Les cours d’histoire sont toujours plutôt passionnants. Techniquement, Blake pourrait s’en passer : elle a beaucoup lu, et a eu assez de discussions avec Taylor, leur professeur, pour se dispenser de cet énième cours sur la fondation de l’Union Européenne. Et puis, en plus de ça, ça n’a plus rien à voir avec avec son parcours scolaire qui est plus tourné vers la science. Mais la petite blonde a toujours trouvé important de savoir d’où on venait, quelles avaient été les erreurs commises et celles qu’il fallait éviter dans le futur. Et puis Hansen-Wright est si passionnée ! C’est toujours un plaisir de voir la petite brune s’enthousiasmer pour un rien, leur mimer les situations avec des étoiles dans les yeux ! Elle est un spectacle à elle toute seule. C’est ces petites choses qui lui rappellent à quel point la x-mansion est son
foyer, et pas seulement l’endroit où elle vit. Les chaises de cours qui craquent un peu, les murs recouverts de livres, le tableau à craie un peu vieillot, les dessins approximatifs de Taylor et la pendule rouge, juste au-dessus de la porte. Tous ces détails font partie d’elle, et ça lui fait du bien d’être là, tout simplement, alors elle assiste à tous les cours sans faute (il faut aussi avouer qu’elle est un peu intello, mais ça, c’est une autre histoire).
Pourtant, aujourd’hui, il lui est un peu difficile de se concentrer sur le Traité de Rome. Son regard s’est laissé happer par le genou de Keith qui bouge frénétiquement sous son bureau. Le problème d’une classe organisée en demi-cercle, c’est qu’il est très facile de se laisser distraire par des détails comme celui-là, quand bien même le cours est intéressant. Et s’il n’y avait que le mouvement de son genou, encore… Il n’a pas fallu longtemps à Blake pour se rendre compte qu’il n’allait pas bien du tout. Depuis vingt minutes, il a l’air plus bizarre que bizarre, le regard fuyant, et elle jure que sous ses cheveux un peu fous, c’est de la sueur, qu’elle voit. Elle ne dit rien, parce qu’ils sont trop éloignés dans la classe pour qu’elle puisse faire quoi que ce soit. Taylor est trop obnubilée par ses explications pour remarquer le malaise de Keith, et les autres élèves ne semblent pas particulièrement attentifs. Elle essaie bien de rencontrer son regard, mais n’arrive pas à le capter pendant les dix dernières minutes du cours. Quand la sonnerie retentit, elle a l’impression qu’il va leur claquer entre les doigts.
« Keith ? » Elle essaie de l’interpeller, mais il semble ne pas l’avoir entendue - ou alors l’ignorer. Elle serre les dents en le voyant sortir de la pièce.
Qu’est-ce qu’elle est censée faire, au juste ? Elle le suit des yeux en sortant de la salle des cours, comprend qu’il monte dans sa chambre aussi vite que possible.
Bordel mais qu’est-ce qui se passe ? Elle a plusieurs scénarios en tête, mais pas un seul qui lui plaise. Pendant quelques secondes, elle reste immobile au pied de l’escalier, à peser le pour et le contre, à se demander si elle doit le laisser tranquille ou aller voir ce qui se passe. Comme elle est visiblement la seule à avoir remarqué le problème, elle finit par se décider à monter les marches pour aller le voir, trop effrayée à l’idée de ne rien faire et qu’il lui arrive quelque chose de grave. Elle ne se le pardonnerait jamais.
Blake n’est pas très rassurée quand elle entend le boucan derrière la porte, et elle se met à s’inquiéter encore plus. Elle n’hésite donc pas une seule seconde à frapper. Quand il ouvre, il n’a pas l’air beaucoup mieux que quand il est sorti de la salle de cours. Blanc comme un cachet d’aspirine, Blake remarque même qu’il tremble. On dirait qu’il fait une crise d’angoisse, ou qu’il est au bord de la rupture d’anévrisme.
« Hey. I-I’m fine. » Il lui sourit, mais c’est trop tard. Blake n’est pas dupe et elle est déjà en train de lister toutes les raisons qui pourraient le mettre dans cet état. Elle n’est pas future médecin pour rien.
« I… Don’t worry. I just need to… » Il grimace. Ce n’est pas bon du tout. Sueurs, tremblements, pâleur, voix chevrotante, douleur. Les options sont de moins en moins nombreuses.
« I just need some rest. » Elle hausse les sourcils. Bien sûr, un peu de repos, ça suffira. Non mais il la prend pour qui ?
« It’s… It’s nothing I… I’ll be fine okay ? » Sa voix se veut confiante, mais elle ne se laisse pas leurrer. Le fait qu’il soit si réticent à accepter sa présence permet à Blake de faire un diagnostic bien particulier, et elle espère vraiment se tromper. Il commence à refermer la porte.
« I… I don’t need your help. J-just leave me alone. I’m alright. » Il devient presque un peu agressif, en voyant qu’elle ne tourne pas les talons.
« I’m pretty sure you need my help. » dit-elle avec une autorité certaine en bloquant la fermeture de la porte avec sa chaussure. Keith n’est pas assez en forme et n’a pas assez de réflexes pour la contrer, alors elle entre dans la pièce sans cérémonie et referme la porte derrière eux deux.
« And I’m pretty sure you’re not alright. » Elle prend le risque de le mettre en colère, mais tant pis. Elle sait très bien qu’elle pourra l’arrêter en cas de problème. Il ne connaît pas l’étendue de son pouvoir, et ne pourra donc pas appréhender ce qu’elle essaiera de faire. Elle s’approche et prend le menton de Keith entre son pouce et son index pour bien regarder ses yeux. Il se débat, mais elle a eu le temps de bien observer.
« Look at you! You’re not fine at all! » Même si elle est un peu sèche, sa voix reste douce et basse. Elle ne veut pas alerter les autres, et ce n’est pas trop son genre de s’emporter. Ce n’est
plus son genre. Elle pose son cahier d’histoire sur le lit de Keith et croise les bras devant sa poitrine.
« Don’t pretend. » lui dit-elle cash, parce qu’elle a très bien compris ce qui se passe, et qu’il s’en doute sûrement, à ce stade de la conversation. Elle essaie de ne pas laisser son inquiétude la ronger, et prend une voix encore plus douce.
« Describe me what you’re feeling. » l’encourage-t-elle. Elle est presque sûre qu’il va l’envoyer bouler.
« I can’t help you if you refuse. » le prévient-t-elle. Elle n’est même pas sûre, maintenant, qu’ils aient vraiment parlé de son pouvoir.