Un mail non lu. De Erin Williams. Envoyé hier. Il pressent la menace. Il pressent la catastrophe. Il pressent le mécontentement. Il la connaît. Il sait de quoi est capable Erin. Dans certains côtés, elle est pire que Daisy. Leur OS a l’avantage de cogner fort et au bon endroit. Erin est plutôt dans un autre style. Plus malicieux. Plus perfide. Il a le doigt qui se crispe sur la souris. Il ne sait pas si il doit ouvrir ce mail. Sûrement une énième provocation. Sûrement une tentative de l’embêter. Sûrement un jeu puéril. La curiosité l’emporte sur la raison. Il clique. Dans le corps du mail, un lien. Une vidéo YouTube. Il ferme les paupières. Il prend une inspiration. Il expire profondément. Il se doute de ce qui l’attend. Un supplice. Une plaisanterie. Il rouvre les paupières. Il ouvre le lien, comme irrémédiablement attiré. Il ne peut pas ne pas regarder. Impossible. Forcé. Contraint. La vidéo charge. Mais déjà, le titre lui suffit. Complete Pikachu Dance. Cette fois, la main toute entière s’accroche à la souris. Bientôt, des pikachus géants se mettent à se dandiner sur son écran, encouragé par quelques voix asiatiques. Une démarche ridicule. Une démarche pitoyable. Le pire arrive. L’un des pikachus géants se met à hurler “pika-pikachuuuu”, avant d’entamer une danse désynchronisée. “ERIIIIIIIIIN !” Il rugit. Il hurle. Il ferme la page. Il en a assez vu. Il n’a pas besoin de s’infliger pareil supplice plus longtemps. Il tourne sur sa chaise. Elle est où ? Où est la responsable ? Il va la tuer. Il va la griller. Il va la frire en trois secondes. Il se lève d’un bond. Le regard fou. Il sort de sa chambre. Il parcourt les couloirs. Jusqu’à la trouver dans la cuisine. A se tourner les pouces. Il la pointe du doigt. “TOI ! Tu peux me dire c’est quoi cette vidéo ?” Il se rapproche davantage. Sa paume s’ouvre pour laisser filer une légère dose électrique. Il contrôle. Ils sont dans un jeu. Des chamailleries. Des gamineries. Aucune méchanceté. La colère est fausse, feinte. Une colère qui redescendra rapidement dès qu’ils auront réglé leurs comptes. Une colère des plus ridicules. Alors, son électricité n’est pas dangereuse. Juste un chatouillement. Juste quelques petits frissons. Mais ce n’est pas Erin que le pouvoir frappe. Mais la cafetière qui se trouvait juste derrière elle cinq secondes avant qu’elle saute sur le côté. L’appareil grésille. Un petit nuage de fumée s’élève. L’odeur de cramé envahit la pièce. Il vient de fusiller la cafetière. Il va se faire des ennemis. Il va être blacklisté du S.H.I.E.L.D. La fin de sa carrière d’agent.
Ce n’est pourtant pas ce qui l’arrête. Il darde son regard sur Erin. Pikachu. Elle n’a rien trouvé de mieux pour l’embêter ? Elle aurait pu chercher plus loin. Elle aurait pu être originale. Elle aurait pu être créative. Non, elle a choisi la solution de facilité. Lincoln est un bon client. Pikachu ou pas, originalité ou pas, il réagit. Il n’apprécie pas qu’on le compare à un pokémon jaune. Pas qu’il ait quelque chose contre lui. Pikachu est sûrement une créature sympathique et agréable à côtoyer. Si seulement il était vivant. Il s’apprête à tenter une nouvelle attaque quand un haut gradé de l’organisation entre dans la cuisine. Le regard encore plus furieux et noir que celui de Lincoln. Le corps tendu. Les poings serrés. Les veines apparentes. Il n’a pas l’air heureux de les voir. Étrangement. “Williams ! Campbell ! ÇA SUFFIT !” Il ramène ses bras le long de son corps. Pris sur le fait. Ils vont se faire disputer comme deux gamins. Ils vont se faire punir et enguirlander. Daisy va encore soupirer et leur demander de faire un effort. Lincoln n’y peut rien. Il n’a rien demandé. Il n’a rien fait. C’est Erin qui a commencé. C’est elle qui l’a cherché. Il ne fait que répondre à sa provocation. Uniquement. Il tente de protester, mais l’agent reprend la parole. “Dégagez de là, je ne veux plus vous voir ! Allez faire un tour et ne revenez que lorsque vous serez calmés tous les deux.” Lincoln jette un coup d’oeil vers Erin. Il lui grimace et fait les gros yeux. Il a réellement l’impression d’être traité comme un gamin de cinq ans. Un gamin rebelle et insolent. Alors, il obéit. Il sort de la cuisine et attend qu’Erin le rejoigne. Ils n’ont pas fait cinq mètres dans le couloir qu’ils entendent encore l’homme hurler dans leur dos. “Pas avant !” Il tente un coup d’oeil en arrière. Il croise encore une fois le regard colérique de l’agent. Il rentre les épaules et baisse la tête. Ils ont beau faire partie des agents, ils sont encore considérés comme des adolescents intenables. Ce qu’ils sont, en partie. Il faut bien l’avouer. Ils ne sont pas des plus matures quand ils sont uniquement que les deux. Ils peuvent être sérieux et redoutables lorsqu’ils s'entraident. Ils peuvent détruire toute une cuisine quand ils se chamaillent. Une contrepartie coûteuse pour le S.H.I.E.L.D. “J’te jure, si tu me renvoies une vidéo, je ne te louperais pas.” Il chuchote pour ne pas être entendu. Déjà, la colère est redescendue. Il n’y a plus que de l’amusement. Plus que de la taquinerie. Une soeur et un frère qui retrouvent leur complicité après la dispute parentale. Ils passent des deux extrêmes en quelques secondes. “Bon, on fait quoi de notre après-midi ?” Une après-midi entièrement libre. Une après-midi sans entraînements, sans missions, sans réunions. Une après-midi rien qu’à eux. Certes, ils y ont le droit parce qu’ils ont légèrement détruit la cuisine. Simple détail.
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Ils n’ont pas encore décidé de ce qu’ils font de leur après-midi. Après avoir déambulé une heure dans les rues de Manhattan, telles deux âmes en peine, ils débarquent dans un cinéma. Il n’y a rien de mieux pour s’occuper. Il n’y a rien de mieux pour les replonger dans la vie ‘normale’. Après tout, cela fait une éternité qu’ils n’ont pas eu la chance de sortir autrement qu’en mission. Lincoln découvre enfin New-York et ses quartiers emblématiques. Il a profité de la balade pour repérer les lieux, remarquer les rues, mémoriser les bâtiments. Il aurait aimé continuer, mais ils n’ont pas le temps de tout explorer. Et puis, il y a un cinéma. Juste là. Prêt à les accueillir. Prêt à les divertir. Prêt à leur dévoiler un nouveau blockbuster. Alors, ils se placent dans sa file d’attente. Il y a du monde. Beaucoup de monde. L’heure de pointe made in cinéma. Tout New-York s’est donné rendez-vous dans les salles obscures. Tout New-York attend pour prendre sa place. “J’avais presque oublié que les cinémas existaient, t’imagines ?” Il ne se rappelle même pas la dernière fois qu’il est allé au cinéma. Peut-être pour voir Jurassic World ou un film dans le genre. Depuis, il n’a plus eu l’occasion de sortir. Une grande première. Une première pour Erin aussi. Ils ont arrêté de vivre en entrant dans le S.H.I.E.L.D. Ils ont cessé d’avoir une vie sociale, d’avoir une vie privée, d’avoir des passe-temps. Tout a été mis en pause pour l’organisation. Pas étonnant qu’ils en soient à se chamailler dans la cuisine. Pas étonnant qu’ils retournent tous les locaux. En dehors des missions et des entraînements, ils n’ont pas la chance de se défouler, de décompresser, de voir autre chose que des gens armés. Il est presque étrange de ne pas avoir besoin de regarder par-dessus son épaule. Il est presque bizarre qu’ils ne soient pas suivis pas une équipe de surveillance. Ils sont tranquilles, seuls, libres.
« TOI ! Tu peux me dire c’est quoi cette vidéo ? » Erin lève les yeux de son café, la main figée au-dessus de la tasse, le sachet de sucre qu'elle tient du bout des doigts se vidant intégralement dans le liquide brûlant. Oh-oh. Erin pince les lèvres, son regard trahit son envie de rire. Inutile de demander de quoi Lincoln parle – elle le sait. Elle le sait très bien. Elle a passé la soirée de la veille à glousser toute seule à l'idée de la tête qu'il ferait en ouvrant son mail. Une tête un peu comme celle qu'il a à l'heure actuelle, à vrai dire. Affichant son air le plus innocent possible, Erin l'observe, tâchant de garder une mine peu impressionnée devant la démonstration du pouvoir de Lincoln. « J'ai envisagé un best of de Kira Yukimura, mais j'étais pas sûre que ton ego de mâle puisse apprécier. » admet-elle avec un demi-sourire, incapable de retenir un sursaut quand la cafetière grille juste à côté d'elle. Elle ne retient pas son rire non plus, cette fois, un gloussement un peu trop sonore et qui risque d'énerver un peu plus son coéquipier. Elle lève les yeux, sa tasse à la main avec un sourire narquois, son regard planté dans celui de Lincoln. « Fais pas cette tête, à force, tu vas rester coincé comme ça. » Vu sa réaction, il vaut mieux qu'elle attende quelques temps avant de continuer à lui envoyer des bêtises. Etant donné la liste de vidéos et de gifs ayant trouvé leur place dans ses dossiers d'ordinateur, elle a de quoi tenir un moment. Jusqu'au moment où Lincoln allait craquer et ferait exploser le Shield. Ce dont Erin ne serait pas responsable du tout. Lincoln a l'air prêt à exploser, si bien qu'Erin s'autorise à ressentir une pointe d'inquiétude. Il semble plutôt décidé à retenter l'expérience exercée plus tôt sur la cafetière, et Erin ne tient pas spécialement à terminer de la même manière. « J'ai le cœur fragile, tu sais. » fait-elle remarquer avec une expression un peu triste. L'entrée d'un supérieur lui sauve la vie, au final. Etant donné la tête qu'il tire, il a l'air loin d'être présent dans le but de venir à sa rescousse, ceci dit. Avec un sourire penaud, Erin échange un regard Lincoln. C'est comme si les agents du Shield avaient un radar qui détecte le conflit entre eux deux chaque fois qu'ils sont sur le point de se chamailler. Ils se font attraper à chaque fois, et finissent par marmonner des excuses presque inaudibles sous le regard de Daisy. L'agent haut gradé finit par leur ordonner de partir, et Erin baisse les yeux sur son café. C'est probablement le dernier café dans le coin, puisque Lincoln a grillé la cafetière. Mieux vaut qu'ils déguerpissent avant que l'agent ne s'en rende compte, d'ailleurs. S'emparant de sa tasse après une petite hésitation, Erin file sur les pas de Lincoln, manquant de renverser la moitié du café sur son t-shirt alors qu'elle tente de boire en marchant. Le « Pas avant ! » furieux de l'agent indique clairement qu'il vient de constater l'état de la cafetière. Erin glisse un regard chargé d'amusement à Lincoln. Ses chuchotements lui tirent un nouveau rire, et elle lève les yeux au ciel. « Faudrait déjà que tu saches viser, » répond-elle sur le même ton. Mais elle note bien qu'il a parlé de vidéos. Son stock de gif risque de s'agrandir un peu plus chaque jour. Elle imagine déjà la tête de Lincoln quand il les recevra. Son sourire amusé s'évanouit lentement quand il demande ce qu'ils sont supposés faire, maintenant qu'ils sont à la porte du Shield pour la journée, et Erin hausse les épaules. « On va dehors. » finit-elle par dire, avec grande utilité. Ils peuvent en profiter, après tout : c'est rare qu'ils puissent sortir, et dans les deux mois passés au Shield, elle n'a pas vraiment pu profiter de temps libre. Pour une punition, le Shield aurait pu faire pire.
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D'un geste rapide, Erin laisse tomber son gobelet Starbucks dans une poubelle à l'entrée du cinéma. Elle n'a pas pu résister à l'envie de boire un vrai café – sans vouloir offenser le Shield – et puis, ils n'avaient rien de mieux à faire de toute façon. Ce n'est pas comme s'ils avaient pu prévoir leur virée en toute liberté. Elle qui avait l'habitude d'être à l'aise dans la foule est un peu plus nerveuse, aujourd'hui. Ca fait longtemps qu'Erin ne s'est pas retrouvée avec autant de monde, et dans la file, les gens poussent un peu et sont visiblement agacés par l'attente. Elle regarde vaguement autour d'elle, avant de tourner la tête vers Lincoln. « J’avais presque oublié que les cinémas existaient, t’imagines ? » Elle hoche la tête avec un petit rire. « Je ne me suis même pas assise devant la télé depuis des mois, alors... » Ils vont être comme des gamins, pour changer. C'est sans doute une bonne chose, de pouvoir s'installer pour s'émerveillant comme des idiots parce qu'ils n'ont pas mis les pieds dans une salle de cinéma depuis des lustres. « On devrait aller voir un film en 3D, histoire de faire l'expérience complète de ce qu'on a manqué en matière de progrès. » lâche-t-elle avec un petit sourire. Autour d'eux, les gens s'agitent. La file n'avance pas, le couple devant eux semble prêt à mordre quiconque fait un pas dans leur direction. Quelque part, un enfant s'énerve en criant sur sa mère. Erin l'observe un moment, avant de jeter un œil autour d'eux. « C'est parano de s'attendre à ce que Daisy débarque pour nous dire que c'est un entraînement et qu'un tas de gens se mette à nous taper dessus ? » Sa question est prononcée d'un ton léger, teinté de malice. Elle en est venue à tout attendre de Daisy, en plus. Elle s'apprête à parler à nouveau, quand dans la file d'un côté, un éclat de voix leur parvient. A ce volume-là, le cinéma tout entier doit entendre l'homme qui accuse violemment un autre homme d'essayer de le doubler dans la file. Erin lève les yeux au ciel. « J'pensais qu'on était entrés dans un cinéma, pas une école primaire. » Elle marmonne à l'adresse de Lincoln, s'attirant un regard amusé du type qui patiente derrière eux. Vu l'agacement et l'impatience qui est pratiquement palpable dans la salle, il est clair qu'ils vont passer un moment char-mant.
Il déteste Erin. C’est évident. Elle a la maturité d’une gamine de dix ans. Elle est insolente, insupportable, incontrôlable. Alors que Lincoln est posé, mature, professionnel. Tout les sépare. La mauvaise foi les rapproche. Et les conneries. Beaucoup de conneries. Seulement parce que la jeune femme le cherche toujours. Elle doit avoir quelque chose contre lui. Serait-ce son sourire ? Ou ses cheveux blonds ? Ou peut-être parce qu’il est plutôt intéressé par Daisy que par elle ? Tout est possible avec Erin. Elle est tellement insupportable et susceptible qu’un bol de céréales pourrait être une excuse pour réagir. Face à cette recherche perpétuelle du conflit, Lincoln ne peut rien faire. Il est faible, démuni. Il a bien essayé de lutter. Il a bien essayé de résister. Il a dû s’avouer vaincu le deuxième jour. Il a de la patience, il ne faut pas croire. Il sait prendre sur lui. Sauf quand il s’agit de Pikachu. Sauf quand il s’agit d’Erin. Quand les deux se rencontrent, il ne peut que réagir. C’est qu’il a un coeur fragile et sensible. Il faut le préserver. Il faut lui épargner les colères inutiles. Ce que sa coéquipière n’a pas encore compris. Mais lorsqu’il lui fera une crise cardiaque sous ses yeux, elle rigolera moins. Elle se moquera moins. En attendant, il doit passer sa journée avec elle. Une corvée. Une punition. Après un passage au Starbucks pour boire un café - le dernier avant longtemps, RIP Cafetière d’amour - les voilà qui tombent sur un cinéma. L’endroit idéal où passer une après-midi. Ils pourraient se faire un marathon ciné. Enfin, si il n’y a pas de films fantastiques où des életrokinésistes sont de la partie ou si il n’y a pas de films Pokémon. Pitié. Il y a du monde dans la file. Des gens pressés de voir les derniers films à la mode. Des gens qui n’ont pas envie de louper l’heure de projection. Ils bousculent un peu. Ils râlent. Ils s’interrogent. Ils s’impatientent. Lincoln préfère se concentrer sur Erin - pas le choix ! - plutôt que de se plaindre comme tous les autres. “Je ne me suis même pas assise devant la télé depuis des mois, alors…” La télévision, le cinéma… des luxes auxquels ils n’ont plus accès depuis qu’ils sont entrés dans cette secte. Oui, le S.H.I.E.L.D. est une secte. Il les empêche de s’amuser, de se reposer, de se détendre. Il les martyrise, les frappe, les emmène à l’autre bout du monde. Ils font partie d’une organisation à la pointe de la technologie avancée. Ils sont capables de créer des bijoux de technologie, mais par contre, se poser cinq minutes devant un écran est impossible. Le paradoxe. Mais heureusement, Erin et lui vont pouvoir rattraper le temps perdu. Ils vont pouvoir en prendre plein les yeux. Ils vont pouvoir profiter d’un peu de liberté avant de rentrer à la secte ce soir.
“On devrait aller voir un film en 3D, histoire de faire l'expérience complète de ce qu'on a manqué en matière de progrès.” Un film en 3D. C’est le must. Il est prêt à tenter l’expérience. Il est prêt à entrer dans cette salle de cinéma et de plonger dans le film. Il doit bien y en avoir des cool, en plus. Des films qui vont bouger, qui vont les faire sursauter, qui vont les faire stresser, qui vont les transporter. Sûrement un de ces films d’action où les effets spéciaux sont au coeur de l’histoire. Tant que ce n’est pas une de ces adaptations Disney. C’est tout ce qu’il demande. “Tu as raison, j’ai hâte de voir la tête d’imbécile que tu vas te taper avec les lunettes.” Les lunettes 3D. Elles sont d’un ridicule. Ils sont capables de créer des films en trois dimensions, mais pas de fabriquer des lunettes tendances. Des lunettes qui ne vous donnent pas l’air idiot pendant trois heures. Surtout, des lunettes qui peuvent être portées par-dessus une autre paire. Pas de doute que Erin va avoir l’air terriblement bête. Elle va perdre toute aura sexy avec cet accessoire. Une réalité qu’elle va pouvoir partager avec toute la salle. Sauf Lincoln. Il a forcément une belle tête avec. Il a forcément l’air d’être la plage, à profiter du beau temps. Forcément. “C'est parano de s'attendre à ce que Daisy débarque pour nous dire que c'est un entraînement et qu'un tas de gens se mette à nous taper dessus ?” Il passe les gens en revue. Ils sont nombreux, dans cette file. Certains pourraient bien appartenir au S.H.I.E.L.D. Qui sait ? Ils ne connaissent pas le visage des centaines d’agents. Cette femme enceinte pourrait très bien les assommer avec son sac à main. Le type à la chemise à carreaux pourrait cacher un rayon laser sous sa casquette. Cette femme avec son enfant pourrait avoir une arme planquée dans son trench. Il n’y a pas de doutes, ils sont tous susceptibles de se retourner et de s’en prendre à eux. Finalement, Erin et Lincoln n’auront pas le temps de voir le film. Ils vont être attaqués avant d’entrer dans la salle. Ils seront entraînés dans les toilettes du cinéma pour les tabasser. “Faut te faire soigner, t’es complètement folle.” Il n’assumera pas qu’il a eu la même pensée qu’elle. Il ne dira pas qu’il a imaginé cent scénarios possibles. Il n’avouera pas qu’il a élaboré un plan de fuite et cherché une sortie, au cas où. Ils sont encore en période d’entraînement, d’apprentissage. Ils sont soumis à des exercices continuellement. Des simulations. Des mises en situation. Ils finissent pas être sur leurs gardes à tout moment. Au toilette. Sous la douche. Dans leur sommeil. Ils ne sont plus tranquilles. Ils ne sont plus détendus. Daisy a réussi à les rendre complètement fous. Enfin, Erin n’avait pas besoin de ça pour être folle. Elle l’a été dès sa naissance, il en est sûr. Ca s’échauffe dans la file. Les gens commencent à se disputer. A s’accuser. A se menacer. Lincoln jette un oeil. Il connaît les risques d’une situation pareille. Pas sur un plan professionnel, mais sur un plan personnel. Il sent déjà l’agacement, la tension. Il sent qu’il n’est plus aussi détendu qu’au début. Il devrait probablement quitter le cinéma et reprendre la balade. Mais ce film, ils l’ont mérité. Il compte bien le voir. Il va prendre sur lui. Forcément. Il va y arriver. “J'pensais qu'on était entrés dans un cinéma, pas une école primaire.” Il lui adresse un sourire crispé. Il tente de se détendre. Il tente de s’amuser de sa plaisanterie. Il n’y arrive pas. Il se concentre sur sa respiration. Il fait le vide dans sa tête. Mais tout ce qui reste est un brouhaha électrifiant. Il ne parvient pas à apaiser le chaos qui règne dans son cerveau. “Et c’est toi qui dis ça ?” Occuper ses pensées est peut-être la clé. Alors, il tente de répondre à Erin, mais sans le même mordant que d’habitude. Sans la même facilité.
Inconsciemment, il ferme les poings. Il les enfonce dans ses poches. Là, au moins, il ne risquera pas d’électrocuter quelqu’un. Il ne risquera pas d’attaquer les autres. il ferme les paupières un instant. Il visualise un endroit calme. Une plage. Le ressac de la mer. L’écume. L’eau salée qui frôle les orteils. Le sable chaud sous les pieds. Le vent dans les palmiers. Le silence. Total. Tellement paisible. Tellement ressourçant. Tellement… Il est poussé. Les paupières se rouvrent aussi sec. Les poings sortent. Il se retourne pour trouver le responsable. Il lui adresse un regard noir. Un regard incendiaire. Un soubresaut de colère qui lui échappe. Il ne veut pas s’énerver. Il refuse de céder à ce vacarme incessant dans sa tête. Mais il ne peut pas. Il n’y arrive pas. C’est instinctif. C’est spontané. “Quoi ? J’ai pas fait exprès, on m’a poussé.” Lincoln se détourne de l’homme. Il pose ses yeux vers Erin. Pouvoir compter sur ses coéquipiers est important. Pouvoir leur confier leurs faiblesses, leur mal-être. Pouvoir parler de ce qui ne va pas. Pouvoir compter sur leur aide. Il ne veut pas péter un câble en plein milieu. Il ne veut pas laisser la tension gagner du terrain. Il a besoin d’aide. Le reconnaître est déjà un grand pas. L’avouer est une avancée. May lui a enseigné à se reposer sur les autres. Pour gérer sa colère. Pour l’apaiser. “Erin… je crois que ça va pas le faire.” Il murmure son appel à l’aide. Il murmure son besoin d’aide. En principe, il compte sur Daisy. Il a davantage de maîtrise quand elle est dans les parages et qu’elle veille sur lui. Elle agit comme un calmant. Sauf qu’elle n’est pas là. Elle n’est pas ici pour poser sa main sur son bras et lui dire que ce n’est pas nécessaire. Elle n’est pas ici pour le regarder agir. Il n’y a que Erin. Même si il apprécie la jeune femme, la décevoir est moins grave. De nouveau, il est poussé en avant. Il percute la personne devant lui. Lincoln pivote sur place. Il fait un pas en avant pour se rapprocher. Cette fois, il est sûr d’avoir senti ses mains dans son dos. Il est sûr que ce n’était pas un incident. Trop. C’est trop. Sa patience explose. L’image d’une plage paradisiaque s’effrite. “Okay, ça suffit. Vous allez pas me dire que c’était involontaire, cette fois ! Vous m’avez poussé !” Le crépitement n’a échappé à personne. Un filament électrique est apparu l’espace de quelques secondes entre ses doigts. Pas assez longtemps pour que les gens aient le temps de le repérer. Assez pour que Erin sache que la situation commence à dégénérer sérieusement.
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Mer 4 Mai - 23:08