Aujourd'hui, hier, demain. C'était du pareil au même. Depuis que je n'avais plus à me préoccuper de savoir si mon père allait perdre un autre doigt, les journées c'étaient faites plus monotones. Une routine qui aurait dû me ravir mais qui m'ennuyait plus qu'autre chose. Warren se levait tard, quand il se levait. C'est tout juste s'il sortait de sa chambre et je ressentais ce vide plus que jamais. L'appartement était dans le silence. Un grand appartement comme celui-là, lorsque le silence se fait, ça s'entend. Ce jour-là comme les autres alors je m'étais levé aux alentours de neuf heure du matin et j'étais descendu prendre mon café du matin avant de tuer quelqu'un, en évitant de justesse de dévaler les escaliers dans la foulée. J'avais traîné un peu en bas devant la télé avant de finalement me mettre en route. Ce jour n'était pas tout à fait comme les autres, il s'y déroulait quelque chose de spécial. Quoi? Ma naissance. Ou plutôt ma renaissance. On m'avait contacté quelques jours plus tôt pour me prévenir que le dossiers de réhabilitation de mon nom avait enfin été validé et je pouvais certainement remercier Sharon pour le petit coup de pouce bureaucratique. Je devais me rendre en ville pour finaliser la paperasse, signer quelques papiers, récupérer ma nouvelle carte d'identité. Adieu Dayle, bonjour Kayden. Enfin.
J'avais parlé des démarches que je faisais à Warren bien sûr, il le savait, mais plus le temps passé moins je le sentais à l'écoute et je ne lui avais pas donné les derniers rebondissements. Du coup j'avais quitté l'appartement direction le quelconque bâtiment où j'allais enfin pouvoir redevenir moi. Oui effectivement l'immeuble et l’appartement étaient déjà à ce nom là mais j'avais voulu jouer sur les retards bureaucratiques en espérant que le dossier serait approuvés avant la vente pour pouvoir garder Warren à l'abri de son père... et de tous les autres qu'il voulait éviter. Une chance pour nous, les choses s'étaient bien goupillées. Et comme je m'en étais douté, ce qui devait être un rendez-vous d'une petite heure c'était transformé en deux heures d'attente, deux heures de rendez-vous et le reste de la journée pour m'en remettre. Je détestais ça, les papiers, les bureaux, ces grattes papiers qui au final voulaient tous être ailleurs et donc ne faisaient aucun effort. Ils n'étaient pas tous comme ça mais malheureusement c'est sur l'un d'entre eux que j'étais tombé et ma patience avait été mise à rude épreuve. Enfin. J'étais sorti de là avec tout ce que j'étais venu chercher: le dossier, une pièce d'identité... C'est mon père qui aurait été fier. Il aurait été avec moi à cet instant, à pavaner ma nouvelle carte un peu partout. Warren aussi aurait dû être là. Il aurait été là. Mais non.
Alors je finissais par passer à Central park. Depuis que j'étais à New York j'avais toujours marché pour me déplacer. Sauf grandes distances où je prenais un taxi ou le ciel, j'avais toujours utilisé mes jambes. Je ne comptais pas marcher jusqu'au loft mais je voulais en profiter pour me changer les idées. Et ceci entraînant cela j'avais rallié l'appartement en taxi alors que le soleil se couchait. Ciel rouge, dégagé, je passais la porte de l'immeuble et saluait le concierge qui passait le balais. Bon gars ce type. La trentaine, plutôt efficace. Il vivait ici avec sa fille de 15 ans, sa femme décédée dans un accident de voiture quelques années plus tôt. Oui j'avais eu le temps de discuter avec lui... et de faire quelques recherches aussi. En fait j'avais fais des recherches sur tout le monde dans l'immeuble. Quelques relents de paranoïa. Je prenais l'ascenseur jusqu'en haut et passais la porte, criais que j'étais là, jetais sur l’îlot de la cuisine les divins papiers et finissais par m'étaler comme une larve sur le canapé, vidé. Longue journée, épuisante, mais au final, j'étais moi à nouveau.
Aujourd'hui, hier, demain. C'est du pareil au même. Et pourtant aujourd'hui, … Je me suis levé tard, comme d'habitude. Je me suis fait violence pour parvenir à m'extraire du confort du lit, plus encore de la sécurité de la chambre. Je me suis passé un coup d'eau sur le visage et ai pris deux antidouleurs avec un peu d'eau prise au robinet. J'ai passé un t-shirt, et un sweat, chose pour le moins inhabituelle pour moi. « Tu risques d'en avoir besoin, il fait un peu frisquet. » Ce sont ses propos, à elle, qui dirigent le cours de ma vie. Je mets la capuche sur ma tête et me présente devant la porte d'entrée. Ma main tremble et quand j'imagine ce à quoi je dois ressembler, je ne me reconnais toujours pas. J'hésite un moment, je devrais peut-être laisser un peu pour Kayden derrière moi, pour qu'il sache où je suis passé. Si j'arrive à sortir de l'entrée un jour, forcément. J'ouvre doucement la porte, rien ne se passe. Un seul pas me sépare de « l'extérieur ». Alors je franchis ce pas. Me voici dans le couloir, je laisse la porte coulisser derrière moi.
Ils n'ont plus rien à prendre, je ne risque rien. C'est bête de penser que je ne peux plus me défendre dans le cas contraire. Je m'engage dans le couloir puis baisse la tête, je croise le concierge qui me salue d'un grand geste de la main. Je copie son mouvement à plus petite échelle et m'arrête finalement quelques instants pour lui demander comment il va. Nous échangeons simplement quelques mots, rien de bien exceptionnel. Et je l'abandonne pour me livrer à la rue.
À l'extérieur, il fait frais sans vraiment faire froid. Je reste quelques minutes ici, sur le trottoir, à regarder les gens passer, à regarder les véhicules circuler, tout simplement. Je m'appuie au mur avec mon avant-bras et les regarde faire avec une sorte de satisfaction. Je me lance à l'assaut de la rue, évitant les passants dans lesquels je pourrais me cogner. Parfois, je m'arrête, pensant que je ne passerai pas, et je pivote et me rends compte que je prends moins de place. Dès qu'il y a un peu de monde, je lève les yeux au ciel. Mais je reste là. Je reste là. Je soupire.
J'évite de me rendre dans un grand centre commercial, peu envieux de passer sous leurs portails... Et je vais dans une superette où je trouve finalement presque tout ce que je cherchais. Je rentre rapidement et à peine ai-je franchi le seuil de la porte que je la laisse coulisser jusqu'à ce qu'elle soit close. J'y pose mon front quelques instants puis laisse mes sacs sur le plan de travail. Je vais prendre le frais au jardin d'hiver, et me dis qu'à un moment, il faudra que j'aille voir cette terrasse. Je m'assoupis malgré moi, quand j'ouvre les yeux, Kayden n'est pas rentré. Au lieu d'aller m'allonger, je cherche de quoi me changer...
Quand Kayden revient, je le rejoins dans le salon. Bon j'ai fait un effort vestimentaire et je lui ai pris une chemise noire que je porte avec un jean foncé. Je mets les mains dans mes poches puis m'assieds à côté de lui. « Hey... » Je lui tapote le genou puis lance simplement : « J'espère que tu as faim parce que j'ai fait un coq au vin, et des îles flottantes. »
Je lève les yeux sur lui puis ajoute : « Zoé était ravie de mettre la main à la pâte. » Je passe la main dans ma nuque puis lui tends une enveloppe. « Tiens, tu l'ouvriras plus tard... »
Je fermais les yeux sans m'assoupir. Une jambe qui pendait sur le bord du canapé, l'autre repliée vers le haut, mes bras allant où ils pouvaient. Je m'étais rapidement fait à cet endroit. J'y étais à l'aise. J'y étais bien. Et si au début j'avais un peu peur que la grande taille de la pièce principale ne m’oppresse un peu, cette peur c'était évanouie. J'entendais les pas dans l'escaliers, diffus, sons des chaussettes contre le bois mais surtout le son de quelqu'un qui ne voulait pas être discret. Le pas presque lourd. Je le sentais s'asseoir sur le canapé jusqu'à côté de moi et sa main venait tapoter mon genou. - « Hey... » - Un sourire traversait mon visage alors que j'ouvrais les yeux. - Bonjour mon grand. - Je me redressais, appuyé sur mes avant-bras, et le regardait de haut en bas sans rien dire. C'est qu'il s'était bien habillé le grand.. et cette chemise était à moi. - « J'espère que tu as faim parce que j'ai fait un coq au vin, et des îles flottantes. » - Ah oui, carrément. - Je me redressais et venais m'asseoir à côté de lui, nos épaules presque collées. - « Zoé était ravie de mettre la main à la pâte. » - De suite c'est plus logique. - Et il me tendait cette enveloppe.
Je la regardais d'abord sans la prendre, un sourcil arqué, et finalement je la prenais. Je la secouais doucement sans rien sentir bouger à l'intérieur et fronçais les sourcils avant de regarder Warren. Je le regardais encore de haut en bas, avisant sa tenue. L'enveloppe se retrouvait doucement posée sur la table basse et je pointais mon index sur lui. - T'es bien habillé, t'as cuisiné. Et puis ça? - Je désignais l'enveloppe mystérieuse. - Qu'est-ce qui se passe? - Un sourire étirait mes lèvres. - Si c'est pour me demander quelque chose, t'as pas besoin de faire tout ça tu sais. - Je me levais pour aller jusqu'à la cuisine et fouillais du regard avant de repérer une forme dans le four que j'ouvrais. L'odeur du plat s'en échappait et je humais à plein nez avant de refermer la porte et de m'y plaquer comme si je voulais protéger un trésor. - Ça sent booon. - Je m'appuyais sur l’îlot en le regardant et finalement mes yeux se posaient sur le dossier.
Comment t'as su? Je t'en ai pas parlé avant, je voulais attendre que ce soit fait. - Parce que c'était bien de ça qu'il s'agissait non? La réhabilitation de mon identité d'origine. Je lui désignais le dossier. - Ça y est, ça prend effet aujourd'hui. Je suis de nouveau officiellement Kayden Tobias Jefferson. - Un sourire fier ne voulait plus quitter mes lèvres. Satisfait. Heureux. J'étais moi. Enfin! Et puis mon regard retournait au four, puis au frigo, puis à lui, et mon sourire ne me quittait pas. - Attend voir... Mais t'es sorti du coup?
Il prend l'enveloppe entre ses mains et je l'observe attentivement, lui ayant demandé de ne pas encore l'ouvrir. À l'intérieur, ce présent n'a absolument aucune valeur, il ne vaut rien. S'il lâchait l'enveloppe, la laissant prendre l'envol que je prendrai plus, le monde ne suspendrait pas son souffle. Absolument rien, et pourtant à mes yeux, c'est offrir une preuve de plus à Kayden qu'à mes yeux, il est ma famille, il est le frère que ma mère ne m'a pas donné et que la vie m'a confié, ou auquel elle m'a confié plutôt. Je sens bien que je suis un poids mort pour lui, j'ai changé et je ne suis plus celui qu'il a rencontré sur ce toit. Je ne suis pas certain de pouvoir encore offrir autant que j'ai toujours voulu le faire, je ne suis plus prêt à m'offrir au monde. Et je ne veux pas laisser à la vie une seconde chance. J'admire le courage de ceux qui se battent, j'admire la détermination de ceux qui posent le poing au sol pour se relever, j'admire tous les Kayden qui ont levé le visage pour voir les premiers rayons du jour à travers le brouillard et qui s'y sont accrochés. Je suis lâche, je n'en serai pas. À quel point le serai-je ?
Il pose doucement l'enveloppe sur la table basse, je l'abandonne du regard pour concentrer mon attention sur mon frère qui me sourit, me demandant alors ce qui se passe. Je le laisse aller jeter un œil dans le four et reste assis sur le canapé, le dos calé contre un coussin. La douleur de la chair s'est estompée au fil du temps, plus les chairs se referment et plus je meurs d'envie de les rouvrir, refusant ce corps qui ose guérir.
Finalement, il me demande comment j'ai su, un œil posé sur le dossier. Je m'appuie contre le bras du fauteuil et le rejoins d'un pas lent, m'appuyant contre l'îlot à mon tour. Je hausse des épaules puis lui dis que j'ai peut-être pris un appel qui lui était destiné pour prévenir que l'heure de son rendez-vous était décalé d'une demi-heure... Je dessine des ronds du bout de mon index sur le bois et relève les yeux sur lui, un léger sourire sur le coin des lèvres : « J'espère que tu ne t'es pas trop ennuyé... »
Et puis, il était déjà parti de toutes façons. Je l'observe, heureux de pouvoir dire son nom à voix haute, heureux d'avoir retrouvé ce qui compte le plus : lui-même. Je tends la main dans sa direction, jusqu'à sentir ses doigts dans les miens : « Alors officiellement enchanté, Monsieur Kayden Tobias Jefferson. » Je lui offre une poignée de main puis le vois... chercher quelque chose jusqu'à ce qu'il me demande si je suis sorti. Oui, parce que j'ai dû sortir, surtout. Je plonge mon visage dans ma main puis lui dis, comme pour me rassurer moi : « Oui... que pouvait-il arriver ? »
Je laisse mon regard croiser le sien un instant : « On devrait prendre un verre » lui dis-je soudain et je quitte son regard le temps de sortir deux coupes. On s'en fout, on ne prendra pas la route. Je sors la bouteille de champagne dont je fais sauter le bouchon et verse, réalisant l'exploit de ne ni casser le lustre, ni en renverser partout. Je tends la sienne à Kay puis la mienne : « Joyeux anniversaire... Kayden. »
« Oui... que pouvait-il arriver ? » - Je haussais les épaules, l'air faussement innocent. - Oh je sais pas, voir du monde, prendre l'air, sortir de ta chambre? - Mon regard dérivait dans le vide un instant. - Oh merde, je sonne comme le père d'un geek.. - « On devrait prendre un verre. » - Il savait tellement bien sonner le rappel des troupes. - Ouais! On devrait! - Je revenais instantanément parmi les vivants et le suivait du regard alors qu'il allait jusqu'au frigo sortir une bouteille. - Il est là depuis combien de temps ce champagne? - Parce que je n'avais pas souvenir d'en avoir acheté. Ni même d'en avoir mit là. Avait-il été jusqu'à ça? Depuis combien de temps était-il au courant? Bien la peine que je fasse ça dans mon coin. Et puis comment ça il avait répondu au téléphone à ma place? Il faisait sauter le bouchon et la forçait un rire alors qu'il nous servait. - Tu t'améliores, mon grand. T'as rien cassé. - Il me tendait ma coupe, levais la sienne et je souriais par avance à ce qu'il allait dire. - « Joyeux anniversaire... Kayden. » - Et mon sourire se fanait.
Mon regard le fixait, mon sourire s'était transformé en une expression figée de surprise et je trinquais distraitement avant de porter le liquide à mes lèvres. Je posais finalement la coupe, faisant un pas de côté pour m'éloigner sans vraiment m'éloigner. Surpris? Choqué? Triste? En colère? Pourquoi en colère? Mon anniversaire. Je me fichais bien de l'âge que je venais d'atteindre, cette hantise viendrait plus tard. C'était autre chose. C'était... Le reste. Tout ce que ça englobait. Je levais la tête vers le haut, refoulant ma gorge nouée et la lèvre qui tremblait. J'étais content, bien sûr que j'étais content. Je n'avais plus célébré mon anniversaire depuis des années, peu importe la façon. Il s'en était souvenu et oui, j'en étais heureux, mais ça n'était pas la raison. Je sentais sa main dans mon dos, la recherche de mon bien être et je tournais la tête, un sourire faiblard sur les lèvres, le regard légèrement fuyant. Quatre mois. Je me retournais totalement et prenais Warren dans mes bras, pensant tout de même à placer mes mains sous les cicatrices. - Excuse-moi. Merci, mon grand. - Un sourire reprenait place sur mon visage et je restais quelques secondes comme ça avant de le lâcher. - Je m'y attendais pas.
La surprise? Non, ça n'était pas la raison non plus. Je retrouvais le chemin de la coup de champagne et buvait une gorgée. - C'est juste que... Je suis orphelin maintenant. - J'avais un petit sourire désolé, comme si la fatalité s'abattait. Je n'y pouvais rien. - Je fête plus mon anniversaire depuis longtemps, j'avais espéré pouvoir le faire avec eux... - Sauf que ma mère s'était suicidée et mon père, dernier être de mon sang... Mon père j'avais échoué à le sauver. J'inspirais, j'expirais, longuement. - Je devrais pas être comme ça. j'ai toute la famille qu'il me reste juste là, avec moi. - Je posais la coupe, me secouant un peu avant de me diriger vers le salon. - Ok, maintenant que je comprend mieux ce qui se passe dans cette baraque, il est temps de lever le mystère. - Je me laissais tomber dans le canapé et me saisissait de l'enveloppe. Mon regard allait sur Warren, entre défi et curiosité alors que son visage à lui rougissait un peu, et je déchirais l'enveloppe. Maintenant j'étais intrigué. Je connaissais son visage, et cette gêne me donnait encore plus envie de savoir. Mes doigts attrapaient une feuille de papier pliée en trois que je dépliais avidement, l'air toujours plus intrigué au fil des secondes jusqu'à ce que ma bouche s'entrouvre alors que mes yeux parcouraient les quelques lignes.
Un papier officiel. Un papier légal. Il comportait mon nom, le sien, le tampon en bas de page rendait la chose légitime et inviolable. Je levais mon regard vers lui. - T'es sûr que... - Il plissait les lèvres en un petit sourire, acquiesçant de la tête et mon visage s'illuminait d'un grand sourire. Un de ceux qui ne s'en vont pas facilement. Je me levais, laissant sur la table le sacro-saint papier qu'il me faudrait copier, cacher et sécuriser, avant de rejoindre Warren. - Merci! - Avais-je lâché avant de le prendre à nouveau dans mes bras. Mon cadeau? Le contenu de l'enveloppe? C'était un papier stipulant qu'en cas de problème, si jamais par malheur Warren ne pouvait pas décider pour lui-même, si jamais ce jour arrivait, c'était à moi de décider pour lui. Que son père vienne maintenant. Je le lâchait, croisant son regard avant de venir tapoter son crâne. - Je sais que dans ta petite tête tu te dis que c'est pas grand chose... Bah arrête tout de suite. Ça représente énormément pour moi. - Je souriais encore. - Je suis pas bête, je sais que... Qu'on a confiance. L'un envers l'autre. Je sais que je te confierais ma vie mais ça... - Je désignais le papier sacré sur la table. - Ça c'est d'un tout autre niveau. - Et à nouveau mon sourire s'agrandissait. - Champagne! - Et je me ruais vers ma coupe. Cette fois on allait trinquer, et cette fois j'allais sourire. Cette fois j'allais le regarder droit dans les yeux. - Mon frère.
Prendre l'air ? L'air ? Je passe la main dans mon cou, perdant une seconde mon regard contre le plafond du salon. Je ne souhaite pas prendre l'air ni croiser qui que ce soit, tout simplement parce que je sais ce que ça impliquerait, je m'y refuse. Accepter cette nouvelle vie, comme le présent qu'elle est ? Accepter d'être encore là malgré ma résistance ? Accepter cette ultime défaite et cette permanente insulte ? Peut-être suis trop orgueilleux ? Ou pas assez ? Kayden a accepté de devenir Dayle très longtemps, pour mieux retrouver sa véritable identité. Et je ne peux pas imaginer que Warren seul me satisfasse ou puisse faire partie de la vie de ceux que j'aime, comme je l'ai fait. Je me rends compte du ridicule de cette situation, et je me rends compte aussi de combien ça peut être difficile pour Kayden d'endurer cette situation, j'espère qu'il se lassera, sincèrement. Je voudrais qu'il parte de lui-même, et que je m'en aille à mon tour pour ne plus subir ce quotidien...
Je vais chercher la bouteille, aime ce qu'elle symbolise, le retour de Kayden et une nouvelle vie pour lui. Je sais qu'elle commence dans la douleur, je me souviens avoir été au chevet de ce frère que la vie a offert, m'être demandé quand – et pas si – il reviendrait et maintenant, je suis heureux qu'il soit entier. Je lui lance une oeillade taquine quand il fait remarqué que je n'ai rien cassé, je hoche de la tête puis glisse au passage que j'ai rentabilisé cette sortie, désignant la bouteille d'un mouvement du menton. Je ne l'ai pas achetée par avance, ayant appris la nouvelle bien tardivement. Mais je connais de bonnes adresses, qui ont toujours ce que je cherche, même au dernier moment.
On peut trouver n'importe quoi, n'importe quand et de n'importe qui, surtout de n'importe qui. Nous avons appris cela depuis bien longtemps. Pas vrai, mon frère ? Je le regarde, vois son regard se troubler alors qu'il s'éloigne sensiblement. Je pose la coupe sur le côté, espérant ne pas l'avoir blessé... Je ne sais pas si... peut-être n'était-ce pas une bonne idée. Je me rapproche de lui, viens passer ma main dans son dos pour lui faire sentir ma présence à ses côtés. Il se retourne et viens alors se réfugier contre moi, je passe aussi mes bras autour de lui, lui offrant tout le réconfort dont je suis encore capable, lui offrant toute l'affection que je lui porte. « Excuse-moi. Merci, mon grand. Je m'y attendais pas. » Je pose la main contre son épaule, ne perdant pas le contact physique entre lui et moi, et lui confie qu'il devra se préparer psychologiquement parce que maintenant, il faudra les fêter tous les ans. « Je te ferai une liste pour mes cadeaux pour l'année prochaine d'ailleurs, et attention, j'ai des goûts de luxe. » ajoute, laissant mes doigts glisser contre lui pour le lâcher finalement.
Je reprends ma coupe, joue avec entre mes doigts pendant que Kayden se confie réellement sur les raisons de sa tristesse, parce que ça se voit dans ses yeux qu'il est triste. Avant qu'il ne pose sa coupe, je secoue la tête pour lui faire comprendre qu'il a tort. Non, je ne suis pas toute la famille qu'il lui reste et je le lui dis sérieusement. « Ma famille sera toujours la tienne Kayden, bon sauf mon père évidemment, ce ne serait pas un cadeau. Mais ma véritable famille est aussi la tienne. » Je lui souris franchement et lève la coupe dans sa direction avant d'en boire une gorgée. Il s'en va alors élucider le mystère de l'enveloppe. Je saute sur l’îlot et m'y assois. Pas de craquement, pas d'éboulement quand je l'avais fait la première fois, c'est secure !
Je cale mes mains entre mes genoux au moment où Kayden se met à ouvrir l'enveloppe. Son regard rencontre le mien, entre la curiosité de connaître sa réaction et la gêne parce que je ne veux pas le lui imposer. C'est une grande responsabilité mais comme il vient de le dire, nous sommes chacun la famille de l'autre et il me semble légitime que Kayden puisse prendre les décisions qui s'imposeraient, qui s'imposeront si je ne peux pas le faire moi-même... « T'es sûr que... » Je lui souris et lui réponds silencieusement, sûr et certain. « Merci ! » dit-il et je lui succède d'un « Merci à toi Kayden. » Je le garde dans mes bras quelques instants, je n'ai jamais été si sûr.
Champagne annonce-t-il et, descendu de l'ilôt pour l'étreinte, je m'en rapproche à nouveau. Je lui glisse avec malice qu'il a été si long à ouvrir que j'ai commencé sans lui, désignant ma coupe d'un vague mouvement de la main, avant de la reprendre. « Merci de tout ce que tu as fait pour moi, Kayden. Je conçois que jour après jour, ce n'est pas évident. » Je lève les yeux sur lui : « J'en suis conscient, et j'espère pouvoir un jour t'apporter autant que tu m'apportes. » Je trinque avec lui puis ajoute, un sourire au coin des lèvres : « Ça ferait un beau discours de mariage, pas vrai ? » Je hausse des épaules puis replonge le nez dans ma coupe, comme si ce moment écrasait tous les doutes qui envahissent d'ordinaire le présent.