Il quitta le coin de mur auquel il était adossé pour finalement prendre place sur le fauteuil que Harry lui montrait de la main. « Tu voulais me voir ? » demande le jeune milliardaire quand Eddie s'assied face à lui. Ce dernier lâche un petit sourire. Ils savaient tous les deux pourquoi ils se retrouvaient. C'était inscrit partout sur le visage abimé de Harry : il ressemblait à un monstre. Ses dents pourrissaient derrière ses lèvres crevassées. Son nez s'était allongé en un aquilin trop prononcé, un petit gobelin à la peau verdâtre et aux cheveux hirsutes. Il faisait peine à voir - mais Eddie ne s'en formalisait pas. Quand il se transformait, il n'était pas plus beau, pas plus héroïque non plus. Ils étaient des monstres tous les deux. « Oui. » Eddie répond, toujours ce sourire de prédateur sur le visage. « J'accepte. » et Harry part d'un petit rire, à faire froid dans le dos. Eddie retrousse ses manches : il a l'opportunité d'apporter encore plus de peine, plus de souffrance dans la vie de son demi-frère. Il peut mettre Peter plus bas que terre, et il ne se gênera pas pour le faire. « Pourquoi ? » réplique le milliardaire. Le jeune flic sait que peu importe sa réponse, ils poursuivront cette transaction. Ils sont dirigés par le même objectif, par les mêmes motivation. Ils veulent abattre Spiderman. Rien ne l'y oblige, néanmoins Eddie lui raconte. Parce qu'Harry est ce qui s'apparente le plus à un ami dans sa vie. « Notre père, Richard ... Il n'a rien fait pour me connaître. Il ne m'a jamais rien donné. Tout était pour Peter : ses conseils, son amour, ses espoirs. » Eddie grimace. Ses poings se serrent en pensant à son petit frère ; qu'est-ce qu'il aimerait lui arracher le cœur ! « Et puisque Peter m'a tout pris, je vais lui rendre la pareille. »

Harry l'a trouvé peu de temps après qu'il soit devenu Venom. Peut-être l'avait-il trouvé grâce à son fric, à un détective privé ... Ce n'était pas forcément important. Il avait trouvé Venom et ils avaient parlé. Harry lui avait raconté les traits grossis de son histoire, et il avait demandé du sang. Celui d'Eddie, celui d'un Parker, même s'il n'était que le demi-frère, le demi-fils. Parce qu'il était convaincu que le sang du flic pourrait le sauver, lui : Harry voulait retrouver son visage, son corps d'avant. Venom avait voulu réfléchir, et le voilà désormais, au sein de la demeure Osborn, à visage découvert. C'était une preuve de confiance, que de dévoiler son vrai visage : c'était la première fois qu'il le faisait depuis qu'il avait accueilli en lui Venom. Et maintenant, ses manches retroussées attendaient d'être piquées. Il savait qu'il faisait le bon choix. Harry serait un bon allié, et un compagnon dans cette vendetta que les deux entretenaient. Leurs mutations les pourrissaient jusqu'à la moelle, et Eddie savait bien qu'un jour ou l'autre, il finirait par se retourner contre son partenaire, ou celui-ci contre le flic. Mais il improvisera quand la situation l'exigera ; avant, il allait tirer du fils Osborn tout ce qu'il pouvait tirer, et il allait mettre Peter à genoux. Une fois que ce serait fait, il l'obligerait à regarder tandis qu'il tuera sa bien-aimée. Et quand son cœur sera brisé en mille morceaux, quand il aura l'impression de ne pas pouvoir souffrir plus, il lui tranchera les membres un à un, avant de lui bouffer la carotide.


Léna claqua la portière en sortant. Elle fulminait, et elle n'était pas la meilleure quand il s'agissait de garder ses émotions sous contrôle. Depuis maintenant plusieurs mois, elle lui avait été attribuée comme nouvel partenaire, après le décès de Jake. Les deux hommes s'entendaient bien : Jake avait été un bon mentor. Il avait pris Eddie sous son aile dès son entrée à Franklin, et il lui avait appris les ficelles du métier. Plusieurs fois, Eddie avait été invité à dîner chez son partenaire, il connaissait sa femme et ses deux filles. Combien de fois Maggie avait-elle ri à l'une de ses remarques teintées de l'audace de la jeunesse ? Elle aurait aimé voir ce petit gars, comme elle l'appelait, trouver une compagne, commencer à fonder une famille. Jake avait constamment ce sourire protecteur, il avait été le père de substitution d'Eddie, à bien des égards. Quelle tragédie ç'avait été de le tuer.

Mais Jake soupçonnait Eddie d'avoir changé, d'être dangereux. Il le pensait trop secret, alors il s'est mis à fouiner. Il n'aurait jamais dû. Jake a fini par trouver ce qu'il cherchait, et quand ce fut le cas, c'était trop tard : Venom était aux abois. Il a brisé le coup de Jake, les lèvres étirées en carnassier ; et des jours plus tard, il s'est présenté aux funérailles, il a pleuré son mentor et son ami, consolé sa femme et ses filles, promis qu'il passerait les voir de temps en temps. Parce qu'Eddie était un monstre.

Léna était arrivée comme une fleur. Elle avait de la fougue, de l'expérience aussi, et dans un milieu d'hommes, elle savait se faire respecter. Il aimait bien la voir s'énerver, perdre patience. Il aimait bien aussi qu'elle ne cherche pas à connaître ses secrets : il n'avait pas envie de la tuer. Une autre de ses partenaires qui mourrait, ce serait peu commode pour ses propres affaires. Alors Eddie faisait de son mieux pour paraître le plus normal possible. Un peu ours, évidemment, mais pas dangereux, pas mystérieux outre mesure. Ayant l'avantage de l'ancienneté, il commandait à Léna de s'affairer ici et là, ce qui avait le don d'énerver la jeune femme. Ils étaient en patrouille depuis déjà deux heures, et ses yeux commençaient à piquer. Il avait donc demandé à Delacroix d'aller leur chercher un café large à chacun. « Je suis pas ta bonne ! » avait-elle dit, indignée. « C'est moi qui régale » il répliqua, grand seigneur. Et la portière avait claqué.

Eddie regardait la silhouette élancée de sa partenaire de l'autre côté de la vitrine, attendant les cafés en discutant avec le serveur. Elle était joviale, quand elle le voulait. Elle était jeune et pleine de vie : c'était déstabilisant, pour Eddie. Il n'était pas habitué à autant de lumière autour de lui, il préférait se terrer dans l'obscurité pour dissimuler son vrai visage. Il étais à la fois terrifié qu'elle voit son vrai visage, à force de briller autant – mais le risque le grisait. Pour une fois, il ignorait s'il était capable de la tuer de sang froid, Léna. Il se savait monstrueux, et il ne savait pas si elle pouvait accepter le monstre, si elle pouvait passer outre. Parce qu'ils étaient tous deux agents de la loi, et qu'Eddie avait tué plus de fois que nécessaire, par plaisir ou par intérêt. Il était policier et criminel, un super-humain sous cape ; si Léna le découvrait, il n'avait absolument aucune idée de ce qu'il ferait. C'était ça, sa plus grande crainte.

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