Il y avait de la fumée, un peu partout, et les cendres formaient de petits nuages qui, sans arrêt, venaient s'infiltrer dans les poumons de Pietro. Il toussait sans voir à deux mètres, s’époumonant à appeler sa sœur.
« WANDA ! » et sa voix de gamin qui n'avait pas encore mué, du haut de ses neuf ans, transpirait la panique. Que s'était-il passé ? Il y avait eu de gros tremblements d'abord, et sa mère avait regardé par la fenêtre. Pietro tirait sur sa robe, curieux comme pas deux, convaincu qu'il s'agissait d'un tremblement de terre.
« Qu'est-ce qui se passe, maman ? » Elle s'était retournée vers leur père, une vraie terreur dans les yeux. Elle avait poussé Pietro près de sa sœur, avec violence, quand le toit avait cédé sur elle. Il se souvenait avoir crié, mais aucun son n'était sorti – ou bien le craquement des planches, l'explosion des briques avaient provoqué un trop gros vacarme. Il s'était senti très seul pendant quelques minutes, alors que ses oreilles bourdonnaient et qu'il entendait seulement les battements de son propre cœur, sa respiration lourde et saccadée. Quand la poussière s'était lentement dissipée, quand elle avait arrêté d'obstruer ses poumons, il avait hurlé le prénom de sa sœur. Où était-elle, merde ? Il essaya de se lever, mais la charpente était tombée dans le salon. Elle lui bloquait les jambes. Il se contorsionna, appelant encore sa mère, son père, sa sœur. Un gémissement étouffé lui répondit, il tourna rapidement la tête dans sa direction. Il y avait une mare de sang. Les longs cheveux s'y baignaient, se teintant d'écarlate, tandis que des lèvres de sa mère ne sortaient plus que des gémissements de douleur. Pietro pleurait à chaudes larmes désormais, il pleurait sa mère et lui criait de rester avec lui, lui criait que tout irait bien. Combien de temps resta-t-il là, à la regarder mourir ? A quel moment commença-t-il à lui implorer d'arrêter les gémissements, à espérer qu'elle meurt plus vite ? Et puis elle ne fit plus de bruit. Alors il entendit le tic, il entendit le tac, et il pensa à l'horloge de la cuisine. Elle aurait résisté à ce cauchemar ? Cette petite horloge toute bête, accrochée sur le mur, à côté du réfrigérateur, serait encore en vie, alors que sa mère venait de passer l'arme à gauche ? C'était illogique. C'était stupide. Il tourna la tête de l'autre côté, et il vit un peu plus haut, appuyant sur la charpente, un engin métallique. Une bombe du nom de
Stark. Allongé là, dans la poussière et le sang, incapable de bouger, il resta à contempler ces cinq lettres, convaincu qu'elle finirait par exploser. Il avait arrêté d'appeler son père, d'appeler Wanda : il n'avait plus la force d'ouvrir la bouche, de hurler. Il aurait bien aimé mourir, lui aussi. C'était la solution la plus facile. Dans le silence soudain, une voix s'étira, hurlant son prénom et redonnant à son corps l'énergie dont il avait besoin pour ne surtout pas fermer les yeux.
« PIETRO ! » Il ne pouvait pas la voir, mais il savait que sa jumelle était là, proche de lui. Elle voyait le nom
Stark et elle voyait la désolation, la mort. Il tendit la main au dessus de sa tête, cherchant à attraper celle de sa moitié – finalement, leurs doigts s'entrelacèrent.
« Je suis là, Wanda ! Tout ira bien, tu vas voir ! Tout ira bien, tout ira bien, tout ira bien ! » White fog lifting & falling on mountain-brow
Trees moving in rivers of wind
The clouds arise
as on a wave, gigantic eddy lifting mist
Pietro commença sa course contre la montre : le monde tombait en lambeaux. Les héliporteurs du S.H.I.E.L.D. Attendaient les civils pour une évacuation, et certains n'auraient jamais le temps de s'y rendre avant que l'île ne frappe le sol à nouveau. Il sentait ses cheveux lui fouetter les joues et la nuque, il faudra les couper quand tout ça sera terminé. A la vitesse à laquelle il allait, il pouvait sans trop de difficultés amener les gens à l'embarquement, récupérer ceux qui étaient coincés dans leurs maisons ou aux prises avec les soldats d'Ultron. Mais il voyait des gens mourir quand même – il y en avait forcément. A toute allure, le spectacle paraissait presque irréel. Puis il s'était habitué à la violence, aux cris, à la panique ; cette situation au complet avait des allures de gros bordel. Pietro pouvait gérer, après tout il allait si vite que tout le reste se passait au ralenti. Et il faudra bien qu'il mange un truc, incessamment sous peu, s'il ne veut pas s'évanouir d'un coup, mais en attendant il puise dans ses réserves et il sauve un maximum de monde.
Encore une fois, il ne peut s'empêcher de penser que c'est un peu la faute de Stark. Comme si celui-ci était incapable d'apprendre de ses erreurs, comme s'il était condamné à toujours faire du mal aux autres. Si la haine que lui et sa sœur avaient nourri pour le milliardaire s'était largement estompée après avoir compris les plans d'Ultron, lorsqu'ils avaient rejoint provisoirement les rangs des Avengers, Pietro avait toujours beaucoup de mal à supporter l'arrogance de Stark. Bien heureusement, tous les héros n'étaient pas comme Tony, et Pietro avait compris qu'ils avaient fait fausse route en s'associant à HYDRA, et à Ultron par la suite. Ils ne savaient pas, ils essayaient seulement de faire ce qui leur semblait juste. Ce qui leur permettait de survivre et de venger leurs parents. Cette mission de sauvetage qu'il effectuait alors, ce dernier sprint, était un autre acte de rédemption. Une manière comme une autre de taire sa culpabilité et de trouver un peu de paix.
Aussi, lorsqu'il voit ce gamin un peu perdu, l'un des derniers restants sur cette île de misère, appeler sa mère comme lui-même des années plus tôt, il y a quelque chose qui fait boum en lui. Une sorte d'écho du passé, une idée précise de ce qu'il doit faire. Il commence à courir, il atteste la situation ; et Clint prend le petit dans ses bras, le protège. Mais de quoi ? Le temps passe si lentement que les choses semblent figées tandis que les jambes de Pietro se démènent. Il tourne la tête, voit le Quinjet se diriger droit sur Hawkeye et le gamin, tous canons dehors. Le jeune homme ne prend même pas la peine de réfléchir, il court et pile juste derrière Barton. Les balles le traversent de part en part, il sent la brûlure sur sa peau, le sang gicler. Ses jambes flagellent et il repense aux derniers gémissements de sa mère. Barton se retourne, les lèvres semi-ouvertes, choqué de ne pas s'être pris les balles. Son regard accroche celui de Pietro, qui lâche un petit rictus, le même que lors de leur première rencontre.
« Tu l'as pas vu venir ? » Sa dernière pensée est pour Wanda. Puis il s'écroule.
Il reprend conscience quelques secondes – ou bien quelques minutes ? - plus tard, son corps secoué par les mouvements brusques de Captain America alors qu'il le transporte dans ses bras. Déposé dans un héliporteur, il cherche à se relever, mais Barton le maintient et indique au médecin de s'occuper de lui. Pietro voudrait grimacer de douleur, mais même ça, c'est impossible. Il se sent flotter, quelque part entre ici et ailleurs, et tout se passe si lentement. Il aimerait bien courir loin de ses blessures, loin de cet enfer : mais personne n'échappe à la mort.
« ...mourir... » Le médecin se penche, pour entendre les mots que le jeune homme soupire, et il essaie de composer un visage rassurant.
« Mourir ? Ce n'est qu'une égratignure, petit. Je m'occupe de toi, ne t'en fais pas ! » Pietro cligne une fois, deux fois, et sombre complètement.
above teeming ferns exquisitely swayed
along a green crag
glimpsed thru mullioned glass in valley raine
Il s'en est sorti. Il s'en est sorti et il n'arrive toujours pas à y croire. Sur son torse subsistent les cicatrices des nombreuses opérations nécessaires à sa survie. Mais Pietro n'a que faire de ces imperfections de chair, puisqu'il marche et respire. Puisqu'il court à nouveau. Wanda et lui ont décidé qu'il était grand temps de vivre une vie normale, de reprendre le cours de leur existence là où ils l'avaient laissé, des années plus tôt. Ils sont venus à New-York, aidés par leurs nouveaux camarades Avengers ; et bien qu'ils préfèrent faire profil bas, ne rejoindre aucune équipe, ne pas combattre le crime pour l'instant, ils ont gardé bon contact avec eux. Pietro n'irait toujours pas discuter avec Tony de la pluie et du beau temps, mais ses liens avec Clint ont grandement évolué. Prendre une salve de balles pour quelqu'un, ça forge une relation ! Wanda a voulu reprendre ses études. Ils ont donc pris un appartement en ville, qu'ils partagent avec Vision – la créature intelligente de Stark. A dire vrai, Pietro n'a jamais très bien compris d'où venait Victor (comme Wanda l'appelait) et il n'est pas sûr de vraiment le vouloir. Quelque chose se trame entre sa sœur et l'IA, quelque chose de presque romancé, ce qui dépasse complètement le jeune homme. Il ne se retient d'ailleurs jamais d'y aller de sa petite critique sur cette relation complètement étrange. Mais finalement, Wanda fera ce qu'elle veut, et Pietro l'acceptera : c'était ainsi qu'ils fonctionnaient.
Il était devenu coursier, à livrer courriers et colis à droite à gauche de la ville. Les deadlines n'étaient pas un souci pour lui, et cela lui donnait l'occasion de courir quand bon lui semblait. Il s'était finalement coupé les cheveux, question d'ergonomie, et il parcourait les rues en essayant de rentrer dans le rang. Cependant, Pietro n'était pas bon pour respecter les règles. Il avait un pouvoir trop grisant, une telle maîtrise du temps, et un tel appétit pour le danger, qu'il commettait aussi souvent que possible de petits larcins pour arrondir ses fins de mois ; pour le plaisir, principalement. Ce qui avait le don d'agacer Wanda. Le jeune homme restait sur les lieux de ses vols le temps d'appeler la police, et lorsqu'un officier passait la porte, il restait le temps d'un sourire avant de déguerpir. Jusque là, personne n'a couru assez vite pour le rattraper. Pas même l'un des officiers dont le prénom lui échappe, qui se retrouve constamment sur les scènes où Pietro attend les forces de l'ordre – si bien que pour lui, c'est devenu un jeu. Il brise la loi de plus en plus souvent, juste pour voir si c'est cet officier qui arrivera en premier. Et quand tel est le cas, quand il reconnaît son visage, c'est un clin d’œil qu'il lance avant de quitter les lieux.