ROTHEARThrough the thunder
Through the rain
Dreading battlefields
Say you'll remain

Inspire, expire, tout va bien se passer. Nous maîtrisons complètement la situation, tu as fait ce qu'il te semblait juste, il n'y a rien à craindre. Elle comprendra que le temps était compté, qu'il n'y avait pas le choix, que nous avons utilisé les techniques nécessaires à sa survie et que nous ne lui voulons absolument, aucun, mal.

Cela doit faire la quinzième fois que Robyn se répète, dans sa tête ou à voix basse, ce genre de phrase rassurante. Elle se répète ce genre de chose pour une raison simple et pourtant bien complexe : Heather se trouve actuellement allongée sur son canapé, endormie. Enfin, pas tant endormie que droguée, voire assommée. Elle n'a pas eu le choix. Heather est poursuivie par le SHIELD, Heather est en danger et ni son père, ni Dylan ni l'HYDRA ni aucun de ses amis ne semble capable de lui venir en aide. Il ne reste que Robyn, il n'y a que Robyn pour lui venir en aide, la soutenir, l'aider, la protéger jusqu'à ce que tout cela se tasse.
Est-ce qu'elle comprendra, cela ?

Peut-être qu'il vaudrait mieux l'attacher. Pour qu'elle ne s'échappe pas, pour qu'elle n'essaye pas de s'enfuir et qu'elles soient obligées de se battre alors que Robyn l'aime tellement, tellement, tellement. Elle va comprendre cela. Elle va comprendre qu'elle n'a pas eu le choix, qu'elle a du l'attirer avec la voix de Dylan, qu'elle a du l’assommer, puis la droguer, afin de la transporter jusqu'à chez elle, pour la protéger, juste pour la protéger.
Non, on ne va pas l'attacher. De toute manière, le temps qu'elle se réveille, les drogues feront toujours effet et elle devrait être très fatiguée et un peu spongieuse. Elle avisera à ce moment-là. Si Heather n'arrive pas à comprendre que tout cela, c'est pour son bien... alors là on l'attachera. Elle mettra même un peu de mousse autour des menottes pour éviter de lui faire du mal.

Une énième fois, Robyn vérifie son reflet dans le miroir. Elle est nerveuse, c'est la première fois que Heather va la voir sous sa dernière forme, celle d'Eliza, la belle rousse. Elle réajuste sa coiffure, qu'elle a si bien soigné pour elle, pour lui plaire. Elle espère ne pas être trop vieille. Au pire elle prendra la forme de Delphine. Peut-être qu'elle préfère les brunes. Est-ce qu'elle devrait l'accueillir dans le corps de Delphine ? Une petite brune à l'air tranquille ? Non. Heather a besoin d'une adulte sage et responsable aujourd'hui, pas d'une petite copine, sinon elle n'avait qu'à rester avec cette pauvre petite Dylan. Elle reste comme cela. Respire Robyn, respire, tout va bien se passer.

Elle fait les cent pas dans la pièce, vérifie une énième fois que tout est bien propre, bien rangé, que le cheesecake est bien installé sur la table, que la cocotte continue de mijoter, que sa robe est bien repassée et que la couverture de Heather va bien jusqu'aux pieds. Lorsqu'elle vérifie, elle regarde longuement son visage, ses belles boucles, et elle hésite à en remettre une en place, elle pourrait, après tout, elle est endormie, elle l'a protégée, elle pourrait.... non, elle ne l'a jamais touchée, elle s'est toujours interdit de la toucher, il ne faut pas lui faire du mal, elle la touchera quand Heather voudra bien, quand elles s'aimeront, quand elles s'uniront pour toujours.
Et c'est alors qu'elle se raisonne sans arriver à quitter ce visage d'or des yeux qu'elle sent la captive protégée commencer à se réveiller. Aussitôt elle fait comme prévu, elle s'installe sur le fauteuil à côté du canapé, livre en main, calme, tranquille, respire, inspire, tout va bien se passer.

« Bonjour Heather, comment te sens-tu ? Tu veux un verre d'eau ? Il y en a un sur la table basse à côté de toi. Si tu as faim, je t'ai fait du cheesecake, j'espère que tu aimes ça ? Je ne suis pas une mauvaise personne, je suis là pour t'aider. Je sais ce qu'il se passe, Heather, je sais que tu as besoin d'aide. »

Il y a un peu de nervosité dans sa voix, mais tant de douceur, tant de volonté de bien faire, et ses yeux brillent de tendresse et même, pour ceux qui savent bien y lire, un amour inconditionnel.

keep it closeThis is the last time I'll abandon you
And this is the last time I'll forget you
I wish I could

Heather mène une petite vie simple et gentille et ordinaire. Sa soeur pense qu'elle travaille pour quelque agence gouvernementale chiante à mourir et n'hésite pas à la taquiner à ce propos; son père s'approche un peu plus de la vérité en pensant qu'elle travaille encore à la CIA; sa mère en a rien à carrer. Tout ce qu'ils savent, c'est qu'Heather aime sa petite routine: le café avant d'aller travailler, la salade équilibrée à midi, la journée passée devant des chiffres et des données et des schémas, l'éventuel verre avec les collègues avant de rentrer à la maison pour jouer à la console et s'endormir seule ou accompagnée dans un grand lit. Elle a ses habitudes, Heather, donc sa vie a été un peu chamboulée quand elle a essayé de trahir et tuer sa chef d'équipe.
Dit comme ça, c'est terrible; mais vraiment, elle n'a pas eu le choix. L'Agent Richardson a été clair. Si elle ne le faisait pas... et bien, il allait la tuer. Rien n'a été arrangé quand une semaine plus tard, un autre agent de l'HYDRA lui a demandé de récupérer des informations. Et c'est en récupérant ces informations qu'elle s'est retrouvée à agresser Sharon Carter.
Mais elle a été incapable de la tuer.
Pas la force physique, pas la force mentale, pas la volonté pour le faire. Elle l'a blessée. Mais pas tuée.
Or, elle sait que Sharon Carter va la poursuivre jusqu'au bout du monde s'il le faut pour la trucider.

Elle va se retirer quelques temps. Elle ne veut même pas aller voir Dylan (enfin si, évidemment qu'elle le veut, mais c'est trop dangereux pour elles deux), elle a à peine le temps d'appeler sa soeur alors qu'elle fonce sur les routes reliant le Hub à New York. À ce stade, Carter a déjà sans doute prévenu ses supérieurs et si elle rentre chez elle, elle ne va pas pouvoir y rester longtemps. Elle récupère un sac de vêtements, son ordinateur, une arme, décide d'abandonner sa voiture et elle est sur le chemin pour aller vérifier les bus qui l'emmèneront le plus vite possible au Canada ou au moins jusqu'à Detroit quand la voix de Dylan l'interpelle.
Ce qui n'a aucun sens. C'est trop... incongru, alors que Heather court limite dans les rues, alors qu'elle a le sang qui bat trop vite à ses oreilles et son coeur qui fait des soubresauts dans sa poitrine. Elle a les mains moites, les cheveux défaits, tout le stress accumulé de la journée (elle a failli tuer Sharon Carter, bordel de merde) qui se lit sur son teint cireux et pourtant, Dylan est là et pour un peu plus, Heather pourrait se mettre à pleurer. “ Heather? Heather, viens par là, viens, ” et Dylan ne serait jamais du genre à dire cela, n'est-ce pas? Mais la voix est rassurante, le ton est engageant et Heather s'approche, sans hésitation, dans la rue parallèle à celle sur laquelle elle s'est engagée à toute vitesse, assenant un “ Dylan? ” presque enfantin, comme si Gretel avait retrouvé sa mère après toutes ces années.
Après, le noir.

Quand elle parvient à papillonner des paupières, elle a mal partout, tout va mal, c'est douloureux, c'est horrible, c'est terrible, elle a envie de hurler pour se réveiller mais impossible. Sa langue est pâteuse dans sa bouche, ses bras lui font mal, elle est... où est-ce qu'elle est? Elle s'est endormie sur le canapé de Dylan? Dylan! L'évocation de la jeune femme lui donne envie de se redresser; en vain; juste un sursaut de ses paupières; sa bouche qui tique alors qu'elle parvient à ouvrir complètement les yeux et à balayer la pièce du regard. « Bonjour Heather, comment te sens-tu ? Tu veux un verre d'eau ? Il y en a un sur la table basse à côté de toi. Si tu as faim, je t'ai fait du cheesecake, j'espère que tu aimes ça ? Je ne suis pas une mauvaise personne, je suis là pour t'aider. Je sais ce qu'il se passe, Heather, je sais que tu as besoin d'aide. » Il y a quelqu'un dans la pièce. Pas Dylan. Pas Sharon Carter (cette possibilité s'est aussitôt imposée à elle et elle est soulagée que ce ne soit pas elle). Pas... pas quelqu'un qu'elle connait. Une belle femme, un peu plus âgée, rousse. Belle.
Lentement, Heather essaie de se redresser. Ses muscles sont ankylosés et ses membres, lents. Mais lentement, elle y parvient, s'assied au bord du canapé, et cette femme la regarde avec toute la tendresse et la patience du monde. “ Qu-qui êtes-vous? ” demande-t-elle, les yeux passant du verre d'eau au cheesecake (Dieu qu'elle pourrait tuer pour un cheesecake en cet instant précis). Soudainement, elle comprend qu'elle a été droguée (son bras droit lui fait particulièrement mal, toujours la langue pâteuse, toujours les pensées qui s'évadent dans les airs, l'impression de fonctionner au ralenti) et elle essaie de se redresser brusquement. “ J-je- - qu'est-ce que vous- qu'est-ce que vous me voulez? ” gémit-elle presque, se carapatant le plus rapidement possible sur le coin le plus éloigné du canapé par rapport à la femme.