Sacha fronce les sourcils, ça donne un air étrange à son visage de gosse. Il entend un bruit qui provient de la cuisine. Il reconnaît ce bruit pour l’avoir entendu plusieurs fois, à la télévision surtout. Ce sont des sanglots, mais c’est aussi la voix de sa mère, qu’il entend. Alors le gamin se lève et va dans la cuisine. Sa mère est bien là, assise à la minuscule table dans le coin de la pièce. Elle a le visage entre ses mains et ses épaules sont secouées par les sanglots qui s’échappent de sa silhouette frêle.
« Ma ? » Il appelle, mais elle ne semble pas l’entendre. Alors il s’approche et tire sur sa manche.
« Ma, why ya cryin’ ? » Elle sursaute et lui lance un regard effaré, comme si elle avait oublié qu’il était là et pouvait l’entendre. Elle frotte ses yeux rougis et force un sourire avant de l’attraper pour le mettre sur ses genoux.
« Nothing honey, it’s nothing, » qu’elle murmure d’une voix tremblante. Elle le serre fort, un peu trop, et niche son nez dans les cheveux de son fils.
« It’s daddy, right ? » Elle se fige et pendant un moment, un court moment, regrette qu’il soit si malin. Si intelligent. Pendant un instant, elle souhaite qu’il ne comprenne pas tout si vite, parce qu’il n’est encore qu’un enfant. Un bébé, à ses yeux. Pourtant, elle doit se rendre à l’évidence, son fils grandit. Il grandit si vite et désormais, il le fera sans père. De nouvelles larmes perlent aux coins de ses yeux.
Elle ne sait pas ce qu’elle éprouve le plus. De la haine pour cet homme qui l’abandonne, qui abandonne leur fils. Ou une peine terrible d’être quittée pour une autre. Plus jeune, probablement plus jolie.
« It’s okay baby, mommy’s fine, » dit-elle en faisant de son mieux pour contenir ses larmes.
« He’s not coming back, is he ? » demande Sacha d’une toute petite voix et elle le maudit. Elle maudit cet homme, ce salaud.
« No— no he’s not, » murmure-t-elle péniblement.
« But it’s okay, sweetheart, look— look at me. » Sacha lève timidement la tête vers sa mère qui prend son visage entre ses paumes chaudes. Elle sourit. Ça sonne faux, mais elle sourit, elle doit sourire, pour lui.
« It’s gonna be okay, we’re gonna be okay. Mommy loves you, more than anythin’, so you don’t worry, okay ? » Il la scrute, étudie longuement son visage, puis finit par hocher la tête.
« You not leavin’ ? » Ses yeux s’écarquillent et elle presse ses lèvres sur son front, ses joues, son nez.
« Oh baby, never, never. » Elle le sert plus fort encore et d’habitude, Sacha n’aime pas quand elle fait ça, il s’échappe toujours de ses étreintes, se tortille comme un vers et part en courant et en riant. Mais cette fois, il ne bouge pas. Il passe ses bras autour du cou de sa mère et il serre fort, lui aussi.
« It’s okay. Love ya too. » Elle pleure. Elle pleure mais elle sourit à travers ses larmes. Elle a toujours son fils. Quoi qu’il arrive, elle aura toujours son fils.
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Sacha ouvre péniblement les yeux. Sa vision est floue et sa tête lui fait un mal de chien. Il grogne et porte une main à son crâne, tout en se redressant. Mauvaise idée. Mauuuvaise idée. Il a envie de vomir. Ca tape dans sa tête, c’est insupportable. Mais en plus, il a cette saloperie de chanson dans la tête, ça tourne, ça tourne en boucle. Le garçon descend de son lit – comment il est arrivé là ? Il se souvient d’être dans la cuisine, en train de littéralement vider le frigo après une journée de cours et—c’est le vide. Les bruits. Il se souvient des bruits, insupportables. Ca crépitait dans son crâne, ça le rendait complètement fou. Puis plus rien. Merde. Il se lève péniblement, les dents serrées parce qu’il a toujours la nausée et vraiment, il a peur que ça parte à tout moment. Il chancèle et sort de sa chambre. Il est sur le palier et il aperçoit de la lumière, provenant de l’étage du bas. Il entend des voix, aussi. Sa mère et sa grand-mère, probablement.
Il descend les escaliers, lentement, une main pressée contre sa tempe, l’autre agrippant fermement la rambarde. Il se fige quand il ne reconnaît pas une des voix. C’est celle d’un homme. Encore ces connards qui viennent faire chier sa mère pour ses dettes ? Sacha voit rouge et dévale le reste des escaliers, pour débouler dans le salon. Sa mère et sa grand-mère sont assises côte à côte, elles ont les yeux rouges d’avoir trop pleuré et en face d’elles se tient… un mec. Chauve. En fauteuil roulant. Le garçon se fige et l’homme se tourne vers lui, un sourire aux lèvres. Il se veut rassurant, probablement.
« Hello, Sacha, » fait-il d’une voix douce.
Sacha ouvre la bouche pour répliquer, lui demander ce qu’il fout là, qui il est, ce qu’il veut. Mais aucun son ne sort. Non, c’est plutôt son dernier repas, qu’il vomit copieusement sur les chaussures autrefois brillantes et propres de l’inconnu.
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« Sacha, come here, please, » fait le Professeur McCoy avec un soupir. L’adolescent baisse les yeux sur la silhouette impressionnante du mutant, un air méfiant plaqué sur ses traits.
« Your mother wrote you a letter, » dit-il en brandissant une belle enveloppe. Il tente un sourire, mais avec sa tronche bleue et ses longs crocs, c’est plus effrayant qu’autre chose.
« Throw it away, » grogne-t-il d’une voix rauque. McCoy fronce les sourcils. Alors il oublie le costume propre qu’il porte et décide de grimper au sommet de l’arbre où Sacha s’est perché. Le garçon pousse un juron, ça lui a pris des lustres pour arriver jusque-là, et
Cookie Monster se retrouve à côté de lui en deux temps trois mouvements.
« Does your head hurt again ? » demande McCoy d’une voix douce et Fitz détourne brusquement le regard. Bien sûr qu’il a mal au crâne. Il a
toujours mal au crâne. Quand c’est pas cette saloperie de mutation, c’est tout ce qu’il a dans la tête qui devient trop— juste
trop.
« ‘Am fine, Sesame Street, » il marmonne. Il entend McCoy soupirer, puis la lettre apparaît dans son champ de vision.
« Don’t you want to read it ? » Sacha serre les dents et lui arrache l’enveloppe des mains avant de se lever vivement sur sa branche.
« Why don’t you go fuck yourself ?! » s’écrie-t-il brusquement en serrant la lettre dans son poing, jusqu’à ce qu’elle soit toute froissée. Il s’accroupit, attrape la branche et se laisse pendre dans le vide.
« Sacha ! » Il lâche et retombe lourdement à terre, dans une roulade qui n’a rien d’une cascade habile. L’adolescent grogne et se relève péniblement, McCoy est déjà à côté de lui – putain d’singe – et veut l’aider, mais Sacha arrache son bras de la prise de l’enseignant.
« Dont touch me ! » Il froisse la lettre encore plus, en fait une boule de papier qu’il jette au visage du mutant.
« I don’t care what she has to say ! I don’t care ! Just—just leave me alone ! » Il se détourne et tant pis si sa cheville lui fait mal, il se met à courir. Le plus loin possible, tandis qu’il ne cesse de voir le visage de sa mère, baigné de larmes. Qu’il ne cesse d’entendre sa voix lui dire qu’il sera mieux
là-bas, qu’elle l’aime, mais qu’il doit partir.
McCoy ne le suit pas, cette fois.
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Honey,
I know you’re angry at me. But I hope that someday, you’ll understand. You’re smart, Sacha, you’re so, so smart. I barely have enough money to pay our rent, you know that, you never said anything, but you always knew –C’est impossible de lire la fin de la phrase. Le papier est trop froissé, trop abîmé.
–Mr Xavier said you would go to a good school, with good teachers. He said that you could go to college, in America. He said he could help you–L’encre se brouille, s’efface, le papier se bombe légèrement.
–I came home and you were lying on the floor, with blood on your face, coming out of your ears, your nose. I thought I’d lost you. I was so scared, I didn’t know how to help you.
But here, you will get help. Here, you’ll have the best things I could never give to you. Il n’y a pas que l’encre qui se brouille. C’est à peine lisible, la feuille tremble.
–I miss you, baby, I miss you so much. But I’m your mother, I have to do everything I can to make you happy, to give you a better life. You will understand, if not today, then tomorrow, I’m—La fin de la lettre est parfaitement illisible, à part pour quelques mots.
–Forgive me,
I lo—
Mom.Un sanglot secoue Sacha. Il sent qu’un bras l’entoure et il s’y accroche, désespérément. La lettre froissée retombe sur la pile d’enveloppes. Toutes celles qu’il n’a jamais lues. Toutes ces lettres sans réponse.
« I’m sorry, Sacha, » murmure Taylor à son oreille, d’une voix un peu rauque. Pourquoi elle s’excuse ? Ce n’est pas de sa faute. C’est la sienne. C’est lui qui n’a jamais répondu. C’est lui qui a ignoré sa mère pendant toutes ces années.
C’est lui qui ne recevra plus jamais la moindre lettre.
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Il est juste là, assis à côté d’une jolie fille. Ils ont le nez rivé sur une tablette et ils ont l’air de bien se marrer. Et Sacha n’arrive même plus à le détester. Pourtant, c’est à cause de lui que son père s’est tiré. Parce qu’il s’est trouvé une gonzesse plus jeune, plus jolie peut-être, aussi. Après tout, c’est ce que font les salopards. Il lui a fait un gosse et il a quitté Sacha et sa mère. L’autre gosse est juste là, à côté de cette fille qui a vraiment un joli sourire.
Leopold. Qui s’appelle
Leopold ? Mais il n’arrive même plus à le détester. Parce que sa mère a fini triste et seule, mais celle de Leopold aussi. Parce qu’il a grandi sans père, mais Leopold aussi.
C’est dur, mais le seul qu’il peut vraiment détester, c’est ce mec qui a disparu. Enfin, il fait partie du SHIELD maintenant, il pourrait le retrouver. Mais il n’en a même pas envie.
Ça fait un moment qu’il sait qu’il a un frère. Depuis que le SHIELD a monté un dossier sur lui et qu’il se l’est procuré – quoi ? c’est pas top secret, c’est sa vie. Mais c’est la première fois qu’il le voit vraiment. Apparemment, le petit
Leo a terminé l’académie et est officiellement devenu un agent. C’est un petit génie, qu’ils disent.
Quand il a appris que son demi-frère allait rejoindre le SHIELD, Sacha s’est dit qu’il ne voulait pas le croiser. C’était facile de le détester lui, plus facile que de haïr son père.
Mais il n’a aucune raison de détester Leopold. Alors il n’a pas plus de raisons de l’éviter. Sacha esquisse un sourire. Il se présentera, peut-être. Ouais, pourquoi pas.
Son père est un fils de pute, mais il a gagné un petit frère.
Pourquoi pas.