Cela fait quatre jours qu’ils sont revenus, amputés d’un quart de leur effectif de base. Bien sûr, quelques mutants ont fait remonter les compteurs, mais il est impossible de ne pas se rendre compte que de nombreuses places sont libres, dans la cafétéria. Il suffit de regarder leur table à eux pour comprendre qu’ils ont beaucoup perdu. America ne lève que rarement les yeux vers Noh-Varr, et ils mangent en silence, dans un tête à tête étrange, autour de cette table qu’ils partageaient il y a quelques jours encore avec le reste des Young Avengers.
Ils ont tous été capturés. Même
Billy. Il est censé être assez puissant pour échapper à ce genre de trucs, pourtant, et ça met America dans une colère noire. Le gamin n’a même pas été capable de se défendre - il aurait pu faire un effort. Maintenant, elle est dans la merde. Deux choix s’offrent à elle, et aucun ne semble lui convenir parfaitement. America a toujours eu beaucoup de facilité à prendre des décisions. Quand elle a quitté Utopie, elle n’a pas douté une seule seconde. Quand elle s’est lancée dans des combats complexes et dont les issues ne lui semblaient pas favorables - quelles que soient les planètes, quelles que soient les dimensions - elle n’a jamais hésité une seule fois. Mais là, c’est différent. Parce que ce qui est en train de se passer est plus grand qu’elle. Plus grand que ce que les autres pensent. Elle n’a pas grand-chose à faire de leur putain de guerre civile à la con. Tout ce que America sait, c’est que si
Billy n’est pas sauvé, si
Billy perd les pédales, des mondes entier disparaîtront. Des populations, des innocents, des gens bien.
Elle disparaîtra.Si elle est venue dans cette dimension, c’est pour lui. C’était sa mission, de faire en sorte qu’il ne lui arrive rien. Pour la première fois de sa vie, elle a échoué de manière magistrale, et elle a du mal à supporter l’idée. Alors bien sûr, elle se dit qu’elle n’a peut-être pas sa place ici. Que peut-être, ce n’est pas à elle de faire ça, qu’elle ne peut rien empêcher. Elle se dit qu’elle ferait mieux de faire ses bagages, d’oublier toutes ces conneries et de profiter d’une vie douce et calme au bord de la mer, sur les côtes du Portugal. Ça la démange, tous les jours un peu plus.
Ce n’est pas le premier endroit qu’elle voit s’effondrer. America a beau avoir seulement vingt-six ans, elle parcourt l’univers depuis plus de quinze ans maintenant. Les tensions, les crises, la désolation,
l’apocalypse, elle connaît. Ce sont presque de doux amis qu’elle retrouve régulièrement, à ce stade. Toutes les dimensions finissent toujours par imploser. Certaines renaissent de leurs cendres, d’autres pas. America a vu des tas de gens mourir, des tas de gens abandonner. Ça ne l’a jamais dérangé d’ouvrir un portail et de se tirer, vite fait, bien fait. Mais cet endroit devait être spécial. Ce
Billy est spécial. Alors elle doute, pour la première fois de sa vie, elle doute.
Il ne s’agit que de la mission, bien sûr. Il n’y a rien d’autre.
America n’est pas comme ça. Elle ne
s’attache pas.
Quand elle remplit un vieux sac à dos qu’elle a trouvé dans la réserve de conserves et de fringues, elle ne sait pas encore très bien ce qu’elle fait.
Elle doit sortir d’ici. Ça, elle en est certaine. Elle ne sait pas vraiment où elle va aller, mais elle doit s’en aller quelques temps, prendre l’air.
Le truc, c’est qu’elle ne sait pas encore si elle va revenir.
Elle compte partir comme elle le fait d’habitude : dans le dos de tout le monde. Elle fera en sorte de les éviter, ouvrira un portail le plus discrètement possible (là est le plus grand challenge), et ce sera comme si elle n’avait jamais été là. Noh-Varr sera sûrement extrêmement en colère, mais il a déjà une image terrible d’elle, alors elle ne fera que confirmer ce qu’il sait depuis le début - ce n’est pas grave. Elle s’en fiche, de toute manière. Rogers sera aussi sûrement peiné : elle lui aurait été bien utile, sans aucun doute. Elle a du respect pour ce mec, vraiment. Mais sa quête est vaine, qu’il le veuille ou non. Elle trouve ça courageux, de se battre pour ce en quoi on croit. Mais ça la conduira à la mort, comme tous ceux qui ont essayé avant lui, dans d’autres mondes, dans d’autres réalités. Quant à Billy… Eh bien… Quelqu’un de plus doué qu’elle arrivera peut-être à le protéger. Elle n’est pas
fit pour le job, elle l’a bien compris. Elle préfère ne pas penser à ce que
Cassie pensera. Ce n’est pas important. Ils seront tous morts d’ici quelques mois, sans le moindre doute, alors ça ne sert à rien qu’elle reste.
Elle jure en faisant tomber une conserve à ses pieds, la ramasse et la fourre dans le sac d’un geste un peu brusque. Elle ne sait pas vraiment pourquoi et envers qui elle est en colère, elle se sent juste saoulée de toute.
« What the fuck are you doing ? » La voix la surprend, et elle relève les yeux vers le placard qu’elle a presque vidé, en face d’elle. Elle pousse son sac à dos dans l’évier pour que Noh-Varr ne pose pas les yeux dessus et se retourne, les bras croisés.
« That’s none of your business. » dit-elle, sur la défensive.
« Go back to your vinyls and let me live, for god’s sake! » Elle ne croit même pas en dieu.