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 The Amazing Spider-Bucks [Jared/Harry]

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MARS 2016 - Long Island City - QUEENS, NY




The Amazing Spider-Bucks
feat. Jared Hemingway & Harry Fisher

"Fear is the desire to change your life. Forever."

Je ne sais plus qui a dit un truc pareil, mais comme toutes les citations qui font le pop sur le réseau : sûrement de la bouse de vache fermentée. J'ai changé ma vie deux fois déjà et j'ai pas eu peur. Ca fait partie des choses que tu fais parce que tu le dois, parce que c'est nécessaire à ta survie, parce que tu en as besoin… Ou simplement parce que tu en as envie ! Je suis pas vraiment du genre à me prendre la tête sur ces choses-là.

En ce moment - avant la prochaine fois, j'imagine - c'est ici que je vis, à Long Island City, à l'ouest du Queens. C'est pas ce que j'appelle le plus mal loti, malgré ce qu'on peut dire du quartier, mais c'est ce qui s'approche le plus de chez moi. D'ici, je vois Manhattan… Avec de bonnes jumelles, je crois que je peux voir le toit de la fac ! J'adore ce quartier, en particulier la jetée. Pas rare d'y voir des agents de la police scientifique ou des bonhommes dans le genre en pleine investigation d'un meurtre parce qu'on a jeté un macchabée dans le fleuve. C'est marrant de les voir fourmiller… Ca ou un nouveau super-héros pas masqué a décidé de se passer les nerfs sur le Queensboro Bridge.

Je pourrais te dire que ça me colle les miquettes un peu de vivre dans cette ville, sauf que ça non plus, c'est pas mon cas. Dans la vie, il faut prendre des risques. Et c'est pas dans la campagne à traire des agneaux albinos que je vais embrasser ma destiné.  A moins qu'elle soit grande, élancée et rousse aux yeux verts… Peut-être que je ferai un effort à ce moment-là. Mais ton plan me semble assez compromis.

J'étudie dans le coeur de Manhattan, c'est pas si loin de chez moi, mais ça l'est pas non plus de mon boulot. Je travaille au Starbucks toutes les fins d'après-midi et parfois, je fais les fermetures le weekend sauf cas d'examens. Nan, les cas d'examens, je les passe dehors à boire des bières avec les copains afin de saluer notre talent. Ca désespère ma soeur, si tu savais. Cela dit, tu n'as pas idée du nombre de gens que je rencontre chaque jour. Bien sûr, j'ai mes habitués et pour eux, c'est traitement privilégié. Ca fait des jaloux mais hey ! Tu veux plus de crème dans ton latté ? Fais-moi un sourire et file-moi un pourboire. Mes études se payent pas toutes seules et mes parents, c'est pas Cresus.

Je viens d'avoir 21 ans. Tu sais ce que ça signifie ? Que maintenant, j'ai le droit de conduire en état d'ivresse. Je compte bien fêter ça toute la semaine avec une personne différente à chaque fois. Je suis un mec facilement adaptable, alors avec ou sans bière, avec ou sans un bon pétard, du moment que je me marre et que je peux faire la nique à la vie du haut du Brooklyn's Bridge… Je suis un mec heureux.

Le mec là-bas, c'est Jared, un habitué. J'ai personne pour ce soir, alors après tout pourquoi pas ! J'ai pas fini de décuver de la veille et j'ai prévu une grosse soirée demain, je peux m'autoriser un peu de légèreté, qu'est-ce que tu en penses, hein ? Attifé comme un elfe de maison à qui il ne manque plus que les grelots et les chaussettes rouges, je m'essuie les mains sur mon tablier noir et je m'approche de lui. Sans un bonjour aucun, je le désigne d'un coup de menton en le sortant de peu importe le business.

"Yo. Tu fais quoi, ce soir ?"



Dernière édition par Harry Fisher le Lun 23 Mai - 16:55, édité 1 fois
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Il a mal. Partout. Les bras. Les jambes. La tête. Il a maaaaal. Et le réveil qui continue de brailler. Et le téléphone qui n’arrête pas. Et les voisins qui dévalent les escaliers. Le monde entier s’est ligué contre lui. Le monde entier a décidé de l’emmerder ce matin. Le monde entier veut le voir torturé, souffreteux, malheureux. Oui ? Non, ceci n’est pas de la comédie. Ceci est un lendemain de vélo intensif. La veille, son patron lui a demandé de rattraper les heures perdues à cause de tous ses retards. Résultat, il a roulé dans New-York de 9 heures à 22 heures, sans discontinuer. Ses jambes lui en veulent. Son dos a cessé de lui parler. Ses bras ont décidé de faire grève. Et sa tête… sa tête menace d’exploser. Il hait son boss. Il hait ce dictateur. Il hait cet homme. Quoique, il l’aime bien. Après tout, il aurait pu être viré des milliers de fois depuis qu’il est son employé. Sauf que Jared fait toujours partie de l’entreprise. Il devrait se sentir chanceux. Il devrait se sentir soulagé. Sauf que non. Pas quand les lendemains sont si difficiles. Encore pire qu’après une cuite. Encore pire qu’après une longue nuit d’ivresse. Mais le téléphone persiste. Le réveil insiste. Il faut peut-être qu’il se bouge. Il faut peut-être qu’il roule jusqu’à sa salle de bains. Allez, il peut le faire. Il prend une inspiration. Il arrache le réveil de sa prise électrique. Silence. Coupé par la sonnerie du téléphone. Quelqu’un qui insiste. Beaucoup. Trop. Qui que ce soit, il le maudit. Il pousse un soupir sur-joué, avant de se jeter en bas de son lit. Littéralement. Il se laisse tomber sur le parquet dans un grand ‘boum’ très élégant et raffiné. Nouvelle plainte. Il est con. Vraiment con. Pourquoi il a fait ça ? Il a encore plus mal, maintenant. Il se recroqueville. Position de foetus. Il se prend la tête entre les mains. Si il était Captain America, il n’aurait même pas de courbatures, même pas de mal de tête. Captain America est trop privilégié. C’est injuste. Jared bascule doucement sur ses genoux. Il se cramponne à son matelas pour se redresser. Ça craque. Ça brûle. Mais il est debout. Il est debout ! Il fait un pas. Un second. Un petit pas pour l'homme, mais un pas de géant pour l'humanité, hein ? Il peut bien le faire pour l’humanité. Il peut bien le faire pour tous ces scientifiques. Il peut être le héros de la journée. Il avance, tel un grand-père, jusqu’à sa salle de bains. La douche finit de le réveiller. Il enfile rapidement son uniforme. Il attrape son téléphone. Cinq appels de son supérieur. La journée commence tellement bien. Il ferme derrière lui. Il chute sur la dernière marche des escaliers, mais se rattrape à la rambarde. Après avoir lâché son téléphone. Bordel de merde.

Il arrive vivant sur son lieu de travail. Il n’en dirait pas autant de son téléphone qui a un bel impact sur le coin. Ni de son patron qui est rouge de fureur derrière son bureau. Jared fait semblant de ne rien voir. Il file directement vers son casier où il dépose ses affaires. Il se dirige calmement vers son vélo, non sans adresser un sourire à ses collègues. Il est parti pour huit heures de respiration de pollution et de livraison. La joie. Le bonheur. L’épanouissement. Il n’oublie pas de mettre la musique en route sur son téléphone et d’enfoncer ses écouteurs dans les oreilles. Là, c’est mieux. Là, il peut apprécier la journée. Les heures qui suivent ne sont qu’un enchaînement de sonnettes, de portes, de reçus signés, d’embouteillages, d’adresses à chercher, de consultation de son téléphone. Il manque de se faire percuter cinq fois. Il évite d’écraser trois grands-mères. Il fonce sur deux chiens. Il grille dix-huit feux. Il double des centaines de voitures. Tout cela entrecoupé par des pauses plus ou moins prévues, plus ou moins légales. Il ne se passe rien. Absolument rien. Les réseaux sociaux ne s’excitent pas pour une nouvelle. Ils ont inertes. Comme si il ne se passait rien. Où sont passés les super-héros ? On dirait qu’ils se planquent depuis que la loi sur le recensement des mutants a été votée. On dirait qu’ils ont peur. Il soupire. Quand il n’y a pas d’aventures héroïques à suivre, les journées sont soudainement ennuyantes. Il lance un appel désespéré à sa communauté. Certains ont sûrement des scoops. Certains doivent avoir des informations. Il doit savoir. Question de vie ou de mort. Non, toujours pas de comédie. Seulement la vérité. Il reprend le travail. Jusqu’à ce qu’il décide qu’il s’est assez fatigué et qu’il mérite de terminer sa journée. Jusqu’à ce qu’il laisse son vélo au travail pour passer au Starbucks. Le checkpoint vital de la fin de journée. Il prend son café, avant de s’effondrer sur une chaise. Toujours ces courbatures. Foutues douleurs. Foutues souffrances. Il considère le vélo comme une méthode de torture moderne. Si tous les mauvais mutants devaient faire du sport, ils auraient soudainement moins envie de faire le mal autour d’eux. Ils n’auraient même pas assez d’énergie ! Et alors, il n’y aurait plus d’attentats et plus de loi ridicule. Tout simplement. Demandez, Jared a la solution à tout. Il dégaine son téléphone. La communauté a répondu. Que des messages tout aussi dépités que lui. Bon sang ! Ils foutent quoi, les super-héros ? Ils ne peuvent pas se planquer. Le monde a besoin d’eux. Il devrait essayer de retrouver Deadpool ou Thor pour leur poser la question. Il devrait. Mais avant, il boit son café. Il a le sens des priorités.

Yo. Tu fais quoi, ce soir ?” Jared lève les yeux de son téléphone. Le serveur. Il l’aime bien, ce gars. Ou plutôt ce gamin. Il a quel âge ? Trois ans ? Le Starbucks devrait avoir honte d’employer des enfants si jeunes. Mais l’enfant en question semble avoir passé une mauvaise nuit, pleine de caprices et de pleurs. Il a l’air aussi crevé que Jared. Ce dernier hausse les épaules. “Je comptais crever au fond de mon lit, pourquoi ?” Un doux programme. Il comptait rentrer chez lui, avant de s’effondrer de tout son long sur son lit. L’objectif étant d’y rester jusqu’à ce que le livreur de pizza sonne. Et seulement, il quitterait son lit. Juste le temps d’ouvrir et de payer. Juste le temps de retourner dans sa chambre. Oui, un doux programme dont il a rêvé toute la journée. Il lance un regard en coin en direction d’Harry. Peut-être qu’il a une meilleure idée. “Me dis pas que tu veux faire la fête, t’as même pas 16 ans !” Il prend un air totalement choqué (il devrait clairement faire une carrière de comédien). Il est hors de question qu’il sorte avec un gamin, qu’il soit complice, qu’il l’aide à avoir des consommations. A cinq ans, on ne boit pas ! Où sont ses parents pour l’empêcher de sortir après une certaine heure, bon sang ! Il prend son gobelet de café et désigne le gamin avec. “J'veux pas de problème avec ta mère.” Sur ces mots, il avale une gorgée de son café. Mais il ne serait pas contre une bonne fête. Une bonne soirée où il boirait quelques verres. Une bonne soirée où il pourrait se détendre. Une bonne soirée où il aurait l’occasion de décompresser. Il a un travail stressant, quoiqu’on dise, quoiqu’on pense. Il risque sa vie, à rouler entre les voitures. Il n’a qu’un pauvre petit casque hideux pour le protéger, après tout. Harry n’aurait même pas besoin de le supplier. Même pas besoin ! Alors que tout le monde sait que pour avoir Jared Hemingway à sa soirée, il faut au moins prévenir trois mois à l’avance et le supplier pendant des heures. Après cela, vous lui devez une faveur jusqu’à la fin de votre vie. Pour Harry, pour ce bon vieux (ou jeune) Harry, il serait prêt à faire un effort. Il serait prêt à le faire juste pour le plaisir. Quelle générosité !

© GASMASK
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feat. Jared Hemingway & Harry Fisher


« Ha. Ha. » Je dodeline de la tête avec un faux sourire vissé sur les lèvres. « Dis le nabot prépubère de 14 ans. » Je me penche un peu vers lui et je le renifle. "Tu fleures encore bon le lait de ta darone !"

Ce qui est plutôt amusant, c’est que ma soeur trouve que je fais plus que mon âge. Elle dit que c’est sûrement les effets de l’alcool et de la fumette, qu’elle m’a déjà vu des rides sur le front et que ce n’est pas du souci ! Elle est sûrement jalouse parce que contrairement à elle, ce n’est pas de la fatigue d’une vie de famille plus ennuyeuse que chiante. Tu imagines ? Un seul mec, un seul job, pour toute la vie ! Plutôt me percer un trou dans la tête pour m’achever ! Il y a un poème que j’adore de Patrick Frost, des fois il me fait penser à Dickinson… En plus optimiste. En même temps, c’est pas difficile. T’as déjà lu des vers d’Emily Dickinson ? C’est à se foutre par la fenêtre. Passons. Le pire, c’est que même si je ne connais pas l’âge de Jared, je n’imaginerais jamais qu’il en a 26. A mes yeux ? Je suis plus vieux que lui. Sûrement sa gueule d’ange contre mes yeux globuleux, t’en penses quoi ?

« Très drôle, gros malin. T’as songé à faire l’école du cirque ? Laisse donc ma mère dans son ranch avec ses chèvres et ta jalousie avec. »

Plus que de faire la fête, j’ai pas envie de m’enliser dans une vie triste de mec à pantoufles. J’ai envie de m’amuser et en même temps, de me vautrer devant un bon film. Mais je vis à New York, une ville qui ne dort jamais. Rien qu’à l’idée de songer qu’éventuellement, je pourrais rester peinard chez moi, je ressens le danger de vieillir. Pas que le poids des années me perturbe, loin de là, paraît que les hommes gagnent avec l’âge et je supporte pas qu’on me traite comme un gamin. Parce que c’est Jared, je ne relève pas et je le prends à la blague. Et aussi pour tout ce que je viens de dire plus tôt. Hors de question que je croule sous la faiblesse de la flemmardise chez moi. J’ai 21 ans et toute la vie devant moi.

« Tu crèveras de froid avec moi dans le rues et tu choperas une angine à beugler comme une sirène ‘Joyeux anniversaire Harry’ ! Ca te décollerait un peu les mirettes de cette boîte de conserve qui te sert à pas communiquer avec le monde. »

Ceux qui croient qu’un téléphone les connecte au reste du monde, c’est de la connerie. Je suis peut-être qu’un petit con de 21 piges, mais je vénère ce qui est vrai, réel, palpable… Je n’aime pas ce que je ne peux pas toucher, ni voir, ni ressentir sur ma peau. Un téléphone, c’est froid, ça n’a pas d’odeur et ça produit des sons stridents qui me collent mal au ciboulot. Je donne un léger coup de torchon sur l’épaule de Jared et le désigne à nouveau du menton.

« Je fais 21. Paraît que ça se fête dignement. Je paye la première tournée. T’en es pour la seconde ? Tu me raconteras ce que t’as de si intéressant dans ton aquarium de 0 et de 1… »

C’est d’autant plus ironique que j’adore les chiffres. Je préfère les mots, les jeux de langages, mais les chiffres me fascinent !


Dernière édition par Harry Fisher le Lun 23 Mai - 16:56, édité 1 fois
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Harry a le visage complexe. Le visage du gars qui est super jeune, mais qui a des traits de vieux. Le visage du gars dont n’arrive pas à déterminer l’âge. Dans la tête de Jared, Harry est jeune. Forcément. Il a encore des traits juvéniles. Il a encore la taille d’un gamin de cinq ans. Il a encore les expressions d’un adolescent. Un gamin qu’il aime bien. Même si Jared est censé être le plus mature des deux. Ils ont cinq ans de différence. Cinq années qui auraient dû permettre à Jared de découvrir le monde, de faire des expériences, d’acquérir une maturité nouvelle et impressionnante. Sauf qu’il en est loin. Très loin. Il est passé de sa petite ville du Nouveau-Mexique à New-York. Voilà son seul grand voyage. Voilà sa seule vraie expérience. Il atterri à New-York sans rien, sauf un sac-à-dos et l’adresse d’un potentiel ami d’un ami d’un collègue de la tante d’un… bref. Il n’avait rien, si ce n’est l’envie de vivre son rêve américain à lui. Aujourd’hui, il est coursier. Même si il en apprend beaucoup sur les relations entre un employeur et son employé, ce n’est pas le genre de choses qui peut le faire grandir. Si ça se trouve, Harry est deux fois plus adulte. Deux fois plus intelligent, aussi. Pour ce dernier point, ce n’est vraiment pas compliqué. “Dis le nabot prépubère de 14 ans.” Quatorze ans, sérieusement ? Il n’aurait pas pu trouver un âge plus réaliste, comme dix-huit ans ? Jared secoue la tête. Il l’a mérité, dans un sens. Il aime bien la répartie de ce gamin. Pour un peu, il tomberait amoureux d’Harry, tiens. Si il avait un peu plus de poitrine et un peu moins de matière entre les jambes. Peut-être… “Tu fleures encore bon le lait de ta darone !” Et c’est le gamin de trois ans qui lui dit ça ? Jared lâche un “tsss”, en hochant la tête. Cette conversation est tellement surréaliste, mais elle a l’avantage de le réveiller. De lui faire oublier ses courbatures. D’effacer la journée à pédaler. Une conversation digne de deux adolescents. Il n’y a pas de doute, ils ont tous les deux douze ans. Ils profitent que leur mère respective ait le dos tourné pour faire des conneries. Aucun adulte n’est dans le coin pour les surveiller et s’assurer qu’ils ne se sautent pas à la gorge. “Très drôle, gros malin. T’as songé à faire l’école du cirque ? Laisse donc ma mère dans son ranch avec ses chèvres et ta jalousie avec.” Jared éclate de rire. Sa mère dans un ranch, à traire des chèvres. Des bottes pleines de boue. Un tablier fleuri. L’image est assez drôle. Il ne connaît pas la femme courageuse qui a mis Harry au monde, alors il l’imagine avec les mêmes yeux que son fils, le même visage fatigué, marqué par les expériences de la vie. Il lui invente un accent incompréhensible et inimitable. Une femme aussi insupportable que son rejeton.

Il avale une nouvelle gorgée de son café. Trop fier de l’image de maman Harry. Trop content de son imagination. Ce n’est pas une carrière de comédien qu’il devrait tenter, mais une carrière d’écrivain ou de dessinateur. Si seulement ses dessins ressemblaient à autre chose qu’à des gribouillages. Si seulement il était un peu talentueux. Ou alors ! Il lui faudrait un télépathe capable de lire dans ses pensées et de reproduire les dessins que Jared n’est pas capable de dessiner. Un peu compliqué, non ? “Tu crèveras de froid avec moi dans le rues et tu choperas une angine à beugler comme une sirène ‘Joyeux anniversaire Harry’ ! Ca te décollerait un peu les mirettes de cette boîte de conserve qui te sert à pas communiquer avec le monde.” Quel programme réjouissant. Encore plus que celui qu’il a prévu. Il est toujours partant pour une soirée. Toujours présent pour enchaîner les bars et les verres. Il a ses habitudes dans chacun des établissements servant un alcool plutôt correct. En plus, si c’est l’anniversaire de ce minot d’Harry, comment refuser ? Son anniversaire… Jared le regarde intensément. Il a quel âge, alors ? Six ans ? Treize ? Impossible à dire ! Comment fait-il pour paraître à la fois vieux et jeune, bordel ! On n’a pas idée d’être visuellement si complexe à cerner. “Heeey !” Il n’a pas vu venir le coup de torchon. Qui le frappe à peine. Qui déclenche à peine une légère piqûre sur son épiderme. Ils maltraitent tous leurs clients au Starbucks ou il est privilégié ? En réalité, il s’en amuse. Il a le sourire accroché aux lèvres. “Je fais 21. Paraît que ça se fête dignement. Je paye la première tournée. T’en es pour la seconde ? Tu me raconteras ce que t’as de si intéressant dans ton aquarium de 0 et de 1…” Harry a lu dans ses pensées. Au secours. Il a lu dans ses pensées ! Sinon, pourquoi est-ce qu’il aurait précisé, hein ? Jared s’en fiche. Ça ne rend l’adolescent que plus intéressant. Enfin, ce n’est pas vraiment un adolescent. Le jeune adulte. Le tout juste adulte. Cette histoire lui donne l’impression d’avoir soixante ans. C’est atroce. Vingt-et-un ans. C’est l’âge auquel il était encore chez sa mère, à enchaîner les petits boulots. Avant de rencontrer Thor. Avant d’être sauvé par le dieu. Avant de débarquer à New-York. Vingt-et-un ans. Les années sont passées tellement vite ! “QUOI ? Seulement vingt-et-un ans ? Mais t’es… un bébé.” Harry n’a pas d’amis pour fêter l’événement ? Il doit bien avoir une horde de potes qui ont l’habitude de s’affaler sur les tables des bars pour boire autant qu’ils le peuvent. Ils sont passés où ? Si il n’a pas d’amis, une petite-amie… ou un petit-ami ? Serait-ce un rencard ? Jared n’est pas prêt pour ça et surtout, il n’a pas les bonnes attirances. Il a une rousse explosive dans la tête. Stop. Il est vraiment trop fatigué. Il perd la tête. De un, Harry veut juste faire la fête. De deux, la rousse explosive n’acceptera jamais de sortir avec lui. Jared fait mine de réfléchir, avant de reposer son regard. “En principe, je fais pas dans le jeunot, mais pour toi, je vais faire une exception.

Et parce que de toute manière, c’est soit ça, soit il finit la soirée en tête à tête avec une pizza. Il préfère encore surveiller le jeune Harry pour ne pas qu’il ait des problèmes avec sa mère. Ce serait dommage qu’on le retrouve à moitié nu, dans une cellule du commissariat, n’est-ce pas ? Il faut bien un adulte pour le surveiller, pour l’empêcher de draguer tout ce qui bouge (voiture comprise), pour le retenir de courir en plein milieu de la route. “Tu sais, mon aquarium binaire permet de communiquer, mais j’suppose que dans ta campagne profonde, tu ne connais que le télégramme et les pigeons voyageurs.” Il hausse les épaules. Possible que le gamin ne connaisse pas les téléphones, si sa mère vit encore dans un ranch, au milieu des chèvres. Les gens ne comprennent pas toujours son attachement - que dis-je, son addiction - à son téléphone. Tant qu’il n’aura pas les numéros personnels des Avengers, des 4 Fantastiques ou des X-Men, il devra forcément passer par les réseaux sociaux et donc, par son téléphone. Sinon, comment savoir s’ils vont bien ? Comment savoir où ils sont ? Il n’a pas d’autre choix pour le moment. Il y travaille. Il a déjà rencontré Thor (rencontre foncièrement enrichissante et surréaliste). Il a déjà discuté avec Deadpool (conversation incroyablement philosophique, intelligente et constructive). Bientôt, il sera le meilleur ami de Hawkeye et le pote de beuverie de Falcon. Il croise les doigts ! “C’est quoi le programme ? Tu me sers des cafés gratuits jusqu’à la fin de ton service et après, on se fait tous les bars jusqu’à ce que t’oublies comment tu t’appelles ?” Il n’y a pas mieux pour finir une journée si mal commencée. Il sera probablement dans le même état que ce matin. Sauf que là, il ne sera pas fichu à cause d’une journée de travail intensif, mais parce qu’il aura bu. Beaucoup bu.

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"Tu sais ce qu'il te dit, le bébé ?" Je tends la main pour lui pincer un téton dans un 'Ouinnnnn' sonore et je m'arrête, le visage aussi neutre qu'un nazi. "Gros malin, va."

"Et moi, je fais pas dans les jeunes premiers, mais je suis pas fermé à la suggestion."

Reconnais qu'il a la gueule de l'emploi. Au lycée, si on avait partagé une classe, j'aurais pas pu m'empêcher de me foutre de lui à longueur de journée. Je suis sûr qu'il a tout pour plaire, ce mec. Je te parie que sa copine - parce que je suis persuadé qu'il en a une malgré son addiction à l'anti-sociabilité réelle - est une petite blonde en semi tailleur et chemisier gredin avec une queue de cheval et une paire de binocles qui dit 'Coucou, je suis parfaite et je t'emmerde !' Je n'ai rien contre les blondes en général, mais je les préfère rousse. Et par rousse, j'entends, très rousse. Quant à la suggestion, je mens qu'à moitié. Entre nous, ça ne m'intéresse de regarder à gauche, la droite me va très bien, mais tu sais ce qu'on dit ? On ne juge pas sans avoir goûté ! Et puis je suis curieux. Je me demande ce que ça fait. Bbrrr, mine de rien, ça me fait frissonner. Je rebondis sur la pseudo insulte de mon 'ami' improvisé.

"Tu te plantes, on a des coursiers aussi !" Je dis ça en haussant les sourcils et levant un index. "Des pur-sangs anglo-arabes à quatre pattes qui saute par-dessus des machins de bois blancs, tu vois ? Des coursiers, quoi."

Je ne viens pas plus de la campagne que un et un font trois. Encore une belle connerie qu'on a inventée pour la propagande du couple. Personne pour faire réviser leurs cours de math à tous ces nabots ? Je te jure… En revanche, est-ce que je sens le lait Lactel ? Non. Alors j'ai rien d'un bébé, merci bien.

Quant au programme, je le vis comme le reste de mon existence : au talent, façon improvisation. Dans une autre vie, j'ai dû être Molière… Je ne sais pas vraiment pourquoi Jared m'attire. Je veux dire, dans le sens idée de soirée. J'aurais pu en profiter pour appeler d'autres gens - ou pour rester chez moi tranquille. Mais je connais pas si bien Jared et je suis curieux. Dans mon souci de découvrir un peu plus le monde et de voyager de tête en tête, Jared est un peu comme un point d'interrogation. Un inconnu. Ce qui ne me fait pas peur. Et puis, j'aime bien passer du temps avec lui, on se prend pas la tête. Enfin, pas tout le temps, mais même avec ça, j'aime l'ambiance quand il est là. Je me détends, même quand on se martèle la tête avec des idées reçues contraires à nos propres valeurs. Jared, c'est un peu la pause au milieu du chaos.

"Non, l'idée, c'est que tu payes tes cafés jusqu'à la fin de mon service et ensuite, on se remonte tout Broadway Boulevard sans louper un seul bar. Le premier avec un pied dans le caniveau paye le bar suivant. Et j'oublie jamais mon nom, tête de noeud. MAIS !" Je lève vaillamment mon index. "Challenge accepté. Le premier qui oublie son nom… Reconduis l'autre jusqu'à ses toilettes personnelles. Alors, petit, tu vas te dégonfler ?"

Qui sait, Jared a peut-être un truc à fêter aussi...

"Bien entendu… Aucune fille autorisée. Ces trucs-là... Ca reste à la maison. C'est pas des soirées pour les âmes sensibles."



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La perspective d’une soirée avec Harry n’est pas pour lui déplaire. Ce gamin - vingt-et-un ans, on en reparle ? - est plutôt sympa, quand il est décidé à faire votre café, en silence. Il l’est aussi quand il tente de faire la conversation. En fait, ces deux-là n’ont jamais de conversation intelligente. Pas de conversation constructive. Pas de conversation philosophique. Juste des chamailleries de gamins. Juste des discussions puériles. Un peu de légèreté et d’amusement dans ce monde de brutes. Si en face d’adultes - les vrais adultes, ceux qui discutent de l’écologie, de la politique et du cours de la bourse - Jared n’est pas capable d’être crédible, il peut totalement l’être face à Harry. Après tout, ils ont les mêmes centres d’intérêts, ils sont jeunes (surtout Harry) et ils ne se prennent pas la tête. Ne pas se prendre la tête. C’est l’idée principale. D’autres gens le font très bien pour eux. D’autres personnes se cassent le cul pour trouver des solutions. Alors qu’il faudrait simplement vivre. Simplement profiter du moment présent. Même si le moment présent consiste en une discussion digne de deux gamins de dix ans. Mais ça, on ne le précisera pas. “Tu sais ce qu'il te dit, le bébé ?” Aïeuh ! Il sursaute. Ça fait mal, bordel. Alors comme ça, ils passent à la torture corporelle ? Okay. Okay. Jared prend note. Il ne manquera pas d’user de sa maladresse pour entraîner Harry dans sa chute. Il se fera même un plaisir de s’accrocher à lui lorsqu’il tombera, à moitié ivre, dans la rue. C’est l’avantage de la maladresse. Elle excuse tout. Il lui donne une tape sur la main. Tentative de libération de son téton. Le pauvre, emprisonné, pincé, maltraité. Peut-être même qu’il aura un bleu, demain. On peut avoir des hématomes au téton ? “On ne touche pas mon corps de rêve !” Son corps est une propriété privée. Pour mériter de le toucher, il faut avoir au moins bu deux verres et être une femme. Harry ne remplit pas une seule condition. Et même avec dix verres, Jared ne serait pas assez ivre. Il ne se laisserait pas faire. No way. Il a des valeurs. Il a des principes. Comme celui de ne pas se laisser pincer par un homme. Il fera moins le malin, Harry, quand Jared aura pris ses cours de combat avec Jazz. Il pourra lui retourner le petit doigt en trois secondes. Le serveur ne le verra pas venir. HAHAHAHA. “Gros malin, va.” Gros malin lui-même. Harry est le plus jeune des deux. Il fait encore des études. Il devrait être le plus intelligent, le plus cultivé, le plus mature des deux. Mais non. Et dire qu’Harry est la prochaine génération. Il est l’héritier des Hommes sur Terre. Ils ne sont pas dans la merde.

Tu te plantes, on a des coursiers aussi ! Des pur-sangs anglo-arabes à quatre pattes qui saute par-dessus des machins de bois blancs, tu vois ? Des coursiers, quoi.” Donc, des chèvres, des télégrammes, des pigeons voyageurs et des coursiers. C’est confirmé. Harry vient d’une autre époque. Il est monté dans une machine à remonter le temps. Il a atterri ici dans ses guenilles, avant d’être adopté par une famille de loups qui lui a appris à survivre dans la nature. Depuis, il a pris son émancipation et il s’est lancé dans la vie urbaine. Tout s’explique. Ses manières, son visage fatigué (il a probablement chassé toute la nuit), son langage… Bien sûr ! “Non, l'idée, c'est que tu payes tes cafés jusqu'à la fin de mon service et ensuite, on se remonte tout Broadway Boulevard sans louper un seul bar. Le premier avec un pied dans le caniveau paye le bar suivant. Et j'oublie jamais mon nom, tête de noeud. MAIS !” Où est l’avantage de traîner avec un serveur du starbucks, si il ne peut même pas profiter de boissons gratuites ? Jared pousse un soupir. Tant pis. Il va le faire. Il va devenir le client le plus fidèle et le plus rentable de tout l’établissement. Ils seront obligés de lui dérouler le tapis rouge lors de ses prochaines visites. Ils lui réserveront une table toute l’année. Ils lui offriront un cookie pour chaque boisson commandé. Il peut bien le faire. Pour ce pauvre Harry sans-famille-sans-amis. Pour ce pauvre Harry venu d’une autre époque. Il ne peut pas laisser ce gamin seul, le jour de son anniversaire. In-con-ce-va-ble. “Challenge accepté. Le premier qui oublie son nom… Reconduis l'autre jusqu'à ses toilettes personnelles. Alors, petit, tu vas te dégonfler ?” Le deal semble correcte. Il sait déjà qu’il ne perdra pas. Il a l’habitude des soirées arrosées. Des soirées au lendemain difficile. Il a un certain talent dans la gestion de la cuite, aussi. Avec le temps, son corps s’est fait une raison. Il s’adapte et supporte de mieux en mieux l’alcool. Peut-être qu’un jour, il pourra boire uniquement de le vodka, plutôt de l’eau. Peut-être ! “Tu me prends pour qui ? J’ai plus d’expérience que toi, mon p’tit. Tu sais à qui tu t’adresses ? A Jared, le roi de la night.” Jared, le roi de la night. Il exagère peut-être un peu. Juste un tout petit peu. Mais Harry lui doit du respect. Il doit respecter ses ainés et non pas les torturer à coup de pincements de poitrine. En fait, Harry devrait carrément lui proposer de lui éponger le front, de l’aider à boire son café, de lui payer toutes les tournées. Ce gamin est vraiment mal élevé. Il manque d’éducation. Il manque de rigueur. Mais sûrement qu’au Moyen- ge, tous les enfants se comportaient ainsi. Sauf que nous sommes au vingt-et-unième siècle. Il serait temps que la morveux se mette à la page.

Bien entendu… Aucune fille autorisée. Ces trucs-là... Ça reste à la maison. C'est pas des soirées pour les âmes sensibles.” Il lève les yeux au ciel. Il n’est pas du même avis. Il en connaît qui sont bien pires que Harry et Jared réunis. Mais okay, si le gamin veut un tête à tête avec le roi de la night, Jared ne veut pas l’en priver. Il sera rien qu’à lui pendant quelques heures. Un privilège qu’il n’offre pas à tout le monde. “Meeeerde ! J’vais devoir décommander ta baby-sitter, alors.” Il n’y a aucune femme, aucun homme, qui supporterait d’être entre les deux. De supporter leurs gamineries. D’accepter leur comportement puéril. Jared note dans un coin de son cerveau encore lucide de ne jamais présenter Harry à Jazz. Elle risquerait de prendre peur. Elle les penserait complètement cons. Elle prendrait la fuite. Il n’a pas vraiment envie de la faire fuir. Il ne veut pas vraiment la voir disparaître de sa vie. Elle vient seulement de débarquer ! Pourtant, ça ne ferait pas de mal à la jeune femme de s’amuser un peu. De rencontrer de nouvelles personnes. De lâcher prise. De s’amuser. De s’exploser la tronche avec un peu d’alcool. Quoique, ce serait sûrement dangereux avec son pouvoir. On ne voudrait pas que tout le monde se fasse pulvériser. Non, on ne voudrait vraiment pas. En fait, tout bien réfléchi, Jared ne présenterait aucune de ses potentielles petites-amies à Harry. Ce morveux serait du genre à : a) séduire la femme en question b) lui foutre la honte c) lui briser toutes ses chances avec ladite femme. Mais Harry est un gamin. Un petit jeune. Un jeunot. Jared est prêt à lui pardonner. Et il paraît que les hommes accompagnés par des enfants attendrissent et ont plus de chance. Harry accepterait de s’assoir dans une pousette et de se balader dans Central Park ? “Allez gamin, rends-toi utile et abreuve-moi de café. J’ai une longue nuit qui m’attend.” Il secoue son gobelet pour lui montrer qu’il est vide. Il a une longue qui l’attend, mais aussi une journée de travail. Il n’a pas l’avantage de l’étudiant. Il ne peut pas sécher les cours pour dormir tranquillement. Il ne peut pas non plus dormir sur son bureau. Il n’a pas de bureau... Son travail, c’est un vélo. Vous avez déjà essayé de dormir sur vélo ? Ce n’est pas faisable. Les prochaines vingt-quatre heures vont être compliquées. Tant pis. C’est pour la bonne cause. C’est pour fêter les vingt-et-un ans du petiot. Il faut une soirée mémorable. Il faut une soirée incroyable. Il faut que Harry s’en souvienne. Pour avoir vomi partout. Pour avoir dragué un banc. Pour avoir évité une bagarre. Pour avoir gagné le pire mal de crâne de toute sa vie.

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Son corps de rêve, ouais… Ca, je dois reconnaître qu’il est mieux branlé que moi. Avant que je le reconnaisse, il neigera au Sahara, c’est certain. Je suis même pas un mec tactile, mais j’imagine que « cogner » se range dans la catégorie tactile. Embêter, taquiner également. Enfin, en tout cas avec la gente masculine… Ou la féminine à laquelle je n’ai pas offert de passe-droit pour mon propre corps de rêve. Si si.

Jared, le roi de la night. Ca, c’est du pseudo. Si tu veux mon avis, il est pas plus couronné que moi. Et encore cette histoire d’âge et d’expérience… Je n’aime pas beaucoup quand les gens se montrent supérieurs à moi pour des raisons aussi futiles que celle-ci. Je pourrais lui raconter l’histoire du pays qu’il ne se souviendrait même pas de quel pays je parle tellement il ne retiendrait rien. Je pourrais lui résoudre les énigmes de ses jeux vidéos en un clin d’oeil et à ses yeux, je serais toujours un loser d’ado. Pourtant, je ne dis rien, ça ne sert strictement à rien, et j’ai beau être arrogant, s’il y a une chose que je mets un point d’honneur à ne pas imiter, c’est la valorisation des compétences d’autrui vis à vis des miennes. Sauf quand j’ai envie d’être méchant. Ici, ce n’est pas le cas. J’aime bien Jared, c’est un mec simple et sans histoire… Comme moi, en fait ! Même quand il insiste sur sa blague avec l’âge, à nouveau. Celle-ci, j’y ris doucement en secouant la tête.

« Non non, ne la décommande pas, j’ai sûrement un costume tout prêt, pour elle. Le genre en cuir avec un truc à la ceinture là… » Je dessine un X sur le noeud de mon tablier qui cache la boucle de ma ceinture, puis je mime de grosses boucles de cheveux. « Ca fait ressortir sa chevelure de feu, tu vois ce que je veux dire ? » Je soupire et je secoue la tête comme un désespéré. « Plus elles sont rousses, plus je perds mes moyens. »

Je ne suis pas sûr que ce soit une information intelligente à transmettre à Jared, mais ça m’amuse de lui donner des billes pour me retourner le cerveau. Après tout, c’est le jeu, non ? Et quand il me renvoie à mon travail, je lui souris un peu plus en donnant une légère tape à son épaule alors que je tourne les talons.

« Une longue nuit, ouais, où je vais mettre un point d’honneur à te trouver une femelle ! Parce que j’en ai marre de te voir traîner ici, espèce de no-life ! »

Je continue d’en rire alors que je retourne à mon comptoir pour vider mes paniers de vaisselles sales. Quand je reviens une heure plus tard, je suis à nouveau un civil, mais un civil qui n’a franchement pas envie d’un café. A moins qu’il y ait du Whisky dedans… Un truc de ma soeur, ça. Elle adorait me faire sortir au nez de ma mère, soit disant qu’il valait mieux que je fasse mes conneries sous contrôle parental plutôt que dans leur dos. Finalement, à bien y réfléchir, je suis un mec si mal élevé ! Je retrouve Jared en enfilant ma veste et je me passe hasardement la main dans mes cheveux bouclés.

« T’as rien à faire, c’est bon ? Pas de message à une potentielle femelle pour prévenir que tu rentreras tard ce soir - et en état d’ébriété avancée ? Ta mère, ta soeur… » Je lève l’index. « Si t’en as une comme la mienne, préviens-la avant d’envoyer des messages chelous. Ca pourrait ressortir lors d’un repas de famille et je doute que tu veuilles être la risée de ta famille ! T’avais pas une moto ? J'allais oublier... »

Je fouille rapidement dans ma poche, tirant la langue d'application, et je lui tends un petit grain rond et marron.

"Ton café gratuit."

J'ai toujours été très fier de mes conneries... Celle-ci ne fait pas exception.



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Non non, ne la décommande pas, j’ai sûrement un costume tout prêt, pour elle. Le genre en cuir avec un truc à la ceinture là…” Pouah ! Ce gamin est répugnant. Jared grimace. Il n’a aucune envie de connaître ses histoires sexuelles, ni comment il prend son pied. Il doit effacer cette image de son cerveau. Vite. Vite. Vite. Il n’y arrive pas, bordel. Elle va le hanter jusqu’à la fin de sa vie. Elle va ressurgir à chaque fois qu’il ira se coucher. Elle va apparaître quand il fermera les yeux. “Ca fait ressortir sa chevelure de feu, tu vois ce que je veux dire ?” Mamaaaaan. Cet homme est un fétichiste. Cet homme est un jeune pervers. Jared va défaillir. Il va s’évanouir. Il va… Non, en fait, ça va plutôt bien. Ce n’est pas si terrible. Harry est juste un gamin qui prend son pied de manière différente. Un gamin qui a besoin d’être stimulé, c’est tout. Il n’y a pas de honte. Il n’y a pas de gêne. Il n’a pas de chance avec la vie, tout simplement. Le pauvre gamin. Si Jared avait su, il ne lui aurait pas parlé de baby-sitter. Il aurait choisi un autre sujet. Il se serait tu. Mais maintenant, trop tard, il sait. Il sait que Harry a des problèmes d’érection. Il devrait monter une association de soutien en son honneur. Il devrait récolter des dons qui seront utilisés pour lui acheter des petites pilules. “Plus elles sont rousses, plus je perds mes moyens.” Ce gamin est fou. Jared aime ça. Il arbore son sourire amusé. Parce que c’est bien le cas. Ce gamin est fou, mais ils le sont tous les deux. Ils ne se prennent pas la tête. Ils ne se posent pas de question. Au moins, ils n’ont pas le temps de s’ennuyer tous les deux. Et puis, si il aime les rousses, ils ont un point commun. Merde. Ils vont devoir se concurrencer. Pas de chance. Ils vont bientôt devenir des ennemis jurés. Ils vont bientôt se battre pour une même femme. Pour mettre toutes ses chances de son côté, il s’assurera que Harry a trop bu pour tenir debout et pour ne pas réussir à le frapper. Il s’assurera que Harry a une haleine d’alcoolique pour faire fuir toutes les femmes présentes à dix kilomètres. Un ivrogne, il n’y a pas pire pour effrayer. Il n’y a pas mieux pour être envoyé balader. Avec sa gueule, Harry doit sûrement en attirer plus d’une. Jared n’aura pas le choix de le saouler. Il s’assurera tout de même que le gamin rentre chez lui en un seul morceau. Faudrait pas qu’il se fasse écraser par un bus ou qu’il s’étrangle avec une rondelle de citron.

Il se prend une nouvelle tape. Ça devient une habitude. Il ne pourra bientôt plus bouger son bras. Il ne pourra bientôt plus hausser l’épaule. Il va sûrement avoir un hématome à vie. Merci Harry. “Une longue nuit, ouais, où je vais mettre un point d’honneur à te trouver une femelle ! Parce que j’en ai marre de te voir traîner ici, espèce de no-life !” Il éclate de rire. Un jour, les femelles en question lui montreraont qu’elles sont bien plus que des morceaux de viande. Un jour, Harry comprendra qu’il s’est trompé. Et Jared compte bien être là lorsque ce jour arrivera. En attendant, il s’en amuse. Il en rit. Peut-être que le gamin a plus de chance de croiser des femmes prêtes pour quelques aventures nocturnes grâce à son métier, mais Jared n’est pas en reste. Ses soirées sont souvent occupées, à l’extérieur, à boire des verres avec des amis. Il a l’occasion de faire des rencontres. Il faut croire que sa maladresse est attendrissante d’un oeil féminin. A moins que ça ne soit son sourire de charmeur et ses manières de gentleman. Des manières bien éloignées de celles qu’il a avec Harry. “Comme si j’avais besoin de toi !” Harry a déjà atteint le comptoir. Jared se replonge dans les informations. Les tweets n’ont pas cessé de s’arrêter pendant leur conversation, mais toujours aucune nouvelle intéressante. Il n’y a que des gens qui se plaignent que tout va bien. Pour une fois ! Il n’y a pas de menace. Il n’y a pas de risques de mort. D’un autre côté, il est déçu de voir que ses héros se cachent. Ils restent discrets. Ils ne se montrent pas. Ce qui n’est pas pour le rassurer. Et si les héros ont peur de cette loi sur le recensement ? Pour l’instant, elle ne touche que les mutants, mais elle pourrait s’étendre à tous les autres. Jared a un avis tranché sur la question. Cette histoire de recensement est une connerie monumentale. Si les héros se sont lancés dans la protection de la planète, c’est uniquement parce qu’ils pouvaient bénéficier de l’anonymat. Avec une liste pareille, ils ne sont pas à l’abri d’être découverts. Comme cela a été le cas avec tous les secrets du S.H.I.E.L.D. Ils ne sont pas protégés contre un piratage, contre une dénonciation. Les mutants et tous les autres ne devraient pas être recensés comme des animaux. Ils devraient vivre normalement, parfaitement intégrés aux autres. Mais après tout, on s’en fout de son avis, n’est-ce pas ? Il n’est pas concerné. Il n’a probablement pas un avis très objectif. Il n’a sûrement pas une opinion juste.

Une heure passe. Il s’est lancé dans un grand débat sur la couleur du costume de Deadpool, sur Twitter. Les centaines de personnes qui le suivent ont donné leur opinion. Le rouge est donc une couleur correcte et acceptée de tous. Même si la plupart juge l’hygiène de la tenue pas très correcte. “T’as rien à faire, c’est bon ? Pas de message à une potentielle femelle pour prévenir que tu rentreras tard ce soir - et en état d’ébriété avancée ? Ta mère, ta soeur…” Harry le prend pour un gamin qui vit encore chez ses parents ou quoi ? Jared verrouille son téléphone et secoue la tête. Lui, il est grand. Il a un vrai travail. Il a de vraies responsabilités (livrer un colis à l’heure en est une, si si). Il a des dépenses. En fait, il est même assez loin de sa mère pour qu’elle pense qu’il passe ses soirées au fond de son canapé. “Si t’en as une comme la mienne, préviens-la avant d’envoyer des messages chelous. Ca pourrait ressortir lors d’un repas de famille et je doute que tu veuilles être la risée de ta famille ! T’avais pas une moto ? J'allais oublier..” Il lève un regard amusé vers le morveux. L’idée qu’il y ait une version féminine d’Harry en liberté dans le monde est effrayante. Imaginez ce qu’elle serait capable de faire ? Pendant que le gamin fouille dans sa poche, Jared se lève. Il récupère sa veste sur le dossier de la chaise. Il prend la parole, avant que Harry sorte sa surprise. “En fait, au vingt-et-unième siècle, on appelle ça un vélo. Et c’est celui du boulot. Va falloir prendre tes petites jambes, mon grand.” Il enfile sa veste. Il veille bien à calculer l’ampleur de ses mouvements. Pour ne pas assommer Harry ou un client. Pour ne rien casser. Pour ne rien renverser. Il faut dire que son corps a sa propre volonté, sa propre vie. Son corps fait ce qu’il veut, quand il le veut. Jared n’a aucun mot à dire là-dessous. “Ton café gratuit.” Il ouvre la main pour accueillir le grain de café. Quel crétin. Harry est complètement idiot. Mais il lui fera payer. Il lui apprendra. Il va garder précieusement ce grain de café et il le lui donnera la prochaine fois qu’il viendra. Harry veut jouer au con ? Il a un sérieux concurrent devant lui. “Tu te fiches de ma gueule ? Un grain de café ?” Il faut l’avouer, il aurait bien ri à sa connerie. Il l’aurait bien félicité. Sauf qu’il l’aurait encouragé à continuer.

Il ne faut jamais encourager les gamins. JA-MAIS. Sinon, ils persévèrent et tentent de monter la barre. On ne sait jamais quelle sera la prochaine étape. Il dresse un doigt autoritaire en direction de Harry. “Rien que pour ça, tu devrais me payer une deuxième tournée !” Une deuxième et une troisième. En fait, Harry devrait lui payer toutes les tournées. Il vient de lui faire un affront. Il vient de faire une blague pourrie. Il pourrait être mis en prison pour ça. Il pourrait être jugé. Jared est plus clément. Il préfère que l’ado lui paye des verres. C’est quand même plus gentil comme punition. La veste sur le dos, il prend la direction de la sortie. Il range son téléphone dans sa poche. Il n’en aura pas besoin ce soir. En tout cas, pas dans un premier temps. Mais si en sortant des bars, il se pourrait qu’il croise un Daredevil en action ou un Spiderman filant ente les buildings. Il veut être prêt à prendre la photo. Même si en ayant de l’alcool dans le sang, il se peut que la photo soit totalement floue, ratée. “Tu te ramènes ou faut que je te porte sur mon dos ?” C’est vrai qu’il n’a pas prévu de poussette. Il aurait peut-être dû… Mais Harry a des jambes. De solides jambes capables de le mener à l’autre bout de la planète. Il va s’en servir comme tous les gamins de son âge. A vingt-un ans, Jared ne se plaignait pas. Il allait travailler à la mine. Il faisait plusieurs kilomètres à pieds pour chercher de l’eau potable et… attends, non, ça, c’était son grand-père. Remarque, il ne se plaignait pas, non plus. Enfin, pas trop. Après avoir marché, pris le métro (pas de limousine, que voulez-vous), les voilà à Broadway. “On commence par-là ? A moins que ce bar ne soit pas assez bien pour tes petites fesses.” Il se pourrait que l’endroit soit trop bouseux pour ce campagnard qui a été élevé par des chèvres. Et puis, c’est l’anniversaire du gosse, faut bien qu’il choisisse un endroit qui lui plaît. Faut que ce soit un jour mémorable. Ou pas.

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Je suis déçu que Jared n'ait pas de moto, j'ignore pourquoi, j'étais persuadé que c'était le cas. Il a la tête de l'emploi, tu ne trouves pas ? J'adorerais en avoir une. J'ai la tête de l'emploi ?En fait, j'aime bien son côté pince sans rire, ça me donne du challenge et du coeur à la tâche. S'il pense ne pas m'encourager, il se trompe ! Sa manière de jouer l'adulte m'encourage à contrebalancer pour lui rappeler que l'enfant en lui est toujours là. A chaque fois qu'on me dit "Petit, il faut grandir, maintenant", je ne peux pas m'empêcher de leur servir un doigt bien aimable. Je déteste qu'on me dise ce que je dois faire et comment je dois me comporter.

"Oh allez, quoi ! Un grain de… Non ?" Je hausse les sourcils avec une moue boudeuse. Une fausse moue boudeuse, s'il en est, car intérieurement, je plains ce pauvre garçon de ne pas avoir d'humour - ou du moins, de ne pas m'en montrer. "Tant pis…"

Quant à payer une tournée parce que j'ai fait de l'humour, il peut aller se rhabiller ! Je ris en sortant du café et je me promets de persévérer dans mon talent des blagues pourries. Je le traiterais bien de sale vieux, au passage, mais d'une part, je lui trouve une tronche de bébé, et d'autre part, c'est faible de ma part, je suis certain que je peux faire un meilleur esprit en termine d'insulte provocante. Je ne sais pas ce que t'en penses, mais je pense que je vaux mieux que ça. Je le dois à ma soeur, la déesse de la répartie cinglante. J'aime ma soeur. Elle me gonfle la plupart du temps, mais j'aime son humour. J'aimerais avoir son équilibre entre le drôle et le sérieux… Mais en fait, j'ai la flemme. Je préfère y aller à l'instinct, comme ça me vient. Si je dois dire ce que je pense, autant que ce soit avec intelligence et force d'esprit !

Pour rejoindre Broadway, on prend un métro et on fait le reste à pieds. Je ne suis pas du genre flemmard quand il faut avancer les pattes, qui sait si je n'ai pas une âme d'aventure au fond. Sur le chemin, j'en profite pour lui raconter deux trois trucs qui se sont passées dans ma journée, simplement histoire de faire la conversation… Comme la nouvelle, Iulia. Elle est russe, elle est pas hyper canon, mais quand elle sourit, je lui trouve un charme indéniable. Dommage que Jared soit arrivé après qu'elle ait fini sa journée. Une fois sur Broadway, j'oublie le travail et je lorgne sur l'immense avenue chère à mon coeur. Je ne peux pas m'empêcher de partager ça avec Jared. Sans répondre à sa question, à moitié perdu dans mes pensées, je me penche vers lui avec un sourire en coin.

"Il m'arrive de m'introduire en douce dans les théâtres…" Je ne pousserai pas ma confession à lui dire pourquoi. Au lieu de ça, je le regarde et j'acquiesce pour répondre à sa question. "Commencer petit pour mieux grandir !"

En l'occurence, je ne compte pas me la mettre gratuitement d'entrée. La soirée est encore jeune - comme nous - et je n'ai pas l'intention de me coucher tôt : je ne travaille pas demain. C'est le problème de travailler en décalé, quand vous êtes dispo pour faire la fête, vous e^tes le seul ! J'ai bien cours, mais… Ca compte pas. Je cuverai sur ma table, la grosse Piggy devant moi me cachera. J'offre un clin d'oeil à Jared et je pousse la porte d'entrée. J'inspire à fond les effluves d'alcool qui me parviennent jusqu'aux pupilles et j'expire pour savourer le lancement d'une grande soirée. Je désigne une table libre à Jared et enlève ma veste pour la jeter sur le dossier d'une chaise et m'installer sans grâce. Le temps de trouver une jolie petite serveuse à reluquer pour nous apporter le soft du soft : une bonne grosse bière, et je ne trouve qu'un serveur à la chemise de trois tailles trop petite, coiffé comme Captain America, le parfait jeune premier qui se dirige vers nous. Je soupire et regarde Jared.

"La prochaine fois, je choisis." Un fois servis, je prend mon verre dans ma main pour trinquer avec mon ami et je le désigne du menton. "Alors… Qu'est-ce qu'il y a de si intéressant dans ta boîte à gens invisibles ?"

Que je dis en parlant de son téléphone. J'en ai un, mais c'est marrant, la technologie, ce n'est pas vraiment mon domaine. Enfin, du moins, pas les gadgets, j'aime la science, cela dit.



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Oh allez, quoi ! Un grain de… Non ?” Il pose un regard sévère sur le gamin. Il secoue la tête. C’est triste. C’est un crève-coeur. Mais il faut parfois briser l’émerveillement des plus jeunes. Il faut parfois casser leurs rêves. Tout cela dans la but de les faire grandir. De leur montrer la réalité du monde. De les endurcir. De leur ouvrir les yeux sur la cruauté des gens. A vingt-et-un ans, il n’est pas trop tard pour avoir des espoirs et pour les voir s’envoler. Jared ne peut pas laisser Harry continuer sur cette voie. Il ne peut pas lui laisser croire que son humour est la clé du succès. Il ne peut pas le regarder penser qu’il peut faire fortune avec ses blagues pourries. Personne n’a encore osé lui dire non, n’a encore eu le courage de le ramener sur terre. Jared le fait. Il faut bien que quelqu’un se dévoue, non ? “Il m'arrive de m'introduire en douce dans les théâtres…” Il hausse un sourcil. Tiens donc. Harry serait un fétichiste, un psychopathe. Le gamin s’introduirait dans les théâtres pour regarder les actrices se changer entre deux actes, par le trou de la serrure. Vu l’instabilité du petit, il pourrait même aimer piquer des costumes et des perruques pour prendre l’apparence d’une femme et essayer de séduire tous les hommes qu’il croise dans les loges. Jared ne s’en étonnerait même pas. Il n’y a pas un instant où il songe à la possibilité qu’Harry apprécie simplement les pièces de théâtre. Trop simple. Trop normal. Il ne trouve pas le temps de l’interroger sur ses passes-temps. Le premier bar les attend. Il les appelle avec son enseigne lumineuse. “Commencer petit pour mieux grandir !” On dirait la phrase d’un vieux sage qui aurait passé ses soirées dans les bars. Pas d’un gamin de vingt-et-un ans. Mais cette phrase lui convient parfaitement. Il faut savoir prendre son temps. En particulier lorsqu’il s’agit d’alcool et que l’objectif est de passer une bonne soirée. Ils auront deux verres pour apprendre à se connaître. Avant de passer aux choses sérieux. Avant de monter le niveau d’un cran. Alors, ils poussent la porte et s’installent dans un coin. Jared retire sa veste. Il a le sentiment que la soirée va être parfaite. La soirée va être géniale. En tout cas, plus que si il avait traîné au fond de son lit, en essayant de se remettre des courbatures de la journée. Plus que si il s’était contenté d’une pizza et d’un épisode de Orange is the new black. A côté du programme initial, cette soirée est réjouissante et prometteuse.

Il est plutôt sympa, ce bar. Pas encore trop rempli. Pas encore trop animé. Parfait pour s’entendre parler, plutôt que de beugler. Même si, qu’on se le dise, une soirée idéale passe forcément par des conversations hurlées. Ils captent l’attention du serveur. L’unique. Il va bientôt être débordé, le pauvre. Jared a une once de pitié pour lui. Il l’imagine déjà dans quelques minutes, courir d’une table à l’autre. La sueur sur le front. “La prochaine fois, je choisis.” Il lève les yeux au ciel. Okay, le serveur ne semble pas sympathique. Il n’est pas une femme et il ne leur a même pas souri. Mais tant qu’il y a du bon alcool, ils ne peuvent pas se plaindre. Il manque probablement à Harry une jolie rousse qu’il pourrait dévisager avec un regard séducteur. Il avait dit ‘soirée entre hommes’, pourtant ! Jared pourrait presque être jaloux que son acolyte cherche à lui être infidèle. Presque. “Tu dis ça parce que le serveur n’est pas une belle rousse et qu’il n’a pas assez de poitrine. Mais j’suis sûr qu’il n’a rien contre un petit jeunot de ton âge.” Il lui donne un coup de coude dans les côtes. Il a un sourire en coin. Harry est tellement bizarre qu’il pourrait se contenter d’un blanc-bec habillé d’une perruque et d’une tenue de cuir. Ce serveur pourrait faire l’affaire. La future conquête d’Harry leur emmène beintôt leur verre de bière. Ils trinquent et boivent leur première gorgée. Que la fête commence. Ils vont répéter ce geste de nombreuses fois dans la soirée. Ils vont ne faire que ça. Et discuter, un peu. “Alors… Qu'est-ce qu'il y a de si intéressant dans ta boîte à gens invisibles ?” Ne pas lui poser la question. Il peut perdre la tête. Il peut se perdre dans ses explications. Il peut se perdre dans son excitation. Il ne vaut mieux pas l’interroger là-dessus. Mais c’est déjà trop tard. Jared est déjà lancé. Le regard brillant. Le visage illuminé. Le sourire découvert. Il sort son téléphone et le pose sur la table. Par où commencer ? Il y a tellement de choses à dire. Ce téléphone est devenu son objet du quotidien. Il pourrait se le greffer à la main. Il ne pourrait pas s’en passer. Tout simplement. Il en est dépendant pour alimenter son blog. Il en est dépendant pour suivre les actualités des super-héros. Surtout de Thor. Le dieu est son super-héros préféré. Ils ont une histoire tous les deux. Ils sont proches. En tout cas, Jared se sent proche de lui. L’inverse n’est pas forcément vrai. “Je ne m’en sers pas tellement pour appeler. Sauf quand ma mère me harcèle pour savoir quand j’vais la voir chez elle. Nooon, je m’en sers pour suivre les super-héros ! Je ne veux pas louper un seul de leurs gestes, alors j’utilise les réseaux sociaux. Twitter, Facebook, Instagram, tout ça. Ça me permet d’être informé.” Il s’arrête. Il reprend son souffle. Il est parfois flippant. Il est parfois effrayant. Sa passion pour les super-héros dépassent souvent la raison. Surtout qu’il ne la vit pas à moitié. Il la vit pleinement. Un peu trop. Beaucoup trop. Il a souvent l’air d’un fou, à courir après ces héros, à chercher toutes les informations possibles, à les défendre.

Mais il se fiche se livrer totalement à Harry. Le gamin est un serveur qui n’a pas sa langue dans sa poche. Il a sûrement un avis tranché sur la question. Mais Jared ne va pas se cacher pour correspondre au comportement que l’on attend de lui. “Ils font des choses tellement incroyables ! Je les envie de pouvoir rendre le monde meilleur et de pouvoir sauver des gens.” Il sait que tout le monde ne partage pas son opinion. Surtout lorsque cela vient d’un gars de vingt-six ans. A son âge, Jared devrait sûrement être mature, avoir un travail sérieux, avoir une petite-amie, payer un prêt astronomique à la banque. Il devrait sûrement suivre les résultats du basket (ce qu’il fait, d’ailleurs) et se demander quel est le nouveau bar tendance du quartier. Sûrement pas s’intéresser à des gens qui portent des collants et des capes. Sans compter que les gens ont de plus en plus de mal à faire confiance aux super-héros. Trop dangereux. Trop violents. Trop destructeurs. Ils ne voient que le côté négatif, alors qu’il y a tellement de positifs à avoir des personnes capables de sauver une planète entière. Jared retrouve un peu de son calme. Un peu de sa sérénité. Il boit une nouvelle gorgée. Il fronce les sourcils. “Comment à ton âge, on peut ne pas être accro au téléphone ? C’est l’avenir !” Il y a toute une génération addicte au smartphone. Ils ne vivent pas sans un écran à portée de main. Harry a échappé à ce mode de vie. Le vilain petit canard de la génération. Il a sûrement dû être privé de son téléphone des centaines de fois durant son adolescence. Raison pour laquelle il sait s’en passer, maintenant. Raison pour laquelle il n’est presque jamais dessus. Pauvre petit Harry. Sa maman devait être tyrannique.

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"Non, trou de balle, je dis ça parce que je ne prends pas mon charisme pour acquis et que j'aime me mettre chaque jour à l'épreuve. Je ne vais pas me mettre au challenge d'obtenir le numéro de ce gars qui, soyons honnêtes, n'a pas de quoi rendre jaloux Al Bundy !"

Et c'est dire. Ca tombe sous le sens. Le serveur peut être mignon pour qui veut, pas pour moi. Et si Jared joue les "adultes" avec moi, je joue les "terre à terre" avec lui. Aussitôt qu'il commence, aussitôt je hausse un sourcil. Je connais son amour des super héros, ce n'est pas la première fois que ce sujet arrive sur le tapis. Mais de là à les traquer ? Jared passerait presque pour un stalker, un cyber psychopathe. D'être informé de quoi ? Pour quoi faire ? Dans quel but ? Ne peut-il pas vivre une vie normale ? Loin de tous ces médias, de ces manières désespérées de se montrer...

Je reste imperméablement sceptique à ses dires et sa fougue. Je ne le pense pas fou ou quoi que ce soit d'autre… J'ai juste pitié pour lui. Cette obsession, je l'ai déjà vue chez quelqu'un. A dire vrai, ma soeur n'en est pas loin, également. Je me confronte à elle autant qu'à Jared, sinon plus car je la vois plus souvent. Je ne sais pas quoi dire. En réalité, j'ai un millier de questions qui me traversent l'esprit, mais comment les aborder sans heurter ses sentiments ? Et pourquoi ça m'importe de le vexer ou non ? Peut-être que je perçois là un sujet épineux, passionné, et que j'ai l'intelligence de ne pas tout foutre en l'air simplement parce que je suis une tête de con.

J'avale plusieurs gorgées de bière sans le quitter du regard. Des choses incroyables. Voilà, on y vient. Le pire, c'est que je partage son point de vue, mais je ne peux pas m'empêcher de penser aux dégâts que la ville doit essuyer à chaque fois. Tout ça, ça coûte beaucoup d'argent. Pourtant, il faut que je réplique, je dois dire quelque chose. Je ne peux pas rester là… Sans rien dire, je sais combien Jared déteste ça. Je hausse les épaules en reportant mon verre contre mes lèvres, mon regard toujours sur lui. J'ai l'air plus blasé que jamais.

"Ce matin, j'ai pissé debout sans en mettre une goutte sur la cuvette. Je m'entraîne dur. Ca, c'est incroyable, mec." Sans prendre une nouvelle gorgée, je repose mon verre et soupire. Une main levée, comme lassé, je reprends : "Allez, vieux, arrête avec ces conneries… Je veux dire ! Tu as plein de manières de rendre le monde meilleur, tu n'as pas besoin de pouvoirs magiques pour ça ! Sauver des gens ? Commence par aider la vieille Irma à traverser la rue quand tu viens dans mon café. Ou à lâcher un peu plus de pourboire aux serveurs dans les bars ou au restaurant ! J'en sais rien, moi ! Les pauvres dans la rue… Ce genre de trucs !"

'Ce genre de trucs'. Plus indélicat, c'est Harrison. Moi. Je le vis bien, ceci dit ! Je soupire en secouant la tête et je hausse à nouveau les épaules en faisant tourner mon verre dans ma main.

"J'en sais rien, j'imagine que je n'ai pas besoin d'un téléphone pour être connecté au monde. Et arrête avec mon âge, tu commences à devenir chiant." J'ai le mérite d'être franc. Et honnête. Enfin, pour celui-ci, j'essaye. "Tout ce que tu touches avec ce gadget n'est pas réel. Tu parles de gens que tu ne connais même pas ! Tu en parles comme s'ils étaient tes meilleurs potes !" Je me penche pour lui donner une légère tape dans le bras, comme pour le réveiller. "Ça, vieux, c'est réel ! C'est palpable ! Comme les nibards d'une fille ! Tu sais le nombre de gens que je croise dans la rue et qui manquent de me cogner parce qu'ils ont le regard rivé sur leur écran ? Ils ne se regardent plus, ne se parlent plus, ne communiquent plus ! C'est dantesque la manière dont on règle ses comptes par clavier interposé. Tu ne t'es jamais dit que…" Je secoue la tête. "J'en sais rien, que ta vie te suffisait ?" Je suis pourtant quelqu'un d'ambitieux… "Je veux dire… C'est quoi le but, dans tout ça ? Pourquoi tu passes plus de temps à courser une chimère, plutôt qu'à construire ton monde meilleur. MMhh ?"


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Il y a peu de sujets sur lesquels ils ne s’entendent pas. Les super-héros en font partie. Jared espérait que ça aurait changé depuis la dernière fois. Avec un peu de chance, Harry aurait été sauvé par un super-héros et aurait revu son jugement. Avec les attentats qui ont eu lieu récemment, le gamin aurait pu y être. Sauf que non. Il n’a pas changé d’avis. Harry semble complètement blasé et agacé par son discours. Jared s’en aperçoit trop tard. Il aurait dû mesurer ses paroles. Il aurait dû taire son enthousiasme. Il aurait dû. Il ne l’a pas fait. Mais de toute manière, il a toujours le don pour s’attirer des ennuis. Si il a ce don, ce n’est pas uniquement parce qu’il est maladroit, mais parce qu’il a tendance à dire tout ce qui lui passe par la tête. Y compris les choses fâcheuses. Alors, il n’allait sûrement pas cacher sa vraie personnalité à Harry. Ils vont se prendre la tête. Boire quelques verres. Oublier. Se saouler un peu plus. Ce n’est qu’un débat, n’est-ce pas ? Perdre leur amitié à cause d’un passe-temps serait ridicule. “Ce matin, j'ai pissé debout sans en mettre une goutte sur la cuvette. Je m'entraîne dur. Ca, c'est incroyable, mec.” Il lève les yeux au ciel. D’accord, les êtres humains “normaux” sont cantonnés à des choses qui sont moins impressionnantes. On n’en parle pas pour autant dans la presse. Mais les super-héros sont vraiment incroyables. Ils mettent leur vie en danger pour qui ? Pour une bande d’humains qui manquent de reconnaissance et qui sont assez égoïstes pour ne voir que les dégâts causés. Alors que toutes les familles sauvées n’auraient pas pu l’être sans des interventions héroïques. Une réalité qui semble échapper à tout le monde. Et puis, si Harry voulait pisser sans en foutre partout, il a qu’à arrêter de boire comme un trou. Il aurait l’esprit assez clair pour viser correctement. “J’t’en prie ! Tu peux pas comparer ton exploit à Thor qui foudroie quelqu’un.” Harry ne peut pas être sérieux. Il ne peut pas être sincère. Bien sûr que pisser sans mettre une goutte à côté est génial, comme écrire son prénom dans la neige. Sauf que ce n’est pas en arrivant à bien viser qu’il sauve quelqu’un, lui. Alors que les 4 Fantastiques sont dehors à prendre des risques, les gens normaux s’ennuient et ressassent tous ce qui ne va pas dans leur vie. Il n’y a pas plus égoïste et égocentrique comme comportement ! “Allez, vieux, arrête avec ces conneries… Je veux dire ! Tu as plein de manières de rendre le monde meilleur, tu n'as pas besoin de pouvoirs magiques pour ça ! Sauver des gens ? Commence par aider la vieille Irma à traverser la rue quand tu viens dans mon café. Ou à lâcher un peu plus de pourboire aux serveurs dans les bars ou au restaurant ! J'en sais rien, moi ! Les pauvres dans la rue… Ce genre de trucs !” Okay, admettons. Jared se met à nourrir tous les sans-abris de New-York. Il les emmène tous manger dans des fast-foods ou dans de grands restaurants. Est-ce que ce sont ces même sans-abris qui vont contrer une attaque extraterrestre ? La réponse est non. Catégoriquement non.

Harry ne voit pas. Il ne comprend. Non, il ne veut pas comprendre. Jared aide déjà dans la rue. Il s’inquiète assez des gens qu’il croise pour s’arrêter et prendre du temps. Mais il ne peut pas être assez généreux et altruiste pour avoir les pouvoirs de sauver l’humanité. Alors, il se contente de rêver grâce aux super-héros. Il vit par procuration. “J'en sais rien, j'imagine que je n'ai pas besoin d'un téléphone pour être connecté au monde. Et arrête avec mon âge, tu commences à devenir chiant.” Ça y est. Monsieur est susceptible. Monsieur est mécontent. Jared pousse un soupir. Il boit une gorgée de sa bière. Qu’est-ce qu’il peut dire ? Harry a le discours d’un vieux de soixante-dix ans qui refuse l’évolution et la technologie. Bien sûr que ce n’est pas vraiment le monde réel. Bien sûr que ce qu’il se passe dans son téléphone n’en sort pas. Lorsqu’il range son téléphone, il n’a personne autour de lui. Seulement des inconnus. Il en a conscience. Jusqu’à preuve du contraire, il n’a pas de mal à se faire des amis, à nouer le contact, à discuter avec les gens autour de lui. Son téléphone lui permet juste de partager avec des gens à l’autre bout du monde. Des gens qu’il ne pourrait jamais rencontrer en étant coincé ici, avec son salaire misérable. “Tout ce que tu touches avec ce gadget n'est pas réel. Tu parles de gens que tu ne connais même pas ! Tu en parles comme s'ils étaient tes meilleurs potes !” Harry est jaloux. C’est bon, Jared a compris. Pas besoin de s’énerver. Pas besoin d’être vexant. Pas besoin de prendre ses grands airs. Il a compris. Mais le gamin ne s’arrête pas. Il continue. Il est lancé. Alors, Jared n’a plus qu’à croiser les bras et à attendre que son tour arrive. Son tour de s’exprimer. Son tour d’argumenter. Son tour de convaincre. Il se prend une tape. Une de plus. A croire que Harry y prend goût. Vu ses défaillances sexuelles, ce ne serait pas étonnant qu’il prenne son pied en martyrisant quelques personnes. Dont Jared. “Ça, vieux, c'est réel ! C'est palpable ! Comme les nibards d'une fille ! Tu sais le nombre de gens que je croise dans la rue et qui manquent de me cogner parce qu'ils ont le regard rivé sur leur écran ? Ils ne se regardent plus, ne se parlent plus, ne communiquent plus ! C'est dantesque la manière dont on règle ses comptes par clavier interposé. Tu ne t'es jamais dit que…” Que quoi ? Qu’il perdait son temps à discuter par écran interposé. Qu’il ne savourait plus le moment présent. Qu’il ne savait plus profiter de la vie. Qu’il était immature. Que quoi ? “J'en sais rien, que ta vie te suffisait ?” Jared n’a pas toujours été ainsi. A une époque, il était un gamin normal qui passait son temps à faire le bordel et à rater ses examens. Il n’avait pas d’ambition. Il n’avait pas de but dans la vie. Il vivait chez sa mère, il voyait ses amis n’importe quand. Cette vie lui plaisait. Et puis, il a été sauvé par un super-héros. Tout a basculé. Il les appréciait déjà. Il avait grandi en entendant leurs histoires. Il avait même espéré se découvrir des capacités. Mais depuis ce sauvetage, il n’a pas arrêté de penser à ces humains (ou pas, d’ailleurs) qui risquent tout. Il a changé parce que sa vie ne lui suffisait pas, justement. Il voulait plus. Il voulait devenir un de ces hommes en collants. Il voulait sauver le monde. Sauf qu’il ne le pouvait pas. A force de les suivre, il s’est découvert des ambitions. Des envies. Des volontés. Grâce aux super-héros, il sait qu’il peut faire bien plus qu’être un simple coursier. Il peut devenir un journaliste respecté. Il peut devenir un blogueur influent. Il peut devenir ce qu’il souhaite.

Je veux dire… C'est quoi le but, dans tout ça ? Pourquoi tu passes plus de temps à courser une chimère, plutôt qu'à construire ton monde meilleur. MMhh ?” La question à mille dollars. Il pose son verre sur la table. Il veut bien construire son monde meilleur. Mais pas tout seul. A quoi bon construire un monde parfait si il est le seul à en profiter ? Et ce n’est pas un simple coursier qui peut faire bouger les choses. Il faut que ce soit un mouvement humanitaire. Une mouvance générale. Une volonté mondiale. Harry est intelligent. Il peut se cacher derrière son langage familier. Il peut se cacher derrière l’alcool. Jared n’est pas dupe. Le gamin s’est lancé dans des études à l’université, ce n’est pas pour gonfler son ego. Ce n’est pas pour avoir de mauvaises notes. Harry a forcément la tête bien faite, comme on dit. Assez pour comprendre le principe d’une équation à deux inconnues. Ce qui n’est pas le cas de Jared. Alors le serveur sait forcément qu’un simple coursier ne peut rien faire à son échelle. “Parce que mon monde meilleur ne peut pas se construire seul. Je ne peux pas être le seul à bosser dessus. Il faut que tout le monde participe.” A travers le monde, les super-héros et les héros se mobilisent. Ils aident, ils luttent, ils éradiquent. Ils tentent de rendre le monde un peu meilleur. Ils tentent de sauver l’humanité de toutes les menaces. Ils tentent d’insuffler l’espoir. Si ils y arrivaient pendant un temps, ce n’est plus le cas maintenant. Les gens sont lassés et blasés. Ils ont oublié de se réjouir. Ils ont oublié de féliciter. “Il est clair que je ne peux pas devenir un héros. Je ne me fais pas d’illusions, mais je peux me baser sur leur exemple pour devenir quelqu’un de meilleur.” On a tous une inspiration. Une personne qui nous donne envie de lui ressembler. Une personne qui nous inspire et nous guide. Une personne dont on se sert de modèle. Jared n’a jamais connu son père. Même pas une micro-seconde. Il s’est rapidement identifié aux super-héros. Figures omniprésentes durant son enfance. Il a voulu leur ressembler. Il a voulu faire la même chose. Il a réalisé que ce n’était pas possible, mais qu’il pouvait quand même agir sur la société d’une manière ou d’une autre. Le boulot de coursier n’est qu’un tremplin. Une manière de trouver autre chose. Une façon de vivre à New-York, le temps de trouver un poste qui le rapproche de son objectif. “Ils sont comme une équipe de basket-ball, ils ont besoin de notre soutien. Ils ont besoin de voir que l’on croit en eux. Sinon, ils vont nous laisser tomber. C’est ce que j’essaye de faire. T’en connais beaucoup qui affronterait des menaces pareilles ?” Jared en connait aucun. Même des policiers ou des militaires flipperaient devant ces dangers. Ils ne sont que des humains comme les autres quand des Chitauris débarquent et tentent d’envahir la ville. Ils ne sont rien de plus face aux dangers extraterrestres. “Alors ouais, je discute avec des inconnus, je suis souvent sur mon téléphone. J’en ai conscience. Mais je parle avec des gens que je ne pourrai jamais rencontrer parce que j’ai pas un salaire suffisant pour bouffer et voyager, tu vois ? J’sais pas ce que tu comptes faire après t’être ruiné à la fac, mais tu vas galérer et tu seras heureux de pouvoir voyager et vivre à travers un simple téléphone.” Les études coûtent chères. Affreusement chères. A moins d’avoir la chance de profiter d’une bourse. Et encore. Raison pour laquelle Jared n’a pas tenté. De toute manière, il aurait perdu son temps et son argent. Il n’aurait pas été capable de valider sa première année. Il aurait accumulé les mauvaises notes. Il a préféré trouver du travail à la sortie du lycée. De petit job en petit job, il s’est retrouvé à New-York.

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Et voilà. Ce qui devait arriver arrive : divergence d'opinion. Je soupire bruyamment en haussant les sourcils et me laisse retomber dans le fond de ma chaise en regardant la salle. Ce n'est pas que je ne l'écoute pas, c'est simplement que j'attends ce qui est intéressant. Le pire, c'est que je comprends ce qu'il veut dire, mais j'y perçois également autre chose. Jared se sous estime. Je soupire en me frottant un oeil.

"Tu n'as pas besoin d'être un héros…"

Si seulement je savais ce qu'il traversait, ce dont il était capable, ce qui se tramait dans sa tête… Ce qui pouvait l'obséder à ce point, peut-être que je comprendrais mieux. Mais Jared et moi ne sommes pas ce que j'appelle des amis, on se cotoie, mais de là à se confier ? Je ne lui dirai rien sur ma vie, je le vois mal le faire également. Je laisse tomber ma joue dans ma paume de main en continuant de l'écouter et je me retiens de soupirer. Par respect. Ah, le sujet des études…

"Je ne vois absolument pas le rapport…"

En fait, j'ai l'impression que pour Jared, je suis un gosse de riche qui a de la chance de faire des études. Admettons. Ce n'est pas entièrement faux. Mais il croit que je branle quoi dans un Starbucks près de 35h par semaine, en plus de mes études ? Tu crois qu'il pourrait être jaloux parce que j'arrive à tout faire ? J'inspire profondément et je me redresse.

"J'ai pas la prétention de prévoir aussi loin. J'aimerais déjà obtenir mon diplôme et suivant les notes qui en ressortent, j'aimerais tenter les Stark Industries. Pourquoi pas. Et si je veux parler à mes vieux, je prends mon téléphone, je dis pas que je l'utilise pas, je dis que que je l'utilise pas en permanence." Je me redresse totalement et pose mes coudes sur la table. "Ok, Jaja…" Je te parie qu'il a horreur qu'on le surnomme comme ça. "Ce que je veux te dire, c'est que selon toi, il faut des pouvoirs magiques pour être grand et changer le monde. Je dis pas qu'ils font de la merde, ou qu'ils ont rien à faire là… Je dis que tu n'as pas à les regarder comme s'ils étaient les seuls capables de le changer." Je le désigne d'une main ouverte en haussant les sourcils. "Mais à la base, ce sont des gens normaux, comme toi et moi ! Descends-les un peu de leur boudoir à champions et tente d'accomplir quelque chose à ton niveau. Faudrait pas que tu te réveilles un jour en te demandant qui tu es parce que tu auras vécu dans l'ombre de certaines fraudes pendant des années."

Je doute que le terme de fraude passe comme une lettre à la poste. Et puisqu'on parle des sujets qui fâchent, je ne me débine pas et j'enchaîne, presque désolé.

"Tu dois admettre que les journaux touchent un nerf… On les réhausse dans notre vie, mais à côté de ça, ils foutent pas mal la merde. Tu les idéalises ! Alors ouais, ok, ils affrontent des vilains pas beaux plus souvent que j'en latte sur ma console. Ces mecs là, c'est des coriaces, ils sont pas prêts d'abandonner. Même Spiderman a essayé, il est revenu. Ils ont ça dans le sang, ou dans les gènes, ou où tu veux, je veux pas le savoir… Mais s'ils étaient pas là, tu ferais quoi de ta vie ? T'étais où quand Spiderman a déserté sans qu'on sache pourquoi ? Quand Hulk a disparu des radars après avoir bien foutu la merde en ville et Thor qui ne débarque que quand le vent se lève, comme un mauvais présage ? Ta vie s'arrête pas quand ils sont pas là, mon pote. J'admire la foi que tu as en ces gars. Il en faut des comme toi, mais il en faut des comme moi pour garder la tête froide et vous ramener un peu sur terre. Allez, Jared, descends de ton nuage… Ne me dis pas que tu penses pouvoir les retrouver pour leur coller des pansements Reine des Neiges sur leurs bobos…" Je réfléchis en levant les yeux, mon verre suspendu dans le vide. "A moins que tu veuilles leur faire gribouiller ton Autograph Book de Mickey…"

Je hausse les sourcils, provocant ET amusé.

(y en a qui zont les ref qui peuvent !)


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Tu n'as pas besoin d'être un héros…” Être un super-héros, dans le fond, il s’en fiche. Il a abandonné l’idée depuis longtemps. Il a cessé de croire aux miracles. Il a arrêté de penser à l’impossible. Il a fait le deuil de son rêve de gamin. Il a essayé, il a échoué. Point. Cela s’arrête là. Maintenant, il cherche seulement à se rapprocher de ceux qui réalisent son rêve. Il tente seulement de savoir ce que cela fait. De sauver des vies. De sauver des villes. De voler à travers les airs. De maîtriser la foudre. De se transformer en un monstre vert. Il les admire pour ce qu’ils font, pour leur dévouement, pour leur courage. Conscient que lui ne pourra jamais en faire autant. Du courage, il en a. Un peu. Il en faut quand on est maladroit et que l’on s’attire des problèmes. Il en faut quand on n’est pas foutu de se taire. Il n’a simplement pas la carrure d’un héros. Trop maigrichon. Trop maladroit. Trop immature. Il ne pourrait pas supporter la pression. Il ne pourrait pas prendre autant de responsabilités. Il n’est pas fichu de se pointer à l’heure au travail. Alors arriver à temps pour sauver une victime semble impensable. Il serait le genre de super-héros à arriver les mains dans les poches, à se pointer après que les vilains aient tout dévalisé et détruit. Il ne serait pas utile. Il serait même la risée de tout New-York. Définitivement, il n’est pas la personne dont la ville à besoin. Encore moins, le monde.  “Je ne vois absolument pas le rapport…” Harry ne peut pas comprendre. Il aura un avenir, lui. Il aura un diplôme qu’il pourra présenter et justifier. Même avec le chômage, il trouvera un travail. Parce qu’il est intelligent et débrouillard. C’est un gamin déterminé qui saura se démener. Alors que sans diplôme, il ne pourrait sûrement rien faire. Rien proposer. Rien prétendre.

J'ai pas la prétention de prévoir aussi loin. J'aimerais déjà obtenir mon diplôme et suivant les notes qui en ressortent, j'aimerais tenter les Stark Industries. Pourquoi pas. Et si je veux parler à mes vieux, je prends mon téléphone, je dis pas que je l'utilise pas, je dis que que je l'utilise pas en permanence.” Jared non plus. Il n’utilise pas son téléphone tout le temps. Quand il est sur son vélo. Quand il dort. Quand il se douche. Il sait être raisonnable. Il sait être mesuré. Il sait se séparer de son téléphone. Accro, peut-être. Mais il garde son téléphone éteint la nuit. Sa maman l’a bien élevé, vous voyez ? D’accord, il se laisse parfois dépasser par les événements. Il passe parfois plusieurs heures sur les réseaux sociaux. Il oublie parfois l’heure pour ensuite, réaliser qu’il est trois heures du matin. Parfois. Pas tout le temps. Mais souvent, quand même. “Ok, Jaja…” Jaja. Le salaud. Il ose ! Jared va lui faire bouffer son verre. Il déteste tellement ce surnom. Merci maman. Merci la famille. Merci les surnoms qui vous collent à la peau. Jaja. Sérieux. Les gens ne peuvent pas trouver une meilleure idée ? Red, c’est bien aussi. C’est court, concis et c’est un diminutif de son prénom. Que demander de plus ? En réponse à sa provocation, il se contente d’une grimace de dédain. “Ce que je veux te dire, c'est que selon toi, il faut des pouvoirs magiques pour être grand et changer le monde. Je dis pas qu'ils font de la merde, ou qu'ils ont rien à faire là… Je dis que tu n'as pas à les regarder comme s'ils étaient les seuls capables de le changer.” Qui des deux devient le plus optimiste et le plus naïf, maintenant ? Harry pense que le monde peut être changé par une seule personne. Il sous-entend que le commun des mortels peut influencer sur leur univers. Mais pas Jared tout seul. Il n’est pas fichu de se poser cinq minutes et de réfléchir tranquillement. Il doit toujours être en mouvement. Il doit toujours agir. Il doit toujours parler. Ce n’est pas lui qui serait capable d’un tel exploit. “Mais à la base, ce sont des gens normaux, comme toi et moi ! Descends-les un peu de leur boudoir à champions et tente d'accomplir quelque chose à ton niveau. Faudrait pas que tu te réveilles un jour en te demandant qui tu es parce que tu auras vécu dans l'ombre de certaines fraudes pendant des années.” Des fraudes ? Vraiment ? Jared lâche un soupir agacé. Il sait ce qu’il serait devenu sans les super-héros, sans son envie de faire de grandes choses. Il serait resté chez sa mère - encore à vingt-six ans - et il aurait essayé de se trouver un job minable. Il se serait laissé pourrir dans un coin, en attendant que les années passent. En attendant que quelque chose arrive. Il n’aurait pas eu d’ambitions. Il n’aurait pas eu de rêves. Peut-être qu’il aurait fini par trouver un sens à sa vie. Peut-être qu’il se serait épanoui dans son inactivité. Peut-être. Il veut accomplir quelque chose à son niveau. Il le veut vraiment. Il ne voit juste pas quoi. Quoi faire. Quoi décider. Qui aider. Qui sauver. Il ne sait pas comment faire pour agir à sa propre échelle. Alors, il se contente d’alimenter son blog en histoires de super-héros. Il se contente de créer l’espoir. Il se contente de communiquer sur les réussites des héros.

Tu dois admettre que les journaux touchent un nerf… On les réhausse dans notre vie, mais à côté de ça, ils foutent pas mal la merde. Tu les idéalises ! [...]” Il ne vit pas à travers les super-héros. Bon, d’accord, un peu. Il vit seulement la partie qu’il a toujours rêvé. Celle d’être utile et de sauver des gens. Le reste, il leur laisse volontiers. Il préfère sa propre vie avec un soupçon d’héroïsme qu’une vie de super-héros reconnu dans la rue ou de super-héros caché. Quand il n’y a pas d’activité, il surveille. Il épie. Il attend. Seulement parce qu’il veut savoir ce qu’ils font. Pour autant, il n’oublie pas de vivre, de respirer, de s’amuser, de sortir, de dormir, de manger. Cette soirée en est la preuve. C’est le calme plat chez les héros. Jared sort. Il a ses périodes. Il a ses moments où il est plus réactif et actif. Il a ses moments où il s’éloigne un peu des écrans et des réseaux sociaux. “A moins que tu veuilles leur faire gribouiller ton Autograph Book de Mickey…” Harry peut se foutre de sa gueule, Jared en avait un quand il était gamin. Il n’a jamais eu une vie assez trépidante pour rencontrer des célébrités. Alors, il inventait les signatures. Il faisait signer ses amis. Il doit encore l’avoir quelque part, dans les cartons de vieilles affaires que sa mère garde. “En fait, au vingt-et-unième siècle, on parle plutôt de selfies mais va pour les autographes. Ce sera bientôt vintage, il paraît.” Désinvolte. Il hausse les épaules. En réalité, il se concentre sur le moment présent lorsqu’il est face à des super-héros. Parce qu’il en a déjà rencontrés. Thor. Daredevil. Deadpool. Spider-woman. Il commence à les connaître. Il commence à avoir une belle liste. Il a discuté avec la plupart d’entre eux. A chaque fois, il a essayé de voler une photo. Il a tenté de garder un souvenir. Il en a fait un article, aussi. Pour partager. Pour communiquer. Pour garder une trace. Et si en prime, il peut récupérer leur numéro de téléphone pour qu’ils deviennent les meilleurs amis du monde, il ne se prive pas.

Entre ses doigts, il fait tourner le verre sur la table. Il a le regard fixé dessus. Il y a de la bonne volonté derrière les paroles d’Harry. Il y a un désir de le préserver et de le faire entrer dans un chemin plus habituel. Jared le sait. Il en a conscience. Raison pour laquelle il ne peut pas s’énerver. Raison pour laquelle il ne hausse pas le ton. “C’est beau que tu t’inquiètes pour moi à ce point. Vraiment. J’en aurais presque la larme à l’oeil.” Mais. Parce qu’il y a toujours un ‘mais’. Il cherche ses mots. Il n’a pas envie de se prendre la tête. Il est rare qu’il se dispute avec les gens. Il est rare qu’il entre dans les débats. Il est plutôt dans un état d’esprit de profiter de la vie et d’attraper toutes les opportunités qui se présentent. Pas de se focaliser sur les problèmes. “Mais c’est justement parce qu’ils sont des gars comme nous que je ne peux pas m’empêcher de m’émerveiller devant ce qu’ils font. Ils font des dégâts, okay, mais on en parle des villages que les gouvernements bombardent pour supprimer des menaces terroristes ? On s’en fout quand des centaines de milliers de personnes meurent dans une guerre. Par contre, quand des super-héros interviennent quelque part, le moindre geste est épié. Tout ça à cause d’une sur-médiatisation. T’as peut-être perdu espoir en eux, mais pas moi. J’ai besoin de ça pour me dire que le monde ne part pas en couille et qu’on a encore la liberté de vivre comme on le souhaite.” Pour ne pas être paralysé par la peur. Pour ne pas ruminer et angoisser. Pour ne pas s’empêcher d’agir pour la seule raison qu’ils vont mourir un jour. Pour trouver une raison de vivre chaque jour. Parce qu’après tout, c’est ça la vie, non ? Ils doivent accumuler les journées. C’est celui qui vivra le plus vieux et qui entrera dans le Guinness Book. Jared boit une gorgée de sa bière, avant de lever un sourcil et de sourire. “En attendant, c’est toi qui sera jaloux quand j’aurais réussi à approcher Black Widow.” A son tour de se moquer. A son tour de s’amuser. Black Widow est sûrement la rousse la plus badass de la planète. Le genre qui mettrait à terre Harry et Jared en une seconde, sans bouger le petit doigt.

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MARS 2016 - Long Island City - QUEENS, NY




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feat. Jared Hemingway & Harry Fisher

Quand Jared s'enflamme, il ne crie pas, il ne hausse pas le ton, mais il fait comprendre son point de vue. J'apprécie parce que finalement, on peut discuter sans envenimer les choses. Pendant qu'il parle, j'engloutis presque la totalité de ma bière. Cela dit, ce n'est pas à ce rythme qu'on va rouler sous les tables. Je soupire, cependant, il joue sur les mots. Selfies, autographes, je m'en fiche, c'est pareil, c'est bling-bling, m'as-tu-vu et parfaitement inutile. Jared ne peut pas comprendre que la minute qui suit son selfie, le super-héros l'a déjà oublié. Et quoi, il veut changer le monde avec eux mais rester anonyme ? Non, si je dois faire la différence, je veux qu'on connaisse mon nom, qu'il y ait une statue à mon effigie ! Je veux qu'il y ait une Institut Universitaire Fisher, un gros complexe comme le John Hopkin de Mount Vernon à Baltimore. Si je change le monde, le monde le saura.

Je ne m'inquiète pas vraiment pour Jared. On n'est pas vraiment ami, je ne vais pas perdre mon énergie avec quelqu'un qui n'a pas d'importance pour moi. Car oui, c'est une réalité, s'il disparaissait de ma vie demain, je ne me souviendrai plus de lui, pas mieux que ces super-héros qu'il admire. Mais je ne préfère pas lui dire ça, je ne veux pas non plus le vexer ni heurter ses sentiments, et encore moins jouer les supérieurs avec lui. C'est inutile et ça ne servirait rien. Je soupire et secoue la tête quand il s'arrête enfin de parler. M'enfin, je peux critiquer, je parle toujours beaucoup avec Jared, ce qui n'est pas le cas avec les autres. Ou du moins, pas autant. Il n'y a qu'avec ma famille et lui que je donne mon opinion sur les choses. Et encore… Ma famille, c'est parce qu'ils m'y poussent. Jared, c'est un peu… Tu vois, on a tous une personne pour un trait de caractère qui nous appartient. Avec lui, je parle de ça. Avec Jimmy, je parle de garçons. Avec ma soeur, je parle de mon avenir. Avec Tess, je parlais de cul. J'ai mille et une facettes et une par personne, je m'adapte à qui j'ai en face de moi. Aussi, je ne suis pas Jared comme je suis avec Jimmy. Encore que… Non, avec lui, me découvre plus protecteur que je ne le voudrais. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis pas vraiment du genre à me poser des questions.

Je grimace légèrement au nom de Black Widow : "Qui ça ?"

J'inspire profondément et secoue la tête pour lui répondre :

"Je ne perds jamais foi en quoique ce soit quand je n'ai jamais fondé aucun espoir.Ecoute, le monde il part en couille parce qu'ils sont là et que ça génère trop de questions, trop de débats ! C'est pire encore que le féminisme ou le mariage gay ! Leurs ébats ont buté des milliers de personnes pas plus tard qu'il y a trois mois et ça n'a pas uniquement touché les innocents qui sont partis au cimetière sans passer par la case prière ! Ca touche également les familles, les amis, ça touche les esprits, Jared !" Et là, je sais de quoi je parle. Pourtant, je ne veux pas prendre de parti, je ne veux pas être d'un côté ou de l'autre. Je ne veux pas être un anarchiste, ni un électron libre, je veux juste être moi-même et que le monde s'en contente. "Les villages qui crament à cause du gouvernement, c'est pas ton ressort ! Je suis d'accord pour des types en collants se battent pour notre pays - et les autres - du moment que ça n'engage qu'eux ! Je refuse qu'ils m'imposent un choix sous prétexte qu'ils vont sauver trois personnes en en tuant des centaines sur leur passage ! Ils valent pas mieux que nous, ils se font même la guerre entre eux et nous, on est leur terrain de jeux. Tu ne peux pas ignorer le fait qu'il nous prennent à parti qu'on le veuille ou non. Tu me parles de guerre et de morts, mais ils ne sont pas différents !" Je vide ma bière et interpèle le serveur pour en avoir une autre, puis, je fixe Jared sans sourire alors que je pointe la faille de son argumentaire. "On est déjà en guerre, Jared. Et je veux pas savoir qui sont les français et qui sont les allemands, je veux pas être les anglais et personne t'a demandé de jouer les américains."

Je suis pas du genre à me morfondre alors je lui parlerai pas de Tess. Pourquoi ? Parce que c'est une personne noyée dans un flot de plein d'autres. Je n'ai qu'une envie, c'est être injuste, mais en même temps ce serait malhonnête, ce n'est pas comme si j'avais perdu l'amour de ma vie ! Peut-être que si, mais raison de plus pour rien dire à Jared. Il se foutrait de ma gueule. J'ouvre les mains de part et d'autre de mon verre vide et je soupire.

"Ce que je veux dire, c'est que c'est comme pour tout, il faut un équilibre. Ce Registration Act est un bon compromis, à mon sens. On veut pas les voir disparaître, bien sûr qu'on a besoin d'eux ! Encore que sans eux on se débrouillait tout aussi bien. Et je parie qu'ils sont désolés de tous les dégâts qu'ils ont causés… Et je les plains. Sincèrement, Jared, je les plains plus que n'importe qui, parce qu'ils doivent pas l'avoir facile. Mais je pense à ma sécurité, à celle de mes parents, de ma soeur… Je suis pas en sécurité chez moi, ni à la fac, encore moins au boulot. Je vis dans une zone à risques ! Ici même on vit dans une zone à risques ! Et s'il m'arrive quelque chose, quoi… Ma soeur se transforme en super-héroïne pour aller me venger ?! Je perds quelqu'un, je dois faire quoi ? J'ai pas le droit de vouloir me venger ? Je dois faire des séances de psy pour me calmer, parce que tu comprends, c'est pas leur faute ?! Je t'en prie… Ouvre les yeux."

Et je me laisse retomber dans le fond de mon siège en cherchant le serveur du regard. J'ai soif.

Est-ce que je m'en veux de lui parler sur ce ton ? Non. Est-ce que je dois fermer ma gueule pour autant ? Non plus. J'ai envie d'un gros pétard. Je dis ce que je pense et je m'en balance que ça plaise ou non.

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