Quelques années plus tôt...
C'est ça, quelques années. Je ne saurais pas vraiment dire combien d'années exactement. Je ne saurais pas vraiment dire quelle année précisément. Mes souvenirs de cette époque ont beau être relativement récent, mes expériences m'ont fait perdre la notion du temps, de mon temps là-bas. C'était avant, avant mes pouvoirs, avant mes affiliations louches et bancales, avant New York ou la Russie. C'était la Sokovie et c'était quelques jours après que d'étranges hommes soient venu me trouver au fond de mon coin de ruelle pour m'offrir une renaissance. Pour m'offrir l'espoir.

J'avais passé des jours, des nuits, à vivre dehors et à laisser mon espoir se consumer à petit feu tout au fond de moi, brûlé par le froid, ma peau comme mon esprit. La manifestation m'avait donné un peu d'occupation, m'avait sortit de ma routine de survie, mais c'est bien cette rencontre nocturne qui m'avait sauvé d'une certaine façon. Enfin à ce moment là je le pensais. Je les avais suivi, j'étais partis avec eux immédiatement après avoir accepté. Ça avait été rapide et en même temps je n'avais plus d'affaire avec lesquelles m'encombrer, j'avais tout laissé derrière moi lorsque j'avais fuis. Monter dans une voiture ne m'étais pas arrivé depuis une petite éternité aussi avais-je passé tout le trajet à observer par la fenêtre le paysage défiler dans la nuit. J'étais encore dans le flou de ma condition autant pour ce qui allait suivre que pour ce qui se passait déjà et même si j'étais bien content d'avoir quitté mon coin de rue je restais prudent, un peu peureux aussi, pas rassuré pour deux sous. Les types qui m'escortaient, parce que concrètement c'était pas des secrétaires les gars, n'étaient pas du genre bavard et ce silence était un peu gênant. Enfin il faut dire que sortit des cris de la manifestation un peu plus tôt je n'avais parlé à personne sinon à moi-même. Ça aussi c'était gênant d'ailleurs, mais vous savez, la solitude...

Enfin bref, j'étais un volontaire pour ce qui suivrait, je ne savais que ce qu'on m'avait dit et c'était suffisant à ce moment-là. On m'avait offert le gite, le couvert et un but, encore que le but restait obscur. J'avais passé la nuit dans un vrai lit et pas seul. Dans cette salle aux piliers de bétons j'étais en compagnie de nombreux dormeurs. Tous les lits n'étaient pas occupés, pas encore, mais nous étions déjà une bonne majorité. Certains depuis déjà plusieurs jours, plus encore pour d'autres. Je n'étais pas le premier, pas le dernier. Nous étions répartis dans différentes pièces comme celle-ci, pas énormément pourtant mais au moins trois ou quatre de façon certaine. J'avais pas compté, je m'en fichais, mon dos était pour la première fois depuis des semaines bien calé dans un matelas correct et un sourire stupide étirait mes lèvres dans le noir de la nuit et même l'odeur de l'humidité ne me dérangeait pas. Je la sentais, je l'ignorais. Et puis le petit-déjeuner, le déjeuner, le repas, les tests médicaux et psychologiques. Je réapprenais ce que c'était de travailler d'une certaine façon, de travailler et de vivre avec d'autres individus. Silencieux et solitaire, j'avais pris l'habitude de manger seul plus par timidité que par caractère. J'étais un fugitif, un traître aux yeux de ma famille et de mon pays, j'étais un clochard américain dans un pays hostile, qui voudrait de moi. Qui voudrait ne serait-ce que me parler ici. Je m'attendais à tout et surtout à ce qu'on me fasse payer mon affiliation américaine au moindre mot. Au moins je parlais le serbe, ça donnait le change.

Et ce jour-là autant que les autres ne dérogea pas à la règle. Des jours après mon arrivé, j'avais pris quelques habitudes, assez facilement en soit. Un réveil général un poil militaire nous réveillait tous et je m'étais extirpé de mon lit dans un bâillement pour suivre les autres dans le but de je vous le donne en mille: la toilette matinale. Salle de bain commune non mixte, c'était nouveau pour moi qui n'avait jamais vraiment fait de sport collectif. Au départ mon esprit était trop occupé à apprécier les bienfaits d'une douche chaude mais maintenant c'était devenu une forme de normalité quotidienne. J'étais au-delà de ça, de la honte ou de la pudeur. Encore que je restais civilisé, mais je n'allais pas faire de manières. Et puis s'en suivi le regroupement général dans une grande salle qui servait de réfectoire. On se serait cru à Poudlard, en plus austère et en plus morne. Et sans les robes de sorciers. Pourquoi cette référence? Je suis britannique, ne l'oubliez pas. Enfin peu importe. Comme souvent j'avais pris mon plateau et m'était installé seul dans mon coin. Cette fois encore j'avais eu la chance de pouvoir m'installer à une table proche de l'une des fenêtres bardées de grilles. J'étais en prison, je n'en avais pas conscience à l'époque, c'était trop tôt, et j'avalais ma nourriture comme si je n'avais rien mangé depuis des jours, comme si je n'allais rien manger pendant d'autres jours. Sauf que cette fois, ce jour, allait être différent.

J'ai planté, comme un Windows Vista qui sait plus où donner de la RAM entre le tableur et le lecteur de musique. Je l'ai observé s'asseoir en face de moi, ce grand gaillard aux cheveux gris, je l'ai vu comme au ralenti tellement c'était improbable, et puis j'ai entendu son salut et c'est bien ce qui m'a complètement assis, alors j'étais déjà assis. Salut d'accord, beau ok, brun clairement, mais il me parlait? Pourquoi? J'en revenais pas et je le fixais la bouche à peine entrouverte, heureusement d'ailleurs que je n'avais pas encore commencé à manger sinon ce serait devenu un peu dégueulasse. Pietro qu'il s’appelait. Je pouvais entendre l'accent local dans ses paroles, déformation professionnelle je suppose mais il parlait anglais et c'était une bonne chose, du moins pour moi, parce que même si je pouvais très bien parler serbe, j'étais pas dans ce pays pour tondre les moutons, je préférais ma langue maternelle. On se raccroche à ce qu'on peut! Il ne me restait pas grand chose et même ma conscience était pas mal rongée par les quelques méfaits que j'avais dû commettre pour manger dans mon coin de rue alors je ne pouvais pas trop m'étonner de tenir à ma langue principale. J'aimais parler d'autres langages mais dans cette période j'avais l'impression de m'effacer, de me perdre dans des identités qui ne me correspondaient pas toujours. En même temps est-ce que ma simple présence, ma volonté de participer à ces expériences me correspondait vraiment? Je touchais à une facette de moi même que je ne connaissais pas avant, celle qui veut survivre, celle qui fait ce qu'il faut pour. Je ne sais pas jusqu'où je pourrais aller mais à l'évidence céder mon corps à des expériences visiblement douteuses ne me gênait pas vraiment alors on pouvait bien se poser quelques questions.

« Et toi, c'est Aiden, non ? J'ai cru entendre un truc comme ça. » - Kayden en fait. - Tiens, une langue. J'avais pas parlé à grand monde ici bas depuis mon arrivée sinon aux responsables des lieux et autant dire que sortit des différents examens médicaux où finalement on ne me demandait pas vraiment de dire quoi que ce soit, je n'avait pas ouvert la bouche, pas trop, un grognement par ci par là. Je passais peut être pour un ermite constamment de mauvaise humeur? Ou alors pour un taré qui a trop de place dans sa tête? J'en sais rien. Pourtant je n'étais pas à proprement parlé hermétique à la socialisation, je ne comprenais juste pas pourquoi quelqu'un aurait envie de me parler en fait. Un clochard américain publiquement traître? Et puis en même temps, chose qui contredisait totalement mon idée de moi-même et qui essayait de se frayer un chemin au milieu de la masse de solitude et de timidité mal placée, y'avait l'envie de discuter, de rencontrer. M'avait l'air sympa en plus l'autre avec ces yeux trop bleus pour ma santé mentale. Pourquoi ne pas tenter le coup. - Alors, comment va? - Ok, il allait sérieusement falloir revoir mes répliques. J'aurais pu demander beaucoup de choses, fallait penser que j'étais rouillé je suppose. De toute façon vu la tronche que j'avais tiré en disant ça il avait bien dû se rendre compte que je m'étais rendu compte de ma connerie en l'entendant sortir de ma bouche.

J'esquissais un sourire au rire de Pietro. Ca faisait longtemps tiens que mes lèvres n'avaient pas souris. Je ne savais pas si c'était un automatisme, un mécanisme d'adaptation ou si c'était réel et lorsqu'il s'approcha et posa sa main sur mon épaule je sentis le fourmillement du tissus sur ma peau et la chaleur de paume à travers. - « Ça va aller, t'en fais pas. Dis-toi que t'as au moins un ami ici. » - Ce sourire là avait-été sincère. Je ne le connaissais pas, personne ne devait se connaitre dans ce réfectoire, mais savoir ça, aussi sérieux soit-il, ça m'avait fait plaisir. Je lui sacrifiait volontiers mon flan rien que pour sa présence. - Ça tombe bien y'a une place qui vient de se libérer. - Avais-je dis en posant la main sur mon cœur. En tant qu'ami? Plein de places. Ça faisait longtemps que je n'avais plus d'amis. Déprimant? Dépressif? Pathétique? Ouais, peut être, et jvous emmerde.  C'était vrai, c'était ça la solitude, la forcée, celle qui publie dans les journaux que vous êtes un traître à votre nation. - On m'a juste fait passer une batterie de tests pour le moment, prises de sang, endurance, réflexes... Rien que des bonnes choses. - Et en même temps je venais tout juste d'arriver, enfin quelques jours plus tôt. Je n'avais fait qu'un pas dans le programme et bien des choses m'attendaient, bien des choses dont je n'avais même pas idée. Faut dire qu'au point où j'en étais, j’appréciais simplement les repas chauds et la douche quotidienne. Les toilettes. Vous n'avez pas idée, vraiment pas idée.

Avalant ma nourriture à une vitesse relativement normale compte tenu du bolide que j'avais en face, je me raidissais lorsqu'il évoquait quel type de pouvoirs je possédais. Je n'avais pas peur, je n'étais pas dégoutté, j'étais simplement surpris. Je n'avais pas vraiment remarqué qu'autour de moi certains étaient dotés de pouvoirs. Peut être étais-je distrait, peut être n'avais-je simplement rien eu à voir, toujours est-il que je restais bloqué une seconde, le temps pour lui de m'annoncer sa propre mutation, avant que je ne réagisse. - J'ai pas de.. Heeu.. - Je claquais des doigts comme pour illustrer d'un tour de magie mes propos. - Non. - Je haussais les épaules d'un air innocent, me plaçant en position minoritaire, comme désolé de ne pas être comme lui. - Mais jsuis doué avec les langues. - Entre mon air fier et mon ton tout à fait pervers soyons honnêtes, y'avait de quoi rire. Fallait bien faire un peu d'humour pour se redonner consistance. Et c'est seulement là d'ailleurs que je fronçais les sourcils, réalisant ce qu'il avait dit. - Attend.. Super-vitesse? Comment ça?

Spoiler:

Pietro n'avait disparu que quelques secondes durant lesquelles j'avais fais les yeux ronds mais sa réapparition, trophée en main, m'avait tiré une expression impressionnée digne d'un néophyte absolue. Soyons honnête, toute proportion gardée, c'était le premier mutant que je rencontrais et avec qui je discutais, en tout cas consciemment. Vu le pourcentage de ces bêtes là dans la population mondiale j'avais certainement dû parler avec un paquet d'entre eux sans même le savoir. - « Me dis pas que t'as pas remarqué ? Presque tous les gamins ici ont des pouvoirs. On est des mutants, comme ils disent. » - Non bah je savais pas! - Avais-je répondu après qu'il ai parlé de sa sœur. Les langues n'étaient pas ma seule compétence et je lisais immédiatement l'inquiétude sur son visage mais je n'en faisais rien, je ne disais rien, c'était pas mon affaire. Je n'avais pas à m’immiscer dans sa vie. Ce serait assez discourtois; Je suppose que s'il voulait en parler, il le ferait, et peut être ne le voulait-il pas. Wanda m'était inconnue mais j'espérais la rencontrer aussi. La socialisation c'est comme la drogue, une fois qu'on commence on s'arrête plus, surtout quand on en a été privé... Sauf si on est un ermite pathologique, là non, mais c'était pas mon cas, ça ne l'avait jamais été.

« T'es mon pote quand même, t'en fais pas. J'suis pas du genre raciste ! » - Je lâchais un rire. - Content de le savoir! - Et je mordais dans mon propre morceau de pain. J'étais maladroit, socialement parlant. Je ne l'étais pas avant mais j'avais perdu l'habitude et pourtant certaines choses revenaient comme si elles n'étaient jamais parties. Je me souvenais de quelques semaines plus tôt quand j'étais tout bonnement incapable de trouver un intérêt à une conversation... Encore fallait-il avoir quelqu'un pour ça. Sa présence me faisait du bien et sentir que j'étais encore capable de rire et de faire un peu d'humour me rassurait aussi. Je n'étais pas mort là-bas, j'avais réussi à m'échapper, j'avais survécu et là je sentais l'espoir que peut être je n'étais pas non plus mort à l'intérieur. - Si ça peut te rassurer d'une quelconque manière, c'est pas le genre de la maison non plus. - En fait j'avais plutôt tendance à être impressionné par ces pouvoirs. Beaucoup avaient peur des mutants, beaucoup en étaient dégoûtés, comme une maladie. Moi je n'avais pas peur de ces pouvoirs, je m'en émerveillais plutôt, mais je pouvais avoir peur des gens, des personnes qui les possédaient. Donner une arme à un homme lambda et donnez une arme à un psychopathe, de qui aurez-vous le plus peur? - Enfin ouais, non, j'ai aucun pouvoir, jsuis juste un petit traducteur. Enfin petit. Jsuis un traducteur. - Il était temps d'arrêter de cafouiller. - Et vous alors? Ça fait longtemps que vous êtes là?

« Deux, trois semaines... » - Ça faisait déjà un moment. C'est certains je ne m'attendais pas à ce que le contrat soit réglé dans les jours qui suivirent, je ne m'attendais pas non plus à rester là toute ma vie non plus. En fait je n'avais aucune idée du temps que ça prendrait ni du temps durant lequel je resterais mais pour le moment ça me convenais. Je côtoyais du monde et je crachais pas sur un peu de compagnie. Encore moins sur un repas et une douche chaude. Pietro m'interrogeait sur les examens et les tests en palpant son avant-bras et je relevais le regards vers lui après avoir observé les marques de piqûres sur sa peau. - Ouais! Je sais pas ce qu'on m'a injecté hier mais ça brûlait vraiment. Je crois qu'ils ont prévu d'observer comment j'y réagis, j'en sais rien mais ouais, faut en vouloir! - On m'avait fait un paquet de prélèvement de toutes sortent pour analyse dont je n'avais eu aucun compte rendu. Des tests d'efforts, de réflexes, psychologiques... C'était assez éprouvant.

Dans ses mots et dans sa gestuelle je pouvais voir qu'il tenait vraiment à sa sœur, qu'il avait ce besoin de la voir, d'être avec elle. De veiller sur elle. Qu'avaient-ils vécu tous les deux pour que leur relation soit à ce point si fusionnelle? Pour qu'il soit si investi de la mission de la protéger? Je n'en avais aucune idée. Peut être un jour lui poserais-je la question mais pour l'heure une sonnerie retentissais dans le réfectoire et je savais ce qu'elle représentait. - « C'est l'heure de la messe. » - Je mordais dans mon morceau de pain encore une fois pendant que ça sonnait et pendant que déjà beaucoup se levaient. Inutile de parler pendant l'alerte, on s'entendait pas de toute façon. Finalement Pietro lui tendit sa main dans un grand sourire alors que le son se taisait. Je la serrais en retour, lui rendant son sourire. - Merci. Jte retourne le compliment. La même, si t'as besoin! - Quoi que Pietro semblait plus aptes à se démerder comme un grand, contrairement à moi, mais de toute façon je n'avais pas le temps de faire ce commentaire qu'il avait déjà filé.

C'était la première fois depuis des lustres que je riais, que j'appréciais une conversation, que j'appréciais une personne. Je finissais aussi vite que possible mon repas, comme un mort de faim avant de décoller mon auguste fessier de la chaise métallique. Finalement ce centre m'avait rappelé ce que c'était que de socialiser, que de vivre avec les gens, parmi eux, au même niveau. J'avais ris. Je rejoignais l'endroit où on viendrait me prendre pour de nouveaux examens ou de nouveaux tests. Je ne savais pas ce que le destin me réservait, ce que Hydra me réservait mais pour l'instant, sans savoir, cette vie me convenait. Et puis je l'aimais bien ce Pietro. J'aimerais bien sa sœur aussi. Dommage que la mort soit mon avenir.