Je soupire simplement quand il me fait comprendre qu'il n'est pas d'humeur. « pour ça... que tu reviendras », je lui offre un clin d'oeil puis termine de m'habiller, de mettre chaussettes et chaussures, en dépit de la tension dans mon pantalon. Il se rhabille et je me retourne vers lui en songeant à mon téléphone, sans doute mort à ma place. Je passe la main sur mon menton puis lui annonce, comme une vérité absolue, qu'il n'y aura pas de problème. En soit, je n'en suis pas certain mais il faut bien affronter ses responsabilités à un moment donné.

Faire le mort, c'était sans doute pratique pendant un moment mais ça ne peut pas durer indéfiniment... Je copie sa position en posant mon index contre ma propre tête : « À très vite. » Je ne sais pas quoi ajouter... J'ai l'impression qu'on se dit au revoir, vraiment, comme si on n'allait plus se voir avant un moment. Je fronce les sourcils puis fais un pas vers la porte. Il s'empare de ma main. « Et sois prudent, s'il te plait. » Je sais, je sens que ça va pas bien se passer, mais je veux pas que Jay débarque un beau jour et vienne tout gâcher. J'ai envie qu'après...

J'ai pas envie que Kay apprenne tout de la bouche de celui qui sait tout, j'ai pas envie qu'il l’apprenne, et encore moins comme ça... Je lui fais un petit signe de la main avant de quitter la pièce.

* * *

Arrivé dans le quartier, je profite de l'argent qu'on m'a généreusement... donné ou prêté, j'en sais trop rien, pour m'acheter un paquet de cigarettes. J'en grille une nerveusement avant d'aller à la rencontre de Jay. Sur le chemin, je passe inaperçu, je finis par me dire qu'effectivement, je ne dois pas être mutant même si ça me trouble encore à vrai dire.

Je tire une dernière fois dessus puis m'en allume une autre en me mettant en route vers le bar où il a l'habitude de traîner. Enfin de traîner... Quand j'entre, il est installé à une table au fond avec autant de papier devant lui que s'il était à un bureau. Ses cheveux sont plus longs à notre dernière rencontre mais des cernes entourent ses yeux. J'avance directement dans sa direction, croisant des visages familiers.

▬ Installe-toi, me dis-je entre l'accueil chaleureux d'un vieil ami que j'aurais pas vu depuis un bail et la surprise stupéfaite. Il esquisse un sourire puis s'exclame : Alan ! C'est Alan ! J'ai cru que tu étais mort ! On a eu peur pour toi !

Il se met debout. Merde, je n'aurais pas dû m'asseoir. Sa main vient se poser contre mon épaule et il se penche contre moi : « Mais c'est que tu as l'air en forme pour un mort, Alan ! On est venus frapper chez toi plusieurs fois et tu n'y étais pas et du jour au lendemain... pouf, plus de chez toi. »

Il ricane puis laisse échapper « J'ai cru que j'allais devoir faire comme la police et chercher tes parents. » Oh oh oh... « Doucement... » lui dis-je en me redressant, bien que je sente la pression contre mon épaule qui vise à me faire comprendre que je devrais rester assis à l'écouter. De nous deux, il est celui qui aime le plus s'entendre parler. Le problème avec Jay, c'est que je le connais depuis des années. Il connaît mon grand-père et mes parents, et il me connaît. Et ça lui fait plaisir. Il fronce les sourcils puis va se tasser en face de ses papiers pour en pousser une ou deux dans ma direction : « Alan... tu as manqué à des gens. Et tu ne m'as pas appelé, pas un petit coup de fil, rien. Je suis triste que tu me considères si peu. Moi qui ai été là pour toi que tu étais en quête de liberté. Quand tout le monde te tournait le dos, quand tu avais besoin d'argent pour sauver ce qu'il restait des Underwood, moi j'étais là. C'est pas vrai, que j'étais là, Alan ? » « Écoute Jay, je vais pouvoir te payer, je... » tenté-je de lui expliquer mais il dissimule son visage dans ses mains et me hurle de me taire. Il bondit sur ses jambes et frotte ses yeux. Se faisant, sans m'adresser le moindre regard, il continue par me dire « Ce n'est pas une question d'argent, c'est une question de sentiment. De loyauté. Tu es loyal à la famille, pas vrai ? » Ça fait des années et des années que je n'en fais plus partie. Tout ce dont j'avais besoin, c'est de l'argent. Pas du rêve en poudre, tout ça c'est fini pour moi depuis bien des années. Il serait bête de croire le contraire. Il désigne mes pieds d'un index mou et comme fatigué, il me dit en frottant à nouveau son visage : « À genoux, Alan. » Je demeure debout, je regarde son doigt. Je pourrais peut-être le lui attraper, et lui coller mon poing dans la gueule. Mais il ne m'est jamais venu à l'idée de m'en prendre à Jay à vrai dire. Pas seulement parce que nous ne sommes pas seuls, mais parce que j'avais une certaine dette envers lui – et pas que financière – c'est vrai...

Malgré tout, je serre les dents, je ravale ma colère. Bien que je serre les poings, je ne bouge pas. « La seule chose qui nous lie, c'est l'argent. » tenté-je de lui rappeler. Je ne veux pas qu'il prenne mon silence pour quelque chose de personnel. Je lui demande s'il veut des intérêts, je lui dis que je les lui paierai, il sait que je suis réglo. Il hoche de la tête. J'entends une sécurité qu'on ôte. « À genoux je te dis, Alan. En souvenir du bon vieux temps, sois gentil. »