bleak december
« Shut the fuck up! » La voix la terrorise, la fige sur place. Ofélia ne bouge plus, elle ne parle plus, elle n'ose même pas pleurer. Elle tente ne rien faire, de ne rien dire. Le type possède une arme à feu, et il a tiré. Il a fait feu, et la brune ne peut plus poser ses prunelles brunes sur le corps de Rosalie. Elle n'avait rien demandé, son amie. Elle s'est juste mise à pleurer, à geindre, et à prononcer les paroles de trop. Se taire, comme le dit le meurtrier. Elle doit se taire.
Elle s'est fourrée dans cette situation sans s'en rendre compte. Venue déposer l'argent que papa lui a donné pour son shopping, elle s'est fait prendre au jeu. L'homme armé l'a vue sortir les billets de cent dollars de son sac à main Gucci, il a vu qu'elle est une de ces adolescentes huppées de l'Upper East Side, celles qui ont tout et qui n'ont besoin de rien. Lui, il réclame l'argent, et il réclame les vies. Il a retiré son masque. Ofélia l'a vu dans un reportage marquant : lorsqu'un homme armé retire son masque ou sa cagoule, c'est un très mauvais signe. Il ne compte laisser personne en vie. « Now, give everything to me. You're damn phones, your money, your purses. I want EVERYTHING ! » La voix de l'homme tonne, et elle ne tremble pas. Il est rempli d'assurance et elle sait qu'elle a très peu de chances de s'en sortir. Il a menacé les agents de police, ceux-ci ne peuvent intervenir. Le SWAT est en route, selon ce qu'elle sait, mais arrivera-t-il à temps? « I can't... » Lia se retourne vers la voix. Sa seconde amie tremble de tout son corps. Elle tient contre elle son sac à main, et elle sait pourquoi elle ne veut pas l'offrir à cet homme abject. À l'intérieur, il contient de nombreuses photos des parents d'Evie. Ceux-ci sont décédés, et ces photos, ces souvenirs, sont tout ce qui lui restent d'eux... Mais Ofélia n'a pas le temps de bouger. Elle n'a le temps de rien dire, car elle entend un nouveau coup de feu. Elle se fige encore une fois, et elle a envie de s'écrouler. Elle voit Evie tomber par terre, dénuée de vie, dénuée de tout.
Le meurtrier s'avance, saisit le sac à main Prada de la blonde et s'avance vers la brune dangereusement. Elle est la dernière. Les autres sont tombés, tués sauvagement. Pourquoi n'interviennent-ils pas? Pourquoi ne tuent-ils pas cet homme? Les équipes tactiques devraient déjà être là. Ofélia tremble. Il le sent, car il s'approche d'elle avec ce sourire carnassier. Puis elle les entend. Elle entend l'hélicoptère, et elle entend les nombreuses voix. « Let her go, and no harm will be done to you. Please, just let her go. » La voix féminine de l'agente la rassure, mais elle sait qu'elle subira le même sort que ses amies. Elle tremble, et il pointe l'arme vers elle. Aussitôt, elle entend des sons venir de partout, elle ne sait plus où donner de la tête. Et elle l'entend, le bruit de la détonation. Elle entend tout, puis plus rien. Ses mains placées devant elle, l'adolescente est aux prises d'engourdissement dans les deux mains. Mais lorsqu'elle ouvre les yeux, elle remarque que l'homme et la balle sont figés. Elle ne réagit pas instantanément, mais elle se sauve. Elle court vers les portes, et elle hurle avant qu'il ne s'éveille. Les portes s'ouvrent, mais ses yeux se ferment. Elle croule, elle tombe.


À genoux devant les tombes de ses amies, elle ne peut cette fois s'empêcher d'hurler. Elle crie son désespoir, encore une fois. Elle frappe sur la terre ferme, et on tente de la ramener à ses sens. Son père la prend contre lui, la réconforte, lui susurre de se calmer. « I know you're in pain... But punching the dirt won't bring 'em back, honey. » Mais il la laisse hurler. Il a beau lui demander de se calmer, lui faire comprendre que cela ne les ramènera pas, qu'ils ne peuvent changer le passé, Ofélia ne comprend pas. Pourquoi elles? Pourquoi ce jour-là, dans leur banque ? Le monde entier semble lui en vouloir, et Ofélia lutte. Elle lutte pour ne pas se laisser abattre, mais ce jour-là est si triste qu'elle ne peut s'empêcher de vouloir étouffer quiconque lui dit de se calmer.

Les mois passent, mais ils restent les mêmes. Elle tente d'oublier ce moment, mais elle se réveille à chaque nuit en hurlant. Son père accourt, la rassure, lui susurre que c'est fini, et elle s'accroche à lui, à sa douleur. Il comprend, il a aussi perdu sa femme. En donnant naissance à Ofélia, elle a péri avec tout le sang qu'elle a perdu. Son père aurait pu lui en vouloir, mais Owen n'est pas quelqu'un de rancunier. Il est bon, trop bon. Mais malheureusement, leur patronyme semble porter la mort partout où il va, et elle s'est jurée de ne jamais le donner à ses enfants. Jamais ne porteront-ils la même malédiction qu'eux deux.

Le bal.
Elle ne se serait jamais attendue à s'y présenter sans ses fidèles acolytes, sans Evie et Rosalie. Elle y va à contre-coeur, Ofélia, parce qu'elle a été invitée. Son copain du moment l'a charmée, il l'y a un peu poussée car il tient à être élu roi de ce putain de bal à la con. Mais elle aurait dû refuser. Elle débarque vivement les escaliers de sa demeure, vêtue de sa sublime robe rougeoyante et de ses cheveux coiffés pour l'occasion. Depuis ce jour merdique, on ne l'a jamais vue aussi belle et avec un semblant de bonheur. « You're gorgeous. » Elle soupire. Le compliment passe, elle embrasse son ami et elle le regarde, les yeux vides. « Can we just please get this over with? I just want to come back as soon as I can. » Il pose ses yeux vers elle, ne comprenant pas pourquoi elle tient tant à se débarrasser de ce grand événement. « Jeez, Of... Can't you just forget it for a moment? It's important to me that you are there. I can't do this without you, baby... » « Well my friends were important to me too. » Il ne répond rien. Il a beau vouloir de cette couronne, de cette soirée avec sa princesse, avec sa fée, sa reine, il comprend d'un coup pourquoi elle ne se sent pas particulièrement à l'aise dans cette robe, ni avec cette coiffure. La sortie dédiée au shopping était pour choisir leurs robes. Mais comme elle n'a pas eu le temps de s'en acheter une avec les événements, la mère d'Evie lui a offert celle qu'elle devait porter. Le père de Rosalie est venu lui offrir les photos que sa fille avait trouvé, pour une idée de coiffure. Certes, l'offre est belle et le geste magnifique, mais elle ne peut supporter d'imaginer Rosalie et Evie à ses côtés une fois de plus.
La limousine quitte la demeure familiale des Holloway, et les adolescents partent pour le bal. Ils s'y amusent, certains boivent, mais Ofélia ne peut pas. Elle ne peut feindre sa peine, sa douleur, celle de voir les photos de ses copines affichées sur l'écran au moment de l'hommage. Elle ne sait même pas comment elle fait pour passer au travers de son année d'études. Certes, les professeurs ont été compatissants, mais heureusement que Jacob est là également. Elle n'aurait rien pu faire sans lui. « Wanna go home, Of? » La voix de son ami la surprend, et Ofélia lève ses yeux ruisselant de larmes vers lui. Elle n'a jamais réussi à faire son deuil. Qu'il lui propose de rentrer à la maison représente beaucoup pour elle. « Yeah. I can't do this anymore. » Elle est incapable de continuer à prétendre que tout va pour le mieux, de sourire alors qu'elle n'en ressent rien. Elle préfère rentrer chez elle, et éclater en sanglots comme elle à l'habitude de le faire.

« I know I have to, but I can't. » Ofélia tient l'arme dangereuse dans ses mains. Elle tient le fusil lourd dans ses petites mains frêles. Pourquoi s'est-elle enrôlée dans les forces policières si elle pensait pouvoir échapper à ça? Elle sait qu'elle doit le faire, pourtant. Elle doit apprendre à tirer, et à ne pas manquer sa cible. « Darling, we all know your story. You don't have to do it today. Just get familiar with it - the gun. After that, you'll learn not to fear it, but to make it your weapon, not anyone else's. Remember, you are shooting. Not him. » Il a raison. À cent pour cent, même. Il n'est pas là, il a été abattu. Et avec cette arme - son arme - elle pourrait arrêter des milliers de criminels et de mauvaises personnes. Certes, elle peut s'aider de son don. Elle le maîtrise, à présent. Mais en publique, elle préfère éviter de s'en servir si elle peut faire autrement, à moins que des vies soient en danger. « Thank you. », le simple remerciement résonne dans la pièce, et l'homme hoche la tête. Il a compris. Elle le fera. Peut-être pas aujourd'hui, peut-être pas demain, mais elle se familiarisera avec l'arme, et elle sera son arme. Elle ne sera ni celle de James, ni celle de Cassidy, mais la sienne. « I'll leave for today. Thank you for everything, Jamie. » Il lui fait un clin d'oeil suite à son départ. Il sait qu'elle y arrivera. Elle n'est plus l'adolescente fragile qu'elle était, lorsqu'elle a décidé de sauver le monde.

Elle a appris. Elle a appris à s'en servir, trois semaines plus tard. Elle a tiré - très mal, au début - mais ses talents se sont affinés. Elle a appris parmi l'école, mais aussi parmi les meilleurs. Et elle est là-bas, en train d'arrêter ce merdier qui battait sa femme à tous les soirs. Elle procède à sa première arrestation, en dictant les droits à son premier criminel. Elle l'embarque dans la voiture, là où il ne pourra pas lui échapper. Le sourire aux lèvres, elle se dit qu'elle n'a pas seulement arrêté une personne... Elle en a sauvé une autre.

« Fuck. » La voix basse, elle regarde l'objet qui vient d'éclater en mille morceaux. L'explosion a été générée par ses mains, ses pouvoirs semblent évoluer. L'agent du SHIELD grogne. Elle a été recrutée il y a à peine quelques temps, elle ne peut pas se permettre des bourdes. Elle grogne, elle tente de recommencer et elle échoue encore. Au lieu de faire exploser le verre qu'elle vise, elle fait en sorte d'éclater la fenêtre. « Dammit. » « Wow ! Were you trying to do fireworks? Because it doesn't work that way... » « Go fuck yourself. » L'échange est amicale, même si les voix sont envenimées. Ce ne sont pas tous les agents qui s'entendent bien. Tout n'est pas rose partout, rien n'est parfait dans ce monde. Elle fait un finger à son partenaire, et celui-ci s'extirpe de la salle d'entraînement. Merde, merde, merde. Il faut qu'elle réussisse à maîtriser cet aspect de son don... Peu importe le temps que ça lui prendra. Jamais elle ne s'autorisera à blesser inutilement quelqu'un. Jamais.