Luke n'aimait pas les chiens. Bon, le pire, c'était les insectes, mais les chiens avaient cette façon bizarre de le fixer, tantôt curieux ou joueur, tantôt agressif. Ce n'était pas vraiment quelque chose à laquelle il était habitué, à force d'éviter les regards. Enfin bref, le chien du jour le regardait en grognant, infatigable, il l'avait suivi alors que Luke longeait la clôture du jardin où il se trouvait, et avait une mâchoire assez large pour que le jeune homme se retienne d'approcher plus.
Il n'avait pas besoin d'aller plus loin de toute façon, les souvenirs lui revenaient d'ici, alors qu'il reconnaît la balançoire, l'arbre tordu, la fenêtre de sa chambre, à l'étage. Mais les choses avaient changées, ses parents n'étaient plus ici. C'était presque un soulagement. Il aurait pu les retrouver, bien sûr, mais était-ce vraiment une bonne idée ? Ils étaient passé à autre chose, et tout ce que Luke pourrait faire, c'est rouvrir de vieilles blessures et créer de nouveaux problèmes. C'était souvent comme ça avec lui
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Dublin, 13 juillet 2015
Très cher Friedrich,
Il ne reste que quelques jours avant ton retour en Allemagne et sache que je suis navré de ne pouvoir te faire mes adieux en personne. J'ai laissé en suspend quelques affaires d'importance auxquelles j'aurais dû prêter un peu plus d'attention, et les choses se sont précipités pour moi. À l'heure où tu liras ses lignes, je serais probablement en route vers les États-Unis, où je compte me reposer pour quelques mois, et reprendre ma vie en main.
Je sais que ma situation t'as souvent préoccupé, et même si je ne pense pas mériter tout l'égard que tu me portes, je t'en suis reconnaissant. Je ne veux vraiment pas que tu t'inquiètes à mon sujet, tout va pour le mieux, et je sais que j'ai pris la meilleure décision que je pouvais pour assurer mon avenir.
Je joins à cette lettre la réservation pour une chambre d’hôtel près de Cork et un nouveau billet d'avion. L'arrière pays est très agréable en cette saison et ce sera pour toi une belle manière d'achever ton séjour en Irlande. Je te recommande chaudement de suivre l'itinéraire indiqué sur la feuille de route et de ne parler à personne de ce petit changement. Si des hommes avec un fort accent italien viennent te parler d'un emprunt qu'on ne leur aurait soit disant jamais remboursé, appelle la police aussi vite que possible. Méfies-toi également des Russes.
Je souhaite de tout cœur que ton retour chez toi se fasse le plus sereinement possible, et je m'excuse pour tous les désagréments que notre rencontre aura pu causer.
Baisers affectueux
Luke
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C'est étrange comme il est difficile de se cacher lorsqu'on est invisible, mais avec l'expérience, Luke avait trouvé un compromis. Il vit principalement de nuit, dans les quartiers un peu sordides, pour que l'obscurité trompeuse où l'alcool empêche les passants de le voir tel qu'il est. Ce n'est jamais facile, mais il s'y est fait, et a même fini par aimer ça.
*BLINK*
Le jeune homme se mordilla la lèvre en regardant le carreau qu'il venait de briser dans la fenêtre d'un petit pavillon bien rangé. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas eu recours à ce genre de méthodes, et très franchement, ça manquait d'élégance à son goût. Mais depuis son arrivée récente sur le sol américain, Luke manquait de tout. Qu'avait-il fait de tout cet argent qu'il avait eu dans les mains un jour ? Ça part tellement vite… Enfin voilà, retour aux basiques, il tandis l'oreille, mais tout était silencieux. Enfin presque.
«
Hey ! Qui êtes vous ? »
Luke réajusta sa capuche sur sa tête avant de jeter coup d'oeil de trois-quart vers la route. Sous la lueur chiche d'un lampadaire, une mère de famille probablement ménopausée le toisait d'un air sévere.
«
Et vous ? »
«
Je fais partie des Voisins Vigilants, on fait des rondes dans le quartier... »
Un soupir, et quelque chose de probablement très insultant en gaélique lui répondit, avant que la silhouette fatigué de Luke ne file dans la pénombre. Voisins vigilant, non mais sérieusement…
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Un grognement émergea des couvertures quand le téléphone se mit à sonner. Luke dû s'y reprendre à deux fois pour l'attraper, la tête toujours plongée dans l'oreiller. Il jeta un coup d’œil au nom, à l'heure, et bondit sur ses pieds.
«
Oui, monsieur ? »
« Vous l'avez ? »
«
Bien sûr, je suis en route, mais il y a des embouteilla... »
Alors qu'il extirpait une chemise du tas de chemises-à-peu-près-propres posée par terre, Luke se cogna la tête contre le coin d'une étagère branlante. Il étouffa un juron en retenant le meuble tandis qu'un tas de vaisselles en équilibre précaire tanguait dangereusement. Le marchand de sommeil qu'il s'était trouvé n'était pas trop malhonnête, au moins son studio n'était pas dévoré par les champignon ou à deux doigts de s'effondrer. Mais qu'est-ce que c'était petit. Même sans être particulièrement matérialiste, Luke avait rempli à ras-bord sa chambre-cuisine-salon-salle-à-manger-dressing-bureau-buanderie en quelque semaines, et il y étouffait déjà.
«
Je serais là dans quelques minutes m'sieur. Aie… Put** de m***... »
Très vite après, Luke filait dans les escaliers, un foulard rapidement enroulé autour du cou et sa capuche tirée bien bas. La soirée était humide mais pas trop froide, et il s'engouffra rapidement dans le dédale des rues du Bronx qu'il avait appris à connaître. Mais un cri l'arrêta en pleine course, il eut l'impression de reconnaître la voix de la vieille Patty, une habitante de son immeuble qui passait son temps à se plaindre du boucan que faisait une bande de jeunes à l'étage du dessous. Sans vraiment réfléchir, il fit un détour, histoire d'en avoir le cœur net. Et quelques rues plus loin, il percuta à pleine vitesse un grand type qui filait avec un sac à main.
L'homme lâcha son butin et, voyant que son nouvel opposant n'était pas une septuagénaire, fila sans demander son reste. Luke retrouva Patty recroquevillée par terre à quelques pas de là, et lui tendit une main gantée.
«
Ça va ? »
Mais elle ne la prit pas, et se ratatina un peu plus, l'air plus paniquée que l'instant d'avant. Las, Luke porta sa main à son foulard, qui avait glissé dans la bousculade, et rajusta plusieurs fois sa capuche, comme prit d'un tic nerveux. Sans un mot de plus, il jeta le sac aux pieds de la vieille dame et reprit son chemin. Il y a des gens qui ne mérite vraiment pas d'être sauvés.
***
27 janvier 2011J'ai retrouvé la trace d'une des anciennes secrétaires du docteur Crossman, elle n'avait cependant pas beaucoup d'informations à me donner. Comme j'avais pu m'en rendre compte, tous les documents concernant mon affaire ont été emportés ou détruits après ma disparition. Elle a juste pu me fournir une documentation assez générale sur le type de traitement qu'on m'a administré.
Apparemment, ce serait une sorte de bactérie dans laquelle on injecte un bout d'ADN, et qui irait ensuite fusionner avec les cellules du patient. Un peu comme des mitochondries ou truc dans le genre, l'ADN embarqué va alors remplacer celui qui fonctionne mal.
Ce qui est sûr, c'est que je suis un des seuls, voir le seul sur lequel ce traitement a fonctionné à ce point. Chez un sujet sain, la bactérie est simplement détruite par le système immunitaire et on en parle plus. Donc :
→ Si le docteur continue ses expériences, il doit rechercher de très jeunes enfants ou des malades immunodéficients.
→ Sinon, ma « mutation » était imprévue, et il a voulu me capturer pour l'étudier ou me vendre au plus offrant.
Dans tous les cas, il n'y a qu'un homme qui puisse répondre à mes question.
***
«
Maman ? »
Emmitouflé dans un grand manteau, une écharpe enroulée autour de la tête et un bonnet lui tombant sur les yeux, Luke avait du mal à voir sa mère. Elle, elle ne pouvait pas baisser les yeux vers lui.
«
Ça va aller, Maman. T'inquiètes pas... »
« PLUS UN GESTE ! »
Un fourgon noir venait de s'arrêter à leur niveau, et plusieurs hommes armés en sortirent. Il entendit hurler sa mère, il s'entendit hurler aussi, à pleins poumons, tandis qu'on les arrachaient l'un à l'autre. Et puis on l'attacha fermement et on l'enferma. Le véhicule allait vite, sur des routes de plus en plus cahoteuses, ça virait à droite, à gauche, à droite. Puis les portes s'ouvrirent, le professeur Edgar Crossman était là de nouveau, entouré d'hommes armés. Autour il n'y avait rien d'autres qu'un vieux bâtiment et des collines, à perte de vue. Dublin était à plusieurs heures de là, de toute évidence.
«
Où est-il ? »
« Il est là-dedans, c'est sûr. »
Mais il n'y avait qu'un tas de vêtement et des liens défait dans le fond du fourgon.
«
Luke, Luke mon petit, je suis là pour t'aider. Tu le sais, n'est-ce-pas ? »
Le silence était total, pas un souffle, pas un murmure ni le moindre mouvements pour trahir la présence du petit garçon. Au bout de quelques secondes, les hommes se mirent à regarder autour d'eux comme des perdus, en quête d'un signe dont il ignoraient même la nature. Le scientifique reprit, un peu plus fort.
«
Il n'y a nulle part où aller, Luke. Viens, allons nous mettre au chaud à l'intérieur. »
Mais il n'y eut rien, là encore. Le silence ne fut brisé que quelques minutes plus tard, quand le scientifique donna un grand coup de pied dans la jante du fourgon.
«
Et merde ! »
Les hommes n'abandonnèrent pas si vite, mais le temps de s'organiser pour amener des chiens et des caméras thermiques, le petit garçon avait filé dans la campagne.