Chaque sortie était devenue une véritable épreuve, et surtout un énorme risque : non seulement elle risquait qu’on la voit utiliser son... pouvoir. On pourrait croire qu’elle était une mutante, ou quelque chose d’autre. Elle serait sous les feux des projecteurs et elle en savait suffisamment pour deviner que les choses se passeraient mal pour elle, et elle préférait ne pas tenter l’expérience. Mais elle risquait également d’être vue par l’un des employés du journal, dont certains sauteraient sur l’occasion de rapporter aux supérieurs qu’elle n’était pas vraiment malade. Elle reconnaissait aujourd’hui que c’était une excuse idiote. Sur le moment, c’était tout ce qu’elle avait pu trouver. Et puis, tout ça ne durerait pas indéfiniment, n’est-ce pas ? Bientôt tout reviendrait à la normale et elle retrouverait sa vie d’avant, comme elle l’avait laissée. C’était simple, non ?

En attendant, elle devrait vivre en ermite. Si elle n’avait pas été dans une situation si catastrophique, elle aurait apprécié à sa juste valeur ce repos qui était le premier depuis un long, très long moment. Au lieu de ça, elle vivait dans une angoisse perpétuelle, et plus encore à chaque fois qu’elle devait mettre le pied hors de son appartement. Elle ne pouvait y échapper, il fallait bien qu’elle mange après tout. Par chance, il existait à New York de nombreux supermarchés qui ouvraient leurs portes au beau milieu de la nuit, et c’est dans l’un d’entre eux qu’elle se rendit. Elle espérait ainsi ne croiser personne qu’elle puisse connaître. Par sécurité, elle avait enfoncé la capuche de son sweat de manière à dissimuler la plus grande partie de son visage. Elle avait au début complété son look par des lunettes noires mais renonça rapidement après avoir manqué de percuté un troisième poteau.

Se laisser voir n’était pas la pire chose qui pouvait lui arriver. Il fallait qu’elle parvienne à se contrôler, sans causer le moindre dommage. Plus facile à dire qu’à faire. Elle avait l’impression que dès qu’elle levait le petit doigt, elle détruisait quelque chose. Tout ceci aurait dû lui donner un sentiment de puissance, mais pas du tout. C’était absolument terrifiant, ni plus ni moins. Tout ceci lui échappait totalement et ce manque de contrôle commençait à la rendre folle. D’ailleurs, peut-être était-elle folle. C’aurait presque été plus rassurant que ce qui était réellement en train de se passer. Mais elle ne savait même pas ce qui était en train de se passer. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle devait compléter cette liste de courses sans se faire repérer. Par chance, il n’y avait pas grand monde, des insomniaques et de jeunes fêtards venus acheter quelques bouteilles, sans doute avec de fausses cartes d’identité vu leurs dégaines. Elle commença par les rayons les plus simples, où il suffisait simplement de tendre la main pour attraper ce dont elle avait besoin. Ensuite vinrent les surgelés, nettement plus compliqués puisqu’il était nécessaire d’ouvrir un placard.

*Doucement Willow, doucement. Tout va bien...*

Inspirer, expirer. Lentement, elle avança la main vers la poignée. Voilà, elle la tenait. A présent, il fallait qu’elle la fasse glisser de manière à accéder aux produits, tout en douceur. Tout allait bien se passer. Elle entama donc l’ouverture, qui se déroula comme sur des roulettes. Du moins jusqu’à ce qu’une annonce résonne à travers le magasin, lui faisant soudainement perdre sa concentration et son sang-froid. Sous la pression le verra vola en éclats, attirant l’attention des rares personnes qui se trouvaient là. Sous la panique, elle eut un mouvement de recule, sans s’apercevoir qu’un étalage de conserves en promotion se trouvait juste derrière elle. Il suffit qu’elle le heurte pour le faire tomber à la renverse. Heureusement, personne ne se trouvait dessous. Pourtant, sur le moment, ce ne fut d’aucune consolation. Il fallait qu’elle se sorte de là, et vite. Il fallait qu’elle bouge et qu’elle s’enfuit. Malheureusement, c’était comme si ses pieds étaient vissés sur le sol poisseux. Elle était tout simplement figée, tétanisée par la peur.