“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
E
lle a pris feu. Pas longtemps. Et il n’a pas pris peur. Okay il a été un peu surpris, jusque là, normal, mais il n’a pas flippé, il n’a pas voulu tout arrêter, partir en courant et ne plus jamais la revoir. Il est courageux. Il n’a pas crié pour le meurtre de son ampoule, il a même débarrassé ses cheveux des débris de verre. Il est patient, il est gentil. Et avec lui, elle devient affreusement maladroite ; pourquoi est-ce qu’il lui fait cet effet là ? « J’vais juste mettre ça de l’autre côté, par précaution. » Il l’a entraînée plus loin, dans sa chambre, sauvant son ordinateur de sa copine explosive. Il l’a faite se lever pour rejoindre sa grotte secrète d’ancien homme célibataire. Un peu intimidée, elle n’a pas trop osé bouger, elle s’est laissée guider par les gestes de Jared. C’était lui l’expert. Le matelas est vieux, elle le sent quand elle s’assied dessus, docilement. « On sera mieux ici. » Est-ce que ça changeait quelque chose ? C’est sûr qu’elle ne tenait pas à faire ça contre un mur n’importe où mais de là à juger si un lit était plus pratique qu’un canapé, elle n’était pas assez expérimentée pour donner un avis.
Qu’est-ce qu’il fait dans son dos ? Oh. Le rouge lui monte encore aux joues en sentant les lèvres courir sur son épaule dénudée. Les doigts se promènent le long de la robe.. est-ce qu’il est en train de chercher à l’enlever ? Est-ce qu’elle est vraiment prête pour ça ? Jazz se rappelle de sa peur de mourir sans avoir jamais rien vécu. Elle se rappelle de son angoisse, soumise au virus, à étouffer lentement. La robe tombe sur le sol, sans qu’elle ne comprenne vraiment comment c’est arrivé si vite. Il est revenu devant elle, devant la jeune femme rougissante si peu à l’aise avec son corps. Le tatouage sur le côté du cou n’a jamais été aussi visible, celui près du décolleté se dévoile entièrement, contraste sur la peau laiteuse, dissimule la grain plus épais de l’épiderme à ces endroits délicats. Elle n’a jamais laissé personne la toucher de la sorte, craintive, complexée. En sous-vêtements près de Jared, elle se sent complètement désemparée. Ils sont loin ses pulls informes. Ils sont loin les hauts sombres dans lesquels elle nageait. Apprendre à s’assumer était long et si son style vestimentaire était un rempart, il venait de l’en défaire.
« Ne.. Ne me laisse pas fuir. » Elle le regretterait amère, si elle cédait à sa peur, sûrement parce que Jazz déteste l’échec, parce qu’elle ne veut plus continuer à s’enfermer dans sa bulle, à ne vivre que par le travail, que par le SHIELD. « Tu sais.. tu vas devoir re-commander de la nourriture.. Tu vas encore brûler des calories.. » Elle essaye d’alléger son esprit avec de l’humour. Un speedster, qui l’aurait cru ? Est-ce que, comme pour elle, toutes les émotions risquaient d’activer quelque chose ? Elle l’attire plus près, manquant certes d’assurance mais pas de détermination. Elle l’attire sur le lit pour l’embrasser, pour donner à ce baiser le goût d’une envie qu’elle est bien incapable de déterminer, pour le moment. Est-ce que toute cette chaleur est normale ? Plus les contacts se rapprochent, deviennent empressés, plus les molécules de l’air semblent servir de chauffage, agitées. Pas d’explosion cependant. Elle a cessé de penser à se contrôler, concentrée sur cette peau qu’elle apprivoise, sur son coeur qui cogne dans sa poitrine. C’est étrange, il n’a pas fait de blague douteuse, il ne lui a encore rien cassé. Il a l’air drôlement attentif et tendre, il a l’air d’avoir réellement plus de quinze ans d’âge mental, dans ces circonstances. D’ailleurs quel âge peut avoir Jared ?
Le réveil s’écrase violemment contre le mur opposé dans un ‘’driiiiiiing’’ caractéristique du décès imminent de ce pauvre objet qui n’avait rien demandé. La rousse soupire, repose la tête sur le matelas, fixant le plafond. Elle va détruire cet appartement si elle ne fait pas un peu attention, si elle ne garde pas sa concentration sur la maîtrise de son pouvoir.. mais elle était tellement bien, à se perdre sur les lèvres du jeune homme, à laisser ses doigts explorer son dos. « Tu pourras dire à ton patron que ta copine a tué ton réveil. » Il aura une raison de ne pas arriver à l’heure, de ne pas se lever, parce qu’il n’a plus de réveil, il s’est suicidé avec l’aide d’une émanation de chaleur trop brutale. « Tu m’en veux pas trop.. ? » Moue trop mignonne pour ne pas se faire disputer. Elle n’est peut-être pas douée pour les relations de couple mais elle se débrouille bien dans la manipulation.
Tout doucement, il découvre des parties de son corps qu’il n’a pas encore explorées. Des parcelles qu’il se refusait de parcourir, tant que ce ne serait pas le bon moment. Et il semblerait que ce le soit, aujourd’hui. Il peut poser ses doigts en contact direct avec sa peau chaude. Son dos. Ses épaules. Ses bras. Ses cuisses. Son ventre. Sa poitrine. Tout lui est soudainement accessible. Libérés de la barrière protectrice du textile. Sa peau laiteuse s’offre à lui. Mais la sienne aussi est dévoilée en partie. Un corps masculin qu’elle n’a sûrement jamais découvert. Un contact qu’elle n’a sûrement jamais eu l’habitude à avoir. Une découverte commune du corps de l’autre. Elle rougit. Une timidité habituelle qui est accentuée par la situation, par sa nudité. Une timidité qui l’embellit et qui la rend encore plus attendrissante, encore plus touchante. Il passe une main sur sa joue colorée. Il ne comprend pas sa réserve. Sa timidité. Elle restera un mystère. Tout ce qu’il voit, c’est un joli corps. Un joli visage. Elle n’a pas à pâlir devant son physique. D’autres femmes ont davantage de défauts et de complexes. Jazz pourrait rendre jalouse de nombreuses personnes. Mais au lieu de cela, elle persiste à détester son propre corps. Et ça se ressent maintenant, malgré les tenues moulantes et la fausse assurance qu’elle dégage. “Ne.. Ne me laisse pas fuir.” Il esquisse un léger sourire. Il en oublie son humour. Il en oublie sa bonne humeur. Il est juste concentré sur elle, sur son bien-être, sur ses expressions. Elle est son seul moyen de savoir si il fait correctement les choses, si il ne va pas trop loin, si elle ne prend la fuite. Il n’a pas couché avec une femme vierge depuis des années. Depuis le lycée. A cette époque, il était lui aussi vierge. Il était dans le même état de stress, d’excitation et de peur. C’est lointain, mais il veut faire les choses bien. “Il n’y a pas besoin de fuir, tout va bien se passer.” Il dépose un baiser au coin de ses lèvres. Tout va bien se passer. En tout cas, faut l’espérer. Peut-être qu’il va avoir une petite brûlure dans l'histoire. Peut-être qu’elle va détruire toute sa chambre pendant leurs ébats. Mais tout va bien se passer. Il n’y a pas de raison. Enfin, faut l’espérer. Manquerait plus qu’elle lui explose un orteil ! Déjà qu’il n’a pas d’équilibre avec ses dix orteils, faudrait pas le déséquilibrer un peu plus. “Tu sais.. tu vas devoir re-commander de la nourriture.. Tu vas encore brûler des calories..” Il balance la tête de droite à gauche. Il va peut-être devoir manger après, mais il ne sera pas le seul. Et ils ont encore plein de choses à manger. Elle ne quitte pas cet appartement tant qu’elle n’a pas fini son plat ! Pas de gâchis chez Jared !
Il a un sourire en coin. Légèrement malicieux. Légèrement taquin. Il kidnappe une mèche de ses cheveux. Il l’enroule autour de son doigt. Si ils vont jusqu’au bout, elle n’a pas intérêt à faire l’étoile de mer. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. C’est quelque chose que l’on fait à deux. C’est quelque chose que l’on partage. “Je ne serai pas le seul à avoir faim.” Ils finissent sur le lit, sous l’impulsion de Jazz. Comme pour précipiter les choses. Comme pour se rapprocher de l’échéance. Il ne se fait pas prier, profitant qu’elle prenne une initiative. Il tombe au-dessus d'elle, se retenant en plantant ses paumes dans le matelas. Les caresses se font plus langoureuses, plus pressées. Les baisers deviennent plus passionnés, plus expressifs. Il laisse ses doigts se promener sur l'intérieur de ses cuisses, les écartant pour se glisser au-dessus d’elle. Et d’un coup, il voit le réveil s’envoler du coin de l’oeil. Il redresse la tête pour le voir atterrir contre le mur. Oups ? Finalement, il est rassuré. Il n’est pas si maladroit que ça. Il est même tout à fait normal comparé à elle. Il bouscule, il casse, il piétine, il trébuche. Sauf qu’à aucun moment, il ne se la joue bombe à retardement ! Il le dira à son patron pour que le mec apprenne enfin à relativiser. Après tout, Jared pourrait faire pire que casser les colis des clients, non ? Il pourrait carrément les détruire ! Il ramène son regard sur Jazz. Elle est dépitée, alors qu’il ne peut s’empêcher de sourire. Pourquoi est-ce qu’elle est si agacée par son pouvoir ? Ses explosions provoquent quelques dommages matériels, mais c’est drôle ! Un réveil qui est balancé à travers la pièce, ce n’est pas commun et ça en devient amusant. Surtout que ce vieux machin traînait depuis des mois sur sa table de chevet. Un vieux machin qui ne lui sert à rien, si on compte le nombre de fois où il est arrivé en retard cette année. En fait, à bien y réfléchir, il n’est jamais arrivé à l’heure, cette année. Donc, vraiment, l’appareil était inutile. “Tu pourras dire à ton patron que ta copine a tué ton réveil.” Il éclate de nouveau de rire. Ouais bon, pas sûr que son patron s’en amuserait. Il s’en foutrait même que Jared ait une vie sexuelle débordante et active. Il serait même du genre à rétorquer qu’il doit arrêter de coucher pour se concentrer sur son travail. Un jour, Jared lui présentera son boss et elle comprendra quel cas c’est. Y a pas un dicton qui dit : on a les employés qu’on mérite ou un truc dans le genre ? Hé bien, il semblerait que ce soit la vérité vraie ! Et son patron, comme il a de la chance, il se tape les pires employés. Il est vraiment privilégié, hein ? “En règle général, j’évite de parler de mes ébats amoureux explosifs avec mon boss... Tu sais que ce n’est pas le genre de chose qu’on aborde, hein ?” Elle n’a pas intérêt à arriver demain au travail, le sourire aux lèvres, et annoncer à tous ses collègues que c’est bon : elle a fait péter la barrière et elle a couché avec un mec pour la première fois. Même si ça pourrait faire rire les autres espions, ce n’est pas dans le cadre du travail que l’on en parle habituellement de ses expériences. Jared deviendrait la star de son organisation, cela dit. Celui qui a réussi à ravir le coeur de l’éternelle célibataire. La classe, non ?
“Tu m’en veux pas trop.. ?” Mais c’est qu’elle recommence, la garce ! Elle refait sa moue trop craquante ! Comment il est censé y résister, lui ? Il n’est qu’un faible homme, aux envies débordantes. Il ne peut pas rester insensible à ses petits traits déformés avec mignonnerie. C’est injuste ce qu’elle fait. Elle manipule son grand coeur pour se faire pardonner. Elle n’a pas honte ? En plus, elle recopie sa manière de faire ! C’est totalement scandaleux et indécent ! Maintenant, il comprend mieux pourquoi les quelques personnes auxquelles il fait ce genre de tête le détestent. On peut pas dire non. On ne peut pas disputer. On ne peut qu’acquiescer et capituler. Il prend un air outré. Faut qu’elle comprenne que ça ne se fait pas ! “Heeeey ! Tu sais que c’est pas sympa de faire ça ?” C’est son truc à lui, l’air de chien battu ! Si ils se mettent tous les deux à le faire, comment ils vont réussir à s’en sortir ? Ce sera à celui qui aura le plus de coeur et de gentillesse. Pas Jazz. Elle est cruelle, vile et manipulatrice avec sa petite expression, là ! C’est certain que Jared sera le premier à tomber dans le piège. Il plonge dans sa nuque pour la punir. Bien fait pour elle ! Elle n’aura qu’à exploser une ampoule ou son oreille, si ça lui chante. Tant qu’elle ne touche pas à son ballon de basket dédicacé par certains grands joueurs de NBA, il s’en fiche. Il remonte doucement jusqu’à ses lèvres, en n’oubliant pas au passage de survoler sa mâchoire. Il passe un doigt expert sur le bas en dentelle. Ça, il connaît. Il maîtrise. Il n’y a que deux manières de l’enlever : en l’arrachant ou en la retirant doucement. Il n’y a pas de sens, il n’y a pas d’ouverture. Juste la glisser ou la déchirer. Il ne va pas se la jouer sauvage avec Jazz. Elle prendrait peur devant ce remake moins musclé de Tarzan. Il préfère garder l’image du gentleman parfait, ça lui convient. BON SANG ! Où avait-il la tête ? Qui dit enlever la culotte, dit le préservatif. Sa mère l’aurait tué, si elle l’avait vu ! Elle serait entrée dans sa chambre en hurlant qu’il doit se protéger et éviter de contaminer sa dulcinée de toutes les saloperies qu’il aurait attrapées en couchant avec ses dizaines d’aventures. Elle lui rappellerait en criant que c’est le meilleur cadeau qu’il pourrait offrir à Jazz. La protection. Et il aurait sûrement levé les yeux au ciel, en marmonnant un “Oui, maman.” et aurait pensé “De toute manière, maintenant que t’es rentrée, j’ai plus très envie’. Il abandonne la culotte. Il se laisse tomber sur le dos, à côté de Jazz. Il tend un bras vers sa table de chevet. A la recherche de son tiroir. Làààà. Le butin secret. Celui qu’il ne sort que lorsqu’il est certain de rentrer avec une femme. Il récupère le carré de l’emballage. Va pas falloir l’oublier, celui-là. Vous imaginez qu’ils deviennent parents du premier coup ? La grosse blague !
Mince, maintenant qu’il a l’emballage du préservatif entre ses doigts, il a une certaine anxiété. Ce n’est pas évident d’être la première fois d’une femme. Il faut être performant pour lui laisser un bon souvenir et en même temps, être assez doux pour ne pas lui faire mal. Et si elle hurlait à l’agonie entre ses bras ? Ce serait incroyablement gênant et flippant. Bon, il abandonne le navire. Adieu, les gars. Il va lui chercher un professionnel. Ce sera beaucoup plus simple. Mais là, allongé à côté d’elle, il croise son regard. Des deux, ce n’est pas à lui d’être le plus inquiet. Elle est sur le point de lui confier quelque chose d’important. Elle est sur le point de tenter une expérience nouvelle. Il bascule sur la hanche, nichant sa tête dans sa main. Ses doigts libres grimpent sur le ventre de Jazz pour venir survoler son épiderme. Elle est toujours aussi chaude. Peut-être même pire que tout à l'heure. “C’est effrayant la première fois, mais en réalité, ce n'est pas si horrible. C'est même plutôt plaisant.” Ses doigts courent toujours sur sa blancheur. Pour profiter jusqu'au bout de cette liberté de toucher qu'il a aujourd'hui. “Qu'est-ce qu'on fait ? On continue ?” Tous les sous-vêtements sont encore en place. Il a toujours son jean. Ils peuvent encore s’arrêter. Ils peuvent encore tout arrêter, même si elle lui a demandé de ne pas la laisser fuir. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera un autre jour. Ce sera quand elle aura assez de courage pour se lancer.
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
S
on coeur s’affole. Il multiplie ces contacts si nouveaux et finit par lui arracher ces frissons dont elle met du temps à comprendre l’origine. Il ne sera pas le seul à avoir faim mais sur l’instant, elle s’en fiche, elle s’accroche à cette tendresse, à cette passion qui naît presque contre sa volonté. On ne parle pas de ce genre de choses au boulot ; ça l’a faite sourire en coin, parce qu’il ne connaît pas Sacha, parce qu’il n’est jamais entré dans le bureau pendant que les garçons trouvaient tous les moyens possibles pour ne pas travailler sur la paperasse. Avant, elle ne comprenait jamais ce qu’ils échangeaient, coincée dans un univers de naïveté effrayante. Avant, l’idée même de ‘coup d’un soir’ lui apparaissait comme parfaitement dégoûtante et le principe d’aller échanger des germes avec quelqu’un lui donnait un peu la nausée. Jared avait fait basculer sa vision du monde. Jazz n’a jamais répondu à ses questions, il est venu taquiner sa nuque et elle a perdu pieds, avec cette impression que chaque parcelle de sa peau allait s’enflammer sous ses doigts, avec la sensation que ça ne serait jamais assez. C’est irrationnel, elle le sait. C’est irrationnel de le vouloir toujours plus proche, contre elle, et malgré cela, elle ne parvient pas à taire cette drôle d’envie.
De la petite moue mignonne à une légère crispation lorsqu’il s’attaque au bas de dentelle. Il abandonne, il s’arrête. Pourquoi ? Il a perçu la tension ? Il n’est plus tenté ? Elle n’est pas à son goût ? Elle profite que Jared regarde ailleurs pour fermer les yeux, pour se forcer à respirer. Il revient près d’elle, s’installe sur le côté et s’amuse à frôler l’épiderme de son ventre. Le visage se tourne vers celui du jeune homme. « C’est effrayant la première fois, mais en réalité, ce n'est pas si horrible. C'est même plutôt plaisant. » Elle fronce les sourcils. « Qu'est-ce qu'on fait ? On continue ? » Pourquoi est-ce qu’il pose la question ? Elle lui a dit qu’elle ne voulait pas reculer, qu’il ne devait pas la laisser fuir. « Tu ne comprends pas.. » elle l’exprime, finalement, ce constat. Elle s’installe sur le côté, vient nouer ses doigts aux siens, un peu gênée. « J’ai peur de te faire du mal.. le reste n’a pas beaucoup d’importance. » Elle n’a pas peur d’une quelconque douleur, comme on pourrait l’attendre, sans doute parce qu’être Agent du SHIELD l’avait entraînée à des situations bien plus délicates. Sa plus grande crainte avait toujours été de blesser ses proches, les rares personnes à qui elle avait pu s’attacher. Aurait-elle été si sage, dans l’hypothèse où elle n’aurait pas subi une transformation accidentelle ? Sans doute pas.
La rouquine se redresse, entreprend de s’installer à califourchon sur le jeune homme. Nouvelle perspective. « Essaye de ne pas perdre ton sens de l’humour.. » Un ton malicieux quand la main court du torse jusqu’à la ceinture du jean. Est-ce que c’est un regard de défis ? Les iris s’illuminent de ce cercle orange caractéristique quand la paume passe au-dessus de la boucle métallique et la fait littéralement disparaître. Problème d’ouverture réglé. Est-ce que cette fois, ses intentions sont assez claires ? Elle se penche, lui souffle à l’oreille. « Toujours partant ? » Si après cela, il restait fasciné par la chevelure étrange, par la fille au pouvoir destructeur, alors il était peut-être le gars le plus apte à survivre à cette expérience. C’était certes un speedster mais il ignorait comment activer sa faculté et, pour l’heure, elle ne pouvait parier que cela lui sauve la vie au moment idéal. « J’veux que ce soit toi et personne d’autre, Jared. »
…✁…
Elle fixe le mur, en silence, le dos contre le torse de Jared. Le regard est bloqué, la lueur orange toujours active, menaçante. Le coeur bat encore trop fort et le souffle est un peu court. Elle l’a déjà brûlé, sur l’épaule. Une brûlure légère mais une brûlure tout de même. Ca n’était pas si terrible, il avait raison. Plutôt plaisant, oui. Seulement quelque chose cloche. On apprenait à l’Institut Xavier que les émotions pouvaient influer sur la réactivité d’une mutation, d’un pouvoir x ou y. Bien. Mais dans ces cas-là, que fait-on ? Serait-elle toujours dangereuse pour le coursier ? Elle ne voulait pas le blesser chaque fois qu’il leur prendrait l’envie d’aller plus loin. Jazz soupire, tente de retrouver un état de stabilité acceptable. ‘Driiiiiiiiiiiiing’. Il recommence. Abruti de réveil. Empêcheur de tourner en rond. Les draps sont tout froissés, le calme règne dans la pièce et ce truc se remet à gueuler son agonie, brusquement, sans raison. ‘Driiiiiiiiing.’ « Mais la ferme ! » Elle s’est redressée, assise sur le lit, la couverture tenue d’une main tandis que l’autre esquisse un geste vif pour achever cette chose mourante. L’explosion le fait imploser de l’intérieur. Les débris restent suspendus dans le vide. Elle n’a pas vraiment fait attention, elle s’est tournée pour se nicher dans les bras de Jared, la tête contre son torse, enfin détendue. Elle voulait juste profiter du moment, elle voulait juste avoir une petite heure de normalité, est-ce que c’était trop demandé ? Est-ce que le dieu des super-pouvoirs ne pouvait pas leur foutre la paix ? Remarquez que dans l’antre de Jared, entièrement dédiée à ce culte, il avait raison de jouer les trouble-fête. « Je suis désolée pour ton épaule.. » Une petite moue fautive. Il ne peut pas vraiment la voir, dans cette position, mais elle s’en veut. Elle a cette désagréable sensation d’avoir ruiné la magie du truc. Elle pourrait rajouter à son cv : destructrice d’idylle. Et si il ne voulait plus d’elle, après ça ? Non seulement elle était maladroite mais en plus elle allait lui faire du mal.
S’inquiéter, c’est ce qu’il doit faire, non ? S’assurer qu’elle est parfaitement d’accord. Vérifier qu’elle n’est pas forcée. C’est ce qu’il doit faire. Il en est certain. Même si à son froncement de sourcils, il en doute. Il n’est pas Google Translate, lui ! Il ne connaît pas la langage Jazzien. Il a besoin d’une explication, d’une phrase, d’un geste. Pas un froncement de sourcils. Il pourrait correspondre à n’importe quoi : un mal de dos, une mauvaise digestion, un mécontentement, une incompréhension, une gêne, une vexation. Autant dire qu’on ne gère pas de la même manière une mauvaise digestion qu’une vexation. Faut pas être un génie pour le savoir. Il a sûrement merdé, vu la tête qu’elle fait ! Zut ! Qu’est-ce qu’il a bien pu faire ? Il devait demander si elle voulait aller au bout. C’est pas un truc anodin qu’elle s’apprête à faire, oh ! Et puis, quoi ? C’est la taille du préservatif qui la fait tiquer ? Il aurait dû être plus discret en le récupérant. Trop grand ou trop petit, va savoir. Dans tous les cas, elle n’a pas l’air enjoué. “Tu ne comprends pas..” Ah ben ça, il confirme ! Il ne comprend rien de rien. Il attend toujours que Google crée la langue Jazzien, mais ils ne sont pas des rapides, chez le moteur de recherche. Il n’a plus qu’à attendre qu’elle veuille bien s’exprimer. Bon, déjà, elle cherche ses doigts. C’est qu’elle ne veut pas critiquer la taille de Bébé Thor, mais plutôt discuter. On avance. “J’ai peur de te faire du mal.. le reste n’a pas beaucoup d’importance.” Eeeet… ? C’est tout ? Elle a seulement peur de lui faire du mal ? Bon sang ! Il doit lui montrer son curriculum vitae des hôpitaux fréquentés, des chutes expérimentées et des fractures accumulées. Il doit avoir ça quelque part. Il a même une carte de visite de spécialiste en chutes et en os cassés. Preuve quand même qu’il connaît le mot “douleur” et le mot “j’en-peux-plus, qu’on-me-coupe-la-jambe”. A son tour de froncer les sourcils. De toute manière, pour le moment, c’est son appartement qui prend. Pas lui. Alors, qu’est-ce qu’il risque ? De se prendre un morceau de mur sur la tête ? Il a le crâne solide. De se couper le doigt ? Il a l’habitude. De se casser une jambe ? Il est coutumier de la souffrance. Si il avait pu hausser les épaules, il l’aurait fait. Mais vu sa position, ça aurait donné un truc chelou et il aurait probablement perdu l’équilibre. Du coup, il préfère sourire. Parce que c’est tellement plus cool de sourire. “Même pas peur !” C’est la vérité. Même pas peur. Il a confiance en elle. Il a confiance en ses propres capacités à encaisser. Même si il manque d’expérience en brûlure ou en explosion corporelle (en même temps…), il est prêt à prendre le risque. Au pire, il ira faire un tour aux urgences. Ce n’est pas si terrible !
Il se laisse retomber sur le dos quand elle passe une jambe par-dessus lui. Mais que se passe-t-il ? Serait-ce une autre initiative ? Elle prend de l’assurance. Faut dire qu’elle a un excellent prof, au corps athlétique. Qui plus est, un professeur super-héros. Elle a la crème de la crème. Quelle chanceuse ! Est-ce qu’elle s’en rend compte, au moins ? Non, sûrement pas. Naïve et modeste comme elle est, elle ne doit pas s’en apercevoir. Tant pis. Les plus grands deviennent toujours célèbres et gagnent la reconnaissance des autres quand ils meurent. Jared sera donc célèbre dans soixante-dix ans. Si il ne meurt pas sous un bus avant. Il prend possession de ses jambes, point d’ancrage de ses mains. Il ne la lâche pas du regard, ne voulant pas louper une miette de la malice qui brille dans ses yeux. C’est une autre Jazz qu’il voit. Une Jazz avec plus d’assurance, plus d’envie, plus libérée. Il apprécie cette version autant qu’il aime la version réservée et sage. Les deux opposés d’une même personnalité. “Essaye de ne pas perdre ton sens de l’humour..” Perdre son humour n’est pas vraiment dans ses projets. Il n’en est jamais réellement capable. Une blague toujours sur le bout de la langue. Même dans les situations les plus périlleuses. Faut bien savoir détendre l’atmosphère, non ? Les gens sont toujours trop sérieux et ennuyeux. Il essaye simplement d’apporter un peu de légèreté aux situations qui en ont besoin. Malgré le regard d’assassin des autres. Il aime prendre des risques, hé ouais ! La femme qui est sur lui actuellement en est la preuve. “Ça dépend si tu comptes me torturer ou pas… J’te préviens, je suis pas très pratiques sadomasochistes et tous ces trucs-là.” Non parce que si elle compte le torturer, il aimerait bien être informé. Je vous rappelle que Jazz est la femme parfaite. Autrement dit, la femme qui n’existe pas. Il y a toujours un risque pour qu’elle soit une espionne venue le tuer ou l’enlever. Et maintenant qu’ils en sont à se déshabiller, il se demanderait presque si elle n’est pas envoyée pour lui couper Bébé Thor. Au-delà de toutes ces questions ô combien existentielles et importantes, il est certain qu’elle ne lui fera rien. En tout cas, rien qui implique d’être fouetté, de porter des menottes ou d’être bandé. Là, juste sous les doigts de Jazz, sa ceinture vient d’exploser. En tout cas, une partie. Il sent la chaleur du phénomène irradier sur son jean, pile à cet endroit. Hé ! On n’abîme pas ce qui ne lui appartient pas ! Surtout quand c’est aussi proche de ses parties intimes. Il va en avoir besoin ! “Heeeeey ! T’as intérêt à me racheter une ceinture !” Blague, évidemment. Il va juste devoir fouiller dans son armoire pour en trouver une autre. Ce sera l’occasion de s’acheter la ceinture IronMan qu’il avait repérée sur eBay. Une ceinture collector pour laquelle il ne voulait pas craquer. Vous voyez, ça fait mauvais genre qu’un gars de vingt-six ans ait la tête d’IronMan autour de la taille. Mais là, il n’a plus le choix. Il est contraint et forcé de l'acheter.
“Toujours partant ?” Alors, réfléchissons… Elle est la femme parfaite. Elle est intelligente. Elle est belle. Elle a explosé ses lasagnes. Elle a ruiné une ampoule. Elle a attaqué son réveil… Pesons le pour et le contre. Il pourrait mettre sa vie en danger, entre ses mains explosives. Il pourrait finir brûlé vif entièrement. Il pourrait perdre quelques membres de son corps. Prenons bien tout en compte. Il laisse ses mains glisser des cuisses jusque dans son dos. Il remonte jusqu’à ses lèvres pour les capturer un instant. “Je suis très bien là où je suis.” Il ne bouge pas d’un poil. A part peut-être pour enlever son pantalon et son boxer. Sinon, il la garde tout contre lui et il ne la lâche plus. Fuir n’est pas concevable. Pas pour le mec qui prend des risques inconsidérés pour rencontrer des super-héros. Pas pour le gars qui est un danger pour lui tout seul. Il ne compte aller nulle part. “J’veux que ce soit toi et personne d’autre, Jared.” Elle achève de le convaincre. Elle est prête. Et en plus, elle lui fait pleinement confiance. Que demander de plus ?
ϟϟϟ
Son bras repose sur la hanche de Jazz. L’autre est perdu quelque part entre son épaule et l’oreiller. Un endroit obscur composé de draps et de corps. Impossible de dire où il est actuellement. Il pourrait être au Guatemala qu’on ne le saurait pas. Bon, peut-être que si. Mais très honnêtement, Jared s’en fout complètement de son deuxième bras. Il le regrettera dans quelques minutes quand il aura des fourmis dans les doigts. Bien fait pour sa tronche ! On l’avait prévenu. Il a le torse qui se lève et s’affaisse à un rythme irrégulier. Il lui faut encore reprendre son souffle. Reprendre ses esprits. Il n’a rien eu. A part une petite brûlure qui lui fait encore mal. Mais un truc de rien du tout. Il n’a même pas crié comme un gamin de cinq ans. Il n’a même pas fondu en larmes. Il a continué son oeuvre, sans ciller. Enfin, il s’est quand même mordu la langue sous le coup de la chaleur. Mais regardez, il va bien ! Qu’ils sont bien, là. Ça change de leur première nuit dans le même lit. Chacun de son côté, à des kilomètres de l’autre. Comme s’ils risquaient de se toucher et de blesser l’autre. Maintenant, ils sont l’un contre l’autre. Une proximité devenue naturelle. Le réveil émet une nouvelle plainte. Il n’a pas rendu l’âme ! Quelle bonne nouvelle ! Jared va pouvoir le réutiliser. Entre la ceinture et l’appareil, il pensait faire un prêt. Finalement, il va s’en sortir financièrement. Même que ce mois-ci, il pourra se payer un Starbucks en plus. Yeeeaaaah ! Ah, tiens, le réveil se remet à sonner. Bon, faudrait peut-être qu’il se lève pour l’arrêter. Mais il ne veut pas lâcher la peau laiteuse de Jazz. Elle pourrait s’évanouir dans la nature. Les espions disparaissent en un claquement de doigts, c’est bien connu. “Mais la ferme !” Jazz met à profit son talent de déplacement ultra rapide pour se redresser dans le lit. Même qu’elle devient vulgaire ! Le sexe aurait-il la capacité de réveiller ses pires instincts ? Il a intérêt à se méfier pour la suite et à la surveiller. Il a peut-être libéré un monstre, en couchant avec elle. Au secours, Spiderman ! Dans son dos, il entend son réveil éclater. Fuck. Il va devoir s’en racheter un, finalement. Cette femme va lui coûter cher. Est-ce que les assurances pour couvrir les dommages causés par sa petite-amie explosive existent ? Parce qu’il va en avoir besoin pour les prochains mois. “... c’était mon réveil de dix-huit heures… mais j’suppose que je vais rester au lit pour cette fois ?” Il a un sourire amusé sur les lèvres. Elle revient s’installer contre lui et il l’accueille avec plaisir. Elle est minuscule. Terriblement minuscule. Mais tout ce qui est petit est mignon, pas vrai ? Dans ce cas, Jazz est extrêmement mignonne. Elle est même carrément canon. Elle a vraiment tout pour elle ! Sauf peut-être une vision claire de son physique. Ouais, c’est ça. Elle est myope quand ça concerne son corps.
Il dépose un baiser au milieu de ses cheveux, là où il pense être le sommet de son crâne. On ne sait jamais quand il y autant de cheveux ! “Je suis désolée pour ton épaule..” Il jette un coup d’oeil à ladite épaule. Bim, paye ton double-menton. Heureusement qu’elle ne le voit pas faire cette tête. Elle se moquerait allègrement. Bon, la blessure n’est pas grande. Elle fait juste mal. Mais comme toutes les brûlures. Il y a une cloque sur le-dessus. Il devrait sûrement refroidir le feu. Sauf qu’il n’a pas le courage de bouger son gros fessier de son lit. Il préfère encore se réchauffer contre Jazz. Il devrait faire comme elle : couvrir ses cicatrices de brûlures par des tatouages. Parce qu’il n’en a pas déjà assez de ridicules. Faut qu’il s'en rajoute de nouveaux. “T’en fais pas, j’suis fort et courageux, je vais y survivre.” Bon, il n’est pas tout à fait sincère. Il a l’impression qu’on lui a enfoncé un clou dans l’épaule et qu’on le lui enfonce de plus en plus, à coup de marteau. Une punition de Thor, ça, encore ! Le petit salaud. Mais Jared a décidé d’être à la hauteur de Jazz. Il ne va pas geindre. Bon, okay, peut-être un peu. Là, quand il se décale pour attraper sa montre sur la table de chevet. Ça lance dans son épauleuuuuuh ! Sauf que ce qui retient son attention, ce n’est pas vraiment la brûlure, plutôt les morceaux éparses de son réveil qui sont suspendus dans les airs. Il reste bloqué quelques secondes devant ce spectacle. “Jazz… ? Tu crois que la super-vitesse peut me donner des hallucinations ?” Il doit forcément se faire des idées. Ce n’est pas possible autrement. Elle fait exploser les choses. Elle ne les fait pas voler dans les pièces. A moins qu’elle ne lui ait rien dit. A moins qu’il soit tellement fatigué et éprouvé par leurs ébats qu’il est en manque de sucre et que son cerveau fait des conneries. Même pas besoin de prendre de la drogue pour voir des trucs bizarres. Il suffit de coucher avec Jazz et l’effet est immédiat ! Il lui dit ou pas ? Quitte à avoir l’air con. Quitte à ce qu’elle le prenne pour un fou. Il mettra ça sur le compte de l’accident auquel il a participé tout à l’heure. Elle lui pardonnera. Enfin, faut l’espérer. Dernière théorie : il y a un fantôme dans son appartement. Laquelle est la plus rassurante ? Réponse : aucune. FUEZ, PAUVRES FOUS. “... je crois que mon réveil est en train de voler…” Il faut qu’elle le rassure. Il faut qu’elle lui dise qu’elle voit la même chose. Peut-être qu’il est encore dans un de ses trucs où tout est suspendu dans le temps et qu’il est le seul à bouger ? Mais non, ce n'est pas possible... Putain, il devient fou. Il veut sa maman. MAMAAAAAAAAN !
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
E
st-ce que tout ceci réveillait ses pires instincts ? Peut-être. Peut-être parce qu’elle est nerveuse, parce que malgré tout, Jazz n’est pas parvenue à relâcher la pression. Elle est tendue, elle a l’impression que sa température continue à monter et qu’elle va bientôt devenir réellement dangereuse pour Jared. Elle refuse de lui faire plus de mal qu’elle n’en a déjà fait et, contre lui, elle s’oblige à réciter l’alphabet à l’envers. Il va rester au lit puisque le réveil a rendu l’âme. Il va rester contre elle, n’est-ce pas ? Il ne va pas l’abandonner, si ? « T’en fais pas, j’suis fort et courageux, je vais y survivre. » Elle dissimule son visage contre l’épaule qui n’est pas blessée, espérant sans doute se rappeler pourquoi elle a accepté d’aller si loin avec un homme qui allait forcément en souffrir. Elle avait voulu que ce soit lui et c’aurait été mille fois plus simple si coucher avec Jared l’avait privée momentanément de ses pouvoirs. Il avait fait naître tant d’émotions qu’elle se sentait comme une funambule obligée de tenir en équilibre à dix mètres de hauteur, le tout sans filets. Elle est mal à l’aise, pourtant c’était bien. C’était mieux qu’elle ne l’aurait pensé. Qu’est-ce qui clochait chez elle ? Pourquoi est-ce qu’elle avait si chaud ? Sa paume se promène sur le torse, descend doucement sur son ventre et cesse sa progression. Elle devrait être heureuse. Elle devrait être comblée, enthousiaste et souriante. Elle était plutôt sceptique sur sa propre capacité à survivre à la situation.
Jazz est hors de sa zone de confort. Elle est complètement nue dans le lit d’un garçon avec qui elle avait commencé à sortir à peine trois mois plus tôt, qui s’avérait être ce gars à qui elle parlait par écrans interposés, le tout saupoudré d’un potentiel de super-héros imprévisible. Elle n’était pas assez bien pour tout ça. Elle n’était qu’une incompétente des relations humaines. Elle ne savait même pas s’il était satisfait, s’il la trouvait assez jolie ou si il considérait qu’il fallait refaire la moitié de son enveloppe charnelle. Elle l’avait brûlé, en plus, juste quand il ne fallait pas.
« Jazz… ? Tu crois que la super-vitesse peut me donner des hallucinations ? » Hein, quoi ? Elle était perdue dans ses remises en question, sur un domaine dont elle ignorait presque tout, et il lui sauve la vie en la ramenant vers quelque chose qu’elle connaissait, qu’elle savait faire. « ... je crois que mon réveil est en train de voler… » Okay. Elle se redresse un peu pour voir ça. Effectivement, le réveil est en suspension. Enfin les morceaux du réveil le sont. Ca ne dure pas. L’explosion se termine et envoie des ressors et autres pièces au travers de la chambre. Ca c’était bizarre. La rousse se réinstalle contre Jared, relevant un peu le nez pour le regarder. « Je me suis peut-être trompée. » Un constat, ni plus ni moins. Elle avait considéré qu’il était un speedster parce qu’il avait affirmé que tout lui avait semblé tourner au ralenti, mais si il n’était pas doté de super-vitesse, il avait peut-être une autre.. mutation ?
« Imagine.. que tu sois capable de.. ralentir le temps ? Ou de bloquer les mouvements des gens et des objets ? Y a des tas de possibilités.. » Les doigts glissent sur le tatouage du Nouveau-Mexique, tendrement. Elle aime le contact de sa peau. Elle aime le goût de ses lèvres aussi. Le seul problème, c’est qu’elle se méfie de tout, surtout d’elle-même, de ce qu’elle pourrait lui faire subir dans un moment d’inattention. Et si il finissait brûlé au troisième degré parce qu’elle n’a pas été prudente ? Elle n’a jamais été foutue d’entièrement lâcher prise, pas même.. okay, c’est gênant, elle ne veut pas penser à tout cela. « Est-ce que ça t’inquiète ? » La question paraît un peu absurde étant donné que Jared était le gars le plus détendu et fun de New York. Il avait rêvé d’avoir des pouvoirs depuis son plus jeune âge. Il rêvait d’égaler les Deadpool et les Daredevil. Il n’avait peur de rien, pas même de courir devant un bus et de se faire renverser. Il avait sûrement un abonnement annuel aux accidents improbables. Il était The Mole, pourquoi cela l’inquièterait ? « .. J’aime ton sourire.. » L’index glisse sur le coin de ses lèvres. Petit air malicieux, vite évaporé. Elle baisse les yeux, les joues roses. Être naturelle relevait vraiment du défi, elle allait bientôt passer pour une schizophrène.
Un fantôme. Bien sûr. Les super-héros existent. Les gens volent. Les gens s’enflamment. Les gens entendent les pensées. Les gens d’autres galaxies. Pourquoi est-ce que les fantômes n’existeraient pas dans ce monde de fous ? C’est forcément la preuve d’une présence surnaturelle dans sa chambre. Bon sang. Vous croyez qu’il les a vus en pleine action ? Nom d’un petit bonhomme ! Ses ancêtres se retournent dans leur tombe. Le petit Jared est espionné par un esprit pendant qu’il couche pour la première fois avec Jazz. Il n’a vraiment pas une vie banale, le descendant des Hemingway. Faut croire qu’avoir une vie normale aurait été trop simple pour ce maladroit maladif. Il n’aurait pas été capable d’avoir un quotidien passionnant et intéressant. Alors qu’avoir des chutes à raconter tous les jours, ça donne un côté aventurier, vous voyez ? Il a toujours quelque chose de drôle et de classe à raconter quand il évoque ses blessures. Même quand il raconte l’histoire de son doigt cassé pendant qu’il ouvrait une boîte de conserve. Hé oui ! Ses amis lui envient ses anecdotes. Un fantôme dans sa chambre, un truc de plus à raconter à ses potes. Il va briller pendant les soirées dans les bars. Ils vont tous être pendus à ses lèvres et ne vont pas louper une seule information. Il a vraiment la meilleure vie, y a pas à dire. Bon quand même, il aimerait bien que le fantôme s’abstienne d’entrer dans la chambre quand Jared y est avec une femme. C’est indécent ! Derrière lui, il sent Jazz se redresser pour observer la scène. Alors, il délire ou pas, docteur ? Merde ! Y a tout qui explose. Okay, il devient fou. Pourquoi est-ce que ça n’explose que maintenant, hein ? C’est pour qu’il ait l’air con devant Jazz ? Connard de fantôme ! Tu vas voir si Jared te chope, tu vas passer un mauvais quart d’heure ! Il est même obligé de baisser la tête pour échapper à un composant électrique. Dangereux, en plus ! Le fantôme n’aime pas se faire disputer. Le coursier le note dans un coin de sa tête. Ça peut toujours servir pour l’embêter. Après tout, il a un nouveau coloc’ ! Jazz se réinstalle derrière lui, comme si rien ne s’était pas. Comme si ils n’avaient pas manqué de se faire tuer par une bombe électronique. C’est un truc normal pour elle ? “Je me suis peut-être trompée.” Quoi ? Elle s’est trompée, il n’est pas un speedster, mais un cinglé bon pour l’asile ? C’est ça ? Il le savait. Il le savait ! Il l’avait dit à sa mère “maman, j’suis pas sain d’esprit, faudrait m’emmener voir un médecin”. Elle lui avait répondu “c’est pas parce que tu aimes les choux de bruxelle que tu es un fou, mon Jaja”. La conversation s’était achevée là. Depuis, il se tient loin des choux de bruxelles et il arrête de se croire fou. Jusqu’à maintenant.
Il finit par lâcher la scène des yeux. De toute manière, il n’y a plus grand-chose à voir. Il plonge son regard dans celui de Jazz. Elle est parfaitement calme. Elle est parfaitement sereine. Elle est imperturbable. Elle ne s’effraie pas et elle ne se réjouit pas. Un vrai robot, je vous dit ! “Imagine.. que tu sois capable de.. ralentir le temps ? Ou de bloquer les mouvements des gens et des objets ? Y a des tas de possibilités..” Quoi ?! Mais non ! C’est pas possible ! Elle a dit qu’il est un speedster, alors il le reste. Pas question de changer son pouvoir. Pas question de le lui voler pour le remplacer par un truc nul ! Quoique, il aurait bien voulu un pouvoir pour remonter dans le temps, tout à l’heure. Est-ce que de savoir l’arrêter peut lui permettre de le reculer ? Ce serait trop cool ! Imaginez, au poker, il pourrait voir les cartes de ses adversaires, avant de revenir en arrière et de modifier son jeu ! Il va devenir riiiiche ! C’est bon, il veut bien l’arrêt du temps, en fait. Il veut bien le suspendre, l’accélérer, le modifier. Tout ce que vous voulez, tant qu’il peut devenir milliardaire en trois semaines. On y va ? “T’es sûre ? Parce que j’crois pas que ce soit ce que j’ai TOUT était vraiment suspendu dans le temps, pas juste une partie… Tu m’avais pas dit que c’était si compliqué !” Il s’attendait à avoir un mode d’emploi avec toutes les précautions d’utilisation et la manière d’user de son pouvoir. Tu penses à un petit pois et tu te mets à voler. Tu penses à un éclair et tu invoques la foudre. Des trucs dans le genre. Il pensait aussi que son pouvoir trouverait immédiatement un nom. Alors que là, il se retrouve à tâtonner et à essayer de comprendre comment fonctionne sa nouvelle capacité. Quand on apprend à courir, c’est tellement plus simple ! Et pourtant, il s’agit aussi d’une capacité ! Y a vraiment un travail à faire là-dessus, les gars. Les doigts de Jazz sur l’un de ses tatouages le ramènent à la réalité. Elle semble soucieuse, non ? Ou elle réfléchit trop. Elle a cette petite ride entre les sourcils quand elle pense à quelque chose qui la préoccupe. Comme en ce moment même. “Est-ce que ça t’inquiète ?” Il s’adosse contre le mur et attire Jazz contre lui. Est-ce que ça l’inquiète ? Bien sûr que non ! Il a toujours voulu des pouvoirs. Il a toujours voulu être plus que le petit Jared qui fait des conneries et qui ne suit pas bien à l’école. Il a toujours voulu être ami avec les super-héros et vivre des choses extraordinaires, loin de son quotidien morne. Maintenant qu’il en a, il est heureux. Heureux, mais partagé.
Parce qu’il sait que sa mère sera inquiète. Jazz, aussi. Sûrement deux ou trois amis. Il y aura des gens pour se soucier de lui. Il n’a pas envie de le leur infliger. Il n’a pas envie que l’on se demande si il est en vie, où il est, si il risque de mourir. Il ne veut pas l’imposer à ses proches. “Je ne le suis pas pour moi. Ce qui m’arrive est complètement fou et je vais peut-être pouvoir changer le monde, à mon échelle. Mais, je m’inquiète pour mes proches. Vous allez flipper à l’idée que j’utilise mes capacités ou que je puisse me mettre encore plus en danger... et je n’ai pas vraiment envie de vous rendre malade à cause de ça.” Pourtant, ça ne l’empêchera pas d’utiliser son pouvoir. Il ne s’en privera pas. Il réalisera enfin son rêve en sauvant des enfants, en aidant des mamies à retrouver leur chat, en aidant les grands-pères à nourrir les pigeons. Mais il le fera discrètement. Il le fera sous une autre identité, protégé. Ainsi, ses proches ne le sauront pas. Sauf Jazz. Il est trop tard pour le lui cacher et de toute manière, comment aurait-il fait ? Ils seraient bien tombés l’un sur l’autre à un moment donné, si elle avait dû le capturer/torturer/questionner/autopsier (il ne sait toujours pas ce qu’elle fait exactement, j’vous rappelle). “Tu crois que je devrais m’inquiéter ? Genre y a un risque que je me transforme physiquement ou que ce soit incontrôlable ?” Elle est la spécialiste des pouvoirs, il paraît. En tout cas, des deux, elle est celle qui a le plus d’expérience. Elle est sa réfèrente pour le moment. Elle est la seule qui puisse lui répondre. Il n’a pas envie d’être la source de frayeur pour les autres. Il ne veut pas devenir un danger public (même si il est à deux doigts de l’être) ou un super-vilain. Il veut vraiment aider. Il veut vraiment être utile. Il en souffrirait si il faisait fuir, plutôt que de fédérer. “.. J’aime ton sourire..” Aussitôt pensé, aussitôt touché. Il a un sourire. Heureusement qu’elle l’aime, ce fichu sourire. Parce qu’il a tendance à être accroché continuellement sur son visage. A croire qu’il est collé et qu’il ne bouge plus depuis des années. La légende veut que Jared Hemingway soit né avec le sourire aux lèvres. Précoce, le bébé ! “C’est tout ? Tu pourrais aimer mon humour, mes cheveux, mes graaaands pieds… tiens, t’aimerais ma barbe si je la laissais pousser ?” Il passe une main sur ses joues. Pendant un temps, il avait laissé pousser sa barbe. Sauf qu’il avait finalement abandonné en voyant que l’implantation de ses poils était terrible (un peu comme son sens de l’équilibre) et qu’il n’aurait jamais de poils uniformément répartis. Résultat, il avait fini par tout raser. Depuis, il met un point d’honneur à se couper régulièrement, même si il n’est pas à l’abri d’un élan de fainéantise. “Parce que sans, j’ai l’air d’un gamin. Alors qu’avec, je fais beaucoup plus adulte, tu vois ?” Maintenant qu’il a une petite-amie, il peut se reposer sur son avis, non ? Faut bien en profiter pour savoir ce qu’elle en pense. Si il peut se rendre encore plus irrésistible et l’empêcher d’aller voir ailleurs, il est preneur. C’est sa petite Jazzounette à lui. Pas le droit de partir ! NAH !
Il tourne une dernière fois le regard dans la direction du réveil. Là où il était suspendu dans les airs. C’est quand même pas normal. Franchement ! Casper (le prénom de son colocataire le fantôme) doit arrêter de jouer avec ses appareils. Surtout quand Jazz a décidé de les exploser. “Tu as un beau sourire, toi aussi, mais ce que j’aime particulièrement, ce sont tes yeux. Et, faut que je te le dise, tes cheveux me fascinent...” Dans une autre vie, Jared a été coiffeur. Oui, oui. Son autre lui aurait kiffé s’éclater avec ses cheveux, faire des choucroutes sur le sommet de la tête ou les onduler en boucles anglaises. Il a été coiffeur, mais pas un coiffeur avec du bon goût. Je vous l’accorde. “Tu es vraiment parfaite.” Parfaite et belle. Parfaite et intelligente. Parfaite et douce. Parfaite et caractérielle. Elle a tout pour elle. Elle a tout, mais elle ne voit rien.
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
E
lle ne lui avait pas dit que c’était si compliqué, en effet. Pourquoi ? Parce que Jazz n’était pas infaillible, elle ne prédisait pas l’avenir et elle était incapable de traduire en conclusions ce qu’elle ne voyait pas de ses propres yeux. Elle était peut-être brillante dans certains domaines mais la prudence voulait qu’elle ne s’avance vers aucune affirmation avant d’avoir suffisamment de preuves. Le Shield lui fait enseigné de nombreuses choses, la X-Mansion d’autant plus. Jared était devenu sa mission, malgré lui, contre toute attente. Il était en train de vivre ce que de nombreux mutants vivaient, tardivement, et si avec des inconnus elle savait gérer, avec son petit-ami elle avait la sensation de marcher sur des oeufs. Est-ce qu’il pouvait changer d’avis à son sujet si elle ne savait pas l’aider, le guider ? « Ca n’est jamais une science exacte. » conclut-elle, esquissant un sourire doux. Qui pouvait vraiment prédire les mystères de la génétique hormis.. Charles Xavier en personne, doté du Cérébro ? Il se redresse un peu, l’attire contre lui et elle se laisse faire, elle se love contre cette peau qu’elle découvre, dont elle apprivoise encore la proximité. « Je ne le suis pas pour moi. Ce qui m’arrive est complètement fou et je vais peut-être pouvoir changer le monde, à mon échelle. Mais, je m’inquiète pour mes proches. » Elle comprend. En calant sa tête contre l’épaule masculine, elle laisse échapper un soupir. Son existence toute entière allait changer, comme la sienne s’était transformée à une époque, comme elle avait eu à le surmonter avant même d’être vraiment une adolescente. Ce qui avait transformé Jared était peut-être moins violent mais il y avait forcément une cause, un déclencheur. « Vous allez flipper à l’idée que j’utilise mes capacités ou que je puisse me mettre encore plus en danger... et je n’ai pas vraiment envie de vous rendre malade à cause de ça. » Vous. Elle lève le nez. Elle met quelques secondes avant d’intégrer la raison pour laquelle il la place parmi ses proches, parmi ceux qui vont s’inquiéter, se ronger les sangs. Elle est sa petite-amie. Ca n’était plus de la théorie, ça n’était plus une notion vague. Ca n’était plus platonique. Quelque part, elle venait de tourner une page de son histoire entre les bras de Jared.
« Je vais t’aider. » Elle ne cherche pas vraiment à le rassurer ou à négocier. Elle va l’aider, c’est une promesse. Elle sera là pour lui. Peut-être qu’elle se rendra malade d’angoisse quand il ne rentrera pas pour lui envoyer un sms ou qu’elle réfléchira bien trop souvent à ce que serait la normalité si il n’était pas en train de changer mais qu’importe ? La vérité, c’est que la normalité la fuyait depuis toujours. Ses parents étaient deux âmes incompatibles réunies par le hasard, un scientifique et une musicienne. Son père avait oeuvré des années durant pour améliorer le genre humain, pour l’optimiser et elle s’était trouvée au milieu d’une erreur un jour où elle n’aurait pas dû y être. Jazz n’était visiblement pas destinée à la banalité, au quotidien planplan d’étudiante ou de serveuse. Elle avait voué son temps à ceux qui l’avaient sauvée et, en fin de compte, tout ce qu’elle désirait c’était transmettre, épargner des innocents si elle le pouvait, et guider ceux qui subissaient le même sort. « Tu veux devenir un héros et j’ai les contacts dont tu as besoin. Et puis.. un héros a toujours besoin d’un acolyte. » Elle veut bien participer. Elle veut bien être plus qu’une simple copine neutre qui observe. Sans doute le SHIELD n’approuvera pas mais.. et alors ? Ils avaient les Avengers, ils pouvaient bien survivre à la double-identité d’un agent. « Mais j’te préviens, je suis aussi une catastrophe. » Imaginez un peu le Jared en rouge qui s’étale lamentablement sur une voiture et une tornade rousse qui explose le capot en voulant dissuader quiconque de l’attaquer. C’était vraiment un duo prometteur. Ils battraient le record d’auto-blessure. On lance les paris ?
« C’est tout ? Tu pourrais aimer mon humour, mes cheveux, mes graaaands pieds… tiens, t’aimerais ma barbe si je la laissais pousser ? » Elle aimait son sourire. Elle aimait son côté heureux. Elle aimait cette façon qu’il avait d’être toujours positif, de relativiser comme elle ne savait pas le faire. « Parce que sans, j’ai l’air d’un gamin. Alors qu’avec, je fais beaucoup plus adulte, tu vois ? » La paume passe sur la joue. Elle a le droit de lui dire qu’elle s’en fout un peu de la barbe ? Ca ne changerait pas sa personnalité et elle n’allait pas le quitter pour une histoire de poils. Elle dépose un baiser tendre sur ses lèvres. Un baiser un peu timide. Ils sont drôlement collés, c’est bizarre. Elle n’a pas l’habitude. Et elle a chaud. Ca ne se sent pas, qu’elle a chaud ? A croire que les molécules autour de son épiderme étaient en agitation progressive. Est-ce que c’est une retombée d’émotions ou d’hormones ? « Je t’apprécie comme tu es. Un poil de plus ou de moins.. » Elle n’allait pas les compter. Et elle n'était pas encore prête à lui dire qu'elle l'aimait.
« Tu as un beau sourire, toi aussi, mais ce que j’aime particulièrement, ce sont tes yeux. Et, faut que je te le dise, tes cheveux me fascinent… » L’index et le pouce de Jazz viennent attraper une mèche de cheveux orange, pour l’observer, d’un air un peu dépité. Ses cheveux le fascinent. Il faut avouer qu’ils sont carrément peu communs et que si elle voulait bien les assumer, ça avait été un peu compliqué au départ. Comme tout le reste de son corps. Ils avaient une texture douce, fluide et étrangement ondulée. C’était comme s’ils étaient faits d’une fibre nouvelle, inaltérable. On n’avait jamais vu Jazz avec la tignasse terne, abîmée ou sèche. Elle ne savait pas ce qu’était l’idée d’avoir de la paille sur la tête. Du feu en revanche, oui. « Tu es vraiment parfaite. » Le bras retombe, serre la couverture contre elle. Elle se dissimule encore, après tout ça. Elle se dissimule encore alors qu’il vient de parcourir l’intégralité de son enveloppe charnelle mal apprivoisée.
« J’étais blonde.. » Elle lui doit bien quelques explications. Elle était en couple avec lui et au final, Jared et Jazz ne savaient que le stricte minimum sur l’autre. « Avant l’accident j’étais blonde. Je ne peux pas t’assurer qu’il n’y aura pas de manifestation physique à ce qui est en train de t’arriver. Je peux seulement.. être là pour toi, Jared. Porter un masque s’il le faut et te soigner dans la mesure du possible. » Elle avait les bases nécessaires, la survie, les premiers secours, la diplomatie, la gestion des risques, la notion de choix et autant d’amour que possible à lui donner. « … est-ce que tu veux bien que j’emprunte ta douche ? Et un t-shirt.. » Elle s’écarte. Il lui faut une douche froide. Pourquoi est-ce que Jared n’a pas de manifestions spontanées et régulières de son tout nouveau pouvoir alors que sa vieillerie génétique faisait des siennes dés qu’une variation intense se faisait sentir ? C’était carrément injuste !
Une vie de super-héros, c’est cool. Dangereux, mais cool. Risqué, mais cool. Il en a pleinement conscience. Harry n’a pas arrêté de le lui répéter et il suit assez ce que font ces justiciers en collants pour savoir comment ça se passe. Mais il est prêt à se lancer dans l’aventure. Il en a assez rêvé pour faire demi-tour dès que l’occasion se présente. Ce ne serait pas Jared Hemingway, si il prenait peur. Il ne sait pas comment il va s’y prendre pour devenir un super-héros. Faudrait peut-être qu’il cherche sur Google et qu’il se documente. Y a des livres pour ça ? Des modes d’emploi ? Est-ce qu’il faut postuler quelque part ? Il aurait dû poser la question à Daredevil quand il l’a croisé ! Pourquoi il n’a jamais les bonnes questions ? Non mais franchement ! Une fois qu’il aura les réponses, il les partagera sur son blog. Comme ça, si d’autres veulent débuter une carrière de super-héros pas payé du tout, ils pourront le faire. Il sait aussi que lorsque la situation tournera mal, il aura une pensée pour ses proches. Il est même possible qu’il pense “ils avaient raison”, avant de tomber de trois mètres de haut parce qu’il n’aura pas su éviter le rebord de la fenêtre. Il y aura forcément des moments de ce genre. Faut pas croire, derrière ses sourires idiots et ses têtes de chien battu, il y a un cerveau qui fonctionne. Un peu. Il sait ce qu’il laissera derrière lui. Une mère en larmes. Des grands parents effondrés, désorientés. Des amis attristés. Une petite-amie en pleine crise de culpabilité. “Je vais t’aider.” Hein ? Il baisse le regard sur elle. Elle ne peut pas. Elle n’a pas le droit. Déjà, parce que dans le guide du super-héros parfait, il y a une règle qui dit “ne pas travailler avec sa/son compagnon”. Pour plusieurs raisons : 1/ vous risquez de vous inquiéter pour elle/lui plus facilement que pour les civils que vous devez aider 2/ il/elle ne manquera de vous rappeler en plein combat la lessive que vous n’avez pas étendue 3/ il/elle vous décrédibilisera avec des surnoms pourris du type ‘mon roudoudou d’amour’, ‘chéri’, ‘mon sucre en poudre” 4/ il/elle devient un moyen de pression pour le super-vilain. C’est incroyable que ce soit lui qui doive le lui rappeler ! Elle devrait le savoir pourtant, non ? En plus, elle est déjà une espionne. Elle ne peut pas avoir trois identités, c’est injuste ! Lui vient seulement de s’en découvrir une deuxième (et il ne sait pas encore comment se faire appeler) et elle, elle en veut déjà une troisième. Non ! Stop ! Faut en laisser pour les autres, Jazz ! Il grimace. Bon, peut-être qu’ils peuvent faire une exception ? Peut-être qu’ils peuvent se débrouiller quand même ? De toute manière, ils ne sont pas prêts de parler de lessive à accrocher, vu comme ils avancent doucement. Allez, ça se tente, non ?
Son index s’est mis à dessiner des cercles sur l’un des bras de Jazz. Il arrête son geste lorsqu’il sent son doigt s’emballer, être envahi par une espèce d’énergie comme si il accélérait. C’est flippant, cette histoire. Il va falloir qu’il découvre ce qu’il a et vite. Parce que ce serait un bon début pour trouver son alias et son costume. Pour commencer sa vie de super-héros. “Tu veux devenir un héros et j’ai les contacts dont tu as besoin. Et puis.. un héros a toujours besoin d’un acolyte.” Mouais. Spiderman travaille tout seul ! Le mec est à l’affût de toutes les occasions pour parader avec son costume d’araignée. On ne l’a jamais vu avec un autre super-héros. Ni Deadpool, d’ailleurs. Mais Deadpool n’est pas ce que l’on peut appeler à proprement parler un super-héros. Il serait plutôt un gars qui peut le devenir si il est grassement payé. Néanmoins, Jared n’oublie pas qu’il a été sauvé du béton du trottoir par Deady et qu’en prime, il a eu le droit à un gros câlin. Si ça, c’est pas cool ? Et puis, si Jazz a des contacts… Attendez, elle connaît vraiment tous les contacts des super-héros ? Genre leur pressing, leur tailleur, leur armurier, etc. ? TROP LA CLASSE ! Il va marcher dans les pas des grands ! Il touche son rêve du bout du doigt. Ça en est presque fou, incroyable. Il va vraiment falloir qu’il la torture pour savoir qui elle connaît et tout ce qu’elle sait sur les héros. Parce qu’il veut du scoop. Il veut des dossiers. Il veut tout savoir. “Mais j’te préviens, je suis aussi une catastrophe.” Il part dans un rire moqueur. Impossible. Elle ne peut pas être aussi maladroite et catastrophique que lui. Elle couche avec le roi de la maladresse. Sur sa page Wikipédia (oui, parce qu’il en a une… il l’a créée avant qu’elle ne soit supprimée car, jugée inintéressante par le site), il y a marqué qu’il a obtenu le trône depuis vingt-cinq ans. Maintenant, il faut attendre qu’il meurt pour hériter de sa couronne. Désolé ma jolie, ce ne sera pas pour tout de suite. Et puis, elle est une espionne, non ? Comment pourrait-elle être une catastrophe ? Elle est censée gérer la situation parfaitement. Savoir quoi faire et quand le faire. Pouvoir décider en une seconde top chrono. Pas créer des problèmes. “Pire que moi, ça n’existe pas !” Il bombe fièrement le torse, sourire aux lèvres. Par contre, elle peut être sa reine et ils auront des milliers de sujets à travers le monde. Ils partiront en tournée pour les rencontrer, leur serrer la main et les saluer en agitant leurs petits doigts boudinés par l’altitude. Ils peuvent faire ça ! Faut juste savoir si leur peuple de maladroits est si grand que ça et trouver des pays capables de reconnaître leur valeur.
Le sujet de l’apparence est abordé. Un sujet qui, dans un couple, peut vite devenir une raison de se disputer. Pas assez grand, pas assez musclé, pas assez élancé, pas assez bien habillé. Trop de diktats ! Jared s’est déjà vu reprocher la taille de ses bras. Ben quoi ? Ils sont grands et pas musclés, mais on s’en fout, non ? Tant qu’il a assez de force pour lever sa tasse de café tous les matins, il s’en fiche. Mais là, ils sont loin de la dispute. Il kidnappe la main qui caresse ses joues pour déposer un baiser au coin de son poignet. Ils ont anéanti la barrière du physique, s’attribuant le corps de l’autre. Peut-être que cette barrière sera de retour dès qu’ils auront quitté le lit. Tant pis. Ils ont déjà fait un grand pas, aujourd’hui. Un événement à marquer dans le calendrier et à célébrer tous les ans, vous ne croyez pas ? La première fois que Jazz a assez fait confiance à quelqu’un pour se dévoiler dans le plus simple appareil. “Je t’apprécie comme tu es. Un poil de plus ou de moins..” Elle sait qu’une barbe, c’est un peu plus qu’un poil, au moins ? Non parce que si ce n’est pas le cas, il va devoir lui enseigner quelques petits trucs sur le corps humain. Il sourit, pourtant. Parce qu’il va peut-être tenter sa barbe, finalement. Une barbe trouée par endroit. Il ne sera jamais embauché comme Père Noël avec une pilosité pareille. Cela dit, il n’en fera pas une dépression. Travailler deux mois par an et porter un costume moche, ce n’est pas pour lui. “Il y aura peut-être du changement, alors !” Et comme ils ont le talent pour ne pas se voir pendant plusieurs jours, elle pourrait s’en rendre compte dès la prochaine fois. En quelques jours, les premiers poils auront déjà eu le temps de s’installer et de créer un petit duvet sur ses joues et au-dessus de sa lèvre supérieure. Il pourra lui gratter la peau avec sa barbe, elle va être ra-vie ! “J’étais blonde..” Ah oui ? Elle a succombé à l’appel de la coloration comme beaucoup d’autres. Bworf, Jared ne change pas d’avis. Elle reste la femme parfaite. Si elle veut jouer avec ses cheveux, telle une artiste, il s’en fout. Enfin, si un jour, elle débarque avec les cheveux roses pétants, il n’est pas sûr de rester impassible. Il se pourrait qu’il explose de rire, avant de reprendre son sérieux. Faut pas lui en vouloir ! C’est un grand enfant qui s’amuse devant tout et n’importe quoi. “Avant l’accident j’étais blonde. Je ne peux pas t’assurer qu’il n’y aura pas de manifestation physique à ce qui est en train de t’arriver. Je peux seulement.. être là pour toi, Jared. Porter un masque s’il le faut et te soigner dans la mesure du possible.” Aaaaah ! Donc, elle est passée du blond au roux. Bon, c’pas si terrible comme changement physique. Si il doit devenir blanc de cheveux, il est prêt à l’accepter. Il craignait des modifications plus radicales. Une nageoire dans le dos. Une troisième jambe. Des milliers d’yeux. J’sais pas ! N’importe quoi qui pourrait le dénoncer comme super-héros. Ce serait pas facile de vivre normalement avec une nageoire dans le dos, vous imaginez ? A la piscine, tout le monde se mettrait à hurler qu’il y a un requin dans l’eau ! “T’es pas obligée de le faire…” Sa réponse tombe au milieu de ses pensées en délire. Elle n’est pas obligée de le suivre dans ses aventures. Elle n’est pas obligée de consacrer ses seuls moments de liberté à courir après des méchants. Elle n’est pas obligée de risquer sa vie. Ce n’est pas ce qu’une petite-amie normale ferait. Surtout, il ne veut l’obliger à rien. Elle a déjà failli mourir il y a quelques jours. Elle pourrait recommencer encore et encore.
Il baisse les yeux sur elle. Il s’en voudrait terriblement qu’il lui arrive quelque chose. Elle ne mérite pas d’être tuée ou blessée parce qu’il s’est cru plus grand et plus fort que Captain America. D’un autre côté, une aventure pareille vécue seul n’aurait pas le même goût. Il va avoir besoin de la partager. D’en parler. Jazz est la seule personne qui pourra l’écouter et comprendre ce qu’il raconte. Sans le prendre pour un fou. Détail très important. “… est-ce que tu veux bien que j’emprunte ta douche ? Et un t-shirt..” Il ramène son bras le long du corps et repousse les draps. Un tee-shirt. C’est pas qu’il n’en a pas, hein. Mais la plupart sont à laver. Les autres sont des trucs de super-héros qu’il met pour les conventions. Il va se taper la honte. Il attrape son boxer qui traîne dans un coin et l’enfile avant de se lever. N’oublie pas de dandiner des fesses pour aller jusqu’à l’armoire, Jared ! Lààà, voilà. Ah non, c’est parce qu’il a marché sur un morceau du réveil. OUCH ! Une bonne grosse douleur dans la plante des pieds. Il atteint quand même son meuble. Aloooors, voyons voir ! Là ! Celui-là ! Le seul qui sente plus ou moins bon et qui n’ait pas de logo ou de tête de X-Man dessus. Il le récupère et retourne vers le lit. “Tu feras attention, la tringle du rideau ne tient pas vraiment… J’voudrais pas que tu te fasses assommer.” Il se penche pour l’embrasser. Oui, son appartement est un taudis. Il ne se décide pas à partir. Il n’y arrive pas. Il a le même appartement depuis qu’il est arrivé à New-York. Et puis, vous avez vu les prix d’un loyer, ici ? Si il souhaite changer, ce sera pour plus confortable et pour plus grand. Un changement qu’il ne peut pas se permettre pour le moment. Il laisse Jazz filer dans la salle de bains. Lui, il compte bien s’occuper. Il a une idée derrière la tête : tester ses capacités. Pour enfin savoir ce qu’il peut faire. Il veut savoir, bon sang ! Pour pouvoir rêver de ses sauvetages extrêmement dangereux d’un enfant qui traverse le passage piéton au rouge. Pour pouvoir empêcher un vandale de taguer “fuck ta mère” sur la boîte aux lettres de son pote. Il doit savoir. Il reste convaincu qu’il a une super-vitesse. Alors, il se met dans un coin de son appartement. Il sautille sur place pour s’échauffer un peu les muscles. Il a vu les footballeurs le faire, c’est que ça doit fonctionner. Et puis, il se lance. D’abord, normalement et puis, tout devient vite flou autour de lui. Comme si il était à bord d’une voiture. Comme si il prenait de la vitesse. Il se met à tourner en rond dans son séjour. Il rase les meubles, prend des virages serrés, fait tomber quelques objets, fait voler les journaux. “JAAAAAAZZ ! VIENS VOIR !” Faut qu’elle voit ça ! Il ne s’arrête pas de courir. Au contraire, il accélère le pas. Il y a une petite odeur de brûlé, quand même, non ? Ça doit être la voisine qui laisse ses pâtes cramer, encore. SPLOUCH. BIM. Le pied sur un morceau de lasagne. Le visage explosé contre le mur d’en face. Il tombe, cul par terre. Le visage lui fait un mal de chien. Il saigne même un peu de l’arcade sourcilière et du nez. Mais putain, il court ! Il a un foutu sourire joyeux sur les lèvres. Il couuuuurt ! Il lève les yeux vers Jazz. “T’as vu ça ?!” Okay, il faut qu’il recommence. Il faut qu’il réessaye. Maintenant.
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
L
a tringle du rideau ne tient pas bien. Elle en fait rapidement les frais en manquant se la prendre sur la tête. Non seulement Jared est un danger public mais son appartement veut sa mort. C’est chouette, comme ambiance. Vraiment. Peut-être qu’elle finira par se tuer en traversant son plancher. La douche apaise les sens. L’eau rafraîchit la peau, efface les traces des ébats, ramène les cellules à un état plus tranquille. Les molécules cessent de s’agiter, cessent de chauffer. Combien de temps est-elle restée là ? Pas longtemps. Juste assez pour se remettre, juste assez pour se rafraichir les idées. Il y a quelque chose qui la dérange. Elle est tendue. Du peu de discours qu’elle avait entendu, les tensions et l’inquiétude ne faisaient pas partie des émotions habituellement ressenties quand on aime quelqu’un. Elle n’était pas finie, il n’y avait pas d’autre explication plausible. Bruit sourd. Elle esquive de justesse la tringle en attrapant une serviette propre. Il avait raison, elle pouvait se faire assommer par ce truc. Elle enfile finalement le T-shirt, constate qu’il est assez long pour lui faire une tunique et s’observe vaguement dans le miroir. Les cheveux mouillés, elle se sent un peu comme un caniche royal mal peigné. « JAAAAAAZZ ! VIENS VOIR ! » Dérapage mal contrôlé. Elle se rattrape au mur en arrivant dans la pièce, manquant glisser. Est-ce que la maladresse est contagieuse ? Ca sent le brûlé et ses yeux arrivent à peine à suivre les mouvements du jeune homme. Wow. Un speedster. Et pas du plus bas niveau.
C’est à lui de glisser, sur un morceau de lasagne. Par réflexe, elle a levé les mains, figeant ce qui a manqué basculer suite à sa chute. Qu’est-ce que .. ? Il y a un espèce de cadre qui penche dans le vide, juste au-dessus de Jared qui, lui, a échappé à la suspension surprise. Merde alors. Il bouge. Pas le reste de la pièce. « T’as vu ça ?! » Temps de latence. Oui, elle a vu. Elle voit encore. Et lui, est-ce qu’il voit le regard lumineux qu’elle pose sur lui ? Ils sont dans une faille, quelque chose comme ça, c’est la seule explication. Ou son appartement renferme un artefact mystérieux, un machin alien qui rendrait toute cette histoire beaucoup plus logique. « Ca va.. ? Tu ne t’es pas fait mal ? » Elle tente de garder son calme. C’est ce que ferait une super professionnelle. Une super professionnelle ne serait pas en t-shirt et petite culotte, les cheveux mouillés, sur le lieu de sa mission, remarquez.
« Attention ! » Elle a tendu le bras, par un réflexe idiot, et le cadre qui était reparti en mouvement en direction du crâne attractif du coursier s’est à nouveau figé. Okay. Donc le réveil c’était elle, ça n’était pas Jared. Et la vitesse c’était lui, pas juste un vertige. Elle s’approche pour l’aider à se relever et l’écarter définitivement de sa dangereuse décoration. Il a activé une faculté dormante. C’est forcément lui. Elle ne devient une catastrophe sur pattes qu’en sa présence - du moins en ce qui concernait son corps et non ses capacités, qui elles étaient invariablement abonnées aux dégâts irréversibles. « Ce serait bien que mon premier petit-ami survive un peu plus de trois mois.. » Elle part chercher un mouchoir en papier dans son sac pour tamponner l’arcade qui saigne, doucement. Il est surexcité. Il a trouvé comment activer son pouvoir. Il allait être encore plus intenable qu’un enfant devant un stand de bonbons. Jazz allait devoir jouer à la maman pour le canaliser et qu’il ne se blesse pas, laissant de côté ses propres questionnements.
« Si tu veux essayer, fais-le dans un endroit plus grand, ici tu risques de te blesser.. et de mettre le feu au parquet. » Un baiser tendre, du bout des lèvres, contre les siennes. Un baiser timide. Elle prend tout de même une minute pour sécher ses cheveux, dans une fabuleuse tricherie : en chauffant les molécules, elle chasse l’eau qui s’évapore et rend à la tignasse rousse toute sa légèreté. « Fais pas cette tête, c’est une astuce comme une autre. » Le cadre s’écrase finalement lourdement sur le sol, projetant des débris de verre. Sympa. Non vraiment, cet endroit est sympa. Et elle en conclut que Jared est tout sauf un bricoleur, ou alors il a eu la flemme. « La tringle aussi. Ta salle de bains a voulu ma mort. »
Vous avez vu ? Il va vite. Encore plus vite que sur son vélo. Encore plus vite que dans une voiture. Si vous n’avez pas vu, il peut recommencer ! D’ailleurs, il va recommencer. Il veut voir jusqu’où il peut aller, quelle vitesse il peut atteindre. Vous imaginez, si il peut traverser la planète de bout en bout juste en courant ? Si il peut sauver de nouveau des vies ? Si il peut dépasser la vitesse d’une Ferrari ? Trop cool ! Trop, trop, trop cool. Le meilleur pouvoir de la Terre entière. Thor et son marteau peuvent aller se rhabiller. Captain America peut oublier son bouclier. L’Human Torch peut remballer son sourire. Parce que Jared arrive avec sa vitesse incroyable. Il y a déjà un Avenger et un Young Avenger qui possèdent cette capacité. Pas grave ! Jared aura plus de classe et d’humour, voilà tout. En plus, il va avoir un super costume rouge créé par un petit génie du S.H.I.E.L.D.. Ils seront dans leur jalousie pendant qu’il sera dans sa tenue de héros et qu'il donnera un coup de main aux forces de l'ordre entre deux livraisons. Est-ce que le fait d’aller vite va aussi lui permettre de travailler plus rapidement ? D’écrire, de réfléchir, de décider plus rapidement ? Dans ce cas, son blog va être plus actif que jamais. Si il est capable de trouver des informations, d’écrire et de relire ses articles en une minute top chrono, il gagnera un temps incroyable ! Il pourra trouver d’autres super-héros, leur parler, leur proposer des interviewes. OH ! Il pourra même jouer de son statut de super-héros pour les rencontrer. Il va enfin croiser ceux qu’il ne parvenait pas à voir ! Il va enfin découvrir tout ce qu’il voulait savoir sur le monde des héros ! L’hôpital top secret (il est toujours convaincu qu’il existe), les armes, les réunions héroïques, l’élaboration de stratégies d’attaque… Il va finalement avoir le nez en plein dedans, maintenant. GÉ-NIAL. Il croise finalement le regard de Jazz. Elle semble totalement perdue, effrayée, surprise. Un mélange de ces trois émotions. Elle le regarde à peine, trop concentrée sur ce qu’il se passe autour d’eux. Ce n’est seulement que maintenant qu’il réalise. Tout ce qu’il a déplacé dans sa course et dans sa chute est stoppé. Figé, suspendu dans les airs. Qu’est-ce qu’on a fait à ses boîtes de nourriture ?! On les fige pas comme ça, c’est méchant et cruel ! C’est aussi magique. Incroyablement magique. Au-delà du fait que ce soit scandaleux, évidemment. ’’Ca va.. ? Tu ne t’es pas fait mal ?’’ Il éclate de rire. Un rire un peu fou, sûrement. S’être fait mal ? Comment pourrait-il s’être fait mal, alors qu’il vient de courir plus vite qu’Usain Bolt dans son salon de quelques mètres carrés ? La douleur de son fessier n’est rien comparée à l’ivresse de la vitesse. Elle devrait essayer ! Elle saurait. Elle saurait qu’on ne peut pas se focaliser sur la souffrance quand on touche enfin son rêve du doigt. Elle saurait qu’on se fiche des objets cassés et des dangers affrontés quand on peut enfin devenir un super-héros. « Ca va tellement bien, si tu savais ! » Elle ne peut pas comprendre, elle n’a jamais désiré avoir des pouvoirs. Elle n’a jamais rêvé de devenir une héroïne. Elle a juste eu des capacités parce que son père était un passionné et cherchait à rendre les Hommes plus forts, plus extraordinaires.
C’est l’euphorie chez Jared. L’excitation. La joie. Il ne sait même pas à combien de kilomètres par heure il a couru. Il s’en fiche. Par contre, il ne se fiche pas de l’odeur de brûlé qui s’élève de son parquet. Il jette un regard inquiet dessus. Habituellement, cette odeur débarque quand il laisse sa pizza brûler dans son four ou quand il tente de cuire une côtelette dans une poêle. Bon, d’après ce qu’il voit, il n’y a pas de risque immédiat d’incendie. Il y a seulement une légère fumée qui s’élève du sol boisé et une trace noirâtre. Autrement dit, tout est sous contrôle ! Quand j’vous dis qu’il a l’étoffe d’un super-héros ! ’’Attention ! » Il lève les yeux vers la jeune femme. Attention à quoi ? Y a rien de dangereux, dans le coin. Tout est figé par la volonté du Saint Esprit, faut qu’elle détresse ! Hey, attendez, elle porte mieux son tee-shirt que lui. Pourquoi ? POURQUOI ? Il l’a acheté en se disant qu’il serait peut-être décontracté-sexy-chic. Finalement, quand il le porte, il a juste l’air d’un mec normal qui porte un tee-shirt normal. Mais sur Jazz, le vêtement devient sexy. Cette femme s’habillerait d’un sac poubelle qu’elle serait désirable, c’est désagréable ! Enfin, ça le serait si elle n’était pas sa petite-amie. Il a de la chance, le petit Jared. Petite-amie qui se rapproche pour l’aider à se relever. « Ce serait bien que mon premier petit-ami survive un peu plus de trois mois.. » Mais il va survivre ! Faut toujours qu’elle en fasse toute une histoire, en exagérant et en s’effrayant d’un rien. Il s’est juste pris le mur en courant. Il a juste été un peu foufou en voulant tester ses capacités. Au moins, il sait à quoi s’en tenir. Il sait qu’il est vraiment un speedster. Le reste, c’est soit le fait d’un fantôme, soit le fait de Jazz. Avec l’aide de la jeune femme, il se remet sur ses pieds. Son coccyx est douloureux, mais il semble toujours être en place. Rien de grave, docteur ! Le patient va survivre. Il aperçoit alors le cadre qui flotte, attendant d’être libéré pour poursuivre sa chute. Jared le pousse doucement du bout du doigt (faudrait pas que ça lui explose entre les mains). L’objet ne réagit pas, complètement stoppé dans sa course. Le pauvre cadre ! Il n’a même pas le droit de connaître une chute rapide ! Jared s’installe sur le canapé, non sans une petite grimace pour son derrière qu’il écrase de nouveau. Comme les retraités, il va se promener avec son petit coussin sous le bras. En vélo, dans un café ou au cinéma, il aura toujours de quoi assurer le confort de ses petites fesses. Il se penche en avant, gardant une main juste devant lui. Si il peut courir vite, ça explique aussi les mouvements de sa main tout à l’heure. Il n’a pas besoin d’être entièrement mobile. Une partie de son corps peut bouger sans que le reste ne soit entraîné. Vous imaginez ? Il pourra lire tous les livres de Jazz avant même qu’elle ne les commence et lui raconter la fin. Muhahaha. Il va y avoir du chantage dans l’air !
Il laisse sa main retomber quand elle revient auprès de lui, un mouchoir entre les doigts. C’est vrai qu’il saigne. Il s’est légèrement amoché en frappant le mur. Il a vu pire, raison pour laquelle il ne s’en préoccupe pas. "Tu te rends compte ? C’est tellement formidable ce qu’il se passe ! Je le savais que j’aurais des pouvoirs, un jour. AÏEUH… Je le sentais ! Depuis tout petit, je rêvais de devenir un super-héros et regarde, je courre... argh... super vite ! OUCH… Bientôt, j’pourrai sauver des vies et rencontrer les Avengers… HEEEEY ! Tu peux pas être plus douce ? Je souffreuuuh !" Jared est un très mauvais patient. Encore plus quand il est surexcité et qu’il ne tient pas en place. Il a besoin de bouger, de s’exprimer, rendant les gestes de Jazz plus douloureux que si il restait sagement silencieux. Mais comment rester silencieux quand on vient de vivre une expérience pareille ? Et encore, il est supportable pour le moment. Elle verra quand il sera enrhumé ou qu’il se sera cassé quelque chose chose. Pour le premier cas, il sera le pire patient du monde, à imaginer sa mort prochaine et à se plaindre toutes les cinq minutes. Dans le second cas, il continuera à bouger dans toute la ville, comme si de rien n’était. Un peu de plâtre n’a jamais réussi à l’arrêter dans ses déplacements. ’’Si tu veux essayer, fais-le dans un endroit plus grand, ici tu risques de te blesser.. et de mettre le feu au parquet. » Il fait une moue. Mettre le feu au parquet. Si seulement elle savait. C’est la chose la moins horrible qui lui a été donné de faire à cause de sa maladresse. Mais d’accord, il essayera de s’entraîner ailleurs. Où ? Dans la rue ? Sur un terrain d’athlétisme ? Dans un gymnase ? Il ne peut pas courir n’importe où, il risquerait d’être découvert ! La seule solution qui lui reste, c’est de se trouver un appartement plus grand qui supporterait ses courses. Est-ce que ça existe ? “Je veux bien, mais où ? J’te rappelle que je dois rester discret.” Il a un grand sourire fier sur les lèvres. Il a bien appris sa leçon, le petiot ! Il a l’air con comme ça, mais en réalité, il a une bonne mémoire. Il est même capable d’enregistrer ce qui ne l’arrange pas pour ensuite le ressortir au bon moment. Un super-héros ne peut pas s’entraîner n’importe où ni n’importe comment. En particulier quand il est maladroit. Et puis, il doit garder son identité secrète ! Il ne peut donc pas s’inscrire dans une salle de sport ou dans un club d’athlétisme. Vous imaginez le gars se pointer dans son costume rouge ? Et dans les douches, il ferait comment ? Si Jazz lui interdit de s’entraîner chez lui, va falloir qu’elle lui trouve un endroit parfait. Et attention, il est exigeant ! Pause. Il vient de se passer quoi avec sa crinière rousse, là ? “Fais pas cette tête, c’est une astuce comme une autre.” Il referme la bouche qu’il a ouverte sans s’en apercevoir. Elle vient quand même de se sécher les cheveux en soixante secondes. Sans sèche-cheveux. Va falloir lui expliquer. En fait, il sait ! Jazz est une sorcière. Elle pense à une incantation et hop, ça se réalise. C’est bon, il a percé son secret ! Elle n’a rien d’une femme qui a subi les conséquences d’une expérience, elle est une sorcière ! La vilaine menteuse !
Il est sorti de son état de choc par le bruit du cadre qui s’écrase par terre. Des morceaux de verre rebondissent sur le sol. Génial. Entre les restes de nourritures et les débris, son appartement devient une vraie porcherie. Et dire qu’il avait fait le ménage ! Quand Jazz est là, son logement se transforme en taudis. Il faut qu’il comprenne quelque chose, vous croyez ? “La tringle aussi. Ta salle de bains a voulu ma mort.” Qu’est-ce qu’il avait dit ? Ce rideau de douche est un vrai danger domestique ! Il suffit de vouloir tirer le rideau pour que la tringle s’effondre. Il a bien essayé de la refixer, mais soit le mur s’effrite, soit il fait tomber la perceuse sur son pied, soit il se contente de la coller avec de la glue 3 secondes. Il a prévenu le propriétaire des centaines de fois. Le propriétaire a répondu des centaines de fois qu’il a qu’à se démerder et que tant qu’il ne crevait pas, ce n’était pas de sa responsabilité. Connard de proprio. Résultat, Jared a appris à éviter la tringle. Une petite glissade sur la gauche et hop, il échappe à l’assommage ! Il pose les yeux sur les pieds nus de Jazz. Une personne normale craindrait les coupures. Est-ce qu’elle est une personne normale ? Il en doute. Elle le lui a prouvé à plusieurs reprises. Mais quand même ! Lui aussi a les pieds nus. Lui aussi risque de marcher n’importe où. Enfin, il ne risque pas. Il va marcher n’importe où. “Je t’avais prévenue et en plus c’pas de ma faute ! C’est celle du fantôme qui fige tout, j’en suis sûr. Bon ! Je vais ramasser tout ça avant que tu ne te blesses… à moins que tu n’aies une super-peau à l’épreuve des coupures ?” Un sourcil levé, le regard inquisiteur. Est-ce qu’elle lui aurait caché une autre capacité ? Avec elle, on n’est à l’abri de rien. Entre les cheveux qui se sèchent seuls (on en parle de cette énième injustice ?) et la possibilité de faire exploser des choses, elle pourrait bien avoir une soeur jumelle ou une deuxième tête. Il l’abandonne pour récupérer sa pelle et sa balayette. Faire le ménage en boxer, c’est quand même un truc dont il n’a pas l’habitude. Il ne manque plus qu’une chanson du genre “Girls just wanna have fun” sur laquelle il se dandinerait et le tableau du ridicule serait au complet. Il récupère l’ensemble des trucs dégueulasses qui jonchent le sol de son parquet (est-ce que c’est un bout de sushis qu’il vient de trouver ?) et balance tout dans la poubelle. Il se frotte les mains. Well done, Jared ! Les poings sur les hanches, il admire son oeuvre. Son regard retombe sur Jazz dans son vêtement trop grand. “Tu sais que t’es terriblement sexy dans ce tee-shirt ? Bien plus que je pourrais l’être dans une de tes robes !” La palme du pire compliment au monde est décerné à… roulement de tambours… JARED HEMINGWAY ! Pour sa défense, à chaque fois qu’il en fait des sincères à Jazz, elle rougit. Alors peut-être qu’en le déguisant derrière un peu d’humour, elle sera moins gênée. Peut-être. Faut bien qu’il apprenne à réagir en fonction de ses réactions. Après tout, ils ne se connaissent pas beaucoup.
Ils sont encore dans leur période de découverte et de connaissances. Il n’est pas pressé de lui dévoiler qui est vraiment le mystérieux et grandiose Jared Hemingway (ou plutôt, le pitoyable et insouciant Jared Hemingway). Elle risquerait de prendre peur. Par contre, en savoir plus sur elle, ça l’intéresse. Il est curieux de tout savoir sur son histoire, de tout découvrir sur sa vie. Et de voir ce qu'est vraiment son métier. “Tu avais un rêve quand tu étais petite ?” Tous les enfants ont des rêves. Devenir astronaute. Aller au parc Disney. Avoir un cheval. Dormir dans un magasin après la fermeture. Des rêves plein d’espoir et d’innocence. Tous les enfants normaux en ont. Si Jared est en train de vivre le sien, il se demande si Jazz a déjà réalisé un de ses rêves. Ou même si elle est capable de rêver. Ça paraît fou de ne pas avoir d’espoirs, mais elle est un peu folle, vous ne trouvez pas ?
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
I
l est heureux. Il voit son rêve se réaliser, alors son enthousiasme déborde, son enthousiasme se lit dans ses yeux, dans son agitation impossible à canaliser. Ce sera pire dans quelques temps. Ce sera pire quand il fera tout plus vite que tout le monde, et tandis qu’elle efface le sang qui coule un peu sur son visage, il parle, il parle, et il râle beaucoup aussi. Il aime bien râler. Elle sourit à le voir jouer au mauvais patient. Ca, elle gère. C’est plus facile que d’avoir une quelconque forme d’intimité. « HEEEEY ! Tu peux pas être plus douce ? Je souffreuuuh ! » Un baiser pour le faire taire. Aux enfants on propose un bisou magique, à Jared elle propose un baiser tendre, ça lui fera oublier sa terrible souffrance de super-héros courageux. Les lèvres finissent toutefois par se détacher, parce qu’elle ne tenait pas à le déconcentrer, à le détourner de ses espoirs. Il est heureux, elle veut qu’il le reste, elle veut qu’il s’accroche encore quelques temps au positif avant que l’obscurité du monde ne finisse par l’engloutir comme elle engloutit chacun d’eux. Au premier échec, à la première vie perdue, quelque chose se brise toujours. « Je veux bien, mais où ? J’te rappelle que je dois rester discret. » Il a retenu la discrétion, c’est un bon point. Il a retenu qu’il ne peut pas crier sur les toits qu’il a des pouvoirs hors du commun. Il sait qu’il doit être prudent, ça ne veut pas dire qu’il parviendra à l’être, parce qu’il est impulsif et bien trop désireux d’aider à changer la société. Société qui ne changera pas. Société qui restera cruellement discriminante, quand bien même Jazz passe son temps à persuader son entourage du contraire. « Toi, moi, une plage la nuit ? » La proposition n’est-elle pas tentante ? Courir avec l’air frais, devant une superbe étendue d’eau (également susceptible d’amortir une chute rapide), avant et après un pique-nique en amoureux. Il va falloir ajuster son régime alimentaire sinon il allait nous faire un infarctus ou une hypoglycémie carabinée. Aller, hop hop hop, il doit manger.
« Je t’avais prévenue et en plus c’pas de ma faute ! C’est celle du fantôme qui fige tout, j’en suis sûr. » Le fantôme qui fige tout. Elle n’a pas encore réfléchi à cela. Elle n’a pas encore envisagé la pleine compréhension de ce qui suspendait les objets dans les airs. Ca venait d’elle, c’était certains mais ça ne faisait pas partie de ses facultés. Elle accélérait les molécules au point de les faire entrer en combustion, rien de plus, rien de mois. Outre le fait qu’elle soit immunisée contre les flammes et qu’elle puisse sécher ses cheveux à la vitesse de l’éclair - à la vitesse de Jared, en fait. Ca a eu l’air de le sidérer, le pauvre. Il s’y habituera, il se fera à toutes les bizarreries qu’une mutation peut permettre. « Bon ! Je vais ramasser tout ça avant que tu ne te blesses… à moins que tu n’aies une super-peau à l’épreuve des coupures ? » Euh.. non. Elle a bien des aptitudes mais ça n’en fait pas partie. Sans sa tenue du SHIELD, elle n’est jamais qu’un être humain qui crame ses fringues à la moindre occasion. Il entreprend de nettoyer le carnage qu’ils ont provoqué, sans doute fier de ne rien avoir renversé en voulant ranger, et elle se contente d’observer, les bras ballants, sans trop savoir ce qu’elle devait faire. Elle aurait bien aidé mais elle ne savait pas s’il avait besoin d’un minimum de bordel pour se sentir dans son élément.
« Tu sais que t’es terriblement sexy dans ce tee-shirt ? Bien plus que je pourrais l’être dans une de tes robes ! » Elle rougit. Le compliment est détourné mais ça ne l’empêche pas de rougir, de baisser les yeux, et de ne plus savoir dans quel trou de souris se cacher. « Tu avais un rêve quand tu étais petite ? » Hein ? Comment sont-ils passés de Jared en robe à ses rêves ? Elle a manqué un épisode ? Ca y est, il commence déjà à penser trop vite, à parler trop vite, à réagir trop vite. La pauvre petite Jazz est trop lente pour suivre. « Non. » Ca c’est ce qu’on appelle une réponse courte et directe. Non, mini Duchannes n’avait pas de rêves parce que mini Duchannes n’avait pas eu le temps d’être une véritable gamine normale. Elle comprend à retardement qu’il cherche simplement à la connaître. « Ma mère est tombée malade alors que j’étais très jeune, j’ai vite compris qu’on n’était pas éternels et ça ne m’a pas vraiment laissé le temps de rêver. » Elle a peut-être rêvé que sa mère aille bien, qu’un remède soit trouvé, que la sublime musicienne puisse retourner sur scène, revienne lui jouer des sonates au piano ou chanter des berceuses. Jazz ne s’est pas vue danseuse, acrobate ou princesse, seulement entourée de ses parents d’ors et déjà condamnés à la séparation. On dit jusqu’à ce que la mort nous sépare, la cruelle l’a fait puis les a réuni loin de la gamine d’alors. « C’est pour la sauver que mon père s’est acharné à travailler sur la génétique. Sans cette explosion, il aurait sans doute pu faire d’elle ce que je suis aujourd’hui. » Assise sur le canapé, désormais, elle observe la pièce. Si c’était sensé être une conversation dans la joie et la bonne humeur, c’était loupé. « Et toi, en dehors des super-héros et des filles explosives ? » Son existence devait être moins chaotique, bien plus intéressante aux yeux de la rousse qui lui offre un sourire, jouant du bout des doigts avec le bas du t-shirt trop grand - et soit disant terriblement sexy.
Jazz vient de se classer dans le top 3 des meilleures infirmières de la Terre entière. Vous avez déjà vu une femme vous embrasser pour faire passer la douleur ? Pas Jared ! Il aime bien cette technique pour le faire taire et pour lui faire oublier sa souffrance. Peut-être que Judith devrait s’en inspirer. Cette femme est un vrai danger public ! Encore pire que Jared. Elle est du genre à vous sauter dessus parce que vous avez osé la frôler. Il en a fait les frais. D’ailleurs, il pourra lui envoyer un mail fort sympathique pour lui annoncer que son appareil fonctionne toujours. Bébé Thor peut encore servir pendant de nombreuses années ! Elle va échapper aux poursuites judiciaires. Et peut-être que dans sa grande bonté, il annulera sa dette de services… Non, en fait, il ne l’annulera pas. Pour une fois que Judith lui doit quelque chose. Il a hâte de voir sa tête quand il lui demandera un service à la con. Du genre “va me chercher des sushis” à trois heures du matin. Du style “masse-moi les pieds”. Ou bien, “Dis-moi que tu craques pour moi, en vrai”. Oh oui ! Il serait con de faire sauter ses services. Elle va le haïr pour le restant de ses jours. Ce qui est déjà plus ou moins le cas. Bref, on en était où ? Oui ! Jazz est la meilleure infirmière du monde. La femme parfaite, quoi. Il fallait s’y attendre. Et finalement, il a presque envie de surjouer encore un peu pour qu’elle revienne à la charge avec ses lèvres. De toute manière, son cerveau est déjà parti ailleurs. Pensant à l’endroit où il ira s’entraîner. Un endroit isolé, forcément. Pas un endroit où tout le monde pourra le voir. Mais il n’a pas l’argent pour s’acheter un terrain de plusieurs hectares. Va falloir trouver quelque chose d’autre. Il confie le soin de trouver le lieu au cerveau du couple : Jazz. “Toi, moi, une plage la nuit ?” Les paupières se mettent à papillonner. Une plage ? Pour courir ? Elle a déjà essayé de courir sur une plage, au moins ? Il n’a jamais voyagé et n’a jamais vu une plage de sa vie. Par contre, les vidéos d’idiots qui essayent ne manquent pas sur Internet. Les seuls gars qui ont la classe en courant, ce sont les sauveteurs d’Alerte à Malibu. Et encore, c’est parce qu’ils courent au ralenti. Derrière ses mots, il y a une proposition sous-jacente. Une proposition sous-entendue. L’idée d’un moment romantique, perdu près de l’eau, au coucher du soleil. Il n’aurait jamais cru qu’elle soit capable de penser à ce genre de chose. Est-ce qu’une partie de jambes en l’air suffit à transformer une vierge complexée en une romantique avérée ? Ce serait drôle de voir ce changement. Si il ne brille pas comme coureur sur le sable, il pourrait au moins briller comme petit-ami attentionné et amoureux. “Vendu !” Ils vont devoir faire leurs bagages dès maintenant et s’envoler pour une destination de rêve, alors. Ah oui, petit détail : il n’a pas les moyens de partir en vacances. Et puis, les super-héros ne prennent pas de congés ! Ils sont toujours présents, prêts à agir. Alors, Jared ne peut pas s’absenter plus d’une semaine, hors de question !
Bordel, ça se bouscule dans sa cervelle. Faut croire qu’il a beaucoup de choses auxquelles penser. C’est limite si il n’a pas assez d’un seul cerveau pour assurer derrière. Il lui faudrait une deuxième bouche, aussi, tiens. Et une deuxième tête. Et un deuxième Jared pendant qu’on y est. Est-ce que le monde est prêt pour un deuxième Jared ? Je ne crois pas, non. Le monde doit encore évoluer et mûrir pour mériter une telle créature sur son sol. Un seul énergumène de cette espèce est déjà suffisant. Sinon, on perdrait le monde dans un cataclysme maladroit et inconscient. Mince, Jazz rougit encore ! La technique du compliment camouflé derrière de l’humour ne fonctionne pas. Échec. Fail. Try again. Mais try again quoi ? Il a épuisé toutes ses techniques imparables. En principe, l’humour fait rire. Même si il s’agit d’un compliment. En principe, la femme sourit et le remercie. Elle ne rougit pas. Elle ne se tortille pas dans son tee-shirt. Il va vraiment falloir qu’il trouve d’autres moyens de la complimenter, sans générer de la gêne. Attendez ! Et si il pointe du doigt ce qu'il pourrait trouver disgracieux ? Non, oubliez. Mauvaise idée. Il lui faut un spécialiste des relations amoureuses. Il lui faut un professionnel. Qui ? “Non.” Hein ? Quoi ? La petite Jazz n’a jamais rêvé ? Même pas d’avoir un chien. Même pas de voler. Même pas de devenir danseuse étoile. Même pas de devenir grande. Elle n’a rêvé de rien. Bon sang. Il se rapproche d’elle. Il a le coeur fendu pour elle. Elle a loupé tellement de choses dans son enfance. Elle a loupé le bonheur d’espérer. Elle a loupé l’attente d’un miracle. Elle a loupé l’espoir d’un voeux exaucé. Il est cassé dans son enthousiasme, coupé dans sa volonté de la connaître. Chaque pierre qu’il soulève semble cacher des trucs sombres, des histoires tristes. Ils n’ont définitivement pas eu la même enfance. Et pourtant, il est mordu de ce bout de femme qui n’a rien de commun, qui ne ressemble à aucune autre femme qu’il a pu rencontrer. “Ma mère est tombée malade alors que j’étais très jeune, j’ai vite compris qu’on n’était pas éternels et ça ne m’a pas vraiment laissé le temps de rêver.” A partir de maintenant, il abandonne l’idée de la traîner dans tous les bars de New-York. Il va lui apprendre à rêver. Il va lui apprendre à espérer. Il va lui apprendre l’importance des étoiles filantes. Il va lui apprendre à faire des voeux. Il compte bien lui raviver sa lueur d’espoir. Il compte bien faire renaître une part d’insouciance en elle. Parce que si même des espions n’ont plus d’espoir, pourquoi est-ce qu’ils se fatiguent à essayer de sauver un monde dans lequel ils ne croient plus ?
“C’est pour la sauver que mon père s’est acharné à travailler sur la génétique. Sans cette explosion, il aurait sans doute pu faire d’elle ce que je suis aujourd’hui.” Il ne sait pas ce que doit ressentir une gamine qui survit à l’expérience qui aurait dû sauver sa propre mère. Il ne sait pas quel sentiment elle doit ressentir, enfoui au plus profond de son être. Comment le pourrait-il ? Il a eu une vie indécente, trop heureuse, trop normale, trop calme. Il a eu une vie que Jazz aurait sûrement aimé avoir. Il n’a pas à se plaindre. Il a été entouré, aimé, apprécié, félicité, encouragé. Il a eu tout l’amour dont il rêvait. Il manquait juste l’apparition d’un Captain America à son anniversaire ou d’un Hulk à Noël. Mais bon, son chagrin disparaissait rapidement au profit de son éternel sourire. “Et toi, en dehors des super-héros et des filles explosives ?” Il rejoint Jazz sur le canapé. Des rêves, il en a eus. Devenir un super-héros a été le plus gros. Celui qu’il a continué de nourrir jusqu’à aujourd’hui. Tomber sur une héroïne et sortir avec elle est plus du domaine du fantasme. Chose qu’il n’avouera jamais à Jazz. Elle serait capable de rester rouge pendant des jours. Elle, la femme complexée et réservée, ne s’en remettrait pas d’être le fantasme incarné d’un homme. Et comme il n’a pas tellement envie de la perdre, il va le passer sous silence. “Je voulais devenir policier ou pompier, un truc dans lequel j’aurais été utile. J’ai même passé les tests d’entrée à l’académie de police, mais j’ai été refoulé parce que j’étais trop maladroit. Tu imagines ?” Il esquisse un sourire. C’est quand même scandaleux de recaler quelqu’un parce qu’il a deux mains gauches ! Okay, il aurait été légèrement dangereux avec une arme entre les mains. Okay, il aurait sûrement brûlé quelqu’un avec sa tasse de café. Okay, il se serait tiré des balles dans le pied. Mais ça n’aurait été rien face à son incroyable efficacité professionnelle ! Il aurait su arrêter les cambriolages en trois secondes. Il aurait pu stopper des criminels dans leur fuite avec une belle phrase pleine d’émotions. Bref, il aurait été le héros de la police. Mais non. Ils n’ont pas vu son potentiel. A moins qu’ils ne l’aient vu et qu’ils aient été jaloux… Hein hein ! Les petits jaloux ! Il pousse un soupir. Il y a autre chose dont il a rêvé. “J’ai rêvé de rencontrer mon père, aussi. Jusqu’à mes huit ans, j’ai cru que je pourrais le croiser au coin de la rue. J’ai finalement compris que ce jour n’arriverait pas. J’avais déjà une famille complète qui veillait sur moi, pourquoi m’encombrer d’un père ?” Il a rêvé d’être en championnat avec son équipe de basket de l’école. Il a rêvé d’être astronaute. Il a rêvé d’être pompier. Il a rêvé d’être un super-héros. Il a rêvé d’avoir un costume de super-héros. Il a rêvé de manger soixante burgers en moins d’une minute. Il a rêvé de sauter en parachute. Il a rêvé de faire la farce de l’année à sa mère. Il a rêvé de voyager autour du monde. Mais le rêve qui l’a hanté le plus, c’est sans conteste celui de trouver son père. Il a cru pendant ses premières années que son géniteur apparaîtrait dans leur vie, prétextant avoir été envoyé sur une île déserte, à la recherche d’une civilisation disparue. Il aurait tellement aimé que ça arrive. Un beau jour, il a fini d’espérer. Il a arrêté de regarder par-dessus son épaule. Il a regardé devant lui et a poursuivi sa vie avec ceux qui ont toujours été là pour lui. Il a abandonné cet espoir puéril.
Il croise le regard de Jazz. Il est bien loin du coursier hyperactif et toujours souriant. En grattant un peu, on trouve des fragilités, des faiblesses. On trouve des blessures qui n’ont pas totalement cicatrisé. Il lève les épaules, comme pour lui prouver que c’est insignifiant et qu’il a tiré un trait dessus. Il aimerait. Mais il semblerait qu’il ne soit pas capable d’oublier ses rêves. “J’ai eu la chance d’être élevé par une mère aimante - mais un peu sur-protectrice - et par mes grands-parents. Et voilà ce que ça a donné ! J’suis pas certain que le résultat soit parfait, mais je suis bien aujourd’hui.” Il n’est peut-être pas le policier qu’il voulait être. Il n’est peut-être pas entouré de son père. Il n’est peut-être pas un oiseau capable de voler des kilomètres. Nombreux sont ses rêves qui n’ont pas été concrétisés. Il ne perd pas espoir, pour autant. Pas de devenir un oiseau, ça, c’est trop tard. Les plumes ne pousseront jamais sur ses bras. Sauf si la folie le prend de se coller des plumes sur le corps... Par contre, il peut encore voyager et devenir un super-héros. Et en grandissant, il aura d’autres rêves, d’autres espoirs.
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
I
Vendu. Ils iront faire un dîner romantique à la plage, avec des vêtements de rechange pour le cas où l’un d’eux provoque une catastrophe. Ils mangeront sur une serviette des sandwich à tout et n’importe quoi comme s’ils étaient romantiques, avec une bougie sous un verre pour que ça soit plus joli - et que le courant d’air ne l’éteigne pas, puis qu’ils ne foutent pas le feu au panier, non plus. Il faudrait choisir une plage peu fréquentée pour qu’il ne reste pas des tas de touristes après vingt-deux heures, faut pas déconner, ils ne vont pas partager leur couple décalé avec n’importe qui. Ils ont une identité secrète à protéger, que diable ! Et puis à la bonne humeur est substituée une ambiance plus lourde. Derrière le sourire perpétuel de Jared se cachait une faille. Une faille profonde, insoupçonnée. « J’ai rêvé de rencontrer mon père, aussi. » Il a rêvé de devenir pompier, ou policier, il a essayé mais plus que sa maladresse, c’est l’absence d’un père qui lui pèse sur le coeur. L’absence de celui qui est sensé aider l’homme à se forger, le garçon à grandir, le petit-être à devenir fort. Il n’a eu qu’une mère, il est finalement orphelin à sa manière. « Jusqu’à mes huit ans, j’ai cru que je pourrais le croiser au coin de la rue. J’ai finalement compris que ce jour n’arriverait pas. » Il est venu la rejoindre sur le canapé, pour lui faire ces confidences, et elle le laisse parler autant qu’il en a besoin. C’est aussi cela, être une petite-amie. C’est être là pour combler les failles, pour panser les vieilles plaies. Il a été entouré par une famille aimante mais un père lui a manqué.
« J’ai eu la chance d’être élevé par une mère aimante - mais un peu sur-protectrice - et par mes grands-parents. » Les doigts viennent chercher la main de Jared, comme un réconfort, parce qu’elle ignore quoi lui dire ou comment l’apaiser. Elle avait toujours vu le coursier comme une personne parfaitement heureuse, au coeur intact, à l’âme sans blessures. Elle l’avait jugé trop vite, sans le connaître. Est-ce qu’elle avait couché avec un homme dont elle ne connaissait rien ? Pourtant elle l’appréciait, vraiment. Elle était attachée à ce garçon maladroit, à son air ahuri quand quelque chose de l’ordre du surnaturel apparaît, à son sourire béat devant un héros. Jazz n’avait peut-être pas perçu les nuances de sa personnalité mais elle voulait en savoir plus sur lui, sur sa mère, sur ce qui faisait son existence, même si lui trouvait cela inintéressant. Elle avait toujours cette drôle d’impression qu’il considérait son passé comme trop banal tandis que le sien méritait d’être abordé, alors que pour sa part elle considérait son adolescence comme un fardeau à enterrer.
« Est-ce.. est-ce que je pourrais rencontrer ta mère, un jour ? » Le regard se détourne. Est-ce que ça n’est pas un peu trop tôt ? Est-ce que c’est une question que l’on peut poser ? Elle ne sait pas comment lui montrer qu’elle tient à lui. Elle n’est pas prête à dire qu’elle l’aime, elle n’est pas prête à avouer des sentiments aussi extrêmes si vite. Elle ignore ce qu’aimer veut dire. Elle ne sait pas ce qu’elle doit faire. Il a dit avoir grandi entouré, si elle désire découvrir ce qu’il y a sous la surface enjouée de Jared Hemingway, elle doit se faire un brin violence et entrer dans son monde. « Je ne peux pas te présenter la mienne, sauf si tu veux passer une journée au cimetière. Y a mieux comme rendez-vous, non ? » Un sourire doux. Les lèvres glissent contre celles du jeune homme. Elle déteste l’idée qu’il puisse être malheureux. Jazz n’est peut-être pas la spécialiste de l’espoir, cependant elle ne supporterait pas que lui n’en possède plus. « Et.. est-ce que je peux lire cet article, maintenant ? » Une paume taquine contre son cou. Elle a toujours peur de le blesser, elle a toujours peur de le brûler, de perdre la maîtrise, elle gâche chaque plaisir de la vie en se noyant sous les tensions, sous les obligations de contrôle. Jared avait accompli l’exploit de conquérir la rouquine aux infinis complexes. Parviendrait-il à les faire disparaître ? Pourra-t-il un jour déposer des baisers sur les tatouages sans que ne demeure l’éternelle résistance de ses sens ? C’était un futur super-héros, rien ne lui serait impossible, n’est-ce pas ? Elle espère simplement qu’aucune perte ne brisera son coeur plein d’optimisme.
Ce n’est pas facile, vous savez ? Il n’a pas l’habitude d’ouvrir son coeur et de laisser apercevoir des faiblesses. En général, il est plutôt le gars qui détend l’atmosphère et qui fait des pitreries. Il est toujours le premier à faire des conneries (vous voyez le gars qui déforme son visage en le collant à la vitre pour faire rire les autres ? C’est lui). Il parle rarement de ce qui ne va pas. Il se concentre toujours sur ce qui va. Parce qu’il a appris à fonctionner ainsi. La vie devient alors moins pesante, moins triste. Mais face à Jazz, il a eu envie de lui montrer une autre facette de sa personnalité. Un privilège qu’il n’offre pas à tout le monde, attention ! Jazz doit savourer son exclusivité. En fait, parmi ses amis, il y en a seulement un petit pourcentage qui connaît son histoire de A à Z. Que ce soit les échecs, les peines ou les joies. C’est bien pour une raison. Parce qu’il ne veut pas voir la pitié dans les yeux des gens, comme il peut la déceler dans les prunelles de Jazz. Mais elle, ça passe. Parce qu’elle est la femme parfaite. Parce qu’elle faufile ses doigts dans sa main. Il serre sa paume dans la sienne. Il ignore comment elle fait. Il ignore de quelle magie elle use. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il est plus détendu et plus calme à ses côtés. Même si il n’est pas au point d’être inactif, il arrive à s’apaiser. Il arrive à… ralentir le rythme. Et à s’ouvrir. A parler de sujets qu’il n’aborde jamais. Elle a un pouvoir mystique sur lui ! Elle a sûrement mis un truc dans ses nouilles chinoises. Peut-être un sérum de vérité ou une drogue pour l’obliger à parler ? Nom d’un petit bonhomme ! Elle va bientôt lui demander ses coordonnées bancaires pour le délester de tout son argent. Désolé, ma belle, il n’a rien. “Est-ce.. est-ce que je pourrais rencontrer ta mère, un jour ?” Oh, bordel de merde. Elle a prononcé le mot qu’il ne fallait pas. Il darde un regard effrayé sur elle. Sa mère. Rencontrer sa mère. Maman Hemingway a un sixième sens. Elle sait quand on parle d’elle. Elle sait quand son fils est avec une petite-amie. Elle le sent ! Puisque je vous le dis ! Elle va appeler dans moins de cinq minutes. Préparez-vous. Jazz est folle. Petite inconsciente ! Elle n’imagine pas ce qu’elle vient de déclencher. Elle ne soupçonne pas le tsunami qu’elle vient de créer. Nooon, encore toute prude et toute naïve ! Mais quand elle rencontrera Madame Hemingway, elle s’en mordra les doigts ! Oh que oui. “C’est pas que je veux pas, hein, mais… c’est ma MERE ! Un vrai tyran ! En plus, elle serait du genre à dire que t’es parfaite et à me demander comment j’ai fait pour te pécho, blablablabla…” Il entend déjà ses critiques. Pourquoi t’as mis cette chemise ? T’aurais pu faire un effort ! Regarde comme elle est habillée ! Elle est splendide… vous êtes splendide, ma chère enfant, vous le savez ? Vous arrivez à le supporter ? Non parce que moi, pendant vingt ans, j’ai cru que j’allais faire une crise cardiaque ! Et elle ne s’arrêtera plus. Et elle continuera à parler, encore et encore. Et elle hurlera d’un coup qu’elle est complètement impolie. Elle proposera un jus d’orange à Jazz, avant de donner un bol de chocolat chaud à Jared (il adorait ça quand il avait huit ans, plus maintenant). Bref, trop d’inconvénients. Ce n’est pas qu’il a honte de Jazz. Il a plutôt honte de sa mère. “... J’te jure, vaut mieux pas la rencontrer.” Il incline légèrement la tête de côté. Sourcils descendus. Bouche arquée. La tête de chien battu est dans la place. L’arme ultime pour la convaincre d’abandonner.
Ce n’est que repousser l’échéance, il le sait. Mais franchement, quand on connaît sa mère, on le comprend, le pauvre petit Jaja. Il n’a vraiment pas eu une vie facile, avec une mère aimante, protectrice et travailleuse. Oh non, vraiment ! Il aurait mieux fait d’être abandonné dans la rue et d’être recueilli par une famille de chimpanzés, tiens. Au moins, il aurait peut-être eu de l’équilibre. “Je ne peux pas te présenter la mienne, sauf si tu veux passer une journée au cimetière. Y a mieux comme rendez-vous, non ?” Bon okay, elle n’a pas tort. Il les rencontrera en photos, hein. C’est quand même plus convivial et plus sympa. Il note que pour une fois, c’est elle qui ramène la bonne humeur. Elle qui tente de plaisanter. Elle qui essaye de lui redonner la joie de vivre. Est-ce qu’il l’aurait contaminée ? Est-ce qu’il aurait réussi un miracle ? Mesdames et messieurs, on assiste à l’éclosion d’une future comique ! Hé ouais ! “Ce ne serait pas un peu d’humour, jeune fille ?” Il n’a pas le temps de jouer le gars sérieux qu’elle vient grignoter ses lèvres en l’embrassant. L’humour + le baiser ? Elle se transforme en une nouvelle femme. Elle a définitivement trouvé la combinaison gagnante pour l’arracher à ses pensées tristes. C’est bon d’être ramené dans son monde de bisounours par les lèvres d’une femme, quand même. Il pourrait bien recommencer, tiens. Au risque de la lasser. Au risque de l’agacer. “Et.. est-ce que je peux lire cet article, maintenant ?” EURF. Nooon, Jazz, noooon. Elle peut pas lire son article devant lui. Inconcevable. Impossible. Inimaginable. Il refuse totalement. Il s’en offusque. C’est catégorique. Comment elle peut imaginer lire une de ses conneries juste sous ses yeux ? Déjà qu’il a du mal à l’imaginer sous l’identité de Sparks, alors la voir lire... c’est au-dessus de ses forces. “QUOI ?! Tu vas pas le lire, alors que je suis là ! Et si ça ne te fait pas rire, hein ? Ce serait terriblement gênant !” Il s’est levé brusquement. Pour bien marquer son effroi et son choc. Non mais oh ! Elle a vraiment des idées horribles. Sauter en parachute sans parachute, pourquoi pas. Mais lire son article sous ses yeux, non ! Il n’est pas fou, le gars. Si il la laisse lire, il s’expose à la critique directe. En plus, elle ne mâchera pas ses mots et sera bien plus virulente dans son avis, maintenant qu’elle le connaît. Il n’est pas prêt. Son petit coeur n’est pas prêt. Son corps n’est pas prêt. Son esprit n’est pas prêt.
Il fait le tour de la table basse. Doucement. Il s’éloigne de Jazz pour se rapprocher de la kitchenette. Toutefois, il ne peut décemment pas empêcher une lectrice de lire ses articles. Et puis, il a envie de connaître l’avis de Jazz. Un tout petit peu. Légèrement. Alors, il peut bien la laisser parcourir son post. Juste quelques secondes. “Je vais me mettre là et faire semblant de faire ma vaisselle pendant que tu lis, okay ? Je ne t’écoute pas, je ne te regarde pas…” Il lui tourne le dos et s’affaire près de l’évier. Pourquoi il est anxieux comme ça, par tous les Thor ?! Ça ne lui arrive jamais. Même pas quand il se fait disputer par son supérieur. Même pas quand sa mère débarque à l’improviste, alors que son appartement est dégueulasse. Pourtant, il ne joue pas sa vie. Il va juste se prendre des remarques désobligeantes en pleine face. Y a pire ! Il se met à siffloter en attrapant une assiette. Propre, si l’on en croit sa brillance. Il la passe tout de même sous le jet d’eau. Il jette un coup d’oeil par-dessus son épaule. Pire qu’un gamin. Il ne peut pas s’empêcher de surveiller ses réactions. Il ne peut pas se retenir d’écouter si elle rit. Il veut savoir. Le bruit de l’assiette qui frappe contre l’évier le rappelle à l’ordre. Il reporte son attention sur ses mains. Cinq secondes. Il attend seulement cinq secondes. Avant de se tourner un peu moins discrètement, cette fois. Elle n’a pas fini de lire ? Elle fronce là, non ? Han non, elle fait la gueule ! Pourquoi elle se concentre comme ça ? Elle a trouvé une faute ? Quand enfin, elle a l’air de relever la tête, il abandonne tout pour se précipiter vers elle. Non, Jared n’a aucune retenue, aucune décence, aucun orgueil. “Alors ? Alors ? T’en as pensé quoi ? Pas assez drôle ? Je le savais ! Je n’aurais pas dû parler de l’explosion sous cette forme…” Il se tait lorsqu’il réalise qu’elle n’a pas dit un mot. Elle n’a pas eu le temps, plus exactement. Il prend une inspiration et se tient droit devant elle. il joint ses mains dans son dos. Prêt à recevoir les remarques. Prêt à connaître l’avis de Madame Duchannes. Gosh, pourquoi il l’imagine en professeure sexy, d'un coup ? Faut qu’il arrête ! C’est complètement malsain. En plus, toutes ses profs à l’école étaient flippantes. Elles avaient toujours un truc étrange ou une manie horrible. Y avait Emily qui adorait se curer le nez pendant les devoirs surveillés. Elle pensait que ça passait inaperçu, mais tout le monde la voyait faire. Autant vous dire que lorsqu'elle rendait les copies, ils sortaient les gants. Il y avait Kate qui préférait se promener pendant toute l’heure avec la poubelle dans la main pour ramasser toutes les poussières et autres saletés qui traînaient. Il esquisse soudain un grand sourire, en pointant le canapé du doigt. “Tu sais l’article où je dis que Thor est venu chez moi ? Hé ben, il était assis juste là, à ta place.” Ça a quand même de la classe de pouvoir raconter des anecdotes comme celle-là, n’est-ce pas ? Il ne va jamais revendre de ce canapé. Hein, quoi ? On me dit dans l’oreillette qu’il appartient au propriétaire. Bworf, si Jared part avec, le proprio ne s’en apercevra pas. Discret, non ? Il supprime la distance pour récupérer ses lèvres. Il plante ses bras dans le canapé, juste assez pour l’obliger à s’allonger. Il place ses genoux de part et d’autre de Jazz. Il abandonne ses lèvres, un sourire en coin. “... mais lui, je ne l’ai pas embrassé. Enfin, pas encore.” Et après, c’est avec des trucs comme ça qu’on finit par croire qu’il aime les hommes. Il devrait se taire, sérieusement. Vraiment. Elle va fuir, sinon ! Oh mince, ce serait pas un téléphone qui sonne ? Qu'est-ce que je vous avais dit, sa mère a un sixième sens !
“If one day the speed kills me, do not cry because I was smiling.”
C
’est de l’humour. Elle a fait de l’humour. C’est à dire qu’elle n’en est pas incapable, simplement elle n’est jamais assez à l’aise avec les gens pour se le permettre. Jazz est timide, il faut la comprendre, elle a grandi avec des personnes plus fortes et plus douées qu’elle, ça file des complexes. Avec Jared elle peut se permettre un peu plus de naturel - puis il l’a vue toute nue, c’est difficile d’avoir encore des choses à cacher après ça. Rien que d’y penser, elle est complètement morte de honte. Comment est-ce qu’il a pu apprécier ? Elle chasse l’interrogation, écoutant attentivement la révolte de Jared qui la trouve folle de vouloir rencontrer sa mère. A croire que c’est une ogresse qui va la dévorer. Y a encore des gens qui sont cannibales, dans leur société ? « ... J’te jure, vaut mieux pas la rencontrer. » Petite moue mignonne pour rivaliser avec son air de chien battu. Qui va gagner la bataille ? Il peut faire ses yeux de lapereau maltraité, elle sait y jouer aussi. En plus avec sa tignasse rousse, elle est vraiment démoniaque, cette fille. Elle fait de l’humour parce qu’elle ignore comment aider Jared, comment le sortir de son regret de ne pas avoir connu son père. Est-ce qu’il y a un degré dans ce genre de malheur ? Est-ce que sur l’échelle de la tristesse, c’est plus grave de grandir sans père ou d’en avoir eu un et de le perdre ? S’ils avaient des enfants, ils n’auraient pas de joyeuses discussions sur ce que papi pouvait faire dans sa jeunesse. Heureusement Jazz ne voulait pas d’enfants. Faudrait éventuellement qu’elle songe à la contraception d’ailleurs. On sait jamais. Si Madame Hemingway serait sans doute très heureuse d’être mamie, Jazz serait horrifiée à l’idée d’être maman. Brrr.
Et si son baiser magique a l’air d’être d’une redoutable efficacité, Jazz fait encore une bourde en demandant si elle peut lire l’article. Ca a l’air d’être un blasphème parce que le jeune homme se met brusquement sur ses pieds. « QUOI ?! Tu vas pas le lire, alors que je suis là ! Et si ça ne te fait pas rire, hein ? Ce serait terriblement gênant ! » Il va peut-être falloir s’habituer, non ? Elle ne peut pas faire semblant de ne pas être abonnée à son blog et elle ne peut pas se désabonner parce que, tout bêtement la disparition de leurs échanges paraîtrait vraiment bizarre. Manquerait plus que les gens prennent Super Adventures pour un site de rencontres pour geeks invétérés. L’angoisse ! « Je vais me mettre là et faire semblant de faire ma vaisselle pendant que tu lis, okay ? Je ne t’écoute pas, je ne te regarde pas… » Sourire colgate max white, elle file chercher son téléphone portable pour se réinstaller sur le canapé. En avant la lecture.
Ses sourires sont dissimulés par un rideau de cheveux roux, comme si elle s’attendait à ce qu’il jette des oeillades par dessus son épaule pendant qu’il faisait semblant de faire sa vaisselle. Incorrigible ce garçon. Et elle, elle fait en sorte de ne rien dire, de ne pas faire de bruit, pour le faire mariner un peu. « On savait déjà tous que t’étais fou, tu sais ? Pas besoin de le rappeler, tu vas faire peur à tes lecteurs x) Pour une fois, tu racontes ce que les gens vivent vraiment, c’est une bonne chose. Thor pouvait pas venir, il avait sûrement piscine, heureusement que t’étais là ! » Un petit message pour ne pas rompre avec les habitudes. Il arrivera d’ici quelques minutes sur son téléphone. Ca capte mal, c’est pas possible !
« Alors ? Alors ? T’en as pensé quoi ? Pas assez drôle ? Je le savais ! Je n’aurais pas dû parler de l’explosion sous cette forme… » Wow wow wow. Il va respirer, le bloggeur ? « Et bien.. » « Tu sais l’article où je dis que Thor est venu chez moi ? Hé ben, il était assis juste là, à ta place. » Et bien rien du tout. L’enthousiasme mêlé au stress rend Jared plus bavard qu’un perroquet devant un biscuit sablé. Sauf que là, elle pardonne au perroquet. Le vile tricheur vient lui arracher un baiser, la méthode fourbe déjà appliquée précédemment. Ca va être ça, leur couple ? La manipulation par les sentiments ? Elle aime bien. C’est agréable. Même qu’elle se laisse aller à la faiblesse et qu’elle entoure la nuque de Jared avec ses bras pour l’emprisonner contre elle. « ... mais lui, je ne l’ai pas embrassé. Enfin, pas encore. » Un rire, léger, joyeux. « Je vais devoir exploser l’arrière-train de ce rival pour être sûre de te garder ? » C’est taquin. Elle n’est pas sérieuse. Le téléphone la fait sursauter et le mouvement fige les alentours du canapé. Merde. Tiens, Jared ne bouge plus. Et elle ne peut pas tendre la main pour répondre et dire au correspondant que monsieur Hemingway n’est pas libre, il est coincé dans le temps. C’est vraiment elle, qui fait ça ? Elle passe une main devant ses yeux. Rien. Merde, merde, merde. Aller, on se faxe vers le haut du canapé, voilà, non toujours pas. Elle est remontée un peu mais les jambes de Jared la bloquent. On n’a pas idée de faire ça ! JARED REVEILLE-TOI. Comment on désactive ce truc ? Un soupir résigné, elle repose la tête sur le bord du canapé, légèrement penchée vers l’arrière. Au moins, il n’a pas explosé.