Louisa n'est pas particulièrement douée pour se faire des amis. Vraiment. On pourrait croire le contraire, puisqu'elle est une star internationale, très appréciée du public, visiblement très entourée. Mais elle n'est vraiment pas douée pour se faire des amis. Depuis que The Winter's Tale s'est terminé, elle a l'impression d'être un boulet ambulant, incapable de se mélanger aux autres personnes de son âge. Son enfance ne ressemble à aucune autre, et ce n'est d'ailleurs pas surprenant que ses meilleurs amis soient ceux qui ont vécu à ces côtés cette adolescence étrange, entre studios et cours à domicile. La plupart des acteurs qu'elle a rencontrés depuis ont eu des parcours normaux : école, amis, bal de promotion, études de cinéma ou de théâtre… Ils partagent tous des souvenirs qu'elle ne pourra jamais comprendre. Ils parlent de choses auxquelles elle ne peut s'identifier. C'est un sacré handicap aujourd'hui, qu'elle ne réalisait pas tant qu'elle était tous les jours dans la peau de Rian Hoover. Devant les caméras, en interview, elle joue la fille sociable et ouverte, qui se bat pour les choses qui la passionnent… C'est un beau rôle, aussi. Qui masque bien cette timidité qui l'angoisse à chaque fois qu'elle passe les portes des castings, qu'elle rencontre de nouvelles équipes. Louisa ne sait pas parler aux autres, ne sait pas comment se comporter avec eux. Rien n'est pas facile pour elle, c'est comme si elle avait tout à apprendre, à vingt-trois ans. C'est quelque chose dont elle a honte, au fond. Ça la met extrêmement mal à l'aise d'être en présence de gens… normaux. Alors elle se tait, incapable de trouver quelque chose d'intéressant à dire, effrayée à l'idée que tout ce qu'elle dise se retourne contre elle.

Depuis qu'elle a rejoint l'équipe de Young Justice, le sentiment de malaise est pire que jamais. Quand elle a rencontré les autres membres du casting, elle a fait de son mieux pour paraître sympathique, mais s'est très vite mise dans son coin. Elle a été impressionnée par cette complicité qui régnait déjà au sein de l'équipe d'acteurs. Ils avaient déjà tourné une saison entière ensemble, après tout. Une année et demi à vivre ensemble, partager tout, du matin au soir, du soir au matin. Il était difficile de s'incruster dans un groupe déjà bien soudé. En tous cas, c'est ce que Louisa s'est dit. Elle a eu l'impression qu'ils se connaissaient tous déjà par coeur et qu'elle allait être immédiatement jugée, qu'elle ne s’intégrerait jamais, quand bien même ils se sont montrés relativement sympathiques avec elle. Depuis quelques semaines, elle se lève tous les jours avec la promesse qu'elle fera un pas vers eux, qu'elle essayera de ne pas avoir l'air awkward. Mais chaque jour, elle échoue complètement. Elle les surprend en train de discuter, n'arrive pas à entrer dans la conversation, finit par faire mine d'être extrêmement occupée pour ne pas avoir l'air bizarre. Elle sait quelle conséquence ça a. On doit la prendre pour une vraie snob. L'une de ces actrices capricieuses et égocentriques qui veulent que tout aille dans leur sens, ne veulent pas se mêler à la plèbe que représentent les petits nouveaux du métier. Elle préfère ça qu'on la prenne pour une idiote, une demeurée. Elle a vraiment l'impression que c'est l'image qu'elle donnerait si elle essayait de mieux connaître les autres. Oui. Louisa ne sait vraiment pas comment se faire des amis, et sa carrière a eu beau la propulser sur tous les écrans du monde, elle l'a aussi enterrée dans la solitude, sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit.

Comme tous les jours, elle a quitté l'hôtel tôt ce matin pour rejoindre les studios dans le mini-van que la production met à leur disposition. Elle a salué les autres avec un faible sourire, s'est retrouvée à l'arrière à côté d'Hélène, et a fait mine pendant tout le trajet d'être extrêmement occupée par quelque chose sur son portable. C'était mieux que croiser le regard de la brune. Ils sont arrivés, se sont faits maquiller, et étrangement, la jeune femme s'est détendue. Elle s'entend bien avec sa maquilleuse, peut-être que ça joue. Elle savait qu'elle allait devoir attendre avant de se poster devant les caméras, puisque les scènes incluant Miss Martian ne seraient tournées que plus tard dans l'après-midi… Mais elle ne s'attendait certainement pas à se retrouver là, assise sur sa chaise, juste à côté de celle qui tient le rôle d'Artémis. Hélène s'est toujours montrée avenante avec elle, depuis le début. Elle lui laisse de l'espace, ne la force pas à parler, et ça va très bien comme ça à Louisa. Elle est déjà assez mal à l'aise comme ça en sa présence. Très mal à l'aise, même. En ce moment même, elle ne sait même pas comment se tenir. Elle s'éloigne discrètement de la brune et de son parfum, s'accoudant au côté opposé de sa chaise. Elle observe le reste de l'équipe qui s'active, toussotant légèrement dans sa manche. Jusqu'à ce que… « Louisa? » Ça lui fait bizarre, d'entendre son prénom dans la bouche de sa co-star. Elle se tourne doucement vers elle, un peu stressée. Qu'est-ce qu'elle va lui dire ? Est-ce qu'elle va lui reprocher son comportement ? Elle prie de toute ses forces pour qu'elle l'interroge juste sur une scène qu'elles ont en commun. « T'es dispo ce soir, pour une pizza? Nous aimons bien nous retrouver de temps en temps. Début de tournage, fin de tournage, après une scène éprouvante, bref, tu vois le topo. » Elle est surprise. Bien sûr qu'elle est surprise. Elle ne s'est pas attendue à une telle invitation, et elle ne sait même pas comment réagir à ça. Elle pense à ce soir. À sa chambre d'hôtel vide qui l'attend. Mais avant que Louisa puisse réfléchir à comment réagir à ça, Hélène la surprend une nouvelle fois. « On n'a pas été super sympa avec toi, désolée. Tu... tu nous impressionnes tous. » L'actrice hausse les sourcils. Elle se sent encore plus mal à l'aise. « Trop hâte de te voir avec tout ton maquillage vert, tu vas être trop mignonne, » ajoute la jolie brune, avec un naturel désarmant. Louisa essaie d'ignorer l'électricité qui court dans sa poitrine et sent qu'elle commence à rougir. Elle baisse les yeux, tentant de masquer ses joues rosies derrière ses cheveux bien coiffés. Hélène a dit qu'elle allait être trop mignonne. Elle a dit qu'elle allait être trop mignonne. Louisa a du mal à rassembler des pensées cohérentes. La remarque la déconcerte complètement. « Hum.. Je… Merci. » Elle pince les lèvres. « J'espère que ça va bien rendre. J'ai un peu peur. » Elle se rend compte que ça pourrait vouloir dire qu'elle a peur que les maquilleurs soient incompétents. « Mais l'équipe est super, donc.. » ajoute-t-elle, pour rattraper sa maladresse. S'il y a une chose qu'elle ne veut pas, c'est que les autres pensent qu'elle est le genre de personne à tout critiquer. « Et vous avez été très sympas avec moi. J'avoue que j'ai encore du mal à m'adapter. J'ai beaucoup de choses à gérer en ce moment, je suis désolée si je peux paraître… » Elle n'arrive pas à terminer sa phrase, parce qu'elle ne sait pas trop ce qu'ils pensent d'elle, au fond. « Ce n'est pas voulu. » dit-elle simplement, comme pour clôturer le sujet des confessions. Elle n'a pas vraiment envie de se confier. « Pour la pizza, vous restez à l'hôtel ou vous allez à l'extérieur ? C'est sympa, cette tradition. J'imagine que vous avez déjà beaucoup de soirées pizza derrière vous ? » fait-elle avec un sourire qu'elle veut relativement sympathique. Mais il y a quelque chose qui cloche dans cette discussion avec Hélène. Il y a quelque chose qui l'empêche d'être elle-même et de se lâcher. D'être vraiment la vraie Louisa, celle qui est joyeuse, prête à se lancer dans de nouvelles aventures, souriante. Leur discussion est nulle, et elle est en train de se gagner du temps, pendant qu'elle décide si cette fameuse soirée est une bonne idée ou non. Son premier instinct est de se dire non, bien entendu. Mais… Hélène fait un pas vers elle. Est-ce une bonne idée de refuser cette opportunité ?

« Pas de souci, Louisa, vraiment. On n'a pas été au top, t'as pas été au top mais... amies? » Louisa esquisse un sourire, et hoche la tête, toujours un peu intimidée. Elle a eu le temps d'observer Hélène depuis qu'elles travaillent ensemble et... Elle doute du fait que la jolie brune puisse comprendre son malaise. Hélène, c'est le genre de fille qui rayonne au milieu d'une pièce. On dirait qu'elle est partout chez elle. Elle est l'amie de tout le monde, parle avec tous les membres de l'équipe comme s'ils étaient tous des proches. Elle a ce charisme que Louisa n'a pas l'impression d'avoir. Elle fait partie de ces gens qui ont une facilité à se lier aux autres, qui assument tout ce qu'ils disent et font. Ça s'entend même au ton de sa voix. Hélène sait ce qu'elle veut. Louisa l'admire, pour ça, et pour beaucoup d'autres choses, au fond. Elle qui est constamment dans le doute depuis que The Winter's Tale s'est arrêté, elle qui a l'impression qu'elle n'est pas maître de sa vie. « Généralement, on va à ce super endroit. Le proprio, c'est le cousin de ma copine donc on a des réduc's plutôt sympas ET c'est vraiment de la bonne bouffe. Il fait des burger maison à tomber mais on prend des grandes, grandes pizzas et la plus grande table du restaurant et tout... tu vois le genre. » Louisa sourit et acquiesce, et il se passe quelques secondes avant qu'elle tilte. Sa copine. Soudain son visage se fige un peu, et elle ne peut s'empêcher de regarder Hélène avec un peu plus d'attention. Elle fait de son mieux pour agir le plus normalement possible. Elle a envie de s'enterrer six pieds sous terre. Ça y est, c'est sûr, Hélène va la prendre pour une homophobe. Avec ce faux air naturel qu'elle a sur le visage et ce sourire un peu crispé. Ça y est, elle va être fichée pour de bon et ils ne voudront définitivement plus d'elle. Des images dansent dans la tête de l'interprète de Miss Martian. Hélène qui se balade dans la rue avec une femme. Hélène qui embrasse une femme. Hélène qui ramène sa copine à un dîner avec les autres membres de l'équipe. Bordel. Louisa sent que le rouge lui monte au joues. Bien sûr, il fallait que la plus jolie fille du plateau, celle qui l'intimide, celle qu'elle admire, aime aussi les filles. Il le fallait. Le destin s'évertue à lui jouer des tours. C'est pas possible. Il se fout littéralement de sa gueule, même. Elle a un drôle de sentiment dans la poitrine et un peu de mal à respirer, tout à coup. Reprends-toi Lou, c'est pas la fin du monde. se murmure-t-elle intérieurement. Elle pense à Loukas, qui lèverait les yeux au ciel s'il la voyait. Il la traite tout le temps de useless lesbian, et il ne se gênera pas de le faire une nouvelle fois quand elle lui racontera ce moment.

« Mais si tu préfères, on peut juste commander, se poser dans la chambre de quelqu'un et tout et tout. » Louisa sourit toujours doucement, mais cette fois elle détourne le regard pour regarder à son tour le plateau où les autres membres de l'équipe s'affairent. « On a plein de petites traditions stupides comme ça mais il est grand temps de changer tout ça et d'en créer d'autres avec toi. » Son sourire s'élargit légèrement, et elle baisse la tête sur ses genoux, consciente qu'Hélène la regarde, et essaie peut-être de déceler des réponses dans ses réactions. « Alors, qu'est-ce que t'en dis? » lance Hélène, enthousiaste. Louisa hésite une seconde, ouvre la bouche comme pour commencer à parler, alors qu'elle n'a absolument aucune idée de ce qu'elle va dire, complètement à côté de la plaque. Heureusement, elle est sauvée par le gong. Elles sont interrompues par un SILENCE PLATEAU et par des lumières qui se tamisent un peu. « je vais me chercher un café, t'en veux un? » fait finalement Hélène. Louisa sent son souffle sur son oreille et frissonne légèrement. Elle finit par tourner les yeux vers elle et sourire, toujours un peu gênée, cependant : « Volontiers! Merci, c'est super gentil. » La brune se met en route pour aller chercher leurs cafés, et Louisa la regarde partir, paralysée. Au bout de quelques secondes, elle se lève de sa chaise comme si elle était brûlante, et se pose une main sur son front en pestant tout bas. Elle est la fille la plus nulle de la terre, elle est la fille la plus nulle de la terre. Elle ne PEUT PAS agir de manière aussi pitoyable. Elle est persuadée qu'Hélène a désormais une terrible image d'elle. Peut-être même qu'elle a proposé d'aller leur chercher des cafés pour lui échapper, mettre le plus de distance entre elles, non? Elle secoue la tête, exaspérée par sa propre idiotie. Elle ferme les yeux. Elle a vraiment des problèmes, vraiment. Quand elle rouvre les yeux, Hélène arrive sur sa gauche, avec deux tasses de café. « Merci. » fait Louisa avec un sourire quand sa nouvelle collègue lui tend un gobelet. Elle reprend place sur sa chaise, le plus doucement possible, pour ne pas perturber la scène en cours de tournage. Il faut qu'elle reprenne un comportement normal. De personne normale. Ce qu'elle n'est pas vraiment, à vrai dire. Mais il faut au moins prétendre. Alors elle prend son courage à deux mains et se penche légèrement vers la brune « Pour la pizza, ce soir, ça me dit bien. Vous n'aurez qu'à me dire quand vous partez et où on va. » Est-ce qu'elle vient d'accepter de passer la soirée avec les autres? Peut-être. Merde. Mais il le faut, Louisa, il le faut. Sa peur d'être rejetée la reprend, tout à coup. « Mais tu es sûre que ça ne dérange pas les autres? » Elle baisse un peu les yeux vers son gobelet de café. « Peut-être qu'ils préfèrent que vous passiez une soirée entre vous, je voudrais pas m'incruster... Tu es sûre qu'ils veulent aussi que je vienne? » Hélène s'est toujours montré sympathique, mais les autres... Eh bien elle est encore sceptique. Elle a l'impression qu'Alexis la déteste. « Et ta copine sera là? » Bordel. Qu'est-ce qui lui a pris de poser cette question? QU'EST-CE QUI LUI A PRIS? « Et les autres aussi ramènent leurs moitiés? » ajoute-t-elle précipitamment.

« Non, franchement, Louisa. Ne t'inquiète pas. » Hélène a l'air plutôt sûre d'elle en disant ça, et du coup, ça rassure un peu Louisa. Même si elle a toujours, dans son éternelle paranoïa, peur qu'on soit en train de lui tendre un énorme piège. Tant de gens ont recherché son amitié pour la célébrité ou pour s'amuser, tant ont essayé de la discréditer en balançant des rumeurs dégueulasses à son sujet, qu'elle ne peut pas s'empêcher de se méfier, c'est comme ça. Mais maintenant, c'est Hélène qui va se méfier d'elle, après ses questions sur sa copine. Bordel, mais qu'est-ce qu'elle est nulle. Elle aurait du garder sa curiosité pour elle-même, comme n'importe quelle personne sensée. Pour qui va-t-elle la prendre, maintenant? Louisa a envie de s'enterrer mille pieds sous terre. « Je ne sais pas, Dylan a un métier prenant. » Lou acquiesce avec un sourire. « Dylan. Ma copine. » ajoute Hélène, ce qui finit de mettre Louisa complètement mal à l'aise. Elle a du rose qui lui monte aux joues, un peu, et elle boit une gorgée de café pour masquer sa gêne de plus en plus grande. « Sylas et Alexis sont plus ou moins ensemble et la fiancée de Richard vit à Boston. Troy est célibataire, » L'actrice a subitement haussé les sourcils en entendant que Sylas et Alexis sont plus ou moins ensemble. Elle ne s'attendait pas vraiment à ça. Ils ont l'air très différents, pourtant... Mais maintenant qu'elle y réfléchit, elle les a vu se lancer des regards un peu spéciaux, et se taquiner souvent. C'était donc ça, tout s'explique. Elle n'est, par contre, pas surprise que Troy soit célibataire. « Si ça te pose un problème, que j'ai une copine, tu n'es pas obligée de venir ce soir, » Le ton est très froid, tout à coup, et c'est un peu comme si Hélène la mettait au défi de dire quoi que ce soit. Louisa se mord la lèvre et prend une nouvelle gorgée de café, se donnant le temps de réfléchir à ce qu'elle va dire.

Finalement, elle tourne la tête vers sa collègue. « Bien sûr que non, ça ne pose aucun problème. » dit-elle d'abord. « Désolée si d'une manière ou d'une autre j'ai pu te faire penser le contraire. Tu sais, - » Elle s'interrompt avec une nouvelle gorgée de café. Non, il ne faut pas qu'elle dise qu'elle a des amis gays. Hélène le prendrait forcément mal. C'est comme dire qu'on a des amis noirs. Pourtant, Louisa ne sait pas comment elle peut se justifier. C'est con, terriblement con. « C'est juste que je trouve ça bien. Que tu n'hésites pas à le dire. Que tu ne le caches pas. » Elle hausse les épaules. « Je connais beaucoup, beaucoup de monde qui fait semblant, dans l'industrie. C'est épuisant pour eux tous les jours et ils pensent tous que ça va détruire complètement leur carrière. » Elle ne regarde pas Hélène dans les yeux et prend une autre gorgée de café, même si elle se brûle la langue. Tout plutôt que regarder Hélène dans les yeux. « C'est les gens comme toi qui vont faire évoluer les choses. » Elle tique, puis se corrige : « Ou les rendre normales, plutôt. On dit que la société évolue, mais y'a encore tellement de jugement par rapport à ça. J'espère qu'un jour on aura plus à se justifier de nos sexualités dans les interviews, et que les acteurs ne seront plus mis dans des cases à cause de ce qu'ils aiment dans la vraie vie. » Elle toussote un peu. « Bref. Désolée, c'était très politique tout ça. » Elle se frotte les yeux, exaspérée par elle-même. « Bref, tout ça pour dire que si je demandais si elle serait là, c'est parce que je serais ravie de la rencontrer. Pardon si j'ai mal choisi mes mots. Je voulais pas que tu te sentes offensée. J'suis un peu nulle. Comme tu le vois, moi et les codes sociaux ça fait quarante. » Elle n'a jamais parlé autant depuis qu'elles se sont rencontrées. En fait, elle doit lui avoir dit plus de mots en l'espace de trois minutes que tous les autres jours réunis. Mais elle se sent un poil plus légère, quand même, même si elle a peur d'avoir encore dit un truc pourri qui va faire qu'Hélène va la détester. Elle n'est vraiment pas douée avec la vie en générale, Louisa, en fait.

C’est peut-être tout simple, mais ça fait quand même du bien à Louisa d’avoir avoué à Hélène qu’elle n’est pas très douée avec les codes sociaux. Ça ne justifiera pas tout mais ça rendra peut-être la brune plus indulgente avec elle. Peut-être. Louisa attend sa réaction avec beaucoup, beaucoup d’appréhension, et au bout de ce qui lui semble être un éternité, Hélène tapote son épaule de sa main : « Je te pardonne, Louisa Hensley. C'est moi qui ait été un peu agressive aussi, je suis désolée. C'est un sujet... un peu sensible. » La jeune Hensley fait de son mieux pour masquer que la réponse de sa co-star est un immense soulagement. Elle a un peu l’impression d’être passée à deux doigts de ce qui aurait pu être la troisième guerre mondiale. Comment aurait-elle fait, si Hélène avait commencé à la détester ? L’ambiance de tout le tournage aurait pu en être changée. Elle se promet à elle-même de ne plus jamais se foutre dans une situation aussi périlleuse avec Hélène.
« Je suis sûre que tu t'entendras bien avec Dylan. Elle est super awkward aussi, quand elle s'y met et parle de ses trucs de geek. » Louisa hausse les sourcils. En effet, elle ne devrait pas trop mal s’entendre avec la fameuse Dylan si elle a le même côté geek qu’elle. Tant mieux. Il ne manquerait plus que tout ça tourne au vinaigre aussi… En tous cas, Lou ne manque pas de remarquer le petit air qui s’étale sur les traits d’interprète d’Artémis. Elle détourne mal à l’aise, peut-être un peu mal à l’aise, peut-être un peu jalouse de n’avoir jamais vraiment connu ça.
« Et toi, t'as quelqu'un dans ta vie? Une copain... une copine? » Louisa baisse les yeux et lâche un petit rire mi-amusé, mi-paniqué. Dans la foulée, elle avale sa salive de travers et se met de nouveau à s’étouffer sur son café. Et elle a encore envie de s’enterrer six pieds sous terre. Hélène n’a pas l’air particulièrement suspicieuse, plutôt inquiète. Ses doigts réchauffés par la tasse de café se posent sur le visage de Louisa qui ne sait même plus comment contrôler le rose qui lui monte aux joues. « Oh mon dieu, ça va? T'as mal avalé, tout va bien? » Louisa acquiesce, la gorge en feu, incapable de dire un mot pour le moment. Elle continue sa quinte de toux en se délivrant poliment des mains d’Hélène pour aller tousser dans son coude. Un technicien s’est approchées d’elle pour savoir si tout allait bien, Louisa le rassure d’un geste.
Il lui faut bien quelques longues secondes, et un verre d’eau apporté par le jeune homme pour se remettre un peu. Elle se sent si mal, si awkward. Hélène est toujours là, à peine à deux mètres d’elle, et lui envoie un regard compatissant. « Désolée. » lâche Lou quand elle a enfin retrouvé sa voix, même si elle est un peu rugueuse. « Sacré Café! Haha! » dit-elle en s’enfonçant un peu plus dans sa gêne.
Elle n’a pas envie de répondre à la question d’Hélène, elle n’a pas envie du tout de lui parler de Loukas, son petit-ami aux yeux de tous. Elle n’a pas envie de lui en parler parce que ce serait mentir. Mais elle n’a pas non plus envie de lui avouer que depuis trois ans, elle a monté de toutes pièces une romance légère avec son meilleur ami, qui cache lui aussi sa véritable sexualité pour protéger sa carrière. Elle n’a pas envie qu’Hélène la voit comme une fille amoureuse de son petit-ami. Elle n’a pas envie qu’Hélène la prenne pour ce qu’elle n’est pas - ce qui est idiot, parce que c’est son quotidien, avec tout le monde, depuis des années. Mais plus que tout, elle n’a pas envie que Hélène la prenne pour une lâche. Parce qu’elle sait, au fond, Louisa, que si elle disait la vérité, elle pourrait make a difference. Bien sûr qu’elle le sait. Et elle-même trouve qu’elle est bien lâche. Elle ne veut pas décevoir Hélène, et elle se sent tellement débile, en cet instant…
« Louisa, tu es attendue au maquillage. » fait le même technicien qui lui apporté un verre d’eau. Elle hausse les sourcils, remerciant tous les dieux auxquels elle ne croit pas de l’avoir sauvée de ce pas délicat. « Oh! » Elle sourit à Hélène, finit sa tasse de café en une gorgée et se débarrasse du gobelet, avant d’hausser les épaules. « Je suppose qu’on aura le temps de finir cette discussion plus tard ! » fait-elle, enjouée. Finir cette conversation plus tard… ou pas. « On se voit tout à l'heure ! Merci encore pour l’invitation, je suis vraiment contente de venir ! » dit Louisa en filant, sur les talons du technicien et en faisant un petit geste de la main à Hélène.
Sauvée par le gong. Mais pour combien de temps ?
Louisa a comme l’impression que les prochaines semaines vont être très compliquées..