Steve et Natasha échangèrent un regard entendu et se mirent immédiatement à courir. Il était si tôt que le soleil n’était pas encore levé et Central Park était presque entièrement vide. Il faisait trop froid pour qu’il neige encore, les poussant à vite se dépenser pour se réchauffer. Il n’avait pas réussi à trouver le sommeil cette nuit, seulement quelques heures et il avait fini par errer dans la Tour à la recherche d’une occupation. C’était alors que Natasha était apparue en tenue de sport et lui avait presque ordonné de se changer pour venir courir avec elle. Steve se demandait sérieusement si elle éprouvait réellement des problèmes à dormir ou si elle commençait à le connaître si bien qu’elle faisait en sorte d’être en mesure de lui changer les idées quand il ne se sentait pas en forme. Bien évidemment, il n’allait pas lui poser la question. Il avait tout simplement accueilli la proposition avec enthousiasme et s’était empressé de la rejoindre avec les vêtements appropriés.
Courir était une des rares choses qui lui permettaient d’arrêter de penser à tout ce qui le tourmentait. Il prenait garde à ne pas semer Natasha, la jeune femme avait beau être une athlète impressionnante, elle ne pouvait pas rivaliser avec la vitesse qu’il avait gagnée en se faisant injecter le super sérum. Si rendre Sam dingue en lui montrant ce dont il était réellement capable en termes de course à pieds était amusant, ça ne l’était absolument pas en ce qui concernait Natasha. Il savait très bien qu’elle lui ferait payer subtilement l’affront s’il se mettait à faire le malin avec la Veuve Noire.

Steven ne parvenait plus à fermer l’œil depuis qu’il avait aperçu Bucky lors du transfert raté des prisonniers mutants. Lorsqu’il avait finalement accepté, sous les conseils de Natasha, d’abandonner les recherches de son meilleur ami en comprenant qu’il ne le trouverait pas si ce dernier ne le souhaitait pas, il avait imaginé qu’il serait à l’autre bout de la planète. Pas aux États-Unis et encore moins à New-York, dans la même ville que lui. Depuis combien de temps était-il là, soigneusement caché ? Steven s’était retenu de toutes ses forces de se lancer à sa poursuite quand il l’avait vu s’enfuir comme si la mort était à ses trousses. Il avait lutté, se concentrant sur les civils et ses coéquipiers qui avaient besoin de lui. Et depuis, il n’en dormait plus, se torturait avec des questions, des hypothèses dont il ne voyait pas le bout. Bucky s’était-il enfui parce qu’il craignait de se retrouver face à lui ? Parce qu’il avait peur de ne pas se contrôler ? Ou ne souhaitait-il réellement pas le revoir ? Cette idée lui serrait le cœur si douloureusement que Steve en peinait à respirer. Il avait perdu Bucky une fois et il avait dû se plonger corps et âme dans la lutte contre l’HYDRA pour éviter de sombrer.
Réaliser que son meilleur ami était toujours vivant l’avait complètement chamboulé. Il n’avait jamais vraiment fait son deuil, mais en se réveillant au vingt-et-unième siècle, il avait compris qu’il ne reverrait jamais ses amis. Il avait tenté de se faire une raison. Mais en plus d’être vivant, Bucky avait été conditionné et transformé en assassin par HYDRA et ça, Steve ne pouvait l’accepter. Parce que son ami avait toutes les raisons d’haïr cette organisation de monstres et pendant toutes ces années, il avait été leur marionnette.

Et Steven n’avait pas été là pour l’aider. Il avait échoué encore une fois. Il pourrait comprendre que Bucky ne veuille plus le voir, il en aurait toutes les raisons. Il suivait le chemin pris par Natasha sans y faire attention, toujours perdu dans ses pensées moroses. Il fallait vraiment qu’il reprenne ses esprits. Il ne savait pas depuis combien de temps ils couraient mais le soleil commençait à se lever. Il faisait toujours froid mais il ne le sentait plus. Petit à petit, il parvenait à se vider la tête, à se concentrer sur son rythme, son souffle. Il voulut se tourner vers Natasha pour lui demander combien de temps ils avaient couru et réalisa qu’elle n’était plus là. Steven fronça les sourcils et ralentit la cadence en regardant autour de lui. Aucun signe de la rousse. Alors il cessa de courir et reprit son souffle, se tournant sur lui-même en essayant de se repérer. Il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait. C’était un coin du parc qu’il n’avait que très peu visité – la plupart du temps en courant, sans réfléchir ni vraiment regarder autour de lui et sa grande mémoire ne pouvait pas faire grand-chose contre ça. « Natasha ? » appela-t-il en espérant qu’elle n’était pas allée trop loin et pourrait l’entendre, mais rien ne lui répondit.
Steven poussa un juron, maudit son manque d’attention et se remit à courir pour avancer un peu. Aucun signe de la jeune femme. Elle n’avait quand même pas pu disparaître comme ça, surtout que s’il pouvait se montrer tête en l’air, ce n’était absolument pas son cas à elle. Un craquement sonore attira son attention et Steve s’avança en provenance du bruit en se demandant si elle ne s’était pas brusquement décidée à se jouer de lui. « Okay d’accord, je me concentre sur ce que je fais et j’arrête de… » Il se tut aussitôt en réalisant que la silhouette devant lui n’appartenait définitivement pas à Natasha. En revanche, un éclat métallique, à la lueur du soleil, attira son attention et Steve sentit son cœur manquer un battement.

Il n’hésita pas plus longtemps avant de s’avancer entre les arbres et se figea en reconnaissant enfin la personne qui se tenait devant lui. « Bucky ? » murmura-t-il d’une voix rauque. Il s’ébroua immédiatement et fronça les sourcils. « Où… Où est Natasha ? » Ce n’était pas tellement son genre de disparaître comme ça et il doutait sincèrement, à en juger par la mine qu’affichait Bucky, qu’il ait quelque chose à voir avec tout ça. Il n’était pas stupide au point de ne pas se tenir sur ses gardes, mais il était impossible que Barnes s’en soit pris à Natasha sans que Steve ait entendu quelque chose – et sans que la jeune femme se soit ardemment défendue. Alors quoi ? Son visage s’éclaira subitement. Steve ne put retenir un sourire contrit et passa une main dans sa tignasse blonde. « On s’est fait avoir, je crois, » dit-il alors avec une petite grimace. Puis sa gorge se noua et il jeta un regard presque paniqué à Bucky. « Ne… T’enfuis pas ? » demanda-t-il d’une toute petite voix, se retenant de toutes ses forces d’approcher plus de lui.  

Bucky lui avait sauvé la vie un nombre incalculable de fois. Lorsqu’il n’était encore qu’un gringalet avec une trop grande gueule, il lui avait évité bien des fois de finir battu à mort dans une ruelle de Brooklyn.  Quand il était malade, cloué au lit à cause d’une fièvre terrible, Bucky avait pris soin de lui quand sa mère n’était pas là pour le faire. Et même après avoir bénéficié du Super Sérum, son meilleur ami avait encore protégé ses arrières trop de fois pour que Steve puisse tenir le compte. D’une manière ou d’une autre, Bucky avait toujours été là pour lui. Même transformé en assassin par HYDRA et privé de ses souvenirs, il n’avait pas hésité à sauter de l’héliporteur en ruines pour l’empêcher de se noyer. Et la seule fois où Bucky avait eu besoin de lui, Steve n’avait pas su se montrer à la hauteur. C’était peut-être pour ça qu’il avait refusé de le voir alors qu’il était à New-York depuis tout ce temps. Cap sentit sa gorge se nouer à cette pensée. Si son meilleur ami ne voulait plus entendre parler de lui, il accepterait sa décision bien évidemment, mais Steven n’était pas certain de pouvoir gérer la douleur que cela lui procurerait. Il avait perdu Bucky une fois, il doutait sincèrement d’être capable d’encaisser ce sentiment à nouveau.
Les entrailles nouées, il leva les yeux en direction du jeune homme qui s’appuya contre l’arbre derrière lui. Bien malgré lui, un soupir de soulagement lui échappa en réalisant que Bucky n’avait probablement pas l’intention de partir. « Non, je... Je m'enfuirai pas. » dit-il alors et Rogers parvint à esquisser un sourire à cela. Il le détailla minutieusement, avisant ses cheveux bien plus courts que la dernière fois qu’il l’avait vu. Il semblait aussi plus… reposé, peut-être ? Il n’était pas certain que ce soit le bon terme. Moins tourmenté, en tout cas. Avait-il réussi à se libérer complètement de l’emprise d’HYDRA ? Steve détailla sa tenue, comprenant rapidement que Bucky était venu ici pour faire la même chose que Natasha et lui, courir. « Salut Steve. » fit-il avec un minuscule sourire en coin et le blond sentit son cœur manquer un battement dans sa poitrine.

Il s’empressa de détourner le regard, luttant de toutes ses forces contre l’émotion qui comprimait sa poitrine. Ce n’était que deux mots. Deux mots stupides. Mais deux mots qu’il n’avait pas entendus depuis si longtemps, qu’il avait cru ne jamais entendre à nouveau de la bouche de Bucky. Il n’allait pas se mettre à pleurer comme un idiot absolument pathétique juste parce qu’il venait de le saluer, c’était hors de question. Alors il ravala fièrement ses émotions et porta à nouveau son regard sur le brun qui semblait aussi gêné que lui. « Je... Je crois qu'on a pas mal de choses à se dire hein ? » La dernière fois que Steve l’avait vu, Bucky ne l’avait pas reconnu. Ou à peine. Suffisamment pour s’empêcher de le tuer, mais pas assez pour savoir pourquoi il ne l’avait pas fait. Et à présent, qu’en était-il ? Il savait qui il était et il semblait suffisamment se souvenir de lui, mais à quel point ? Avait-il récupéré tous ses souvenirs, le véritable Bucky était-il de retour ?
Steve ne voulait pas espérer pour rien et pire encore, il ne voulait pas imposer ses souvenirs de l’ancien Bucky à celui qui se tenait devant lui. Il était bien possible que son meilleur ami ne soit jamais capable de se rappeler de tout, d’être celui qu’il avait été autrefois. Ce serait juste cruel de lui rappeler cela en espérant une chose qui n’arriverait peut-être jamais. « Je... Je sais même pas par où commencer. » Le blond laissa échapper un rire rauque à cela et passa une main dans ses cheveux courts, comme à chaque fois qu’il était embarrassé.

« Tu as l’air bien, » croassa-t-il faiblement. « En forme, je veux dire, » bafouilla-t-il. Okay, bon début Steve. Il se maudit intérieurement de ne pas être capable de dire quelque chose de plus intelligent. « Tu ne voulais pas que je te trouve alors j’ai… j’ai arrêté de chercher, j’ai pensé… Enfin, Natasha m’a convaincu que tu avais besoin de temps, » fit-il avec une grimace. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il n’aurait cessé de le chercher. Si Natasha n’avait pas passé des heures à lui prouver qu’il ne parvenait pas à mettre la main sur Bucky parce qu’il faisait tout pour l’éviter et qu’il avait besoin de comprendre ce qui lui arrivait avant de le recroiser, Steve se serait acharné jusqu’au bout. Il était trop têtu et s’il ne pensait qu’à aider les autres, il ne se rendait pas toujours compte qu’il faisait le contraire. Qu’il avait en réalité été égoïste de le chercher ainsi alors que Bucky avait tout simplement eu besoin de reprendre ses esprits sans que Steve soit dans les parages, à lui rappeler constamment ce qu’il avait perdu.
Il y avait tant de questions qu’il voulait poser. Est-ce que tu te souviens ? Où tu vis ? Tu as tout ce qu’il te faut ? Qu’est-ce que tu fais ? Est-ce que tu as besoin d’aide ? Est-ce que tu as besoin de mon aide ? Est-ce que tu me pardonnes ? Steve détourna à nouveau le regard. Il ne savait pas ce qu’il voulait le plus. Supplier Bucky de ne pas disparaître ou filer le plus loin possible, pour ne pas avoir à se sentir aussi misérable. « Je suis désolé. » Un hoquet, pathétique, rauque. Un murmure qu’il ne parvenait plus à contenir, pas plus que la culpabilité qui lui enserrait le cœur. « Je suis désolé, » répéta-t-il à nouveau en baissant la tête. De ne pas avoir fait assez, de pas avoir fait mieux. Il porta une main à son visage, espérant pouvoir au moins masquer la peine qui s’y lisait. Mais pour les tremblements qui agitaient ses épaules, il ne pouvait pas faire grand-chose.

Evidemment, Bucky avait besoin de le voir dans cet état. Evidemment, il n’était même pas fichu de rester digne plus de cinq minutes, il fallait qu’il trouve un moyen de rendre la situation encore plus gênante qu’elle ne l’était déjà. Steve se méprisait. Le mot était à peine trop fort car en cet instant, c’était réellement ce qu’il éprouvait à son égard. Du mépris pour l’ami décevant qu’il avait toujours été, pour l’être trop petit, trop fragile qui avait toujours eu besoin de Bucky à ses côtés. Pour le soldat dopé au Super Sérum qu’il était devenu. Il cognait peut-être plus fort qu’avant mais il ne savait toujours pas se débrouiller tout seul. Pour le type qui n’avait pas su sauver son meilleur ami et qui, non content d’avoir échoué, se retrouvait à lui imposer sa culpabilité, sa faiblesse, sa peine. Bucky n’avait pas besoin de voir ça. A vrai dire, c’était même le contraire, il avait besoin de tout sauf de le voir dans un tel état. Une main toujours plaquée sur son visage, Steve envisagea un instant de bafouiller des excuses avant de s’en aller le plus loin possible, juste pour éviter d’imposer plus longtemps sa présence au brun. Juste pour qu’il ne le voie pas comme ça.
« T'as pas à être désolé Steve. C'est pas de ta faute. Je me doute bien que tu dois te sentir coupable de ce qui m'est arrivé, que tu dois culpabiliser. » Steven serra les dents et se crispa brusquement. Bien sûr qu’il se sentait coupable, bien sûr qu’il s’en voulait. Comment pourrait-il en être autrement alors qu’il avait cru pendant des années être responsable de la mort de son meilleur ami ? Son frère ? Alors qu’il avait appris que Bucky avait subi un destin bien plus atroce que la mort, parce qu’il n’avait pas été capable d’attraper sa main à bord de ce maudit train ? Alors que depuis cet instant, lorsque ce n’était pas d’eau glacée et de ténèbres qu’il rêvait, c’était de la chute de Bucky, comme s’il était condamné, presque toutes les nuits, à revivre son échec, sa perte, sa peine ?

Une main se posa sur son épaule et Cap retint son souffle, incapable de croiser le regard de son meilleur ami. Pas maintenant, pas alors qu’il avait certainement l’air à deux doigts de pleurer. « Eh... Tu n'y es pour rien. » Un grognement guère convaincu lui échappa mais il baissa sa main, les dents serrées, le regard toujours rivé sur le sol. « Et je hum... Je suis content que Natasha t'ait fait comprendre qu'il fallait que je reste seul. » Oh. Cette fois-ci, Steve se sentit pâlir. Il y avait pensé, il aurait dû s’y attendre, bien sûr, mais… ça n’en était pas moins douloureux. Le cœur lourd et la gorge nouée, il voulut murmurer qu’il comprenait, s’excuser à nouveau et disparaître, mais Bucky se dépêcha de rajouter : « Je veux dire... J'étais pas prêt à te revoir. » Comment aurait-il pu l’être, après ce qu’il s’était passé ? Ça faisait mal, mais Steven était incapable de lui en vouloir. « Je... Je n'étais pas moi même, j'aurais très certainement tenté de te tuer si je t'avais revu trop tôt. J'espère que tu comprends. » Le jeune homme fronça les sourcils. C’était ça qui l’avait inquiété ? Il avait seulement craint que son conditionnement le pousse à s’en prendre à lui ? Steve ne pouvait pas croire que ce n’était que ça, que Bucky avait simplement, comme d’habitude, craint pour la vie de Rogers, comme il l’avait toujours fait.
Une autre main, plus froide, plus dure, se posa sur sa seconde épaule. Alors Cap consentit enfin à lever les yeux vers Barnes et croisa son regard. « C'est pas de ta faute Steve. » Il avait lutté, il avait essayé. Mais entendre ces mots prononcés par cette voix qu’il connaissait par cœur, croiser ce regard criant de sincérité acheva Steve qui sentit sa volonté s’effriter. Ses yeux se remplirent de larmes et il détourna le regard dans une tentative désespérée de les cacher. « Eh, regarde-moi. Je suis là maintenant et je vais b... » Bucky s’interrompit et baissa la tête. La mâchoire douloureuse à force de trop serrer les dents, Steve fit un effort pour relever les yeux. « Je vais mieux ok ? » Quoi qu’il arrive, c’était toujours lui qui prenait soin de lui remonter le moral et de le préserver, n’est-ce pas ? Que Steve fasse la taille d’une crevette ou qu’il possède la force d’un colosse. Que Bucky soit en pleine forme ou au fond du gouffre. Ça avait toujours été ainsi, ça n’avait pas changé. Malgré ce que l’HYDRA lui avait fait, ça n’avait pas changé. « C'est pas de ta faute. » Un hoquet pathétique lui échappa avant qu’il ait le temps de le contenir. Les poings si serrés qu’il entamait ses paumes de ses ongles, Cap plongea un regard brillant de larmes et d’espoir dans celui de Bucky.

Il ne se souvenait peut-être pas de tout, il était peut-être amoché et ne pourrait peut-être plus jamais être le James Buchanan Barnes que Steve avait toujours connu. Mais derrière tout ça, en réalité, il était toujours Bucky. Il était toujours le même. Ils n’avaient pas réussi à lui arracher son meilleur ami, pas totalement. C’était peut-être une erreur, il allait peut-être trop loin et poussait sa chance, mais qu’importe. Dans un élan incontrôlable, Rogers desserra les poings et passa un bras par-dessus l’épaule du brun pour le ramener contre lui dans une étreinte maladroite et désespérée. « C’est toi, » croassa-t-il d’une voix rauque. « Buck, c’est vraiment toi. » Il était pathétique. Mais il n’était pas en mesure de penser à ça, ni au fait qu’ils se trouvaient toujours à Central Park et que même s’il était incroyablement tôt, quelqu’un pourrait les voir.
Il ne pouvait pas penser à ça. Seulement à ce qu’il avait éprouvé, lorsqu’il avait retrouvé Bucky sur cette route et qu’il n’avait lu que du vide et de l’incompréhension dans son regard. A ce qu’il avait ressenti en pensant que son meilleur ami avait disparu. Il ne pouvait penser qu’au soulagement qui l’envahissait en réalisant que Barnes était toujours là. Amoché, différent, peut-être. Mais Steve l’était également. Et Steve se fichait pas mal de ces choses-là. Car Bucky restait Bucky. Celui qui s’était toujours occupé de lui. Celui qui avait accepté de le suivre dans la gueule du loup à chaque fois. Celui qui, même sous le contrôle de l’HYDRA, avait réussi à reprendre le dessus pour ne pas finir par le tuer. Pour sauter de l’héliporteur et lui sauver la vie.

Il relâcha son étreinte et s’écarta légèrement, l’air gêné de s’être ainsi laissé emporter. Du revers de sa main, il essuya les larmes honteuses qui perlaient aux coins de ses yeux et avaient coulé le long de ses joues. Puis il leva le regard vers Bucky et esquissa un sourire. Un vrai sourire, sincère, à s’en faire mal. La culpabilité ne le quitterait jamais, qu’importe ce que Barnes pourrait dire, c’était de sa faute. Mais se tenir enfin face à son meilleur ami, son frère, après tout ce qu’ils avaient traversé, tout ce qui aurait pu et dû les séparer, c’était plus fort que les sombres pensées qui rongeaient Steve depuis toujours. « Désolé, je… » bafouilla-t-il enfin avant de passer une main dans ses cheveux blonds, comme à chaque fois qu’il était gêné et ne savait pas quoi dire. « J’voulais pas… » Craquer comme ça. Te mettre mal à l’aise. Pleurer comme une gonzesse. Il haussa les épaules, comme si ce geste pouvait exprimer tout ça. « J’espère que Natasha est vraiment partie, sinon j’ai pas fini d’en entendre parler, » plaisanta-t-il un peu maladroitement, en espérant peut-être rendre les choses un peu moins gênantes. Ne sachant pas quoi en faire, il plongea ses mains dans les poches de son pantalon et jeta un regard autour de lui, comme s’il cherchait vraiment la rouquine. Un simple prétexte pour reprendre un peu ses esprits. « Je… si tu ne préfères pas ou si… si tu as encore besoin de temps, je comprendrais parfaitement, mais… Si tu as besoin de quoi que ce soit, quoi que ce soit Buck, je suis là, d’accord ? Et je… » Il s’interrompit avant de dire qu’il avait surtout envie qu’ils se revoient, réellement, s’il le souhaitait. Qu’il avait toujours besoin de lui. Steven alla se mordre la lèvre inférieure. « Enfin, voilà. » Super Rogers, ça donne grave envie de te demander quoi que ce soit, toute cette confiance.

Ils n’avaient rien à se dire. Ils se retrouvaient enfin et ils n’avaient rien à se dire. Ou plutôt, ils ne savaient plus comment se parler, ils ne savaient pas quoi se raconter. Ça ne leur était jamais arrivé.  Même dans les pires moments, même dans les situations les plus improbables, ils avaient toujours su quoi se dire. La gêne n’existait pas, entre eux. Bucky l’avait connu minuscule, rachitique, sans cesse malade, pathétique. Il l’avait vu dans des états pitoyables et le connaissait par cœur. Si bien qu’il avait toujours su le faire parler, lui arracher ses états d’âme, même lorsque Steve faisait tout pour les garder pour lui. Bucky avait toujours été du genre à parler, à trop parler peut-être, pour dire beaucoup de bêtises, mais toujours pour l’aider à se sentir mieux, à aller de l’avant. Ils n’avaient jamais été du genre à buter sur les mots, à chercher quoi se dire, à prendre des pincettes pour ne pas brusquer l’autre. Il n’y avait que de la franchise entre eux et ils étaient incapables de se blesser, parce qu’ils savaient qu’ils n’avaient que l’intérêt de l’autre à cœur.
Mais plus maintenant. Maintenant, Steve ne savait pas quoi dire à Bucky sans risquer de le brusquer, de le faire fuir. Maintenant, ils avaient si peu de choses en commun, tous ces souvenirs effacés par l’HYDRA, envolés, partis en fumée, qu’ils ne savaient plus quoi se dire. Ça faisait mal. Ils étaient devenus des étrangers et ce constat était douloureux. « Steve je... » Encore une fois, Bucky butait sur les mots, cherchait probablement quoi dire. Mais Steve avait déjà compris. Cette hésitation, elle voulait dire qu’il n’était pas prêt à le laisser faire partie de sa vie à nouveau. Cette hésitation, elle signifiait qu’il cherchait le meilleur moyen de lui faire comprendre ça, sans le blesser.

« Je... Je peux pas accepter. Pas encore. Je te l'ai dit, je me sens pas encore prêt pour ça. Je vais mieux oui, mais... » Il baissa la tête, parce que Bucky se sentait coupable. Le blond le connaissait toujours, il savait ces choses-là. Mais Barnes n’avait pas à se sentir coupable. C’était stupide, il méritait tout le temps dont il avait besoin. Certes, Steve était déçu, ça faisait mal de savoir que Bucky pouvait ne pas être prêt à le voir lui, son meilleur ami. Mais il comprenait. Il comprenait et il acceptait. « Mais je vais pas encore assez bien. » Steve esquissa un faible sourire, comme pour lui dire exactement cela, qu’il comprenait.
Alors Bucky s’avança et posa une main sur son épaule, un geste qu’il avait tant de fois eu envers lui et cela fit du bien au blond, même s’il était déçu, même s’il avait quand même un peu mal. « Je... Je serai toujours là mon vieux. C'est juste que... Que je peux pas encore. » Steve hocha lentement la tête. Il s’y était attendu, après tout. Ce n’était pas comme si les propos du brun le surprenaient, bien au contraire. « Je suis désolé. » fit-il et Cap ne put s’empêcher de rire légèrement. Un rire rauque qui faisait un peu tâche, mais qu’importe.

« De quoi tu t’excuses ? » fit-il en lui lançant un large sourire. Il ne savait pas mentir, mais il savait au moins sourire pour que Bucky cesse de s’inquiéter. Il avait toujours su le faire, il était passé maître dans cet art. Combien de fois avait-il assuré à son meilleur ami qu’il allait bien, sans qu’il le croie, en souriant à s’en faire mal pour qu’il cesse de s’inquiéter ? Combien de fois avait-il souri juste pour améliorer un peu la journée pourrie de Bucky, parce qu’il savait que ça l’amusait toujours de le voir faire ça ? « Je te l’ai dit, quand tu voudras, si tu le veux… je serai là. En attendant, juste… fais attention à toi, d’accord ? » Il lui lança un regard inquiet, parce que c’était plus fort que lui. « T’as un don pour t’attirer des ennuis alors fais attention. » Et c’était vraiment culotté de dire ça, parce que c’était plutôt l’inverse, mais il n’avait pas pu résister. Il avait besoin de faire ça, ne serait-ce qu’un tout petit peu, pour que ce soit normal entre eux. Rien qu’un peu normal. « Je vais—Je vais y aller, » fit-il avec un autre sourire. Il n’avait aucune envie de partir. Il ne voulait pas laisser Bucky, s’imaginant qu’il disparaîtrait pour toujours, que ça n’avait été qu’un rêve. Mais le malaise de son ami était palpable et il comprenait. Il comprenait qu’il ait besoin de plus de temps, il pouvait au moins lui accorder cela. C’était à lui d’y aller, de partir avec un sourire, la promesse qu’il serait toujours là pour Bucky.
Il voulut le toucher, comme pour s’assurer qu’il était bien là. Le prendre dans ses bras avant de partir, n’importe quoi, mais il n’en fit rien. Il avait bien senti le brun se raidir contre lui, un peu plus tôt. Il n’était pas à l’aise avec les contacts physiques et c’était étrange venant de Bucky mais soit, il comprenait, c’était normal. Il sourit une dernière fois. « Fais attention à toi, » répéta-t-il encore, incapable de dire au revoir, ça sonnait trop comme adieu.

Fais attention à toi, c’était ce qu’il lui avait dit, le jour où Bucky était parti faire la guerre tandis que lui était condamné à rester derrière. Parce que là encore, il n’avait pas été capable de lui dire au revoir. Il s’écarta, s’éloigna. Un dernier regard, un dernier sourire. Oui, il serait là pour lui, quoi qu’il arrive, peu importe le temps dont il aurait besoin. Till the end of the line