“ it's been a long day without you my friend ; but i'll tell you all about it when i see you again. ”
L
a bibliothèque universitaire n'est pas vraiment un de ses lieux favoris. Trop studieux, trop scolaire, trop plein de bouquins auxquels elle ne comprend rien. Johanna sait que les élèves de l'institut ont besoin de livres plus scolaires, cependant, donc elle se rend à St-John aussi régulièrement que possible pour voir ce qu'elle pourrait acheter. Elle n'a jamais vraiment aimé les cours, préférant les activités manuelles comme le dessin ou le bricolage, donc elle ne sait pas trop ce qui pourrait leur convenir. Il lui arrive de demander des listes aux professeurs, mais certains sont tellement tête en l'air... Fronçant les sourcils, elle attrape un livre d'histoire consacré aux guerres médiques, le feuillette rapidement en tirant un bout de langue. Hum. Celui-là pourrait intéresser Taylor et certains autres élèves... Elle-même doit se retenir pour ne pas le lire en entier. Elle a toujours adoré l'histoire. C'est bien pour ça qu'elle s'est toujours entendue si bien avec Taylor malgré leur différence d'âge, quand elle y pense. Elle note rapidement le titre du livre et l'auteur, puis remet l'ouvrage en place. Elle a déjà une bonne dizaine de titres sur sa liste. Peut-être devrait-elle s'arrêter à quinze... Après tout, c'est Xavier qui paye, et c'est pour l'éducation de ses protégés. Elle peut bien se permettre de faire des excès quand il s'agit de livres.
D
ix minutes plus tard, elle a trois titres de plus sur sa liste et elle est plongée dans un essai de philosophie qu'elle n'avait jamais lu auparavant. Les employés de la BU la connaissent, après tout ce temps, même s'ils ne sont pas au courant de sa mutation. Ils savent qu'elle est bibliothécaire dans une école elle aussi, et qu'elle a besoin d'un peu d'inspiration quant aux livres scolaires qu'elle veut acheter. Ils n'ont pas vraiment besoin de savoir plus. Elle agite une main quand une voix la salue, sans jamais lever les yeux du livre. C'est rare qu'elle trouve de la philosophie aussi passionnante, mais pour le coup, elle est incapable de reposer le livre avant d'avoir au moins fini ce chapitre. C'est silencieux dans cette bibliothèque. Elle entend à peine les chuchotis des étudiants qui sont présents pour réviser ou écrire leurs dissertations. Bien plus calme que sa propre petite bibliothèque à l'institut Xavier. Evidemment, elle rabroue les élèves qui sont trop bruyants, mais elle n'a jamais empêché personne de parler à voix haute ou de rigoler un coup. Elle trouve ça plus naturel, plus vivant aussi, et ça la fait sourire de voir les élèves aussi pleins de vie malgré les récents événements. Ca la rassure, aussi. Au moins ils peuvent rire. Ca fait un moment que ça ne lui est pas arrivé.
J
ohanna est tellement prise dans son livre qu'elle ne remarque même pas l'ombre qui s'est abattue sur elle. Elle tourne une page avec un vague son d'approbation, capture l'ongle de son pouce entre ses dents pour le mordiller sans pour autant le ronger. Elle est tellement concentrée que la sensation soudaine d'une main sur son épaule mince la fait sursauter violemment, un cri de surprise s'échappant de ses lèvres et lui attirant un concert de chut agacés. Elle n'y prête aucune attention. Elle s'est déjà retournée pour voir qui a osé la déranger pendant sa lecture. « Oui ? Vous voulez quelque chose ? » L'homme qui se tient derrière elle a quelque chose de familier, cependant. Quelque chose qui lui fait froncer les sourcils et pencher la tête sur le côté. Elle a le vague souvenir de quelqu'un avec les yeux aussi bleus et les cheveux aussi sombres que les siens... Ses lèvres se pincent et ses sourcils se froncent encore plus alors qu'elle cherche à se souvenir, jusqu'à ce que la révélation se fasse, aussi soudaine que surprenante. Elle en lâche un drôle de petit cri. « Gabriel ! Gabriel Hornthal. C'est ça ? Bon Dieu. » Ce n'est plus très difficile de se remémorer maintenant. Elle se souvient de sa haute silhouette lors des dîners mondains que son père aimait organiser quand elle était enfant. Elle ne l'a pas vu depuis des années. Depuis qu'elle est entrée à l'institut, en fait. « Mais qu'est-ce que tu fais ici ? Je croyais que t'avais arrêté les cours depuis longtemps. »
À l’heure à laquelle la plupart finissaient leur journée, la tienne ne l’était jamais tout à fait. Parfois même, tu la commençais, lorsque tu étais de garde. Tu n’arrêtais tout simplement jamais. Des responsabilités il en pleuvait et tu t’y tenais fermement. Rares sont les fois où tu as semblé dépassé ou prêt à hurler sur le premier qui te titillerait trop alors que tu étais mort de fatigue. Rester digne, c’est ça. Tes faiblesses tu les gardes pour toi, les autres n’ont pas à les percevoir - ni à les sentir, qu’elles soient à l’état d’éventualité ou non. Bien sûr que ça t’arrive de ralentir le rythme ou de t’octroyer une pause alors que tu te sentais parfaitement apte, moralement, à poursuivre. Tu n’exprimais simplement pas davantage. Tu n’alertais personne. En tant que professionnel de santé et homme à la tête d’une entreprise puissante, tu te dois de renvoyer une image particulière. Les deux images sont sensiblement différentes. Aujourd’hui ne dérogeais pas à la règle. Enfin…tu savais comment faire taire les journalistes au besoin. Cependant, ça ne t’a jamais empêché de continuer à être intraitable avec toi-même. La moindre erreur et tu partais en vrille.
Tu es sorti de l’hôpital à quatre heures un quart et tu savais déjà où tu voulais - devais - aller. La bibliothèque universitaire, celle de St John. Non, pas Columbia, tu avais trop l’habitude d’aller consulter là-bas et tu n’avais pas trouvé ce que tu cherchais l’autre fois. Un ou deux ouvrages qui te serviraient pour ta prochaine conférence, que tu allais faire fin de semaine prochaine. La documentaliste était toujours prête à te recevoir, ça lui donnait de l’importance visiblement, comme si elle recevait une star. Peut-être en étais-tu réellement une ? Bien que tu souhaitais qu’on te perçoives aussi doué que tu pouvais te considérer, tu préférais conserver une certaine forme de réserve. Star n’était pas le terme approprié. De toute façon, tu avais appris à recevoir tant les mots que les regards. Et si ça ne te plaisais pas…tu le faisais savoir à ta manière, le tranchant enfermé dans du velours.
Le garde du corps qui te suit de près comme de loin (tout dépend les occasions) est bien à son poste. Pas besoin de chauffeur pour ce trajet-ci, tu as préféré conduire toi-même cette fois, et dieu seul sait qu’il ne faut pas t’ôter ton libre-arbitre lorsque tu as décidé d’agir. Tu finis par arriver sur le parking de l’université, laisse ton carrosse et prends le strict minimum sur toi. Les vitres sont teintées à l’arrière et ton homme de main est présent dans le périmètre. Tu peux vaquer si tu l’entends, rien ne t’arriveras, ni à tes biens.
Ton arrivée a beau être discrète, ça bavarde déjà davantage lorsque tu t’y présente. Tu salues brièvement la documentaliste avec un léger sourire, fuyant immédiatement vers les allées qui t'intéressaient. Bioéthique. Tu restais un bon moment là, hésitant plutôt entre trois ouvrages qui étaient aussi pointus les uns que les autres sur le sujet. Il n’y avait pas à se mentir, ces trois-là, tu aurais été prêt à les dévorer jusqu’à l’aube. Jamais deux sans trois, te disais-tu. Ils finirent dans l’une de tes mains alors que tu vaquais, un peu aléatoirement, entre les autres allées connues. Les domaines changent, et tu te stoppes un peu près d’ouvrages philosophiques (le stoïcisme, entre autre, qui captivais ton attention). Tu avais encore quelque chose à trouver mais, là où tu t’étais apprêté à t’assoir pour consulter au moins un des trois ouvrages recueillis, tu crus reconnaître le visage de quelqu’un.
Elle a le nez dans son bouquin et la personne qui s’était adressé à elle n’avait eu droit qu’à un signe de la main. Tu essayais de retrouver dans ta mémoire ces traits, et surtout, à qui ils pouvaient appartenir. Finalement, après avoir contourné les tables pour arriver à sa hauteur, la révélation te frappas, elle avait bien dix ans de plus aujourd’hui mais son minois n’avais pas changé… Ne voulant faire aucun bruit, tu avais placé d’abord deux de tes doigts sur son épaule pour la faire réagir, chose qui s’avéra être un échec. C’est alors ta main qui se posa sur cette dernière afin de lui annoncer qu’elle n’était pas seule et que tu lui demandais un peu d’attention. Pour le coup, tu en avais eu…un petit cri s’échappa de la bouche de la demoiselle, visiblement surprise de ton apparition. Tu avais pourtant pris des précautions, elles s’étaient avérées être insuffisantes. Des yeux se braquent sur vous mais tu restes concentré sur elle, alors que tu la salues. « Bonjour Johanna. » Elle finit par trouver ton prénom et même ton patronyme comme si cela coulait de source. Tu t’étais toujours demandé ce qu’elle avait pu devenir, elle qui, disparaissant à l’âge de douze ans de chez ses parents, avait dû poursuivre sa scolarité dans l’Oregon. Un sourire illumine ton visage alors que les premières questions fusent. Tirant la chaise à côté d’elle, tu t’y installes et parle à voix basse. Ta voix d’homme dérangerait davantage si vous n’étiez pas dans un recoin de la bibliothèque. Une chance comme on dit. « On a toute une vie pour apprendre, non ? » Et c’est bien vrai, pourquoi s’arrêter aux études ? Elle ne t’avait pas assez connu de toute façon, pas assez pour savoir que tu étais un puits à connaissances. Ta soif en la matière était insatiable, disait-on. « J’ai besoin de quelques ouvrages supplémentaires pour une conférence. Et comme le format papier est et restera mon support favori… » Tu avais toujours apprécié les livres, beaucoup plus qu’internet qui, malgré sa base de données immense, avait moins d’âme. Il y avait quelque chose de vivant dans les bouquins, quelque chose que tu ne trouvais pas ailleurs. Au final, avec l’essor des nouvelles technologies, on pourrait te dire de puriste ou de la vieille école. Ce n’est pas pour autant que tu n’appréciais pas naviguer sur le web ou t’adonner à des activités informatiques. Tu jettes un coup d’oeil sur son livre, lui demandant. « Il a faillit t’avaler, celui-là. » Tu désignes du menton le bouquin en question, celui qui semblait l’avoir passionné à un point inimaginable. « Qu’est-ce que c’est ? » Impossible de lire sur la tranche ou autrement, tu avais simplement cru comprendre que c’était de la philosophie, avec le peu de mots que tu avais entraperçus avant de l’interpeller. Tu t’y intéresses, parce que tu veux savoir qui elle est aujourd’hui. Tu es curieux de savoir ce qu’elle a pu faire durant toutes ces années. L’une de tes mains repose sur ta petite pile de livres, tandis que tu penches un peu la tête, la questionnant. « Comment c’était, Portland ? » Et tu avais gardé ce sourire paisible aux lèvres, prêt à accueillir ce qu’elle avait à te dire.
“ it's been a long day without you my friend ; but i'll tell you all about it when i see you again. ”
I
l n'a pas tellement changé. Toujours les mêmes yeux bleus, toujours les mêmes boucles brunes, toujours la même mâchoire carrée et la même fossette au menton. Il a juste pris quelques années, et ça lui va bien. Elle se sent presque rougir, pour tout avouer. Elle l'a toujours trouvé bel homme, même quand elle n'était qu'une gamine méfiante. « Bonjour Johanna. » Pour le coup, elle rougit franchement. Toute à sa surprise et à ses pensées, elle n'a même pas pris le temps de le saluer proprement. « Oui... Bonjour. Pardon. J'en oublie mes bonnes manières. » Très vite, cependant, elle se retrouve à le dévisager encore une fois, la tête penchée sur le côté. Il n'a vraiment pas tant changé que ça. C'en est presque troublant. « On a toute une vie pour apprendre, non ? » Il marque un point. La petite blonde se contente de hausser vaguement les épaules à ça, les sourcils légèrement froncés et une moue aux lèvres. « Je suppose. Mais c'est quand même bizarre de te retrouver là. Sacrée coïncidence, quand même, tu trouves pas ? » Quoique, avec tout ce qui se passe, entre les mutants et les super héros... Elle se demande si les coïncidences existent vraiment, ou si c'est plutôt du destin. Elle n'en aura jamais la certitude, elle suppose.
J
ohanna se rend vite compte qu'elle se perd de nouveau dans ses pensées et se retrouve vite à secouer la tête pour revenir dans la réalité. « J’ai besoin de quelques ouvrages supplémentaires pour une conférence. Et comme le format papier est et restera mon support favori… » Ca la fait légèrement tiquer. Elle hausse un sourcil surpris, fait claquer sa langue contre son palais. « Une conférence, vraiment ? Et bien... Les affaires vont bien pour toi, apparemment. » Une pause. Elle se souvient qu'il n'était jamais seul aux dîners organisés par son père. « Et ton frère ? Ah... Eleazar ? C'est ça ? » Elle a toujours eu une bonne mémoire, même s'il lui faut systématiquement un petit temps de réflexion avant de pouvoir remettre son cerveau en route. Elle se souvient vaguement d'Eleazar, aussi. Grand, plus mince que Gabriel, l'air toujours un peu perdu mais très gentil. Peu causant, mais gentil. « Il a faillit t’avaler, celui-là. Qu’est-ce que c’est ? » Elle baisse les yeux sur le bouquin qu'elle a toujours serré contre sa poitrine, l'éloigne un peu d'elle. « De la philo. Un truc sur l'effet de groupe. Y'a un peu de socio dedans aussi, c'est pas mal. Très... d'actualité, je suppose. » Et pas qu'un peu, avec la loi pour le recensement des mutants... La petite blonde sait déjà qu'elle ne se fera pas recenser. Jamais. Hors de question qu'elle se balade avec une cible peinte en rouge sur le dos.
L
a jeune femme finit par reporter son attention sur Gabriel avec un petit soupir et un vague sourire sur les lèvres. Toute cette histoire lui fait peur. Elle a la drôle d'impression qu'une guerre est sur le point d'éclater, et elle doute pouvoir faire quelque chose pour l'empêcher. Plus que tout, elle a peur pour ses parents. Elle est terrorisée à l'idée qu'ils finissent par mourir à cause de sa condition de mutante. « Comment c’était, Portland ? » La voix de Gabriel la ramène à la réalité encore une fois, et elle se retrouve à froncer les sourcils encore une fois. L'incompréhension est bien visible sur son visage, et elle secoue la tête juste une fois. « Portland ? De quoi tu me parles ? » Elle se demande un instant s'il n'a pas pété un plomb à cause du surmenage, l'observe un peu plus intensément. Non... Il a l'air sûr de lui, avec ce petit sourire vaguement agaçant. « J'ai jamais mis les pieds à Portland, tu sais ? Même pas pour un voyage scolaire. On est juste allés en Louisiane quand j'avais huit ans. » Elle a soudain le pressentiment d'avoir fait une belle connerie en lui disant ça, pourtant elle se contente de hausser les épaules. « T'es sûr de pas être un peu trop surmené en ce moment ? »