“Je vais devoir exploser l’arrière-train de ce rival pour être sûre de te garder ?” Elle a de l’humour sous sa timidité. Et il aime ça. Il joint sourire au sien. Elle serait presque plus drôle que lui ! Non mais vous vous rendez compte ? Il a un tel pouvoir humoristique qu’il contamine même les plus sérieux ! Vous pensez que Barack Obama en aurait besoin ? Nooooon, lui est déjà drôle. Il est même un showman d’exception. Dans un coin de la pièce, le téléphone se met à sonner. Et Jared s’arrête. Figé. Arrêté dans son rire. La bouche tordue bizarrement. Il n’en a pas conscience. Pour lui, tout est à l’arrêt. Son cerveau ne fonctionne plus (depuis vingt-six ans). Plus rien ne fonctionne chez lui. Suspendu dans le temps. Alors, on peut peut-être en profiter, non ? Pour lui dessiner des moustaches au stylo indélébile. Pour se moquer de la grimace dans laquelle il est stoppé. Non mais vous avez vu ? On dirait qu’il est bloqué et qu’il restera à vie comme ça. Il a déjà été plus séduisant. A sa naissance, peut-être. Tout bien réfléchi, sur la première échographie et après, ça s’est détérioré. Sa mère a eu un hoquet de frayeur à la deuxième. Oh alleeeeez, on ne peut plus rire ? Non, Jared a toujours été un beau gosse. Vous êtes content ? Oh shit, il se remet à rire. Il est de nouveau parmi nous. Alléluia. Il reprend son rire, comme si de rien n’était. Il escalade Jazz pour quitter le canapé, non sans s’être emmêlé le pied dans les jambes de la jeune femme. Il retient sa chute juste à temps pour ne pas s’exploser le menton contre la table basse. Ça aurait été drôle, dommage. Il récupère son téléphone, abandonné dans un coin de la cuisine. “El Dragono" (si sa mère l’apprenait, elle en ferait un scandale). EURF. Elle n’a pas même pas mis cinq minutes pour l’appeler. Il hésite, le pouce suspendu au-dessus du téléphone vert. Il pourrait ignorer son appel. Mais elle réessayerait dans dix minutes et elle serait encore plus déchaînée. Sauf que si il décroche, elle va lui parler pendant… une heure ? Allez, Jared, soit un fils digne de sa petite maman et décroche. Courage, bonhomme ! Tu peux le faire. Tu vas survivre. Prends tes couilles, comme dirait Judith. Pardon, prends Bébé Thor et compagnie et décroche ce putain de téléphone ! Il jette un coup d’oeil en direction de Jazz, avant de lui tourner le dos. Il lui faut un peu d’intimité pour ce qui va suivre. Ou beaucoup d’intimité, une dose d’auto-dérision et une dose de courage. “Heeeeey… ! Hein ? Mais non, maman.... je peux parl… ? Je suis tout seul ! … Mais si, je t’assure… Ouiiiii, je sais que ‘c’est pas bien de mentir, blablablabla’… ah ! Pas bien de se moquer aussi ? C’est nouveau, tiens… Mais t’es pas là pour me punir, alors tant pis ! BON D’ACCORD ! Je suis pas tout seul… Quoi ?! Mais non ! J’vais pas te laisser lui parler ! T’es folle, toi… MAMAN !” Il s’étrangle. Bordel. Elle lui raconte de ces trucs. Parfois, il n’est pas préparé psychologiquement. Il devrait avoir un suivi psychologique, mais sa mère a toujours refusé. Elle a un tel pouvoir de persuasion et de manipulation… et de foutre la honte, aussi. Elle ne voudrait pas perdre ce pouvoir sur Jared. Oh ça, pour foutre la honte, elle est la championne. Pire que son fils. Oui, parce que Jared est capable de s’attirer la honte tout seul, mais quand madame Hemingway est dans le coin, c’est encore pire !
Bon sang ! Qu’est-ce qu’elle dit ? Elle peut pas aborder ce sujet… NON ! C’est pas le genre de chose qu’on raconte à sa mère. BEURK. Au secours. On lui viole l’oreille avec toutes ces conneries. A l’aiiiiide ! “Oooooh tout doux ! On a fait ce qu’il fallait… Puisque je te dis que oui ! ... Arrête, ça devient gênant…” Il se tourne vers Jazz, en grimaçant. Quand il disait que sa mère était atroce, hein ! Il est certain que Jazz est capable de suivre la conversation, tellement sa mère hurle dans le téléphone. Il finit par soupirer (loin du micro pour ne pas que ça s’entende) et par mettre le haut-parleur. Il pose le téléphone au milieu de la table. Il finit par se laisser tomber dans le canapé. Sa mère est un cas. Bien pire que lui. Et dire qu’elle a réussi à charmer des mecs. Faut croire que ses bavardages et sa folie ont su plaire. Un peu comme Jared avec les femmes. C’est vrai qu’il arrive à devenir attachant. Sûrement sa face de chien battu. Et son visage sans rides de vieillesse. Hé ouais, les gars. Il est parfaitement conservé ! Tous les soirs, il enrobe son visage dans des serviettes glacées et il joue à la momie. Bon, c’est faux, mais bon, tout le monde croit bien ce qui est écrit dans les magazines. A peine le doigt de Jared a-t-il frôlé le bouton du haut-parleur que déjà, la voix de sa mère remplit la pièce. “... ET JE TE PRÉVIENS ! SI JE VOIS UN MINI-TOI DÉBARQUER, SANS QUE J’EN AI ETE INFORME, JE TE DÉSHÉRITE, JARED MARTIN HEMINGWAY ! Tu es là, au moins ? Je ne suis pas en haut-parleur pour que tu puisses te foutre de moi ou ne pas écouter ?!” Okay, on n’a pas de situation plus gênante que là, tout de suite, maintenant. Quoique… attendez la suite ! Et puis, c’est quoi ce don qu’elle a ? Déjà petit, quand il faisait des bêtises dans la pièce d’à côté, elle le sentait. Elle déboulait avec son chausson à la main, prête à lui foutre un coup derrière la tête. Souvent, elle avait encore les bigoudis dans les cheveux ou la mousse de la vaisselle plein les mains. Elle était ridicule ou effrayante. Ridiculement effrayante. Du coup, le petit Jared explosait de rire et abandonnait ses affaires pour se moquer tendrement de sa mère. Ouais, tendrement. Je vous le rappelle : il est un gentil garçon. Quand il se moque, il le fait tendrement, jamais méchamment. “J’suis là, mamaaaaaan. Est-ce qu’on peut… ?” ...raccrocher. Pas le temps de finir sa phrase, sa mère continue de blablater toute seule. Elle est lancée. Ils ne pourront plus l’arrêter. Elle ne fera même pas de pause pour boire. Inutile. “Mon petit Jaja, père d’un enfant. On aura tout vu ! NON MAIS FRANCHEMENT ! QUAND JE VAIS DIRE ÇA A TA GRAND-MÈRE, ELLE VA EN PERDRE SON DENTIER.” Jared se frappe le front de désespoir. Elle ne peut pas s’arrêter un instant ? Il réfugie son visage dans ses mains. Bon, quand on y pense, c’est quand même comique. Non ? Il a une mère géniale, quoiqu’il en dise. Avec du recul, il s’amuse toujours de ses conversations sans queue ni tête. Faut dire qu’il y a de quoi rire. Sauf qu’en ça le concerne. Là, il est moins ravi.
“RHAAAAN JARED ! Pourquoi tu hurles comme ça ? C’est désagréable !” Il redresse la tête et écarte les bras. De quoi elle parle ? Elle hurle toute seule depuis cinq minutes, bon sang. Il n’a pas décroché dix mots depuis qu’il a décroché ! Elle doit croire que sa voix aille du Nouveau-Mexique jusqu’à New-York, elle doit hurler. Mais non, maman, NON ! Il suffit de parler correctement dans son téléphone. Comme c’est étrange ! “J’espère qu’elle est belle, au moins ! Oh pitié, dis-moi qu’elle est intelligente, pas comme cette espèce de top modèle que tu nous avais ramenés. Soi-disant la femme de ta vie, ben voyons ! T’as vu où elle est, maintenant ?” Il ferme les paupières. Le sujet des exs. Fallait bien qu’ils l’abordent, tiens. Mais il aurait préféré en discuter dans d’autres circonstances. Il prononce un “désolé” silencieux. Désolé qu’elle assiste à ça. Désolé qu’elle découvre le vrai visage de sa mère. Un monstre sanguinaire. Un monstre assoiffé. Un monstre qui ne s’arrête pas de parler. Il donne un coup de coude à Jazz. Elle est la seule à pouvoir faire taire sa mère. La seule à pouvoir arrêter ce flot continu de parole. Pitié, Jazz. Pitié ! Jared est à deux doigts de sauter par la fenêtre. Il est prêt à se suicider en mangeant toutes les lasagnes. Il est prêt à se tuer avec sa tringle de douche. Tu ne peux pas l’abandonner. Il a besoin de toi. Vas-y. Dis quelque chose. Dis-lui bonjour, fais du bruit, parle à Jared. Peu importe. Par pitié ! Parce que sa mère continue. Encore et encore. Et que je te parle de ses précédentes petites-amies. Et que je te compare à Aaron, le fils de la voisine. Et que je regrette que tu ne puisses pas venir plus souvent. Jared jette l’éponge dans dix, neuf, huit, sept, six...
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
V
ous saviez qu’il y avait une échelle de mesure pour les moments gênants ? Vous saviez qu’elle pouvait augmenter, cette échelle, lorsque de nouvelles expériences intervenaient dans la vie ? Et bien Jazz, elle ne le savait pas, jusque là. La pauvre petite était persuadée qu’une maman prenait soin de ses enfants sans leur foutre la honte internationale : pire encore, sans comprendre combien c’était embarrassant. Madame Hemingway n’a pas inventé le fil à couper le beurre, c’est une certitude. « Oooooh tout doux ! On a fait ce qu’il fallait… Puisque je te dis que oui ! ... Arrête, ça devient gênant… » Alors là, la tête de Jazz se résume, en gros, à cela : O_O. Est-ce que cette femme est si décalée de la réalité qu’elle est en train de parler de sexe à son fils qui, à première vue, est assez majeur et vacciné pour qu’on ne lui fasse plus de telles leçons ? Si elle ne sait toujours pas exactement quel est l’âge de Jared, le fait est qu’il n’avait certainement pas quinze ans. « ... ET JE TE PRÉVIENS ! SI JE VOIS UN MINI-TOI DÉBARQUER, SANS QUE J’EN AI ETE INFORME, JE TE DÉSHÉRITE, JARED MARTIN HEMINGWAY ! » Elle a très très envie de réagir mais la politesse veut qu’elle se taise, qu’elle reste assise sur ce canapé et qu’elle attende que Jared raccroche. Mais Jared ne raccroche pas, il met le haut parleur et laisse sa mère déblatérer des absurdités. Vous savez, elle n’a jamais eu à gérer ce genre d’autorité, Jazz, elle était plutôt libre de garder des secrets, de faire sa vie en paix et de demander conseils uniquement si elle avait envie d’étaler son intimité, alors ça la démange un peu d’être impolie.
« J’suis là, mamaaaaaan. Est-ce qu’on peut… ? » Non, ils ne peuvent pas. « Mon petit Jaja, père d’un enfant. On aura tout vu ! » Euh.. pardon ? D’où elle se permet de raconter ses délires à tout le quartier, celle-là ? Il y a des circonstances qui font que Jazz est d’une incroyable patience ; pas là. Assis sur le canapé, à regarder ce portable hurler depuis dix minutes sans leur laisser en placer une, ils attendent que ça passe. Enfin cela dit, Jazz ne va pas attendre bien longtemps que ça passe, hein, faut pas déconner. « J’espère qu’elle est belle, au moins ! Oh pitié, dis-moi qu’elle est intelligente, pas comme cette espèce de top modèle que tu nous avais ramenés. » Une top modèle ? Jared est sortie avec une top-modèle ? Super ! Merci pour les complexes, le fifils à sa maman est certain qu’il ne touchera plus la rouquine d’un moment. « Ca suffit. »
Elle ne hurle pas. Elle ne hausse pas le ton. C’est court, sec et autoritaire. Elle en a assez des grimaces du jeune homme, de ses désolés silencieux sans qu’il n’ose couper court à cette conversation pour le moins embarrassante. « Sauf votre respect, madame Hemingway, si nous décidions d’avoir trois ou quatre mini-Hemingway, on ne vous demanderait pas votre avis. Qui plus est, si Jared ne vous ramène que des écervelés, dites-vous qu’elles sont peut-être les seules à pouvoir supporter des moments aussi gênants que celui que vous venez de me faire subir. » Ca n’est pas très diplomate. Pourtant elle n’a pas été agressive et il n’y a qu’une infinie douceur dans sa voix, véritable paradoxe par rapport aux paroles qui s’extirpent de sa bouche. Jared vient de découvrir les limites de Jazz. Il vient de découvrir qu’elle n’est pas parfaite et qu’il y a des choses qu’elle n’est pas prête à supporter pour les beaux yeux de son premier petit-ami. C’est sa faute, elle voulait la rencontrer. Cela dit si elle doit passer Noël chez cette femme, il y aura sans doute de la vaisselle cassée. « Maintenant, si vous permettez, nous avons une longue journée de débauche à préparer. » Là. Voilà. La maman va faire un petit infarctus, ça laissera à Jared le temps de respirer.
“Ca suffit.” Ouais, oh, ça suffit, maman ! Arrête de lui parler comme ça ! Il a vingt-six ans, crotte de bique. Il n’est plus un gamin qui a besoin d’être couvé par sa mère (sauf quand il a des doutes au moment de faire la lessive : blanc et couleurs mélangés ? A quelle température ?). Il a dépassé la majorité depuis longtemps, il travaille, il a même un appartement. Il s'est même mis au repassage. Alors, ça suffit ! Merci, Jazz. Elle intervient. Elle a même réussi à faire taire sa mère. Il l’imagine très bien avoir la bouche ouverte, suspendue sur une syllabe qu’elle n’articulera jamais. Il l’imagine gênée, à l’autre bout du téléphone. Il sait d’avance qu’elle l’appellera plus tard dans la journée pour le disputer. Il aurait quand même pu la prévenir que sa petite-amie était dans le coin et qu’elle entendait toute la conversation. Elle se serait comportée avec plus de politesse et de civilité. On ne peut vraiment pas compter sur son fils ! Il ne communique jamais, aussi ! Elle le lui a dit des centaines de fois : la prévenir quand il va au toilette, l’informer quand il se met à cuisiner des gâteaux (elle a été traumatisée par la fois où il a mis feu à un torchon). Toujours la prévenir de tout. Pour qu’elle puisse s’inquiéter si jamais il ne donne pas de nouvelles. Imaginez qu’il s'électrocute dans son salon pendant qu’il change une ampoule ? Qui le saura ? Personne ! Alors, sa mère est obligée de veiller au grain. Elle s’assure que son fils est toujours en vie, heure après heure, journée après journée. Elle ferait une crise cardiaque si elle apprenait qu’il s’est mis à la course. La course extrêmement rapide. “Sauf votre respect, madame Hemingway, si nous décidions d’avoir trois ou quatre mini-Hemingway, on ne vous demanderait pas votre avis. Qui plus est, si Jared ne vous ramène que des écervelés, dites-vous qu’elles sont peut-être les seules à pouvoir supporter des moments aussi gênants que celui que vous venez de me faire subir.” Il jette un coup d’oeil dans le salon. A la recherche de sa petite-amie. Où est-ce qu’elle est passée ? Quelqu’un a remplacé la sage et adorable Jazz en l’explosive et caractérielle Sparks. Il ne s’en est même pas aperçu. Lorsqu’il focalise de nouveau son attention sur elle, il a la bouche ouverte. Okay, quand il lui a demandé de l’aide, il ne s’attendait pas à ce qu’elle fasse preuve d’autorité envers sa mère. Mais… pourquoi pas ? La méthode semble efficace, si on en croit le silence du téléphone. Bon sang, si après ça, sa mère ne lui hurle pas qu’il trouve des femmes de plus en plus bizarres et folles, il a de la chance. Bientôt, la bouche ouverte se transforme en un sourire. Ça, c’est sa petite-amie. Hé ouais, maman ! Prends-toi ça dans la gueule ! Fini le petit Jaja maltraité et sous la domination maternelle. Maintenant, il se rebelle. Et il se cache derrière Jazz. On peut dire qu’il y a du mieux, non ? Allez, quoi ! Faut le comprendre !
“Maintenant, si vous permettez, nous avons une longue journée de débauche à préparer.” Il se retient de rire. C’est officiel. Jazz en veut à la vie de sa mère. Elle compte vraiment la tuer d’un arrêt cardiaque en s’adressant à elle, ainsi. Finalement, c’est peut-être à lui de s’inquiéter si sa pauvre mère ne meurt pas dans les prochaines minutes. La réponse de sa mère ne se fait pas tarder. “Oooh, oui, bien sûr… je n’avais pas réalisé que vous étiez là… Jared, est-ce qu’elle m’entend ? Je crois que je l’aime bien, cette petite. Tu me la ramènes quand tu veux ! Je vais vous laisser faire… ce que vous avez à faire !” Il se lève et récupère le téléphone. Le haut-parleur est désactivé. Jazz en a assez entendu. Si après ça, elle veut toujours rencontrer sa famille, hé bien.. il ne sait plus quoi faire. Franchement, qui aurait envie de parler avec une femme qui parle ouvertement de la sexualité de son fils et qui a le talent pour lui foutre la honte ? Personne ! Encore moins Jared. Ce n’est pas pour rien qu’il limite les visites. Bon, c’est aussi parce qu’il dépense tout son argent en café (quand il passe les nuits dehors, à courir après des héros) et en taxi (quand il rentre tard et que le métro ne passe plus). Lorsqu’il colle de nouveau l’oreille au téléphone, sa mère s’est remise à parler. Parlant de cette inconnue qui a un caractère assez trempé pour dompter son fils et l’obliger à ranger sa cuisine après chaque repas. Super. Merci maman. Si c’est tout ce qui importe… même pas son bonheur, même pas son avenir. Noooon, juste sa cuisine bien rangée. On voit les priorités ! Il serait presque jaloux de sa cuisine, pour le coup. “Mamaaaaan… Ouiiii, je t’aime aussi… bye ! Salut ! MAIS OUI, JE VIENS BIENTÔT… Bye bye !” Elle est encore en train de dire un truc quand il raccroche. OUF ! Il lui a échappé. Il pose le téléphone le plus loin possible du canapé. Pour ne pas que sa mère les entende par on-ne-sait-quel-miracle. Il va avoir besoin de plusieurs jours avant de se remettre de cet appel. Il se retourne vers Jazz. Bon, ben voilà. Elle a rencontré sa mère. Une charmante, élégante et fascinante femme. N’est-ce pas ? Comment ne pas tomber sous son charme, franchement ? “[color:cc71=8181F7]Voilà, c’était ma mère…” Oui, vaut mieux préciser, si jamais Jazz ne l’avait pas compris. Non parce que quand on entend ce genre de conversation, on pourrait croire qu’il parle avec d'une folle psychopathe qui se soucie de sujets qui ne la regarde pas. Non non, c’est bien de sa mère dont il s’agit. Autant dire qu’elle donne un merveilleux aperçu de la famille Hemingway. Si Jazz pensait que Jared était un cas, elle se trompait. Ils sont tous comme ça dans sa famille. Quoique son grand-père est plus calme. En fait, il n’entend pas grand-chose, ce qui limite les conneries. Quant à sa grand-mère, elle est toujours en train d’essayer de placer des mots en verlan au mauvais endroit, sans en comprendre le sens. Mais ils sont gentils, promis ! Ils ne la mangeront pas. Bon, peut-être qu’ils la tripoteront pour vérifier qu’elle est bien là. Peut-être qu’ils lui poseront plein de questions en même temps. Peut-être. Jazz arrivera à gérer, n’est-ce pas ? Vu la manière dont elle s’est débarrassée de sa mère, il ne se fait pas de souci. Il lève un sourcil interrogateur. “T’as toujours envie de la voir ?” Elle a le droit de répondre ‘non’. Elle a même le droit de prendre la porte, en courant. La fuite, c’est ce qui semble être le plus normal et logique à ce moment précis. Il serait triste, il commençait à s’attacher. Toutefois, il ne pourrait pas lui en vouloir. Si lui-même pouvait fuir, des fois, il le ferait. Sauf qu’il aurait toujours un sms de sa mère sur son téléphone. Message qu’il devra décrypter pendant dix minutes. Message qu’il ne comprendra jamais. Message auquel il répondre ‘ok’, sans savoir à quoi il dit ‘ok’. L’histoire de sa vie.
Elle est toujours sur le canapé. Soit elle est choquée (et on la comprendrait), soit elle réfléchit à la meilleure manière de quitter les lieux discrètement (on le comprendrait encore plus). Il reste debout, loin d’elle. Faudrait pas qu’il la fasse fuir. Un conseil, Jazz, ne passe pas par la fenêtre, l’escalier de secours est trop loin. La porte reste la meilleure solution. Attention à ne pas glisser sur les pantoufles de la vieille voisine de droite quand tu sortiras. Elle a tendance à se déshabiller n’importe où et à laisser traîner ses affaires. Une fois, il l’a croisée au niveau des boîtes aux lettres, en train de ramasser ses lettres, seins à l’air. Ce fut la pire vision du monde, avec celle de Madame Hill et de Monsieur Wilson, nus dans une voiture. Ils avaient soixante-dix ans. Il en a fait des cauchemars pendant des jours. “Je suis désolé pour tout ça. Elle est toujours très… comment dire ? Chiante, collante ou bavarde, j’sais pas trop. Mais je crois que tu lui as bien plus. Aucune de mes exs n’a osé lui parler comme tu l’as fait.” Et après, sa mère se plaignait de sa crise d’adolescence. Mais avec une mère pareille, comment on peut espérer avoir une adolescence normale ? A chaque fois qu’il ramenait une petite-amie à la maison, sa mère les arrêtait pour discuter des contraceptifs. Le pire, c’était APRÈS. Oui, parce qu’elle ne s’arrêtait pas. Elle attendait qu’ils aient fini et qu’ils redescendent pour leur demander si ils avaient bien suivi ses recommandations. Les adolescentes qui fuyaient après ces discussions étaient nombreuses. Il a essayé de lui expliquer qu’elle pourrissait toutes ses relations. Tout ce qu’elle trouvait à répondre, c’était “mon fils ne peut pas sortir avec n’importe qui. Si elle n’a pas le courage de supporter ta pauvre mère, c’est qu’elle n’est pas la bonne”. Ensuite, Jazz est arrivée. La première a vraiment se dresser contre sa mère. Il semblerait qu’elle lui ait même fait une bonne impression. Pour ça, Jared ne peut réprimer un sourire de fierté. Hey ! Il a enfin trouvé la copine qui plaît à sa mère. C’est pas magnifique ? Le sourire disparaît au profit d’un regard inquiet. “Quand je dis ‘aucune’, c’est pas comme si j’en avais eu une centaine, hein. Faut pas de te donner l’impression que j’ai une expérience de fou… Simplement, je vis, je fais des expériences, je…” Mais qu’est-ce qu’il raconte, bordel ? Tais-toi, Jared ! Si ta mère ne l’a pas fait fuir, c’est toi qui est en train de la pousser vers la sortie, là ! Il pousse un soupir. Faudrait qu’il apprenne à penser. Ouais, penser. Pour une fois. Ce serait vraiment chouette qu’il utilise ce qu’il a dans son crâne. Pour éviter d’effrayer Jazz. Pour se comporter comme un adulte normal. Pour réfléchir. “... je vais me taire, ça vaut mieux.” Il s’effondre sur le fauteuil, installé en face du canapé. En fait, ça fait beaucoup de choses à gérer en une seule journée. L’accident. La vitesse. La presque mort de Jazz. Leur première fois ensemble. Le mur dans la tronche. L’appel de sa mère. Et il a faim. Très faim. Ça doit être pour ça qu’il dit des conneries. Oui, bien sûr ! Il dit toujours des conneries quand il a faim. Et quand il s’ennuie. Et quand il est avec des amis. Et quand il travaille. Et quand il écrit. Et… dès qu’il ouvre la bouche, en fait.
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
C
’était sa mère, oui. C’était le haut-parleur qui lui servait de mère, plutôt, et Jazz comprenait finalement pourquoi Jared n’en parlait pas, pourquoi il n’y allait pas tous les week-end ou ne la présentait pas, même après trois mois. Il y a un avantage à sortir avec une orpheline : le coursier ne serait pas confronté aux reproches paternels. Pas sûr, cela dit, qu’il vive mieux le regard sévère de Bobby Drake ou les tests débiles de l’équipe Bravo. « T’as toujours envie de la voir ? » Là, tout de suite, elle n’en sait rien. Elle n’est pas convaincue de pouvoir se tenir correctement fasse à la mère, elle pourrait la vexer, la contrarier, lui rabattre le caquet, lui faire comprendre que son fils n’a pas besoin d’un fauve surprotecteur pour faire sa vie - et que, bordel, on ne parle pas de sexe comme on parle d’une recette de crêpes. Il reste loin d’elle et la pauvre fille en t-shirt trop grand sur le canapé ne sait pas trop quoi dire. Il y a eu beaucoup trop d’émotions pour les dix prochaines années. « Je suis désolé pour tout ça. Elle est toujours très… comment dire ? Chiante, collante ou bavarde, j’sais pas trop. Mais je crois que tu lui as bien plus. Aucune de mes exs n’a osé lui parler comme tu l’as fait. » C’est un reproche ? Elle passe ses mains dans ses cheveux, elle baisse le visage, quelques secondes. Elle a encore fait une connerie, n’est-ce pas ? Madame Hemingway ne peut pas avoir apprécié son insolence, c’est contre la nature même de son rôle. Et puis, combien d’exs a eu Jared ? La top-modèle et puis quoi encore ? Une célèbre chanteuse ultra-canon à laquelle elle n’arrivera pas à la cheville ?
« Quand je dis ‘aucune’, c’est pas comme si j’en avais eu une centaine, hein. » Elle se rend compte qu’elle pleure, comme une idiote. Sauf qu’elle ignore pourquoi. Elle ignore pourquoi les larmes coulent, pourquoi ça roule sur ses joues, pourquoi elle se sent aussi perdue. Elle devrait être heureuse, elle devrait être enthousiaste, se réjouir que son charmant petit-ami soit compréhensif et attentionné. Mais non, Jazz ne parvient pas à être aussi positive que lui. « Faut pas de te donner l’impression que j’ai une expérience de fou… Simplement, je vis, je fais des expériences, je… » Jusque là cachée derrière le rideau de ses cheveux, elle finit par relever les yeux vers le jeune homme. De jolis yeux embués par ce qu’elle considère comme de l’ingratitude. C’est ingrat de pleurer alors qu’il fait tout pour la rendre heureuse depuis trois mois. « ... je vais me taire, ça vaut mieux. » Elle n’a pas bien suivi ce qu’il raconte. Pourquoi est-ce qu’il veut se taire ? Elle aime bien le son de sa voix, ça la rassure. Le silence ça l’angoisse beaucoup trop. Ca ne fait qu’augmenter la pression.
Détonation brutale. Les étincelles retombent sur le T-shirt qui s’enflamme brusquement, laissant à peine à Jazz le temps de tenter de l’éteindre, d’appuyer ses mains pour étouffer ce qui menace d’entièrement la dénuder. Super. En plus elle détruit vraiment tout ce qu’elle approche, c’est un miracle que Jared survive depuis tout ce temps. Le flot de larmes redouble. Pourquoi est-ce qu’elle se sent si mal ? Pourquoi est-ce qu’elle a la sensation de tout rater ? C’est plus simple, finalement, de n’avoir pas de vie, parce qu’on évite de faire du mal à ceux qu’on aime. Elle bouge pour aller se réfugier dans les bras du jeune homme. Elle se niche contre lui, à moitié dénudée, complètement désemparée, à répéter des « Excuse-moi, je suis désolée.. » à n’en plus finir. Elle lui dit peut-être qu’elle rate tout, dans ses murmures maladroits. Ca fait trop pour une journée, beaucoup trop.
Comment étaient-ils passés de l’hôpital au lit ? De la normalité à l’absolument improbable ? Comment Jared pouvait-il être parvenu à faire de Jazz autre chose que la petite coincée vivant pour son travail ? Trop de choses se passaient en trop peu de temps. Elle n’avait le temps de réfléchir à rien et malgré cela, elle réfléchissait déjà de travers. Même pas elle n’avait pris le temps d’évaluer cette capacité à figer les objets et les gens. Elle préférait se concentrer sur Jared et sa vitesse, sur ces choses qu’elle savait faire.
Oh mon Dieu, qu’est-ce que… ? Est-ce que c’est ce que je crois que c’est ce qu’il croit que c’est ? (Vous m’avez suivie ?) Des larmes ? Elle PLEURE ? Alerte rouge. Alerte rouge. Je répète : alerte rouge. Apportez les seaux et les serpillières ! Nous avons un cas grave d’inondation qui approche. Comment est-ce possible ? Il le savait. Il le savait qu’elle ne supporterait pas sa mère. Il le savait qu’il n’aurait pas dû parler de ses conquêtes. Forcément qu’elle allait flipper ! Qui ne flipperait pas devant lui ? Ce Don Juan low cost ! Il a une looongue liste d’aventures et lui, il en parle comme si c’était normal. Pour la petite Jazz, innocente et naïve, ce doit être un choc incroyable. Il n’est pas un prince charmant. Il n’est pas le gars insouciant et inexpérimenté qu’elle aurait pu penser. Il a roulé sa bosse, quoi. Hé ouais ! Il a su saisir des opportunités qui se présentaient. Il a su sauter sur des occasions. Et voilà ! Bon, toujours est-il que môsieur et son expérience restent couillons devant les larmes de Jazz. C’est la chose la plus horrible qu’il semble voir. Ah non ! Attendez, c’est l’explosion qui est la pire chose qu’il n’ait jamais vu. Il vient de sursauter dans son fauteuil. On peut toujours compter sur Jared pour vous protéger du danger. Le super-héros parfait ! Hé oh, j’aimerais quand même vous y voir ! L’explosion rappelle celle du café, quand le gars a amorcé sa bombe. POUF ! Ses voisins vont croire à une attaque terroriste et ils vont se mettre à flipper. Alors que c’est juste sa petite-amie. Bienvenue dans le monde réel, les amis. OH BON SANG ! Elle brûle ! Oui, elle brûle ! L’extincteur, où est l’extincteur ? Il l’avait rangé là, l’autre jour… BORDEL DE BIQUETTE ! Il en a fait quoi ? Pas le temps de chercher, Jazz a éteint les braises et elle est venue se réfugier tout contre lui. Le fauteuil ne lui a jamais semblé si étroit et chaleureux en même temps. “Excuse-moi, je suis désolée..” Elle s’excuse pour quoi ? Pour son tee-shirt ? Bwoooorf, il en a plein d’autres ! Et de toute manière, le style destroy est revenu à la mode. Enfin… je crois. Je ne suis pas sûr. Faudrait vérifier. Et quand bien même, elle ne porte pas le seul tee-shirt qu'il possède. Il ne risque pas de lui voler sa robe, qu’elle ne s’inquiète pas ! Il a encore une dizaine de pulls dans son armoire. Et quand VRAIMENT il n’aura plus le choix, il se rabattra sur le topless. Hum ? Non, Jared assume sa poitrine. Pas de pudeur, chez lui ! Et au moins, il n’aura pas de traces de bronzage. À New-York ? Oui, bien sûr qu’il y a du soleil, des plages et des palmiers. Mais ouiiiii, puisque je vous le dis. “Euh… okay…” Comment est-ce que l’on peut sortir autant de larmes d’un si petit corps ? Il ne la pensait pas capable de pleurer autant. Pas la super espionne qui botte les fesses des méchants et qui refuse les cafés des inconnus. Pas la femme qui n’hésite pas à remettre en place sa mère et qui flirte avec lui par commentaire interposé.
Et pourtant, ils en sont là. Les larmes qui coulent sur les joues de Jazz. Le nez humide enfoui dans son cou. Il a loupé un truc. Forcément qu’il a loupé un truc. Sinon, comment est-ce qu’ils en seraient arrivés là ? Doctissimo, à l’aide ! Y a pas une histoire de chute d’hormones après le sexe ? Une connerie d’après-coup ? Un médecin, il lui faut un médecin ! Et ne reste pas les bras ballants, Jared ! Resté immobile depuis qu’elle s’est réfugiée contre lui, il se décide enfin à l’entourer de ses bras. Okay. Une chose est sûre : aucune femme n’a réagi ainsi après avoir couché avec lui. Alors, il y a plusieurs possibilités : 1/ il a été très mauvais et elle a détesté. Elle ne sait pas comment le lui avouer et elle se sent terriblement mal. 2/ il a été tellement bon que l’émotion la submerge et qu’elle n’arrive pas à gérer (Jared penche pour cette possibilité, on se demande pourquoi). 3/ elle s’en veut d’avoir explosé son ampoule et son réveil. Alors, elle essaye de l’attendrir en pleurant. 4/ elle n’a pas supporté qu’il veuille finir les lasagnes et elle lui fait un caprice. 5/ elle est choquée par la liste de ses anciennes petites-amies et elle complexe de n’avoir pas eu d’expérience avant. Pas de problème ! Jared n’a jamais eu d’amis parmi les héros, elle est sa première. Il réagit bien, lui ! Et puis, lui aussi a été le dernier de sa classe à savoir faire ses lacets. Par contre, il a été le premier à avoir un zéro en mathématique. Ces trucs, c’est incompréhensible, même en trichant ! Laquelle de ces possibilités est la bonne ? Dommage que son téléphone ne soit pas à portée de main, il aurait bien passé un appel à un ami. A quel ami, hein ? Il n’a pas d’expert en “crise de larmes intempestive de petite-amie explosive”. C’est trop complexe comme problème. OUUUU ALORS ! Elle essaye de le noyer avec ses larmes. Opération laborieuse et pas discrète du tout, si vous voulez mon avis. Vous ne le voulez pas ? Bon okay, je me tais. “Tu sais, quand quelque chose ne va pas, on en parle, en principe.” Il finit par se frayer un chemin au milieu de ses cheveux roux. Youhouuuu ? Y a quelqu’un ? Ah oui, il y a des yeux. De jolis yeux rougis par les larmes. Il frôle ses joues du plat de sa main. Sourire doux sur les lèvres. Il essuie délicatement les larmes qui se faufilent sur sa peau. Elle le prend au dépourvu. Elle n’aurait pas pu prévenir ? Prendre rendez-vous ? Il l’aurait su, il se serait préparé un minimum et aurait cherché sur internet comment gérer les crises de l’arme d’une ninja. Bon okay, c’est une surprise, mais il essaye d’être le plus mature et le plus rassurant possible. Ce n’est pas en parlant de mariage et d’achat de maison qu’il va la réconforter. Il aurait plutôt tendance à la faire flipper. Sur quel fou est-ce qu’elle serait tombée ? “Quand j’étais petit, ma mère (oui, encore elle) avait une méthode pour chasser tous mes chagrins. Elle me disait de les écrire sur un bout de papier et après, on les faisait brûler au-dessus d’une bougie. Après une tasse de chocolat chaud remplie de marshmallow et un vieux film, tous mes chagrins avaient disparu. POUF ! Envolés, comme par magie !” Woaaaah, quelle belle histoire, Jared. Mais encore ? Faut espérer que tu ne lui racontes pas cette anecdote juste pour te taper la honte ou pour l’occuper. Parce que franchement, on s’en fout un peu, non ?
Elle a clairement besoin d’être consolée, pas qu’on lui raconte des histoires de gamin. Surtout que bon, on est d’accord pour dire que c’est juste à cause du film qu’il ne pense plus à ses histoires, hein ? “Alors voilà ce que je te propose : on va prendre un bout de papier et marquer dessus tout ce qui ne va pas et on le brûle. Ensuite, on va faire un saut dans le magasin d’à côté pour m’acheter une nouvelle ampoule, sinon on va finir dans le noir, et un nouveau réveil. On en profitera pour réfléchir à tout ce qui nous arrive. Et quand on reviendra ici, tu auras retrouvé ton beau sourire.” Baiser furtif sur ses lèvres. Allez, ça va le faire. Hein qu’elle va retrouver son sourire ? Hein qu’elle va de nouveau se la jouer publicité pour le dentifrice ? Il en a besoin. Il n’aime pas la voir ravagée par les larmes. Il n’aime pas l’imaginer malheureuse. Elle ne peut pas être malheureuse. C’est la science qui le dit. Oui oui. Elle a la tête de la fille qui sourit ou qui est trop sérieuse. Pas la tête de la fille malheureuse. NOP ! Impossible ! Il la repousse doucement pour pouvoir se lever. Il glisse ses doigts dans sa main, avant de l’attirer par terre. Il dépose un plaid sur ses épaules pour qu’elle retrouve sa pudeur habituelle (ouais, il a un plaid et alors ? Il aime bien regarder les séries, avec une tisane à la main et un plaid sur les genoux. Il assume). Il récupère deux bouts de papier qui traînent, deux stylos, des allumettes et une vieille bougie d’anniversaire. Une bougie Hulk, s’il vous plait. Quoi ? On fait avec les moyens du bord, on ne juge pas ! Et tout ça, sans super-vitesse. Même si maintenant, il a le sentiment que le moindre geste est fait rapidement. Quoi ? Vous êtes en train de dire que quand il se brosse les dents, il est aussi rapide qu’un grand-père ? Bordel ! Faut vraiment qu’il s’améliore. C’est peut-être pour ça qu’il est toujours en retard… Il se place en tailleur devant Jazz. La bougie entre eux. Bon. Maintenant, il faut éviter de cramer son fauteuil. Ce serait sympa. Et les cheveux de Jazz, aussi. Elle se remettrait à pleurer direct. “Essaye de ne pas faire un roman, j’suis pas sûr de tenir dans cette position pendant trois heures.” Un petit sourire en coin pour essayer de l’amuser. Pour essayer de soutirer une petite lueur d’amusement, au milieu des larmes. Bon sang qu’il déteste quand les gens sont tristes. Il n’est pas fait pour ça ! Il n’a pas suivi de diplômes en maîtrise des larmes appliquées, lui ! Il n’a pas de diplôme du tout, alors qu’on ne l’embête pas avec des sanglots. Par pitié !
Il prend appui sur son genou pour écrire, faisant mine de cacher son papier avec sa main. Faudrait pas qu’elle recopie ou qu’elle arrive à lire ce qu’il écrit ! Vous imaginez, elle met la même chose ? NO WAY. De toute manière, elle serait plutôt déçue. Il est en train de dessiner une voiture qui ne ressemble pas à une voiture. Lorsqu’il a fini, il plie soigneusement son papier. “T’es prête ?” Il se redresse pour essayer de voir ce qu’elle rédige. Ouuuh, c'est chaud par-là. Oh, tiens, c'est la flamme de la bougie qui est à quelques millimètres de sa peau. Ouais bon, il n’est pas doué, on ne le changera pas. Il prend un air offusqué, avant de hurler un : “HEEEEEY ! On avait dit : pas un roman, Jazz !” Bon, il faut que je vous le dise. Entre vous et moi. En fait, il ne sait pas réellement si elle a écrit beaucoup ou pas. Mais bon sang, c’est triste de voir ses yeux tout rouges ! Et si ils sortent comme ça, hein ? Ils vont penser quoi, les gens ? Qu’il lui a brisé le coeur ? BEN VOILÀ ! C’est encore bibi qui va prendre. Allez quoi, Jazz, souris un peu. Làààà, en étirant un bout de tes lèvres vers le haut. C’est pas si compliqué que ça !
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
I
l referme ses bras autour d’elle. Il l’enlace enfin et, c’est étrange, mais elle se sent légèrement mieux. Elle continue de pleurer mais il y a quelque chose d’affectueux dans son geste qui lui fait du bien. « Tu sais, quand quelque chose ne va pas, on en parle, en principe. » Sauf qu’elle ne veut pas parler. Elle veut rester là, contre lui et ne plus bouger. Elle resserre même sa prise autour de lui, comme pour compenser son silence à faire frémir un Avengers. Elle pleure et elle ne dit rien. Malgré cela, il lui échappe, il se fraye un passage dans ses cheveux, tel une anguille, sans doute agacé par son mutisme. Evidemment qu’il est agacé, quel autre sentiment pourrait-il ressentir ? La main se pose à plat sur sa joue, l’obligeant à lever ses billes mordorées vers les siennes. Il essuie ses larmes. Elle n’avait jamais vu personne faire ça. Il est gentil Jared. Tellement gentil. « Quand j’étais petit, ma mère (oui, encore elle) avait une méthode pour chasser tous mes chagrins. Elle me disait de les écrire sur un bout de papier et après, on les faisait brûler au-dessus d’une bougie. » Pourquoi est-ce qu’il lui parle encore de sa mère ? C’est un dragon sa mère. Elle va lui arracher la tête, sa mère, si ils restent trop longtemps ensemble. C’est idiot parce qu’elle aurait aimé que ça dure un peu plus mais Jared il a eu des top-modèles dans son lit, une stupide mais canon quand même, sûrement plus douée que la pauvre Jazz. C’est qu’une gamine, pour lui. Il a vécu des trucs qu’elle n’avait fait qu’effleurer. Morte de complexes, elle en pleure de plus belle. Envolés, comme par magie.. elle n’y croit pas mais il est gentil d’essayer.
« Alors voilà ce que je te propose : on va prendre un bout de papier et marquer dessus tout ce qui ne va pas et on le brûle. » Un bout de papier ? Elle a presque envie de lui répondre qu’il va lui falloir un cahier, cependant elle évite, l’écoutant faire le programme de ce qui les attend. C’est vrai qu’ils allaient finir dans le noir, à cause de sa bêtise. Réfléchir à tout ce qui leur arrive lui paraît une bonne idée, même derrière ses yeux embués, même derrière ses interminables cheveux roux. Le baiser furtif a le mérite de dessiner l’ombre d’un sourire sur le visage triste avant qu’il ne l’attire sur le sol. Si elle ne comprend pas exactement ce qu’il fait, elle accepte la chaleur du plaid sans se poser de questions, elle n’a ni envie de réfléchir ni de protester.
« Essaye de ne pas faire un roman, j’suis pas sûr de tenir dans cette position pendant trois heures. » Jazz hoche la tête. Du papier, un stylo. Il lui faut donc écrire ce qui la fait pleurer. Maladroite. Dangereuse. Inutile. sont en substance les mots qu’elle a placé sur le morceau de papier, ainsi que d’autres joyeusetés dont personne n’avait envie de vraiment connaître la réalité. « HEEEEEY ! On avait dit : pas un roman, Jazz ! » Une petite moue. Elle brûle les problèmes, comme il le lui a demandé et elle souffle la bougie, pour qu’il ne se brûle pas, pour qu’il n’enflamme pas le canapé.
« Voilà. » Elle s’agenouille, essuie ses larmes. Elle ne sait toujours pas bien pourquoi elle a craqué, ni si cela va se reproduire mais il a raison sur un point : on ne règle les problèmes que si l’on en parle. « Je.. Jared, j’me sens idiote. Y a rien qui fonctionne comme je le voudrais et .. je suis pas douée, t’as eu des filles superbes et.. » Et quoi ? Et elle n’arrive pas à leur cheville ? Et son inexpérience la fait complexer ? Bien sûr, Jazz exagère un peu mais elle n’a pas eu une éducation classique, elle a toujours pris soin de fuir l’attachement, fuir tout ce qui pouvait la pousser à sortir de sa zone de confort. « T’as une vraie vie et une famille alors que j’ai rien à t’offrir. Tu vas lui dire quoi à ta mère ? Que tu sors avec une agent secret dangereuse qui pourrait te tuer ? J’ai des pouvoirs depuis mes treize ans et je n’ai pas fait le quart de ce que tu fais toi pour aider les gens. J’suis pas une héroïne et j’ai rien d’une Black Widow, Jared. J’ai jamais eu le courage de devenir quelqu’un. » Etrangement l’extérioriser lui fait du bien, ça enlève un poids sur son petit coeur tout contrarié. Si elle n’ose pas croiser son regard, au moins elle ne pleure plus.
Dans la vie, il y a trois choses horribles. Les attentats. Les brocolis. Et les inondations de larmes. Jared n’est pas fait pour les gérer. Il est la bonne humeur. Il est le sourire, le rire. Il est l’enthousiasme. Il est la joie. Tout le contraire des larmes. Vous le verrez très rarement pleurer. A la fin de Titanic. Après une bonne blague bien bidonnante. Pas dans d’autres circonstances. Okay, si il est la joie de vivre, il devrait être capable de tirer Jazz dans son monde. Sauf que étrangement, plus il l’attire dans son univers, plus elle pleure. C’est pas contradictoire ? Et il flippe. Bon sang qu’il flippe. Les larmes, c’est un truc qu’on sort quand on est triste, qu’on a peur et qu’on est touché. Les larmes, c’est un truc qu’on ne contrôle pas. Alors, ça le fait flipper, oui. Parce qu’il ne comprend pas. Il a été sympa avec elle. Il la fait entrer dans son appartement. Il a commandé de la nourriture à profusion. Il n’a rien fait pour déclencher cette inondation lacrymale. Quoique… il a été trop gentil, peut-être ? MON DIEU ! Oui, bien sûr que c’est ça. Elle a l’habitude d’être maltraitée et frappée dans son boulot. Elle trouve peut-être du plaisir que quand elle souffre ? Il faudrait qu’il fasse quoi ? Qu’il la blesse ? NOOOOON. Impossible. Il ne fera pas ça. Jamais. Il a eu son lot de femmes complètement déjantées qui lui demandaient de la gifler ou de l’étouffer avec un oreiller. Ça a le don de le faire fuir. Parce que vous imaginez ce qu’elles vont demander après ? Qu’on leur découpe un orteil, qu’on leur arrache un ongle, qu’on leur épile les poils du dos. Qui voudrait faire ça ? Pas Jared ! Donc non, y a pas moyen. Désolé, Jazz. Va falloir se contenter d’un Jared doux et attentionné. Entre ses mains, elle se transforme en une poupée malléable. Elle se laisse faire. Sans parler. Juste pleurer. Encore et encore. Elle va inonder son appartement, si elle continue. Faudrait penser à sortir un truc pour éponger. Histoire d’éviter les dégâts des eaux et de noyer le voisin du dessous. Il l’observe en train d’écrire soigneusement quelques mots. De sa plus belle écriture. Ouais, dans sa tête, Jazz a une belle écriture. Lisible, fluide et belle. L’écriture de la femme parfaite, quoi. A sa tête, il peut même deviner qu’elle est une élève modèle. Il n’y a qu’à voir l’application qu’elle met à écrire sur un bout de papier pour un truc qui ne fonctionnera pas. Attendez… dites-moi qu’elle a compris que ça ne fonctionnait pas ? Faudrait pas qu’elle ait l’impression qu’en brûlant tous ses problèmes, tout s’arrange. Imaginez qu’elle se mette vraiment à brûler les problèmes ? Ce gars l’emmerde ? Pas de problème. Brûlé ! Cette chaussure n’est pas facile à mettre ? Okay. Brûlée. Enfin, je me trompe de personne. Jazz est plus intelligente que Jared. Si lui a compris (dix ans après) que ça n’était pas une méthode efficace, elle a dû le saisir aussi. Finalement, elle repose le stylo. Elle place son papier juste au-dessus de la flamme. C’est parti. Il l’observe faire. Surveillant ses réactions. Détaillant ses traits. Les larmes continuent à couler. Imperturbables. Bordel ! Elles ne peuvent pas sécher ? Il va lui foutre des lingettes absorbantes sous les yeux, le problème sera réglé une bonne fois pour toutes. Vous allez voir ! “Voilà.” Il esquisse un sourire. Oui, voilà. Alors, ses chagrins ont disparu ? Ses peines se sont envolées ? On ne dirait pas. Elle est toujours noyée par les larmes, même si elle les essuie.
Une chose exceptionnelle se passe. Le silence. Dans son appartement. Un truc qui n’arrive jamais. Un truc qui était impensable jusqu’à aujourd’hui. Il s’arrange toujours pour qu’il y ait du mouvement, du bruit, du son chez lui. Une façon de ne pas sursauter au moindre grincement de parquet. Une façon de ne pas attraper un couteau de cuisine dès qu’on sonne à sa porte. Hein ? Parano ? Peureux ? Du tout ! Il est prévenant. Il anticipe les dangers. On ne vit pas dans un monde de bisounours, messieurs dames ! Mais là, avec une Jazz qui essaye de surmonter toutes ses émotions, Jared n’a pas le coeur de combler le vide. Il attend. Sans gigoter dans tous les sens. Sans faire de connerie. Deux miracles en moins de cinq minutes. Incroyable. Il ne faudrait pas tout gâcher avec une chute de Jared. “Je.. Jared, j’me sens idiote. Y a rien qui fonctionne comme je le voudrais et .. je suis pas douée, t’as eu des filles superbes et..” Aaaaah ! Donc, c’est ses petites-amies. Enfin, ses anciennes petites-amies. Sinon, on a l’impression qu’il a un harem caché quelque part dans New-York. Non, ce n’est pas le cas ! Ne lui lancez pas des pierres, hé oh ! Il savait qu’il n’aurait pas dû parler de ses exs. C’est toujours un sujet délicat. Alors, si en plus, il en parle avec une personne qui a zéro expérience, autant dire que c’est le Niagara des larmes. Preuve en est : Jazz. Quel crétin ! Il aurait dû se taire. Il aurait dû tourner sept fois sa langue dans sa bouche. Il aurait sûrement perdu le compte à quatre et aurait dû recommencer trois fois. Il aurait sûrement eu l’air très con en le faisant. Mais au moins, il aurait eu le temps de réfléchir et d’oublier ce qu’il avait à dire. “T’as une vraie vie et une famille alors que j’ai rien à t’offrir. Tu vas lui dire quoi à ta mère ? Que tu sors avec une agent secret dangereuse qui pourrait te tuer ? J’ai des pouvoirs depuis mes treize ans et je n’ai pas fait le quart de ce que tu fais toi pour aider les gens. J’suis pas une héroïne et j’ai rien d’une Black Widow, Jared. J’ai jamais eu le courage de devenir quelqu’un.” Gné ? Qu’est-ce qu’elle essaye de lui faire comprendre ? Elle essaye de le faire fuir ? Okaaaay. Il a connu des techniques plus subtiles pour rompre. Même un simple sms lui aurait suffi. Il aurait compris. Okay, sa mère est effrayante. Okay, il a un taudis comme appartement. Mais bon, il embrasse bien, non ? Et il choisit bien la nourriture au restaurant ! Ça, elle ne peut pas le nier ! Rien que pour ça, elle devrait rester avec lui. De toute manière, soit elle décide par elle-même de rester, soit il la séquestre. Donc comme ça, c’est sûr qu’ils resteront ensemble. Niark niark. Il paraît qu’il est un fétichiste et psychopathe. Un peu plus, un peu moins, on ne verra pas la différence. En plus, il serait temps qu’il justifie ces rumeurs. Jazz est l’occasion parfaite ! Bon, il la foutrait où ? Pas dans sa salle de bains. Trop dangereux, le coup de la tringle du rideau de douche. Par contre, si il l’accroche à la porte d’un placard… Sérieusement, Jared, concentre-toi un peu. Elle flippe. Elle n’a pas besoin d’être enfermée. Il pose la bougie Hulk sur la table basse pour se rapprocher de Jazz.
Par où commencer ? Il n’est pas doué pour rassurer. Il n’est pas doué pour chasser les larmes. Il est doué pour très peu de choses, finalement. Mais il ne peut pas lui faire un bisou sur la joue et lui proposer un bol de céréales. On ne console pas Jazz de cette manière. Il se gratte l’arrière de la tête. Trouver les bons mots est le plus difficile. Il n’est pas un orateur. Il n’est qu’un tas de muscles destiné à livrer encore et encore. On ne lui demande pas de réfléchir. On ne lui demande pas de penser. Quand on y réfléchit, les seules fois où il pense, c’est sur son vélo et dans le bureau de son patron. Il pense à la meilleure manière de glander, d’optimiser son temps, de se mettre en retard. Il pense aussi à quoi ressemblerait son patron avec une perruque de clown et une chemise fluo. Mais ça, il ne l’avouera jamais. “Écoute, Jazz… je ne sais pas quoi te dire. Si ça n’a pas marché avec les femmes d’avant, c’est bien pour une raison. Et si j’avais voulu une top-model, j’aurais laissé tomber au premier ‘non’ de ta part.” Il peut se lancer dans une liste complète de toutes ses conquêtes et détailler les raisons de la rupture, si elle le souhaite. Elle découvrira l’existence de Lucy qui avait un rire affreux (non pas ce que ce soit une raison de se séparer), de Juliet qui lui piquait des crises de jalousie dès qu’une femme traversait devant lui, de Lisa qui voulait tout le temps coucher avec lui (à un moment donné, Bébé Thor a dit ‘stop’ et elle n’a pas apprécié), de Jill qui avait tendance à foutre ses petites culottes partout (ils en sont venus à jouer à “où est le shorty rose fluo ?” Réponse : dans le paquet de céréales). Bref, Jazz verra qu’il n’y en avait aucune qui était saine d’esprit. Aucune qui n’était à sa hauteur. Aucune qui ne le rendait parfaitement heureux. Il y a eu des relations sérieuses. Il y a eu des aventures. Il y a eu de tout. Mais à aucun moment, elle ne peut être complexée par la vie qu’il a. “Et si j’avais voulu une femme normale qui ne m’attire pas des ennuis, je me serais enfui en courant à la minute où j’ai su ce dont tu es capable.” Sourire en coin. Il attrape sa main. Il entremêle leurs doigts. Ils ont des années de différence. Une différence suffisante pour mener deux vies différentes. D’ici ses vingt-six ans, elle pourrait se laisser pousser la moustache, elle pourrait se teindre en rose, elle pourrait se faire tatouer des conneries, elle pourrait manger du chinois pendant cinq mois. Bref, elle a encore une vie de folie ! Elle peut devenir quelqu’un. Elle peut devenir la femme qu’elle veut être. Elle a un super maître pour l’accompagner dans cette quête. Qui ça ? Mais Jared, voyons ! “Tu es une femme extraordinaire et j’dis pas ça juste pour ton pouvoir ou tes cheveux. Je le dis parce que tu as une vie folle avec des tooonnes d’anecdotes à raconter… Tu imagines ta tête de tes petits-enfants quand ils sauront que mamie Jazz a été copine avec Iceman ou qu’elle a joué avec Shadowcat ? J’veux dire qui ne rêverait pas d’une grand-mère aussi cool ?!” Il en aurait voulu une comme ça ! Sa grand-mère lui racontait (et lui raconte encore) ses histoires de pêche et de flirt en pleine boum. Terriblement intéressant et fascinant, n’est-ce pas ? Attendez, vous n’avez pas encore entendu les histoires de son grand-père. Lui, c’est plutôt la pousse de ses haricots et de ses courgettes dans son potager. Ouais ouais. Il n’est pas rare que Jared s’endorme au téléphone pendant ces monologues. Chuuuut, faut pas le dire ! “Tu n’es peut-être pas quelqu’un, mais tu as toute la vie pour le devenir. Tu peux même commencer maintenant !” Changer, c’est probablement le seul truc gratuit sur cette planète. Vous savez qu’au Danemark, même l’eau du robinet est payante dans les restaurants ? Ces voleurs ! Bref, autant profiter maintenant de la gratuité de sa vie. Avant que les entreprises ne se mettent à faire des promotions sur les changements de vie.
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
E
lle a besoin de son contact. Elle l’ignore mais elle a besoin de sa peau, de son affection. Lorsqu’il entremêle ses doigts aux siens, Jazz relève le nez, légèrement, plongée dans une sorte d’incompréhension. Comment Jared peut-il s’intéresser à elle ? Comment Jared a pu la regarder ? « Tu es une femme extraordinaire et j’dis pas ça juste pour ton pouvoir ou tes cheveux. Je le dis parce que tu as une vie folle avec des tooonnes d’anecdotes à raconter… » Est-ce qu’il aurait vraiment abandonné, juste pour ne pas avoir d’ennuis ? Non. Evidemment que non. Elle ne sait pas pourquoi elle s’angoisse comme ça alors que les trois mois précédents s’étaient déroulés avec un naturel déconcertant. « Tu imagines ta tête de tes petits-enfants quand ils sauront que mamie Jazz a été copine avec Iceman ou qu’elle a joué avec Shadowcat ? J’veux dire qui ne rêverait pas d’une grand-mère aussi cool ?! » Une grimace. Ses quoi ? Elle n’aura pas de petits-enfants. Elle n’en aura pas parce qu’elle ne veut pas d’enfants, elle ne veut pas de ces trucs qui bavent et courent partout, parfaitement intenables. En plus, un Jared ça court bien assez pour ne pas devoir gérer des bébés avec des couches sales. Non vraiment, pas d’enfants. Sa vie est assez compliquée comme ça. « Tu n’es peut-être pas quelqu’un, mais tu as toute la vie pour le devenir. Tu peux même commencer maintenant ! » Le visage lui indique que ça n’est pas possible. Il ne sait pas, lui. La croit-il libre ? On ne se détache pas du SHIELD comme ça. On ne quitte pas ce genre de carrière. Et puis que ferait-elle ? Elle ne pouvait rien faire de ses mains, elle n’était douée pour rien. Jazz n’était qu’une gamine destructrice qui se considérait comme incapable d’aider réellement, pas sans blesser, pas sans risquer des vies.
« Quand.. quand j’étais plus jeune, je voulais être comme eux. Comme les X-Men. » Ca lui fait bizarre, de le dire à autre voix. Ca lui fait bizarre d’extérioriser un désir qu’elle avait si peu exprimé, qu’elle n’avait pas vraiment matérialisé dans son esprit de gamine enthousiaste devant l’héroïsme d’Iceman. Il lui avait sauvé la vie et elle avait si souvent voulu faire pareil. « M’abonner à ton blog, c’était un peu suivre leurs aventures, à tous, tu vois ? Puis j’ai intégré l’organisation et.. et tu connais la suite. » Oui, la suite : le néant. Seulement ses collègues comme relations sociales, seulement son travail comme motivation pour se lever le matin. Sacha qui aime pas la paperasse, Raphaël qui comprend pas plus qu’elle, Nathan désespéré. La routine. Rien de très exaltant au final. Il y avait des équipes qui affrontaient de grands dangers pour sauver le monde, eux ils affrontaient leur maladresse pour aider des mutants et ils y parvenaient Dieu seul savait comment.. mais au moins elle n’était pas exclue du système, jamais très loin de la X-Mansion. Jamais très loin de Bobby et du professeur. « Des fois, je me dis que si je n’étais pas là, ça ne serait pas bien différent. » Elle esquisse un sourire un peu désabusé, de ceux qui disent qu’on ne peut plus rien changer.
Jazz a fini par se pencher, légèrement, pour venir chercher un baiser. Saveur douce-amère encore teintée de regrets. Comment peut-on avoir des regrets à son âge ? Il faut croire que ses possible. Il ne bouge plus. Encore ? Oui, encore ! Elle soupire, relâche ses lèvres en se disant qu’elle aurait très bien pu finir la langue bloquée comme ça. Charmant. Le cercle lumineux dans ses billes mordorées est bloqué, signe d’activation ou de dérèglement total. Fallait vraiment que ça tombe sur elle ? Elle se redresse, entreprend de mettre des assiettes sur la table. Combien de temps ça dure, ce délire ? Bon. Elle fait chauffer un plat, il doit avoir faim. Il va bien se remettre en mouvements, tôt ou tard. C’est sûr que vu comme ça, c’est elle qui semble aller super vite ! Préparatrice de bouffe express. Même les tic tac de la montre ont dû s’arrêter. Une vraie cata cette fille !
Tiens, il a bougé les paupières. « A table. » lui dit-elle, indiquant par la même occasion qu’elle est dans son dos, qu’elle n’a pas pris la fuite, qu’elle n’a pas détalé sans rien dire. Quoi, Jared ? T’as cru que t’allais t’en débarrasser aussi vite ? Tu rêves ! « Et t’as une notification. » Parce qu’avec sa crise de larmes stupide, il n’a même pas vu le petit mot de Sparks. Correspondant ingrat, vous avez vu ?!
Ben quoi ? Il a dit une connerie ? Elle ne peut pas changer de vie ? OH GOSH. Elle est séquestrée ! Elle a un contrat à vie avec son organisation, du genre “tu veux devenir un civil normal, okay, mais on te tue avant” ? Elle est enchaînée à vie à son travail, il comprend maintenant. Pas de problème ! Y a pas d’obstacle qui pourra arrêter Jared. Il va la cacher dans son appartement. Personne n’en saura rien. N’est-ce pas ? Si ses voisins entendent du bruit en journée, il dira que c’est sa tante Harriet qui a débarqué pour faire le ménage de son appartement. D‘ailleurs, Jazz, si tu pouvais participer aux tâches ménagères, ce serait vachement appréciable. Surtout que tu vas sûrement passer de plus en plus de temps ici. La vaisselle, le repassage (pitié, le repassage ! Il serait capable de se cramer tous les doigts avec un fer), le balayage, le récurage… Ah oui ! Le nettoyage de la salle de bains (zone dangereuse pour un Jared maladroit). Parce qu’il est sympa, il s’occupera de la lessive. Vous saviez qu’il est un artiste de la lessive ? Il créé des oeuvres. Si, j’vous jure ! Un peu de rouge, un peu de blanc et pouf, il obtient une oeuvre d’art ! Une création textile dotée de couleur unique. Il est véritablement doué ! Si elle en a marre de son chemisier blanc, il peut le colorer avec du bleu, du gris ou du rose. A elle de choisir. Alors ? Non ? ROH ! Même pas drôle. Alors, il la laisse jouer les espionnes jusqu’à en mourir. NAH ! Bon, peut-être pas. Elle aurait dû travailler comme coursier. Jared est sûr de pouvoir partir n’importe quand. Même son chef peut le décider pour lui. Ben oui, il pourrait se faire licencier, le petit. A force d’être en retard, il y a bien un moment où son patron en aura marre. Remarque, les candidats à son poste doivent être rares. Qui aimerait passer sa journée à vélo pour un salaire misérable ? Pas grand monde. Concentrons-nous sur la problématique. Elle n’a pas l’air très motivée à l’idée de quitter son job. Okay, mais en tant qu’espionne secrète, elle fait des choses bien. Elle veille à la sécurité de leur pays. Elle s’assure de protéger les gens. Elle a un rôle essentiel, non ? Ne me dites pas qu’elle se tourne les pouces toute la journée et qu’elle s’occupe seulement de taper les comptes-rendus ennuyeux ? Si c’est le cas, un mythe s’effondre. Y a pas grand-chose d’héroïque à taper sur des touches, faut l’avouer ! Je sais, ça briserait le coeur de Jared, mais c’est la vérité ! Après, je ne dis pas, peut-être que Jazz sauve son supérieur quand elle tape un rapport de vingt pages en cinq minutes, sans fautes. 1/ Ce n’est pas humainement possible 2/ Elle évite juste que son chef se fasse disputer. 3/ Je n’en ai pas. “Quand.. quand j’étais plus jeune, je voulais être comme eux. Comme les X-Men.” HA HA ! Il le savait ! Elle a rêvé. La petite Jazz a eu des rêves. La petite Jazz était un enfant comme les autres. Elle voulait devenir une X-Woman. Comme la moitié des gamins de cette planète. Même si Captain America et compagnie ont tendance à remporter la mise. Ils sont plus célèbres et ont des actions plus couvertes médiatiquement, mais les X-Men sont quand même les plus badass. Vous avez vu ce qu’ils savent faire ? Storm est capable de vous exploser la gueule avec la foudre, excusez-moi du peu ! Certes, Hulk peut arriver au même résultat avec un bon coup de poing dans le nez. Je ne dis pas le contraire.
Jazz aurait pu en faire partie. Elle n’a pas le gêne X, mais elle a été élevée à leurs côtés. Pourquoi est-ce qu’ils n’auraient pas pu faire une exception pour elle ? Ils font des tests d’entrée ou quoi ? Un test urinaire, un test de contrôle et un test génétique ? Ils demandent aussi de savoir loucher et de compter à l’envers à partir de 1000 ? Parce que sérieusement, personne ne se serait posée la question en voyant Jazz débarquer lors d’une altercation. Faut être sérieux cinq minutes ! Je saiiiis, sérieux n’est pas possible pour Jared. Mais un peu d’ouverture d’esprit. Il peut y arriver ! En se concentrant très très fort. En éteignant son cerveau. En pensant à un gros plat de gratin de pâtes. En fixant son regard uniquement sur Jazz. Elle aura peut-être l’impression d’être dévisagée, d’avoir un truc sur le visage ou d’avoir dit une grosse connerie. Mais pas du tout ! Il aura juste la tête d’un psychopathe. Elle ne s’en effrayera pas, hein ? Dis qu’elle n’aura pas peur ! Il ne veut pas la perdre parce qu’il a une tête de psychopathe. Ce serait carrément con. Mais compréhensible. Mais con. Mais compréhensible. Mais… oui, bon, on a compris, merci. “M’abonner à ton blog, c’était un peu suivre leurs aventures, à tous, tu vois ? Puis j’ai intégré l’organisation et.. et tu connais la suite.” Pas vraiment. Qu’est-ce qu’il connaît de sa vie ? Il ne sait même pas vraiment quel métier elle fait. Il la voit comme une espionne héroïque, dangereuse et badass. Il la voit comme une femme extraordinaire. Mais ça se trouve, elle passe ses journées avec un filet dans les cheveux à cuisiner avec les mecs de son équipe. Ça se trouve, elle s’occupe simplement de nettoyer les armes après qu’elles aient servi. Il n’en sait rien ! Il n’a pas idée des responsabilités qu’elle peut avoir. Il n’a pas conscience des exigences et des restrictions de son boulot. Il sait juste qu’elle court après les mutants. Voilà voilà. Lui aussi, il court. Il court après les livraisons et les clients. Mais ce n’est qu’une partie de son boulot. “Quoi ? T’es mariée à ton job ? A la vie, à la mort et tout ça ?” Pendant cinq secondes, il s’imagine marié à son chef. Vision qui le révulse. Vision qui le dégoûte. NON ! Il ne veut pas être marié avec son supérieur. Affreux. Le mec serait capable de le réveiller en pleine nuit, en lui arrachant le lobe de l’oreille férocement pour que Jared aille faire des livraisons nocturnes. Et puis, imaginer une relation quelconque avec un homme qui porte des chemises jaune poussin et qui se gratte les fesses toutes les cinq minutes, non merci ! “Des fois, je me dis que si je n’étais pas là, ça ne serait pas bien différent.” Laissez-moi réfléchir… Ouais, c’est ça : on pourrait dire la même chose des sept milliards de personnes qui vivent sur Terre. Le mieux, ce serait déjà d’éradiquer tous les cons de la société. Environ… soixante-quinze pour cent de la population. Là, enfin, les gens bien pourraient exister. Évidemment, qui dit moins de cons dit moins de travail pour les héros et donc, moins de chance de devenir quelqu’un. Mais franchement, on s’en foutrait d’avoir un rôle dans le monde si celui-ci allait bien, non ? Ah si ! A la manière des Watchers, il faudrait une personne chargée de tuer tout con qui apparaîtrait. Oh ouais ! Le monde serait tellement meilleur. Quand est-ce qu’on lance l’opération ? Ne répondez pas ‘jamais’, par pitié !
Il retrousse sa lèvre inférieure pour prendre un air boudeur. Après le chien battu et l’idiot de service, veuillez accueillir le boudeur ! Vous ne vous doutiez pas qu’il avait un tel panel de faciès, hein ? Hé bien si ! Il peut même mixer les expressions. Il peut jongler entre les émotions. Il est un caméléon. Il change de face aussi vite qu’il pense et qu’il parle. Il ne s’arrête jamais. Non, ne cherchez pas le bouton on/off. Y en a pas sur ce spécimen. Pour avoir un peu de repos, il faut soit l’assommer, soit attendre qu’il dorme. Et encore, il est du genre dynamique quand il dort. Coup de pied par-ci. Coup de coude par-là. Retournement du corps tel une crêpe. Il n’est pas rare qu’il finisse par terre dans son sommeil agité. Bref, on en était à la face de boudeur. Déjà qu’il a l’air jeune. J’vous dis pas quand il a cette tête. “Qu’est-ce que je ferais sans toi, moi ? Hein ?” Ben oui ! Il n’y aurait plus personne pour le calmer. Il n’y aurait plus personne pour exploser son ampoule. Il n’y aurait plus personne pour brûler ses tee-shirts. Alors, il ferait comment, hein ? Elle a pensé à ça ? Femme cruelle et égoïste ! Elle n’imagine même pas dans quelle merde elle le mettrait, si elle n’existait pas. On omettra le fait qu’il a vécu une vingtaine d’années sans la connaître et que, jusqu’à maintenant, il s’est très bien débrouillé pour détruite ses affaires tout seul. Un peu de maladresse fait toujours l’affaire.
Qu’est-ce qu’il se passe, encore ? Pourquoi il est encore en pause ? AH NON, Jazz ! C’est pas sympa. Après, il digère mal. Il devient grognon. Il boude. Il bugue du cervelet. Non ! Ça suffit de jouer avec lui en le figeant. Trouve-toi un autre jeu ! Chatouille-le, torture-le avec des brocolis, explose tous ses objets préférés, peu importe. Mais pas le figer ! Regarde comme il est ridicule, les lèvres en avant pour cueillir ton baiser. Tu pourrais au moins le figer quand il a une expression plus… plus potable ! Et même pas tu t’excuses ! Espèce de mal polie, va ! ET MERDE ! Il manque de s’écrouler par terre. Il se rattrape de justesse, en plaçant ses mains au sol. Bon sang. Ne recommence pas, Jazz ! Il aurait pu s’éclater le menton sur un meuble. Il aurait s’exploser le nez par terre. On ne se rend pas compte, mais faut pas mettre les enfants comme Jared dans des situations si dangereuses ! Il serait capable de se faire mal avec son propre reflet ! C’est pas tout ça, mais où est-ce qu’elle est ? Il n’a pas rêvé. Elle était là y a trois secondes, en train de l’embrasser. Bon sang. Il devient fou. Il devient complètement cinglé. Il imagine des gens. Attendez, ça veut dire qu’il n’a pas couché avec Jazz ? Et pourquoi il est en boxer dans son salon ? Et cette odeur de nourriture vient d’où ? “A table.” Oh bordel, y a quelqu’un. Quelqu’un dans son appartement. Et même pas il a son couteau de cuisine à portée de main ! Fuck. Il devrait se promener avec un poignard dans sa chaussette, comme dans les films. Il serait capable de se le planter dans le mollet, doué comme il est. Mais, l’avantage, c’est qu’il aurait une arme cachée à disposition pour toutes les situations dangereuses. Comme le gars qui vous dépasse à la caisse. La femme qui pue des pieds dans le bus. Le gamin qui pleure dans le train. Vous voyez ? Il pourrait se débarrasser de tous les gens dangereux.
Il se retourne pour voir Jazz. Elle n’a plus les yeux rougis. Elle a même mis un truc à chauffer. Comment… ? Ils étaient là. La seconde d’après, elle se retrouve dans son dos. Comment est-ce possible ? Il fronce les sourcils. Il n’a quand même pas imaginé le baiser, hein ? Il n’a pas eu une hallucination ou alors, mon vieux, t’es dans un pire état que tu ne le pensais. Pourtant, il n’a pas bu une goutte d’alcool. Il n’a pas consommé de drogue. OH ! Elle l’a drogué ? Bien sûr que oui ! Sinon, comment expliquer ce qu’il vient de se passer ? Il pivote la tête. Jazz. La place libre. La place libre. Jazz. Il doit être sacrément drogué, oui. Mon dieu. Pourtant, il n’en ressent pas les effets. Bizarre, non ?“Et t’as une notification.” Il décroise les jambes. Bordel. Il doit être plein. Genre archi-plein. Enfin pourquoi ça devrait toujours être lui le problème ? Si ça se trouve, Jazz est la raison de tous ses problèmes. Elle se met enfin à dévoiler son vrai visage. Ça commence avec une absence et après, elle va bientôt l’assommer pour pouvoir disposer de son corps comme elle le souhaite. Le violer. Le découper en petits carrés pour en faire des brochettes. Lui congeler sa tête parce qu’elle kiffe son sourire charmeur. Donner les pieds aux chiens abandonnés parce que personne n’aime les pieds. C’est laid, des pieds, vous ne trouvez pas ? “Mais... c'quoi ce bordel... ?” Il ne parle pas de la nourriture qui est en train de chauffer dans le micro-ondes. C’est même une très bonne initiative. Il ne va pas la disputer pour ça, alors qu’il a l’estomac qui gronde. Nooon. Quand la conversation touche à la nourriture, Jared devient étrangement ouvert, tolérant et conciliant. Dès qu’il y a de la bouffe au bout, il peut tout accepter. Encore plus maintenant. Wait ! Cinq secondes. Il ne serait pas enceint ? La faim, c’est une caractéristique de la grossesse, non ? Alors, pourquoi il a toujours faim, hein ? Ca craint ! Comment il va le dire à sa maman ? A ses amis ? A ses collègues ? A son patron ? A JAZZ ?! “Une notification, t’as dit ?” Allez, debout, vieille carcasse ! Vingt-six ans et il a déjà du mal à se remettre sur pieds. Qu’est-ce que ce sera dans dix ans ? Il prend appui sur le fauteuil pour se mettre debout. Il récupère son téléphone quelque part dans son salon. On a perdu le fil de où il était posé. Ah tiens ! Un commentaire sur son blog. Il fait glisser le déverrouillage sur son écran, avant de trouver ledit commentaire. Sparks. Encore elle ! Elle devient lourde, la meuf. Toujours là, à surveiller ses articles et à tout commenter. TSSSSS ! A croire qu’elle n’a que ça à faire ! Elle n’a pas une vie, une carrière d’espionne, un petit-ami ? “Ah tiens, c’est Sparks ! Tu sais qu’elle me drague sur Internet ? Ça en devient presque gênant tellement elle me colle !” Il lève les yeux de son écran, un sourire sur les lèvres. Faut bien qu’il en joue un peu, non ? Il y a une femme qui flirte avec lui et jusqu’à maintenant, il était persuadé qu’elle n’avait rien à voir avec Jazz. Finalement, maintenant qu’il connaît un peu mieux la jeune femme, il entrevoit Sparks. Elle se dévoile tout doucement, derrière sa tonne de cheveux et son hectare de timidité.
Bon, elle raconte quoi, la petite Sparks. Enfin, Jazz. Vous avez suivi, au moins ? Il ouvre le commentaire. « On savait déjà tous que t’étais fou, tu sais ? Pas besoin de le rappeler, tu vas faire peur à tes lecteurs x) Pour une fois, tu racontes ce que les gens vivent vraiment, c’est une bonne chose. Thor pouvait pas venir, il avait sûrement piscine, heureusement que t’étais là ! » PURÉE ! Il le savait ! Il savait que Thor était trop occupé à peigner sa crinière de poney et à patauger dans l’eau pour venir ! Sinon, bien sûr que le dieu serait venu à leur secours. On peut toujours compter sur un Vengeur. Sauf quand il a piscine. La prochaine fois, ce serait bien qu’il fasse ses séances d’aquagym à un autre moment. Genre, quand une bombe n’est pas sur le point d’exploser. Ce serait cool d’y penser, Thortue d’amour. Tu promets de le faire ? Jared étire ses doigts. Faudrait pas qu’il se foule un doigt ! Vous imaginez ? Impossible d’écrire des articles. Impossible de faire du vélo. Impossible de faire brûler son appartement. Jared qui ne casserait pas quelque chose pendant une semaine ne serait pas Jared. Il le vivrait mal. Terriblement mal. Il a besoin de son quota de maladresse pour se sentir bien dans ses baskets. Un verre cassé a le don de lui remonter le moral. Mais ouiiii ! Si vous le voyez triste, donnez-lui une tasse et pouf, elle se casse, il retrouve le sourire. Mieux que toutes les blagues du monde. Moins cher qu’un passage à Disneyland. Il prend un instant de réflexion. Parce qu’il ne peut pas répondre n’importe quoi. Faut pas décevoir ses lecteurs. “Wow, un compliment de Sparks ! Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Dis, tu veux bien me filer le numéro de Thor pour que je lui demande de laisser tomber son bonnet de bain et de rappliquer dans la seconde, la prochaine fois que je suis dans le caca ?” OH GOSH. Il a écrit son message en cinq secondes. Ses pouces ont survolé l’écran, devenant de simples formes floues. Il reste quelques secondes abasourdi par la chose. C’est flippant. Ouais, c’est le mot. Flippant. Et si… il pouvait faire la même chose avec Jazz ? Et merde ! Son pouvoir vient de détruire toute vie sexuelle. Pour une fois qu’il a un pouvoir, faut qu’il soit accompagné d’inconvénients ! MERCI ! Vraiment, merci ! Il met son téléphone dans la poche arrière de son pantalon. Pantalon qu’il n’a pas. Téléphone qui tombe par terre. ROH BORDEL DE CROTTE. Et devinez quoi ? Il y a un bout nouille collé dessus. Son téléphone va sentir la nourriture chinoise pendant trois jours. Miam ! “Je vais m'habiller et te ramener quelque chose pour cacher… tout ça.” De son index, il désigne le trou laissé par les étincelles de tout à l’heure. Cette fois, il va lui choisir un vêtement qu’il ne met presque plus. Au moins, elle lui vide son armoire et il n’a même pas besoin de faire le moindre effort. Quand il revient, il a enfilé un tee-shirt et un jean. Dans lequel il a ENFIN pu mettre son téléphone. Il tend un nouveau vêtement à Jazz.
Il en profite pour prendre deux assiettes et des couverts dans la kitchenette. Ils vont délaisser le canapé ce coup-ci. Histoire de montrer qu’il est peu civilisé, vous voyez ? Même si, entre nous, il passe plus de temps à manger sur son canapé que sur une chaise. Limite, les chaises sont encore neuves. Ce ne serait pas étonnant qu’ils tombent en s’asseyant dessus. Vous savez ? L’histoire de la vis dont on ne ignore l'utilité ? Elle pourrait bien servir à faire tenir les chaises debout. Hé ouais ! On le saura dans quelques minutes. Il se détourne de sa petite table pour croiser le regard mordoré. “Jazz.. j’ai peut-être l’air con comme ça, mais je vois bien qu’il se passe un truc. Soit je deviens fou, soit tu te déplaces super rapidement, soit tu… arrêtes le temps ou un truc dans le genre.” Ouais ! Faut pas se la jouer secret avec lui. Vous savez à qui vous avez à faire ? A l’Inspecteur Hemingway ! Il a le flair d’un chien de chasse. Il a le regard perçant d’un aigle. Il a l’esprit de déduction de Colombo. Y a un truc qui se passe. Il ne sait pas quoi. Il compte bien le découvrir. Quitte à torturer Jazz. Les chatouilles. C’est sa technique de torture préférée. Qui peut résister à un châtiment corporel aussi violent et cruel ? Les chatouilles ne laissent pas la place à la résistance ou à la négociation. Les chatouilles sont intraitables. Elles n’épargnent personne. Alors, Jazz ? Tu te décides à parler ou tu es prête à subir le supplice d’Hemingway ?
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
S
i Jazz est mariée à son job ? Un peu. Beaucoup. Mais c’est le genre de contrat de mariage qui n’est avantageux que pour le mari, parce que si tu le quittes, le SHIELD il te donne pas de pension alimentaire et il te laisse ses ennemis en prime. Du coup, on peut dire qu’elle est liée à la vie à la mort, même si l’équipe BRAVO n’est pas celle qui se trouve en ligne de mire, même si, voilà, personne ne se rendrait sans doute compte de son départ à part Nathan. Oui, il est gentil Nathan. Sa bouteille aussi, elle est gentille. Enfin bref, tout ça pour dire qu’il n’a pas l’air de réaliser, le petit Jared, dans quoi ils étaient en train de s’embarquer, l’air de rien, ni vu ni connu. Monsieur Hemingway avait cette drôle de tendance à la rendre un brin indisciplinée, un brin rebelle, un brin maladroite et un brin inconsciente, et bout à bout ça faisait pas mal de brins. Puis sans elle, ce qu’il deviendrait ? Un mec avec des aventures, ce qu’il était sans doute avant, et un apprenti Super-Héros en purée. Sa tête de chien battu n’a pas trop eu le temps de fonctionner, malgré ses efforts. Figé dans une position encore au top du glamour, il est resté planté là tandis qu’elle entreprenait de faire chauffer de quoi nourrir le morfale. Là, on peut le pardonner, son métabolisme part en cacahuètes. Le temps de trouver comment gérer les dépenses énergétiques et ça devrait aller.
3, 2, 1. « Mais... c'quoi ce bordel... ? » Il a manqué s’éclater le nez. Elle note mentalement de mettre un coussin, devant, la prochaine fois. Il va oublier. Il va se dire qu’il est fatigué ou que c’est un effet secondaire de ses nouveaux pouvoirs et ça ira, ils passeront à autre chose. Voilà, la notification, par exemple. « Ah tiens, c’est Sparks ! Tu sais qu’elle me drague sur Internet ? Ça en devient presque gênant tellement elle me colle ! » Le sourire qu’il lui offre la fait rougir, ce qu’elle cache en allant faire chauffer un autre plat. On ne sait jamais. Sauf que là, en se retournant, Jazz a bien cru que les doigts de Jared étaient possédés tellement c’est allé vite. Sur le canapé, son téléphone émet un bip sonore. Il a rédigé sa réponse en moins de temps qu’il n’en faut pour respirer. « Je vais m'habiller et te ramener quelque chose pour cacher… tout ça. » Un peu sonnée par ce qu’elle vient de constater, comme si elle n’avait jamais vu de speedster en action (ce qui est un peu le cas), elle met un peu de temps avant de réagir, de baisser les yeux sur le trou dans le T-Shirt. C’est malin. Bon. Puisqu’il a enfilé un jean, elle consent à emprunter un autre vêtement trop grand. Elle ne va pas aller se serrer dans une robe sexy pour manger des plats à emporter. Si ? Elle devrait. Ils devaient sortir, non ? Elle verrait plus tard. Elle n’avait pas trop envie d’aller faire le tour de la ville. Il allait trop vite, t’façons. Pourquoi est-ce qu’elle a autant sommeil ?
Elle se surprend à bailler, plaçant une main devant sa bouche. Ooh. Ca tangue. « Jazz.. j’ai peut-être l’air con comme ça, mais je vois bien qu’il se passe un truc. Soit je deviens fou, soit tu te déplaces super rapidement, soit tu… arrêtes le temps ou un truc dans le genre. » Elle ne le considère pas comme con. Elle n’a juste pas eu le temps d’analyser. Elle voulait se concentrer sur Jared, pas sur ce délire de mise en pause. Cela dit, avant toute chose, elle s’assied parce qu’elle a un coup de barre monumental. C’est à dire que, maintenant, elle s’est assez détendue pour que ça aille mieux, pour ressentir l’effet cotonneux de la tendresse. Ouais, Jared il est trop rapide, elle est grave lente.
Il a mis la table et posé ses fesses. La rousse se relève et opte pour aller l’embêter, pour prendre de la place entre ses bras et l’assiette. Elle n’a pas vraiment faim, elle, et elle n’a pas peur de se prendre tout plein de sauce sur le nez. « T’as pas l’air con. Insouciant, pas con. » Elle s’est calée un peu sur le côté, pour qu’il puisse manger et qu’elle puisse rester tout contre son épaule à écoute son.. il est où son coeur ? Pourquoi ça fait pas un boum boum boum régulier, comme les autres ? « Je sais pas ce qu’il se passe. Je.. mets les trucs en pause, j’imagine. Tu vas vite, je ralentis les choses, sûrement. Une bêtise du genre. » Elle a les yeux fermés et elle profite de ne plus stresser, de ne plus se sentir si mal, si tendue, si embarrassée. Elle profite de ce que les couples vivent, quand ils sont normaux et pas psychorigides comme elle. « Mon.. optimisation permet d’accélérer les molécules. Les étincelles et la chaleur, c’est une accélération extrême de ce que je vise. Faudra que j’aille demander à un expert si la suite, c’est un style de ralentissement. » Elle est encore occupée à suivre sa respiration. C’est mieux que compter les moutons. « Ralentir mon petit-ami super rapide, ce serait vraiment le comble. »
Parfois, on oublierait presque qu’il a un cerveau. Si si, je vous assure. Il a tendance à trop faire le con. Mais oui ! Y a qu’à voir quand il fait semblant de ne pas comprendre. Quand il vous regarde dans le vide. Quand il se met à loucher pour un oui ou pour un non. Et puis, faut dire que sa maladresse n’arrange rien. Il est le gars empoté par excellence. Empoté du corps. Empoté du cerveau. Comment une créature pareille peut exister ? La planète Terre n’est pas conçue pour l'accueillir. La planète Terre n’est pas prête. Ni ses habitants. Y a qu’à voir dans son appartement. Tout peut être dangereux pour lui. Vous ne vous rendez pas compte ! Il pourrait tomber du haut de la chaise et se fouler une cheville, embarquer la table dans sa chute, créer un trou dans le plancher et tomber dans l’appartement du voisin en-dessous. Il ne manquerait plus que la chambre du voisin soit pile en-dessous et que Jared finisse dans ses bras. Je ne vous raconte pas la situation embarrassante. Le voisin serait capable de l’embrasser, en pensant qu’il s’agit d’une femme tombée du ciel. Hé non, mon pauvre vieux. Ce n’est que ton voisin du dessus. Tu sais, celui qui fait régulièrement cramer des choses et qui t’emmerde régulièrement avec ses vociférations. Oui, Jared vocifère quand il regarde des matches de basket-ball. Que voulez-vous, c’est la passion, l’amour du sport. Aller lui-même sur le terrain ? Vous voulez qu’il se casse une jambe ou quoi ?! Je commence sérieusement à penser que vous lui souhaitez du mal ! Il ne vous a rien fait, ce pauvre petit. Il a peut-être piqué la dernière frite de votre cornet, il vous a peut-être bousculé, il vous a peut-être percuté. Mais il est gentil ! Regardez, vous voyez bien la gentillesse dans son regard, non ? Même Jazz la voit. Elle s’en rapproche le plus possible en se glissant dans ses bras. Cette femme est un pot de colle. Pire qu’un chiot abandonné qui aurait besoin de toute l’affection du monde. Un chien qui boiterait et qui aurait un aboiement ridicule. Un aboiement qui rappellerait… un canard. OUAIS, voilà. Un chien boiteux avec une voix de canard. Mais Jared n’est pas un sauvage. Il accueille toutes les femmes qui veulent s’asseoir sur ses genoux. Ben oui ! Quand il manque de chaises, il faut bien que tout le monde y mette un peu du sien, non ? Pas de favoritisme, comme ça ! “T’as pas l’air con. Insouciant, pas con.” Insouciant. Ah ben, c’est mieux ! Enfin, il préfère ça que con. C’est plus positif et au moins, ça laisse un espoir. Ben oui ! Un espoir qu’il devienne plus intelligent. Un espoir qu’il puisse faire quelque chose d’utile dans sa vie. Un espoir, quoi. Il ne peut que s’améliorer. Peut-être pas en matière d’adresse, mais au moins, au niveau de l’intelligence. Vous voyez le genre ? Non ?! Vous ne faites pas d’effort, aussi ! Vous voyez au moins que Jazz est limite en train de baver sur l’épaule de Jared ? Rassurez-moi que vous le constatez. Oui ? Merveilleux ! Donc, la princesse commence à s’effondrer de fatigue. Faut dire que la journée n’a pas dû être simple pour elle. Gérer les sept nains qui lui servent de collègues. Chasser les vilaines sorcières qui en veulent à sa vie. Et puis, gérer le prince charmant boulet qui se découvre un pouvoir. Mais heureusement, il est là pour veiller sur elle. Et pour s’assurer que ses cheveux ne finissent pas dans le plat thaï posé sur la table. Quelle idée d’avoir des cheveux aussi long, bordel ! Faut couper, ma petite dame !
Du coup, c’est malin, il n’ose pas faire un geste. De peur de la réveiller. Bon en même temps, il ne kifferait pas non plus si elle se mettait à ronfler. Il doit favoriser quoi ? Le sommeil de Jazz ou sa patience ? Hmm… allez, le sommeil de Jazz. Parce qu’il est sympa. Mais la prochaine fois, c’est elle qui ne dort pas ! “Je sais pas ce qu’il se passe. Je.. mets les trucs en pause, j’imagine. Tu vas vite, je ralentis les choses, sûrement. Une bêtise du genre.” Est-ce que c’est possible de faire plus opposé dans un couple ? Je ne crois pas. Elle aurait pu dire qu’elle préférait le jaune et lui, il aurait dit que le vert est quand même trois fois mieux. Elle aurait pu lui demander de baisser la lunette des toilettes, il aurait oublié de le faire des centaines de fois. Mais non, il a fallu que leur différence touche le pouvoir ! Franchement ! Qui a décidé ça ? Si je le trouve, je lui arrache ses crottes de nez l’une après l’autre et je les lui fais bouffer ! “WOW ! C’est génial ! Et tu penses que tu peux tout figer ? Même les voitures ou genre, un avion ?” Imaginez qu’elle mette tout en pause ! Ce serait pratique si jamais elle arrivait trois secondes trop tard pour prendre son train ou qu’elle voulait faire attendre le bus. Le pouvoir trop pratique ! Mais, une question se pose : est-ce qu’ils n’étaient déjà pas assez opposés ? Elle, la force calme, l’intelligence, le charme. Lui… lui, tout le reste et surtout, les conneries. Et un peu de charisme. Quand il n’a pas de bout de salade entre les dents. Et quand il ne se casse pas la gueule dans les escaliers. Donc, elle fige les trucs. Des trucs comme lui, apparemment. Des trucs qui l’embrassent. Des trucs qui lui parlent… Il doit y voir un message subliminal ? Elle est saoulée par lui ? Elle ne sait pas comment lui dire qu’il a mauvaise haleine ? Souffle, Jared, souffle et respire. Non non, ne tombe pas à la renverse ! Semblerait que ce ne soit pas horrible. Alors, quoi ? “Mon.. optimisation permet d’accélérer les molécules. Les étincelles et la chaleur, c’est une accélération extrême de ce que je vise. Faudra que j’aille demander à un expert si la suite, c’est un style de ralentissement.” MAIS POURQUOI ? Pourquoi ? Ô Destin ! Je vous en prie ! Jared est destiné à aller vite. A atteindre une vitesse qui dépasse l’entendement. Pourquoi lui foutre dans les pattes la seule copine qui peut l’arrêter ? Elle va lui casser ses délires de course ! Elle va l’empêcher d’aller vite ! C’est méchant ! Très très très méchant ! Vilain monsieur. BOUUUUUH. Il pose sa tempe contre la tête de Jazz. Elle a une voix pâteuse ou c’est lui qui déconne encore ? Elle s’est ralentie la mâchoire ou quoi ? Ou alors, elle a profité qu’il soit figé pour boire cul sec la bière qui patientait dans le frigo. La vilaine ! Elle aurait pu lui en garder une goutte. “Ralentir mon petit-ami super rapide, ce serait vraiment le comble.” Il a un sourire en coin. Tellement. Dans un sens, ils se sont bien trouvés quand même. Depuis le début, elle semble avoir l’effet d’un calmant sur lui. Elle l’apaise. Le genre de miracles impossibles, vous voyez ? Elle arrive à le garder en place plus de cinq minutes au même endroit. De mémoire de momie, on n’a jamais vu ça. Il semblerait qu’elle ait toujours eu cet effet sur lui. Sauf que maintenant, ce sera légèrement plus contraignant et visible… Mais dans le fond, rien ne change. Pas vrai ? “Tu es destinée à être ma voix de la sagesse, va falloir t’habituer. T’as du travail avec moi.” M’en parlez même pas ! Sa mère a essayé de le raisonner. Elle a essayé de l’empêcher. Elle a essayé de lui mettre des limites. Sauf que Jared les enregistre quand il se fait mal et deux secondes après, il oublie. Autant vous dire qu’il a bien besoin d’aide pour le temporiser. Enfin, si Jazz en est capable.
Comment ce petit bout de femme pourrait calmer un truc de presque deux mètres de haut ? Il pourrait l’écraser de toute sa carcasse, en mode Hulk-destructor. Et puis, le figer serait prendre le risque d’exploser un truc chez lui. Elle pourrait lui refaire tout son dentier avec ses explosions, vous imaginez ? Il choisirait des dents en or pour réparer sa dentition #thuglife. Les bras autour de ses épaules, sa tête contre la sienne, ils pourraient passer des heures ainsi. Sauf que la dame pèse son poids. On ne dirait pas comme ça, mais ses os sont archi-lourds. Ses cuisses (même si elles sont super musclées grâce à son travail acharné pour se créer un corps qu’il aime - ou grâce au vélo) commencent à crier au secours. Faudrait songer à bouger de là. Et Jazz semble s’endormir. Elle va VRAIMENT baver sur son tee-shirt. Un détruit, un inondé par la bave… Est-ce qu’il y en a un qui va survivre à cette journée avec elle ? Il hésite un instant. C’est qu’il a faim. Il mangerait bien les deux plats qui sont réchauffés. On ne gâche pas la nourriture. Jamais. Pas chez un Hemingway ! Mais Jazz est fatiguée. Elle devrait aller se coucher. Dilemme. Et d’un coup, le sourire s’étend dans un coin. Il prend ses couverts et il mange. Encore et encore. A une vitesse exceptionnelle. Il a déjà fini les deux plats chauffés. Il lui aura fallu même pas une minute pour tout engloutir. Il en a même au coin de la lèvre. Il s'essuie, avant de décréter qu’il est l’heure de dormir. Il est quelle heure, déjà ? Eurf, même pas vingt-et-une heures. Tant pis, il va bien faire essayer de s’endormir. Même si il n’a qu’une envie : courir. Découvrir New-York comme il ne l’a jamais vu. Et se prendre deux voitures dans la gueule, trébucher sur des trottoirs et dépasser des grands-mères. Il n’y a pas meilleure sensation que de dépasser un vieux. Vous n’avez jamais remarqué ? Vous vous sentez d’un coup super jeune et super agile. Alors que le vieux en profite pour vous cracher dessus, haineux parce que vous lui rappelez les années qui se sont écoulées. “Bon, mademoiselle, je crois qu’il est l’heure de vous coucher.” Un de ses bras délaisse son dos pour glisser sous ses genoux. Allez. A la une. A la deux. A la trois. DEBOUT. Et ne tombe pas, par pitié ! T’aurais vraiment l’air con, cette fois. Elle ne pourrait pas dire que tu es insouciant, mon pauvre Jared. Allez, tiens bien sur tes jambes. ATTENTION A SA TETE ! Bordel, fais un peu attention ! Làààà, voilàààà. Passe en crabe par la porte. OUIIII ! Et maintenant, tu la déposes doucement dans le lit… Oui, je sais, tu viens de marcher sur un composant électrique de ton réveil et ça fait un mal de chien. Mais c’est pas le moment de la lâcher. Eeeeeet elle y est ! Bingo ! Tope-la ! Tu peux tomber autant de fois que tu veux, maintenant. Finalement, il n’est pas un cas si désespéré que ça. Si on l’accompagne dans chaque geste. Si on lui hurle dessus comme un sergent de l’armée. Il recouvre Jazz de sa couette. Même si, entre nous, elle n’en a pas vraiment besoin. Elle est une bouillotte à elle toute seule ! Avec elle, impossible d’avoir les pieds froids pendant la nuit. Nop !
Il prend quelques instants pour admirer son oeuvre. Hé oh, c’est pas tous les jours qu’on couche une femme à moitié endormie. Derrière la satisfaction, il y a tout de même un doute qui pointe le bout de son nez : il l’ennuie ou quoi ? Si c’est le cas, il peut être encore plus fun. Il peut être encore plus cool. Il peut… sauter sur le lit et débuter une bataille de polochon ? Mouais. C’est pas trop son délire. Autant, il peut faire des choses immatures et stupides, autant ça, il n’aime pas spécialement. Il prend la direction de la salle de bains pour se laver les dents (on sait jamais, rapport à la possibilité qu’elle le fige à cause de son haleine), il abandonne son jean (rapport qu'il va se coucher) et il troque les manches courtes pour des manches longues. Ouais, il est frileux la nuit, ça te pose un problème ? Et il retourne dans la chambre, retrouver la princesse à moitié endormie. Ou totalement endormie. Enfin, si elle dormait, ce n’est plus le cas depuis qu’il s’est explosé le petit orteil contre l’encadrement de la porte et qu'il a hurlé un bon "putain de merde". Avant de sautiller sur place, de perdre l'équilibre et de se cogner le front contre le chambranle de la porte. Encore. Qui a foutu cet encadrement là, hein ? On a dit : pas dans son passage, bordel ! C’est pas si compliqué ! Il finit par s’installer au bord du lit pour s’assurer qu’il n’a pas perdu un bout de pied dans la bataille. Il a toujours cinq orteils. C’est bon. Tout va bien. Il aurait juste une bosse sur le front demain. On peut continuer. Il soulève les draps et se glisse en-dessous, doucement. Ouuuuh, il fait tout chaud là-dessous ! Merci Jazz la Bouillotte. Il se penche sur elle pour embrasser le coin de ses lèvres. “Bonne nuit…” Il a la sensation qu’elle est déjà loin. Dans un rêve où elle peut jouer les héroïnes, comme elle le désirait étant gamine. Il s’allonge contre elle. Il s’est brossé les dents, elle ne fuira pas devant son haleine. Par contre, il ne promet pas la même chose, lui...