it's a revolution, i suppose Purifiers • set them on fire | | | JEREMIAH REAGAN évolution du personnageJournal de Bord - Souvenirs Novembre 1995 → Je ne suis pas rentré à la maison, Stryker et moi sommes allés au bord du lac. Nous sommes à quelques kilomètres de la maison, à peine. Je suis perdu dans le sang qui a séché sur ma peau et mes vêtements. Je suis descendu de la voiture, hébété par ce qui vient de se passer et me voici maintenant à genoux, face à moi-même. Mes oreilles sifflent, j'ai toujours le poing américain sur la main, j'entends les os se fracasser sous mes coups, sous mon délire meurtrier. Je le lâche soudainement. Autour de moi, le monde vient de s'arrêter de tourner. Les nuages gris se sont suspendus au-dessus de nos têtes, comme si Dieu venait me foudroyer lui-même. Mon cœur s'est arrêté de battre, je ne sens plus rien. Même les lèvres sont mortes, un filet de bave se glisse le long de mon menton quand j'essaie d'articuler... quoi dire ? Je la connaissais putain ! Je suis allée chez elle plusieurs fois, elle nous a préparés des chocolats, elle m'a demandé comment se portaient mes parents, elle a offert des peluches à Sarah quand elle est née, elle a contribué à rendre cette ville meilleure. Et je viens de la massacrer, je ne pouvais reconnaître son visage, même son fils n'y parviendra pas. L'orage gronde, c'est pour maintenant. Bill se glisse derrière moi, me saisit sous les aisselles pour me forcer à me mettre debout. Je ne serai plus jamais debout, je ne serai plus qu'un homme à genoux.
Il s'énerve, je l'entends jurer. Mes yeux sont grand ouverts sur la désolation de mon monde qui vient de s’effondrer. Des renards, un loup, du cerf, je pouvais sans remords. Mais elle... je regarde ma main serrée. Finalement, je me campe à peu près sur mes jambes. Il vient en face de moi, capture mes joues entre ses mains et j'aperçois le sourire de la fierté. Le prix que je viens de payer pour avoir ce sourire est trop cher pour moi, renvoie-moi dans le passé, avant que le point de non-retour soit franchi ! Renvoie-moi là-bas Seigneur ! Je retiendrai mon poing, je la sauverai de son funeste destin ! Je t'en supplie, renvoie-moi où tout n'est pas perdu. Renvoie-moi quand mon cœur bat encore. Renvoie-moi où je n'aurai pas de sang sur le visage. Je t'en supplie, écoute-moi... Puisse-t-il encore m'entendre maintenant. Bill me demande sèchement de me débarbouiller avant de rentrer chez moi. Il me lâche, je reste dans la même position, interdit. Ce n'est pas de la boue sur moi, comment pourrais-je faire ? Je ne bouge pas, même quand j'entends la portière claquer et le moteur tourner. Je n'ai pas mon téléphone sur moi. Je voudrais appeler Lewis, le supplier de venir me chercher. Quand c'était mon sang, que mon nez saignait parce que mes coups n'égratignaient pas, il apparaissait soudainement et je me sentais en sécurité avec lui. Excuse-moi, pardonne ma colère mon frère et maintenant, apparais devant moi pour me remettre debout. Sans toi, je ne serai plus jamais debout, je ne serai plus qu'un homme à genoux.
J'ignore combien de temps je reste ainsi, dans la contemplation morbide de cet assassin, qui n'est pas moi. Je ne suis pas cet homme-là. Parce que je n'ai que quatorze ans, je ne peux pas être lui. Je le regarde de loin, comme une bête curieuse. Je le regarde alors qu'il se met enfin à plier et déplier les doigts de sa main droite. Nos regards se croisent, ne me dis pas que tu es désolé, tu ne réalises pas encore assez pour l'être. Je ferme les yeux, je suis dans le corps de cet homme. Je réfléchis, et le pire se produit. Je pense à l'enquête, je pense au sang dont je suis couvert, je pense que je suis coupable. Mais n'ai-je pas fait ce qu'il fallait faire ? Ce Jeremiah du futur qui aurait eu la mort de cinq personnes sur la conscience, ne serait-il pas plus abattu que moi ? Je me mords furieusement la lèvre puis descends au bord du lac. Mes yeux se gorgent de larmes qui ne veulent pas m'abandonner. Je nettoie mon visage en premier lieu, je souille l'eau du lac. Le sang se dilue difficilement. De l'autre côté de l'eau, un sanglier m'observe. Je ramasse une pierre à mes pieds, la déloge et la garde en main un moment, immobile. Le sang ne partira pas de mes vêtements. Je me frappe violemment les côtes. Je lâche un râle de douleur mais je sais encaisser, j'ai toujours su encaisser à défaut de rendre les coups. Mais dès aujourd'hui, je ne serai plus jamais debout, je ne serai plus qu'un homme à genoux.
Je frappe, une fois, cinq fois, dix fois. Mon ventre, mes épaules, mes cuisses. Je frappe autant que nécessaire puis je m'assieds dans l'eau. Combien de fois resterai-je ici ? Aucune idée, j'attends qu'il se mette à pleuvoir. Bien joué, fiston, a-t-il osé me dire ? La vie n'est-elle qu'un jeu pour lui, un putain de jeu sanguinolent où la vie que Dieu a donnée est misérable, méprisante et méprisée ? Est-ce vraiment le Diable qui les a crées ? Pour ne pas perdre définitivement la raison... Bien sur que c'est le Diable. Le démon est partout, et le doute m'aidera à rester un humain parmi les Démons. Je serai humble mais je serai le soldat du Seigneur tout puissant si c'est là le destin qu'il m'a choisi. Je frotte ma peau, au-delà du sang, une couverture bleue commence à couvrir mon corps. Je me sens bien, je suis prêt à rentrer chez moi. Je fais le chemin en me tenant les côtes, j'ai dû en fêler ou en casser une, mais alors ? Et alors ? Peu importe mon corps, je me bats désormais à genoux contre les monstres plus puissants. Papa dit qu'il faut simplement trouver leur faiblesse. S'il croit que mon humanité sera la mienne, ils ont tort. Aucun d'entre eux ne sera épargné. Aucun. Je me répète ces tendres paroles sur le trajet et quand je franchis la porte, ils sont à la maison. Quelques regards se tournent vers moi et anticipant d'éventuelles questions, je marmonne simplement : « Je me suis fait coincer par un sanglier, ça va. » Du coup, j'ose espérer que j'anticipe leurs inquiétudes. Papa ricane, comme si je venais de tomber de balançoire. Mes vêtements sont encore rosis par le sang que je n'ai pas pu laver, je suis trempé, mort de froid et couvert de bleus. Mais bon, apparemment tout va bien. J'aurais dû m'ouvrir la gorge pour avoir un peu de compassion, bordel ? Je secoue la tête et puis aperçois celle d'un énorme sanglier gris sur la table. Mon paternel, piquant, me lance « c'est peut-être celui-là ? Après deux mutants, il nous est littéralement tombés dans les bras ! ». J'esquisse un sourire malade, ouais c'est celui-là... Je ferme la porte derrière moi : « Vous devriez fermer... il y a des gens dangereux ici... » Je rejoins ma chambre en passant rapidement devant celle de Lewis, il se lève, je ne m'arrête pas et m'enferme. Je cale mon dos contre la porte, me laisse glisser et reste assis sur le sol. Plus rien ne nous arrêtera désormais. Je me mets à rire nerveusement, j'en ai mal aux côtes, mais je ris, j'ai mal, je ris aux éclats.
Janvier 2013 → Bonjour Ellen, bonjour jolie petite Ellen, avec tes yeux en amande... Bonjour petite Ellen. Tu passes devant moi, je suis attablé, en train de lire. Mais peu importe les textes quand tu passes, je te fais un petit signe de la main, le sourire aux lèvres. Tu ouvres une petite parenthèse à chaque fois que tu entres dans la même pièce et tu ouvres mon cœur quand tu souris. Je me lève à ta suite alors que tu commences à parler avec Lewis. J'esquisse un sourire en coin, passe derrière toi, contre toi. Finalement, je m'assieds à tes côtés. J'essaie de ne pas voir la bague à ton doigt, je voudrais la faire disparaître en claquant des doigts. Je voudrais être le premier, chaque matin, à voir tes yeux s'ouvrir sur le monde, je voudrais être le gardien de tes rêves. Mais il y a un autre homme, je ne suis pas du genre à éliminer la concurrence. Bien entendu, ce serait facile de le faire tuer par les Watchers ou même d'y aller moi-même. Mais tu es heureuse, et c'est ainsi que tu me plais, heureuse.
Parfois, dans le flot de mes pensées, je m'imagine prendre ta main dans la mienne. Je m'imagine prendre tes lèvres dans les miennes. Je m'imagine prendre tout ce qui fait de toi celle que j'aime. Je soupire, lance un regard vers Lewis qui te prépare quelque chose. Je glisse un sourire vers toi, une main sure dans ton dos et t'embrasse simplement sur la joue. « Toujours aussi ravissante, Ellen. Bonne année. » Et en même temps, c'est plus simple pour moi de fréquenter une veuve qu'une femme mariée. Le divorce tu vois... ça reste un peu délicat. Je retourne m'asseoir, entre mon livre et mon verre. J'essaie d'apprendre le français. Une fois que j'ai acquis quelques bases, j'ai abandonné les guides de conversation pour des romans bilingues. Ça prendra plus de temps mais ce sera tout de même plus agréables. Et toi, toi ma petite Ellen, tu es une fleur du mal. Je porte mon verre à mes lèvres, je t'observe discrètement. Hey jolie môme, réveille-toi, viens vivre ta vie loin de ces fantômes. Tu es légèrement arrondie encore, d'avoir porté la vie neuf mois. Tu sais Ellen, je m'occupe bien des enfants, je dois avoir un peu l'air d'un enfant parfois. Quand je leur souris, quand je leur dis que c'est un jeu, ils y croient. Je te prendrai la main jolie Ellen, je te dirai que c'est un jeu et on partira. Et on partirait... Si seulement c'était possible.
Je reçois un message. Pas sur mon téléphone perso, l'autre. Je garde mon téléphone perso pour ma famille et mes amis. Pour le reste, je prends un prépayé et j'en change régulièrement. Ce serait vraiment trop con qu'on me retrouve avec un téléphone dans lequel défileraient des ordres douteux. Je le mets dans mon sac, croise le regard de Lewis. Il comprend, il me connaît mieux que je voudrais l'admettre. Je fixe les gens dans les yeux, mais soutenir celui de Lewis m'a été longtemps difficile. Il s'est passé trop de choses, j'ai trop de rancœur, je m'en rends bien compte. Quand je regarde Ellen dans les yeux, il n'y a rien qui ne soit déjà brisé, nous n'aurions rien à réparer. Elle me connaît simplement comme ça. Elle me voit lui sourire, elle me voit un livre dans la main, le cœur piégé dans l'autre. Voit-elle que je craque ?
J'ai... j'ai besoin de ce regard dans lequel me perdre. Je voudrais m'enfermer dans une parenthèse pour pouvoir y respirer, y pleurer, y hurler, y rire. Cette ville empeste le sang et la mort, j'aurais simplement envie de pouvoir me perdre. Je voudrais faire comme si je ne m'infligeais pas ces responsabilités, jouer à faire semblant. Je voudrais jouer à prendre ma voiture et rouler droit devant moi, je voudrais jouer à l'embrasser, je voudrais jouer à baisser les armes, je voudrais jouer à respirer à pleins poumons. Mais tu joues déjà Ellen, avec un autre homme, avec ton enfant. Je me dirige vers la porte. « On se voit ce soir Lewis ? » Je pose le regard sur elle : « À la prochaine » Je m'en vais tuer, je m'en vais me tuer un peu plus.
Février 2016 → Je file à manger aux poissons rouges et je – OUAIS parfaitement j'ai des poissons rouges ! Bref, je file à manger aux poissons rouges. Tout est prêt, rien ne peut rater. Je passe la main dans mes cheveux, rien ne peut rater. Je suis tendu parce que les heures filent trop vite et que le grand jour est demain. J'ai tenu les miens à l'écart parce que je savais qu'ils n'approuveraient pas mais ces événements vont être décisifs presque, ils seront un énorme pas en avant. Je prends mes affaires et sors à l'extérieur. J'ai besoin de respirer et surtout, j'ai besoin d'être sûr.
Certains prendraient cela pour de la cruauté, je prends ça pour de la pitié. Je me rends à l'hôpital ciblé par les attaques de demain. Je vais discuter un peu avec la personne à l'accueil, elle me connaît, il m'arrive de passer régulièrement. Je vais au service pédiatrique et me rends au chevet de deux enfants que je connais pour les avoir rencontrés à leur arrivée ici. Jenna et Patrick, frères et sœurs, grands brûlés. Je leur offre mon plus grand sourire – certes avec le masque, ils le devinent plus qu'ils ne le voient – et m'approche de leurs lits voisins. « Salut les moustiques, comment vous allez ? » Je tire un tabouret, m'assieds entre eux. Je ne les imagine pas mourir demain, je ne peux pas me dire que Yvette, à l'entrée, ne pourra pas voir grandir son petit garçon. Cet infirmier, là-bas, va-t-il perdre l'usage d'un membre ? Se réveillera-t-il chaque nuit en revoyant les cadavres brûlants que nous laisserons derrière nous ? Ils se demanderont pourquoi, pourquoi eux. Pourquoi les faibles, les innocents, les civils. Mais ils ne sont plus des civils, depuis longtemps. « Tu as l'air tout triste, Pasteur Reagan » me dit Jenna avant de me tendre généreusement son lapin en peluche, pour qu'il me réconforte. Je baisse les yeux sur l'animal et lui dis simplement que le personnel va devoir le désinfecter maintenant que je l'ai eu entre les mains. « Mais non t'es bête, il est pour toi. Il s'appelle Lapinou, tu t'en occuperas bien, ? Tu promets ? » Je serre la peluche contre moi. Surtout qu'elle n'est pas prête de revoir sa bestiole. Je hoche de la tête et je me résous à devenir le nouveau protecteur de « Lapinou ». Finalement je pose le bord de ma tête contre son lit. Son petit frère me demande à quoi je pense...
« Dites les enfants je voudrais qu'on fasse un exercice ensemble. Vous êtes prêts ? Oui ? Fermez les yeux, fort fort fort. Jenna je te vois. Voilà. Maintenant je veux que vous pensiez à un endroit fantastique, un endroit où vous êtes en sécurité, un endroit magnifique, qui sent bon avec de la musique. Vous le voyez ? » « Oui oui ! » crie le petit garçon. Je leur souris, voyant qu'ils ont toujours les yeux fermés. « Quand vous aurez peur... Je veux que vous fermiez les yeux et que vous pensiez fort fort à cet endroit. Promis ? » Ils ouvrent les yeux, s'exclament que c'est promis. Je me lève, leur envoie un baiser d'un geste de la main. Je prends soin de ne pas oublier Lapinou. Adieu les enfants.
Je salue aussi Yvette, à l'entrée. Je sors, je fais quelques pas puis vais me réfugier au coin d'une rue. Je me mets à genoux, retiens un haut-le-coeur brûlant. Je pourrais les faire sortir, je pourrais demander qu'on les transfère... Mais rien ne doit paraître suspect. Je retire les bracelets que je porte au poignet gauche, je les pousse puis d'un petit coup de canif, je fais une griffe. Une petite griffe de plus parmi les dizaines qui se cachent sous ces bracelets. Ce sont pour la plupart des longs chapelets de perles fines que j'ai enroulés là. Les croix sont écrasées sous les perles, mais elles sont au plus près des cicatrices. Ce poignet, sur quinze centimètres, en est plein. Parce que je dois me souvenir, tout le temps. Je dois me souvenir et ne pas craquer, jamais. Je me redresse. Je souffle un bon coup. C'est une journée normale, après tout. Non ?
Juillet 2016 → Il est assis en face de moi, je balade le bout de mon index sur le verre maintenant vide. La nuit est tombée, je ne me suis pas coupé. J'ai passé un long moment, mon téléphone entre les mains, à me demander si je devrais appeler Lewis, à me demander quand je devrais appeler Sarah, à vouloir dire à Aaron que quoiqu'il arrive, je resterais près de lui. Mais je ne veux pas lui mentir. J'ai toujours cru que ce serait plus profitable pour lui d'avoir un automatique dans la main, plutôt qu'un crayon. Mais j'en viens à me demander ce que ça lui apportera de plus ? Il sait se défendre, il comprend la menace qui nous guette. N'est-ce pas plus utile ainsi ? Ne peut-il pas devenir un Watcher endormi, qui ne se réveillera que lorsque ce sera nécessaire ? Je fais tourner mon téléphone sans trop tenir compte de la présence de l'homme en face de moi. Les morceaux d'une arme attendent leur moment de gloire.
Il est assis en face de moi, je balade le bout de mon index sur le verre maintenant vide. Il doit m'annoncer une nouvelle, une terrible nouvelle. Avez-vous des enfants, m'avait demandé cette femme dans l'Église. Je n'en ai pas, que pourrais-je leur laisser ? Je me suis souvent imaginé avoir des enfants pourtant. Dès que j'ai croisé ses yeux, elle qui dessinait aussi, d'ailleurs. Je ne me souviens pas de leur couleur, mais elle les avait beaux. Elle avait cette façon de poser sa main contre la mienne quand les mots dépassaient la pensée, elle me demandait souvent de quitter cette ville où j'avais mes racines. Elle voulait tout arracher, et que nous construisions ailleurs. Elle voulait déraciner, et c'est ce que je ferai, quand j'aurai des enfants. Je les arracherai à cette terre sur laquelle plus rien de bon ne peut pousser. Je les arracherai à ce destin de perdition, je les éloignerai de tout ça. Ils ne deviendront jamais nos soldats.
Il est assis en face de moi, je balade le bout de mon index sur le verre maintenant vide. Il prend le temps de le remplir. Je lève les yeux sur lui, quelque chose ne va pas. Il est un Watcher depuis bien longtemps, il était d'accord pour les attentats, il a tué en risquant sa propre vie si souvent, il s'est sali les mains et a été brûlé au 3eme degré sur la jambe, il a cru perdre la vue un jour, il a été manipulé telle une marionnette et a tué sa femme, il a cru mourir mais s'est toujours relevé. Toujours. Il termine de verser, et une goutte d'alcool tombe à côté du verre. C'est l'histoire de notre famille, une goutte à côté du verre. Nous avions un code et maintenant, ils refusent d'admettre qu'il est obsolète. Il ne pourra plus sauver l'humanité. Et je ne le pourrai pas seul non-plus. J'y pose mon doigt, dessine un cercle sur le bois de la table puis lève les yeux sur lui, il croise mon regard. Pas plus d'alcool, je n'aime pas boire, je n'aime pas perdre le contrôle. Qu'adviendra-t-il quand je le perdrai vraiment ? J'ai déjà tellement l'impression de sombrer dans une folie schizophrène... de laquelle je ne peux pas m'extraire.
Il est assis en face de moi, je balade le bout de mon index sur le verre maintenant plein. Je retire ma montre, la pose délicatement sur le côté. Il est presque 23h. Je prends le chargeur en main, je vois une étincelle prendre vie dans son regard quand je me mets à le manipuler. Ah, est-ce que ça signifie qu'il va falloir abattre quelqu'un ? Alors qu'il me donne un nom, qu'on prépare un plan, qu'on fasse quelque chose. Il tend un briquet vers moi, je constate que sa main tremble. Je tire doucement une cigarette du paquet et en allume l'extrémité. Des mauvaises, que des mauvaises habitudes. Je jette un œil sur mon téléphone, qu'est-ce que je peux faire de plus ? Qu'aurais-je dû faire de moins ? Et à cet instant, je me demande si nos parents sont au courant, qui de plus est au courant pour les attentats de février ? Il a fait lourd aujourd'hui, trop lourd. Je frotte mon front du revers de la main puis glisse mon regard sur l'extérieur. C'est un quartier miteux. Normal, depuis qu'il a tué sa femme, il reste caché. Le fait qu'un mutant l'y a poussé n'a pas été retenu, il s'est enfuit la veille de son procès. Je tire sur le bâton de nicotine puis attends quelques instants pour réussir à expirer la fumée.
Il est assis en face de moi, je balade le bout de mon index sur le verre maintenant plein. Je noie mon regard sur les reflets ambrés que je ne porterai plus à ma bouche. Finalement, il se met debout. Je lève les yeux sur lui, mon visage se ferme. Je sens tous mes muscles se tendre, la pression de mes lèvres sur la cigarette s'accentue. Pas parce qu'il joue avec son propre flingue en face de moi, pas parce qu'il est en position de force, mais parce qu'il a peur de quelque chose. Sa main tremble autour du briquet, il passe la langue sur ses lèvres, cligne plusieurs fois des yeux. Ça s'annonce très mal pour lui en fait. Je retire mon doigt du verre. Lâche le chargeur sur la table. J'éloigne la cigarette de mon visage puis viens la laisser tomber dans le verre. Je me mets debout, prendre une profonde inspiration puis lui demande sèchement de s'asseoir. Il fait un pas dans ma direction, garde l'arme en main même quand il frotte son front. « Assis » insiste-je sans trop élever la voix. Il est un peu plus grand que moi, je remarque maintenant des éclaboussures de sang au-dessus de son épaule. Finalement, il baisse la tête avec résignation puis reprend place. Je fais de même.
Il est assis en face de moi, je ne balade plus le bout de mon index sur le verre maintenant plein, et orné d'une cigarette à peine consumée. « C'est Aaron » dit-il. Je fronce les sourcils, attends quelques instants avant de lever les yeux sur lui. Dès lors, je me prépare à toutes les solutions plausibles. L'une d'entre elle étant que le reste de ma fratrie l'a suffisamment éloigné pour le mettre en sécurité, loin de ce malade de Jeremiah. Un sourire vient se dessiner sur mes lèvres. Je suis le seul qui puisse prendre cette décision, et s'ils l'éloignent de moi pour briser ce que nous avons construit, alors je pourrais le retrouver. Mon sourire s'agrandit, ma main se met à serrer le verre. L'autre solution serait simplement qu'il est mort, tout bêtement. Avez-vous des enfants ? Non, j'ai autre chose. Aaron est ma chose, à moi. Je l'ai sculpté, ils ne peuvent pas démolir tout ce que j'ai construit. Quel que soit le traitement qu'ils lui réservent, je laisserai mon empreinte sur lui. Et s'il est mort, je ne m'énerverai pas. Nous sommes tous mortels, nous ne sommes que des hommes. Je constate du coin de l’œil que l'arme du Watcher est en train de s'orienter dans ma direction. Je reprends le chargeur dans ma main et fais mine de jouer avec. Je regarde les pièces sur la table, je les évalue. Je les assemble dans ma tête. Finalement, il change l'orientation de son arme. Oh non, je ne vais pas m'énerver. Non, si quelqu'un lui a fait du mal, il regrettera de ne pas avoir été crucifié. La crucifixion, une lente agonie. Les bras se déboîtent, le corps s'écrase sur lui-même. Les poumons subissent tout le poids du tronc. Non, je ne vais pas m'énerver. Mais s'il ne me dit pas où est Aaron, je vais redevenir ce fou furieux dont ils craignent ou apprécient la compagnie...
Il est assis en face de moi, je ne balade plus le bout de mon index sur le verre maintenant plein, et orné d'une cigarette à peine consumée. Il va falloir qu'on y vienne, qu'il me dise ce qu'il a à dire. « C'est un mutant. » Je marque une pause. J'essaie de comprendre ce qu'il a dit. C'est un mutant... qui l'a tué, dépecé, violé, kidnappé ? C'est un mutant quoi ? Ses mimiques me paraissent soudain assez logiques finalement. Et pourtant, il fait erreur. Parce que mon frère n'est pas un monstre. Je dessine un nouveau sourire sur mes lèvres. Je retire une balle du chargeur et me mets debout. « Les mots, les mots, les mots... Regarde bien, je vais me mettre une balle dans la tête. » Je mets la balle dans ma bouche, et agrandis mon sourire avant de la cracher sur le côté. Mes mains se posent de part et d'autre de la dite table. « Alors il va falloir que tu sois un peu plus précis. » Parce que je pourrais accepter qu'il ait été tué par un mutant, c'est un risque que j'ai envisagé. Mais pas qu'il en soit un. Qu'est-ce qu'il veut ? Il voudrait que je tue Aaron ? Cela arrivera probablement mais je lui laisserais deux heures d'avance, je lui dois bien ça. Et puis je le retrouverai. Et je le tuerai. C'est ce qu'il veut, ce Watcher courageux, que j'aille m'occuper d'Aaron ? Que je glisse un baiser sur son front, et lui tranche la gorge ? Il veut que je chante une berceuse à son cadavre ? Je le ferai, je le ferai si c'est nécessaire. Mon sourire s'efface brutalement. Il ne peut pas vivre avec un tel fardeau, il ne le doit pas. Il ne peut pas survivre.
Il est assis en face de moi, je ne balade plus le bout de mon index sur le verre maintenant plein, et orné d'une cigarette à peine consumée. La balle que j'ai recrachée a tourné un moment sur le sol avant de s'arrêter. Un peu plus précis, que je sache de quels sentiments je vais devenir la marionnette. Je glisse doucement mes doigts autour du canon de son arme, je les laisse glisser délicatement en m'approchant de lui et une fois ma prise assez ferme, je la lui prends. Je la jette à l'autre bout de la pièce. Il faut que je sache. Et le reste de ma famille, sont-ils au courant ? Vais-je devoir enterrer mon propre frère ? Et surtout, est-il déjà mort ou devrais-je l'enterrer vivant, afin de camoufler au monde cette abomination ? « Aaron est un mutant. » Je lève les yeux au ciel. Jamais je n'aurais cru entendre cette phrase. Jamais. Pourquoi est-ce qu'il dit ça ? Ce ne sont que des mensonges, c'est une erreur. Je vais caresser les cheveux d'Aaron puis lui briser la nuque. Aaron est un mutant. Aaron est alors mort. Un monstre a pris sa place. Tout est terminé. C'est ce qu'il me reste à faire, l'ultime épreuve du Seigneur ? Va sur la montagne et tue ton fils. Va à travers la ville et décapite son petit frère. Et au dernier moment, Il me parlera, il me dira de ne pas le faire. Je passe la main sur mon visage. J'écarte la crosse et un silencieux pour pouvoir m'appuyer sur le bord de la table. Sa main vient se poser sur mon épaule, il se veut réconfortant : « Ce n'est pas ta faute. » Bien entendu que ce n'est pas ma faute. Ai-je engendré la chose ? Bien sur que non. Je place mon crâne entre mes mains. Laisse-moi quelques instants...
Il est à côté de moi, sa main est sur mon épaule. Cet enfant, je l'ai vraiment rencontré quand j'étais déjà devenu Pasteur. C'est ainsi qu'il me connaît, c'est ainsi qu'il m'a toujours vu. Il ne connaît pas mes mots d'enfant, il ne connaît pas mes promesses scellées en serrant l'auriculaire de quelqu'un d'autre, il ne connaît pas les cabanes de draps blancs dans le jardin, il ne connaît pas nos adieux. Il ne nous connaît qu'ainsi. Il saura, il comprendra. Il n'a pas d'illusions, il n'espère pas me voir changer, redevenir cet autre qu'il n'a pas connu de toutes façons. Il comprendra ma décision. Si je tue, ce n'est pas que je lui en veux, ce n'est pas sa faute. Mes muscles se contractent. Je tends la main devant moi, je ne tremble pas. C'est donc que je suis sûr de ma décision. Le sang... ce n'est que du sang après tout. Ça ne change pas mes sentiments, ça ne change pas ce que je suis et le but que je poursuis. Mais s'il faisait erreur... ? « Tu as mal vu. Ou mal interprété ce que tu as vu. » lui dis-je après avoir longuement raclé ma gorge. Je manque de salive. Ce n'est pas une question, c'est l'explication. La seule possible, la seule crédible. Parce que ce n'est pas un mutant. Je ne peux pas mettre un contrat sur sa tête. C'est ce que m'ont enseigné Sarah et Lewis. L'une n'est pas ma recrue. Le second n'est pas mon ennemi. J'ai besoin de temps pour réfléchir, pour envisager la chose, et trouver une solution. Je trouverai une solution, aussi horrible soit-elle. Les sacrifices, j'y consentirai. Le pêché mortel ? Je le baise. Je trouverai une solution. Je retire mon chapelet de mon cou et regarde la croix qui se balance au bout. J'y pose mes lèvres. Pardonne-moi. Tu m'as donné une Famille, Seigneur, et vois ce que je compte lui faire. Je vais la soulager d'un membre malade. Aide-moi, aime-moi ! Aide-moi à être fort. Aime-moi même quand je fais couler le sang. Ce sang que je devrais protéger. Je retourne la croix face contre la table.
Il est à côté de moi, sa main est sur mon épaule. Cet enfant, c'est Aaron. Je ne peux envisager qu'il soit des leurs. Oh, ma montre. Je la repasse autour de mon poignet. Je n'entends pas ce que me répond le Watcher. Et pourtant, j'aperçois ses lèvres bouger, je sens la pression sur mon épaule qui s'accentue. Alors pourquoi je n'entends pas vraiment ce qu'il essaie de me dire ? Qu'est-ce que je n'assimile pas ? Je pivote doucement sur moi-même, je l'observe. Chut, tout va bien se passer. « Dieu me pardonnera-t-il cet acte innommable ? » Il semble soulagé. Parce que je ferai ce que je dois faire. Il sait que je suis prêt à tout, il me connaît bien. Ils me connaissent tous, ils savent comment je suis. La mort n'est pas la fin du chemin. Ils seront tous reçus au Paradis. Aaron le premier. Il retrouvera sa pureté d'antan, quand il sera là-bas. Moi. Nos parents. Cet homme-là qui finit par lâcher mon épaule. Nous serons graciés, un jour. Je demanderai pardon pour le crime que je commettrai, pour tuer celui qui ne mérite pas de mourir, je paierai un jour. En attendant, je demanderai pardon. Inlassablement. Vers qui puis-je me tourner pour avoir un conseil ? Qui serait assez éclairé, assez détaché pour me dire ce que je dois faire ? Je jette un œil vers mon téléphone, je sais ce que Bill me dira de faire. Il a raison.
Il est à côté de moi, il a cessé de parler, s'est tu quand je l'ai interrogé. Dieu, pour lui, ce sont des foutaises. Il pourrait bien dire « oui » juste pour que je passe à l'acte. Il me dit que je dois le faire. Ça implique qu'il ne pense pas se tromper, non... il ne m'aurait pas fait venir dans cette planque miteuse pour me servir un whisky bon marché s'il avait eu le moindre doute. Mon visage se tord dans une expression qui se déchire entre la colère et la tristesse. Aucun doute, mon petit frère est un damné, perdu à tout jamais... sauf si Stryker trouve vraiment un moyen de les débarrasser de leur mutation... J'ai pour ainsi dire le double de son âge. À dix-ans, je pensais qu'être Pasteur me permettrait de me battre différemment... Finalement, on en revient toujours aux bonnes vieilles méthodes.
Il me dit que je dois le faire. Je passe la main sur mon visage. Dehors, il tombe quelques gouttes. Est-il sûr de ça ? Que se passera-t-il quand j'aurai tué l'un de mes frères ? Si ça se sait ? … Il me dit que je dois le faire. Je ferme les yeux une seconde. La croix est face contre la table, personne ne nous verra. Dieu a détourné le regard, depuis bien longtemps. Je ne veux pas lui faire de mal, il a bon fond... Je ne peux pas lui faire de mal. Je frotte mes paupières de mes index et pouce. « Dieu me pardonnera-t-il cet acte innommable ? » Il me dit que je dois le faire. Arrête de dire ça. C'est la seule solution pourtant. Je me mords la lèvre, je dois prendre ma décision rapidement. Je prends mon téléphone, abandonnant le chargeur, abandonnant le Watcher, abandonnant le dilemme... Ma décision est prise. Le Watcher a raison, et je sais que j'ai raison aussi. Il dit que je n'ai pas le choix. Je ne l'ai plus depuis bien longtemps. La jeune femme de l'Église avait aussi cette impression. Mais je ne suis pas un otage, pas une victime. Je suis lucide. Cette situation, c'est moi qui l'ai engendrée. Je n'ai pas été fait prisonnier, je n'ai pas été contraint. Cet bain de sang, c'est moi qui l'ai orchestré. Je cherche dans mon répertoire jusqu'à trouver le numéro d'Aaron. Je suis un monstre. Je suis un traître.
Il me dit que je dois le faire. Je passe la main sur mon visage. Dehors, il tombe quelques gouttes. Est-il sûr de ça ? Que se passera-t-il quand j'aurai tué l'un de mes frères ? Si ça se sait ? … Je compose le message. Je ne peux pas pleurer, je n'ai pas le droit. Pas quand c'est moi qui suis accusateur, juré et bourreau. Je n'ai plus le droit de verser la moindre larme, quoiqu'il arrive. Je me l'interdirai. Les seules larmes que mon corps versera devront être rougeoyantes. Je lève les yeux sur le plafond décrépi, quelques posters donnent une illusion de vie normale sur les murs. Comment sont les murs de ta chambre, petit frère ? Je compose le message. Je l'efface, je recommence. Je m'assieds puis cale mon front dans ma main. Je me sens nauséeux. J'envoie le message. Je claque le téléphone sur la table. Lui, en face de moi, se sent soulagé. Je le vois à sa cafe thoracique qui se renfonce dans son corps, une longue expiration. Je lui arrache l'arme des mains et la jette au loin, derrière des meubles tassés dans un coin de la pièce. Il n'y a pas de rideaux qui nous dissimulent, la pièce est divisée entre les lumières artificielles près des murs et les ombres de la nuit. Qu'il me laisse, qu'il ne me donne pas envie de la mettre dans ma bouche et de tirer. Qu'il me laisse en paix ! Qu'il me laisse faire ce que je dois faire !
Il m'a dit que je dois le faire. Qui est-il pour exiger que je distribue la mort ? Qui peut exiger ça de moi ? Pourquoi est-ce moi qui dois interpréter ce rôle macabre ? Ce soir, encore ? Je me couvrirai du sang d'un des miens, les giclures d'hémoglobine formeront les larmes que je ne verserai pas. Aaron, pourquoi faut-il que tu sois l'un des leurs ? Pourquoi est-ce que tu me fais, à moi ? Pourquoi tu ne t'es pas ôté la vie quand c'était encore possible ? Pourquoi tu t'accroches à une existence faite de souffrances ? Il t'a vu, Aaron ! Il t'a vu, putain ! Ton secret a été percé, il saigne, il saigne sur moi. Et demain, tout le monde saurait si je ne verse pas le sang ! Aaron, pourquoi est-ce que tu me fais ça ? Le contact de mon épaule sous mes doigts, moi qui t'amène contre moi. Veux-tu me retirer la beauté de nos souvenirs ? Rien que ma main te tendant un flingue est une belle image ! Moi venant m'asseoir sur le bord de ton lit pour te réveiller. Moi pansant tes blessures. Moi veillant sur toi ! Comme ce temps est loin, je ne veille plus sur toi, désormais. Je t'abandonne. Je te chasse, je te chasse de ma protection à partir de ce soir. Mon téléphone vibre. Tu as reçu le message. Viendras-tu auprès de moi, Aaron ? Non... il ne le faut pas... Ne viens pas, je t'en conjure !
Il m'a dit que je dois le faire. Qui est-il pour exiger que je distribue la mort ? Attends, reste chez toi. Reste où tu es. Attends. Je t'en supplie, attends. Je t'aime, oh oui je t'aime, idiot. Je ne sais pas comment vous le dire. Je vous déteste tous, et je vous aime ! J'allais tuer ton grand frère, tu te rends compte ? Et Sarah a porté cette arme à sa tempe. Cette image, elle me poursuit. Dieu m'a parlé. Tu comprends, ça ? Il m'a parlé quand il a arrêté le temps sur cette image ! Regarde, ce que tu as fait aux tiens ! Regarde Jérémiah, tu es coupable. Regarde un peu Jérémiah, le bien ne te sauvera pas. Il ne les sauvera pas. La mort que tu sèmes autour de toi ne les sauvera pas. Personne ne peut plus les protéger. Je lève les yeux. Seigneur, que dois-je faire. Je fais un pas sur le côté, marche sur quelque chose et m'accroupis pour ramasser l'objet. La balle que j'avais crachée précédemment. Est-ce là la réponse que tu m'envoies ? Vraiment ? Est-ce là ce qui me rachètera à tes yeux ? Je t'offre mon sourire malade, Seigneur. Je t'offre la vie d'un de mes frères, Seigneur. Ce soir, quelqu'un va mourir. Que ce soit lui, ou que ce soit moi. Si je meurs, je saurais dans un dernier soupir que j'étais dans l'erreur. Damne-moi, punis-moi si je faute. Je m'assieds à la table. Punis-moi ! Punis-moi ! Assassine-moi ! Mon sourire gagne mon visage ! Éclate-moi, Dieu tout Puissant ! Vas-y ! Déchaîne ta colère ! Je vais tuer, encore ! Encore !
Il m'a dit que je dois le faire. TU me dis que je dois le faire. Je prends une longue inspiration. Ça sent la pluie, la fenêtre entrouverte. Je passe l'avant-bras sur mon front, chasse quelques gouttes de transpiration qui descendent sur mon visage, cherchent à brouiller mon regard. Non, je dois voir, bien voir ce que je fais. C'est important. « Et si je te disais maintenant que dans deux mois, avec son don de contrôler le bois, elle va faire s'écrouler une grange et tuer cinq personnes ? » avait demandé Stryker. J'avais répondu : « Il faudra la punir ! » Je monte minutieusement l'arme, mais accélérant le geste au fur et à mesure. Il cherche son flingue à quelques mètres de moi. Chargeur, avec cette balle en moins. Il se penche et met la main dessus. Silencieux. Surtout le silencieux. Chaque chose à sa place. Chaque chose ! Il se redresse, se tourne vers moi. « Cool ? Passer mon aprem à l’écouter gueuler que je suis une lavette et que je devrais prendre exemple sur toi, tu trouves ça cool ? Pour toi peut-être. Je préfère rester ici et me prendre une mandale plus tard, merci bien » Et pourtant, cette fois, je ne resterai pas là à me prendre une mandale. Je termine de monter l'arme. Je me mets debout. Je l'oriente vers la tête du Watcher et je tire. Beaucoup de sang et des parties de son cerveau éclaboussent le mur derrière lui. Froidement, je baisse mon arme puis la mets à ma ceinture. « Il y a un point sur lequel tu avais raison, malgré tout. Je devais le faire. » Je m'approche du corps d'un pas plus léger et le regarde. Il a l'air surpris. Je pose mon index sur la partie du front restante et appuie une fois ou deux, comme s'il était toujours vivant : « On touche pas à mon petit frère. D'accord ? … Pas de réponse ? Je vais prendre ça pour un oui alors. »
Il m'a dit que je devais le faire. Je suis persuadé que maintenant, il le regrette un peu... Je baisse les yeux sur le corps inerte. J'ai tué l'un de mes frères, de mes frères d'armes. Je n'aurais pas dû, je le sais. Je savais que ce dilemme n'amènerait rien de bon. Il m'a dit de le faire, que je n'avais pas le choix. Je vais me rasseoir à ma place, balance le verre. J'aurais préféré qu'il prenne moins de temps pour retrouver son flingue, que ce soit lui qui me tue. Mais c'est ainsi. Je contemple la scène avec un œil vide, un œil extérieur, comme si ne s'offrait à moi qu'un tableau de la vie quotidienne, une nature morte banale comme une pomme sur une table. Et maintenant ? Je reste ainsi un bon moment, je ne sais pas combien de temps. Je jette un œil au message que j'ai envoyé à Rony, ça me semble pas mal. La tension qui s'était accumulée dans mon corps s'évade enfin. Je peux respirer normalement, contrairement à lui. Tiens, un bout de cervelle en vient à glisser jusqu'au sol après s'être décollée du mur. Je me remets debout, je me sens plus à l'aise pour parler, pour me justifier : « Je t'avais dit que tu avais mal vu, je ne l'avais pas dit ? Je ne dis pas que mes propos sont parole d'évangile mais quand même... Tu as cru que j'allais obéir comme un pantin ? Tu ne me dis pas ce que je dois faire ! Tu ne peux pas me dire ce que je dois faire ! Tu m'as énervé ! » Je m'allume une cigarette. Je le regarde dans les yeux et la clope au bec, je lui lance : « Et arrête de me fixer comme ça. » Je ressors l'arme, et vide finalement ce qu'il reste du chargeur dans le visage du malheureux. Je tire plusieurs fois sur ma cigarette. Là, au moins, il ne me regarde plus.
Rien à foutre de ce qu'il m'a dit. Quand j'ai presque terminé le bâton de nicotine, je me penche au-dessus de la flaque d'alcool et y appose mon briquet. Je m'éloigne quand les premières flammes commencent à lui dévorer les pieds. « Merci pour l'invitation. Merci de m'avoir réservé la primeur de ton information. Merci de ta confiance. Merci pour tout ! Ce fut une petite soirée très riche en nouveautés. Tu me fais verser le sang humain, tu es fier de toi ? Tu voulais Anarchy, c'est bien ça ? Tu l'as devant toi ! » J'écarte les bras face à son cadavre qui brûle bien. « Enchanté ! Je suis là, maintenant ! Grâce à toi, je suis là ! Merci, vraiment merci ! » Je soupire, récupère mes affaires et sors. Ce message à Aaron ? « Quoiqu'il arrive, n'oublie pas que je vous aime. » Maintenant, j'ai besoin de rentrer chez moi...
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Dernière édition par Jeremiah Reagan le Dim 5 Fév - 19:02, édité 3 fois |
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