Un doigt qui repousse une mèche de cheveux. Un regard qui se perd. Un air songeur sur le visage. J’ai la tête plongée dans mes dossiers. La concentration n’est pas au rendez-vous. Il est bien plus facile de martyriser mon équipe que de travailler. A croire que je suis faite pour fouetter les gens, plutôt que pour faire mon job. Je lève les yeux de mes feuillets. Les filles sont concentrées. Il n’y a donc que la chef pour avoir envie de se bouger. Pour une fois. Elles ont plus l’habitude que ce soit le contraire. Je jette un coup d’oeil à l’heure. Pas assez tard pour me faire sauter de joie. Pas assez tôt pour me décourager. Allez. Plus que quelques heures à tirer. Je prends mon téléphone. Je passe sur les sites d’informations. Je clique sur un article qui parle des exploits de Stark Industries. Potts a encore frappé. Je bascule d’une application à une autre. Je tape quelques caractères à destination de la chef d’entreprise. Je repose le smartphone. Je me focalise de nouveau sur mon travail. Cinq minutes après, l’écran de l’appareil s’anime. Je l’attrape. Je réponds. Des SMS en emmenant d’autres, j’abandonne bientôt le dossier pour garder uniquement le téléphone entre les mains. Finalement, Pepper me propose de se parler autour d’un verre. Un verre ? J'étudie les possibilités. Finir la soirée dans le bureau, à bosser les derniers dossiers en cours et me prendre la tête avec quelques héros. Rentrer chez moi et passer la soirée devant la télévision. Boire un verre avec une amie. La dernière idée semble la plus amusante. Même si je n’ai pas l’habitude de sortir. Même si je préfère le confort de mon appartement. Même si j’aime passer du temps à ne rien faire. Aller boire un verre est ce qui m’attire le plus, ce soir. Je réponds par la positive à Pepper. Je repose mon téléphone. Si je veux sortir à temps, j’ai intérêt à m’y mettre. Je m’arme d’un stylo à bille et de ma patience. Ce seront mes deux alliés pour tuer le temps.
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Elles sont parties les unes après les autres. Je n’ai pas levé les yeux de mon bureau. Je reconnais parfois leurs pas. Je sais qui est qui. J’ai toujours eu cette habitude. Chez mes parents, je reconnaissais les talons de mon père. Je reconnaissais le rythme rapide de ma soeur. Aujourd’hui encore, ma mémoire s’amuse à mémoriser ce genre de détails. Finalement, c’est à mon tour de m’arracher du travail. J’ai encore des choses à traiter. Des situations à éclaircir. Des personnes à contacter. Ca attendra. Pour l’heure, je dois me préparer un minimum. Je file dans les toilettes. Je découvre le désastre d’une vie au bureau. Des traits tirés. Des yeux fatigués. Des cheveux en désordre. Des cheveux qui ont eu l’audace de changer d’apparence depuis ce matin. A croire que sortir ondulés de l’appartement et muter en une touffe sauvage est sympathique. Je les rassemble. Je les enferme dans un élastique. C’est tout ce qu’ils méritent, les traîtres. Pour le visage… hé bien, l’air frais de février devrait faire l’affaire. Je sors des toilettes. Je retourne à mon bureau. J’y attrape sac à mains, smartphone, trench. Me voilà prête à rejoindre Pepper. Avec un peu de retard cela dit. Elle ne m’en tiendra pas rigueur. Elle est aussi du genre à avoir du travail par-dessus la tête. Gérer une entreprise est autrement plus prenant que s’occuper de super-héros. J’admire sa motivation et sa poigne. Elle ne laisse rien passer. Elle contrôle tout. Elle s’assure que tout se passe correctement. Elle a su s’imposer dans un monde masculin, comme l’a fait ma grande-tante avant elle. Dans quelques années, Pepper inspirera les fillettes. Dans quelques années, elle sera le sujet d’exposés. Dans quelques années, elle sera vue comme une des femmes les plus puissantes du monde. Si elle ne l’est pas déjà. Il est rare de voir des femmes à la tête de puissantes entreprises. Ce n’est pas pour rien que Pepper a réussi à faire sa place. Et le fait qu’elle soit une femme rend l’exploit encore plus incroyable. Toute mon enfance, j’ai été bercée par les histoires de ma grande-tante. Maintenant, un nouveau modèle s’impose à moi. Bien plus contemporain. Bien plus moderne. Bien plus en phase avec notre société. Un modèle que je dois retrouver maintenant. Une nouvelle fois, je baisse le regard sur mon téléphone. L’heure. J’ai besoin de savoir l’heure. Je ne suis pas une folle de la ponctualité. Je ne suis pas une psychorigide de l’heure. Mais là, j’ai besoin de m’assurer que je n’ai pas pris de retard. Pas trop, en tout cas. Si mes estimations sont justes (et elles le sont toujours), j’en ai pour quinze minutes à pieds pour rejoindre Hell’s Kitchen. Cinq minutes de plus pour rejoindre le bar. J’aurais à peine une dizaine de minutes de retard. Je le ferai oublier en payant la première tournée. C’est un bon compromis, non ? Je quitte l’immeuble qui abrite le S.H.I.E.L.D. Toujours aussi étonnée que personne ne remarque les employés lambdas qui sortent, à des heures différentes. Toujours aussi surprise que personne ne réalise que ce n’est pas une entreprise qui y a ses quartiers. Ce n’est pas plus mal. Nous avons besoin de discrétion.
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Hell’s Kitchen n’est pas exactement le coin le plus recommandé. Le jour, il peut paraître agréable. Presque normal. Presque. La nuance est là. La nuit, le quartier se transforme. Il laisse la place à la pègre. Ce n’est pas vraiment le genre d’endroits que l’on aime fréquenter. Mais nous avons choisi un bar plutôt sympa et connu pour résister à la mafia. Un établissement plutôt tranquille. A première vue, il ne doit pas y avoir trop de problème. Et quoiqu’il arrive, je suis assez grande pour me défendre. Les éventuels agresseurs ne se douteraient pas qu’une pro des arts martiaux se cache derrière mon minois. Alors, je ne m’inquiète pas. Je profite de la soirée. J’en suis à mon deuxième verre. Le temps est passé bien plus vite. Bien plus rapidement. La réalité me rattrape. J’aurais aimé commencer tôt le lendemain pour terminer le travail laissé en plan. Cela dit, mes espoirs semblent compromis. Je me laisse aller contre le dossier de la chaise. J’aurais bien besoin d’une nuit de sommeil. Une nuit complète. Une nuit à dormir. Le rêve ! Je me penche en avant. Je plisse les yeux. Pepper doit bien avoir une méthode. Une technique pour s’endormir sans stress, sans anxiété. Elle doit absolument me partager son astuce ! En fait, ce n’est même pas une question d’inquiétude. Je sais que le travail sera bien fait. J’ai une super équipe pour ça. C’est plutôt l’idée de ne pas pouvoir tout faire, dans les temps. De devoir travailler jour et nuit. De ne pas compter ses heures. D’en sacrifier les nuits de sommeil. “[color:2f35=F5DA81]Dis-moi comment tu fais pour réussir à dormir correctement avec tout le travail que tu as.” Je suis seulement à la tête d’une équipe. Pourtant, j’ai déjà du mal à gérer la charge de travail. Moi, la travailleuse acharnée. La perfectionniste affirmée. Le problème vient peut-être de là. Trop de perfection tue la perfection. Trop de perfection devient contre-productif. Malheureusement, je ne sais pas comment faire. Pepper est comme qui dirait ma dernière chance. Ma dernière chance avant de m'écrouler de fatigue. Sans me laisser aller à l'exagération, bien sûr.