i don't know if this one is about me or the devil
De manière général, Bruce évite de parler de sujets qui pourraient l'énerver. Premièrement parce que, avouons-le, personne n'aime parler de choses énervantes, deuxièmement parce que lui a comme qui dirait une autre contrainte. S'il s'énerve trop, c'est l'Autre qui prend le dessus. Il ne peut pas laisser ça arriver. Il doit se contenir. Mais il arrive parfois, à certains moments sensibles, qu'il doive se lâcher. Qu'il doive faire face à ses émotions, à ce qui s'est passé dans sa vie. Le moine qui lui avait enseigné l'art de la méditation, quand il était au Laos, le soutenait dans cette idée. Pour pouvoir être connectés à soi, pour apprendre à méditer, il faut pouvoir être connectés à toutes ses émotions. Même les plus désagréables.

Alors, quelques fois, Bruce a besoin de faire le vide. Il s'en va, le temps d'une journée à un endroit où il sait qu'il ne pourra faire de mal à personne, et il se pose comme s'il allait méditer. Il se remet face aux souvenirs, aux images qui lui plaisent le moins. La première image qui lui vient, après celle de lui-même, est celle de son père. Avec l'odeur d'alcool l'accompagnant presque toujours. Et ses mots, glaçants. « Merde, Bruce. Tu sais ce que t'es ? T'es pénible. Ouais, t'es vraiment pénible. Sans toi on serait heureux, moi et ta mère. » Les premières fois qu'il avait entendu ce genre de phrases, le petit Bruce de sept ans avait été plongé dans l'incompréhension la plus totale. Qu'est-ce qu'il avait fait de mal ? Comment pouvait-il le régler ? Souvent, il se sentait coupable, aussi. Il ne voulait surtout pas mettre son père dans un tel état ! Au début, il avait tenté de se tourner vers sa mère pour un peu de soutien. Après quoi, elle avait essayé de le défendre, une fois. De répondre au père de Bruce. Mais ce qu'elle avait eu en retour, c'était un oeil au beurre noir. C'était la première fois que Bruce avait vu son père frapper sa mère, et il se sentait  désarmé. Il avait l'impression de ne rien pouvoir faire. Il préféra donc ne plus se plaindre. Pour éviter des problèmes à sa mère, il pouvait encaisser quelques insultes. Ca ne le dérangeait pas.

C'est cette philosophie qui le mena, après un certain temps, à ressentir une sorte d'indifférence face aux insultes que lui lançait son père chaque soir, alors qu'il puait l'alcool. Il comprenait que ce n'était que les déboires d'un alcoolique. C'est à cette époque que Bruce s'intéressa pour la première fois à la physique et à la science en général. Il se plongea dans les livres de la bibliothèque de son école. C'était un peu son bouclier. Sa manière de se protéger. Son père lui disait qu'il était un raté ? Pfft. La théorie sur l'effet Doppler était bien plus intéressante. Du moins, c'est ce qu'il voulait laisser paraître. Intérieurement, il savait qu'il était quand même touché, de voir et de mettre son père dans un état comme celui-ci.

Ce stratagème fonctionna un moment. L'indifférence, la concentration sur l'école et les livres. Ca se passait même presque bien. Ses professeurs appréciaient l'élève discret mais excellent qu'il était. Ca aurait pu continué comme ça encore un temps, mais visiblement le père de Bruce n'aimait pas qu'on ne lui donne plus la même attention qu'avant. Alors il prit des mesures plus fortes. Puisque les mots ne faisaient plus mal, il passa au physique. Dès que Bruce ne faisait pas la vaisselle, qu'il oubliait de ranger sa chambre, bref, dès qu'il n'avait pas le comportement que son père voulait, il s'en prenait une. Il n'expliquait à personne en cours pourquoi il avait des bleus un peu partout. Il n'avait pas envie de compliquer les choses. Il avait aussi très peur de la réaction de son père s'il osait en parler.

Bruce savait que sa mère vivait la même chose. Elle faisait comme si de rien n'était, mais il n'était pas dupe. Bruce était désolé. Désolé de ne pouvoir rien faire. Désolé de ne pas pouvoir se défendre, de se rebeller contre ce père qui le faisait bouillir de rage. Un soir, alors que l'altercation fut plus violente que d'habitude, et que son père fut parti au bar, il vit que sa mère était en mauvais état. En très mauvais état. Il fut contraint d'appeler l'ambulance.

En repensant à la suite de cette soirée le Bruce d'aujourd'hui sent l'Autre bouillonner, prêt à sortir à n'importe quel moment. UC

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