ongue journée. Déconcentration. Les ennuis étaient pourtant terminés à Hell’s Kitchen, le calme était revenu avec l’arrêt de Fisk mais je devais bien me rendre à l’évidence, je n’étais pas encore bien tranquille. Non par un manque de sécurité, mais par une hantise personnelle qui ne lâchait pas mon esprit, et me perdait dans une remise en question permanente. J’avais beau essayer de sourire, le cacher et faire mon boulot, mais il y avait ces jours où cela me prenait tellement que je n’étais plus maîtresse de moi-même, mon caractère s’en dégradait et parfois cela se ressentait dans mon travail, dans mon comportement. Cela restait rare cependant, assez pour que Matt et Foggy ne s’en doutent pas. Depuis toujours, j’ai été cette fille banale qui se fondait dans la masse, grandissait et évoluait sans rien demander à personne, mais j’avais décidément changé. Ces coups de feu que j’ai dû tirer pour me défendre, ils restaient encore en travers de mon âme, tout comme cette image du corps mort qui se tenait devant moi. Depuis ce jour, je menais ce combat un petit peu seule pour essayer de vivre avec, me taisant à ce propos. Je ne voulais pas que le regard de mes amis ou même de ma famille se mette à changer s’ils apprenaient la vérité. C’est pourtant mal de mentir, mais je regrettais au fond de moi, d’avoir appuyé sur la détente. Il n’y avait pas d’autre moyen de m’en sortir, je le savais, mais la culpabilité me ronge quand même. Cela a fait de moi une meurtrière, sans que je ne le veuille vraiment. Les gens ont l’air de voir en moi cette douce femme qui sourit, cet éclat de vie que l’on se plairait à protéger, peut-être qu’au fond, ils ont tous tort. Et c’est souvent très dur pour moi de l’admettre, de me faire à cette idée. C’est pourquoi, souvent, je me reclus dans un coin, seule quand le travail venait à manquer et que je n’avais pas forcément envie d’en parler. Je veux juste noyer cela, tenter d’oublier ne serait-ce qu’une soirée.
V
oilà pourquoi je me trouvais chez Josie, ce bar pas très fameux mais où on adorait se retrouver avec les gars. Mais la bonne ambiance ne fut pas en mon cœur ce soir, bien trop lourd ne serait-ce que pour décrocher un sourire à la serveuse. Je savais que boire seule n’était pas une bonne idée, j’entendais déjà le sermon de Foggy ou même de Matt qui se seraient inquiétés de ne pas être accompagnée après tout ce qui s’est passé dans ma vie. Je ne leur en reprocherais pas, bien au contraire, mais j’avais ce besoin de me retrouver seule parfois, pour ne rien laisser transparaître. Je ne pouvais m’empêcher de regarder les gens autour de moi, certains jouaient au billard ou discutaient en bande, moi je me tenais assise au bar, face à mon verre, le poing vissé contre ma joue à broyer du noir. Jolie image de la blonde perdue dans ses pensées à ressasser le mal qu’elle avait sans doute fait. C’était mon quotidien à présent, cela faisait partie de moi, c’était donc dans ma responsabilité de le gérer. Avalant une gorgée, je tentais de noyer ma pensée avant qu’elle ne me tape encore cette image sombre en pleine figure, j’en étais à mon premier verre, sans doute n’allait-il pas être le dernier. Jusqu’à ce que je voie un homme entrer dans le bar, un visage que je connaissais. Et il n’était pas associé à une bonne rencontre, non, mais à un récent événement qui ne m’avait guère laissée indifférente … Mais que faisait-il ici ? J’espérais secrètement au fond de moi qu’il ne me recherchait pas pour mettre le couvert, mais je tentais de rester calme, tout en le gardant plus ou moins discrètement à l’œil.
Noyer son malheur. Chasser les démons. Il n’a pas l’habitude. Il est ce guérisseur de problèmes. Il est cette aide insoupçonnée. Il est ce parolier qui efface les peurs et les doutes. Son métier le rend réceptif à tous les malheurs. Il le rend sensible aux interrogations. Mais lorsqu’il s’agit de ses propres problèmes, les mots ne suffisent pas. Les mots sont dérisoires, impuissants, inutiles. Alors, ce soir, il a décidé de sortir. De quitter son bureau. D’abandonner sa chambre. De sortir de l’Institut. Il a décidé de s’accorder une soirée. Juste une soirée. Pour souffler. Pour s’aérer. Pour se changer les idées. Juste une soirée. Juste quelques heures. Il retournera ensuite au manoir. Il retournera ensuite à sa vie. Il ne sait pas où il a trouvé la motivation. Il ne sait pas comment il a eu cette idée. Il ne se l’explique pas. Peut-être simplement un ras-le-bol. Peut-être une envie de prendre les choses en main. Peut-être un besoin de s’éloigner. Dehors, il a au moins la possibilité de se promener sans se demander si il va croiser Snow ou Malicia. Il a au moins la possibilité de marcher où bon lui semble. Un luxe dont il a tout oublié. Et puis, l’extérieur lui est quasiment inconnu. Plutôt habitué à sortir lors des missions des X-Men. Plutôt motivé par des sorties avec les mutants. Il est rare qu’il sorte de sa propre initiative, un soir de semaine, sans autre compagnon. Un miracle. Un miracle nécessaire. Alors, il laisse ses dossiers en plan. Il attrape sa veste. Il l’enfile par-dessus son pull. Il éteint derrière lui. Il s’enfonce dans l’obscurité de la nuit, au volant d’une voiture du manoir. Plus les buildings new-yorkais se dessinent et plus il sent un poids s’envoler, disparaître. Plus il se sent léger. Plus il se sent détendu. Ses épaules se décontractent. Ses bras se détendent. Son visage se fait moins dur. Finalement, s’accorder quelques instants pour soi est agréable. Reposant. Il commence seulement sa soirée qu’il apprécie déjà de s’en aller. Il n’est pas encore arrivé qu’il pense déjà à la prochaine fois. Sortir a du bon. Voir du monde est positif. S’évader est grisant. Pendant quelques heures, il ne sera plus le psychologue accablé par ses malheurs et ceux des autres. Il peut être quelqu’un d’autre. Il peut devenir une autre personne. Même si le mensonge et la manipulation ne sont son fort, il va essayer de mettre de côté sa mutation et son métier. Il va essayer de passer simplement un moment plaisant dans un bar. Le programme est simple. Le programme est clair. Il doit encore s’y tenir. Il doit encore parvenir à l’appliquer durant les prochaines heures. Mais même si il n’y parvient pas, il aura au moins essayé. Il aura moins tenté de lâcher prise.
La voiture est garée dans une rue. La porte est claquée. Les verrous sont enclenchés. Il ignore où il doit aller. Il ignore quel est le bar le plus adapté pour atteindre son objectif. Il marche. Il marche, à la recherche de l’endroit idéal. Il finit par découvrir une enseigne : Josie. Il hausse un sourcil devant le nom de l’établissement. On ne s’attend pas à un nom pareil dans un lieu où l’on boit et crie plus que l’on ne parle. Josie fait plutôt penser à un salon de thé pour les grands-mères. Soit. Il décide d’y entrer. Il décide de ne pas faire le difficile. L’endroit n’est pas impressionnant par son luxe et son architecture. Il est même plutôt miteux. Pourtant, l’ambiance semble bonne. Les gens s’amusent, parlent entre eux, rient. Les gens profitent de la vie. Il devrait en faire de même. Il devrait se commander une bière, s’asseoir au comptoir et écouter les conversations des autres. C’est ce qu’il fait. Il se trouve une place au comptoir. Il fait un signe pour attirer l’attention du barman. La bière est commandée. Le temps qu’elle arrive, il se lance dans une observation poussée du bar. Josie. On ne s’attend pas à ce genre d’ambiances. On ne s’attend pas à un bar. Bonne surprise. Son regard est attirée par la blondeur d’une cliente. Assise à quelques tabourets de là. Son visage lui est vaguement familier. Son expression traquée lui rappelle quelque chose. Au final, il retrouve. Il s’en souvient. Souvenir qu’il a tenté d’effacer de sa mémoire, mais dont il est resté marqué. Maintenant, il se rappelle. Une rencontre impromptue dans une rue. Un geste pour lui rendre son porte-monnaie tombé par terre. Un regard assassin et une agression. Elle a cru qu’il lui voulait du mal. Il a vu qu’elle était hystérique. Il a préféré la laisser à ses paranoïas, après avoir tenté de la rassurer. Il ne l’a pas vue en entrant. Par contre, il parie que l’inverse est vrai. Il capte son regard en coin. Il est même sûr qu’elle l’a reconnu, elle aussi. Son expression est toujours aussi sauvage et peu amicale. Il reporte son attention sur le mur derrière le bar. Une main frotte son visage. Chasse la lassitude. Il n’a vraiment pas besoin d’une folle hystérique. Pas aujourd’hui. N’importe quand, mais pas aujourd’hui. Pourtant, le regard de biche apeurée qu’elle lui avait adressé l’autre fois ne le quitte plus. Elle a vraiment eu peur. Elle a vraiment craint pour sa sécurité. Elle a vraiment pensé qu’il lui ferait du mal. Parfois, certains gestes peuvent être mal interprétés. Même venant d’un X-Man psychologue. Être vu comme un agresseur ou un criminel a quelque chose de perturbant. De gênant. Il n’aime pas la manière dont elle le juge, dont elle le regarde. Il sent ses oeillades dans sa direction. Il sent qu’elle le dévisage. Qu’elle l’observe. Qu’elle garde un oeil sur lui, toujours méfiante. Il prend une inspiration. Il fait sûrement une erreur. Il s’en mordra sûrement les doigts plus tard. Il le regretter sûrement. Mais il ne peut pas la laisser penser qu’il va lui arracher son sac-à-main ou qu’il va l’agresser sexuellement.
Il n’y a personne entre eux. Il en profite pour s’adresser à elle, à distance. Pour ne pas entrer dans sa bulle. Pour ne pas qu’elle soit sur la défensive. Ils sont dans un bar, où ils ne sont pas seuls. Il ne peut rien arriver à cette jeune femme. “Vous allez me regarder comme ça pendant longtemps ?” Il a simplement tourné la tête dans sa direction. Il a seulement montré qu’il s’adresse à elle. Sa bière est déposée devant lui. Il en prend une gorgée. Il aura besoin de bien plus que ce genre d’alcools si cette femme continue à le croire dangereux pour sa sécurité. Il pose la boisson. Il ignore comment avoir l’air sympathique avec elle. Il a déjà essayé précédemment. Avec un sourire. Avec de la patience. Des signes qui n’ont fait qu’accroître sa panique. A ses yeux, il doit avoir l’air d’un psychopathe dangereux. Il se demande même pourquoi elle ne s’est pas encore levée pour hurler qu’il la harcèle. “Vous savez que votre réaction de l’autre fois était disproportionnée ? J’ai simplement voulu vous aider. J’espère que vous n’agressez pas comme ça tous ceux qui ramassent vos affaires dans la rue.” Il faut dire qu’il n’est pas habitué. Il a l’expérience de la haine des anti-mutants, mais pas des inconnues qu’il rencontre. En principe, il est apprécié. Il est reconnu pour sa gentillesse et sa bienveillance. Être vu différemment par une étrangère est quelque chose de nouveau.