Ces derniers mois, la vie de Jimmy n'avait pas été très rose. Pas très noire non plus, excepté pour sa rupture avec Andrew. Depuis que sa petite bulle, celle à laquelle il était tellement habitué, avait éclaté … Il ne faisait plus grand-chose. Il se réveillait, tard. Il allait en cours quand son état le lui permettait, mais bien souvent, il avait trop bu la veille, et la gueule de bois qui le ravageait le poussait à rester au lit. Il tirait les couvertures, tournait sur le matelas, grognait un peu pour se rendormir. C'était si bien, de dormir. Il n'avait plus à pleurer Andrew, à penser à lui, à penser à ses propres erreurs. Il n'avait plus à détester sa mutation, à cracher sur sa condition. Tout était d'une routine sans nom. Si bien que Jimmy vivait sans vivre, flottant sur le courant sans jamais prendre aucune décision, aucune direction. Il se laissait aller. « Tu te laisses aller », c'est d'ailleurs ce que lui avait dit Lucy, sa professeure de dessin et tutrice de projets à l'université. Elle avait voulu percer la carapace, savoir ce qui travaillait autant le petit rouquin. Il n'avait pas été long à céder. Jimmy aurait gardé les choses pour lui avant. Il en aurait parlé à Andrew, parce que c'était Andrew la seule oreille attentive dont il avait besoin. Maintenant qu'il était célibataire, Jimmy lâchait tout à n'importe qui, plaignant son pauvre sort, comme si rien de plus grave n'arrivait ailleurs.

Lucy l'a emmené chez un ami à elle. Jeremiah, comme elle l'appelait. Est-ce que c'était son vrai prénom ? Son visage lui disait quelque chose, mais plus que tout, ce sont les idées qu'il évoquait qui faisaient tambouriner le cœur du rouquin dans sa poitrine. Il avait lu des opinions similaires sur des blogs internet, dans la presse. Il avait même entendu certains de ses camarades parler de cette façon. Évoquer les Watchers comme la meilleure solution contre les mutants. Après tout, les attaques subies par New-York il y a quelques mois, elles étaient bien dues à ces terroristes, non ? Jimmy avait le front en sueur, les yeux papillonnants. Il n'arrêtait pas de regarder la porte, cherchant le meilleur moment pour s'enfuir. La main de Lucy, sur son épaule, l'en dissuadait presque. Il lui faisait confiance. Pourtant, après lui avoir avoué qu'il était un mutant, elle venait de le conduire à un homme qui semblait les haïr. Elle ne semblait pas dans son camp.

Puis Jeremiah posa les mains à plat sur son bureau. Un sourire compatissant s'épanouit sur ses lèvres. « Je te parais sûrement très extrême dans mes propos. » Il se leva, et un frisson traversa l'étudiant. Qu'est-ce qu'il faisait là ? « Mais vois-tu, je pense qu'il y a certains mutants qui peuvent être guéris. » Il hoche la tête doucement, comme pour appuyer ses propres dires. « Il faut le vouloir très fort, bien sûr. C'est un procédé douloureux, qui ne marche pas à tous les coups. » Il fait une légère grimace. Jimmy ne peut s'empêcher d'invoquer le visage d'Andrew. Sa mutation les a séparés. « Quelque chose me dit que tu serais le sujet parfait, Jimmy. » Le jeune homme se rend compte qu'il a la bouche entr'ouverte. Les yeux avides d'en savoir plus. Est-ce que ça pourrait marcher ? Est-ce qu'il pourrait retrouver Andrew, une fois normal ? « Ça... ça coûte cher ? » demande le rouquin. Sa voix tremble. La pression de la main de Lucy est plus forte sur son épaule. Il ne pourra pas partir, même s'il le voulait (mais il ne veut pas. Il veut Andrew). Un rire glisse des lèvres de Jeremiah. « Bien sûr que non ! On ne fait pas payer un tel acte citoyen. Un tel acte moral. » Jimmy ne répond rien. Il a encore Andrew en visuel sous les paupières. La main de Jeremiah vient se poser sur son autre épaule. Paternaliste. « Je peux te sauver de toi-même, Jimmy. » A cet instant, tout son corps lui crie non. Mais Jimmy regarde dans les yeux de Jeremiah. Il y voit son salut. Il y voit Andrew, quelque part au bout du tunnel. Il l'attend. If that's what it takes, fait la petite voix de sa conscience. C'est son cœur qui lui souffle. Pas grave. Quel autre choix a-t-il ? Sa vie est misérable. Il est misérable. « Sauvez-moi. » répond le jeune homme, fébrile. Le sourire de Jeremiah grandit encore. La main de Lucy le lâche un peu. Jimmy se sent déjà mieux.