Ce week-end avait été fabuleux. Enfin, pour moi en tout cas. Faut dire que j'avais pas vraiment l'habitude d'avoir des week-end, déjà, mais reposant et amusant à la fois encore moins. Revoir Alex m'avait fait plaisir, j'étais content qu'il aille mieux même si je sentais parfois que ce n'était pas toujours parfait. Trop occupé entre les deux gars, la salle de sport puis notre soirée en ville je n'avais même pas eu à résister à l'idée de passer chez moi. Ou même de rentrer définitivement. De toute façon je voyais déjà de là Warren me sortir l'argument du "j'ai gagné 7 jours, tu restes 7 jours!". Comment lutter? Le samedi avait été calme, de quoi se remettre de la soirée de la veille qui n'avait pas été triste. Et nous voilà dimanche. Warren m'avait dit qu'il aurait peut être besoin d'aller faire une course mais ça m'était sorti de la tête jusqu'à ce qu'il en reparle dans la matinée. Nous n'avions rien prévu de toute façon alors pourquoi pas, ça nous sortirait.
Destination? Boston. C'était pas la porte à côté mais nous pouvions voler. Le seul soucis c'était que ma vitesse de vol était plutôt lente, surtout à côté d'un type qui de deux coups d'ailes pouvait couvrir 300km. J'acceptais alors l’inacceptable: me faire porter. - Si tu racontes ça à quelqu'un, t'auras à faire à moi. - J'éliminais ma masse et le laissais me tenir, face vers le sol, avant qu'il ne déploie ses ailes. Je fermais les yeux la bouche, baissais la tête. Si j'avais pas été son meilleur ami.. et si j'avais eu des seins, je me serais tourné dans l'autre sens pour m"agripper comme un koala et fourrer mon visage dans son torse et me protéger du vent et de la vitesse mais non. Non moi je faisais au mieux. Mes cheveux tiendraient tout seuls au moins. De temps en temps j'entrouvrais à peine un œil pour voir un peu le paysage jusqu'à apercevoir la ville de Boston se dessiner rapidement. Boston était une de ces villes qui me plaisait, son ambiance et son environnement me parlaient. Warren nous posait au bord du fleuve et je prenais quelques secondes pour réhabituer a la vitesse naturelle de la planète. - La prochaine fois je met un casque. Une casque de moto intégral. - Je m'appuyais un instant au rebord de ciment et levais un doigt. - La p.. La prochaine fois je trouve une foutue combinaison de pilote de chasse! - Au moins mon avion de chasse à moi était-elle compréhensive.
J'allais pas être malade, j'en avais vu d'autres, mais tout de même. Tant d'air vous arrivant d'un coup ça avait tendance à vous donner l'impression d'en manquer justement. Je ne savais pas comment il faisait. Peut être une tolérance naturelle due à sa mutation? Enfin peu importe, nous nous mettions en marche et je fourrais mes mains dans mes poches en le suivant. Il savait où on allait, pas moi. J'aimais bien Boston, oui, mais je n'y étais jamais venu. J'étais en terres inconnues. Marrant comme avec un Angel privé on peut voyager aussi vite et aussi... loin? En tout cas sur un coup de tête. Plus nous avancions plus je voyais du monde dans les allées et dans les rues. A croire que nous nous dirigions vers un endroit très fréquenté. D'un autre côté il ne m'avait pas dit où nous allions ni quel type de course il devait faire. J'aurais peut être dû poser la question avant je suppose. Je voyais de grands bâtiments, surtout un grand en verre en particulier. Prudential center. Je m'arrêtais et observait la zone avant de croiser les bras. M'étais-je fait piéger? - Warren? Où est-ce qu'on va là?
J'ai pris mon sac à dos et surtout, ma carte bancaire. Le principal, c'est de rester naturel pour que Dayle ne se doute de rien. L'opération shopping a commencé, je répète : l'opération shopping a commencé ! Enfin avant tout ça, je me suis levé, je suis allé prendre un bain jusqu'à devenir un raisin, mais un raisin heureux. Puis je me suis lancé dans la conception de mes pancakes en quantités industrielles. Passée la rafale de petites mains, j'ai pu rejoindre ma chambre. J'ai fait un signe de la main à Alec, parce que je ne l'ai pas vu à la cuisine, et qu'il est peut-être dans sa chambre. J'ai offert son petit-déjeuner à Dayle avant qu'Alec ne vienne nous rejoindre. Il faudrait qu'on fasse aussi une sorte lui et moi, il doit aussi parfois s'ennuyer à l'Institut. Nous avons un peu discuté le temps que Kay se prépare, Alec est reparti et j'ai attrapé donc : mon sac et ma carte bancaire !
Dans la cour de l'Institut, je me suis mis derrière lui, amusé à l'idée que nous allions faire le trajet en volant. Je déploie mes ailes et passe mes bras autour de lui avant de lui lancer, des étoiles plein les yeux : « J'aime tant ces petits moments de douceur qui n'appartiennent qu'à nous. » Et nous nous envolons. Je ne peux que constater que Dédé a rendu sa masse pour ainsi dire nulle, ce qui est bien pratique pour moi. Nous atteignons donc rapidement ma vitesse de croisière. Sous nos yeux, le paysage défile rapidement. J'aime sentir les caprices du vent qui de temps à autres essaie de m'attirer ou me repousser et je reprends un peu de hauteur. Finalement, à un moment donné, je baisse la tête vers Dayle et lui dis en parlant assez fort pour qu'il m'entende qu'on va faire un détour. Je prends un peu plus de hauteur quand nous arrivons sous les nuages, à juste 2.000 mètres de hauteur, quand certains déposent sur nos peaux et nos vêtements de files gouttelettes d'eau desquelles ils sont chargés. J'inspire à plein poumons, ayant peu de chances qu'on croise des moucherons à cette hauteur. Ma vitesse ralentit quand nous sommes sur le point d'arriver. Je profite de ce moment de calme, de fraîcheur, ces moments que j'affectionne tant. Et pourtant, je suis bien parmi mes congénères – humains et mutants – mais j'ai parfois besoin de « ça ». Juste ça.
Finalement, je plane un peu avant de nous poser au sol. Je laisse mes ailes encore déployées quelques secondes avant qu'elles ne viennent se caler contre mon dos. Je lève les yeux au ciel une seconde puis rabats mon regard sur Dayle qui semble dans un état... second. Je lui donne une tape énergique dans le dos : « La prochaine fois, on passe au-dessus. Tu verras, c'est magnifique ! » Dédé et moi avons déjà volé ensemble, forcément, mais en ville principalement. J'ignore jusqu'à quelle hauteur il peut se rendre. Si elle ne dépasse pas les 15.000 ou 20.000 pieds, je l'y emmènerai.
Je sautille gaiement à l'idée de ce qui nous attend et passe le bras autour des épaules de Dayle... pas pour l'empêcher de se sauver – si un peu quand même – mais parce que je suis content de cette petite sortie avec lui ! En même temps, je suis toujours heureux de sortir avec lui. Ça y est, il a déjà repris contenance ! Je le vois balader son regard sur les gens que nous croisons. Pourvu qu'ils ne remarquent pas qu'ils ont des sacs avec des marques dessus et qu'il... Trop tard ! Je lui réponds par un immense sourire, et pas plus de mots. Je me mets derrière lui et le pousse gentiment en avant en l'encourageant : « Allez Dédé ! On a passé à la couleur depuis au moins les années cinquante, et toi tu es resté au noir et blanc, avec cinquante nuances de gris entre les deux. » Je le devance puis pénètre en premier dans le grand bâtiment. Déjà un plan de bataille s'établit dans mon esprit. Déjà, j'ai mes petites habitudes dans certaines boutiques. J'en désigne une d'un geste peu discret du bras : « Ici, ils sont géniaux ! On doit y aller au début, comme ça ils pourront commencer le massacre de retouches pendant qu'on se promène. Ils font les meilleurs cols en V dans les dos des chemises » ajoute-je en plaisantant. Puis j'en désigne une autre, une autre, et une dernière dans laquelle je lui dis en souriant que là, je n'y mets plus les pieds. « Je crois qu'ils n'aiment pas trop les mutants tu vois. Je veux bien que je ne suis pas des plus discrets mais... enfin tu vois quoi. Peu importe. »
Le plus haut où j'étais allé en volant... N'était pas si haut en réalité. Malgré tous mes pouvoirs je restais humain et l'air, c'est vital. Au delà d'une certaine hauteur l'oxygène se raréfie et je ne pense pas que perdre connaissance et chuter soit vraiment une bonne idée. Toujours est-il que je n'avais jamais vraiment essayé. J'étais allé au dessus des plus hauts immeubles, plus haut encore, mais pas "si" haut. Au dessus des nuages. Pourquoi n'y étais-je jamais allé? J'aurais pu, il me suffisait seulement de pousser un peu plus loin, un peu plus haut. Il me suffisait de traverser les nuages. Je pouvais le faire. Je me savais capable d'atteindre cette hauteur. Alors pourquoi? Peut être n'avais-je simplement conscience de cette possibilité? Peut être que j'étais trop rattaché à la terre et à la vie qui me tiraillait pour ne serait-ce que songer à cette simple sensation de liberté? C'est pour ça que j'avais Warren. Lui savait ce que voler représentait. C'était toute sa vie. Il avait peut être souffert de ces grandes ailes, au début, mais il avait compris ce que le sens du mot liberté voulait dire grâce à elles. Je lui avais répondu par l'affirmative lorsqu'il m'avait dit qu'on irait plus haut la prochaine fois. Je ne déconnais qu'à moitié au sujet de l'uniforme de pilote de chasse. Et puis il était capable d'aller plus lentement, je le savais.
Enfin bref, le vol était passé, le trajet aussi, je constatais la foule et ces marques sur ces sacs en plastique et en papier. Warren ne perdait pas même pas de temps à défenses futiles ou en dénie. Il tentait immédiatement de me convaincre. Bonne idée, il savait que j'avais compris son petit manège. Un piège. Très simplement. Une manipulation honteuse et vile de l'ange pour me traîner dans un centre commercial! Trahison qui se paierait en pancake et en massage, j'avais dû me coincer un nerf pendant le vol. - Comment oses-tu Warren, Kenneth, Worthington, troisième du nom! Je sais m'habiller quand même! J'ai met des couleurs aussi! - Rouge foncé, bleu foncé. Gris... foncé? J'avais des t-shirt blanc aussi, quand même. C'était pas un inconditionnel de la garde robe de l'homme ça? Hein? Je le regardais alors qu'il me montrait du doigt les boutiques à voir absolument. J'étais déjà épuisé rien qu'à l'idée. Il m'épuisait rien qu'à gesticuler comme ça, on aurait dit qu'il avait six bras. En théorie j'aimais bien faire les boutiques... En théorie seulement, et surtout des années avant, parce que maintenant je n'en avais plus l'envie. Pourquoi acheter des vêtements cher ou originaux quand ils pourraient finir couvert de sang ou de drogue, ou d'autres choses d'ailleurs, dés le lendemain? Notez ma perplexité.
Il terminait sa présentation énergique par la boutique où il ne voulait plus retourner. Il ne voulait plus ou on ne le voulait plus. Mes bras étaient croisés, je le fixais. Il cherchait encore la bonne façon de me convaincre et je dois dire que je le laissais un peu mariner, l'air sérieux, presque vexé. Finalement je décroisais les bras tout en roulant des yeux. - Ça se paiera, tu peux me croire. - Je me rapprochais de lui, l'air sérieux, prêt à exposer mes conditions. - Si tu m'apportes un truc que j'aime pas, je le brûle. Je n'essaye que ce que je veux bien essayer. - Je faisais un pas en avant et revenais en arrière. - Et pas de rayures. - Et je repartais. Direction là-bas. - « Bah, où tu vas? C'est par là qu'on commence. » - En me désignant la boutique à côté. - Non, on commence par celle où tu veux pas aller. Parce que Un, tu veux pas y aller et Deux, personne ne refoule mon Warren. S'ils sont pas contents je leur refais la déco. - Après coup je me dirais certainement que ce petit enfoiré d'ange avait fait exprès de me dire ça pour me mettre la cassette à l'envers. Pour le moment... j'avais juste envie de mettre leur matériel au plafond.
L'entendre dire mon nom complet, allant jusqu'à citer le second prénom, c'est à la fois amusant et révélateur du fait qu'il me connaît trop bien. Je balance la tête de gauche à droite de gauche à droite en affichant une grimace qui pourrait oralement se traduire par « gna gna gna ». Cet argument est de loin le meilleur parce qu'il peut s'adapter à toutes les situations, je dis bien toutes ! Et quand il dit qu'il a des couleurs, je secoue la tête. Non mais Dédé, on est bien d'accord que même toi tu n'y crois pas le moins du monde ?
Je passe une main autour de ses épaules et lui présente la galerie d'un large mouvement du bras gauche en lui disant, l'imite l’œil brillant : « Je vais ouvrir ton petit regard d'enfant émerveillé à une nouvelle palette de couleurs qui ne seront pas toutes foncées. Il y aura du bleu, du vert et prépare tes mirettes, du jaune, du rose, du blanc, et peut-être même du orange. Ce sera féerique, tu verras. » Je ne le lâche pas tout de suite, de peur qu'il s'enfuie sans doute ! Bon, je ne suis pas un grand fan du jaune poussin mais je ne peux pas m'empêcher de le laisser miroiter toutes les couleurs de l'arc en ciel en chemises, je suis sûr que toutes lui conviendraient de toutes façons. Sauf la jaune quand même, peut-être...
Quiqu'il en soit, contrairement à ce qu'il pourrait penser, mon but n'est pas de lui constituer une garde-robe de clown mais bien qu'il prenne un moment pour lui, comme une pause entre angoisse, surveillance et angoisse. Allez Dayle courage ! La vie est plus belle avec une veste vert pomme. Ah d'ailleurs, dans ma boutique de chouchoux, ils en ont du vert. Ça ira très bien avec ses yeux. Oui parce que Dédé et moi, on se regarde dans les yeux et on kiffe ça. Voilà.
Je me retourne vers lui, il est ancré dans le sol avec les bras croisés. J'appuie mes coudes contre ses avant-bras et place mon menton contre mes poings serrés. Mode chou activé, temps de résistance de l'ennemi estimé à trois secondes. Je lui fais de grands yeux attristés – bon si je ne souriais pas, ce serait plus crédible comme détresse – puis lui demande s'il ne va pas oser m'abandonner tout seul après tout ce trajet quand même ? Et j'ai bien envie de revenir un peu plus vite pour voir s'il sera malade... j'avoue. Comment je fais s'il revient en train ou en taxi, cet anti-couleurs ?
Finalement, il accepte en promettant une terrible revanche. Mais oui mais oui, nous ne sommes pas à ça près. Je fais pour m'élancer à l'assaut des boutiques quand il me rejoint et pose ses conditions. À mon tour de croiser les bras sur mon torse : « Aie confiance en ton aîné poulet junior. » Ah non, je proteste à la dernière condition qui dit pas de rayures. C'est très bien les rayures ! Suffit de ne pas prendre un costume de Maya l'Abeille et tout se passera bien. Pauvre Dayle, resté bloqué dans un style qui lui donne l'air d'avoir quinze ans de plus que son véritable âge. Alors que dans ma tête un parcours se prépare, Dédé va pile dans la boutique où je ne me rends plus à cause des vendeurs assez désagréables.
Enfin clairement, ils ne veulent pas de mutants dans leur boutique. J'ai essayé de discuter avec eux, de leur faire prendre conscience de leur comportement mais je ne suis pas allé jusqu'à taper le scandale devant la caisse. Je suis simplement parti. Ce n'est pas grave mais... Dayle me devance déjà et il me précède dans la boutique. Deux vendeurs, une femme et un homme nous saluent avant de laisser planer un regard assez lourd sur nous, avant d'en échanger un entre eux. Je joins les mains dans mon dos, un peu mal à l'aise et l'un d'entre eux se décide à venir en éclaireur auprès de Dayle. C'est la jeune femme qui lui sourit et lui demande ce qu'il cherche. Lui coupant l'herbe sous le pied et avant qu'il n'ait le temps de répondre, elle ajoute brutalement « Parce que nous n'en avons plus. » Je lève les yeux au ciel puis presse Dédé du regard. Laissons-les dans leur médiocrité et leur ignorance...
Son regard larmoyant était proche, très proche, trop proche, et je l'aurais bien embrassé juste pour lui faire perdre son assurance. Ça aurait été immédiat. Efficace. Radical. Quelques jours plus tôt, j'avais été plus surpris que réellement choqué. Mais Warren? C'était Warren, et il serait terriblement gêné, pendant que je me foutrais ouvertement de sa tronche. Mais je n'en faisais rien. - « Aie confiance en ton aîné poulet junior. » - Pousse pas trop non plus. - C'était pas pour poulet junior. Il était effectivement plus vieux. De deux ans seulement. Et la plupart du temps pour ne pas dire absolument tout le temps, celui de nous deux qui agissait comme l’aîné, c'était pas lui. Finalement je partais dans l'autre sens et je percevais sa détresse en un regard ancré dans mon dos. Oui, on y allait. Oui on allait précisément là où il ne voulait pas aller. Oui j'entrais le premier et il me suivait parce qu'il s'était coincé lui-même avec sa propre connerie. Bien fait. Double vengeance. J'entrais dans la boutique et avançais dans les quelques rayons, observant distraitement les vêtements qui pendaient tranquillement sur les portants. J'observais, je regardais, je manipulais quelques articles et enfin l'une des vendeuses venait à nous. J'avais vu son regard. Elle venait à moi, pas lui. Erreur.
Elle me demandait ce que je cherchais et j'avais à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'elle me coupait pour m'asséner un refus d'office. Je refermais mes lèvres sans parler. De toute façon c'était déjà en marche. Mon visage passait de la légère surprise à un air plus... stupide. - Est-ce que vous avez des vis? - Et la jeune femme, elle, affichait un air confuse. - Des vis. Petit. En fer. Avec un filetage pour... bah visser. - Je jouais ça bien et je m'amusais en prime. - Non? Zut. Faudra y penser, c'est pas sérieux un magasin sans vis. - Et je me retournais, poussant Warren vers la sortie. Il était certainement soulagé. Certes, le matériel était toujours à sa place. Arrivé au niveau des portiques de sécurité je me retournais vers les vendeuses. - C'est parce qu'il a une tête d'imbécile c'est ça? C'est pas bien de se moquer vous savez. - Oui je parlais bien de Warren. - Sur ce mesdemoiselles, bonne journée. Et trouvez des vis! - Et je m'en retournais, poussant Warren un peu plus loin sans non plus nous hâter trop. Dans la boutique, les derniers rouages jouaient et dans un boucan d'enfer, mon action finissait. Tout, je dis bien tout, s'écroulait. Les meubles, les portants, les mannequins, même les rideaux des cabines d'essayages rejoignaient les vêtements qui jonchaient désormais le sol. Bah quoi, j'avais dévissé toutes les vis du magasin. Je leur avais dis pourtant de trouver des vis.
Je tournais la tête vers Warren et le fixais avant de revenir à l'observation du chemin que l'on prenait. - Non j'ai pas honte et si elles l'ont mérité. Fait pas semblant, je sais que t'es content. - Sa fierté masculine bafouée par moi qui défend son honneur à sa place? On en avait fini avec la fierté. On l'avait tué et enterré trois jours après notre rencontre. Véridique. Le chemin que l'on prenait? Celui de la boutique dans laquelle Warren voulait aller en premier lieu. Une fois arrivé à l'entrée de la boutique il s'arrêtait à côté de moi et je posais ma main dans son dos en tapotant doucement. - Bien mon grand. Trouve moi des haillons que je me vêtisse. - ... Sans commentaire.
Et voilà comment le mode chou peut vaincre tout le monde, tout le monde ! Même l'handicapé de la couleur ! Je lui fais un geste désinvolte de la main à son « pousse pas trop ». Mais si, sa confiance est sans borne ! Parce que sans moi, il serait encore en train de flotter au-dessus des immeubles en demandant sa route aux pigeons New-Yorkais, et puis je lui ai fait découvrir une boîte dans laquelle il a profané les toilettes quand même. Pour moi, c'est absolument horrible mais je suis certain que lui en garde un bon souvenir, un très bon souvenir même, le dépravé !
Toujours est-il qu'il part dans la mauvaise direction. À quoi ça peut servir que je lui dise où il faut aller absolument et où ça ne vaut pas le coup s'il ne suit pas mes conseils ? Je le suis, un peu de dépit accroché sur le visage et je n'ai pas le temps de lui dire que c'est peine perdue qu'il est déjà entré. Je soupire discrètement puis écoute la vendeuse faire son sketch, lui coupant d'ailleurs la parole pour qu'il ait une chance de dire quelque chose. Voilà qui rend la chose bien claire... Je lève les yeux au ciel pour me tourne vers Dayle quand il pose sa question, affichant le même air surpris que la vendeuse qui ne sait même pas si elle doit et ce qu'elle doit répondre. Elle se tourne une seconde vers moi avec la même tête et je fais celui qui regarde à droite et à gauche, ne sachant pas trop où Dédé veut en venir...
Finalement, il apporte quelques « précisions » un peu étrange avant de finalement renoncer à sa demande... Il fallait le dire s'il voulait faire du bricolage, je l'aurais emmené dans le magasin approprié, j'imagine bien Dédé faire ses petits bricolages do it yourself... Finalement, il m'entraîne vers la sortie et je m'apprête à lui dire avec ironie « tu leur as donné une bonne leçon » mais il se retourne vers le personnel de l'enseigne pour... hé ! Pour me vanner ! Je secoue la tête et sors avec lui, sans spécialement saluer les vendeurs. Je marche tranquillement puis me tourne vers mon ami pour lui demander : « Mais qu'est-ce que tu vou... » et soudain, un énorme brouhaha se fait entendre. Je fais un bon en arrière, et mon aile se déplie immédiatement pour se mettre entre la source du bruit et Dayle. Mon regard va partout autour de nous mais cette fois, le vacarme ne précède pas l'écroulement d'un plafond, l'éboulement d'un mur, une fuite de gaz, un incendie, des cris et un mur de poussière. Mon attention se focalise vers le magasin en question et mon aile se replie doucement de devant Dayle... Nos regards se croisent. « Non j'ai pas honte et si elles l'ont mérité. Fait pas semblant, je sais que t'es content. » Je lève les yeux au ciel : « Ce n'est pas vraiment la méthode que j'aurais employée mais bon... » Je souris et l'amène finalement au saint magasin.
Il passe sa main dans mon dos et je l'attrape par le poignet avant de voir un visage qui m'est familier. Il observe la boutique qui s'est littéralement effondrée sur elle-même et se tourne vers nous, l'air tout déconfit : « Heureusement que vous n'étiez pas dedans ! Bah, en plus ils n'ont aucun goût et ils ne disent jamais bonjour le matin ! Ça va les occuper. » Il a un sourire quand il voit ses deux concurrents pester à l'extérieur de la boutique. Finalement, il accorde tout son attention à ses deux clients, je désigne Dayle d'un geste du pouce : « Il faut lui venir en aide, il est resté au noir et blanc. »
Le vendeur s'approche de mon ami, le temps de l'observer puis tire sur son haut rapidement pour voir s'il tombe juste sur lui ou s'il se cache dans des vêtements trop grands. Soudain, la lumière divine apparaît et il annonce, un immense sourire : « J'ai une chemise avec un dragon multicolore sur le dos, je vais la chercher ! » Il s'éloigne et anticipant le refus de Dédé, je lui tapote l'épaule : « Ne te sauve pas, ce genre de vêtements n'existe plus depuis quinze ans... Mais il y a... » et le vendeur et moi-mêmes annonçons en chœur : « Des polos ! »
Les voir râler, les voir courir partout, les voir observer le déluge qui s'était abattu dans cette boutique... C'était une petite mort personnelle. Et le commentaire du vendeur que l'on rencontrait au magasin me tirait un sourire satisfait. Clairement, j'avais bien fais. Finalement il venait vers nous et Warren prenait la parole. - « Il faut lui venir en aide, il est resté au noir et blanc. » - Hey c'est pas vrai! - Bon, un peu. - J'ai pas vraiment de blanc. - M'enfoncer, grande idée tiens. L'homme approchait de moi et je le regardais d'un air suspicieux, sans ciller, sans bouger non plus. Il tirait sur mon t-shirt, forcément trop grand puisque c'était un de ceux de Warren, déformé par les ailes. Je sentais le complot approchait, comme une seconde nature, un tintement dans mon crâne. L'intuition que quelque chose de mauvais approchait. - « J'ai une chemise avec un dragon multicolore sur le dos, je vais la chercher ! » - Ma grimace est immédiate mais Warren anticipe et arrête le vendeur. Good boy. - « Des polos ! » - Tous en choeur. Je les regarde comme on regarderait des aliens. - Vous êtes flippants, sérieusement.
Finalement je les laisse aller fouiller les stocks, imaginant Warren sautiller telle une princesse en tutu qui se balade dans son domaine de licornes et de fées. Ou est-ce que je n'imaginais rien? Bref je m'avançais moi-même, piégé, et passais entre les rayonnages pour observer ci et là quelques articles sans vraiment prendre quoi que ce soit. Je tuais le temps en me baladant en fait. Warren avant tiré un t-shirt dans les roses saumon, quelque chose que le commun des mortels aurait apprécié. Aussitôt je sortais de ma poche un briquet zippo. - Oubli pas, mon grand. Purification par le feu. - Lui avais-je dis, d'un bout à l'autre du magasin. Oui, je voyais tout. Je remettais le briquet dans ma poche et finissais ma route à proximité des cabines d'essayages, posant mes fesses sur un espèce de tabouret en cuir noir, le dos appuyé contre le mur, attendant le bourreau. Je n'avais pas à attendre bien longtemps avant de me faire ensevelir, littéralement, par un tas de vêtements que Warren me foutait dessus. En quelques secondes, j'étais enfermé dans l'une des cabines et soupirais longuement, commençant à faire le tri dans tout ce tas d'immondices.
Bon, ok, pas tout n'était à jeter. Je pendais certaines choses, en laissais d'autres sur l'espèce de petit banc sur la paroi, et commençais à faire mes essayages. - Va t'asseoir, je vois tes plumes! - Ouais, j'avais vu son ombre aussi. Une vache dans un couloir, sérieusement. Je devais avouer que certains de ces trucs là n'étaient pas si atroces une fois porté, aussi je faisais une sélection que je pendais de l'autre côté. Machinalement j'enfilais le t-shirt suivant et... - Warren? - Je sortais de là, le trouvant assis en face. - J'avais dis quoi? - J'avais sur le dos le t-shirt rose saumon dégouttant que je lui avais explicitement dis, avec menace, de ne pas prendre. Je retirais le t-shirt et le lui jetais à la figure. Shirtless dans le magasin, jeans même pas boutonné. - T'as de la chance, j'ai laissé mon briquet dans mon jeans! - Comment ça, il y avait des clientes dans le magasin? Good for them! Je retournais dans ma cabine et refermait la porte. Le jeans j'allais le garder par contre. Il était pas noir. Juste bleu très foncé. Mon regard se portait immédiatement sur la chemise grise à dragon et je soupirais en la mettant ailleurs. Et puis quoi encore.
Ce piège c'était transformé en une véritable catastrophe vestimentaire et je trouvais encore incroyable qu'il essaye si fort de m'habiller alors qu'un duo de jeunes femmes ne voulait que me déshabiller. Enfin un. Elles nous avaient rejoins à la suite d'un défi. Parce que forcément sans défi, pas de Warren ni de Kayden. Il avait fallu que j'aille les voir pour leur demander leur avis. Elles n'étaient plus parti. On avait passé la journée là, avec elles. Ça n'avait été que ça, ça et deux numéros glanés. Mais ça avait été bien. Vous pouvez rêver pour que je l'avoue à Warren, il serait trop content.