Son coeur rate un battement. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ses yeux sont lourds, elle sent la fatigue qui la gagne et pourtant elle lutte. C'est ce qu'elle fait de mieux dans la vie, lutter. Les pages d'informations défilent, elle n'a jamais lu aussi vite ni enregistré autant de choses au fond de sa mémoire que ces dernières heures. Mary-Sue la magicienne, Mary-Sue et ses doigts de fées. On l'observe pianoter sur les ordinateurs et les téléphones portables sans jamais rien dire, parfois admiratif. Pour une fois qu'elle a quelque chose pour elle, la gosse.


Elle est ballottée d'une famille à l'autre sans ménagement avec l'impression de n'être qu'une poupée de chiffon qu'on a placée entre les doigts d'un enfant. Un cadeau à un gosse pourrie gâté, rien de plus. Au début ça plaît, on la trouve belle, cette poupée, avec ses beaux cheveux soyeux, ses yeux noisettes, sa peau douce et foncée. Et puis, l'enfant se lasse de la poupée qu'il finit par jeter ou abandonner dans un coin de sa chambre sans plus de cérémonie. Comme on se lasse de Mary-Sue. Une première fois c'est pas grave. Après tout ça arrive, pas vrai ? La deuxième fois s'enchaîne, trop rapidement suivie d'une troisième et d'une quatrième. Ça a pas l'air si grave, au final. Parce qu'il en faut plus pour la détruire, l'enfant, même si elle ne sait pas trop d'où elle puise cette force. Elle se dit qu'un jour elle retrouvera sa famille. Qu'ils devaient manquer de moyens financiers, qu'ils devaient être des agents secrets et que c'était trop dangereux de la garder. Les idées sont décortiquées une à une, elle fabule un peu. « Mary-Sue-sans-famille. » Des claques, elle en reçoit alors qu'elle n'a pas d'âge. Ça devrait être interdit, d'ailleurs, d'être aussi jeune et déjà blessé à ce point. A force, elle finit par se dire que quelque chose cloche chez elle. A force, elle finit par se dire qu'elle n'est pas aimable. Et ça, ça fait mal. C'est pas si grave, qu'elle se répète en boucle. En se levant et en se couchant. Quand elle pleure, quand les enfants sont méchants, quand une nouvelle famille l'abandonne. C'est pas si grave. Parce qu'elle le sait, quelqu'un l'attend quelque part. Ce qu'elle ne sait pas encore, c'est que la famille après laquelle elle est en quête depuis si longtemps n'est pas spécialement sous la forme attendue. « Vous n'avez pas de preuves. » Le directeur l'observe, fronce les sourcils et laisse un soupire lui échapper. Un sourire victorieux se dessine sur le coin des lèvres de la jeune fille. Une douce chaleur se répand dans tout son corps et elle se redresse automatiquement sur la chaise de bureau faisant face à son interlocuteur. « OUI. Je le savais, je... » Elle s’interrompt au même instant que le directeur hausse un sourcil accusateur. Aussitôt, elle sent le rouge lui monter aux joues et elle tente de masquer le petit air amusé qui ne lui donne pas du tout l'air innocent. « Bon, bah oui, je.. Je vais retourner en cours. » Le vieil homme roule des yeux, désigne la porte d'un geste du menton. Elle attrape son sac à dos, ne se fait pas prier et sort de la pièce à toute vitesse. Si elle est capable d'entrer dans le système du personnel scolaire, pourquoi ne pas viser plus haut, frapper plus fort ? Les rouages de son cerveau s'activent, elle se sent déjà pousser des ailles.


Son coeur rate un battement. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ses yeux s'arrêtent sur six lettres. Des initiales. Par-dessus son épaule, Miles hausse un sourcil exactement au même instant qu'elle, comme s'ils ne formaient qu'un. Alors, elle détourne son regard de l'écran pour le poser sur le jeune homme. La personne qui s'apparente le plus à un potentiel membre de sa famille. Drôle d'euphémisme. « S.H.I.E.L.D ? » Miles hausse les épaules, mais il ne peut s'empêcher d'avoir l'air aussi consterné qu'elle. Où que Skye cherche, peu importe les fouilles qu'elle accomplit, ces six lettres ressortent encore et encore. « J'ai l'impression qu'on a big brother dans les pattes. » Nouveau regard échangé, sourires en coin à peine dissimulés. Miles se redresse, elle replonge dans ses fouilles, les doigts brûlants et la curiosité faisant presque cour-cicuiter les câbles de son cerveau. « Tu sais ce qu'il nous reste à faire. » Rising Tide. Elle hoche à peine la tête, trop concentrée par le fichier qu'elle ne parvient pas à déchiffrer. Elle s'impatiente, comme une enfant à qui on tend un jouet, mais qu'il s'avère incapable de l'attraper. « Je veux que tu sois prête à tout balancer, compris ? » C'est à son tour d'hausser les épaules. « Tu peux me rappeler ce qu'on va balancer ? C'est pas comme si j'avais déjà piraté une agence gouvernementale secrète auparavant. Te fais pas de faux-espoirs trop rapidement Milou. » Du coin de l’œil, elle l'observe passer une main sur son visage, il a l'air exaspéré. « Arrête de m'appeler comme ça. » Finalement, elle se tourne entièrement vers lui, abandonnant ses recherches durant quelques secondes. Une moue se dessine sur son visage, lui donnant l'air d'une petite fille. « Pardon, j'avais oublié à quel point tu détestes ce surnom. Pourtant très affectueux. » Il lève les yeux au ciel, puis disparaît, tandis qu'elle ne parvient pas à réprimer le sourire taquin dessiné sur ses lèvres.


Son coeur rate un battement. Une fois, deux fois, trois fois. Elle sent ses jambes se dérober sous elle, mais quelque chose la retient. Elle relève le regard, ses yeux s'arrêtent sur Quinn. Un deuxième coup de feu résonne dans la villa, sa respiration se bloque. Est-ce qu'il vient de lui tirer une deuxième fois dessus ? Dans sa tête, les idées se bousculent, mais rien n'est très clair. Quinn, tirer lui-même sur quelqu'un ? Skye a du mal à y croire. A moins que... A moins que l'extra lucide ne le lui ait ordonné. Elle s'est jetée dans la gueule du loup. Doucement, comme s'il se souciait réellement de son bien-être, il l'allonge sur le sol et l'observe quelques instants. « J'suis désolé. » Ses paroles lui semblent lointaines. « Je reçois des ordres, moi aussi. » Elle est incapable de le regarder à nouveau. Ses yeux sont tournés vers le plafond et elle n'a pas la force de les détourner. De toute façon, elle arrive à peine à respirer. C'est pas si grave. Elle se le répète comme une litanie incessante, tente de se rassurer comme elle peut. Elle a l'impression d'être à nouveau cette petite fille imparfaite dont personne ne veut. Elle a grandi seule et mourra seule, c'est l'idée qui lui traverse l'esprit durant un court laps de temps. Et c'est atroce. Et puis elle se rend compte que Quinn n'est plus là, qu'il a décidé de la laisser agoniser tranquillement dans ce sous-sol plus luxueux que sa dernière demeure à elle. Pour peu elle en trouverait même une petite réflexion cynique à lancer. Si elle avait quelqu'un pour l'entendre, comme May qui ne pourrait pas s'empêcher de rouler des yeux, mais sourire quand même, Simmons ou Fitz. Fitz. Il est là, dehors. Un éclair de douleur lui élance le corps entier lorsqu'elle parvient à relever la tête pour observer son ventre. C'est pas joli à voir. Et... Elle se crispe de douleur au même instant où elle se rend compte que l'un de ses vêtements favori est fichu, recouvert de sang et troué par de fichues balles. Fitz. Elle y pense à nouveau. Il faut qu'il l'entende. Si elle ne bouge pas d'ici, elle finira par se vider de son sang. Combien de temps Coulson va mettre à la retrouver ici ? Lentement, elle finit par atteindre la porte, parvient même à l'ouvrir après de vulgaires efforts qui, elle le comprend vite, n'auront servi à rien. Elle n'a plus de force, ses appels au secours sont vains. Pourtant, elle ne peut pas s'empêcher de leur faire confiance.



Skye observe ses mains recouvertes d'ecchymoses en pinçant les lèvres. Les jours sont passés et pourtant la douleur élance encore ses avant-bras. Pendant quelques secondes, à peine, son regard s'égare sur les gants que Jemma a conçu spécialement pour elle. Non pas pour la brider, mais pour l'aider. N'est-ce pas ? Elle s'allonge sur le canapé, les yeux tournés vers le plafond, perdue dans ses pensées. Isolée comme elle l'est, c'est certainement l'une des seules activités à laquelle elle s'adonne. Bien que Coulson ait proposé la pêche. Son esprit dévie un peu plus. Que fait-il ? Et May ? Il avait promis que cette dernière passerait lui rendre visite. Rapidement, elle se rend compte que son univers tourne autour d'eux. Autour de Fitz qui l'a protégée depuis qu'elle a déclenché cette calamité de don qui l'effraie. Autour de Jemma qu'elle meurt d'envie de voir, même si c'est au-travers d'un écran d'ordinateur, même si c'est pour l'entendre demander si elle a enfin enfilé ces fichus gants confectionnés sur mesure, auxquels elle refuse pourtant intérieurement de faire confiance. Même autour d'Hunter, de Mack. Plus elle y pense et plus ce sentiment étrange envahit sa poitrine. Elle qui n'a jamais compté sur personne si ce n'est elle-même et son fichu vanne, la situation lui noue l'estomac. Elle se rend compte qu'être coupée d'eux comme elle l'est aujourd'hui lui donne la nausée. Elle avait oublié ce que cela faisait, de se retrouver seule. Seule, mais dangereuse. Les deux mots s'impriment si fort dans son esprit qu'elle ne parvient pas à penser à autre chose. Si ce n'est Trip. Elle se redresse aussitôt, le souffle court et saute du canapé d'un bond, comme si quelque chose l'avait brûlée. Comme si elle cherchait à s'éloigner de ce mauvais souvenir. De Trip, de sa mort. Elle arpente le chalet, tente de se changer les idées et s'attarde autour du bureau, effleure une statuette du bout des doigts qu'elle fait tomber. Aussitôt, ses yeux s'agrandissent et elle se jette au sol pour la ramasser. « Oh c'est pas vrai. » Elle tente de rassembler les morceaux, en vain. Coulson va la tuer. Elle se relève et dépose les morceaux sur le bureau, levant les yeux au ciel, exaspérée par elle-même. Au même instant, l'ordinateur s'illumine. C'est Jemma. Elle appuie sur un bouton, adresse un sourire à son amie, puis ouvre un tiroir pour chercher de la colle. « Salut Skye, je... Qu'est-ce que t'as fait ? » Son ton n'est pas accusateur, juste légèrement curieux. La culpabilité se lit pourtant dans le regard de la jeune femme qui cesse de chercher, se figeant sur place. « Quoi ? Rien du tout. Pourquoi on pense toujours que je fais quelque chose de mal ? » Jemma rit, Skye sourit. Elle referme le tiroir, abandonne l'idée de recoller cette fichue statuette. « C'est toi qui est devenue une bien piètre menteuse à présent », se moque doucement la jeune biologiste, tandis que Skye croise les bras, prenant un air faussement choqué. « Excusez-moi agent Simmons-je-suis-devenue-une-pro-du-mensonge, on a pas tous eu la chance de faire un stage intensif chez Hydra. » Nouveau rire, combiné cette fois-ci. Elle a le coeur léger durant un petit laps de temps. Elle oublie la douleur et elle arrête de se torturer l'esprit.


« Tu es mieux que je l'avais imaginé. » Son coeur rate un battement. Elle commence sincèrement à avoir l'habitude de ces soubresauts cardiaques. « Et je t'imaginais parfaite. » Elle a l'impression que son coeur vient de se fissurer un peu plus, mais  qu'étrangement, une chaleur non habituelle vient le réchauffer, comme pour combler ce déchirement. D'ailleurs, elle sait même pas comment elle parvient à contenir les larmes qui emplissent ses yeux, comment elle fait pour ne pas éclater en sanglots. Son père, pourtant, laisse échapper une larme, très vite suivie d'une deuxième et elle se rend compte combien elle est perdue. Plus que jamais. Plus que lorsqu'elle ignorait qui étaient ses parents. Ou est-ce l'inverse ? N'a-t-elle jamais été aussi comblée que lorsque son père, bien qu'instable, la serre dans ses bras ? Derrière elle, Coulson vient poser une main sur son épaule au moment où son père s'éloigne d'elle, embarqué par des agents. « Est-ce que ça va ? » Daisy pince aussitôt les lèvres, réfléchi quelques instants. Elle ne se souvient pas. C'était quand la dernière fois que quelqu'un lui a posé la question ? « Oui, ça va. » Elle accompagne sa parole d'un geste positif de la tête, puis sourit en coin. Oui, elle va bien. Plus tard, Coulson lui remet un dossier entre les mains, alors qu'elle revient vers lui après avoir été rendre visite à son père amnésique. C'est mieux ainsi. Haussant un sourcil, elle ne peut cependant pas s'empêcher de l'ouvrir, sa curiosité prenant le pas sur tout autre sentiment. Comme souvent, à vrai dire. « Une équipe spéciale de mutants ? Quoi, vous en avez déjà trouvé d'autres ? » Elle observe Coulson monter du côté passager de Lola, tandis qu'elle se hisse du côté conducteur. Elle passe ses mains sur le volant, sourit en coin. Si un jour on lui avait dit qu'elle conduirait le bijou de Coulson, elle n'y aurait pas cru. « Non, ça c'est ton job. »