« Oh, you can't hear me cry, See my dreams all die. »

l connait Captain America. En toute honnêteté, en d’autres circonstances, elle aurait peut-être posé des questions, ou clairement montré une certaine hostilité mais Jack semble soudain décontenancé. Il pose sa tasse, s’assied en tailleur et elle reste silencieuse, sans trop comprendre ce qui peut bien le surprendre à ce point. « Pourquoi est-ce que j'exigerais quelque chose de toi? » Cela lui paraît pourtant évident, mais Prudence ne trouve pas les mots, elle ne trouve pas comment expliquer de façon compréhensible la raison qui la pousse à penser qu’il puisse exiger quelque chose. « Je n'exige rien de toi. Je comprend même pas pourquoi tu imagines ça. » Elle a un soupir, pas agacé mais plutôt défaitiste. Un jour, il exigera, comme tout le monde. Un jour il faudra qu’elle rembourse son attention, comme toujours, qu’elle paye sa dette. « Je suis un être millénaire, Prudence. J'ai fais bien des choses. Du bien, du mal aussi. » La langue claque contre le palais. Prudence. Elle n’apprécie toujours pas, encore moins ce jour-là que la veille. Être millénaire ou non, l’usage de ce prénom l’irrite. Comment pourrait-elle y répondre alors que celui qui faisait encore d’elle un peu de cette Prudence était mort ? Elle a même tourné la tête, pour dissimuler le degré d’agacement, parce que c’est Jack, parce qu’elle sait qu’il ne renoncera pas à cette identité. Il n’est pas irréprochable, c’est ce qu’il souligne et ça lui brûle la langue de répondre qu’un esprit peut bien faire ce qu’il veut, qu’il échappe aux normes sociales, aux exigences humaines, aux contraintes mortelles. « Traces ta propre ligne de conduite. Pas pour moi, ni pour eux, mais pour toi. Je défend l'innocence. Mais innocence ne veut pas dire "être innocent de tout péchés » Certaines nuances, elle ne peut pas les intégrer, parce qu’elle est bien trop jeune pour analyser la différence entre le regret de l’acte et le regret des conséquences, en revanche elle entend bien ce qu’il dit au sujet de l’innocence, ce qu’il dit de sa longue vie, de l’idée de faire des choix et de les assumer.

« On perd l’affection de ceux que l’on déçoit. » L’explication glisse doucement entre ses lèvres. Elle le pense sincèrement, elle le croit, parce qu’elle l’a expérimenté de trop nombreuses fois mais la mémoire de Jack ne peut pas remonter à ces moments, il n’a pas le décompte total de ce qu’a été le quotidien de sa petite Prudence, tout ce temps. « J’ai perdu l’amour de mes parents à la seconde où les murs de ma chambre se sont couverts de ces flocons un peu trop artistiques à leur goût. » Elle se lève, en ayant assez d’être immobile. C’est le genre de conversation qu’elle n’aime pas avoir assise sur un canapé, les yeux dans les yeux avec quelqu’un. « J’ai tué le premier homme qui m’a regardé. Hypothermie. J’imagine que ça a dû le décevoir aussi. » Humour noir, un peu amer. Elle n’imaginait pas, à l’époque, que la moindre émotion pouvait la rendre si froide que ça en deviendrait insupportable pour les autres. « On a toujours demandé à Prudence de changer. Contrôler, à n’importe quel prix. C’est pour ça qu’on m’appelle Snow.. » Elle revient vers le canapé, la tasse toujours entre les mains. « On ne demande rien à la reine des neiges. On en exige rien, parce qu’elle n’a ni pitié, ni remords, ni amour. C'est une idée, comme tu es une légende. » Elle se rassied, portant le thé à ses lèvres, buvant une gorgée avant d’ajouter. « Mais toi.. je ne suis pas sûre de supporter, si je te décevais, si je perdais ta bienveillance. » Pas une nouvelle fois. C’est l’abandon, qui la terrifie, qui la glace. Les gens meurent, disparaissent, se détournent ; qu’est-ce qui pouvait lui assurer que Jack Frost ne risquait pas de s’envoler à nouveau ? « Tu me demandes de vivre pour moi.. peut-on seulement vivre quand on n’a plus de rêves ni de combats à mener ? » C’est une vraie question. « Même cet ancêtre de Captain America se bat encore pour quelque chose. » Même si à l’heure actuelle, il n’était sans doute plus que le grand coupable de la décennie. Elle aurait besoin d’un objectif pour avancer et elle n’en avait plus, tout était trop friable dans son esprit.

Les doigts féminins bougent. La tasse est abandonnée, les deux mains formant une boule de neige épaisse, froide, sans défaillance. Un sourire se dessine sur les lèvres. « C’est revenu. » Sans que ça lui demande un effort considérable pour en conserver la consistance. Et la boule finit par s’écraser sur l’épaule de Jack. « Toi, pourquoi tu es là ? »

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l rit. Il rit et c’est idiot, mais ça met du baume sur les plaies béantes de son coeur. Et si il ne répond pas immédiatement, elle patiente, elle n’est pas pressée. En toute honnêteté, elle estime à cette heure-là qu’elle ne sera plus jamais pressée de sa longue vie. Il vit ici, dit-il, réponse fort peu satisfaisante dont elle se contente parfaitement, esquissant un sourire. Il pourrait ne pas vouloir le lui révéler, ce serait son droit. « A l'époque je t'ai dit que je veillais sur les enfants... C'est pas entièrement faux. » Pas entièrement faux. Elle l’observe, elle penche légèrement la tête. Il a toujours ce sourire, léger, que Prudence trouvait malicieux autrefois. « Je préserve l’humanité » Et il se fane, ce sourire. Préserver l’humanité ? Elle le pensait neutre. Totalement et entièrement neutre, simplement protecteur de l’âme innocente de l’enfance. « J'ai su avant toi que l'humanité ne vaut rien, pas la peine de le rappeler. Mais... Vous n'êtes pas tous totalement à jeter. » Moue sceptique qu’elle ne dissimule pas. « Laisse-moi en douter pour les soixante prochaines années, tu veux ? » Elle essaye de faire preuve de toute la légèreté possible, quand bien même elle ne le devrait pas, quand bien même Jack ne le lui demande pas.

« L'humanité, la Terre, ça ne me concerne pas. Je n'existe ici que pour jouer un rôle de bouclier. Il existe un plan d'existence, qui se superpose à celui-ci. » Stop. Pause. Il lui parle de choses surréalistes et pendant une seconde, elle se remet à douter qu’il existe, pendant une seconde elle se dit qu’elle est en train d’halluciner, qu’il n’est pas là, qu’elle est en train de rêver ou une bêtise comme ça. Et puis elle se rappelle qu’elle a cru en Dieu des années durant. Elle se rappelle que ses parents ont tenté de la détourner de l’allégorie hivernale pour ensuite la traiter de démon. Il y’a des invasions extraterrestres, pourquoi pas un autre plan d’existence ? Le monde spirituel, pas plus pas moins que le Paradis ou l’Enfer. Et l’angoisse passe, elle retombe doucement. « C'est un monde bien différent, similaire mais où une nature étrange a le pouvoir. Où vivent des créatures incroyables, existent des énergies puissantes. Il est nécessaire et est là depuis que tout existe. » Si Prudence ne comprend pas les gestes qu’il mime, comme une langue qu’elle n’aurait pas apprise, elle perçoit immédiatement le froid au dessus de la table basse et baisse les yeux. Là, devant ce lion à trois queues, elle a à nouveau l’émerveillement d’une enfant. Quelle adepte des mythes et autres légendes ne trouverait pas cela magnifique, extraordinaire ? Elle s’agenouille, à même le sol, pour observer sous le meilleur angle.

« Les Gardiens ont été créés pour protéger les Hommes de tout ça. » Elle relève les yeux, intriguée. « Vous êtes plusieurs ? » Même dans un lieu où la nature domine, des énergies et des créatures néfastes existent. Ca l’attriste, sans qu’elle comprenne réellement pourquoi. « Et lorsque ça arrive, c'est mon rôle de les contrer. Il n'y a qu'un esprit pour combattre un esprit. » Son attention retourne sur le lion, devenu oiseau plutôt cauchemardesque, à son humble avis. « Tu es le Froid, donc. Dois-je supposer qu’une sorte de farfadet joue à l’esprit de la Chaleur ? » Un sourire taquin. Bien sûr qu’elle se moque. Elle ignore comment réagir autrement. Autrement qu’au travers d’un humour qui en aurait peut-être vexé d’autres. Une longue mèche glisse devant ses yeux, qu’elle attrape entre son index et son pouce. Elle la replace derrière son oreille, un peu contrariée par la clarté de plus en plus évidente de sa chevelure autrefois dorée. « J’n’ai jamais réellement cru en rien. A part en toi. » C’était ancré dans son éducation de croire en Dieu, ça n’était ni sa volonté, ni sa réalité, plus depuis qu’elle avait fait une entorse au tu ne tueras point. Elle s’était accrochée à sa Bible, récemment, pour ne pas sombrer, pour pardonner aussi. Sans succès, vu le résultat face à ce dont l'humanité était capable. Alors non, elle ne croyait en personne d’autre qu’en Jack Frost. « Alors excuse-moi si.. j’ai un peu de mal à comprendre ce que tu racontes. » Ca colle. Elle se rend compte que la robe de nuit qu’elle porte colle à sa peau, par endroits, encore. Le sang séché la rend désagréable au contact. Elle tire un peu dessus et abandonne, soudainement mal à l’aise. « B. est fait de la même matière que le flocon ? » Il est encore là, accroché à son poignet, et lorsque son regard a accroché l’ombre du bâton, ça lui a semblé évident. Il lui avait dit que le pendentif ne souffrait ni les balles, ni le temps, ni le froid et de ce qu’elle en savait, B. non plus. « D’ailleurs .. la ficelle a cassé, je suis désolée. » Ficelle remplacée par un bracelet d’argent, dernier vestige d’une période heureuse.

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a lui faisait le même effet qu’à l’époque où elle avait découvert que les dieux étaient sur Terre, ce même genre de scepticisme face à l’impossible. Cinq. Pas d’esprit de la chaleur. Mais pourquoi cinq ? N’y’avait-il donc pas assez d’un gardien ? Et d’ailleurs, qui étaient les autres ? Les questions se bousculaient sans être posées. Elle n’était pas encore prête à tout demander, tout intégrer, c’était son monde qui se fracturait, après tout. Les cendres de son monde, tout du moins. « Oui. Il a traversé le temps avec moi, on est fait du même bois lui et moi. » Elle a hoché la tête, indiqué qu’elle pouvait au moins assimiler cela. Et si la ficelle n’était plus toute jeune, ça ne l’empêchait pas de s’en être voulue, parce qu’elle n’avait pas à modifier l’assemblage, du moins le pensait-elle. Jack lui avait demandé de le porter, elle le portait. Et elle a baissé le regard, un instant, en repensant à sa dispute avec Bobby. Vague de tristesse qu’elle étouffe. « Ouais, non. » Le nez se relève sous la négation, lorsque les cristaux retombent sur la table. Quoi, non ? L’a-t-elle vexé ? Il pose la tasse, se lève et déplace l’autre table, la poussant à se redresser. « Mais qu’est-ce que tu fais ?? » L’interrogation est nette dans sa voix, beaucoup plus nette que la peur qui l’étreint momentanément. Il part, il est contrarié ? Pourtant il lui offre le visage de l’innocence, la plongeant dans un désagréable doute. « Ton scepticisme ne me convient pas. » « Pardon.. » Gamine prise sur le fait qui s’excuse pour une faute qu’elle n’a pas commise. Il n’y’a rien sinon son éducation pour entraver sa faculté à croire et rêver. Faculté qui plus est très développée, autrefois.

« Debout jeune fille! » Elle n’obéit pas, sans trop savoir pour quelle raison, sidérée par ses actes qu’elle trouve complètement surréalistes. Il jette le bâton vers le mur, comme si c’était la chose la plus évidente et logique de l’univers. Elle croit halluciner. Elle se demande même si elle n’est pas fiévreuse, lorsque l’objet semble faire partie du mur, être passé au travers. Non, non, elle ne peut pas en croire ses yeux, pas cette fois. Le contact de sa main la sort de son immobilité, elle se lève parce qu’il l’y force plus que par réelle volonté. Le glace prend consistance sur le mur, elle s’épaissit, se fait translucide ensuite, miroir sur .. autre chose. Il est joueur, impatient. Comme dans son souvenir. Et elle cligne des yeux, incapable d’aligner quelques mots, incapable d’être cohérente. « Respire et surtout ne lâche pas ma main. » Il l’entraîne. Il avance. Fonce, quand c’est trop près, beaucoup trop près. Le réflexe lui fait fermer les paupières, comme dans l’attente d’un choc.. qui ne vient pas.

C’est de l’herbe qu’elle sent sous ses pieds. La plaine, comme elle n’en a jamais connu aucune. Elle reste muette, à observer un horizon qu’elle ne comprend pas. Alors elle se tourne, cherchant le mur de l’appartement de Jack. Elle soupire finalement, en reportant son attention sur le mythe. Un soupir de reddition. « Tout s’écroule pour moi, de l’autre côté, j’espère qu’ici tout tient debout, mh ? » Un sourire, c’est un sourire doux qui se dessine sur ses lèvres. Tout paraît trop pur, jusqu’à cet air qui n’a pas d’odeur de pollution. « Pourquoi tu ne restes pas là ? C'est bien plus beau.. » la question lui vient, enfin. Pourquoi ne reste-t-il pas là où il y’a encore de la beauté ? Parce que c’est ce qu’elle voit dans cette plaine, une beauté qu’elle ne trouve plus sur Terre. « Et.. tu as le droit d’emmener n’importe qui ? » Pas que la sécurité de ce plan l’intéresse particulièrement - peut-être un peu, pour Jack - mais il lui semble qu’elle n’a pas à s’y trouver. Un peu comme si elle enfreignait une règle qui, peut-être, n’existait pas. « Très bien, très bien, je te crois. C’est tout ce que tu as à montrer ? » Le sourire est malicieux, cette fois. Quelque peu joueur sur les bords, comme s’il était enfin parvenu à la dérider. Elle ignorait si cela pouvait réellement durer mais elle acceptait de se laisser porter, de se laisser attraper par cette parenthèse. Elle ne pouvait pas revenir en arrière, d’aucune manière. Pour survivre, elle devrait bien avancer, laisser couler, et à défaut de lâcher les émotions qui rongeaient les barrières, elle les enterrait sous un rêve peut-être trop éphémère : celui d’aller bien, juste un peu, juste quelques minutes. Oublier. Seulement oublier que ça va mal. Et suivre celui qu’elle avait attendu trop longtemps, dans la solitude glacée de sa chambre.

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 Je fais ce que je veux. » La rébellion. Elle aime bien le côté rebelle de Jack, et cet air un brin insolent quand il le lui dit, comme si rien ni personne n’était capable de le faire plier à des règles sans qu’il n’en éprouve l’envie. Elle est restée debout, là, à contempler cet endroit, Jack s’étant installé sur ce sol à l’allure presque moelleuse. « Enfant pas sage. » souffle-t-elle, avec un clin d’oeil. Bien sûr que ça l’amuse. Elle avait passé son enfance à s’accrocher à ce rêve, à ce ‘garçon’ qu’elle seule semblait voir, alors elle ne pouvait pas lui reprocher sincèrement de faire des entorses, de prendre le gauche. « Jamais contente celle-là, sérieusement... Oh, bonjour? » Prudence allait rétorquer qu’il lui avait appris à rêver grand, improbable et fabuleux mais elle a tourné la tête, pour observer ce qu’il pouvait bien saluer. Lueurs nacrées dignes des contes qu’elle racontait aux gamins de l’Institut, laissant la jeune femme complètement muette devant le spectacle qui se joue sous ses yeux. « Et bien? Ne soyez pas timide! » Comment peut-il savoir que c’est timide ? Des lueurs vers de splendides oiseaux aux contours de lumière qui lui font oublier sa triste réalité. Elle ne pense plus à ce qu’il peut se passer de l’autre côté de la glace, elle ne pense plus à ces morts laissés derrière. Elle savoure l’instant présent, comme on goûte un petit miracle. Ils volent, joueurs, autour d’elle et elle les suit du regard, fascinée. « Je crois que tu t'es fais de nouveaux copains. » Il ne peut pas avoir la certitude qu’elle l’entend tant elle est captivée, tant elle est silencieuse.

« Le monde spirituel est magnifique et surprenant. Tu pourrais l'avoir parcouru des dizaines de fois, tu pourrais toujours y découvrir quelque chose de nouveau. » Il accroche enfin son attention, quand ce qu’elle ne peut qualifier que comme ‘créature’ se dirige vers lui. Magnifique, c’est une certitude. Quant aux dizaines de fois, elle ne les aura pas, comment pourrait-elle donc en un jour s’ennuyer de cet endroit ? « J'adore venir ici, c'est apaisant c'est vrai. » Un sourire, comme pour signifier qu’elle est d’accord avec lui, comme pour indiquer qu’elle l’écoute mais n’a pas les mots pour décrire ce qu’il se passe dans sa tête. « Ce n'est pas ce monde-ci que je protège, c'est le notre. » Voile de regrets dans les yeux trop bleus. Elle n’a pas envie d’entendre parler de ce qu’elle connait, de tout ce qu’elle déteste de l’autre côté. Elle pourrait rétorquer qu’il n’y’a rien qui mérite sa protection, elle sait très bien qu’il ne sera pas d’accord, qu’il a des millénaires de recul sur le sujet alors qu’elle a à peine passé la vingtaine. Quelque chose sur le flocon, elle le sent. Le réflexe premier est de reculer le poignet, pour protéger le dernier objet auquel elle tient, pour protéger ce que Jack lui a confié. Elle réalise pourtant que l’oiseau n’est pas hostile, simplement joueur. « Oh.. excuse-moi, je suis un peu trop méfiante. » Elle ouvre son autre main, soufflant dedans, et aussitôt s’envolent les flocons persistants, qui tournent à leur tour autour de ces êtres étranges et curieux. « Mh. C’est vrai, je ne suis pas aussi douée que Jack à ce jeu là. » Haussement d’épaules, sans se défaire de cette douceur paradoxale, de la même façon que s’il s’agissait d’êtres dont elle devrait préserver l’aspect paisible. Elle ne veut pas les perturber, elle qui se retrouve finalement dans leur monde sans en avoir la légitimité. « J'ai appris à vivre avec ce que l'univers m'a donné, à apprécier les possibilités qui me sont offertes mais je n'oublie pas d'où je viens pour autant. » Le rire s’envole, non pas à cause de ce qu’il dit qui n’a finalement rien d’hilarant mais parce que la boule de neige qu’elle a formé dans le dos de Jack vient de s’écraser contre son bras. « Un jour j’y arriverai ! » A le surprendre. Parce qu’il est difficile d’avoir un cryokinésiste à la bataille de boules de neiges, alors imaginez l’Hiver en personne ! « Il triche. Pas vrai qu’il triche ? » Elle se rappelle les matinées gelées dans le jardin des Rosebury, à tenter de donner la rondeur parfaite à la neige, sans succès. Elle se rappelle aussi qu’il était dur de gagner, qu’elle était trop petite, trop maladroite, la tête seulement pleine de rêves.

« Désolée.. je t’écoute.. » finit-elle pas dire, en retrouvant son sérieux, s’agenouillant près de lui. Il tentait de lui expliquer des choses importantes et elle ne l’écoutait pas, dissipée. « J’ignore ce que tu trouves à notre monde, Jack. Il est cruel et sans saveur. Je ne m’y suis jamais réellement sentie à ma place et toi.. tu as tout ça à portée de main.. » Tout en lui parlant, elle est occupée à observer l’herbe, longuement. « Pourquoi ça ne gèle pas ? » Il a toujours eu tendance à geler son environnement, c’est du moins ce qu’il lui semblait.. jusqu’alors. « Tu m’avais tellement manqué.. » C’est un aveux. Tout était plus léger lorsqu’il était avec elle, tout était plus facile à supporter, parce qu’elle ne tremblait pas de pouvoir le perdre. Lorsqu’il avait disparu, elle lui en avait voulu, elle s’était sentie abandonnée puis elle avait accepté de grandir, tout simplement, dans la froideur et la douleur. Il s’était retrouvé posé dans un coin de sa mémoire, comme on range un ami imaginaire. L’avoir retrouvé ne compensait certes pas les nombreuses pertes mais c’était un pansement sur les plaies de l’âme fracturée. Un pansement qui lui donnait encore l’occasion de rire, il savait la consoler, la faire tenir debout, il l’empêchait de se faire du mal. Et elle l’appréciait, sincèrement, même si elle n’était pas toujours d’accord avec sa vision du monde.

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’air sévère est factice. C’est une chose qu’elle a comprise, de ce Jack qu’elle découvrait lentement : il ne la réprimande pas d’être dissipée, il ne lui en veut pas de se perdre dans des jeux glacés. On lui avait si souvent demandé de tout contrôler, de ne pas envahir l’espace de ce froid dérangeant qu’elle s’en était sentie prisonnière. Avec lui, elle n’avait plus besoin d’étouffer une partie de sa nature même si elle était encore incapable de lui laisser totalement libre cours. Elle ne repousse pas le contact, la main se liant doucement à la sienne. Elle a eu une seconde d’hésitation cependant, une seconde durant laquelle elle a eu une vague crainte, totalement absurde, comme si la glace risquait de le blesser. Le givre n’a jamais dérangé Jack, pourquoi la fine couche au bout de ses doigts le gênerait maintenant ? D’autant que sa peau semble toujours ornée de ce froid caractéristique. « J'ai pas encore recouvré toute ma mémoire de cette période. Il y a beaucoup de choses, beaucoup de temps... Mais plus ça va et plus je me dis que je suis quand même content de t'avoir retrouvé, ça se confirme à chaque souvenir. » Il est pensif, elle aussi. S’il regarde le ciel, c’est le sol qu’elle contemple, le sol et ses reflets à la fois sublimes et intrigants. « La mémoire a besoin de clefs, j’imagine.. » Un sourire doux et pensifs. Elle ne les avait pas, elle ne les aurait jamais, elle dont les plus terribles souvenirs étaient revenus à la surface qu’au moment où elle s’était sentie heureuse. Se perdre dans les bras de Bobby avait déverrouillé avec violence l’ombre des autres hommes de sa vie, et elle avait compris que des évènements présents pouvaient avoir un écho trop brutal. Jack fonctionnait sans doute différemment, la cause de son amnésie ayant d’autres origines : on ne meurt pas tous les jours, mh ? « Tu sais... Ce monde est cruel. Il est parfois sans saveur aussi. Il est meurtri par la cupidité et l’égoïsme. Par tout ce que l'humain peut être de mauvais… » Il croise son regard au moment où elle le relève. Prudence ne peut pas envisager que cet endroit merveilleux puisse cacher quelques vices, parce qu’elle a un point de vue extérieur, parce qu’elle ne voit que la surface, qu’un morceau magique d’une vaste étendue. Tout a sa part d’ombre, elle devrait le savoir et malgré tout, elle refuse de le voir, pas chez l’allégorie hivernale ni au coeur de ce lieu fantastique. « Mais le monde je l'ai vu grandir. L'Homme je l'ai vu évolué. J'ai eu tout le temps de voir tout le mal qu'il peut faire mais autant de temps pour voir tout le bien dont il est capable. » Moue sceptique. Le bien, elle ne l’a vu que trop rarement. « Ce qui est bien meurt. » Tranche-t-elle. Accent de froideur qui revient, qui rejette, qui s’insurge un instant. La bonté n’a pas sa place là où la haine et le meurtre gagnent. Elle-même avait vécu plus heureuse en répandant la souffrance qu’en tentant d’être une personne agréable et protectrice. « Et puis je te l'ai dis, ce monde n'est pas le mien. Il n'est pas chez moi, il n'est pas ma mission ni mon foyer. » « Le froid a-t-il seulement droit à un foyer ? » Peut-être pas seulement lui mais tous les êtres liés à la glace, au froid insupportable pour le reste du monde. Un foyer n’est que chaleur et partage, un foyer c’est l’acceptation d’autrui tel qu’il est, sans chercher à le changer. Le psychologue avait choisi de nier son attirance pour les étendues enneigées afin de se construire un ‘chez lui’, elle l’avait vu se fondre dans une normalité qui n’aurait pas dû être la sienne. Elle ne voyait pas Jack cantonné à un endroit pour le reste de ses interminables jours, cantonné à quelque chose qui se référait à une morne humanité. Quant à elle.. elle ne se sentait jamais plus chez elle que lorsqu’elle était libre, toujours déçue par les personnes qu’elle avait aimé. Pas seulement les hommes, qui plus est, mais sa famille toute entière, la Confrérie également. Rien n’était plus son foyer qu’une infinie solitude, même si elle la faisait souffrir aussi, d’une certaine façon.

Il est résigné, il a accepté sa mission. Il n’est pas chez lui dans ce monde spirituel. Finalement, il a une raison de vivre, ce quelque chose qu’elle n’a pas et, tout bien considéré, mieux valait une mission imposée que le néant, l’errance sans but. « Je suis persuadé que ce n'est qu'une question d'expérience. Que le temps ne t'as pas encore donné l'opportunité dont tu as besoin pour trouver réellement ta place. Donne lui une chance, il se fait parfois attendre.. » « J’ai cru l’avoir trouvée. J’avais même des projets.. » Défendre une cause qu’elle avait vu s’effondrer, dans la violence. Le temps avait peut-être épuisé ses cartes trop vite. Haussement d’épaules. Qu’y pouvait-elle, de toute manière ? « Et l'herbe comme certains bois ici sont imperméables, comme ton flocon. Pas comme toi. » Elle n’a pas pu réagir, le tas de neige venant la couvrir, poudreuse n’ayant épargné que la main qui se trouve encore dans celle de Jack. Vraiment ? C’est comme ça ? Elle ne voit pas son sourire satisfait, le tas soufflé vers le mythe sans qu’elle ne fournisse le moindre effort, mouvement fluide de l’élément froid qui retombe sans violence vers lui, comme s’il neigeait réellement autour d’eux. « Si tu n’étais pas Jack Frost, je l’aurais peut-être mal pris. » C’est faux. L’air contrarié s’effaçant bien vite au profit d’un sourire amusé. « Mais tous les contes disent qu’il ne faut pas chercher à se venger d'un elfe. » Vilaine fille. Un elfe. Comme si il avait sincèrement l’air d’un elfe avec un bonnet ridicule. « Je ne vais pas m’y risquer, mh ? Sait-on jamais.. » Elle se moque gentiment, jouant inconsciemment avec les doigts masculins, suivant de l’index les lignes de la paume. « Je ne voudrais pas fâcher Dame Hiver en t’embêtant de trop. » Un clin d’oeil. Bercée par un peu trop de livres, mh ? Elle trouverait toujours des références à détourner, parce que c’était tentant, parce qu’il était bien trop différent de tout ce qu’on pouvait raconter sur sa légende. Après tout, lorsqu’elle avait raconté l’histoire de Jack - du moins ce qu’elle en connaissait - il n’était pour les enfants qu’un bonhomme de neige. « Tu as besoin qu’on croit en toi.. ? » La question est sérieuse, cette fois. Sortie de loin, de cette époque où elle le voyait sans que personne ne la croit. Jack Frost n’existe pas, on le lui avait dit trop souvent. Imaginez donc qu'il soit comme la fée Clochette, qu'il meure parce qu'on affirme ne pas croire en lui.. ce serait trop triste.

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« Oh, you can't hear me cry, See my dreams all die. »

 Je suis pas un elfe, t'as vu mes oreilles ? Pas pointues ! » Elle rit de cette réaction. Non, pas pointues. Mais il reste une sorte d’elfe, sur le papier, dans certaines histoires, dans cet imaginaire qui jalonne l’humanité. « Elles sont parfaites, tes oreilles, évidemment. » se moque-t-elle. Comment pourrait-il en être autrement ? Combien d’années avait-elle inconsciemment regretté la disparition de son ami imaginaire ? Il était là, tellement réel, irradiant de cette magie à laquelle elle avait fini par ne plus tellement croire. Son existence était trop sombre, les évènements trop violents et le coeur corrompu avait souffert, assez pour échapper au domaine du rêve. Il tourne la tête, elle croise son regard. D’où venait la question ? De loin. D’une pensée fugace vite envolée, vite exprimée. « Tout le monde a besoin qu'on croit en lui, non? » Les épaules se haussent sans conviction. Elle l’ignore, elle n’est plus certaine. « Je préfère être ignorée. » Oui, pour sa part, moins on croyait en elle, moins on en attendait, moins elle décevait. Peut-être était-ce alors la solution : disparaître, s’isoler. Elle avait toujours eu cette tendance à la solitude, même si parfois elle passait du côté de l’extrême inverse, à chercher la chaleur du contact, d’une étreinte, à se nourrir d’affection. Pour quel résultat sinon la souffrance ? « A une époque oui. Au tout début, je n'existais pas. On ne pouvait me voir, on ne pouvait m'entendre. Et lorsque je déplaçais des choses on pensait à un fantôme, ou simplement au vent. » Prudence ne pouvait pas imaginer ce qu’être coincée dans l’inexistence pouvait être, parce qu’après tout l’humanité ne pouvait pas être privée du fait d’exister, on pouvait lui retirer l’amour, la richesse, la confiance, les sentiments mais rien ne l’empêchait d’être, pas même la mort puisqu’elle suivait le fait de vivre, elle suivait un passé gravé dans la mémoire d’autrui. « J'étais juste là, personne ne le savait. Et puis un jour j'ai dû m'interposer et les gens qui étaient là m'ont vu. » Elle observe la nostalgie sur ses traits, sans la comprendre. Elle observe Jack comme on détaille de l’art abstrait, à en chercher le sens sans en saisir l’entière étendue. « C'est ce jour-là que j'ai trouvé ça. Un cadeau. Tu comprends pourquoi il a été si important tout ce temps. » Elle baisse les yeux vers son poignet, où se trouve le flocon qu’il désigne. Un cadeau. Un cadeau d’une importance qu’elle n’avait pas vue jusqu’alors, pas ainsi, ni aussi profonde ni aussi vitale. Il rappelle une sorte de reconnaissance. Les doigts féminins viennent rencontrer la surface de l’objet, caresse délicate, gelée, qui n’a pas le pouvoir d’en abîmer cette matière exceptionnelle. « Il le détestait.. » Sans vraiment le dire, sans vraiment l’exprimer, Bobby avait été réfractaire à l’idée que Jack Frost puisse exister et elle s’était aussitôt sentie coupable de le porter. Victime de sa propre auto-censure, s’interdisant de choisir au risque de blesser. « .. mais je n'aime pas le quitter.. » Elle s’y est attachée, à cette petite chose, inexplicablement. Ca lui rappelle les flocons qu’elle portait, à la Confrérie, celui qu’elle a ensuite donné à Jade. C’est le symbole, finalement, cette neige qu’elle aime autant qu’elle la déteste.

« Mais maintenant non. Mon histoire a été contée et elle est bien trop répandue pour que je disparaisse. Je ne vais nulle part. » Elle esquisse un sourire. C’est rassurant, qu’il ne puisse pas disparaître, pas encore. Il pourrait l’abandonner mais il ne disparaitrait pas purement et simplement de la surface de la Terre. « J’aurais dû la raconter plus souvent, pour être sûre de te revoir. » clin d’oeil presque doux, presque tendre. Ils se retrouvaient à peine, si différents. La petite fille avait inévitablement grandi, lui était devenu bien trop réel, loin du protecteur invisible qu’elle avait rencontré. « Et puis, ça fait de mal à personne de croire. » Il la fixe et le contact visuel dure, il s’étire, sans qu’elle ne dise rien. Elle organise ses pensées, compare et réfléchit, sans lâcher le gris hivernal de ses prunelles. « Croire, non. » la conclusion tombe enfin. « Espérer oui. C’est terrible, l’Espoir. Ca blesse, ça fait souffrir. Croire n’engage ni présent ni avenir. » La Croyance est une constante, un fil rouge dans une vie, quelque chose qu’on suit plus ou moins, qui peut changer sans briser des coeurs ou des âmes. C’est souvent bien au-dessus de la logique, d’ailleurs. « Tu devrais me ramener. C’est un endroit magnifique mais je ne peux plus fuir ce que je suis. » Elle se lève, tente de défroisser ce qui lui sert de vêtements, sans grand succès. « Et puis ça n’est pas dans le Monde Spirituel que je vais trouver un endroit où dormir, pas plus qu’une vie à peu près stable d’ailleurs. » Elle pense à voix haute, c’est l’impression qu’elle donne en observant l’ouverture vers leur monde, vers ce qu’ils ont laissé derrière eux. « Ca marche comment ? » La question est posée en pointant l’endroit par lequel ils sont arrivés. Elle aime bien comprendre, même si tout est incroyablement complexe et particulièrement abstrait. « C’est une sorte de porte ? Ou c’est une faculté que tu possèdes ? » Elle s’empresse d’ajouter : « T’es pas obligé de répondre si .. je suis trop indiscrète. »

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