cletus vint lui tapoter calmement et presque amicalement la joue en souriant toujours de son air à la fois effrayant et amical à la fois. « Tu sais qui elle me rappelle ta petite dame ? Ma maman. commença-t-il à expliquer, le bras toujours tendu et le garçon toujours soulevé au-dessus du sol, Elle me rappelle ma maman quand mon papa a pété les plombs et a décidée qu’elle devait mourir. » termina Cletus en le reposant sur la chaise après l’avoir redressée.

Et plutôt que de faire quelques pas en arrière, le meurtrier n’en fit rien et s’approcha un peu plus, allant jusqu’à s’asseoir sur les genoux de Sterling et vint entrelacer ses bras autour de la nuque du jeune homme. Grimaçant et fronçant les sourcils, Cletus continua, d’une voix plus aigüe et tremblotante, sans doute pour essayer d’imiter le son qu’il imaginait être celui de sa victime, « Oh mais pourquoi tu dis ça Cletus ? » fit-il en remuant légèrement sur les genoux du garçon, avant de se répondre à lui-même « Ah ! Tu vois quand tu veux, bichon. Le dialogue c’est important dans une relation, et je suis bien content que tu veuilles qu’on ne se quitte pas tout de suite ! Donc, oui, pourquoi je dis ça moi ? C’est très simple, tu sais. En fait, mon gentil petit papa avait réalisé à quel point j’étais cabossé du bocal, et du coup, il s’est dit que ça devait sûrement être de la faute de maman ! Alors, tu sais ce qu’il a fait mon p’tit chat ? Il a fait une chose que n’importe qui aurait faite à sa place, il a pris un couteau dans la cuisine et est venu s’amuser à décorer le salon avec les boyaux et les lambeaux de peau de maman, mais t’inquiètes pas, y avait rien sur ma télé donc j’ai pu continuer à regarder les Pierrafeu calmement avec mamy et son toutou licorne. » expliqua-t-il longuement dans de longs et interminables mensonges, qui ne servait à rien d’autre que l’amuser et sans doute à voir comment réagissait le jeune homme. Quand bien même c’était improbable, Cletus n’était pas quelqu’un de réfléchi lorsqu’il tuait, il était impulsif bien que perfectionniste. Resserrant son emprise autour du cou du jeune garçon quelques secondes, Cletus le força dans une étreinte qui n’avait rien d’agréable ou de consentie et lui marmonna contre l’oreille, « Oh j’suis tellement content de t’avoir rencontré mon petit chat. On va tellement prendre notre pied toi et moi ! » avant de forcer un baiser sur la joue du garçon, qui se termina d’un autre coup de langue désagréable, quand bien même cette fois elle était humaine et loin d’être difforme et gluante.

Se redressant et posant son regard sur le visage du jeune homme, Cletus laissa échapper un long soupir digne d’un amoureux transi malgré la situation étrange et repoussante dans laquelle ils se trouvaient, et quitta les genoux du garçon pour se redresser et passer derrière lui, posant ses mains contre ses épaules et pressant assez aléatoirement et brutalement, comme s’il lui faisait un massage affreusement mauvais et inefficace. « Y a tellement de choses à faire avec toi, que je sais même pas par où commencer ! Et puis cette jolie madame que tu fais apparaître va pouvoir te tenir compagnie tout du long, pas vrai ? » siffla Cletus en lui lâchant les épaules, pour passer une main dans l’arrière de ses cheveux, tirant légèrement sur ceux-ci sans rien arracher et fit quelques  pas pour se retrouver à nouveau en face de lui. « Tu sais quoi ? Attends ici et ne bouges pas, je vais chercher des jouets ! » lui lança Cletus en affichant un grand sourire et sortant à toute vitesse de la cave, la porte encore ouverte et laissant voir le jardin de la maison, terriblement mal entretenu, aux mauvaises herbes tellement présentes qu’elles avaient presque l’air de buisson sous l’angle que donnait l’entrée de la cave. Et après de longues minutes Cletus revint enfin, un bras serrant une caisse de laquelle on pouvait voir dépasser des clous, marteaux, scies, couteaux et autres choses toutes autant menaçantes et un polaroid dans l’autre main. La porte de la cave se referma sèchement derrière lui lorsqu’un tentacule jaillit de son dos et tira celle-ci, et Cletus fit lourdement tomber la caisse au sol, l’enjamba et alla se rasseoir sur les genoux de sa victime. « Allez, on fait un grand sourire pour papa, histoire qu’on puisse se souvenir de quoi tu avais l’air au début. » lui dit-il en serrant son visage contre le sien juste avant de prendre une photo. La laissant tomber par terre à peine fut elle prise, Cletus se redressa et alla se pencher au-dessus de sa caisse à atrocité et y attrapa une vieille paire de ciseaux dont la rouille commençait à ronger une partie. Se retournant lentement, il s’approcha du jeune homme et toujours avec un grand sourire lui attrapa une poignée de ses cheveux d’un mouvement sec, le tirant même en avant. « Tu sais, je crois que c’serait encore plus marrant si j’m’amusais à envoyer des petits bouts de toi par-ci par-là aux gens qui tiennent à toi. Tu sais, juste moyen qu’ils savent ce que tu fais et où tu t’caches. » marmonna-t-il avant de finalement couper l’épaisse mèche de cheveux, « Après tout, c’est pas gentil de ne pas prévenir les gens que t’as rencontré l’âme sœur, pas vrai mon p’tit chat ? » conclut Cletus en jetant la paire de ciseaux sur le côté, et en se penchant pour ramasser la première photo et y coller la mèche avec encore de cette matière visqueuse et gluante que Carnage sécrétait.
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Elle hurle, elle crie, elle tend les bras mais rien n'y fait ! Elle hurle, elle crie, mais il n'entend rien. Elle hurle, elle crie, mais ça ne change rien. Elle se retourne quand il la traverse. Elle me regarde, bouge les lèvres sans produire le moindre son, elle me dit qu'elle est désolée. « Oh mais j’vais pas lui faire de mal à elle, faut pas s’inquiéter pour ça, mon petit chat. » Mais ça va aller, tu sais... Parfois les gens perdent le contrôle disait M. Drake, il le retrouvera, à temps. Je détourne le regard, fixe mon attention sur un point invisible. Quand ses mains viennent me saisir, je ferme les yeux un instant, ou est-ce plus long ? Je me sens dépossédé de mon corps, je reste immobile, raide.

Je respire vite, j'ai du mal à respirer à vrai dire. Je ne sais pas où regarder, je ne sais pas ce que je devrais essayer de faire. Lui donner un coup de pied, et ensuite ? Je pose les yeux sur lui finalement, dégageant simplement mon visage quand sa main libre vient tapoter ma joue. Dans mon dos, j'essaie toujours de séparer mes mains l'une de l'autre. Étonnement, mon cerveau semble commencer à se concentrer sur des choses plus essentielles, même si j'ai toujours l'impression que les ombres sur les murs se meuvent pour me dire quelque chose. Les ombres... Je fronce les sourcils, recule au passage mon visage quand il vient s'asseoir sur moi. Je regarde dans la direction opposée, parce que si j'y pense assez fort, je pourrai m'extraire du présent, je pourrai oublier que je suis là. Qu'est-ce qu'il veut ? Est-ce que je peux le noyer dans le bruit ? Est-ce que je peux l'éloigner ? … Il sait que c'est factice, ça le distrait, ça l'amuse. Il me parle de ses parents. J'aimerais que les miens soient là. Ma mère pourrait venir, elle pourrait arriver et ouvrir cette porte. Elle pourrait trouver une solution, elle en a toujours trouvé, elle savait toujours ce qu'il fallait faire et ce qu'il fallait éviter. Cet homme, j'aurais dû l'éviter. Forcément...

Je lance une œillade vers sa bouche alors qu'il me parle. « ...a fait une chose que n’importe qui aurait faite à sa place, il a pris un couteau dans la cuisine et est venu s’amuser à décorer le salon avec les boyaux et les lambeaux de peau de maman. » Je fronce les sourcils en l'observant parler. Son visage ne change pas d'expression, et pourtant la perte, la peur, la violence, n'est-ce pas sensé provoquer une foule de sentiments qui le feraient grimacer ou trembler ? Pourquoi est-ce qu'il ne change pas de visage à cet instant ? Loin de m'intriguer, cette créature à forme humaine m'angoisse. Je remue les épaules en voulant me dégager de cette position inconfortable.

Il me rapproche de lui, un frisson me parcourt et je baisse la tête. Je la baisse et ferme les yeux, si fort, si fort... « Oh j’suis tellement content de t’avoir rencontré mon petit chat. On va tellement prendre notre pied toi et moi ! » Je secoue la tête au moment où il vient passer un nouveau coup de langue sur mon visage. Je regarde devant moi, cherche à me mettre debout mais sens maintenant ses mains sur mes épaules. Je baisse à nouveau la tête, puis la ramène en arrière. J'ai l'impression que ses doigts me rentrent dans la peau. Je laisse échapper un gémissement au moment où ses doigts resserrent leur pression. Pas que je souffre mais ça me dérange, ça me dérange affreusement. Je regarde autour de moi, parce que maintenant qu'il est de dos, est-ce que je ne peux pas faire quelque chose ?

« Y a tellement de choses à faire avec toi, que je sais même pas par où commencer ! Et puis cette jolie madame que tu fais apparaître va pouvoir te tenir compagnie tout du long, pas vrai ? » Je n'ai plus pensé à elle, elle est absente. Pour le moment. Il tire sur mes cheveux, je regarde dans la direction opposée, le chassant de mon champ de vision. Ils arrivent, ils sont là, pas vrai ? Oui, elle est là. Bichromie. Ils sont tous là, adossés aux murs de la cave. Ils sont là, silencieux. Certains n'ont plus de visage, d'autres représentent des personnes que j'ai croisées, cotoyées. Il y a une femme blonde, que je ne reconnais pas. Elle a des cheveux blonds qui lui tombent sur les épaules et des yeux sombres. Nous échangeons un regard vide. « Tu sais quoi ? Attends ici et ne bouges pas, je vais chercher des jouets ! » lance l'homme avant s'élancer vers l'extérieur. J'attends un moment, m'attendant à le voir revenir. L'ombre sans visage me désigne la sortie d'un mouvement de bras : « Vas-y ! Lève-toi et vas-y ! » Je me lève, baisse les yeux sur mes chevilles* Je ne peux pas sauter jusqu'à là-bas. J'agite à nouveau mes mains dans mon dos. « N'y vas pas, il est là, tu le vois ? Il est là... Il est le monstre, il te voit... » Je regarde à côté de moi, entends des bruits au loin. J'essaie de frotter ma bouche contre mon épaule, peut-être que si je peux crier quelque chose... Mon cri à moi n'est pas factice. Les illusions même sonores, je dois les diriger vers quelqu'un et il n'y a personne d'autre que lui. Moi, je peux me faire entendre. Je serre les lèvres et essaie de les étirer en frottant ma bouche plus fort. Ce n'est pas possible. Le voilà qui revient. Je me rassieds, l'ombre à ma droite se glisse contre un mur, me susurre quelque chose... Je peux essayer de faire ça...

Je sursaute quand il revient et d'autant plus quand la porte se referme après qu'une... chose lui soit sortie du dos pour la faire claquer, comme un troisième bras. Je regarde la caisse sans comprendre vraiment ce qu'il peut faire avec ça... Je prends une longue inspiration. Je cherche à me lever quand il se rassoit sur moi... Je regarde vers l'appareil, sans comprendre ce qu'il veut réellement faire avec ça, non-plus. Au début ? Au début ? Je lance un regard sur le côté, puis vers l'ampoule. Vers la porte. Il me tire par les cheveux... « Tu sais, je crois que c’serait encore plus marrant si j’m’amusais à envoyer des petits bouts de toi par-ci par-là aux gens qui tiennent à toi. Tu sais, juste moyen qu’ils savent ce que tu fais et où tu t’caches. » Je ne sais pas quelle adresse il pourra mettre ni pour envoyer quoi, à vrai dire. J'entends le bruit des ciseaux, essaie de dégager ma tête mais voilà bientôt que je me retrouve privé d'une mèche qu'il garde en main. Je balance ma tête vers l'arrière alors qu'il prend le temps de coller mes cheveux sur la photographie.

Je prends une longue inspiration. Les ombres que je vois, il ne les voit pas. Pour le moment. Alors je regarde vers lui, j'inspire à fond. Je me prépare à me mettre debout. Et je crée une seule illusion, un voile noir devant ses yeux, une seule illusion, une obscurité qui lui dévore le visage et reste accrochée à lui. Juste une illusion, prisonnière de son regard devenu aveugle. Je me mets debout, l'observe avec de grands yeux, jette une œillade vers la caisse. Mon regard se perd sur la paire de ciseaux tombée au sol. « Sors. »

Je pourrai peut-être le pousser, mais il a tellement de mains. Qu'est-ce que je ferais si l'une d'entre elles surgit ? Je déglutis, le fixe et recule. Je trébuche sur la caisse, tombe face contre terre. Je me remets à genoux. Mon cœur bat fort, je n'arrive pas à respirer. Je frotte à nouveau ma bouche sur mon épaule. Je dois le dire. Un. Deux. Trois. Je pousse un long gémissement à cette matière qui colle toujours ma bouche. Je me remets lamentablement debout, rejoins la porte contre laquelle je m'appuie. J'ai beaucoup de mal... je cale mon épaule contre la porte de la cave. Essaie de calmer la crise de tachycardie qui me fait mal. Et puis, je ne sais pas s'il m'entend, sans doute que oui. Je ne sais pas combien de temps j'arriverai à maintenir le noir complet autour de lui alors qu'il est en mouvement. J'essaie de donner un coup d'épaule contre la porte...
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Le visage tordu d’un sourire bien trop amusé, Cletus s’était surpris à ricaner lorsqu’il récupérait les quelques jouets auxquels il avait pensé en sortant de sa cave. Se passant une main à l’arrière du crâne rouge et gluant de Carnage, il caressa la matière visqueuse du bout des doigts d’une main redevenue humaine avant que celle-ci ne retrouve une apparence hideuse, monstrueuse et visqueuse de son costume de sang et de noirceur. Il n’était pas un homme d’improvisation, lorsqu’il s’agissait de tuer quelqu’un. Mais il improvisait toujours lorsqu’il s’agissait de trouver une cible. Pourtant, avec celui-là, il y avait quelque chose de plus amusant à se laisser aller à l’influence de ses muses malsaines, qui lui murmuraient des idées que nul n’osait imaginer de peur de sombrer eux-mêmes dans une folie meurtrière et déchainée. S’arrêtant momentanément pour observer le reflet monstrueux de Carnage dans ce qui restait d’un grand miroir accroché à un mur, le reste fendu en un millier de morceaux au sol, les débris crépitant sous ses pieds, il laissa échapper un sourire plus large et plus troublant. Les yeux plantés comme les lames acérées de couteaux dans ceux de son reflet, il hocha la tête silencieusement, un marteau entre les mains. « Oh, ne t’inquiètes pas ma toute belle… On va bien rire. » avait-il susurré à son reflet, le caressant du bout des doigts, qu’il vit réagir d’un sourire à faire glacer le sang de quiconque, sous la véritable et monstrueuse forme de Carnage. Comme une sorte de projection de son propre esprit pour discuter avec l’entité qui l’habitait. Puis, un autre ricanement malsain le traversa lorsqu’il baissa temporairement les yeux pour remarquer à quel point la situation l’amusait, et à quel point il adorait ce qu’il faisait et ce qu’il s’imaginait déjà en train de faire. Un frisson lui courant à travers le corps tandis qu’il se mordillait une partie de la langue avec les dents acérées et pointues de son visage de monstre, quelques gouttes de sang s’écroulant silencieusement au sol, et d’autres coulant le long de sa gorge ; sa langue, déjà, n’avait plus les moindres traces de ce qu’il venait de faire, elle était comme neuve, et il se mit à rire un peu plus fort, sa voix hantée par un écho terrifiant rebondissant contre les murs de la pièce. Et puis, apercevant simplement du coin de l’œil l’un des appareils photos qu’il utilisait pour son métier de couverture, Cletus eut la merveilleuse idée de s’en servir avec le jeune adolescent.

Et les bras chargés de ‘jouets’ et d’autres merveilleux outils qui rendraient leur séjour ensembles encore plus amusant, Cletus était retourné auprès du garçon. Enchaînant les remarques, les sourires, les rires et les mouvements de tête à chacune des réactions de l’adolescent, Carnage s’amusait bien trop pour ne serait-ce que remarquer quoi que ce soit qu’il pouvait bien avoir en tête, ni même les émotions qui le traversaient. Il était tout simplement obnubilé par sa propre folie et son plaisir à lui faire du mal et se jouer de lui comme s’il n’était qu’une petite poupée fragile et inanimée qui se plierait à chacun de ses caprices et chacune de ses volontés. Caressant un court moment du bout de doigts de nouveau humains la mèche de cheveux qu’il avait collée à la photographie qu’il avait pris d’eux, Cletus laissa échapper un petit soupir qui aurait presque eu l’air tendre si on ne s’était pas rendu compte de l’horreur de la situation. « Regarde-toi… Avec ces jolies petites prouesses dont t’es capable… Tu dois sûrement être l’un de ces monstres qui jouent au super-héros… avait-il commencé à siffler et grogner dans sa direction, le visage presque collé à celui du garçon, sa langue pendant entre ses lèvres monstrueuses et si longue qu’elle aurait presque été capable d’atteindre le nombril du mutant, Comment est-ce qu’on les appelle… Ahhh ! X-men. » souffla-t-il, sa voix monstrueuse élargissant et allongeant la sonorité cinglante et sifflante de la lettre ‘x’. À peine avait-il eu le temps de terminer sa phrase et de se redresser pour prendre le marteau dans la caisse à outils, qu’une étrange noirceur lui recouvrit la vue ; poussant un grognement lourd, Cletus n’était pas dupe. Ca ne pouvait venir que d’une personne. Vigilant, il ne bougea pas. Faisant confiance à ses autres sens, écoutant avec détermination et assiduité le moindre petit bruit autour de lui, il serra les dents, le crâne monstrueux et rougeâtre de Carnage se détachant complètement de son visage pour laisser apparaître le visage humain et naturel de Cletus, sans la moindre veine proéminente, sans la moindre matière visqueuse lui couvrant une partie du corps. Il avait espéré pouvoir voir au travers de ses véritables yeux et plus ceux de Carnage, mais ça ne fonctionnait pas non plus.

Faisant quelque pas sur le côté, tournant la tête dans tous les sens, il s’immobilisa lorsqu’il entendit le bruit de la caisse et du garçon trébuchant et se mit à grimacer d’un air malsain. « Pourquoi est-ce que tu veux pas jouer avec moiii… » avait-il soufflé dans un faux gémissement. Avant de frapper dans le vide, ses dix griffes se plantant dans le sol où l’adolescent était tombé, mais il n’y était plus. Il avait déjà bougé, il avait déjà pris la fuite. Cletus se redressa, ses lames pointues qui lui servaient de doigts perdaient lentement de leurs formes acérées et violentes, jusqu’à ce qu’elles ne redeviennent que des doigts longs, fins, squelettiques et pointus ; et renifla. « Tu te fais du mal tout seul, mon chaton… Si je t’attrape, ça va être encore pire. » avait-il marmonné, chantonnant presque chaque mot. « Va falloir te punir. » avait-il ajouté en hochant la tête, se retournant pour projeter son bras droit vers l’avant, qui rendu souple et tentaculaire traversa la pièce, se plantant au travers de la chaise et s’enfonçant bruyamment dans le mur du fond. D’un geste sec et rapide, Cletus rappela son bras qui repris aussitôt une forme humaine, et lorsqu’il entendit le bruit de la porte, un sourire fendit son visage, et le masque horrible de Carnage lui recouvrit le visage de nouveau, les poignards qui lui servaient de dents réapparurent et il se retourna, sans yeux. De larges trous noirs et sans fond à la place. Le morceau de matière toujours agrippé à la bouche de l’adolescent commença à s’agiter, comme s’il prenait vie, de minuscules tentacules d’à peine deux centimètres jaillirent des deux côtés, autant à l’intérieur de la bouche du garçon qu’à l’extérieur, s’agitant dans le vide et des yeux blancs et monstrueux comme ceux de la créature ensanglantée commencèrent à naître. Une bosse se dressa lentement, comme une petite tête, au centre de la chose visqueuse. Et le rire terrifiant de Carnage fit de nouveau écho dans la cave. « Je. Te. Voiiiiiiiiis ! » hurla Cletus, son corps sans yeux s’avançant lentement, la porte perdant de sa solidité malgré tout, un index prenant lentement la forme d’un poignard pointé sur le garçon. « J’vais t’arracher la peau et te la faire bouffer morceau par morceau. Ça t’apprendra à tricher, petit mutant ! »
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La façon dont il a dit ça... X-men, c'était comme le sifflement d'un serpent qui maintenant m'empêche de respirer. Mes yeux s'écarquillent quand je vois la main gigantesque s'agiter dans le vide, poignarder le sol. Mes jambes poussent, alors que mon attention ne peut pas se défaire du monstre, ma poitrine se comprime douloureusement.  « Tu te fais du mal tout seul, mon chaton… Si je t’attrape, ça va être encore pire. Va falloir te punir. » Je suspends mon souffle, me fige dans l'admiration terrifiée du cauchemar qui étend son bras jusqu'à l'autre bout de la pièce. Partagé entre cette observation et l'envie de simplement m'enfuir, je ne fais pas spécialement attention au bruit que je peux faire, ainsi appuyé contre la porte. Il se tourne vers moi à attente le bruit de la porte et la chose reprend possession de son corps. Je ferme les yeux une seconde pour ne plus voir son visage. Peut-être qu'il disparaîtra... quand ce qui maintient mes lèvres serrées se met à bouger. Je sens que ça court contre ma peau, que ça remue à l'intérieur de ma bouche. Une violente nausée me prend. Et la chose sur ma bouche semblerait, en plus de prendre vie, adopter une sorte de... Je n'en sais rien ! À défaut d'ouvrir la porte avec mon épaule, j'y plaque ma bouche pour arracher cette chose. Je sens les nervures du bois courir sur ma joue, les irrégularités griffer ma peau doucement mais je parviens enfin à retirer partiellement ce qui me couvrait la bouche.

« J’vais t’arracher la peau et te la faire bouffer morceau par morceau. Ça t’apprendra à tricher, petit mutant ! » Le voyant approcher, je suis partagé entre l'envie d'appuyer plus fort encore contre la porte ou changer et me vautrer dans un coin de la pièce pour m'éloigner de lui. Je me recule et donne un coup d'épaule dans la porte, tirant sur mes poignets pour essayer de les dégager. Je baisse la tête et m'assieds tout contre la porte en amenant mes genoux contre mon torse. Je me tasse contre le bois, prends une profonde bouffée d’oxygène. Une syllabe, une seule syllabe... Mes lèvres tremblent : « S... S... » La consonne siffle sans que je puisse vraiment laisser échapper le mot. Je ferme les yeux, le temps d'avaler douloureusement ma salive. Mon regard refait surface quand je prends conscience que bientôt il y reverra. Un flot d'idées se bousculent sans cohérence sans ma tête, sans logique : briser l'ampoule peut-être, le pousser, s'approcher de sa boîte pour trouver quelque chose pour se libérer les mains, crier, insister sur la porte.

Je referme les yeux, fais le silence autour de moi pour essayer de reprendre mon souffle, pour essayer d'oublier le son de sa voix. Je rouvre les yeux, tourne le visage sur le côté. Je me redresse et passe mes mains sous mes fesses, lève doucement la jambe droite au-dessus, la jambe gauche. J'ouvre vraiment la porte, perds mon attention dans un rayon de lumière. Mes yeux fouillent les environs. « Hey... tu es là ? » Je regarde la forme sans visage assise non-loin d'ici. J'esquisse un sourire, entreprends de pousser la porte et sortir.
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L’incompréhension et la perte soudaine d’un de ses sens provoqua une certaine excitation chez Cletus, autant qu’un étrange sentiment de frustration que Carnage ne faisait qu’accentuer et rendre plus intense et présent en lui, tant il était inconnu et incongru. Dans leur être. Il y avait quelque chose d’à la fois galvanisant et d’agaçant dans le fait d’être privé d’un de leurs sens les plus importants, et les plus utiles. Sens qui leur servait à admirer l’étendue de leurs pouvoirs, qui leur servait à s’amuser des réactions de leurs victimes. Ils pouvaient vivre sereinement de perdre leur goût, leur toucher, ou bien leur odorat, mais perdre la vue qui rendaient les visages déchirés de leurs victimes tellement plus agréables à admirer et l’ouïe qui ne faisait que rendre mélodieux ces cris et ces supplications, ces appels à la pitié d’un homme qui n’en avait jamais eu. Immobile et incapable de bouger tandis qu’il retrouvait la vue au travers du morceau de lui-même qui était encore agrippé aux lèvres de l’adolescent Cletus le regarda s’agiter avec un certain amusement, il adorait quand ses victimes se débattaient et faisaient tout pour essayer de lui échapper, ça rendait toujours les choses plus excitantes et drôles qu’elles ne l’étaient, il n’avait pas énormément de plaisir à tirer de quelqu’un qui était incapable de se défendre et restait simplement passif dans ses petits jeux. Au moment où il commença à essayer de se défaire de l’emprise qui restait encore sur l’un de ses sens, Cletus perdit de nouveau la vue, se retrouvant à nouveau plongé dans le noir quand il réalisa ce qu’il venait de se passer, il avait réussi à se libérer les lèvres. Du moins partiellement. Mais c’était suffisant pour qu’il en perde le contrôle et que ce ne soit plus qu’un morceau inanimé de matière immonde.

Le crâne toujours sans yeux de Carnage par-dessus son véritable visage, Cletus avançait lentement, son corps tentaculaires lent et courbé dans une forme qui n’avait rien d’humaine, ses larges et effrayantes dents pointues toutes serrées les unes contre les autres et un large, épais, et imposant filet de bave dégoulinant du coin de sa bouche sans lèvres qui permettait de toujours voir ces crocs acérés et affamés. Mais è peine avait-il fait quelques pas et qu’il entendit le garçon s’agiter contre la porte et y donner un coup, Cletus décida de faire disparaître ce crâne rouge et ensanglanté qui lui recouvrait le visage, et celui-ci, son véritable visage, refit surface immédiatement. De minuscules tentacules encore attachés à quelques portions de son coup et de ses joues, le reste du corps squelettique et horrible de Carnage toujours là ; il secoua légèrement la tête, retrouvant la vue lentement, bien que toujours enseveli dans les ténèbres imposées par l’adolescent, et préféra garder les yeux fermés et se fier à son odorat que son union avec le symbiote avait rendu plus efficace, comme le reste de ses sens. Reniflant comme un chien de piste, il se mit à grimacer fièrement lorsqu’il réalisa qu’il était toujours là, tout proche. Rouvrant lentement les yeux, desquels il commençait à voir de mieux en mieux, Cletus s’approcha un peu plus, sa main droite perdant de ses formes pour simplement se transformer en pointe, le pas lent et silencieux. Tendant sa main gauche devant lui, Cletus se pencha en avant pour essayer d’attraper une silhouette diffuse mais en fut incapable, ses griffes grattant contre le sol alors que la lumière de l’extérieur se jetait à son visage. Lui qui retrouvait à peine son sens le reperdait aussitôt, ébloui.
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Un rayon de lumière jaunâtre qui émane de la rue. Un rayon de lumière qui s'interpose entre moi et la créature, ses griffes, ses dents, le bruit qu'elle fait quand elle renifle dans ma direction. Je me laisse tomber sur le sol, me relève maladroitement. Une multitudes de phonèmes se bousculent aux portes de mes lèvres, je fais un pas vers l'extérieur. Cette lumière, c'est le lampadaire qui crache son jour artificiel. Son intensité, plus forte que les autres. Je fronce les sourcils et me retourne sur l'homme, sur la créature, sur les deux. Il reprend visage, il est en train de reprendre visage humain.

Je fais un pas en arrière, stoppé par une voix près de moi. Je me retourne, elle est à nouveau là. Elle se tient droit, un regard sévère posé vers la porte. Elle m'ordonne de la repousser, ce que je fais du bout des doigts. Mon regard fouille les environs, je penche la tête : « S... » dis-je, remuant la main droite, essayant de retrouver mon calme et assez de concentration pour pouvoir parler. Je ferme les yeux, je n'ai besoin que d'une seconde... « Snow... Snow ! » Je me redresse et alors que je m'apprête à m'éloigner, la femme secoue la tête et pose un index sur ses lèvres, m'intimant de me taire. Vraiment ? Maintenant ? « Comme les autres à un moment donné tu vas essayer de résister. Tu vas essayer d’être plus fort que ce que tu es vraiment, et tu vas essayer de fuir. Tu vas essayer de me battre à mon propre jeu. Alors je vais te dire quelque chose, ne te retiens pas. Fais-toi plaisir, frappe-moi aussi fort que tu veux. Frappe-moi aussi fort que tu n’as jamais frappé. Je veux voir jusqu’où tu es capable d’aller. Je veux que tu puisses réaliser à quel point tu es un monstre avant que je te tue. » repète-t-elle avec sa voix à lui et elle me chuchote « Tue la bête. »

Je ne comprends pas ce qu'elle attend de moi. Je ne sais pas ce qu'elle veut obtenir de moi alors je la suis, faisant un pas de côté et me penche, les mains toujours liées ensemble mais devant moi. Mes doigts frôlent le bois d'une planche qui a été arrachée d'une palette. Je passe la langue contre ma lèvre inférieure, qu'en ferai-je ? La porte s'ouvre, il s'approche et ses yeux papillonnent à peine une seconde ou deux, il recouvre la vue donc. Je lui afflige de nouveau mon pouvoir et la femme chimérique se déplace silencieusement pour se mettre près de lui. « Ça suffit Cletus. » Je fais apparaître une autre voix, encore une autre. Elles parlent, elles sont partout autour de nous. Elles sont derrière lui, sous lui, au-dessus, dans leurs chuchotis qui se répètent. Ils disent des choses qui n'ont pas de sens mais elle, elle, elle lui dit que ça suffit, elle lui susurre en me regardant et me le montre du doigt. Je ne pourrai pas, je ne saurai pas le faire...

Son index blanc ne laisse place à aucune ambiguïté. Si c'est ce qui est le mieux... Elle vient se glisser à côté de moi, je me déplace à pas de loup et garde la planche solidement entre mes mains. Mon visage se tord dans une moue contrariée. Je prends mon élan, ne sachant pas si c'est ce que je dois faire. La dame me fait signe de la tourner sur elle-même et le bois laisse apparaître un long clou malade qui dépasse. Je rentrerai auprès de Snow, je lui dirai de créer à nouveau l'oiseau de glace. Alors je serre cette planche aussi fort que je peux et je frappe. Une seule fois, mais je ne peux récupérer mon arme de fortune, le clou étant venu se planter directement dans sa joue. Je recule, les yeux exorbités. « Tue la bête, Sterling ! » Non je... je ne sais pas comment... « Tue-le ! »

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Levant sa seule main aux serres sanglantes acérées encore là, non pas remplacée par une dangereuse arme, par-dessus son visage, Carnage restèrent immobiles un instant, la réalisation de la redécouverte d’un sens qu’ils n’avaient jamais considéré auparavant. C’était même une situation plutôt amusante, maintenant qu’ils avaient le temps d’y penser ; à tel point qu’un léger rictus leur échappa à mesure que leur vue redevenait complète et qu’ils commençaient à mieux distinguer l’horizon en face d’eux, la silhouette du gamin et tout le reste, la source de la lumière aveuglante qu’il aurait bien voulu détruire immédiatement, simplement pour ne plus être de nouveau aveuglé, pour pouvoir forcer l’adolescent dans la pénombre et se jeter sur lui sans qu’il ne puisse les voir venir. Mais à peine eurent-ils le temps de mieux le distinguer qu’ils étaient replongés dans la noirceur infinie et interminable imposée par le garçon. Ils poussèrent un long et violent grognement, tant agacé que les griffes de leurs doigts se multiplièrent, de cinq doigts à chaque main ils en eurent désormais une dizaine, et puis que deux bras surgirent de leur dos et se mirent à imiter les mouvements violents et aléatoires des deux autres dans tous les sens, ils étaient furieux et voulaient blesser la moindre chose qui s’approchait d’eux, le visage humain de Cletus toujours par-dessus le corps hideux et informe de Carnage. Et puis, ils s’arrêtèrent lorsque l’un des autres mirages du gamin se mit à leur parler. Se redressant lentement, si lentement. La tête s’inclinant légèrement sur le côté, ses yeux encore aveuglés se plantant directement dans la silhouette, « Pourquoi est-ce qu’elle utilise notre nom ? Elle a pas le droit d’utiliser notre nom ! » avaient-ils soudainement hurlé, les bras et doigts supplémentaires disparaissant, comme si quelque chose se passait sous le vacarme incessant de toutes ces voix qui venaient le hanter soudainement. Comme si Carnage perdait de son emprise ou de sa présence, ou de son contrôle.

Le vacarme insupportable, suffisamment fort pour être insupportable au symbiote fit s’agacer Cletus un peu plus. « Ça suffit, ça suffit, ça suffit ! ÇA SUFFIT !! » avait-il commencé à hurler à nouveau, ses mains surgissant d’à travers celle de ce corps rouge informe, pour s’écraser contre ses oreilles, qui s’agitait tout autour de lui ; comme perturbé par le bruit, se défaisant de Cletus. Les tentacules de la chose s’agitant tout autour de lui, à travers lui, en lui, comme s’ils cherchaient à projeter le symbiote loin de ce vacarme, comme s’ils avaient besoin de l’éloigner de l’inconfort, comme s’il ne pouvait pas supporter tout ça. Ses tentacules étaient différents de ce à quoi ils avaient ressemblé plutôt, alors qu’auparavant ils avaient eu l’air presque lisses et parfaits, ceux-là étaient tremblotants, ils étaient imparfaits, incomplets même, on devinait de légers filaments qui s’échappaient et s’écrasaient au sol, le tâchant de sang, sans se reformer ou s’animer. Comme s’il était blessé par le bruit. Cletus, lui, victime du vacarme tout autant qu’il l’était de la souffrance de sa maîtresse et soumise, s’était écroulé au sol. Les mains serrées contre ses oreilles tant que ses phalanges avaient blanchies, tant qu’il avait les yeux fermés au point de ne distinguer plus que de minuscules lignes sur son visage là où ils auraient dû être. La mâchoire serrée et les simples sons de sa douleur comme écho de sa survie malgré tout. Le symbiote, le corps rougeâtre et squelettique semblait fondre et dégouliner de son propre corps, lui redonnant des allures humaines, des allures presque innocentes, laissant voir une silhouette nue et innocente de toute monstruosité apparente et extérieure. « Stop ! AAAARGH-ARRÊTE ÇA ! » parvint-il à beugler avec douleur et difficulté, avant de soudainement sentir la brûlante sensation d’un coup au visage, sensation qu’il ne connaissait que trop bien pour se l’être infligée lui-même à plusieurs reprises. Et puis, lentement, la réalisation encore plus brûlante de quelque chose d’autre, comme s’il était en feu, trop endolori par le vacarme imposé par les voix du garçon, Cletus ne trouva même plus la force de hurler de douleur en réalisant que sa chair venait d’être violemment pénétrée. Et tout à coup, lorsque les yeux de Cletus s’écarquillèrent, le Symbiote cessa complètement de remuer, s’écrasant violemment au sol comme une gigantesque flaque de sang et de tripes. Et Cletus, lui, s’écroula aussi, ses larges yeux noirs grands ouverts plantés dans le regard du garçon. « …Meurtrier. » était-il cependant parvenu à siffler, l’air presque pris de pitié.

Immobile au sol, comme mort. Le symbiote toujours solidement attaché aux mains du garçon.


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Tuer la bête, comment pourrais-je faire ? Il déploie ses doigts dans une quantité impossible pour une main humaine, j'en viendrais à regarder ma propre main pour me persuader qu'il est malade. Qu'il est difforme. Ne l'est-il pas ? Dix doigts à chaque main et des bras dans le dos, comme si une nouvelle entité cherchait à émerger du seul corps que je n'ai jamais vu en face de moi. Comme si son cauchemar à lui cherchait réellement à exister... Il n'apprécie pas être appelé par son nom, du moins l'un des deux refuse et le fait qu'il hurle « notre nom » me laisse curieux. Me laisse mal à l'aise, comme un goût d'impossible entre les lèvres. Il refuse les chuchotis des voix, il les refuse, ils les refusent et je serre mon arme de fortune entre mes mains en attendant qu'il disparaisse, que l'un des deux disparaisse et qu'il ne reste plus rien de ce qui me dégoute. Elle est toujours là, donnant ses ordres et se mêlant au chaos de bruits qui ne résonnent qu'ici.

Je ne sais pas ce que je devrais ressentir, si ça devrait être de l'empathie parce qu'il entend ce que j'entends, ou du soulagement de le voir ainsi lâcher prise face à tous ces petits riens qui n'existent pas vraiment... je retiens mon souffle alors que la créature semble presque le sien. J'ai déjà vu des gens en colère, effrayés, contrariés mais les formes imparfaites de ses... tentacules, je ne sais pas comment les interpréter. Je ne sais pas quoi en faire dans ma tête. Du sang coule sur le sol, je le regarde tomber sans reprendre forme. Il n'aime pas ça, il n'aime pas vous entendre. Peu importe, je dois profiter de cet instant. Je frappe, sans savoir pourquoi je le fais. « Tue-le. » Mais tout cela est faux. Les voix ne sont. Le noir l'est.

Je lâche la planche, même si le clou malade reste planté dans la joue de Cletus, attendant d'être arraché, attendant d'être emporté par le poids du bois. Je baisse le regard sur mes mains puis fais un pas dans sa direction, décrivant un mouvement circulaire autour de lui, sans le toucher. « …Meurtrier. » Sur le sol, la saleté rougeoyante, rugueuse, rageuse. Je mets un genou à terre sans savoir quoi lui répondre. Ses yeux sombres me mettent mal à l'aise, je fuis son regard. Je déteste le regarder dans les yeux, comme n'importe qui d'ailleurs. « Pars ! » dit-elle. Je la fais taire. Elle reste interdite, près de nous. Mon père m'a dit de ne pas le faire, ne pas l'utiliser pour blesser les autres. Mais la créature n'est pas « les autres ». Elle est bien pire. Je tends les doigts vers la flaque sans la toucher puis approche mes doigts de la joue de Cletus. « Je... ne ne... vou... » Je ferme les yeux, fais un effort considérable, comme chaque fois que je dois m'adresser à l'un de mes semblables. Le cauchemar ne gît-il pas devant nous dans cette flaque infâme ? « lais pas... pas... » Pas lui faire du mal, à lui. Je l'ai dit à M. Drake, pourquoi blesserais-je quelqu'un d'autre ? Est-ce que je l'ai fait ? « Je... » Je ne sais pas ce que je suis sensé lui dire d'ailleurs. Qu'est-ce qu'il faut faire dans cette situation ? On ne me l'a pas appris.
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