Le dos droit, la jambe croisée, le regard froid, le tailleur et les escarpins hors de prix, Mona Blackfield attendait son tour. Elle avait la posture et la prestance d’une reine. Ses grands yeux bleus scrutaient ses adversaires. Ils étaient les cinq derniers. Cinq sur une centaine d’applications. La compétition avait été féroce dès le départ, mais la brunette avait réussi à sortir son épingle du jeu à chaque étape de l’embauche. Et haut la main. Elle savait qu’elle gagnerait au bout de la ligne d’arrivée. Ce poste était fait pour elle et ses opposants semblaient en être très conscients. Ils étaient nerveux. Leurs jambes tressautaient, ils lisaient leurs notes, de la sueur perlait sur le front. Ils gardaient un mince espoir. Mona? Elle allait bien. Elle était calme. Elle n’avait pas besoin de se préparer. Bien sûr, elle s’était renseignée sur le poste, les fonctions et sur son futur patron, mais elle n’était pas là pour réciter par cœur ce qu’elle avait lu sur Internet. Ils s’en fichaient royalement. Il fallait l’avoir, tout simplement. Et la jeune femme savait qu’elle l’avait. Elle était intelligente, cultivée, fonceuse et charmante. Elle était capable d’envoûter n’importe qui. Elle réussissait à obtenir tout ce qu’elle désirait et ce, depuis qu’elle était toute petite. Enfant unique d’une famille riche et respectée de Londres, elle avait toujours eu ce qu’il y avait de mieux pour compenser les piètres qualités parentales de ses parents. Elle avait reçu une éducation stricte, mais enrichissante. Elle avait beaucoup voyagé. Elle adorait les musées, le théâtre et la lecture. Le rang de ses parents lui avait permis de rencontrer des gens très influents. Il lui avait aussi permis de savoir comment se comporter et discuter avec eux. C’était inné chez elle. On l’avait toujours comparé à une princesse tellement elle se sentait bien dans cet environnement. Elle avait toujours été solitaire et indépendante et cela ne changea pas lorsqu’elle fût envoyée dans un pensionnat écossais. Elle se fit quelques amies le temps du collège et du lycée, mais elle les avait rapidement rayé de sa vie une fois tout cela terminé. Mona avait bien du mal à s’attacher ou à faire confiance. Elle ne savait pas comment. Sa beauté et ses yeux hypnotisants attiraient les gens. Sa froideur les repoussait.
"Mademoiselle Blackfield?" Mona tourna mécaniquement la tête vers la voix appartenant à une jeune femme rousse à peine plus âgée qu’elle. Ses lèvres pulpeuses s’étirèrent en un large sourire. Elle se leva de sa chaise sans un regard vers les autres. Elle suivit la rouquine vers le lieu de l’entrevue. Après trois étapes d’entrevue, elle commençait à bien connaître les lieux. Elle était détendue et répondait amicalement à toutes les questions d’usage de la jeune femme. Elles s’arrêtèrent devant deux grandes portes de bois.
"La dernière étape se passe avec monsieur McCoy lui-même." Mona acquiesça d’un hochement de la tête, toujours calme. La rousse ouvrit la porte.
"Monsieur McCoy? Voici mademoiselle Blackfield. " Au bout de la pièce assis à un grand bureau en chêne, se trouvait un homme d’une imposante stature qui releva la tête et observa Mona par-dessus ses lunettes. Puis sourit. Il se leva et referma un bouton de sa veste. Il s’approcha d’elle avec une démarche lourde et maladroite. La brunette se tenait toujours droite et souriante, même si elle sentait son corps se contracter de colère et de dégoût. L’homme qui lui présentait sa grande main était tout ce dont elle détestait. Un mutant. Il n’en avait pas l’air, mais derrière cette façade humaine se cachait une grosse peluche bleue.
"Enchantée monsieur McCoy." L’assistante quitta le bureau et le secrétaire des affaires mutantes invita la jeune Blackfield à s’assoir. Il lui offrit un verre d’eau, mais elle refusa poliment. Elle pouvait apercevoir son curriculum vitae sur la table du mutant. L’opération charme pouvait débuter. Il lui expliqua en gros ce qu’il attendait de sa prochaine assistante, puis il lui demanda de parler un peu d’elle et de son parcours. Elle lui raconta qu’après le lycée, elle avait décidé de quitter son Angleterre natal pour rejoindre une université prestigieuse américaine. Son choix s’était porté sur Princeton et les sciences politiques. L’homme semblait fort impressionné non seulement par son cursus scolaire et les endroits où elle avait travaillé, mais aussi par toutes les associations caritatives auxquelles elle avait participé. Ses yeux brillaient et il souhaitait en savoir plus sur elle. Il avait même fait mention de son accent anglais. La femme était très fière de son nom de famille et de ses origines. Cela faisait plus de dix ans qu’elle était aux États-Unis, mais elle avait toujours gardé son accent. Mona savait parfaitement qu’elle avait l’homme du gouvernement dans sa petite poche et que le reste de l’entrevue n’était qu’une formalité. Elle savait qu’elle avait toutes les qualités requises et qu’elle serait un atout pour lui. Elle n’allait pas seulement se contenter d’être la petite assistante stupide qui lui apporterait le café et qui répondrait au téléphone.
"Que pensez-vous des gens qui se soulèvent contre la race mutante? Qu’est-ce que vous leur diriez afin de calmer les choses?" Les lèvres de la jeune femme s’étirèrent de satisfaction. Elle s’était attendue à cette question.
"Je crois qu’ils sont tout simplement mal renseignés. C’est normal d’avoir peur pour quelque chose qui nous échappe. Les gens aiment être en contrôle de leur vie. Il faut leur faire comprendre que les mutants sont l’avenir. Qu’ils permettent d’accéder à des sciences et des technologies jusque-là impossibles à faire ou même à imaginer. Il faut aussi leur faire comprendre que depuis toujours les temps changent et évoluent. Que ce n’est que le cours normal des choses et qu’il faut s’y faire. Il faut travailler avec eux et non contre eux. Il faut s’en faire des amis et non des ennemis." Elle lui sourit bêtement. Elle n’en pensait pas un mot. Ce n’était que des belles paroles. Ce qu’il voulait entendre. Elle-même faisait partie d’un groupe anti-mutants. C’était d’ailleurs au nom de ce groupe qu’elle se trouvait aujourd’hui devant le secrétaire. Elle avait vu là une chance en or de grimper les échelons des Watchers. La réaction de son leader, Jeremiah Reagan, lorsqu’elle lui en avait parlé était probablement la chose la plus belle qu’elle avait vu. Elle avait pu lire de la fierté pure dans son visage. Elle faisait tout cela pour lui. Mona voulait qu’il la voie plus qu’une simple membre. Elle voulait lui démontrer toute sa détermination et lui montrer qu’elle croyait en lui et en ses convictions. Les mutants étaient des erreurs de l’espèce humaine. Ils n’avaient pas leur place ici. Elle était pour les irradier. Ils ne causaient que des problèmes et du tort. Ils se pensaient au-dessus de tout. Ils n’avaient aucun scrupule. Ils se fichaient de tout. Ils trichaient. Elle les détestait. Depuis qu’ils étaient sortis au grand jour, c’était le chaos partout. Les gens avaient peur. On ne pouvait pas faire confiance à personne. L’histoire et les ancêtres de Mona n’avaient plus aucune importante tout à coup. Tout ce qu’elle avait connu était désormais inutile. Cette montée mutante avait tout gâché. Il fallait remédier à la situation et ce, peu importe les moyens utilisés. Hank McCoy semblait vendu à la jeune femme. Il buvait ses paroles et acquiesçait à ses idées. L’entretien se termina finalement. Le mutant accompagna la belle à la sortie. Il lui donna une dernière poignée de mains. Mona savait que ce n’était pas la dernière fois qu’ils se croisaient.
"À bientôt, monsieur McCoy." ***
Mona raccrocha le téléphone un large sourire malin accroché à son visage. Elle se retourna vers son petit-ami assis à ses côtés sur le canapé.
"Je l’ai!" Joseph la prit dans ses bras.
"Personne n’en doutait! Je suis fier de toi…je connais un excellent moyen de fêter ça…" Il approcha ses lèvres du cou de la jeune femme, mais cette dernière l’esquiva.
"Je dois annoncer la nouvelle à Jeremiah! Il sera tellement content. T’imagines! On aura accès à plein de dossiers confidentiels sur les mutants. Je pourrai savoir tout ce qui ce passe et ce qui est prévu. On aura toujours une longueur d’avance sur eux. " Ses yeux bleus brillaient à la pensée de toutes les opportunités que son embauche impliquait pour les Watchers. Le manque de réaction de Jo l’énervait. Elle voulait qu’il soit aussi excité qu’elle et qu’ils puissent partager cette victoire ensembles parce qu’elle avait besoin de son soutien. Elle ne le démontrait pas toujours, mais elle tenait à lui et à ses opinions. Au moins, Jeremiah allait être heureux lui et c’était le principal. Il comprenait les risques qu’elle prenait pour eux. Pour lui. N’obtenant pas de réponse, Mona soupira.
"Il sera fier même si tu lui dis plus tard. Pas la peine de stresser pour ça. " Elle se leva d’un bond.
"T’es juste jaloux! Parce que moi j’ai une opportunité de bien me faire voir de Jeremiah et que toi t’es rien! " Elle sentait depuis un moment que Jo avait développé une certaine jalousie concernant leur leader. Alors qu'il n'avait absolument pas à s'en faire. L'anglaise parlait souvent de lui et souvent avec un éclat dans le regard. Mais ce n'était pas de l'amour ou de l'attirance. C'était de l'admiration. Anarchy représentait tout ce dont en quoi elle croyait. Elle le suivrait jusqu'au bout. Elle buvait toutes ses paroles. À son tour, le blond se leva et attrapa sa veste. Il se dirigea vers la porte. Avant de la franchir, il se tourna vers Mona.
"C’est peut-être lui que tu devrais baiser!" Et il sortit en prenant bien soin de claquer la porte de l’appartement. Elle leva les yeux au ciel. Ce qu’il pouvait être drama-queen. Il allait revenir en rampant dans deux jours. C’était toujours la même histoire depuis qu’ils s’étaient rencontrés quelques années auparavant lors d’une réunion des Watchers. Ils avaient rapidement été attirés l’un par l’autre et ils s’étaient mis à se fréquenter rapidement. Tous les deux ayant des caractères similaires, leur relation était explosive. Ils s’entendaient sur pratiquement rien. Leurs opinions divergeaient sur tous les sujets. Chacun leur tour, ils disaient des choses qu'ils regrettaient, mais qui menaient à des disputes féroces. Mona avait de la difficulté à faire confiance et se trouvait la plupart du temps dans son monde alors que Joseph était trop passionné et s’emportait facilement. Mais, c’était plus fort qu’eux. Ils se réconciliaient toujours et c’était toujours bon et enflammé. Mona avait bien de la difficulté à se détacher de lui, même si dans son for intérieur, elle savait que ce serait mieux pour eux s’ils se séparaient définitivement. Mais, elle n’osait pas franchir le pas. Il était son roc, certes fragile, mais elle se sentait toujours plus en confiance lorsqu’il se trouvait dans les parages.
Elle n’eut pas le temps de penser plus à Jo puisque son téléphone sonna. Elle sourit en apercevant le nom de son interlocuteur. Elle décrocha aussitôt, le coeur battant.
"Jeremiah? J’ai une bonne nouvelle…"