Les couloirs faisaient penser à tout sauf à leur réelle nature. Vu de l'extérieur, l'établissement ressemblait à un centre tout ce qui avait de plus banal et les décorations murales, ainsi que les couleurs, le laissait également présager ainsi. Il était alors assez difficile de croire que le bâtiment appartenait à une branche de l'Hydra, celle basée sur les expériences que bon nombre de défenseurs des droits de l'homme interdiraient. Avant, ce centre se trouvait en Sokovie, la terre natale de Zora et était mené par son père. Depuis sa mort, la fille du pays de l'est avait repris le flambeau et cherchait à retrouver les expériences réalisées par son paternel sur des patients plus ou moins consentant – et plus souvent moins que plus. Elle marchait dans les couloirs, le bruit de ses talons raisonnants en brisant le silence qui y régnait. Il y avait quelques personnes dans cet établissement mais l'endroit gardait un certain calme dû à l'insonorisation de la moindre pièce. Sa destination était l'une des salles de sport qu'elle avait aménagée au frais de l'Hydra. Il s'y trouvait l'une des plus belles créations de son père, avec les jumeaux bien évidement, le n°6. C'était assez curieux comme quoi la vie avait parfois un sens de l'humour assez approximatif. La créature avait disparu après son transfert dans les pays de l'est, évaporée en pleine nature et les évènements qui avaient suivi, le démantèlement d'Hydra et la mort de son père, n'avaient pas réellement aidé à retrouver sa trace. Il avait fait des siennes en Ecosse mais l'équipe d'intervention était arrivée trop tard. C'était un beau travail qu'il avait exécuté, celui pour lequel il avait été créé, cependant, ce n'était pas les bonnes victimes qu'il faisait. Zora avait tenu à rendre visite aux familles des victimes, se faisant passé pour l'émissaire d'une organisation quelconque. C'était un assassin, oui, mais pas des innocents. Puis, il était réapparu, ici, à New York et Hydra avait enfin réussi à le retrouver. Il avait suffi alors d'un petit coup de pouce, d'une fausse organisation aidant… "les gens dans son cas" et le tour était joué.
Elle poussa la double porte qui donnait dans la grande salle remplie de tapis mais également de machine de sport. Pour aider ces gens, l'exercice physique était primordial, un corps sain dans un esprit sain. Un rapide balayage de la salle et elle put enfin voir sa proie, un terme que l'on employait peu souvent pour décrire l'homme qui lui faisait face. Son porte document en main, elle attendit qu'il finisse son exercice en réajustant ses lunettes, uniquement là pour parfaire son déguisement. "Hum, hum !" elle attira son attention autant que faire se peut et s'assura qu'il avait bien remarqué sa présence avant de poursuivre. "Monsieur Blackwood, veuillez me suivre s'il vous plaît." Il était l'heure, après avoir libéré le corps de s'attaquer à l'esprit du pauvre animal. Elle pivota sur elle-même pour sortir de la salle sentant le fauve, sans réellement que ce soit la faute du N°6. Elle attendit donc à l'extérieur l'arrivée de son patient lui laissant le temps de se changer. Une fois rejoint, elle s'élança dans le couloir sans dire un mot. Des souvenirs lui remontait à la surface dans ce château de Sokovie, les expériences qu'on faisait subir à celui qui se trouvait derrière elle maintenant. Elle se doutait qu'il se souvienne d'elle alors que pourtant, elle se retrouvait bien souvent devant sa cellule, posant sa main sur la surface plane qui les séparait. Il était beau, une créature magnifique, une septième symphonie, une chapelle Sixtine. Elle pénétra dans un bureau, s'échappant de ses pensées, et l'invita à s'installer sur l'un des sièges présents dans la pièce. Même si ce qui allait se passer ressemblait à une visite chez un psy, Zora n'était pas vraiment pour le conventionnel en lui demandant de s'allonger. "Alors monsieur Blackwood, comment allez-vous aujourd'hui ?"
Il y a des détails qui ne m’ont pas trompé, une surveillance qui me paraît trop intensive, des entraînements qui, à mes yeux, ne ressemblent en rien à ceux que l’on ferait suivre à des personnes « comme moi »…à moins de vouloir vraiment en faire des bêtes du combat, dans lequel j’ai déjà été formé par le passé. Détail qui ne semble pas les avoir dissuadé à vouloir aiguiser mes compétences en la matière. Un altruisme quelque peu controversé. À vrai dire, les référents étaient suffisamment blindés en la matière pour réussir à me faire douter. Cette situation ne me plaît pas. Je sens que quelque chose est hors de mon contrôle et j’ai horreur de ça. Il y a une machine qui tourne, qui est nourrie… j’ignore encore que cette machine, c’est moi.
Je sais mais je reste.
Être ici entre ces murs ne change pas pour autant ma façon d’être. Je subis cette protection, que j’estime pourtant avoir été nécessaire - uniquement lorsqu’on me l’avait ‘proposé’. Protéger les autres de moi-même, c’était la raison pour laquelle j’avais accepté. Les risques étaient trop élevés pour que je laisse passer cette « chance ». Pourtant, elle semble se dénaturer en quelque chose d’autre… je n’ai pas encore de mot pour le décrire, seulement cette sensation oppressante qui s’étendait depuis mon premier contact avec un des membres de l’organisation. Les odeurs étaient toujours présentes, elles me suivaient en permanence, dans ces ombres que j’aurais certainement su situer si on me l’avait demandé. Quelque chose me dit qu’ils sont dangereux, ou du moins, qu’ils peuvent l’être. En soi, n’était-ce pas inscrit dans une certaine forme de logique ? J’imaginais très mal un groupe de bonnes sœurs essayer de calmer le monstre que j’étais devenu. Non… ils devaient être armés car leur mission, en fin de compte, n’était pas aussi pacifique. Elle comportait des risques… que j’étais à peine capable de mesurer moi-même, bien que je les imaginasse suffisamment souvent pour me mettre dans des états incroyables.
Là où certains vont à la messe (grand bien leur fasse), j’étais occupé à me vider la tête plus qu’à réellement m’entraîner de façon optimale. Sans doute une façon de faire passer l’anxiété qui s’installait dès que mon esprit avait la possibilité de divaguer. C’est à dire… relativement souvent. Le problème est que l’habitude de conduire rend les choses plus automatiques et permettent ainsi de ne pas sombrer dans une concentration muette et profonde. Là où mes pensées ne pourraient pas affluer si l’expérience professionnelle n’y était pas…
Je déborde pourtant d’une énergie qui n’est pas tout à fait la mienne - du moins, je ne l’acceptais pas en tant que telle. Évacuer reste le meilleur moyen de regagner en stabilité, c’est ce que je me disais. Rester le cul vissé sur le siège conducteur du taxi n’allait certainement pas m’aider à en faire autant. Bien que ce soit illusoire, il fallait que je le fasse. Comme bien souvent, je suis seul dans un coin de cette salle - l’autre, ceci dit, n’ouvre ses portes que lorsque le « référent » en la matière se pointait. Un foutu pressentiment qui m’indiquait que des yeux étaient tout de même là, à scruter, mais surtout que cette situation était mesurée. Ce que je pourrais comprendre si je n’étais pas aussi parano en ce moment. Les retrouvailles avec Clyde, il y a quelques temps, me reviennent. Je crois qu’ils ne sont pas au courant. J’ose espérer qu’ils ne le seront jamais, car sinon…j’allais me taper encore des « consultations » à l’allure d’interrogatoires. Rien de particulièrement agréable à mon sens.
La double-porte s’ouvre et je continue de soulever mon poids à la seule force de mes bras. J’ai reconnu l’odeur qui s’y engouffre, rien ne m’indique qu’elle est là pour moi mais le son de ses pas n’en est pas moins révélateur… car l’écho se rapproche avec assurance. Je l’entends essayer de captiver mon attention, or, elle l’avait déjà depuis qu’elle avait franchi le seuil de cette porte. Mon regard en biais, mon mouvement sur pause, j’écoute ce qu’elle a à me dire. Me demande de la suivre, ce que je compte bien faire une fois mes dernières pompes achevées. J’ai simplement hoché la tête brièvement, sans dire un mot. Terminé les cinq dernières et disparu dans les vestiaires afin d’être plus présentable que ça. Le tout ne dura pas dix plombes et j’étais déjà sorti, paré d’un nouveau tee-shirt et d’un indémodable blue jeans. Je la suivi, toujours aussi silencieux… ce qui ne signifiait pas pour autant que mon cerveau n’était pas en train de tourner à cent à l’heure. Au contraire.
J’avouerai me souvenir de la dernière fois que nous nous étions vu. Son parfum m’y ramène, il s’agit du premier contact que j’ai pu avoir avec leur groupuscule. Alors qu’elle me propose de m’assoir, je suis encore à me rejouer la scène qui avait été notre première rencontre. Mon regard croise le sien. Son nom me revient comme la brise matinale sur mes terres natales. « Salkanovič, c’est ça ? », que je lui demande tout en connaissant la réponse. Je n’accède pas immédiatement à sa requête, me contente de brasser du regard le bureau en m’imprégnant malgré moi de chacun des détails, qu’ils soient visuels ou autre. Je fais quelques pas et croise les bras contre mon torse, une certaine tension interne s’évaporant au travers de mes gestes.
Mes yeux se recentrent sur ma seule interlocutrice, qui vient de finir de poser sa question. Ce patronyme qu’elle a répété une énième fois comme un titre ne me mets pas particulièrement à l’aise. « Vous pouvez pas plutôt m’appeler par mon prénom ? » Un caprice comme un autre. Je serais sans doute le premier à lui demander ça dans un tel cadre - du moins, c’était une réflexion qui m’était venue naturellement après ça. Mon accent écossais n’en fut pas moins des plus acéré à cet instant, sans que je ne sache vraiment pourquoi. « Ces conneries-là, c’est trop formel. » Trop formel, ouais. Pour un peu et j’aurais eu l’impression d’être à l’armée. Je veux pas repenser à ces années-là, parce qu’elles me ramènent indubitablement à des souvenirs plus douloureux. Notez la façon dont j’ai évité la première question… éviter étant un bien grand mot, puisque j’y revins après avoir laissé échapper un soupir qui ne s’était pas voulu particulièrement discret. Bordel, c’est que j’crève la dalle en plus… et c’est pas pour me mettre de bonne humeur. « Ouais, ça va, », répondis-je plus par automatisme que par sincérité. Comme une envie de balayer cette question qui pourtant avait sa place ici. Je décroise les bras et file avec empressement vers le siège où je m’installe sans prendre de précaution particulière. À peine assis, ma jambe se mit à vibrer légèrement sous la nervosité. Je devais tirer une gueule des plus mémorables. Non, ça n’allait pas. Ça n’allait pas et ça ne s’améliorera pas tant qu’on me posera encore cette foutue question dont la réponse se lisait à même mon visage, déjà bien marqué par la fatigue. Fumer… maintenant, j’ai envie de fumer. J’essaie de ne pas y penser, passe ma main droite sur mon front alors que mes bras reposent toujours sur ceux du fauteuil. J’inspire un peu, redresse mon nez pour incliner mon visage vers le sien. Je me demande qu’est-ce que tu vois devant toi, princesse, pensais-je sans rien exprimer verbalement. Quand je croisais mon reflet, j’y voyais quelque chose d’horrible - une difformité de mon être tout entier… mais elle ?
Montres le moi, je voudrais le revoir une nouvelle fois. Les pensées traversaient l'esprit de Zora alors qu'elle observait l'homme devant elle. Elle se demandait ce que la bête ressentait bien plus que l'humain et, si ça ne risquait pas de briser sa couverture, elle serait beaucoup plus encline à discuter avec elle. Peu importe, elle devra faire avec son alter-ego pour le moment, "Ne vous en faîtes pas, monsieur… Alistair." Elle répondait positivement à la requête de son patient forcé à son insu, que ce soit son nom ou son prénom n'était pas primordial, le seul vrai patronyme qu'il devait avoir, c'était celui de N°6. "Nous sommes ici pour vous aider." Les paroles devaient être bien choisies et l'intonation également. Ils étaient là pour l'aider mais pas de la manière qu'on pouvait s'imaginer. Le petit loup devait revenir là où était sa place et monsieur Blackwood devait disparaitre pour de bon. Cependant, les traits de son visage le trahissait, sa réponse n'était pas objective et avait été lancée pour ne pas qu'on lui en demande plus. Zora se redressa de son siège baissant légèrement la tête. "Je vous assure que tout se passera pour le mieux, mais vous allez devoir nous aider." Elle fit le tour de son bureau pour venir prendre place sur un fauteuil à côté de celui occupé par Alistair. Il n'était pas réellement à l'aise, comme si quelque chose le dérangeait. "Je veux que vous soyez honnête avec moi, ça n'en rendra les choses que plus facile. Je suis consciente que c'est difficile pour vous, que tout ceci est nouveau. Mais notre agence aide les gens dans le besoin." Elle retira ses lunettes pour ôter la barrière qu'il y avait entre eux deux, tentant de percer son âme tout en lui offrant la clé de la sienne, bien entende toujours masquée par cet alias qu'elle portait en ces lieux.
L'instant sembla se figer, le temps repartir en arrière. Perdue dans les pensées que renvoyait le regard de la forme humaine de N°6, elle était de retour en Sokovie, dans le château de son père. La bête était là, rodant dans sa cage. La création était arrivée à son niveau final mais malheureusement, il manquait de contrôle, d'un moyen de déclencher sa colère. La jeune femme, qui infiltrait les rangs du SHIELD à l'époque, restait à une distance respectable de peur de recevoir un coup de croc, tout du moins une tentative de ce dernier. Blackwood revenait à lui de temps à autre, plus se transformait de nouveau sous le coup d'électrochoc, loin de se douter de ce qu'il arrivait lors de ses absences. "Chut, N°6, je suis ton amie." La femme qui tenait la bête en cage voulait être son amie, c'était à la fois une ruse mais également des paroles sincères, dans un sens. Elle ne voulait pas être son ennemi, voilà la vérité, elle voulait que la créature s'attache à elle, qu'elle ne grogne plus en sa présence. La créature savait parler, c'était une certitude mais chacune des sollicitations de Zora trouvait jusqu'à présent le silence comme seule réponse. "Je te promet que je ne te laisserais jamais tomber, N°6."
Elle posa la main sur celle d'Alistair, la plus proche, dans l'espoir de l'apaiser. Le contact ne dura pas longtemps, elle connaissait la bête et savait fort bien qu'elle y risquait sa vie en touchant ainsi Alistair, ne sachant pas trop quel part de la créature se trouvait en lui en cet instant. Elle cherchait juste à lui montrer de la confiance. Elle baissa une nouvelle fois le visage et remis ses lunettes, prenant un air un peu gêné de la personne qui a dépassé les bornes de son métier. "Je m'excuse." Elle détourna le regard, le plongeant cette fois dans la fenêtre de son bureau. "Ce que j'essaie de vous dire… Alistair, c'est que je suis votre amie… et je vous promets que je ne vous laisserais pas tomber." Elle se releva pour reprendre place à son bureau, remettant au passage ses lunettes. Machinalement, et pour parfaire son rôle, elle se saisit d'un crayon et ouvrir le dossier factice du patient. "Maintenant, j'aurais besoin de savoir comment vous vous sentez, ce que vous ressentez, en ce moment même." Comprendre l'homme, comprendre la bête, voilà ce que Zora voulait plus que tout. Durant les mois d'expériences sur la créature, elle n'avait jamais eu réellement le temps de s'intéresser à ce qu'elle ressentait intérieurement. Ce n'était pas de l'empathie, c'était surtout de la science.
Et pourtant je la fixe pas, lui dévore pas le blanc des yeux. Mais je sens qu’il y a quelque chose, loin derrière ces lunettes ou ces prunelles, que je n’arrive pas à saisir. Tout est louche ici, quant bien même elle essayait de me faire croire le contraire. Je n’étais pas à l’aise. Entre ces murs, j’étais pris au piège de mon existence, rien de plus ni de moins. Ça me rappelait à quel point je pouvais être dangereux pour les autres, que je devais être assisté et pas avec de petits moyens au rendez-vous. Ça me rappelait la prison dans laquelle je m’étais - presque - volontairement enfermé afin d’éviter des dégâts supplémentaires. Encore heureux que je sois encore capable d’avoir une vie normale, même si j’étais talonné de près par ces foutus agents. Et à l’odeur du métal froid, c’était certain que les flingues n’étaient pas en plastique - et encore moins pour faire joli sur la photo. Elle a visiblement du mal à chier mon prénom. Quand elle le prononce, j’ai l’impression qu’il se déforme. Qu’il prend une autre dimension. Laisse tes impressions là où elles sont… je soupire lorsque j’accueille la suite, qui n’est pas sans me rappeler une vieille comptine qu’on aimait me chanter ici-bas. We’re here to help you. Sans déconner ? Je me mords l’intérieur de la joue, on ne peut plus nerveux. J’ai besoin que le temps passe plus vite. Ou simplement oublier pour mieux avancer, je sais pas trop. Toujours est-il qu’elle finit par retirer ses lunettes. Elle ne m’impressionne absolument pas. Je crois que pas grand-chose m’impressionne à ce stade… si ce n’est cette chose monstrueuse qui siégeait là-dessous, dans mes entrailles cérébrales… ou je ne sais trop où, d’ailleurs.
Il y a trop de choses dans si peu de mots. Je crois qu’elle m’agace… à moins que je me fasse une raison. Pourtant, avec ses airs de bon samaritain, il y a de quoi. Toutes ces jérémiades ne m’intéressent pas. Je crois que leur « thérapie par la parole » n’est qu’une énorme connerie chiée de leurs cerveaux faussement altruistes. J’avais pas besoin de la pitié de quelqu’un, encore moins d’un groupuscule tout entier. Ce que je voulais c’est des résultats. Être certain que j’allais pas partir en vrille et mettre en danger autrui. Et jusqu’à preuve du contraire, toutes les plus belles chansons ne réussiraient pas à faire plier un monstre comme l’Autre…
« Arrêtez, vous allez m’faire chialer… », lâchais-je dans un soupir alors que mon regard fuyait vers un coin de la pièce.
Spoiler:
Tu tournais. Et pour quoi ? Pour qui ? Dehors, ils sourient. Toi…tu as faim.
« Chut, N°6, je suis ton amie. » Tu comprends ce qu’elle te dit, mais ta conscience malade et déstructurée ne permet pas encore de t’exprimer avec toute la rage et la haine qui peuvent t’habiter depuis que tu es né. Elle t’appelle par un numéro, tu devrais en faire autant la concernant. Non… tous les autres devaient être considérés comme des moins que rien. Il y a cette mélodie qui résonne et c’est le souvenir de cette femme qui remonte au même instant, t’incitant à répondre à son appel sous le poids de la colère. Tu ne laisses pas la place à l’Homme avec qui tu partages désormais une enveloppe corporelle. Tu veux rester. Encore un peu. Des odeurs, des sons… mais ce n’est jamais assez. Tu veux sortir, en découvrir d’autres. Déchiquète. La gueule qui suinte de sang et de salive. Tu grognes sans cesse, tu as de l’énergie à revendre mais tu n’as encore jamais parlé. Tu t’es gardé de faire cela en leur présence, sans pour autant méditer sur le pourquoi. Toi, tu ne réfléchis pas. Tu es une bête, tu t’appelles Iblis, tu n’es pas no.6. Tu n’es pas à eux. Tu n’es pas leur enfant. Tu n’es rien qu’ils pourraient aimer comme si tu étais le fruit de leurs entrailles. « Je te promets que je ne te laisserais jamais tomber, N°6. » « La ferme… », la voix monstrueuse résonna, un écho vrombissant contre les parois de la cage à l’allure de boîte blindée géante. Tu tournes, tu es toujours dans le noir… ils aiment ça, t’aveugler. Pourtant, tu vois de bien des façons. Tes sens sont d’autant plus aiguisés qu’on te prive d’un seul d’entre eux. « Tu n’es l’amie de personne, femme… » Que tu poursuis, toujours dans ce murmure puissant et las. Il y a des lames affûtées dans ta bouche et dans tes mots. « Laisse-moi sortir… », fis-tu, pensant à juste titre qu’il s’agissait du prolongement de la pensée de ton hôte humain. Pourtant, il y avait là une véritable volonté, des deux consciences, à vouloir s’échapper d’ici. « …je veux sortir… » Tu fais preuve d’un simili-calme… ta colère n’est pas tapie, tu la protèges. Mais bientôt tu devineras qu’il te sera nécessaire de la laisser sortir - pour le meilleur comme pour le pire.
Elle était là, sur le fauteuil d’à côté. Sans même la regarder, j’ai senti qu’elle allait faire ça. Je l’ai senti et j’ai retiré mon bras avant qu’elle ne dépose sa main pleine sur moi. Au final, elle m’a effleuré et j’ai l’impression que c’est déjà un détail de trop. Mlle Salkanovič s’excuse aussitôt mais je réagi avec autant de vivacité, une pesante agressivité dans mes gestes - pourtant contenus - et paroles.
« Putain, c’est quoi votre problème ? » Je la fusille du regard. Mon pouls me fait mal sous la colère. Mes mains se crispent, mes muscles sont tendus. C’est pas une bonne idée… on s’calme. « Amie… ?! », je tente une inspiration, je replace mes bras sur ceux du fauteuil et m’y accroche… en quelques sortes. Mon regard fait un tour aléatoire avant de revenir se planter brièvement dans les prunelles de la jeune femme. « J’crois que vous vous êtes planté sur ce coup-là. » Au risque de la vexer… de toute façon, c’était la vérité. Ses mots étaient complètement déplacés dans cette situation, tout comme son geste. Elle débloquait complètement… plus que moi du moins. Et j’étais bien conscient. Fatigué nerveusement mais conscient. « C’que j’ressens ? », merde, elle est vraiment intéressée par ça après avoir voulu me tripoter en prétextant gentiment qu’on était potes ? Sérieusement, il est planqué où son joint ? « J’ai la dalle et j’veux fumer. » Clair, concis. Oui c’est parfaitement à prendre en compte dans la notion de « ressentir » à mes yeux. Il y avait cependant une nuance qui manquait au tableau. Je jette un coup d’œil du côté opposé de là où elle se trouve, crache. « …et partir d’ici. » Si avec ça je peux déjà ‘l’aider’, elle me fera peut-être un peu moins chier. Ceci dit, j’avoue qu’elle m’a particulièrement agacée par son geste. Troublé peut-être aussi… si c’était vraiment le cas, je ne l’assumerais pas vraiment. En fait, je ne sais pas trop ce qui se passe à cet instant. Mais mes doutes ne font que se confirmer au fil des secondes, des minutes. Je ne sais pas ce qu’elle me veut réellement. Je crois qu’elle a un grain. Pas autant que moi, mais un grain quand même. Je m’enfonce dans un piège.
« J’préfèrerais que vous m’promettiez de ne plus jamais refaire ça. » Je soupire. Je la regarde à nouveau. Elle n’est pas si moche que ça en fin de compte, sans ses lunettes sur le nez ? Dans mon regard, une ambivalence qui me surprend. Un peu trop - je détourne les yeux. « Laissez tomber les gâteaux de mémé, j’boufferais un cheval. » Si elle avait eu ne serait-ce qu’un seul instant l’idée de me refiler les sablés pour accompagner son café. Oui, j’avais vu le nécessaire, senti l’odeur des graines charbon. Ça sentait tellement fort ces trucs-là, même à moitié empaquetés… Du reste, j’étais très loin d’imaginer que j’étais capable d’en bouffer un entier, de cheval…
Zora posa le crayon sur son bureau et joint ses la pointe de ses doigts devant son visage, avant de poser son front sur ce dernier. Elle soupira légèrement. N°6 n'était pas une créature facile, elle le savait, tout comme elle savait qu'il fallait la caresser dans le sens du poil. Et son hôte, cette personne devant elle, cette enveloppe, cette coquille qui le contenait semblait partager avec son alter ego le même caractère. Elle devait réfléchir vite pour le remettre sur le droit chemin, sur son droit chemin. Poursuivre l'œuvre de son père et fournir l'être parfait, magnifique, majestueux. "Alistair…" elle débuta d'une voix presque lasse face aux attaques de son patient. "Je ne peux rien sans votre aide. Vous avez des problèmes, les nier serait stupide et que vous le vouliez ou non, nous… je peux vous aider." Elle marqua une pause, se pinçant la lèvre inférieure entre ses dents. "Si vous voulez partir, je ne peux pas réellement vous retenir… mais que feriez-vous une fois dehors, une fois… que tout recommencera ?" Une fois que la bête ressortira de vos chairs ? Qu'il le veuille ou non, il n'était pas encore maître de sa condition, le monstre qui le terrorisait pouvait ressortir à tout moment, Zora le savait, elle avait les moyens de la réveiller alors qu'elle tourna la tête vers un vieux tourne-disque posé sur un meuble dans un coin de la pièce. Une simple mélodie qui pouvait lui offrir la possibilité de revoir une dernière fois l'un des derniers vestiges de son père. Non, elle ne devait pas le faire, c'était trop risqué, autant pour sa vie que pour sa couverture. Elle se redressa hors de son siège et se dirigea vers la sortie d'un pas décidé. "Je vous laisse réfléchir, en attendant, je vais voir ce que je peux faire pour votre cheval. Pour ce qui est du reste, je préfèrerais que vous vous absteniez de fumer dans le bureau. Merci." Elle quitta le bureau insonorisé, à la recherche de quoi nourrir l'affamé.
Spoiler:
Elle parle, la créature parle ! La fascination de la jeune femme pour cette forme enfermée ne faisait que croitre. Rien ne permettait de savoir exactement l'étendue de ses capacités et son mutisme jusqu'à présent avait aidé à la conclusion qu'elle ne pouvait s'exprimer. Tout changeait dans le monde de l'agent de l'Hydra… quel joie quand elle pourra le dire à son père. "Je ne peux pas, N°6, je ne peux pas te laisser partir, pas encore." Son côté scientifique lui disait de se jeter sur un calepin et de noter tout ce qu'elle pouvait observer mais son côté humain restait bloqué sur l'attrait qu'on lui offrait. Elle se risqua à s'approcher, tendant une main vers les barreaux, tout en restant à une distance qui l'empêcherait de perdre un bras. Ce n'était pas l'envie de toucher son poil qui lui manquait mais la faible partie de raison qui la parcourrait encore savait fort bien qu'elle n'y survivrait pas. "Tu ne seras pas mieux dehors… ils…" Elle chercha ses mots, perdue dans ses pensées. "Dehors, ils ne te laisseront pas en paix. Dehors, pour eux, tu es un monstre." Elle retira sa main et la passa dans ses cheveux, son air songeur balayant les dalles au sol. Un monstre que son père et elle-même avait créé. Enfin dans la théorie, la nature des pouvoirs obtenus n'était pas très claire pour eux. Avaient-ils eux-mêmes altéré son état ou avaient-ils simplement accéléré le réveil de cet animal ? "Laisse-moi t'aider, laisse-moi t'approcher, laisse-moi devenir ton amie."
La porte s'ouvrit de nouveau après quelques instants, laissant réapparaitre Zora suivit d'un homme en blouse blanche également, bien que son genre laissait supposer qu'il n'était qu'un simple trouffion de base. Il portait un plateau sur lequel se trouvait une assiette assez bien garnie ainsi qu'un verre contenant non pas de l'eau ou un jus de fruit mais bien un whisky. Après tout, Alistair n'était-il pas un écossais pure souche, on ne pouvait dès lors que penser qu'il appréciait cette boisson. Elle reprit sa place au bureau après avoir indiqué à l'homme où poser le plateau, devant le patient. Ce dernier s'était exécuté en tremblant légèrement, comme s'il avait peur d'une possible agression. "Je vous en prie, vous pouvez manger, nous reprendrons après. Je suis navré de n'avoir pu vous obtenir un cheval cependant." Une pointe de sarcasme dans sa voix alors que de sa main, elle l'invitait à prendre ce repas pour amadouer la bête, autant celle qu'elle regardait que celle qui se trouvait à l'intérieur. Laisse-la sortir, c'est tout ce que je veux hurlait son cerveau. "Maintenant que vous avez obtenu ce que vous vouliez, accepteriez-vous de répondre à mes quelques questions, monsieur Alistair ?" Le non n'était plus vraiment une réponse qu'elle attendait. La sokovienne avait répondu à la moindre de ses exigence ou presque et elle espérait que le rustre qui lui faisait face lâche à présent un peu du lest. Le plan devait avancer, l'héritage devait se poursuivre, l'œuvre… ne pouvait plus attendre…
« C’est ça, j’ai des problèmes… », répétais-je dans un soupir avant de poursuivre aussitôt après. « Osez m’dire que vous en avez pas là-haut ? », tout en pointant d’un index ma tempe en la fixant d’un œil acéré. Je suis presque certain qu’elle va me dire que c’est pas le sujet, que c’est moi la priorité, tout ça… c’est bien beau ces conneries-là, mais elle avait un grain elle aussi. On pouvait pas être sain pour avoir envie de s’occuper de cas comme moi. De base. Après… de ce que j’en ai vu, elle ne semble pas être franchement douée avec moi. Sauf si c’est moi le souci et qu’elle se comporte différemment avec les ‘autres’. Ces autres que je n’avais pas vu, ces autres dont on me parle mais qui me ramène simplement à une idée d’illusion à entretenir. Ça ressemble à un théâtre. Je connais bien les théâtres, pour y avoir tenu un rôle d’acteur au sein même d’un clan que je n’estimais pas être mien. Mes racines n’étaient pas là, même si elles étaient issues du même sol. Je n’avais jamais cherché à savoir qui était la mère, le père. Ou les éventuels sœurs et frères - j’avais déjà été suffisamment dégoûté de ceux qu’on m’avait offert pour essayer de m’en trouver d’autres. La vérité, sur ce plan, ne m’avait pas intéressée. J’allais dire jamais, mais on a tendance à dire qu’il vaut mieux pas le répéter trop souvent ce truc… au risque de finir déçu une fois que ça nous tombe sur la gueule. Mais la vérité dans un tout autre contexte… ça, je cherchais encore. Je cherchais et je n’aboutissais à rien. Comme ici, entre ces murs, où j’avais l’étrange impression d’être pris au piège.
Une putain d’impression qui n’était pas si différente de celle que me renvoyait à elle seule cette brave Salkanovič.
Bien sûr que tu l’peux. C’est pas c’que t’essaies d’faire, là ? grondais-je intérieurement, gardant mes yeux clairs braqués sur son visage. Est-ce qu’elle me prenait pour un con ? Je sais que j’ai des travers, mais j’avais suffisamment aiguisé mon instinct - ma paranoïa ? - pour sentir quand y avait un truc qui sentait la merde. Et là, ça commençait à peine à mariner. « La même chose qu’avant. Expliquez-moi par quel putain de miracle personne à part vous ne me soit tombé dessus depuis tout c'temps ? » Est-ce qu’elle va répondre ? J’sais pas, j’en doute un peu. Ou elle le fera lorsqu’elle aura suffisamment mariné elle aussi. Je prends une inspiration alors qu’elle commence à se lever. « M’enfin, j’apprécie c’te technique, on me l’avait encore jamais faite celle-là. » concluais-je en la suivant des yeux. Je donne l’impression d’avoir besoin de réfléchir là ? J’ai dis que j’avais faim, j’voulais fumer, et je voulais partir d’ici. Et elle me demande de réfléchir. Attends, elle se barre ou je rêve ?
Non, j’rêve pas, elle se casse. Ça aussi c’est de la diversion à peine subtile. J’applaudis pas.
J’allais pas la retenir. Je soupire et reste à ma place, tâtant les poches de mon jean pour y trouver mon paquet de clopes.
Spoiler:
Tu es affreusement seul dans ta cage. Tu es affreusement seul et elle ose te faire croire que tu ne l’es pas. Tu n’as pas le droit de sortir. Pas. Le. Droit. Qui est-elle pour décider si oui ou non tu devais être privé de liberté ? Qui était-elle pour oser t’approcher après tout ce qu’elle a pu faire subir à ton hôte ? Tu lui en veux pour ça, assurément. Tu lui en veux de ne pas avoir pris soin de l’Homme, d’avoir voulu t’avoir Toi et pas l’Autre. Pourtant, tu n’es rien sans l’humain… tu n’aurais pas pu exister sans lui. Elle ne le comprend pas, elle ne voit que la Bête. Un jour, elle comprendra que la Bête est bicéphale. Qu’elle est issue d’une complémentarité dont tu étais certes la marque dominante, mais pas l’unique facette. Viendra aussi le jour où l’hôte le comprendra… et tu espérais que ce soit le premier sur la liste. Pour sûr. Tu l’écoutes. Ça te fait mal de l’écouter, elle t’agace déjà. Après tout, elle te refuse ce qui te reviens de droit… sa main s’approche des barreaux, sans les toucher. Tu sais qu’ils sont gorgés d’électricité (et pas des moindre), qu’ils n’ont pas cette odeur de métal habituelle…. Sinon… sinon, tu serais déjà sorti à la force de tes crocs et de ce qui pouvait te servir d’arme, à savoir ton corps entier. Tu fais quatre fois sa taille, sans doute plus. Lorsqu’elle prendra peur, la cloche se refermera et formera boîte métallique que tu connaissais que trop bien. Tes yeux jaunes vrillent dans sa direction. Ton souffle animal se repose devant toi, et même sur de lointains mètres. Protéger la colère, protéger Alistair. Tu ne t’appelles pas N°06, comme ils veulent te le faire croire. Ton nom… ton nom, ils ne méritent même pas de le savoir. « Et toi, femme, qu’es-tu donc pour oser m’enfermer… comme le monstre que je ne suis pas ? » La scientifique sera certainement ravie de te savoir doté d’une intelligence équivalente à celle d’un être humain. Mais cette information, certes capitale, était à double tranchant. Dehors, ils te considéraient comme un monstre. On enferme les monstres, parce qu’on a peur d’eux. On les isole. Cette femme énonce le contraire alors qu’elle est cachée derrière une barrière, derrière une ligne de sécurité qui n’est pas des plus ridicules. Et lorsqu’on ne souhaite plus avoir peur, on étudie ce monstre. Pour transformer le monstre en majesté. Pour le sublimer. « Tu es comme eux. Tu n’es rien pour moi… pour nous. Tu n’es pas… mon… amie ! » Et elle ne le sera jamais. Pour lui, pour toi. Pour le meilleur, pour le pire. Tu sortiras d’ici avec ou sans leur aval. Un jour. « Laisse-moi sortir… » Oui. Bientôt.
J’ai à peine eu le temps de m’en griller une tranquillement à vrai dire. C’est bon, je l’avais pas fait dans le bureau. Même si ça m’aurait bien plu de voir sa tronche après ça… l’odeur de clope est encore accrochée à ma main droite et à mes fringues lorsque je suis rentré à nouveau dans la pièce. Toujours pas là. Elle va vraiment le chercher ce cheval ? J’dirais même qu’elle va aller l’abattre elle-même à ce rythme. Toujours debout, je brasse du regard la pièce. Aucune chaleur. C’est… impersonnel. Juste louche, quoi. À moins que les psy soient tous barrés comme elle pouvait l’être, avec une façon de décorer les bureaux plutôt discutable… est-ce que c’était vraiment le sien d’ailleurs ?
Moins de deux minutes plus tard, la porte derrière moi s’ouvre. Je suis près de la seule fenêtre de la pièce, bras entremêlés contre mon torse. D’un geste naturel, je pivote dans la direction dite. La première personne à rentrer n’est pas celle qui m’intéresse le plus pour le coup, puisque c’est l’odeur de bouffe et d’alcool qui m’interpelle. Putain, cerveau faible. Surtout quand t’as un creux et pas un petit… pour le coup, elle avait vraiment sorti le grand jeu. Une chose est sûre désormais… elle avait vraiment un grain.
« Ah ok, j’comprends mieux où elles vont les subventions… », glissais-je, sentant alors une tension particulière autour de moi…
L’homme dépose le plateau sur la table en face du siège où je trônais un peu plus tôt. Ça vient de ce type. Un bref coup d’œil à ses mains et, effectivement, il tremble comme une feuille. Ses mouvements volontairement fluides tentent de le dissimuler. Pourtant, son cœur bat à tout rompre et l’humidité qui lui colle à la peau n’en est pas moins claire. Il sent la peur à plein nez. Il transpire comme un phoque sous sa blouse, d’ailleurs elle me filait un mal de crâne rien qu’à la regarder. « J’sais pas ce que vous lui avez donné à bouffer celui-là mais c’était p’tet un peu trop épicé. » Même pas le temps de lui demander moi-même qu’il avait déjà filé. Bordel, c’est elle qui lui foutait les boules comme ça ? C’est une vierge de fer à elle toute seule ou bien ? Pas le temps de m’y appesantir pendant dix ans ceci dit, j’étais allé me rassoir, jetant un dernier coup d’oeil vers la porte qui venait de se refermer. « Vous avez choisi quoi comme whisky ? », demandais-je à tout hasard. J’avais alors humé rapidement le verre servi, y décelant quelques nuances… que je reconnaissais. Mais ça ne voulait rien dire : certains étaient plus ou moins similaires dans leur odeur, mais pas dans leur goût. Une chose est sûre, il n’y avait que de cet alcool dans le verre et rien d’autre - j’avais pris l’habitude de vérifier, on sait jamais. Après la première gorgée, je me fige un peu. « Ça ressemble à du… » Je l’ai reconnu, oui. Laphroaig, 18y. Je fronce un peu les sourcils, oriente mes prunelles dans sa direction, l’air suspicieux. « Qui vous l’a dit ? » Traduction, qui lui a dit que c’était le scotch que je dégustais avec le plus de plaisir ? Tu n’oserais pas me mentir, hein ? pensais-je. Non, tu n’oserais pas. Ce n’était pas le hasard… en me surveillant, avaient-ils été jusqu’à noter je-ne-sais-où mon scotch favori ? Oh, et pour la bouffe, elle attendra quelques secondes, au moins le temps qu’elle me réponde. D’autant que… « Ouais, ouais. On va pouvoir commencer, Mlle Zora. Si j’vous fais encore attendre vous allez finir en statue d’cire. » J'avais utilisé la même tournure qu'elle avait utilisé, c'était moche et bizarre, j'vois pas pourquoi elle y aurait pas droit elle aussi. Je piquais à bouffer du bout de ma fourchette, l’enfournant dans ma bouche. J’allais prendre le temps nécessaire, croyez-moi.
La Sokovienne restait de marbre face à l'écossais qui ne s'arrêtait pas de faire des remarques, une question de professionnalisme mais elle n'avait surtout aucun intérêt à dévoiler une quelconque faiblesse. Lui, il se jetait sur le repas que l'on avait fait à sa demande, un repas qui n'avait absolument aucune substance qui pourrait lui nuire d'une façon ou d'une autre. D'autre membre de l'Hydra qui aurait voulu se procurer les services de la créature aurait sans doute tenté de la droguer, une grossière erreur. Déjà parce que les drogues connues ne fonctionnaient pas sur N°6 mais également parce que son odorat aurait tout de suite flairé le pot aux roses. Les bras croisés derrière le bureau, elle attendait en observant lorsqu'il apporta la boisson à ses lèvres. Ca avait autant l'air de lui plaire que de l'intriguer, ce qui était une bonne chose du point de vue de Zora. D'un ton un peu plus sec, il lui posa la nouvelle question, ce à quoi il eut droit à un sourire en guise de réponses. Les rôles étaient à présent échangés, il posait les questions, elle détenait les réponses. Restait à savoir jusqu'où il voulait aller pour les obtenir. Aussi loin qu'elle, elle l'espérait en tout cas. Passa une main dans ses cheveux, elle maintint le silence encore un peu avant de le briser d'une manière trop calme quand on savait l'animal qui se trouvait face à elle. Elle le connaissait… comme si elle l'avait fait, ce qui n'était pas tellement faux et elle savait que, de toutes les personnes peuplant cette terre, elle était la seule qui n'avait pas à la craindre.
Spoiler:
La jeune fille recula d'un pas lorsque les paroles de la créature semblaient plus mordantes que les dents qu'elle arborait. Malgré sa beauté, elle restait imposante, puissante, majestueuse… et terrifiante par moment. On parlait souvent que les animaux pouvaient ressentir la peur et, bien que rien ne le prouvait scientifiquement avec N°6, Zora avait l'intime conviction qu'elle pouvait faire de même. Ce n'était donc pas le moment de flancher, de lui montrer qu'on la craint, que c'est pour ça qu'elle est derrière les barreaux. Serrant les poings et ravalant un peu de salive, elle refit le pas en avant, essayant de respirer calmement, de faire preuve de sérénité. "Ce n'est pas pour le monstre que tu es que tu es enfermé… mais pour le monstre que les autres voient en toi…" Les autres, elle s'excluait volontairement de ce groupe parce qu'elle savait comme lui qu'il n'était pas un monstre, comme une créature aussi belle pouvait l'être ? Un nouveau pas dans la direction de la cage. Il pouvait penser ce qu'il voulait, mais les intentions de Zora étaient sincère, elle voulait de l'amitié de la bête. "Ou comme le monstre que tu laisses transparaître…" elle marqua une courte pause, espérant toucher la créature au-delà de sa fourrure. "Penses-tu réellement que tu te comportes comme autre chose que ce monstre que les gens craignent ? Tu leur donne ce qu'ils veulent, ce qu'ils attendent de toi. Plus de raisons de te haïr que de te t'aimer." Montrer les crocs, surtout aussi imposant que les siens, n'inspirait pas réellement la confiance, au contraire. Les gens avaient peur du monstre et il se comportait en tant que tel. "Si j'ouvre la cage, que ferras-tu, réellement ?" Elle lui posa la question, la sincérité présente dans sa voix, tout en plongeant les yeux dans la créature.
"Pour répondre à votre première question, on pourrait invoquer la chance mais malheureusement, il n'y a là que des recherches… et à défaut de vous faire plaisir, nous ne sommes pas les seuls à s'intéresser à vous." En effet, elle savait que le SHIELD était également sur la piste du monstre d'Edimbourg, il n'avait juste pas encore fait le lien avec Alistair contrairement à l'Hydra. Bien entendu, c'était un détail plus facile à trouver lorsqu'on connait déjà la réponse. "Et pour votre seconde question, existe-il seulement un autre whisky ?" La réponse était vague et c'était le but, elle n'allait pas d'emblée lui dire que l'organisation surveillait le moindre de ses faits et gestes mais plutôt lui laisser le supposer, continuer à l'intriguer pour capter son attention. Mais une fois encore, pas besoin de le surveiller pour découvrir des détails qu'elle connaissait depuis des années. "Maintenant que je vous ai répondu, c'est à vous de le faire." Elle sorti d'un des tiroirs un petit appareil servant à enregistrer la conversation. Rien d'inhabituel pour ce genre de session. "Alors dites-moi, comment vous sentez-vous lorsque cela arrive ?"
Un pas en arrière. Son petit cœur s’affole, sa gorge se contracte. Elle ravale sa salive et ce son-là ne t’échappe pas. Vite, vite. Reprends-toi. Mords à l’hameçon. Avance… Tu la vois se rapprocher encore un peu. Oui, avance… Elle veut être ton amie mais c’est dans une cage qu’elle vous maintient enfermés. Tu n’es pas un animal à domestiquer. Tu es plus que ça. Et elle ne le comprend pas. Sa réponse est sans nul doute la plus pitoyable que tu aies pu avoir. Tu ne changeras pas d’avis avec de la pâture humaine ou des paroles mielleuses. Elle était ta geôlière, peut-être même l’une de tes figures créatrices. Mais tu étais capable de mordre la main qui te nourris. Le plus important, c’était Lui. Et ta liberté. Deux choses qui étaient condamnées en ce bas monde. « Enferme-toi avec nous et tu le deviendras aussi. » Entre quatre murs, dans l’obscurité complète, privés de repères ; après avoir subi torture et autres sévices. Faites subir ça à n’importe qui et il s’aliène. Mais ça, elle le sait très bien. Seulement, le déni… « Je suis né de rage et de douleur… » Qu’es-tu vraiment, d’ailleurs ? Te poser cette simple question te hérisse. Tu n’es pas encore prêt. Il te faut la liberté pour apprendre… pour découvrir. « Et je ne suis pas à blâmer pour ça… » Non, s’il y avait bien quelqu’un à blâmer ici, ce n’était pas toi. C’était elle… eux. Les monstres nourriciers se trouvaient en dehors de ta cage. Sans tes fers, tu serais quelqu’un. « Tu n’es… rien. », sont les mots qui te sont arrachés du fond de ta gorge. Tu insistes. La colère, tu la caches encore. Il ne faut pas. « RIEN.DU.TOUT. » Des mots qui, tu le sais maintenant, sont de véritables coups de couteaux dans son cœur naïf et borné. Et alors, elle cherche à savoir… est-ce de l’hésitation ? « Si j’ouvre la cage, que ferras-tu, réellement ? » Tes babines s’étirent un peu plus, dévoilant une rangée de dents gigantesques. Ta voix rit, courant jusqu’à ton interlocutrice. « Ouvre… et tu verras. »
Reste juste à savoir jusqu’où elle serait capable de jouer… en admettant qu’elle sache s’arrêter.
« S’intérecher, rien que cha. On peut chavoir de qui vous parlez ? » Sans déconner, elle allait me retirer le pain de la bouche après avoir balancé un truc pareil ? Remarque, j’avais été tellement piqué par ça que j’avais pas pris la peine de terminer ma bouchée. Elle poursuit et je lève les yeux au ciel, secouant un peu la tête - je reporte mon attention sur mon assiette. (C’était quand même pas si mal cette saloperie.) J’avale le tout et finit par la toiser, haussant un sourcil à la seconde réponse. Je lâche un « Hm. » qui montre à quel point je ne suis pas convaincu. (À noter sur sa fiche : bonne volonté manifeste - peut mieux faire.) C’est ça, fous-toi de ma gueule. Elle se croyait drôle ? C’était ni écrit sur ma tronche, ni sur mon CV… et encore moins sur mes plaquettes. Elle avait forcément dégotté ça quelque part. Bordel… ils me suivent et vont jusqu’à aller répertorier mes goûts ? Et je dis pas ça uniquement parce que j’ai une bouteille chez moi. Sérieusement, c’était quoi ce délire de me stalker à un point pareil ?
Quand elle sort son dictaphone d’un de ses tiroirs, je sens s’approcher le moment que j’apprécie le moins. De fait, je prends toujours mon temps à bouffer, au moins jusqu’à ce qu’elle me pose cette foutue question. Ça commence bien… avais-je pensé, vidant ma bouche. L’instant d’après, j’avais saisi mon verre pour le vider d’une traite. Non, je savais parfaitement goûter les bonnes choses, sauf que là, je m’en cognais un peu. J’étais pas là pour passer du bon temps, au contraire. Je reposai le verre tout naturellement. Vide. « J’me sens plus. », avais-je balancé en haussant les épaules un coup. Au vu du silence, je crois bien comprendre que c’est pas assez. Un soupir, je piquai un morceau de viande de ma fourchette qui finit sa route au même endroit que le précédent. J’avais arrêté de la toiser depuis un moment d’ailleurs, mon regard préférant fuir. Il se reposait sur mon assiette et son contenu pour l’instant. « J’ai l’impression d’me perdre. D’me battre contre lui… ou ptet’ contre sa volonté. » Je reprends mon activité principale, à savoir manger. Entre deux, je glissai, quelque peu blasé. « J’sais pas ce qu’il veut à chaque fois. J’y comprends rien. » Et est-ce que je voulais vraiment comprendre ? Mes derniers mots ont presque l’air d’être prononcés dans l’idée d’abdiquer. Quelque part, c’était un peu ça l’idée sous-jacente. Qui disait abdiquer disait aussi donner les rennes à l’Autre - et au vu des dégâts qu’il pouvait causer, j’étais pas certain que ce soit une meilleure alternative non plus. Toujours est-il que je voyais pas comment me sortir de cette merde. Aucune issue… et non, tout ce cirque autour de moi n’en était pas une. J’avais dit oui pour soi-disant protéger les autres. Aujourd’hui, j’avais juste l’impression d’être redevenu un sujet d’étude. Ce qui me laissait un goût amer dans la bouche… et le fait même d’y songer me plongea dans le malaise. De légers spasmes dans mes mains, une anxiété légère qui pointe, traversant l’entièreté de mes membres pour un bref instant. Je le sens et je clos les paupières, reprend une inspiration lente et contrôlée.
Un nouveau battement de cils. On peut continuer. Je suis en train de terminer l’assiette et l’alcool fait du bien à mon organisme. Je prenais soin de faire abstraction de ces tremblements légers, nerveux. « J’vais pas disserter dessus pendant dix ans, » ajoutais-je alors que je clôturais le repas en m’essuyant le coin des lèvres. Me resservir un verre n’aurait pas été de refus, soit dit en passant. J’allais à nouveau chercher le contact visuel, le sien. « Question suivante ? » Parce que j’avais clairement passé l’âge des exposés pour l’école (et à part répondre au prof insolemment sous le regard d’une classe entière, j’étais pas trop motivé pour le reste)… et le one man show c’était pas pour aujourd’hui. Je remarque par ailleurs qu’elle semble être particulièrement satisfaite que ma langue se soit déliée. Manque de chance, la suite va aussi être enregistrée dans sa petite boîte. « C’est bon là, vous avez fini d’mouiller votre culotte ? » Un putain de grain ouais, je vous le fait pas dire.
Zora se redressa de son siège pour s'approcher de la fenêtre de l'établissement, laissant son patient – même si cette caractéristique ne semblait pas être son fort – se délecter de son repas. "Peu importe de qui il s'agit, tout ce que vous avez à savoir, c'est que nous sommes les gentils. Eux, ils seront beaucoup plus enclins à vous enfermer et à jeter la clé." Elle détourna son regard de la fenêtre pour le jeter sur l'affamé. "Je présume que vous n'aimeriez pas vous retrouver en cage ?" tu ne l'as jamais aimé, avait-elle voulu rajouter. Mais il ne fallait pas qu'elle en dévoile de trop, pas tant qu'il se montrera plus docile, pas tant qu'elle ne saura pas le contrôler autrement que par la musique. Son père l'avait créé, lui, une créature presque parfaite, une créature qui ne demandait qu'à être perfectionnée et c'était à Zora de l'emmener au niveau supérieur. Elle enleva ses lunettes et regarda les verres de ces dernières avant de les nettoyer rapidement avec son chemisier, en écoutant la réponse qu'il daignait enfin donné. Au moins il y avait du progrès. En bonne scientifique, elle se devait de comprendre ce qu'il ressentait, non pas qu'elle avait déjà essayé de le savoir dans son jeune âge mais après ces années passées dans la nature, les choses avaient peut-être changée. En réprimant un rictus qui voulait se dessiner sur son visage, elle se demandait qui, de N°6 ou d'Alistair était le plus bourru des deux.
Reprenant sa place, elle se contenta d'arquer un sourcil à sa dernière remarque. "Si vous espérez que ce genre de remarques écourte la séance, je suis dans le regret de vous dire que c'est peine perdue." Elle ne se laisserait pas berner par des provocations, pas quand c'était à son rôle de le provoquer, de vouloir le voir. Son regard criait de lui montrer sa beauté intérieure et bestiale, même si ça ne serait pas bon pour le quartier et les autres employés du bâtiment. Elle ne craignait pas pour sa vie, car il ne pourrait pas lui faire de mal, il ne voudrait pas lui faire de mal… n'était-elle pas sa plus vieille amie dans ce bas monde ? "Vous ne savez pas ce qu'il veut ou vous ne voulez pas le savoir ?" Elle laissa une petite pause de silence. "Laissez-moi reformuler… Vous n'avez jamais songé à essayer de le comprendre ? A vous abandonnez à lui plutôt que de le combattre ?" Le désir d'être réellement lui. Il n'y avait qu'en s'abandonnant à la créature qu'il pourrait l'être. Il n'était qu'une coque, qu'un cocon qui renferme sa vraie nature. Zora reprit sa place sur la chaise devant le bureau. Malgré ses airs intransigeants, l'ambassadrice voulait réellement l'aider, être son amie comme depuis le premier jour qu'elle avait vu l'animal dans toute sa splendeur. Qui d'autre pouvait le faire de toute façon ? Ce n'était pas les agents du gouvernement, qui voulait aussi mettre leur sales pattes sur lui, qui allait réellement le sauver de quoi que ce soit. Tout ce qu'il voulait, c'était le contrôler, s'en servir comme d'une arme pour propager un peu plus leur destruction. Zora espérait aussi y voir là une arme, c'était bien pour cette raison qu'il avait été créé, mais elle ne voulait pas le commander, elle voulait qu'il se batte à ses côtés en toute connaissance de cause. Anticipant sa réponse, elle enchaîna "Après tout, qu'avez-vous à perdre de plus en essayant ?"
« Ah ben ouais, c’est sûr que c’est plus simple de résumer comme ça, » glissai-je en haussant les épaules. La réponse qui n’en était pas une, en fin de compte. J’avais bien raison : quelque chose ne tournait pas rond et ce n’était pas qu’une impression. Je jette un coup d’œil en biais sur ma droite, sans pour autant faire croire que je cherchais une issue - c’était tout simplement faux, je savais où elles se trouvaient. Une telle interprétation n’aurait rimé à rien. Strictement à rien. Mais vu l’interlocutrice, je pouvais toujours être surpris… « En tous cas chapeau pour le plaidoyer, c’était du haut niveau. » (Que ce soit ces derniers mots ou le plateau de bouffe que j’avais englouti, d’ailleurs.) J’avais applaudis pour accompagner mes paroles, moquerie légère. Enfin ça, c’était juste avant qu’elle me laisse sous-entendre que je puisse être à nouveau enfermé, et là… je me braque, littéralement piqué par ses propos. La menace ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, croyez-moi. Et pour cause : mon expression avait changée l’espace d’un instant — passant de l’Homme à l’animal. Éclair fugace qui s’estompe dès qu’il me semble en prendre conscience.
Je me reprends, tentant de balayer cette idée de mon esprit. Difficile à chasser… comme certains instincts qui me dominaient. C’est sans compter sa réaction face à ma phrase piquante. Quoi, j’avais pas le droit de donner mon avis ? Jusqu’à preuve du contraire, on était deux et j’allais pas être le seul à m’en prendre plein la gueule. Y avait aucune raison qu’on partage pas les frais. La provoque est accueillie, et je ne m’arrête pas là car j’ajoute à mi-voix, « Froide comme le carrelage des wc, hm… », conclusion que je venais de faire au vu de sa réaction, haussant les sourcils. Elle était encore plus difficile à dérider qu’un siamois rasé. Je laissai échapper un soupir, détournant les yeux. Je ne parvenais pas à savoir ce qu’elle pensait et ne le saurait probablement jamais. J’abandonnais à ma manière, si j’ose dire. Pour l’instant. Ça me reposait les méninges. (En revanche, mon corps n’était pas tout à fait d’accord pour me laisser sur pause. Toujours sur le qui-vive.) Ouais, enfin… l’espace de deux minutes, montre en main, l’alcool aidant. Elle veut continuer ? J’attends la question suivante, comme demandé. Ça commence à me gaver… je laisse tomber ma tête en arrière, jetant un coup d’œil au plafond. Nouveau soupir qui accompagna le geste dit. Mais au lieu de gratter ailleurs, cette pseudo-altruiste était en train de prospecter sur ce que je lui avais donné. Mon index tapote sur le bras de mon accoudoir, bientôt suivi par les autres doigts. Ce jeu n’était là que pour dissimuler les légers spasmes qui me prenaient. Nerveux ? Pas qu’un peu. J’ai envie de bouger. De partir. Loin. Et plus je l’écoute déblatérer, plus cette envie croît de manière exponentielle.
J’ai souri nerveusement, secouant la tête de droite à gauche. Tête qui se rééquilibra dans sa tenue habituelle. Je la jauge du regard, mutin. Longuement. Jusqu’à ce qu’elle pose sa bombe. Et même après ça, je ne m’arrête pas. Les pensées s’entremêlent, je commence à sentir le piège se refermer… ou du moins, j’essayai d’y voir plus clair, et certains indices se présentaient à moi plus distinctement. Sa question me troue le cul, parce que je comprends à quel point elle n’a rien comprit. À moins que ce soit moi qui ne sois en train d’avaler la pilule. Mes doigts ont cessé tout mouvement volontaire de ma part - en somme, les spasmes ne sont pas partis, mais mon jeu solitaire pour le dissimuler avait prit fin. « Mon humanité. », posé comme une évidence. Je commence à comprendre, au détour d’une réflexion, qu’elle essaie de m’envoyer sur un terrain où aucun retour possible ne serait envisageable. « J’pensais que c’était clair pourtant. » Ce qu’elle cherche, c’est l’Autre, pas moi. Ce qu’elle cherche c’est à toucher du doigt cette chose immonde et monstrueuse. Psychologie inversée ? Ne me faites pas avaler ça non plus… je sentais que l’humain n’était pas - ou plus - sa priorité. Les premiers arguments qu’elle m’avait posé pour me faire marcher dans le rang, pour « protéger » les autres et me protéger moi. Ils n’avaient aucun sens face à ce qu’elle était en train de me dire. C’était… viscéral, et ne saurais l’expliquer. Je ne pouvais pas me tromper, ce n’était pas qu’une bête impression, c’était plus que ça. Et non, l’alcool ne tape pas trop, vous parlez à un écossais !
« Qui a été le premier à votre avis ? Moi ou lui ? » Silence. J’allais répondre à sa place, pour sûr, car c’était moi qui détenait les clés… du moins, c’est ce que je pensais. Elle en savait plus sur le sujet que moi. Je n’imaginais même pas. Néanmoins… on ne pouvait pas nier que l’Autre était arrivé par après, non ? C’est lui qui s’est installé, et comme par magie, ce fut après avoir été… enfermé, là-bas, dans cet avant-poste de l’Enfer. « Moi. Alors qu’il aille au diable. » Sans crier gare, je me levai d’un bond, mon regard la criblant de balles invisibles. Mon corps ne répondait plus à ma raison propre, j’étais guidé par autre chose, et j’y cédais. « Vous vous en tapez complètement d’savoir combien de gens il a pu tuer… » Je fis un pas vers elle, puis deux, maintenant le contact visuel. « Combien de vies il a pu briser… » et la mienne était comprise dans le lot. J’avance encore, les mâchoires serrées. Entre mes dents, je sifflai, « Putain, vous devriez vous voir… » La paume de mes mains s’écrasèrent contre la seule chose qui nous séparait : son bureau. Je m’étais penché un peu vers l’avant, mon regard fielleux toujours soudé au sien. « …c’est vous le monstre, Salkanovič. »
Zora ne sourcillait pas suite aux attaques verbales dont elle était la cible de la part de l'écossais. Elle avait vu son mauvais côté et il pouvait se montrer bien pire que ce qu'elle avait pour le moment en face d'elle. Elle se releva à son tour, posant également ses mains sur le bureau pour l'imiter, ses yeux ne quittant pas ceux de son prétendu patient, le défiant du regard. "Je vous conseille de baisser d'un ton et de ne pas changer vos suppositions en convictions." Elle n'était pas blessée par ses propos à proprement parlé, mais elle ne pouvait pas le laisser dire sans réellement se défendre. Elle avait été traitée de monstre, elle qui faisait tout pour son pays. Elle ne se considérait pas comme un ange pour autant, au contraire, elle savait ses actions mauvaises et la part d'ombre qui l'habitait, mais ce n'était que ça, une part d'ombre, comme N°6 l'était pour lui, de son point de vue. "Ne pensez pas que la mort d'innocents ne me touche pas, je sais exactement ce que ça fait de perdre quelqu'un de cher." Son père avait été tué, la laissant comme une orpheline une fois de plus. Elle était une victime d'Ultron et de Stark, tout comme le peuple de Sokovie et même si elle avait tué également, elle avait toujours une pensée pour les familles de ses victimes. "Que vous le vouliez ou non, il est là, il est toujours là et il le sera toujours. La question n'est pas de savoir qui était là en premier… le fait est qu'il fait partie de vous à présent." Son ton, jusque-là assez ferme depuis qu'elle s'était levée commençait à s'adoucir au fur et à mesure qu'elle parlait. "La vraie question, c'est de savoir si vous voulez le laisser faire ces massacres… ou au contraire apprendre à le contrôler pour que ça ne recommence plus."
Ses mains quittèrent le bureau puis elle s'en écarta, détournant son regard de celui d'Alistair. Le combat mental avait assez duré et elle savait fort bien que l'un comme l'autre n'allait pas lâcher prise. "Je ne suis pas votre ennemie." Elle s'assit de nouveau sur son siège, invitant d'un signe de la main son patient à en faire de même, juste pour montrer sa bonne volonté. "Je cherche juste à vous aider." Elle marqua une pause, ses mains se joignant devant elle sur son bureau, prenant un moment de réflexion. "Mon pays a été ravagé par les actions de quelques hommes, sans même qu'il en soit la cible directe." Son regard était plongé en direction de ses doigts entremêlé. "Des dommages collatéraux, voilà tout ce que nous sommes aux yeux des autres. Nous ne sommes pas des veufs, ni des orphelins, pas des familles détruite et même pas des victimes… seulement des dommages collatéraux, des statistiques que l'on balance dans le journal pour en faire les gros titres. Vous pouvez me traiter de monstre, monsieur Blackwood, si c'est ce que vous pensez mais la vérité, c'est que je veux faire mon possible pour que ce genre de massacre ne recommence pas. Je me suis renseigner sur ces… horreurs qu'il a commis, j'en ai pris la pleine conscience et je peux vous assurer que… si je peux faire quoi que ce soit pour que ce genre d'évènements ne se reproduisent plus, même si ça doit me prendre des années, j'y consacrerais la moindre seconde. Mais pour ça, j'ai besoin de vous, j'ai besoin de votre accord et j'ai besoin que vous me fassiez confiance." Même si ces paroles ne reflétaient pas toute la vérité, ce n'était pas pour autant que ce n'était que des mensonges. Elle voulait réellement que N°6 devienne plus docile, plus contrôlé, elle cachait juste le fait d'espérer ainsi l'utiliser à sa cause.
« Je vous conseille de baisser d’un ton et de ne pas changer vos suppositions en convictions. » « Allez vous faire foutre, j’ai aucun ordre à recevoir de vous. » son regard ne m’avait pas plu en plus de m’avoir piqué. Aussi avais-je réagi en perdant mon sang-froid, en la défiant à mon tour. J’étais incapable de voir où la Bête empiétait sur mon humanité en cet instant, pourtant c’était bien ce qu’elle faisait. Incapable de me contrôler alors que ma jauge d’adrénaline avait fait un bond considérable. Je cherchais pas à la blesser, pas plus qu’elle avait pu le faire du moins. Et ses mots ne font absolument pas écho en moi, pour la simple et bonne raison que je suis aveuglé par mes émotions négatives. La diplomatie, elle s’y essaie encore et c’est bien ça qui coince actuellement. Je ne veux pas la croire, je n’y arrive pas. Des arguments, elle en a peut-être, s’ils peuvent servir à me manipuler encore un peu plus longtemps. Manipulé… c’est exactement ce que j’ai l’impression d’être, là. Une réaction sans arguments viables, au moins d’apparence. À me baser sur des ressentis, des détails… mon raisonnement biaisé par un je-ne-sais-quoi… était-ce le jugement de cet Autre que je fuyais ?
L’Autre qui sera toujours là. Ça me bute d’avoir à avaler ça, croyez-moi. Ça me bute tellement que je m’énerve davantage, prenant ma tête dans mes mains alors que je suis en train de fulminer. Là aussi, il pourrait sortir. « Parce que vous croyez encore qu’on peut le contrôler ? », lui lâchai-je nerveusement alors que ma tête se balançait de droite à gauche, à la négative. C’est quoi qu’elle avait pas comprit ? Bien sûr qu’il fait partie de moi, c’est bien pour ça que j’ai pensé plus d’une fois à me faire sauter le caisson. Là au moins, l’histoire serait close. Plomb dans le crâne, crevé, walou, nada. Plus personne pour faire chier, juste un cadavre à enterrer.
Et putain, c’est quoi qui m’en empêchait ? Mon amour pour la vie ? Sérieusement, qui y croirait ? Cette idée me tourne encore en tête et devient insidieuse. Ma responsabilité est encore mise en exergue. Donc c’est à moi que reviendrait la faute des meurtres en série perpétués ces dernières années ? J’étais même pas au courant de tout ça. Non, c’est juste pas possible. Et c’est pas une vraie question. La raison est simple… « Si y a bien une chose dont j’suis sûr c’est qu’il pliera devant personne. » J’expire l’air difficilement, me risquant à aller chercher à nouveau son regard en pivotant dans sa direction. « Ni vous… ni moi… personne. » J’ai détaché mes mots, leur importance étant considérée. Je suis sûr de mes mots. J’en suis terriblement sûr et c’est quelque chose qui aurait pu me déranger, si j’avais été capable de me voir… « Jamais ce monstre sera en laisse. Jamais. » c’est une évidence que je ressens au plus profond de moi-même. Sans savoir qu’il s’agissait peut-être d’une de ses manifestations. Que nos entités s’entremêlaient subtilement, chose que mon agressivité démesurée pouvait laisser entrevoir.
Salkanovič continue mais je ne l’écoute plus. Elle se défend comme elle peut. Pas mon ennemie ? Alors elle est quoi, ma mère ? Remarquez en matière de monstre elles se valent. « Et jamais je serais votre pote. J’ai pas confiance en vous. » Être potes, c’est pas le but, (en vrai ça me fait pas du tout rêver), je suis au courant. Ne pas être contre l’autre ne veut pas dire être avec l’autre. Je n’ai absolument plus confiance en elle. Ça me pète au nez comme une évidence. Elle continue, encore, et encore. Je lève les yeux au ciel en soupirant, exaspéré et énervé. Mâchoires serrées. Je siffle… « C’est pas en chialant que vous allez la gagner. » Elle m’a fait signe de m’assoir un peu plus tôt mais je n’ai pas réagi. Je suis resté debout, sans accéder à sa requête qui me semblait être carrément mal placée. J’étais pas prêt à me rassoir, mais plutôt pour faire un footing de 20km pour me calmer. Être ailleurs qu’ici, ça devrait déjà être un bon début. Je semble l’écouter qu’à moitié, prenant quand même la peine d’acquiescer en haussant les sourcils, — et l’air de complètement m’en taper, même un aveugle l’aurait comprit. Mon cœur bat à tout rompre sous ma cage thoracique et lutte pour ne pas attraper quelque chose et le briser. Ok, ok, ok. Un faux sourire étire mes lèvres brièvement alors que je commence à m’éloigner, excédé. « Bon, c’est bien gentil Mère Teresa mais moi j’me casse. » Et elle pourrait bien courir pour me rattraper, la séance était terminée. J’ouvris la voie et ne prit pas la peine de refermer la porte derrière moi, filant dans les couloirs. Je repense à cette femme encore une fois, m'incitant à lâcher des mots d'amour à son égard. « Va t’faire foutre, » grinçai-je à peine audiblement entre mes dents, le regard noir. Se calmer de toute urgence, et en priorité.