Ca faisait déjà plusieurs semaines qu’elle était là et elle n’avait qu’une envie : partir. Sérieusement. Professeur ? Vous la voyez prof Camilla ? Mais la blague. Elle avait vécu deux-mille ans, certes. Mais n’importe qui l’ayant côtoyé deux minutes aurait compris qu’elle avait la patience pour tout, sauf pour ça. C’était peut-être la pire idée de métier qui ne lui était jamais venue à l’esprit. Elle avait même prit le temps de se faire un (faux) diplôme de prof. Tout ça pour un ingrat, qui n’a même pas daigné venir lui parler encore. Après, ce n’était pas comme si Camilla avait tout fait pour se montrer. Il fallait bien qu’elle se laisse désirer. Il ne pouvait pas tout avoir sur un plateau d’argent. Elle avait déjà tout abandonné en Russie pour venir jusqu’à New York, et ça, c’était déjà énorme. Il devait au moins lui en être reconnaissante, non mais. En tous cas, elle avait laissé planer le doute, elle avait fait en sorte de lui laisser des indices, pour que lui vienne à elle.  

Bon. On ne pouvait pas dire que c’était un franc succès jusqu’à présent. Il restait insensible à toutes ses tentatives et c’était rageant. Elle n’avait pas l’habitude. Elle accumulait frustration sur frustration et bientôt il allait falloir qu’elle explose. Sur quelque chose, sur quelqu’un. Peu importe. Elle était à deux doigts… « Salut Camilla, ça va ? » Oh non. Elle se raidit à l’entente de son nom, déjà agacée. Elle l’avait vu venir de loin mais avait prié pour qu’elle passe son chemin. Elle ne peut plus prendre un café tranquillement maintenant ? C’est à peine si Camilla prit la peine de lever les yeux sur la demoiselle. Rien que le son de sa voix l’irritait. Cette fille était fade, insignifiante. Inintéressante. Une mortelle comme une autre, sans don, sans rien qui la démarquait de ses semblables. Encore si elle était jolie –mais non elle avait les yeux vitreux d’un crapaud. C’était peut-être la raison de sa présence au manoir, une mutation radioactive avec un batracien ? Pas de quoi en être fier, cette fille était incontestablement banale. Inutile. Camilla n’avait jamais voulu lui adresser ne serait-ce qu’un bonjour. Non, la seule chose qu’elle avait voulu lui faire était lui arracher les yeux et les broyer au mixer. Elle s’était largement contenue pendant ces dernières semaines, mais si elle commençait à vouloir jouer la collègue sympa ça allait être très difficile pour elle. Camilla n’avait jamais été du genre à être clémente avec ceux qui lui tapaient sur le système.
Et particulièrement les gamines proches d’Aneesh. Son Aneesh. Ses prétendantes n’ont jamais vécu bien longtemps.

Mais ne vous y méprenez pas. Camilla n’était pas jalouse.
Elle était possessive. Terriblement possessive.
Elle avait eu vent des rumeurs. Pire encore, elle en avait eu la confirmation. Elle avait vu de ses propres yeux cette pétasse tourner autour de son âme sœur.

Mais clairement Camilla ne comprenait pas l’intérêt d’Aneesh pour cette chose.

« Bien dormi ?  » Camilla battit des paupières. C’est quoi ce genre de question ? Camilla a une tête à faire la conversation ? Elle n’espèrerait pas qu’elle lui réponde quand même ? Peut-être que Taylor arrêterait de lui parler si Camilla continuait à l’ignorer.  Elle leva les yeux au ciel, contempla le plafond de la cuisine. Elle tentait de se contenir. Un coup de poing était si vite parti. Elle s’amusa à calculer la quantité de sang qui pourrait gicler de son visage selon la puissance du coup. Elle avait fait des arts martiaux il y a quelques dizaines d’années, et ça lui manquait pas mal de taper sur les gens. Elle devrait peut-être se mettre à la boxe thaï ça la défoulerait. Il y avait bien trop de gens ici sur qui elle était tentée de s’entrainer. Mais elle devait faire bonne figure encore quelque temps, histoire de pas se faire renvoyer tout de suite. Ca serait bien trop dommage d’être venue jusque là pour ne pas faire un mois. Mais la tentation était grande. C’était incroyable le nombre de tête à claque présents ici. Elle ne pensait pas trouver plus d’ennemis que d’amis en venant ici. Surtout qu’on la prenait parfois de haut : elle n’avait encore dit à personne qu’elle était immortelle. C’était rageant pour elle de faire prendre pour une simple mortelle, alors qu’elle avait plus vécu de vies que l’ensemble des pensionnaires. Elle avait beau faire comme si elle s’en foutait, le regard des autres lui importait beaucoup. Elle aimait se sentir puissante. Elle aimait lire l’envie mais surtout la crainte dans le regard d’autrui. Nul doute qu’elle aurait droit à un respect tout autre quand son secret serait révélé. Pour l’instant elle préférait faire profil bas. Son secret était une arme qui lui serait utile en temps voulu.

« Tu as deux minutes à m'accorder ? Il faut que je te parle de quelque chose d'important. Promis ça ne prendra pas longtemps, mais ça vaut le coup, crois-moi. J'ai besoin de ton aide ! » Deux minutes ? C’est à dire 120 secondes ? Nononononono elle crisait intérieurement. Son chronomètre mental se mit en marche. Quelle excuse avait-elle ? Aucune. « Tu veux quoi.  » Elle n’avait même pas envie d’être sympa, et encore moins polie avec Hansen. Sa voix était plate, et trahissait clairement son agacement. Elle se tourna vers elle, pour mieux voir son interlocutrice. Bon sang qu’est-ce qu’elle était moche pour une mortelle. Elle ne comprenait décidément pas l’intérêt d’Aneesh pour cette chose. «  J’espère que ça vaut la peine de me déranger. Parce que j’ai pas envie de t’aider. T'as trente secondes. » La possibilité qu’Aneesh puisse être concerné par son problème était la seule chose qui faisait qu’elle ne l’envoyait pas complètement bouler –parce qu’elle en aurait été bien capable. Oui, dans son monde, Camilla n’était pas trop désagréable, là. Elle prenait sur elle. Elle n’avait pas mal évolué question self control mine de rien. Il y a quelques années ç’aurait été une remarque cassante accompagné d’un rire sarcastique. Bon là aussi fallait avouer que ce n’était pas désintéressé. Car Camilla était toujours partante pour mettre son grain de sel dans les histoires des autres, mais pas toujours de la manière dont on l’imaginait.