“C’est vrai que la dernière fois qu’un gouvernement a voulu recenser un certain type de personne, tout s’est bien passé dans le meilleur des mondes.” Axel. Bobby le cherche du regard. Il est perdu quelque part dans le salon. Il sent la colère dans sa voix. La haine. Le genre de sentiment qui n’augure rien de bon. En principe, cette colère conduit à des paroles violentes, à des comportements extrêmes. Il a déjà vu un agacement pareil. Chez Pyro. Quand le mutant était encore à l’Institut et qu’il défiait l’autorité. “La cohabitation, ça s’fait dans la confiance et pas dans la peur. Recenser les mutants n’a rien à voir avec le fait de vouloir que tout se passe bien. C’est juste pour pouvoir mieux nous cibler et mieux nous exterminer les uns après les autres. Ils ne font pas ça parce qu’ils veulent notre bien, ça paraît évident, bordel… Ils veulent des têtes à faire tomber. Alors forcément, si les mutants sont recensés c’est tout de suite plus simple. Oh, tiens, un petit crime pas résolu à Brooklyn ? Et bah on va accuser un mutant sur la liste ! Et personne ne dira rien, parce qu’ils ont peur, parce qu’ils nous détestent et nous en veulent pour le simple fait d’exister. C’est tout aussi simple que ça. Et aller se jeter dans leurs gueules en pensant qu’il ne nous arrivera rien, c’est d’une naïveté qui m'dépasse…” La théorie du complot. Comme pour les attentats. Comme pour le premier pas sur la Lune. Comme pour tout un tas d’histoires. Croire que tout ceci n’est que pour les tuer est trop facile. Trop simple de ne pas faire confiance. Trop facile de pointer du doigt. Trop compliqué pour essayer de comprendre. Mais ce qu’Axel dit est grave. Important, aussi. Il témoigne d’une méconnaissance, d’un mal-être. Il témoigne d’un sentiment d’abandon. De nombreux mutants doivent le ressentir, ici. Adolescents ou adultes. C’est probablement le pire. Que ses paroles trouvent un échos chez les autres. Que ses paroles soient pensées et partagées par d’autres. “Il ne faut pas croire tout ce que vous entendez ou voyez. Ils ne vont pas nous tuer, ils ne vont pas nous pointer du doigt. Et ce n’est pas de la naïveté de penser qu’on peut leur faire confiance.” Il aurait aimé que le Professeur Xavier soit là. Il a toujours eu les mots pour fédérer les jeunes. Il a toujours su motiver et rassurer les troupes. Pas Bobby. Il connaît chacun d’entre eux. Il les connaît personnellement. Mais tous ensemble, tous réunis dans la même pièce, tout est d’un coup plus difficile. Il n’est pas en terrain connu. Les thérapies de groupe ne sont pas son quotidien. Encore moins lorsqu’il s’agit d’une foule de gamins inquiets. Des gamins qui se nourrissent aux informations et aux théories saugrenues. “Bien sûr que c’est effrayant, Axel. On a toutes les raisons de douter du gouvernement, c’est vrai. Mais avons-nous le choix ? On doit les inciter à changer leur opinion en coopérant.” Les mutants ont mal agi. Certains ont mis en danger toute l’humanité. Ils doivent réparer ces erreurs. Ils doivent assumer pour les responsables. Et si cela doit passer par l’étape du recensement, alors, il faut le faire.
Ils ne sont coupables de rien. Personne ici ne l’est. Mais ils sont obligés de demander pardon pour ce que d’autres ont fait. Ils sont obligés de s’excuser au nom de tous les mutants. La rédemption peut prendre plusieurs formes. Dont la forme légale. Ainsi, ils se légitiment et peuvent faire avancer les choses. “Je suis d’accord avec toi, on doit se faire bien voir et ce recensement pourrait être un bon moyen.” Est-ce qu’il y aurait un revirement d’opinion du côté de Sacha ? Bobby n’y croit pas trop, même si il en a envie. La conversation ne devait pas virer à la leçon de morale et à l’affrontement. Elle devait être menée dans l’échange et le partage. Comme pour tous débats. Sauf qu’elle devient politique. Il y a un enjeu derrière. Derrière les visages fermés ou les paroles prononcées, il y a des prises de position. Des opinions qui sont exprimées. Ils sont déjà en train de se diviser. Ils sont déjà en train de se toiser. Ils sont déjà en train de se disputer. Bobby le premier. “Pourrait. C’est ça, le problème. Johanna a raison. Tu peux affirmer sans aucun doute que le gouvernement n’essayera jamais de se servir de nous ? Que nous révéler ainsi ne permettra pas aux anti-mutants de s’en prendre encore plus facilement à nous ?” L’agacement domine. Sacha ne veut pas faire confiance. D’accord. Okay. Mais quand il va sur Internet et qu’il laisse des données personnelles traîner, est-ce que ce n’est pas la même chose ? Il donne toutes les informations nécessaires aux moteurs de recherche et aux gouvernements du monde entier. Il pourrait être traqué au mètre près avec son téléphone portable. Il pourrait être tué facilement. La loi sur le recensement n’est qu’une façon de plus de récolter des informations sur les mutants. Pour rassurer. Pour comprendre. Pour savoir. A aucun moment les gouvernements utiliseront cette loi pour les tuer, tous. “Et Bobby, je ne dis pas que nous devons nous battre, rien de toutes ces conneries, d’accord ? Je dis tout simplement que chacun devrait réfléchir avec énormément de soin au choix qu’il fera.” Mais pour réfléchir avec soin, encore faut-il avoir toutes les informations. Encore faut-il se forger une opinion par soi-même, sans prendre en considération les théories des uns et des autres, sans écouter aveuglément les journaux télévisés. Il faut chercher. Il faut avoir la curiosité de comprendre. Ces gamins ne sont pas encore tous prêts à prendre cette décision importante. A supposer que la décision soit importante et ait un impact sur leur vie future. “Une fois recensé, plus de retour en arrière. Pensez bien à ça, avant de signer quoi que ce soit.” Génial. Super. Merci Sacha. Merci de les flipper. Merci d’insuffler l’inquiétude. Ils n’avaient pas besoin de cela. Ils étaient suffisamment conscients des enjeux. Sacha a terminé d’inquiéter les plus jeunes. Plus personne ne semble vouloir prendre la parole.
Là où les adultes devaient jouer un rôle rassurant et réconfortant, le contraire se passe. Les adultes, seules figures d’autorité que tous ces jeunes connaissent, sont ceux qui distillent les peurs et qui provoquent les angoisses. Ils sont beaux, les employés. A se déchirer devant les gamins. A s’affronter devant des jeunes perdus, effrayés. Avant de lancer un débat dans le salon, il aurait peut-être fallu commencer par les adultes. Bobby reprend la parole. “Peu importe la décision que vous prendrez pour ce recensement, l’Institut sera toujours votre maison. Il n’y aura aucun jugement, aucune dispute. Nous continuerons à veiller sur votre sécurité et à vous enseigner tout ce que vous devez savoir.” Tenter de réparer les dégâts. Essayer de rassurer tout le monde. Personne ne sera jugé à la X-Mansion. Chacun prendra sa décision, indépendemment des autres, sans craindre d’être décrié ou d’être pointé du doigt. Surtout, recensement ou pas, ils auront toujours une maison. Un endroit où se retrouver et où avoir une famille. L’école ne risque pas de fermer. Encore moins maintenant. Sa raison de vivre a encore plus de sens, aujourd’hui. “Lorsque le Professeur Xavier a créé cette école, il avait en tête la cohabitation des homos superior et des homos sapiens. Plus que jamais, cette idée prévaut. Plus que jamais, nous devons rester soudés, peu importe nos décisions et nos opinions.” Au final, ils ne seront pas impactés par cette loi. Ils seront toujours en sécurité. Ils pourront toujours apprendre à dompter leur mutation. Ils vivront toujours sous le même toit. Si les recensés ne se font pas tuer par on-ne-sait-quel-miracle. Les choses sont dites. Ils savent tous à quoi s’en tenir. “Est-ce que quelqu’un d’autre veut prendre la parole ?” Une autre personne qui voudrait se confier, qui voudrait donner son opinion, qui ferait part de ses sentiments.
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Jeu 19 Mai - 18:42