Quand même, être son propre patron est franchement jouissif. On n’a pas à se plier à la volonté de qui que ce soit ; les gens vous regardent d’un autre œil, celui qui voit ceux qui ont réussis dans leur vie. Et puis il y a la satisfaction de pouvoir faire ce que l’on souhaite, comme on le souhaite. Dans le respect des lois, certes, mais on a bien plus de liberté de mouvement. Comme le fait de pouvoir organiser des concerts dans le bar à intervalles réguliers, histoire d’amener un peu plus de joie dans les cœurs en ces temps troublés. Gouvernement de merde. Je sais qu’en ce moment je risquerais gros à dire des trucs pareils, même en étant un simple et tout faible petit humain, sans rien de spécial hormis ma grande gueule et mes manières pas des plus raffinées. Sauf qu’il m’est quand même difficile de fermer ma mouille quand je vois ce que le gouvernement est en train de nous faire. Ce qui m’a valu plusieurs petites visites à l’hôpital pour me faire rapidement ausculter après une argumentation qui a fini de façon un poil trop mouvementée.

Alors évidemment, si j’ouvre ma mouille pour ce que fait le gouvernement, je ne suis pourtant pas bien téméraire et si on m’interroge je serais probablement tenté de dire ce qu’ils veulent entendre. Mais pas forcément ce qu’ils veulent savoir. Ah non, je suis un passeur, je fais une chose interdite et diablement dangereuse et régulièrement j’ai mon cerveau qui me demande « Ruddy, mais dans quoi tu t’es embarqué encore ? » ce à quoi je réfléchis quelques seconde, commence à paniquer que je sois parti un peu trop loin par rapport à ce que j’avais prévu, et que finalement, ma conscience revient et ajoute « ce qu’il faut pour que je puisse me regarder dans le miroir ». Car c’est cela. Je suis dans l’illégalité la plus totale officieusement (pas que j’ai un jour été un citoyen modèle, mais passons), mais je fais ce qui est, à mon sens, juste. Alors pourquoi devoir s’excuser ? Et puis ce n’est pas comme si j’exploitais ces pauvres mutants, ni que je blessais des gens. Je ne leur fait même pas payer le voyage ! A la limite s’ils veulent des provisions une petite aide histoire de pas me retrouver sur la paille bêtement, mais ouais, je suis un passeur qui n’a pas le sens des affaires, c’est la vie que voulez-vous ?

Mais bon, être son propre patron c’est cool. Mais quand dans votre bar vous avez deux pelés et quatre tondus à l’heure de l’apéro, ça devient très vite triste. Si, si, je vous jure. Alors en attendant que des clients arrivent, je lis le journal, ou je nettoie (pour la quarantième fois), le bar et quelques verres. On réarrange les bouteilles de liqueurs sur les étagères. Un coup par ordre alphabétique, un coup par ordre de puissance en degré d’alcool. Un coup par…goût personnels. Bref, je m’occupe. Et là je lisais tranquillement mon journal, ou plutôt je tentais de faire le sudoku du journal, et j’entends ma porte d’entrée qui s’ouvre à la volée et je relève vivement la tête pour voir un petit bout de femme débouler dans mon bar l’air apeurée.

"Hey Miss, tout va bien ? Besoin d’un remontant peut-être ?"

Quoi ? Si je pouvais lui vendre un truc au passage, pourquoi pas, hein ?