Si la plupart du temps, j’arrivais à avoir mes…aptitudes, disons, sous contrôle, il y a des fois où rien ne va plus. Je le sens toujours arriver, pouvant presque compter les jours, heures, minutes et secondes avant que tout ne m’échappe des mains et que plus rien n’est de sens pour moi. L’espace d’un instant du moins. C’est vraiment étrange comme sensation ; se dire que quelque chose que l’on maîtrise relativement bien dans notre vie courante peut nous échapper de façon exponentielle sans aucune raison apparente. Ca doit vous sembler bien obscur ce que je vous raconte jusque-là, non ? Je vais donc tenter d’éclairer au mieux votre lanterne.
Régulièrement, sans qu’il y ait pour autant de calendrier fixe, j’ai ce que j’appelle une crise. C’est à dire que mon « pouvoir » (bon sang ce que ça peut faire drôle d’utiliser de tels mots pour se décrire soi-même quand on a passé le plus clair de sa vie à n’être qu’un humain lambda...) part en vrille. Or, ce n’est pas franchement quelque chose que j’aimerais voir arriver en présence de civiles. Retrouver des corps gelés parce que je ne suis pas foutu de garder le contrôle, merci, mais non merci. Aussi, ayant la chance d’avoir tout de même des signes avant-coureurs, je fais en sorte de mettre autant de distance possible entre moi et la civilisation quand une crise arrive. Car oublié les décharges de zéro absolu qui ne gèle qu’un petit périmètre. Quand la crise intervient, c’est sur un rayon d’un kilomètre que tout gèle. Peu pratique vous en conviendrez. D’où mon emménagement à New-York, dans l’espoir de trouver des réponses à mes questions. Sans grand succès cela dit.
Pourtant, j’ai bien cru pouvoir en trouver lorsque ce Robert Drake, dit Bobby par les jeunes qui l’accompagnaient, a démontré une aptitude semblable à la mienne. Sauf que lui, c’est un mutant, c’est dans ses gênes depuis sa naissance, plus grand-chose à voir avec moi d’un coup. Alors si je continue à échanger quelques mots avec lui quand il vient au centre commercial, je n’espère pas avoir de réponse de sa direction…Malgré tout, il continue à m’inciter à accepter ce que j’étais. Ah ! Il en a de bonnes lui ; pour accepter ce que l’on est, il faudrait déjà savoir ce que l’on est. « Différent » n’est pas suffisant dans ces cas-là ; personnellement, je veux savoir comment je suis devenu ainsi et surtout, si c’est définitif ou non. Car je veux bien accepter beaucoup de chose, mais ce que je suis aujourd’hui ? Ce n’est pas moi…Et cette affirmation ne cesse de se valider chaque fois que je ne contrôle plus rien.
Comme en ce moment-même. Je le savais, pourtant que ça allait arriver, mais j’ai été distrait, j’ai perdu le fil du temps…Et me voilà, en plein centre commercial, alors que je sens ce froid intenable venir du plus profond de mon être et lécher chaque muscle, chaque nerf en moi, prenant son temps pour que je savoure cette impression de geler de l’intérieur qui me terrifie depuis l’Incident. Je fais en sorte de me faire accorder le reste de ma journée (on est en plein hiver, je ne sors jamais avec une écharpe, donc faire croire à une grosse crève bien virulente n’est pas un souci) et file vers les vestiaires pour le changer rapidement et filer d’ici, direction Staten Island le plus vite possible, dans la limite de la légalité, afin de m’éloigner de la population. J’en sors très vite, des vestiaires, et va pour me diriger vers ma voiture. Je remarque Bobby un peu plus loin, mais je ne lui lance même pas un regard, trop concentré sur le combat (vain) contre le froid. Sauf que dans ma hâte, je n’ai même pas remarqué que je marche pied-nu dans la fine couche de neige presque fondues qui se trouve sur le sol. Il faut dire que lorsque je sens une crise arriver, c’est comme si mes nerfs en termes de reconnaissance des températures étaient morts. Je ne ressens alors absolument pas le froid ambiant ou sous mes pieds nus, en l’occurrence.
Bordel, les frissons ont déjà commencé, ce n’est pas bon, j’ai peu de temps. Il faut que j’aille à Staten Island. Mais tant concentré par la recherche de mes clés et le froid qui m’engourdit de plus en plus, je ne remarque même pas la personne arrivant à mon niveau.
“Monsieur Drake ? Vous accompagnez toujours la sortie ?” Il lève les yeux de son bureau. Il a tendance à oublier tous ses rendez-vous, en ce moment. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir l’agenda ouvert sous ses yeux. Ce n’est pas faute d’avoir des collègues qui essayent de le soutenir. Mais rien y fait. Il se plonge dans le travail et oublie tout le reste. Tout, excepté Malicia qui semble le hanter partout. Elle est la seule personne qu’il aimerait oublier le temps de quelques heures. Juste pour se reposer de la douleur. Il fronce les sourcils. Ses yeux se posent sur l’agenda ouvert à la page du jour. En gros, surligné en rouge, il a noté la sortie au centre commercial. “Merde. J’arrive. Merci d’avoir prévu.” Une sortie avec des élèves mutants, cela ne peut que lui changer les idées. Il se lève de sa chaise et récupère sa veste. Il n’aura pas besoin de plus. Il supporte très bien les températures hivernales. Elles sont celles qu’il préfère. Au milieu de la neige, il se sent comme chez lui. Il supporte la chaleur. Il s’y est habituée. Il l’a adoptée. Mais il n’y a que lorsque les premiers flocons commencent à tomber qu’il est vraiment heureux. Qu’il se sent vraiment libre. Bien des gens hurlent dès qu’il fait moins de vingt degrés. Lui, il sourit. Il pense à ces futures journées où il fera assez froid pour s’amuser avec la glace. Et ce moment, il est en plein dedans. L'Etatest sous la neige, mais il n’en profite pas autant que les années précédentes ou même que les jours précédents. Dans sa gorge, il y a cette amertume. Celle laissée par une rupture. Cela fait plus d’une semaine que ça en est fini. Une semaine, mais la douleur est toujours aussi présente. Il avait oublié les émotions provoquées par une rupture. Lui qui n’avait que quinze ans en entrant à l’Institut, il n’avait connu que les amourettes d’adolescents. Le genre de relations où l’amour n’est pas la priorité. Où l’on dit “je t’aime” aussi souvent que “j’ai envie d’un burger”. Avec Malicia, ils ont eu une vraie relation, un vrai échange, un vrai besoin. Maintenant, il découvre ce que cela fait. La destruction qu’une relation pareille provoque. Ses collègues ont insisté pour qu’il accompagne cette sortie extra-scolaire. Ils lui ont servi des centaines de prétextes. Il a fini par capituler. Il espère au moins que cette journée le sortira de ses pensées. Rapidement, il rejoint le groupe d’élèves. Il a le droit à quelques regards étonnés. Oui, l’ours sort de sa caverne. Il n’y prête pas attention. Il n'a pas envie de répondre à leurs interrogations. Bientôt, ils sont dans le bus, en direction de New-York.
Autour de lui, les gamins forment un groupe compact. Ils attendent tous qu’il donne le coup d’envoi de cette sortie. Qu’il leur donne l’autorisation de courir dans les boutiques ou de profiter de la vie, tels les adolescents qu’ils sont. Autant d’enthousiasme lui arrache un sourire. Finalement, cette journée est peut-être ce dont il a besoin. “Je compte sur vous pour ne pas faire de bêtise et pour ne pas vous attirer de problème. Profitez bien de votre journée !” Les mutants s’éloignent, sourire aux lèvres. Il les regarde partir chacun de leurs côtés, en petits groupes. Il ne reste plus que son collègue accompagnateur et lui, maintenant. Tous les deux, ils s’engouffrent dans le centre commercial afin de profiter de sa chaleur. A l’intérieur, une vibration l’interpelle. Le genre de vibration provoquée par le froid. Une variation dans l’air qui lui rappelle celle qu’il crée lorsqu’il fait jaillir la glace de ses paumes. Son regard flotte au-dessus de la foule. Il se doute que Dorian est dans le coin. Il le sent. Finalement, Bobby le trouve. Il fronce les sourcils, en remarquant son expression. L’agent a l’air de fuir quelque chose. “Je reviens.” Le mutant abandonne son collègue pour suivre Dorian. Son comportement est étrange. Maintenant qu’il est plus proche, il sent le froid intense qui émane de l’agent. Il est rare que Bobby puisse ressentir une température pareille. Il constate que Dorian n’a même pas pris le temps de se chausser. La situation doit être catastrophique pour qu’il oublie de jouer l’homme ordinaire. Bobby arrive enfin à sa hauteur. “Dorian ? Vous allez bien ?” Depuis longtemps, il a compris que l’agent de sécurité a un don. Il l’a senti dès les premières fois. Ils n’en ont jamais parlé ouvertement. Ce n’est pas le genre de choses que l’on annonce dès les présentations. Mais Bobby lui a parlé de sa mutation, de la manière dont elle s’est présentée, de la façon de la maîtriser. Il sait que le chemin peut être long avant d’y parvenir. Le chemin peut être semé d’embûches, et parfois de victimes. Quand on n’a pas eu l’habitude de blesser les autres, cela peut être une grande déchirure de créer la douleur dans les yeux des personnes. A l’expression de Dorian, il comprend que quelque chose est entrain de se passer. Mutant ou pas, cet homme souffre de son pouvoir. Souffre de ne pas le maîtriser. Bobby ne connaît rien à ce qu’il se passe dans son corps. De ce qu’il se passe dans ses cellules. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il ne peut pas le laisser se débrouiller seul. Ces épisodes de crise sont plus faciles à gérer lorsque quelqu’un est là pour aider. Et aider est le job du mutant. Il passe ses journées à le faire. Tendre la main. Écouter attentivement. Dialoguer pour comprendre. Trouver des solutions. Améliorer la situation. Créer la joie de vivre chez les autres. C’est son job au quotidien.
Alors, il ne va pas tourner le dos à Dorian. Il ne pas repartir dans le centre commercial, comme si de rien était. Ses pensionnaires ne sont pas livrés à eux-mêmes. Ils ont appris à se battre. Ils ont un enseignant à leurs côtés. Il peut bien s’absenter quelques minutes, voire quelques heures. “Qu’est-ce qu’il se passe ? Je peux peut-être vous aider.” Ils ont un point commun : le pouvoir du froid. Pour Bobby, il se présente sous la forme de glace. Pour Dorian, il se présente sous la forme de décharges au zéro absolu. Les deux peuvent créer le froid, mais à des températures différentes. Avec un peu de chances, Bobby peut l’aider à se “réchauffer”.
En entendant une voix, je sursaute. Si j’étais dans mon état normal, si j’étais encore militaire, j’aurais probablement fait un mouvement pour attraper l’arme de service qui se trouverait à ma cuisse, dans son holster. Mais le fait est que je ne suis pas dans mon état normal et mes réflexes sont amoindris. Je déteste cette idée d’ailleurs, de me dire que je ne peux plus aussi bien contrôler mon corps qu’avant, alors que durant une grande partie de ma vie c’est ce que j’ai appris. A entrainer mon corps à ce que certains gestes soient intégrés, de manière intrinsèque, à mes muscles de façon à ne plus avoir à réfléchir pour les effectuer…Tout part en vrille quand je suis dans cet état-là, et je déteste cela. Point. Pour revenir à la voix, je me tourne prestement vers son auteur et ne trouve nul autre que…Bobby.
Un mutant qui a très vite compris que j’avais moi aussi un don, sans pour autant en savoir autant qu’il l’aimerait, probablement. Il ne sait pas que je ne suis pas un mutant, ou ce que provoque exactement mon « pouvoir » en mon être. Hormis que je projette du froid. Du très froid, au Zéro Absolu même. Passons. Je me tourne et pendant bien cinq secondes, je dois avoir l’air d’un cerf pris dans les phares d’une voiture, tendu, frissonnant sans arrêt, et incapable de prononcer le moindre mot. Puis ses mots me parviennent, en même temps que sa voix qui se veut calme et rassurante. Je hausse un sourcil, prêt à défendre que je vais bien (je ne veux pas l’entrainer dans une de mes crises, s’il est là c’est qu’il doit avoir des jeunes mutants sous sa surveillance et je ne peux pas me permettre de les mettre en danger de manière aussi égoïste), puis je prends le temps de m’observer, au cas où il y aurait effectivement quelque chose qui pourrait me trahir et…Et je ne porte pas de chaussure. Effectivement, si on veut des indices que quelque chose cloche, je ne pouvais pas faire mieux. Je pousse un lourd soupir et entreprend de lui répondre.
"Non. Mais ne vous embêtez pas avec ça, je sais comment gérer cela."
Je me refuse à dire que c’est un problème devant lui, parce que je sais ce qu’il pense et c’est admirable, de pouvoir penser qu’une mutation est quelque chose tenant presque du don. Qu’avec l’aide adaptée, on pouvait apprendre à maitriser cette mutation. Et je le crois, sincèrement, mais je ne suis pas un mutant. Je ne sais même pas ce que je suis exactement. Alors je ne vais pas aller faire perdre leur temps aux mutants qui ont d’autres chats à fouetter. Peut-être aussi qu’une partie de moi est terrifié de ce que je pourrais découvrir sur moi-même en découvrant ce que je suis devenu réellement, ce qui m’empêche de progresser aussi bien que je le voudrais et surtout d’accepter l’aide que l’on me propose en trouvant des excuses à moitié bidons.
Sauf que fait est de remarqué que Bobby ne semble pas avoir autre chose en tête que de sincèrement vouloir m’aider. Alors qu’il pose sa question, mes clés de voitures m’échappent des mains, à cause de mes doigts trop engourdis, et je pousse un son de frustration, donnant un coup sur ma voiture. Ce n’est pas le moment bordel. Je me penche pour ramasser mes clés et…Je dois bien l’admettre, j’ai besoin d’aide et de manière urgente. Je ne peux pas me permettre de rester ici plus longtemps, pas alors que je suis aussi près de tant de gens. Moi qui suis d’habitude assez calme et même jovial, Bobby découvre une autre partie de moi que j’aurais préféré garder pour moi. Je lui tends les clés.
"J’aurais préféré vous laisser en dehors de cela, surtout si vous êtes avec des élèves…Mais il faut que j’aille à Staten Island. Vite. Est-ce que vous pourriez m’y conduire ? Je ne pense pas être en état actuellement. Je comprendrais que vous refusiez, vous êtes là avec vos élèves et je ne veux pas vous attirer d’ennuis…"
Je lui en demandais beaucoup, laisser en plan ses élèves pour aider un type qu’il ne connaît presque pas au final. On s’est croisé quoi…Quatre, cinq fois au centre commercial ?
Essuyer des refus. Être repoussé. Tout cela, il a l’habitude. C’est le premier réflexe de tous ceux qui ont des pouvoirs et qui ne savent pas les gérer. C’est le premier réflexe de survie pour soi et pour les autres. Il a eu la même réaction lorsqu’il a découvert ses pouvoirs. Dans ces moments-là, il y a deux comportements différents : soit l'interlocuteur obéit et s’éloigne, soit il passe outre et s’impose. Il connaît Dorian pour avoir discuté quelques fois avec lui. Ils ne sont pas les meilleurs amis du monde. Ils ne partagent pas beaucoup de points communs. Seul le fait qu’ils maîtrisent tous les deux le froid les rapproche. Mais ils ont bien accroché. Bobby a eu le temps de constater que Dorian n’est pas mauvais. Il a eu le temps de réaliser que Dorian cherche juste à épargner les autres. Alors, Bobby ne veut pas lui laisser le choix. Il compte s’imposer. Il compte lui donner toute l’aide dont il est capable. Entre réfrigérateur sur pattes, on peut bien s’entraider, non ? Il sait que Dorian ne lui fera rien de mal. Rien qu’il peut maîtriser, en tout cas. A l’expression de l’agent de sécurité, il comprend que la situation est pressée. Que la situation l’effraye. Dorian est encore sous l’emprise de son pouvoir. Et pas l'inverse. Il n’a pas encore compris comment gérer ses crises. Mais il trouvera. On trouve toujours. A force des expériences, tout se passe mieux. Bobby sent le froid émaner de Dorian, comme une vibration familière. Une vibration chaleureuse qui l’appelle. Il sent le froid qui pointe. Il sent que le froid ne demande qu’à sortir. Pas besoin d’être un génie pour comprendre que la situation peut rapidement devenir catastrophique. Bobby n’a pas peur. Il a déjà survécu à une attaque de Prudence. Il peut survivre à une attaque au zéro absolu. Enfin, en théorie. “Non. Mais ne vous embêtez pas avec ça, je sais comment gérer cela.” Il a presque envie de lever les yeux au ciel, tellement cette phrase est familière. Il s’y attendait. Il n’est donc pas surpris. Il ne fait même pas mine de s’éloigner. Il reste aux côtés de Dorian. Là où il est le plus utile. Ce n’est pas en errant dans les allées d’un centre commercial qu’il sera d’une quelconque utilité. Plutôt que de s’en aller, il insiste. Il lui propose son aide. Dorian perd ses clés de voiture. Il semble au bord de la panique. C’est toujours difficile de voir les gens aussi effrayés par ce qu’ils peuvent faire. C’est toujours douloureux de les voir lutter contre eux-mêmes. Dorian s’en prend à sa voiture, en donnant un coup dedans. Bobby le laisse évacuer son agacement. Il ne fait pas un mouvement afin de récupérer les clés, à la place de l’agent. Il sait combien ne pas être capable de faire des gestes simples est frustrant. Ca l'est encore plus de recevoir de l’aide pour les effectuer. Alors, il reste immobile. En y réfléchissant, il réalise qu’il découvre Dorian sous un nouveau jour. Plus colérique, plus tendu. Son pouvoir le met dans tous ses états.
Finalement, Dorian lui tend les clés. Signe qu’il accepte son aide. Bobby les attrape avec un sourire. “J’aurais préféré vous laisser en dehors de cela, surtout si vous êtes avec des élèves…Mais il faut que j’aille à Staten Island. Vite. Est-ce que vous pourriez m’y conduire ? Je ne pense pas être en état actuellement. Je comprendrais que vous refusiez, vous êtes là avec vos élèves et je ne veux pas vous attirer d’ennuis…” Ils ont aussi ce point commun. Ne pas embêter les autres. Être gêné à l’idée de demander un coup de main. Pourtant, ils ne le devraient pas. Admettre son incompétence est une force. Mais déranger les autres n’est pas dans leurs habitudes. Il se reconnaît dans la réaction de Dorian. A une époque, lorsqu’il était adolescent et découvrait ses capacité, il essayait d’épargner ses proches. Il attendait la solitude pour s’entraîner. Il secoue la tête. “Ce n’est pas un souci. Ils comprendront l’urgence de la situation.” Il fait le tour de la voiture. Il s’installe au volant. Il n’a pas conduit à New-York depuis longtemps. Quand il se déplace avec les mutants, le bus est leur meilleur moyen de transport. Il lui arrive rarement de sortir à New-York. New-York est la jungle urbaine. Y conduire est dangereux. Y conduire est risqué. Y conduire est une aventure. Mais il ne peut pas laisser tomber. Il va se contenter de les amener à Staten Island, en vie. Il met le moteur. C’est parti pour une excursion dans l’excursion. Il jette un coup d’oeil à l’agent. Le plus dur avec les pouvoirs est de comprendre ce qui les déclenche. Lorsque l’on sait, il est plus facile de garder la maîtrise. Pour Dorian, c’est trop tard. La crise est déjà là. Elle est à la porte. Elle n’attend qu’une diversion pour exploser. Mais, Bobby peut quand même détourner son attention. Il peut quand même l’entraîner sur des sujets différents que celui du danger. “Racontez-moi un moment joyeux de votre vie.” La méthode de base pour entraîner le patient vers un terrain positif. La méthode de base pour faire appel à des émotions positives. Fuir l’inquiétude pour se réfugier dans le bonheur. Fuir cette idée persistante que tout risque de geler. Technique de base qu’il utilise avec certains des nouveaux pensionnaires. Tout le monde a un souvenir positif dans sa vie. Même un infime. A moins d’avoir perdu la mémoire.
Je n’en n’ai pas l’air comme ça, mais je suis reconnaissant à Bobby de ne pas essayer de ramasser mes clés pour moi. Moi qui me sens déjà largement diminué, acceptant cependant l’aide du mutant, je pense que je l’aurais envoyé paître sans ce geste (ou plutôt, ce non-geste, mais on s’est compris). Car rien qu’avec ce geste, je comprends qu’il est vraiment là pour m’aider, pas pour faire le bon samaritain qui fait sa BA de la journée. Pas non plus parce qu’il se sent obligé, mais parce qu’il comprend le processus dans lequel je suis entré et il sait, d’expérience, que j’ai besoin d’aide, aussi têtu puis-je être sur ce sujet-là. Alors j’ai arrêté de faire l’idiot et je lui ai donné mes clés en lui expliquant la situation. Enfin, en lui expliquant de quoi j’avais besoin pour m’aider. Je ne m’attendais pas à ce qu’il refuse, sinon il ne serait pas resté lors de ma première rebuffade, mais je ne peux m’empêcher de lui offrir un sourire reconnaissant quand il accepte verbalement. C’est toujours plus rassurant de se l’entendre dire verbalement. Son sourire aide aussi, il faut bien l’avouer. Je vais du côté passager et m’installe, croisant les bras et gardant mes mains pour moi surtout. Il serait dommage que je gèle une partie de la voiture…Même si je n’ai jamais rien gelé rien qu’au toucher, mais je n’étais pas en crise en même temps.
On démarre et je regarde l’extérieur défiler, essayant de me distancer de cette sensation de froid qui m’empoignait chaque seconde un peu plus. Mais rien à faire, je ne pouvais pas empêcher mon esprit de retourner vers l’imminence du danger, du fait que nous étions encore en pleine civilisation urbaine avec beaucoup d’innocents autour, dont Bobby si je puis me permettre…Je faisais en sorte de contrôler ma respiration, afin d’éviter une crise de panique qui ne ferait qu’empirer les choses. Je me tourne vers Bobby quand il parle, et ouvre des yeux étonné. Honnêtement, je ne m’étais pas attendu à cela. Qu’il essaye de faire la conversation, ça oui, mais pas…enfin je ne sais pas à quoi je m’attendais en fait. Ce qui est certain, c’est que je ne vais pas rater une occasion de me distraire de la situation présente. Je hoche la tête puis prend le temps de réfléchir à ce que je vais lui raconter. Je sais déjà une chose, c’est que je parlerais soit de ma sœur, soit de l’armée. Ce sont les deux choses qui m’ont apporté le plus de joie dans ma vie. Même si sur la fin, l’armée m’a fait un cadeau empoisonné, je ne peux nier avoir vécu des choses inoubliables (dans le bon sens du terme) avec mes équipes. Je finis par me décider et je me lance dans mon récit.
"Je me souviens du jour où j’ai appris à Crystal, ma petite sœur, à faire du vélo. Elle en avait marre d’avoir les petites roues sur son vélo alors que la plupart de ses petits camarades n’en n’avaient plus. Alors un week-end on a enlevé les petites roues et elle a essayé, essayé encore, et encore. Ah pour ça, on est pareil : plus têtus que deux vieilles mules. Finalement, a un moment, j’ai lâché le vélo sans qu’elle s’en rende compte et elle a roulée toute seule comme une grande…Avant de ne plus sa rappeler comment freiner et utiliser un pauvre arbre sans défense comme arrêt d’urgence. Elle n’a plus touché au vélo pendant quelques temps, mais après on aurait dit qu’elle passait sa vie dessus."
Un sourire s’était formé sur mon visage durant mon récit et je forçais mon esprit à rester avec ces souvenirs, me distrayant. Finalement, on arriva à Staten Island (après que j’ai passé la totalité du trajet en ferry campé dans la voiture) et la peur sourde qui me bouffait les entrailles revint avec une vengeance. Je lui indiquais le chemin d’un terrain vague abandonné loin des quelques habitations se trouvant sur l’île. J’allais toujours là, au moins je ne risquais la santé de personne et on me fichait bien la paix. Arrivés devant le grillage indiquant l’entrée de l’immense terrain vague (je vous jure, je ne sais pas ce qu’il y avait avant ici, mais ce n’était pas un parc…), je sortis de la voiture et me tourna vers Bobby.
"Je pense qu’il serait plus sage pour vous de m’attendre ici. Je n’en n’aurais pas pour longtemps."
J’espérais que, pour cette fois, il me fasse confiance sur ce point. Je ne voulais pas le mettre en danger. Il manipulait la glace, certes, mais là on parlait de températures extrêmes, -273°C…Je n’avais aucun moyen de savoir s’il pouvait vraiment résister à ce genre de températures ou non et je n’étais pas vraiment pressé de faire un test live.
Le danger est là. Tout proche. Il le sent. Il vrille à côté de lui, alors qu’il dirige la voiture dans la circulation. Le bleu de ses yeux ne quitte pas la route. Il ne manquerait plus qu’il soit distrait. Qu’ils aient un accident. Qu’il freine au dernier moment. Qu’il manque d’écraser un piéton. La surprise et la peur pourraient être les facteurs déclencheurs. Autant ne pas tenter le diable. Il cherche des rues où les voitures sont moins nombreuses. Il cherche des voies où la circulation est plus fluide. Heureusement, ils ne sont pas à l’heure de pointe. Sinon, la situation aurait été stressante. Elle l’est déjà. Ce n’est pas comme si il avait une bombe gelante à ses côtés. Bobby peut résister au froid. Il est le froid. Il se transforme en glaçon géant sur demande. Mais un glaçon est plus chaud que le zéro absolu. Il survivrait peut-être. Difficilement. Mais il existe une infime possibilité. Cela dit, il n’est pas prêt à la tenter. Alors, il conduit le mieux possible. Le plus rapidement possible. Il a l’impression de se perdre à une ou deux reprises. Il finit par retrouver son chemin. Ses mains sont fermement serrées sur le volant. Parfois, l’une des deux se relâche pour emprisonner le levier de vitesse. Les pieds sont vissés sur les pédales. La pression, il a l’habitude de la gérer. Elle est son quotidien en tant que X-Men. Sauf que celle-ci n’est pas la même. Comme s’il avait posé le pied sur une mine anti-personnelle. Le moindre geste peut être fatal. Le moindre changement de pression peut engendrer la mort. Là, il n’a pas le pied dessus. Il est situé juste à côté. La situation est tout aussi périlleuse. Voire plus. Si ça se trouve, tout le monde dans un rayon de plusieurs kilomètres est en danger. Il se concentre sur la route, mais il n’en oublie pas Dorian. Il est là, les mains cachées sous ses bras. Entre deux intersections, il tente d’attirer son patient du jour vers un terrain plus positif. Un terrain moins glissant. Un terrain moins dangereux. C’est la technique qui fonctionne le mieux. Il jette un coup d’oeil sur sa droite. Dorian est plongé dans ses réflexions. A la recherche de ce souvenir. “Je me souviens du jour où j’ai appris à Crystal, ma petite sœur, à faire du vélo. Elle en avait marre d’avoir les petites roues sur son vélo alors que la plupart de ses petits camarades n’en n’avaient plus. Alors un week-end on a enlevé les petites roues et elle a essayé, essayé encore, et encore. Ah pour ça, on est pareil : plus têtus que deux vieilles mules. Finalement, a un moment, j’ai lâché le vélo sans qu’elle s’en rende compte et elle a roulée toute seule comme une grande…Avant de ne plus sa rappeler comment freiner et utiliser un pauvre arbre sans défense comme arrêt d’urgence. Elle n’a plus touché au vélo pendant quelques temps, mais après on aurait dit qu’elle passait sa vie dessus.” Au fur et à mesure que Dorian parle, Bobby sent la tension disparaître. Autant chez l’un que chez l’autre. Il sent ses doigts se desserrer sur le volant. Son pied être moins lourd sur la pédale. A côté de lui, il constate que l’effet est semblable. Dorian est plus détendu. Serein. Bobby esquisse un sourire. Les souvenirs ont un effet magique sur les gens. Les souvenirs créent des miracles.
Finalement, les buildings de Manhattan disparaissent pour céder la place aux bâtiments aux abords de Staten Island. Cette île accessible en ferry apparaît au loin. Le hasard faisant bien les choses, ils doivent attendre seulement une quinzaine de minutes pour embarquer. Le trajet semble long. Interminable. Bobby ne peut se retenir de lancer des oeillades à la dérobée. Dorian est de nouveau tendu. Les effets positifs du souvenir ont disparu. Une fois arrivé sur Staten Island, il s’assure de rouler au plus vite. Il suit précisément les indications de Dorian. Il fait moins attention, ici. Il y a moins de risques d’écraser une grand-mère et son déambulateur. Finalement, il gare la voiture le long d’un grillage. Derrière un grand terrain vague. Il retire la ceinture de sécurité et s’apprête à sortir de la voiture. “Je pense qu’il serait plus sage pour vous de m’attendre ici. Je n’en n’aurais pas pour longtemps.” Il suspend son geste. Bobby ne peut pas le contre-dire. Il ne sait pas en quoi consiste vraiment le pouvoir de Dorian. Il ne connaît pas les conséquences exactes. Il faut savoir rester à sa place. Alors, il se réinstalle derrière le volant. “Prenez votre temps, je ne bouge pas.” Il lui adresse un sourire rassurant. Il est là, au cas où. Il ne compte pas l’abandonner. Il le regarde s’éloigner sur ce terrain vague. Apparemment, ce n’est pas la première fois qu’il y vient. Pas la dernière, non plus. Autour d’eux, il n’y a rien. Dorian doit y trouver la tranquillité d’esprit dont il a besoin. Bobby aurait aimé avoir un endroit pareil, étant gamin. Il aurait pu s’y exercer. Créer les toboggans qui sont devenus son moyen de transport. Construire des formes. Développer ses capacités. Au lieu de cela, il se contentait de sa chambre d’enfant. Un petit espace de jeu qui ne lui a pas permis d’éviter certaines catastrophes. Il repose la tête contre l’appui-tête. Ses yeux se ferment quelques instants. Il n’a pas eu la même enfance joyeuse que Dorian. Il n’a pas eu le même début dans la vie d’adulte que lui. Très tôt, il a dû faire face à sa mutation. Mais, il s’en est bien sorti. Il est devenu une personne dont il peut être fier. Un psychologue et un ami. Il est plus utile que jamais. Rien ne sert de pleurer le passé. Il faut avancer. Lorsque Bobby rouvre les yeux, il lui semble entendre un bruit. Comme une décharge d’énergie. Il n’est pas sûr. Il n’a pas l’ouïe aussi fine que certains mutants. Mais il croit avoir entendu quelque chose. Il se redresse, se rapproche du pare-brise. Il cherche à mieux voir. Sauf qu’il ne voit pas plus. Finalement, il sort de la voiture. Il fait quelques pas. Se dégourdir les jambes. Chasser l’inquiétude. Il aimerait voir de quoi est capable Dorian. Ce doit être extrêmement puissant. Ca doit être extrêmement violent. Il s’approche du grillage. Il hésite à le rejoindre. Peu prudent. Peu recommandé. “DORIAN ?” Sa voix porte. Peut-être pas assez suffisamment. Peut-être pas assez fortement. Il n’a pas de réponse. Il enfonce les mains dans ses poches. Y aller ou ne pas y aller ? Il étudie les alentours. Il n’y a personne. Bon. Finalement, la curiosité l’emporte sur la prudence. Il franchit le grillage. Il se dote de son apparence de glaçon. On ne sait jamais. “Dorian ? Vous allez bien ?” Il hurle encore. Le vent semble porter son message. En faire écho. Il ne l’aperçoit toujours pas. Dorian doit bien être quelque part. Dans un coin. Perdu dans le terrain vague.
L’entendre dire qu’il restait là, qu’il m’attendait même, était un soulagement sans nom et je lui offris un sourire qui me ressemblait bien plus que tout ce que j’ai pu lui montrer aujourd’hui. Refermant la portière je me dirige vers le grillage et l’ouvre sans problème. La chaine qui le ferme n’est plus cadenassée depuis des lustres et restait là pour simplement faire croire que le coin était fermé alors que franchement…Le soir c’était la fête. La journée, en revanche…Désert. Ce qui m’arrangeait grandement vous vous en doutez.
Je marchai jusqu’à me savoir assez loin du grillage et là je relâchai mes mains de sous mes bras. Roulant mes épaules, j’écoutais mes sensations, surtout celle dans mes avant-bras et mes mains. Ce picotement caractéristique que mon pouvoir était en fonction et prêt à l’emploi. Ce picotement est toujours avec moi, il ne me quitte jamais, mais dans le cas de mes crises, il pulse, comme s’il ne demandait qu’à sortir et c’est ce que j’allais faire. Serrant et desserrant les poings de manière régulière, je finis par les serrer fermement, presque au point d’avoir mal à la main de mes ongles poussant contre la peau de mes palmes et je levais les bras. A peine une seconde plus tard, un violente décharge de froid s’échappa de ma main gauche, puis la droite. Le gros était passé. Je sentais déjà le froid recéder en moi, se faisant définitivement moins présent. Mes bras me donnaient la sensation de brûler de l’intérieur à cause du froid intense qui les a traversés à peine quelques secondes plus tôt, une faible lueur rougeâtre les enveloppant. Si seulement ça pouvait être terminé aussi simplement…Je savais qu’il fallait encore utiliser un peu ce froid, mais…C’était demandant et maintenant qu’il n’y avait plus l’urgence de la crise, je savais que je pouvais faire une petite pause entre deux décharges.
Je pris alors le temps de regarder autour de moi. Du blanc, partout dans un rayon de plusieurs mètres. Même ce qui n’était pas entré en contact direct avec le froid était givré en surface tant les températures étaient basses. Me détendant, je me préparais à nouveau et fis quelques tirs, dirigeant les décharges dans différentes directions. J’étais concentré, je ne voulais pas risquer de mal viser et d’avoir une décharge sortir du terrain vague où les restes d’immeubles et de carcasses de voitures trainaient. Sauf que dans ma concentration et avec le bruit du froid s’échappant de mes mains, je n’ai pas entendu Bobby arriver. Ce n’est que lorsque j’envoyai une décharge dans sa direction que je m’en rendis compte. Pendant une seconde je retiens mon souffle d’horreur en me disant que ça y est, j’avais gelé le seul être qui était vraiment au courant de ce pouvoir et qui, malgré les rebuffades, souhaitaient m’aider. Puis je le vois bouger, même s’il reste sous forme de glace et je respire. Je cours vers lui, inquiet tout de même.
"Bobby ! Tout va bien ? Je suis désolé, je ne vous ai pas entendu arriver ! Est-ce que…euh…est-ce que c’est à cause de moi… ?"
Je désignai d’un vague geste de mains sa forme glacée. Je l’avais déjà vu utiliser ses pouvoirs, mais pas prendre cette forme alors d’un coup, j’ai tout de même peur de l’avoir touché…
Il ne sait pas vraiment où il met les pieds. Il ne connaît rien du pouvoir de Dorian. C’est même rare que ce dernier en parle. Cependant, Bobby sait qu’il maîtrise le froid à un niveau supérieur. A un niveau qui peut être mortel. Si la glace peut conserver ou geler, le froid au niveau zéro peut être une véritable brûlure. Ce n’est pas le même froid. Ce n’est pas la même puissance. En acceptant d’aider Dorian, il sait juste qu’il a tendu la main à une connaissance. Il ne sait pas dans quoi il s’est engagé. Peut-être qu’il risque sa vie en débarquant sur le terrain vague. Peut-être qu’il devrait rester dans la voiture, sagement. Peut-être qu’il s’en fiche. Après tout, il n’a plus de petite amie qui l’attend à l’Institut. Il n’y a plus que sa solitude et lui. Quelques amis. Des amis qui se relèveront. Alors, s’il meurt figé dans le zéro absolu, ce sera uniquement une bonne blague à raconter les soirs de beuverie. L’Iceberg paralysé par un froid plus fort que lui. L’Iceman qui n’a pas survécu au froid. L’ironie. Il y a un peu d’inconscience, un peu d’envie suicidaire, un peu de curiosité. Tout ce mélange fait qu’il ne peut pas rester assis dans la voiture. Il y est resté… quoi ? Dix minutes ? Vingt ? Il n’a pas compté. Depuis le temps qu’il discute avec Dorian de son don. Depuis le temps qu’il essaye de le convaincre que c’est une merveille de la nature. Il a bien le droit de braver les dangers pour savoir de quoi il s’agit. Comment le convaincre d’une chose qu’il ne connaît pas ? La seule protection que Bobby a, c’est son corps de glace. Il est quasiment invincible avec. Quasiment. Une attaque à la tête et il est fini. Une attaque au coeur et il est mort. Par contre, il n’a aucune idée de l’impact du froid de Dorian. Peut-être qu’il y survivrait ? Peut-être pas. Mais connaître ses limites. Connaître ses failles est une bonne manière d’anticiper. Alors, tant pis. Il y va. Il sort de la voiture. Il se pare de son corps de glaçon. Un vrai Iceberg débarqué de nulle part. Il avance dans le terrain vague. Il appelle l’agent de sécurité. Il espère avoir une réponse. Rien. Juste le vent. Et cette impression d’entendre des décharges. Comme un souffle. Comme un tremblement dans l’air. Il perçoit le froid dans l’air. C’est probablement ce qui le rapproche de Dorian. Ce qui le guide vers lui. Il voit les traces de son pouvoir avant d’en voir le responsable. Le sol terreux est blanc. Blanc de gel. Blanc et glissant. Heureusement, Bobby a assez de maîtrise avec la glace pour conserver son équilibre. Sous ses pas, le sol semble craquer. Le sol semble se plaindre de son poids. A travers ses chaussures, il sent le froid irradier. Même avec sa forme de glaçon ressent la température extrêmement basse. Incroyable. Il est fasciné. Jamais il n’atteindra ce niveau de mutation. Quoi qu’évoluer ne soit pas une priorité. Il a déjà eu des difficultés à se faire à son état de glaçon ponctuel, ce n’est pas pour créer des décharges de froid. Peut-être qu’un jour, il évoluera davantage. Il sait déjà maîtriser sa température corporelle. Il peut déjà sortir de la glace de ses paumes et créer des formes. Il se transforme déjà en glace. Il accumule les dons. Alors, il n’est pas pressé de découvrir une nouvelle facette de sa mutation. Mais quand même ! Ce que Dorian fait est fascinant. Ses attaques doivent être redoutables, si tant est qu’il les contrôle. Il est curieux de savoir comment cela lui est arrivé. Comment il a fait pour en arriver là. Ce n’est pas un mutant, Bobby l’a rapidement compris. Ses capacités sont d’autant plus étonnantes.
“Bobby ! Tout va bien ? Je suis désolé, je ne vous ai pas entendu arriver ! Est-ce que…euh…est-ce que c’est à cause de moi… ?” Il sursaute, en entendant l’appel. Il ne l’a pas vu arriver. Et dire qu’il aurait pu se trouver dans son champ de tir ! Il doit redoubler de vigilance. Il pose ses yeux de glace sur Dorian. L’agent semble paniqué. Bobby réalise alors qu’il y a de quoi. Il esquisse un sourire. “Non non, ne vous en faites pas ! C’est normal.” Enfin, aussi normal que cela puisse paraître. Depuis quelques décennies, la notion de normalité n’a plus vraiment de sens. Elle n’en a que pour les gens dans le déni et pour ceux qui repoussent les mutants et les mutés. Pour Bobby, la normalité se trouve dans le contrôle, dans la maîtrise. Dans l’acceptation. Il recouvre apparence humaine, retrouvant la sensation du vent sur sa peau et du frottement des vêtements. Le glaçon ne laisse aucune trace derrière lui. Aucune humidité. Aucun froissement. Aucun dégât. Comme si rien ne s’était passé. “Un affrontement contre un pyrokinésiste et voilà que je deviens un glaçon… enfin bref.” Le sujet n’est pas là. Il ne compte pas lui raconter sa vie dans les détails. “Ce que vous faites est incroyable !” Et il ne le dit pas par pure sympathie. Il le dit parce qu’il le pense vraiment. Jusqu’à Dorian, il n’avait encore jamais vu quelqu’un maîtriser le froid à ce niveau. Contrôler le froid est déjà rare. Bobby n’en a rencontré que trois. Prudence, Dorian et lui-même. Trois êtres uniques. Ils pourraient en apprendre beaucoup l’un sur l’autre. Ils pourraient s’entraîner. A eux trois, ils rassemblent un potentiel exceptionnel ! Ou au moins, Bobby pourra lui donner quelques conseils pour combattre une torche humaine, même si l’agent a en tête de rester sagement dans son coin. Bobby fronce. Peut-être qu’il est arrivé trop tôt. “Excusez-moi, je vous ai peut-être interrompu dans votre défoulement.” Défoulement. Déchargement. Peu importe comment Dorian appelle ça. Il n’a peut-être pas terminé d’éliminer toute la tension du froid. Bobby aimerait bien y assister. Pour voir. Pour découvrir. Pour apprendre.
Je me détendis d'un coup quand Bobby m'annonça que sa forme actuelle était normale. Au moins, ce n'était pas de ma faute s'il ressemblait à un glaçon ambulant pour le moment. À vrai dire, de ce que je voyais c'était plutôt lui qui décidait de sa forme. Soit parfaitement humaine, soit une forme gelée qui correspond bien à sa mutation. Contrairement à son caractère qui est chaleureux et accueillant, rien à voir avec le froid et la glace qu'il manipule à sa guise. Je le sais, parce qu'il m'en a parlé et que je l'ai écouté avec attention, la curiosité m'habitant attisée par ces révélations. Je l'admets volontier, je suis curieux de ce que les mutants peuvent faire de manière générale. J'ai entendu tellement de chose sur eux, à l'armée et aussi en dehors, que pouvoir en rencontrer un et discuter avec lui est quelque chose que je considère de précieux. Ayant toujours été du genre à suivre St Thomas a ne croire que ce que je vois de mes propres yeux, j'avais gardé mes opinions sur les mutants pour moi durant les années à l'armée. Maintenant, je pouvais avoir les opinions que je souhaitais sans crainte aucune. Ou presque, car avec les récents événements, je doute que dire que l'on se fasse beaucoup d'ami en disant que l'on soutient la cause mutante en n'en n'étant pas un soi-même.
Je ne pus m'empêcher de hausser un sourcil intrigué quand il me parla d'un pyrokinésiste (dont je ne voyais pas trop le rapport ici), mais je sentais à son ton qu'il ne valait mieux pas trop s'étendre sur le sujet alors je ne posai aucune nouvelle question et le laissai continuer et...je ne savais pas trop comment réagir à son commentaire. C'était dit comme un compliment sincère, je le sentais, mais je n'étais pas aussi à l'aise avec mes capacités que lui. Je me passai une main dans la nuque ne sachant trop quoi répondre. Il falait dire qu'hormis lui et Prudence (et encore, elle ne sait pas exactement en quoi il consiste), personne n'était au courant de ce que je pouvais faire. Bobby tentait de me faire comprendre que c'était comme un cadeau plus qu'une malédiction. Mais je ne le voyais pas comme l'un ni l'autre. Pour moi ces capacités étaient quelque chose que je ne savais pas contrôler autant que je le voulais et qui pouvait faire de moi une cible. Quelque chose que je n'ai jamais demandé et avec lequel je devais composer.
"Impressionnant, ça c'est certain. Mais aussi des plus dangereux. Pour avoir été militaire, je sais que certaines cellules militaires seraient prêtes à presque tout pour utiliser des capacités comme les miennes sur un champ de bataille et je ne veux pas devenir une arme pure et simple. J'ai été soldat, mais ça ne serait pas la même chose."
Définitivement pas. Quand on est soldat, on est considéré comme des armes, certes, mais les généraux gardent en tête le facteur humain qu'ils ont tendance à oublier avec les mutés et les mutants. Sans compter que je finirais sûrement sur une table d'observation à être testé, observer et disséquer afin qu'ils puissent manufacturer les capacités et les donner à leurs soldats. Je refuse d'aider à cela.
Bien vite on changea de nouveau de sujet et j'eus un sourire amusé. Le blond s'inquiétait de mon état, en quelque sorte, et je lui en étais reconnaissant. Surtout qu'il avait raison, j'avais envore besoin de me défouler un peu. Alors je souris un peu plus et resserre mon poing.
"Ne vous inquiétez pas, j'ai besoin de faire une pause entre deux décharges. Mais si vous voulez rester...faites comme chez vous. Évitez simplement de vous retrouver dans ma ligne de mire." Finissais-je avec un sourire.
Puis je lui tourne le dos, afin d'être sûr de ne pas le toucher, même par accident, et je tire comme précédemment; le bras levé à hauteur de mon épaule, et le seul signe avant-coureur externe est la légère lueur rougeâtre qui émane de mon avant bras avant que la décharge ne m'échappe, mon bras accusant le recul et reprenant son apparence normale. Je recommence deux ou trois fois.
Là, j'ai fini. Je sentais mon pouvoir; toujours présent mais dormant. Sauf que maintenant j'étais bien content que Bobby soit là pour conduire au retour. Je l'ai toujours fait avant et je le referais si besoin, mais je dois avouer que ça me fatigue ces crises...passons. je me tourne vers lui ensuite.
"Et voilà. On peut rentrer. Il va falloir que je remettd des chaussures peut-être...mais je crois que j'ai une paire de rechange dans le coffre."
Tout de suite je retrouve mon attitude plus naturelle, plus joviale.
Si sa mutation a une forme créative, le don de Dorian est plus meurtrier. Plus définitif. Il ne laisse pas le choix de vie ou de mort. Cela est effrayant. Effrayant et inquiétant. Mais, c’est ainsi. Des centaines de personnes se réveillent un jour avec des pouvoirs dont ils ne connaissent rien. Des centaines de personnes se réveillent avec des pouvoirs qui les dépassent. Dorian n’est qu’un cas parmi tant d’autres. Il n’est pas le plus dangereux. Il n’est pas le plus assassin. Son inquiétude de ne blesser personne est la preuve qu’il ne tuera pas par choix. Qu’il tuera par obligation ou par manque de maîtrise sur ses compétences. Il ne se promènera jamais dans la rue, avec pour seul objectif de brûler par le froid tous les passants. Dorian considère son don comme un poids. Bobby y voit un cadeau. Un cadeau empoisonné, certes. Il suffit de quelques années pour comprendre que cette nouvelle compétence fait partie de soi. Quelques années pour s’adapter. Quelques années pour l’accepter. L’ancien militaire s’en remettra. Il doit s’entourer des bonnes personnes. Tout simplement. Le X-Men lui proposerait bien de rejoindre l’Institut Xavier. Sauf qu’il n’est pas un mutant. Il n’aurait rien à faire au milieu des pensionnaires. Peut-être en tant que professeur, le jour où il saura mieux maîtriser ses pouvoirs. En attendant, Bobby ne peut que l’aider lors de ses rares sorties. Ce n’est pas grand chose quand on sait l’évolution qui lui reste encore à faire. "Impressionnant, ça c'est certain. Mais aussi des plus dangereux. Pour avoir été militaire, je sais que certaines cellules militaires seraient prêtes à presque tout pour utiliser des capacités comme les miennes sur un champ de bataille et je ne veux pas devenir une arme pure et simple. J'ai été soldat, mais ça ne serait pas la même chose." Il n’a pas tort. Mutants et mutés sont utilisés par le gouvernement afin de créer des militaires invincibles. Des militaires qui n’ont pas peur de mourir. Ils sont vus comme des armes qu’il est possible d’utiliser dans les guerres. Par le passé, des mutants ont été recrutés. Encore aujourd’hui, le recrutement continue. A partir du moment où vous découvrez vos pouvoirs, vous n’êtes plus qu’une arme. On considère que vous ne possédez aucune humanité. Plus aucune émotion. Vous n’êtes que des pions que l’on déplace. Dorian a raison de s’inquiéter. Il n’a pas l’espoir d’être protégé. Il n’a pas la possibilité de se réfugier quelque part. Il doit simplement être discret. D’où ce terrain vague sur une île perdue, près de New-York.
"Ne vous inquiétez pas, j'ai besoin de faire une pause entre deux décharges. Mais si vous voulez rester...faites comme chez vous. Évitez simplement de vous retrouver dans ma ligne de mire." Bobby acquiesce. Il fait un pas en arrière. Il s’assure d’être dans le dos de Dorian. Ainsi, il ne devrait pas encourir le gèle. Il est curieux de voir comment se manifeste son don. Bobby sait faire sortir la glace de ses paumes. Il sait la forger. Mais, comment le zéro absolu se manifeste ? Il va avoir la réponse dans quelques secondes. Il observe le muté lever le bras. Celui-ci se met à luire. Il se couvre d’une lumière rouge. D’un coup, le jet de froid sort. Telle une arme. Le tir est surprenant. Bobby l’observe faire. Détaille le cheminement. C’est toute une chorégraphie. Une chorégraphie fatiguante, visiblement. Dorian semble las. Autour d’eux, tout n’est que blancheur. Même en hiver, on ne sent pas un froid pareil. Sans s’en apercevoir, Bobby a augmenté sa température corporelle. S’adapter. Survivre dans le froid. Il perçoit la fraicheur à travers les vêtements. A travers sa peau. Il souffre du froid. Impressionnant. Depuis son adolescence, il n’en a plus ressenti la morsure. Cette sensation des doigts qui se rigidifient. Ce besoin de couvrir les extrémités afin d’éviter les pertes de chaleur. C’est assez magique. Il retrouve une sensation perdue depuis longtemps. Il ne pensait pas la ressentir. "Et voilà. On peut rentrer. Il va falloir que je remette des chaussures peut-être...mais je crois que j'ai une paire de rechange dans le coffre.” Efficace, ce défouloir. Il aimerait rester plus longtemps. En profiter pour poser les mille questions qui lui viennent en tête. Mais, ils ont chacun quitté leur travail pour cette sortie. Il est temps qu’ils retournent dans la vie réelle. “Oui, bien sûr. Allons-y.” Il va pouvoir retrouver la chaleur de la voiture. Enfin, chaleur. Tout est relatif. Aussi froide que peut l’être une voiture, à l’arrêt, en plein mois de janvier. Ce sera toujours plus agréable que la température basse du terrain vague. Il a le bout des doigts froids. Il n’en revient pas. Autant, il connaît la chaleur. Autant, le froid lui était devenu inconnu. Pas exactement inconnu. Plutôt, familier. Une habitude qu’il a fait sienne. Il n’a jamais été habitué à une température pareille. Il lève sa main au niveau de ses yeux. Il a les doigts rouges. Pour lui, le zéro absolu est l’équivalent d’une température de 10°C pour le commun des mortels. Un sourire amusé s’esquisse. “J’ai les doigts froids ! C’est fou...” Même lorsque la glace traverse son corps afin d’en sortir par ses mains, il n’a pas froid. Même lorsque l’hiver est à son paroxysme, il n’éprouve pas le besoin de s’habiller chaudement. Ce constat est tellement étrange.
Il lève des yeux brillants vers Dorian. Comme un enfant. Il redécouvre des sensations oubliées. Il se rappelle ces après-midis d’hiver à jouer dans la neige pendant des heures. Il rentrait à la maison, les joues rouges et les cheveux mouillés. Sa mère lui reprochait son inconscience et lui tendait une tasse de chocolat chaud. Elle serait étonnée de savoir ce que son garçon peut faire maintenant. Il détourne son attention sur Dorian. “Il vous suffit de lever le bras et de vous concentrer pour tirer vos décharges ?” Bobby n’arrivera jamais à atteindre une température aussi basse. Qu’il puisse créer des formes en glaçon assez froides pour ne pas qu’elles se brisent est déjà un miracle. Alors, qu’il parvienne, un jour, à lancer des décharges au zéro absolu relève de l’imaginaire. Ils retournent vers la voiture. Des pas tranquilles dans l’étendue glacée. “Est-ce que vous vous entraînez, parfois ?” Mieux que quiconque, il sait combien utiliser son don peut être dangereux. Il sait que cela peut créer des problèmes. Mais, pour le maîtriser, il faut s’entraîner. Cet ancien militaire doit le savoir. On ne vous envoie pas dans les pays en conflit, sans savoir tirer, au risque de cause des pertes humaines dans son propre camp. Il doit bien essayer de maîtriser son pouvoir, sa force ou le degré de température, non ?
C'est étrange d'avoir un spectateur pendant une de mes crises. Je n'aurais jamais pensé qu'il y ait quelqu'un d'assez fou un jour pour venir prendre le risque de voir ce que je sais faire (hormis le gouvernement en me mettant dans une salle sécurisée). Mais ça, c'était avant de rencontrer Bobby. Qui manipule la glace, qui est un mutant et visiblement très curieux de savoir ce qu'un autre glaçon sur patte peut faire. Ce que je comprends tout à fait, j'avoue avoir plusieurs fois été curieux de savoir comment fonctionnait ces histoires de mutation, bien avant de devenir un muté moi-même. Je ne suis pas un scientifique, mais j'étais curieux, parce que je voulais savoir ce qui, en sommes, pouvait vraiment être ces "menaces" dont on nous a plusieurs fois parlé durant les années à l'armée. Maintenant que j'ai quelqu'un sous la main, je n'ose pas; parce que j'ai aussi autre chose à penser. Un jour peut-être, quand je serais plus confortable avec mes propres capacités je pourrais retrouver cette curiosité sans avoir l'impression de chercher des informations pour me comprendre moi-même.
Alors que nous faisons route vers la voiture, Bobby s'étonne presque d'avoir les doigts froids. Oui, c'est normal...non? Il est vrai que je ne sais rien de ce que sa mutation peux avoir comme conséquences sur sa physiologie. Je sais que ce qui m'est arrivé m'a rendu moins sensible au froid extérieur, a baissé ma température corporelle de quelques degrés; cependant, celui qui vit en moi je le sens bien, que ce soit quand je tire ou, pire, lors de mes crises. Mais Bobby? Je n'en sais rien. Alors je me contentd de sourire, attendri devant ses yeux brillant et sa bouille de gamin le jour de Noël. J'en viens même à me demander quel âge il a exactement. Il ne semble pas vraiment plus jeune que moi, mais en cet instant il me fait vraiment penser à un enfant et c'est attendrissant.
Puis les questions viennent. À la fois par habitude de devoir cacher ce que je sais faire et le manque d'habitude d'en parler, je me tend sensiblement. Je me force à me détendre, c'est normal qu'il ait des questions et honnêtement, il pourra peut-être m'aider à trouver des réponses aussi. Je hoche alors la tête.
"En gros c'est ça. Il faut aussi que je ferme le poing. Un peut comme presser la détente d'une arme." Il va probablement finir par me trouver lourd avec mes comparaisons militaires, mais je n'ai que cela comme références..."Je sais que je peux l'utiliser quand je le souhaite, mais vous comprendrez que j'évite la plupart du temps. Plus que cela...je ne saurais pas vous expliquer comment il fonctionne. Je n'ai fait que quelques tests quand c'est apparu, plus pour voir si je pouvais le contrôler au minimum qu'autre chose." La seconde question me surprit un peu plus, bien que je reconnaisse la légitimité de la question. Quelqu'un comme moi qui ne voulait pas blesser les civils et qui ne s'entraînait pas à le contrôler...paradoxale, je sais. Je haussai les épaule. "Pas vraiment. Je ne sais même pas ce qui influe dessus, alors savoir comment travailler dessus...aucune idée. Donc non, pas vraiment. Hormis sur la visée. Mais sinon je ne contrôle rien du tout. Mes crises en sont une preuve flagrante je pense. Ça aussi, je ne sais pas pourquoi elles apparaissent. Mes capacités restent un grand point d'interrogation dans mon esprit. Et il faut bien le dire: je ne savais pas trop vers qui me tourner. Je ne suis pas un mutant, il n'y a sans doute que très peu de points communs entre le fonctionnement de vos mutations et mes capacités...donc ce n'est pas aussi évident que je l'aimerais."
Je lui offris un sourire malgré mes propos. Nous étions arrivé à la voiture et je me dirigeais vers le coffre pour voir si j'avais effectivement ma paire de chaussure de rechange. Ouf! Je l'ai bien. Je les enfile sans chaussette (puisque pour le coup, ça je n'en n'ai pas de rechange) et le dirige vers le côté conducteur de la voiture. Les habitudes ont la vie dure comme on dit.
"En tout cas, merci, pour tout. Je dois bien l'admettre, avoir quelqu'un qui sait et avec qui je peux vraiment en parler sans risquer de voir débarquer le gouvernement à ma porte...c'est agréable. Bon, il faut que je vous rende à vos élèves à un moment donné, non? Montez."
C'était clair: une fois la crise passée (et par-là, le stresse qu'elle induit), je redevenais bien plus agréable à vivre. La preuve en était le sourire calme qui se trouvait sur mon visage alors que je le regardais s'installer dans la voiture, l'imitant bien vite.
Il aurait aimé observer davantage. Il aurait aimé découvrir comment il fait. Mais visiblement, il est le plus fasciné des deux. Pour Dorian, ce n’est qu’un handicap. Pour Bobby, c’est un don qui fait partie de lui maintenant. Un don qui permet à l’ancien militaire de faire des choses dont le commun des mortels est incapable. Bobby y voit bien plus de potentiels que Dorian. Probablement l’habitude. A force de voir des mutants débarquer à la X-Mansion, il a appris à déceler les compétences. Dorian maîtrise le froid sous une autre forme. Plus brute. A l’état pur. Il ne peut pas créer des formes. Mais, il peut refroidir. Il peut geler. Il peut brûler par le froid. Il peut faire des ravages, comme il peut sauver. Ce n’est absolument pas une malédiction. Chaque nouveau pouvoir que Bobby découvre est une parenthèse de curiosité. De découverte. Il n’a pas l’âme d’un scientifique. Il a choisi la science du cerveau, mais uniquement car il souhaitait être utile. Il y a peu de science dans ce domaine. Pas comme dans la biologie. Il n’a donc pas cette curiosité sur les signes avant-coureurs ou même ce que le pouvoir provoque chez Dorian. Il a seulement la curiosité de savoir ce dont les autres sont capables. Tout en gardant à l’esprit que ce pouvoir peut provoquer des perturbations. Des incompréhensions. Des remises en question. Des crises identitaires. Cependant, Bobby ne peut s’empêcher d’être émerveillé. Le fourmillement dans ses doigts. La sensation du souffle froid sur son visage. Ses pieds gelés. C’est presque comme s’il redécouvrait la sensation du froid hivernal. Comme s’il était de nouveau sensible au froid. Une grande première. Il ne peut retenir son enthousiasme. Il l’interroge. Il en oublie les éventuelles réticences que pourraient avoir Dorian. Il s’intéresse seulement à sa manière de procéder. Il aimerait pouvoir lui poser le millier de questions qui lui vient. Il se retient. Seulement quelques unes parviennent à sortir. Il n’ose pas interroger Dorian sur les origines de ce don. Mutant ou muté, cette question est toujours difficile à aborder. C’est toujours compliqué de se confier dessus. “En gros c'est ça. Il faut aussi que je ferme le poing. Un peu comme presser la détente d'une arme.” Dorian lui parle un langage qu’il connaît plus ou moins. Pas au même niveau qu’un militaire. Bobby a appris à utiliser des armes à feu pour certaines missions. Cependant, il se repose sur son don. Moins dangereux. Plus efficace. Il comprend quand même. Dorian, le militaire, a une arme à la place du bras. Étrange. Bobby enfonce ses mains dans sa veste. Il est bien content de l’avoir mise. Il a tendance à vouloir se normaliser. A ne pas attirer l’attention. Et puis, cela lui semble logique de se couvrir en hiver. Un vieux réflexe de son ancienne vie de non-mutant. Cette fois, il s’en félicite. Il peut protéger ses doigts de la morsure du froid. Les protéger du zéro absolu. “Je sais que je peux l'utiliser quand je le souhaite, mais vous comprendrez que j'évite la plupart du temps. Plus que cela...je ne saurais pas vous expliquer comment il fonctionne. Je n'ai fait que quelques tests quand c'est apparu, plus pour voir si je pouvais le contrôler au minimum qu'autre chose." Bobby hoche la tête. Il approuve sa logique. Toutefois, s’entraîner pourrait aider Dorian à mieux maîtriser ses crises. A davantage les espacer. A plus les soulager. Si ça se trouve, il pourrait les stopper avant qu’elles n’arrivent.
“Pas vraiment. Je ne sais même pas ce qui influe dessus, alors savoir comment travailler dessus...aucune idée. Donc non, pas vraiment. Hormis sur la visée. Mais sinon je ne contrôle rien du tout. Mes crises en sont une preuve flagrante je pense. Ça aussi, je ne sais pas pourquoi elles apparaissent. Mes capacités restent un grand point d'interrogation dans mon esprit. Et il faut bien le dire: je ne savais pas trop vers qui me tourner. Je ne suis pas un mutant, il n'y a sans doute que très peu de points communs entre le fonctionnement de vos mutations et mes capacités...donc ce n'est pas aussi évident que je l'aimerais." Évidemment, pas d’entraînement, pas de maîtrise, pas d’appréhension du pouvoir. C’est le coeur de l’apprentissage. On ne peut pas s’améliorer sans faire d’erreurs. La règle fonctionne aussi avec les mutations et les modifications génétiques. Dompter son pouvoir est comme une discipline sportive. On s’entraîne. On se fatigue. On s’exerce. Tout cela pour être le meilleur. Pour être le plus doué. Pour performer. Sans cela, on ne comprend pas le mécanisme déclencheur. Sans cela, on ne peut rien maîtriser. Ce n’est pas le moment de lui faire un cours sur comment apprendre à maîtriser son don. Dorian est assez grand pour se débrouiller seul. Il a bien réussi jusqu’à maintenant. Il n’a pas besoin de Bobby. Ce dernier l’accompagne jusqu’à la voiture. Il n’est pas pressé de retrouver ses pensionnaires. Bien sûr qu’il aime son job. Mais la découverte des capacités de Dorian est incroyable. Il aimerait pouvoir en discuter des heures avec lui. Quoique l’ancien militaire ne risque pas d’apprécier. “En tout cas, merci, pour tout. Je dois bien l'admettre, avoir quelqu'un qui sait et avec qui je peux vraiment en parler sans risquer de voir débarquer le gouvernement à ma porte...c'est agréable. Bon, il faut que je vous rende à vos élèves à un moment donné, non? Montez.” Bobby esquisse un sourire. Il retrouve le Dorian qu’il a rencontré au centre commercial, la première fois. Le gars ouvert et convivial. Il n’a plus cette peur qui pèse sur ses épaules. Cette pression qui l’écrase. Bobby obéit à son ordre et va s’installer à la place du passager. “Ne vous en faites pas pour les élèves, on leur apprend à se débrouiller seuls. Ils ne resteront pas indéfiniment à l’Institut.” Et l’Institut ne restera pas indéfiniment ouvert. On ne sait pas de quoi sera fait demain. Si les mutants ont pu bénéficier de l’aura positive des super-héros, elle est en train de décliner. Bientôt, ils seront de nouveau considéré comme des monstruosités de la nature. Il n’y a qu’à voir l’organisation des Watchers qui prend toujours plus d’ampleur. Ils ne pourront bientôt plus sortir de l’Institut. Un jour, ils n’y seront plus en sécurité. Les X-Men ne suffiront plus à protéger les mutants innocents.
“Vous savez, je ne suis pas que l’accompagnateur de mutants. Je suis aussi un psy et un mutant. Alors, si vous avez besoin de conseils ou de parler, je suis là.” Les gens ont souvent peur des psychologues. Ils en ont peur. Ils les fuient. Ils rigolent lorsqu’on sous-entend que ce serait bon pour leur santé. Ils les voient comme des causes de problème. Ce n’est pas le cas. Pas le cas de tous. Bobby ne cherche pas à faire interner les gens. Il cherche à les accompagner. Il cherche à les aider. Les jeunes pensionnaires sont rares à venir le voir. Pourtant, ils ont besoin de soutien. D’une oreille à qui parler. Il n’y a pas d’âge pour confier ses peurs. Même Dorian peut en avoir. “D’ailleurs, si vous voulez un avis expérimenté, vous feriez mieux de vous entraîner. Les sportifs le font bien pour améliorer leurs performances. Pourquoi pas vous ?” Il n’a pas pu s’en empêcher. Plus fort que lui. Mais ce sera le seul conseil. L’unique recommandation qu’il donnera à Dorian. L’homme lui semble perdu. Il n’a pas l’air de savoir comment se dépêtrer avec son don. Une simple piste devrait l’aiguiller.
Je me répétais peut-être, mais être en compagnie d’un mutant que ma condition intéressait était étrange à vivre. Je n’avais jamais été en crise avec quelqu’un autour mais malgré tout…je devais bien l’admettre, ça faisait du bien de ne pas se retrouver seul dans ces situations. J’avais moins l’impression d’être perdu ainsi, bien que Bobby ne me donne pas plus de réponses sur mon pouvoir que je ne pouvais en avoir pour le moment, mais c’était toujours bon d’avoir de la compagnie. Cependant, il fallait bien que je nous ramène au centre commercial. Moi je devais reprendre mon travail (ou au moins récupérer la paire de chaussure abandonnée dans les vestiaires) et ramener leur accompagnateur aux jeune mutants qui se promenaient tranquillement dans le centre commercial en faisant leurs achats. Ca me faisait penser que j’allais devoir commencer à chercher des idées pour Noël ; j’avais encore un peu de temps cependant. Bobby m’affirma de ne pas m’en faire pour les élèves, ils étaient indépendant et que ça faisait, en quelque sorte, partie de leur apprentissage. Je hochai la tête, reprenant tranquillement la route principale pour le centre de la ville.
"Certes. Il n’empêche qu’entre temps, ils ont aussi besoin de leurs accompagnateurs."
Je ne le jugeai pas, bien au contraire, il fallait le vouloir pour s’occuper d’ados et de jeune adultes découvrant ou apprenant à maitriser leurs pouvoirs. Je n’avais pas manqué la finalité sous-jacente dans ses mots. Ca me faisait même réfléchir au contexte actuel, une des raisons principales pour laquelle je ne voulais pas que trop de gens découvrent ce que je savais faire. Que des gens comme Bobby ou Prudence le sachent ne me dérangeait pas, ils étaient eux aussi différents du reste de la population et comprenaient mon besoin de garder cela secret. Mais je préférais ne pas penser à ce que serait le monde de demain si l’Institut où travaillait Bobby n’existait plus. Qui aiderait les jeunes mutants ? L’armée ? Ou bien serait-il pourchassés jusqu’au dernier ? Un frisson involontaire me parcourut, un qui n’avait rien à voir avec le froid que je venais de relâcher. Je n’étais peut-être pas exactement comme eux (la loterie génétique n’avait pas choisie que je fasse partie de la prochaine évolution de la race humaine), mais je partageais cette différence qui attiraient tous les jours un peu plus de regards et de méfiance sur nous, de haine parfois même, je ne pouvais pas, décemment, détourner le regard sur l’avenir de ces gens, quand bien même il y en aurait bien après moi.
Pour le moment, cependant, je préférai me concentrer sur ce que me disait Bobby, et franchement, j’ai dû retenir un rire dérisoire en apprenant qu’il était psy. Pas que ça me surprenne complètement, il avait cette empathie envers les autres, cette écoute de l’autre qu’ont tous les bons psys. Non, plus parce que les psys, justement, j’en avais mangé, merci bien et que je préférais ne pas retourner en voir. L’accident qui m’a donné mes pouvoirs a été suivi de longues séances chez les psys de l’armée, pour essayer de déterminer si j’étais fiable ou non de retourner sur le terrain. Il s’est avéré que j’ai préféré partir que d’attendre un quelconque aval. Mais Bobby n’était pas là pour ça et je lui lançai un rapide regard avant de reporter mon attention sur la route.
"Merci. Mais si je viens vous voir, ça sera en tant qu’ami, pas en tant que psy." Au moins, il connaissait ma position quant à ce point précis "Mais je pense que je viendrais vous voir plus que je ne l’imagine, me connaissant."
Une admission comme une autre qu’on avait besoin d’aide. Au moins, je l’admettais, je ne voulais peut-être pas y mettre les mots précis, mais je l’admettais. La suite me fit pousser un sourire las. Oh, pas contre lui, il ne faisait que son travail, après tout et c’était bien normal. J’avais moi aussi fait partie de ces types qui conseille aux jeunes recrues de penser à aller s’entrainer au tir au minimum une fois par semaine. Alors je comprenais tout à fait l’argument de Bobby. Seulement…
"Vous avez raison. Le seul problème, c’est que je ne sais pas du tout par où commencer. Je ne sais même pas si je peux contrôler autre chose que la visée de cette capacité, honnêtement. Je ne sais pas si elle est liée à mes émotions, ce qui serait peut-être le plus pratique à dire vrai, à la pensée ou à quelque chose de plus physiologique dont je n’ai même pas conscience. Il n’y a aucun schéma logique dans mes crises, des fois je n’en aie pas pendant des mois, des fois j’en ai deux en trois semaines…Je ne sais rien. Alors savoir par où commencer pour pouvoir prévoir un entrainement est difficile. Mais je suis d’accord avec vous sur le principe."
Je levai une main au ciel pour exprimer mon désarroi face à cette situation. Car si seulement j’avais le moindre indice, peut-être qu’à partir de là je pourrais commencer à entrevoir une solution. Peut-être.
"Mais jusqu’à maintenant, je n’avais personne pour en parler, pas d’yeux extérieurs." Je laissais une courte seconde de silence avant de reprendre "Peut-être que maintenant que vous êtes là j’y verrais un peu plus clair." Je lui offris un nouveau sourire.
Il n’aurait certainement pas toutes les réponses, peut-être même n’en n’aurait-il aucune, mais s’il avait déjà des questions, des interrogations qui me feraient réfléchir à des aspects que je n’avais pas considérés jusque-là.
Sa mutation a une forme particulière. Il peut résister aux basses températures. Aux très basses. Le zéro absolu l’affecte très peu. Son corps n’en ressent même pas les effets. Son corps se porte bien. Alors qu’un simple humain aurait eu froid, aurait grelotté, aurait gelé sur place. La température environnante du terrain vague a dû baisser de plusieurs degrés. Mais Bobby va bien. Il a l’occasion de voir comment réagit sa mutation face à des températures extrêmes. Il est heureux de voir qu’il y résiste. Qu’il les supporte. Même si les occasions sont rares d’être confronté à un ennemi qui maîtrise le froid. Même si le savoir ne l’aidera pas forcément. mais connaître ses limites est important. Et le zéro absolu ne semble pas en être une. Il n’est qu’un frisson. Un souffle. A peine une secousse. Sa mutation est telle qu’il peut y survivre. Pour l’instant, les seules choses qu’il peut craindre sont le gel du coeur - que Snow semble formidablement maîtriser - et le feu quand il est plus puissant que la glace. Ce sont les éléments qui peuvent l’ébranler. Qui peuvent l’anéantir. Quoique avec sa forme glaciale, il est pratiquement indestructible. Cette sensation de pouvoir survivre à presque tout est assez agréable, même s’il n’en joue pas. Même s’il n’est pas suicidaire. Disons que c’est rassurant. Maintenant qu’ils sont de nouveau dans la voiture, la sortie semble être terminée. Pourtant Bobby a encore envie d’en apprendre plus sur Dorian. Il a un pouvoir fascinant. Peut-être qu’avec un peu de concentration, il pourrait créer des formes lui aussi. Peut-être qu’il pourrait rendre ses décharges plus fluctuantes, plus précises. Dorian est plein de potentiel, il en est sûr. Il est un diamant brut à tailler. “Certes. Il n’empêche qu’entre temps, ils ont aussi besoin de leurs accompagnateurs.” Il lève les yeux au ciel. Il a la vague impression que Dorian cherche à se débarrasser de lui. Impression qu’il repousse rapidement. Ils s’entendent bien. Il lui a été utile ces dernières heures pour l’emmener à Staten Island. Dorian a juste conscience que des gamins ne peuvent pas être laissés tout seul. Le psychologue jette un coup d’oeil à l’heure affichée sur le tableau de bord. Quand même. Ils sont partis pendant plus d’une heure. Une heure pendant laquelle il aurait pu se passer n’importe quoi. Une heure pendant laquelle un mutait aurait pu perdre le contrôle. Une heure pendant laquelle une personne aurait pu être blessée. Son téléphone ne sonne pas, c’est donc le signe que tout va bien. Mais quand même. L’agent de sécurité a peut-être raison. Il est temps de rentrer. Il est temps de rentrer avant que la situation ne bascule dans l’enfer. Ces gamins ont vécu assez de problèmes pendant leur vie. Il ne faudrait pas qu’ils découvrent la haine et la peur dans le regard des autres. Certains en sont toujours traumatisés. Il se rappelle encore les mines effarées et dégoûtées auxquelles il avait eu le droit lorsqu’il avait été embarqué par la police. Une autre époque. Maintenant, il s’assure de donner une vie meilleure à tous ces pensionnaires.
Lorsqu’il lui annonce qu’il est psychologue, il voit passer un air amusé sur le visage de Dorian. C’est l’effet qu’il fait à tout le monde. Enfin, l’amusement et la peur. Les gens craignent les spécialistes comme la peste. Une peur irrationnelle d’être mis à jour et de se dévoiler. Pourtant, ils devraient savoir que même en étant amusé ou effrayé, ils montrent un peu d’eux-mêmes. “Merci. Mais si je viens vous voir, ça sera en tant qu’ami, pas en tant que psy.” Bobby esquisse un sourire. Évidemment. Au moins, Dorian ne le repousse pas à cause de son métier. Il aurait pu le faire. Certains le font. C’est limite si certains ne courent pas se cacher. On aurait pu croire qu’être un criminel serait plus effrayant. Mais un gars qui analyse et comprend les émotions est beaucoup plus inquiétant. Il arrive à mettre des mots sur ce que les autres ressentent, sur les psychoses, sur les inquiétudes. “[color:1ca6=A9E2F3]Je comprends.” Lui-même avant de devenir psychologue n’avait pas une bonne image du métier. Il imaginait des charlatans occupés à dessiner sur des carnets. Il y voyait des artistes sans talent qui se faisait payer pour griffonner pendant que des gens se plaignaient. Force est de constater que ce n’est pas la vérité. En tout cas, pas pour lui. “Mais je pense que je viendrais vous voir plus que je ne l’imagine, me connaissant.” On a toujours besoin d’aide. Encore plus lorsque l’on ne maîtrise pas ce qui nous arrive. Dorian est assez lucide et intelligent pour le comprendre. Mais même s’il ne le voulait pas, il serait capable de se débrouiller seul. Il suffit de travailler, de s’exercer. Ce sont des réflexes qu’il doit encore avoir. Des réflexes qu’il doit se réapproprier. “Vous avez raison. Le seul problème, c’est que je ne sais pas du tout par où commencer. Je ne sais même pas si je peux contrôler autre chose que la visée de cette capacité, honnêtement. Je ne sais pas si elle est liée à mes émotions, ce qui serait peut-être le plus pratique à dire vrai, à la pensée ou à quelque chose de plus physiologique dont je n’ai même pas conscience. Il n’y a aucun schéma logique dans mes crises, des fois je n’en aie pas pendant des mois, des fois j’en ai deux en trois semaines…Je ne sais rien. Alors savoir par où commencer pour pouvoir prévoir un entraînement est difficile. Mais je suis d’accord avec vous sur le principe.” En l’écoutant, Bobby se met à froncer. En fait, Dorian n’a pas d’idées de l’étendue de son pouvoir. Il ne sait rien, même. C’est assez problématique, effectivement. Mais c’est là que l’entraînement est utile. A force de tirer, il trouvera des éléments communs. Il trouvera des réponses. Il faut juste analyser, comprendre, étudier. Il faut juste du temps et de la patience. Se trouver des excuses ne sert à rien. Cela ne fait que retarder le moment de plein contrôle. Ce constat semble agacé Dorian. Pendant quelques secondes, Bobby est projeté dans son adolescence. A cette époque, il essayait de comprendre son pouvoir. Tout ce qu’il arrivait à faire, c’était de geler sa chambre et de déclencher la colère de ses parents. Il ne savait pas comment fonctionnait son pouvoir. Seulement qu’il se déclenchait accidentellement et selon ses émotions. Il ressentait le même agacement. “Mais jusqu’à maintenant, je n’avais personne pour en parler, pas d’yeux extérieurs.” Bobby pourra au moins lui apporter ses connaissances en tant que mutant. Ses expériences en tant que X-Men. Il a vu des dizaines de mutants évoluer. Il a suivi l’avancée des mutations. Il devrait pouvoir guider Dorian, au mieux.
“Peut-être que maintenant que vous êtes là j’y verrais un peu plus clair.” Il secoue la tête. Bobby est certain de pouvoir l’aider. Dans quelle mesure et dans quelle condition, cela reste à définir. Mais ils trouveront. “J’espère vraiment pouvoir vous aider.” L’ancien militaire mérite de pouvoir contrôler son pouvoir. Il mérite d’avoir une vie plus ou moins normale. Il ne pourra pas éternellement se réfugier sur cette île. Cela pourrait devenir suspect. Bobby doit absolument l’aider. Il est déjà en train de réfléchir aux différentes étapes à franchir. “Vous vous débrouillez déjà très bien. Vous savez gérer les crises. Vous les sentez arriver. Maintenant, tout ce qu’il reste à faire, c’est de réussir à les déclencher par vous même. Ensuite, il faudra voir si vous pouvez agir sur leur puissance.” Il a de nombreuses idées de ce qu’il reste à faire. Il se contente d’énoncer les premières. Il ne faudrait pas effrayer Dorian. Il ne faudrait pas le refroidir devant la charge de travail qui lui reste à accomplir. “Du travail vous attend, j’espère que ça ne vous effraie pas.” Il esquisse un sourire. En tant qu’agent de sécurité et ancien militaire, Dorian ne doit pas compter ses heures. Mais là, ce n’est pas un entraînement physique en cas de vol ou de guerre, c’est un entraînement mental et physique d’une toute autre mesure. Bien plus fatiguant. Bien plus éprouvant. Ce ne sera pas facile. Il faudra du temps. Mais il y arrivera. Bobby a confiance en lui.
C’est étrange comme sensation, le fait d’être quelque part bloqué dans son propre mental…Rien à voir avec Bobby pour le coup, pas directement du moins. Mais c’est comme si je me rendais compte seulement maintenant que les crises et le potentiel meurtrier de mes capacités n’étaient pas les seules choses que je craignais. Comme s’il y avait cette peur latente qui n’était pas manifeste à premières vue mais qui, une fois confronté à une vérité simple et si judicieuse, se réveillait et se faisait connaître. Je réalisai alors que ce qui m’empêchait vraiment d’aller explorer ces capacités, c’était bel et bien la peur que je change, que je devienne quelque chose dont je ne savais rien. Alors que toute ma vie, adulte du moins, on m’a toujours appris à en savoir le plus possible avant d’avancer. Ici, pour avoir les informations, il fallait que j’avance avant tout. Mais à force d’en discuter avec Bobby, je sentais ma curiosité naturelle tenter de se frayer un chemin sur le devant de mon esprit. Grâce à lui, je reprenais courage, je me disais que je pouvais surmonter tout ça. Peut-être que j’aurais dû prendre plus au sérieux cette histoire de PTSD, à l’époque…Mais passons.
Je ne pus m’empêcher de rire. Il espérait pouvoir m’aider ? Bon sang s’il savait à quel point il m’a déjà aidé. Rien que le fait que je sache que je n’ai plus forcément à gérer cela tout seul, c’était déjà énorme pour moi. Je me reprends d’une petite toux et le laisse terminer avant de parler à mon tour.
"Pardon, je ne me moque pas, loin de là. Enfin c’est simplement que…Vous m’avez déjà aidé, je peux vous l’assurer. Alors ne vous inquiétez pas, je sais que vous pourrez m’aider. Peut-être pas de la manière la plus évidente qui soit, mais vous le pouvez, je n’en doute pas."
Je vais être honnête, l’entendre complimenter ce que je sais déjà faire, eh bien ça fait du bien. Ce n’est pas grand-chose, mais se dire que quelqu’un qui a quelques années de pratique de plus que vous considère qu’au moins vous vous en sortez, ça vous remet le moral, c’est certain. Cependant, une petite chose me chiffonne. Il semble croire que mes crises sont les seules fois où mon pouvoir peut se manifester et…Ma foi ce n’est pas exactement ça. Alors que nous sommes à un feu rouge, je me passe une main sur la nuque.
"Ce n’est pas exactement ça. Les crises…je ne sais pas ce qu’elles veulent dire en fait, mais je sais que je n’ai pas besoin d’une crise pour utiliser mon pouvoir. Je le sens en permanence prêt, j’ai comme…des picotements dans les bras en quasi-permanence et sans pouvoir expliquer pourquoi, je sais que c’est ça. Seulement je ne peux pas vraiment me permettre de l’utiliser chez moi ou dans le centre commercial. Lors des crises, c’est comme si je gelais de l’intérieur sans rien pouvoir y faire. Alors oui, je les sens arriver, et heureusement, je ne préfère pas imaginer ce que ça serait si elles arrivaient totalement à l’improviste…" une vision d’horreur s’empare de mon esprit un instant et je rate presque le passage du rouge au vert, mais je me réveille rapidement et reprend la route "Mais je peux déjà essayer de voir si je peux influer sur leur puissance, effectivement. Ou voir la distance maximale d’effet s’il n’y a aucun obstacle." Quand je vous dis que ma curiosité se réveille…Sa dernière phrase me fait hausser un sourcil et un nouveau sourire amusé me vint aux lèvres. "Je ne suis pas devenu Ranger grâce à mes beaux yeux" bon sang que non…"Ca ira. Mais il faudra du temps. Et possiblement trouver un endroit plus discret pour m’entrainer. Parce que je vais finir par attirer l’attention si Staten Island ressemble en permanence aux steppes de Sibérie…" finissais-je avec un petit rire dans la voix.